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Mickaël Gélabale et le culte de la performance

Dernière mise à jour : 12 mai 2023


Propos recueillis par Ken Joseph

Photos : Éric Corbel

 




Que ce soit en affaires ou dans le milieu sportif, le dépassement de soi est une notion qui fascine, car c’est elle qui permet de tout donner quitte à souffrir un peu, beaucoup, avec passion, sûrement avec folie. Tout cela dans l’unique but d’atteindre un objectif : le but ultime. Par définition, le dépassement de soi est l’exploitation du champ des possibles et de l’atteignable en dehors de ce qui nous semble possible et réalisable, en dehors des limites, celles du concevable. Mais qui fixe les limites dans cette quête de dépassement ? Le corps ou le mental ? En vérité, la notion de limite relève d’une expérience subjective, celle de la transgression, l’épuisement et du découragement si bien physique que psychique. L’un et l’autre ne sont qu’un et se développent ensemble, constamment.


Et si l’entrepreneur est souvent comparé au sportif de haut niveau en cause des ressorts de la réussite qui sont les mêmes : endurance, abnégation, esprit de compétition, rigueur, discipline, capacité à surmonter des échecs et à travailler en équipe… Et quand bien même, chacun apprécie de manière personnelle ses performances, c’est le sentiment de s’être dépassé et la fierté qui en émane qui sont jouissifs. Ainsi, la recherche de performance est finalement plus contre soi-même que contre les autres.


Le culte de la performance ne serait donc que le moyen d’atteindre un idéal fondamental réunissant autonomie, initiative individuelle et réalisation personnelle dans ses actions et activités.

Entre hargne et larme nourrissant l’exaltation du tout monde, le dépassement de soi symbolise en réalité un phénomène révélateur de notre société : la quête d’excellence accomplie dans le « faire mieux », la réussite sociale et personnelle définie par le « culte de la performance », l’idée devenue commune qu’on puisse en toutes choses, et en l’occurrence dans le sport comme dans l’entrepreneuriat se dépasser.

Le sociologue, Alain Erhenberg, à l’origine de l’expression « le culte de la performance », explique le choix du mot culte, dans la mesure où la performance constitue un nouvel imaginaire social, une « mythologie », au sein de laquelle tout un chacun peut trouver une porte de sortie à l’aliénation que provoque la société. Cet imaginaire se résume à un gain substantiel d’autonomie dans les tâches quotidiennes ou laborieuses. Autrement dit, la recherche de la performance revient à consacrer la personne et son épanouissement, ainsi que sa capacité d’initiative et de réalisation. Le culte de la performance ne serait donc que le moyen d’atteindre un idéal fondamental réunissant autonomie (opposée à l’aliénation), initiative individuelle (opposée à la subordination imposée par les hiérarchies par exemple) et réalisation personnelle dans ses actions et activités (c’est-à-dire donner un sens à ce que l’on fait et ce que l’on est).






Et Mickaël Gélabale, ancien basketteur international, s’est bien acquis de cette notion « du dépassement de soi », du culte de la performance, conjurant le mauvais sort avec toujours la volonté d’atteindre des objectifs fixés, toujours plus haut. Et du haut de ses 2,01 m et de ses 37 ans, le jeune homme qui comptabilise aujourd’hui 45 matches en NBA, 51 en Euroligue et 156 sélections en équipe de France n’a cessé de se surpasser, de dépasser ses limites tant psychiques que physiques avec comme seule ambition réussir. Et même si ses plus belles années sont désormais derrière lui, l’ancien international originaire de la ville de Pointe-Noire n’en reste pas moins l’un des piliers du basket-ball français. Rencontre d’une légende vivante, d’un compétiteur adepte du perfectionnisme…



Auriez-vous, ne serait-ce un instant, imaginé un tel parcours ?


À mes débuts, je n’imaginais pas un parcours comme celui-là. En fait, je n’étais même pas conscient de pouvoir en faire un métier. Tout cela est venu bien plus tard. Au départ, j’ai simplement pris en exemple mon frère et ma sœur qui ont pratiqué le basket-ball avant moi. S’ils avaient fait de la musique, j’aurais peut-être été musicien, au moment où je vous parle (rires).


À quel moment, vous êtes-vous dit que vous vouliez devenir l’un des meilleurs, ou le meilleur ?


L’appétit est venu en mangeant. C’est sans doute en catégorie Espoir que mes ambitions se sont affirmées. J’allais assister aux matchs des pros, à Cholet. J’ai mieux compris les contours de ce métier et j’ai voulu me donner les moyens d’y accéder. C’est peut-être à ce moment-là que j’ai eu le petit surcroît de motivation qui aide à faire la différence et à s’entraîner un peu plus dur que les autres.


J’ai accepté de sacrifier mon corps pour aider à atteindre un objectif commun.

Aujourd’hui, on a le sentiment que l’enjeu du sport ce n’est plus le plaisir ni même la santé, mais l’invention d’un homme nouveau : capable de dépasser les contraintes physiques de sa condition pour s’élever au rang quasi divin d’un Hermès aux sandales ailées. Mais à trop vouloir s’envoler, dépasser ses limites, ne prend-on pas le risque de se brûler les ailes ? Faut-il vraiment accepter cette injonction du sport au seul dépassement de soi ?


Il faut surtout être conscient de ses propres limites. Les blessures sont très présentes dans le parcours d’un athlète de haut niveau. Il faut aussi être en empathie avec tout ce qui fait la performance au quotidien : l’état de son corps, de ses pensées, les conseils de ses entraîneurs et des thérapeutes de toute sorte. Quelque part, nous essayons de nous rapprocher des limites sans les franchir pour autant.


Au cours de votre carrière, quand avez-vous eu le plus envie de dépasser vos limites pour atteindre votre objectif, la gagne ?


J’ai joué la finale d’un Euro avec deux ligaments distendus… Il y a des moments pour lesquels on s’entraîne toute une carrière. Je ne pouvais pas y renoncer ! J’ai accepté de sacrifier mon corps pour aider à atteindre un objectif commun.


Mais se surpasser, se faire violence, engendre-t-il forcément une phase de douleur pour accéder à un état de bien-être ou accomplir un objectif ?


La douleur, sous des formes diverses, fait partie de notre quotidien. C’est un passage obligé pour atteindre la performance.


Je suis passé par tous les états : la colère, le dépit et peut-être aussi la révolte pour pouvoir me remettre en cause et repartir de zéro.

Selon vous, le mérite est-il vraiment une affaire d'efforts ?


Dans le sport, ça l’est souvent. La vérité du terrain prend généralement le pas sur tout le reste. Les passe-droits ne durent jamais bien longtemps. Je crois beaucoup à l’effort et à l’envie dans notre métier.


En tant que sportif de haut niveau, n’avez-vous pas le sentiment de trop souvent vous définir qu’au travers de vos performances ?


Oui et non. Notre attitude dans la victoire comme dans la défaite compte beaucoup elle aussi. Avec l’âge, ce que nous bâtissons hors des terrains prend aussi toute sa valeur.

On parle souvent de bons moments dans une carrière. Avez-vous aussi connu des moments particulièrement difficiles ?


Intégrer le cercle très fermé des joueurs de la NBA a été un vrai bonheur. Ma rupture des ligaments croisés deux ans plus tard n’en a été que plus douloureuse. Dix-huit mois de convalescence… Je suis passé par tous les états : la colère, le dépit et peut-être aussi la révolte pour pouvoir me remettre en cause et repartir de zéro.

De ces moments difficiles, vous est-il arrivé d'envisager de mettre un terme à votre carrière ?


Pas réellement. Je suis aussi un amoureux de mon sport. J’aurais continué à jouer au basket-ball, quel que soit le niveau auquel j’aurais évolué.

Les difficultés, apportent-elles une saveur particulière à la victoire ?


Oui, c’est une évidence. Après deux années de galère, remporter le titre de Champion de France avec Cholet (avec un titre de MVP de la finale à la clé) gardera une saveur toute particulière dans mon esprit.




Votre départ à la retraite à l'internationale n’a pas vraiment été de votre goût, car il s’est acté après votre élimination en quart de finale, en équipe de France, face à l’Espagne, lors des JO de Rio en 2016. Peut-on alors parler d’échec, pour vous qui vouliez tant partir sur une victoire ?


Non, il faut relativiser tout ça. La fin n’a certes pas été aussi belle qu’on l’aurait souhaitée. Pour une équipe qui repart des JO par la grande porte, il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas la chance d’atteindre ce Graal.

Existe-t-il un moyen d’anticiper ses failles et de se prémunir contre l’échec ?


L’échec fait partie du sport. On peut tenter de s’en prémunir, mais il faut aussi parfois accepter les défaites. On apprend beaucoup plus, selon moi, de ses échecs que des victoires que l’on accumule.



Le basket-ball comme toutes disciplines sportives côtoie aisément échec et réussite. Mais en vérité, n’est-il pas préférable d’échouer seul plutôt qu’en équipe ?


L’essence de ce sport est collective. On gagne et l'on échoue en tant que groupe. C’est aussi ça la beauté des aventures auxquelles je participe.

Aujourd’hui, vous pratiquez votre discipline en Pro A à l’Élan Chalon. Peut-on parler de nouveau départ ?


C’est surtout une continuité. J’ai prolongé mon contrat dans un club qui me fait confiance et dans lequel je me sens bien. Je ne cours plus beaucoup après les honneurs individuels. L’objectif est donc surtout de remporter le titre de champion de France avec ce groupe.

Finalement, ce dont je peux être le plus fier c’est d’avoir répondu positivement face à l’adversité. C’est peut-être la définition la plus universelle qu’on pourrait donner à la réussite.

À l’image de l’entrepreneur, on a souvent la perception de l’athlète qui se construit seul, qui performe sur sa seule motivation, son envie de réussir. En réalité, votre parcours, vos réussites, cette ascension fulgurante dans votre discipline reposent-ils uniquement sur vos seules prédispositions et cette éternelle envie de se dépasser ?


Ce n’est qu’une perception extérieure. Nous ne sommes que la partie visible de l’iceberg. Derrière nos propres dispositions, il nous faut nous appuyer sur une foule de techniciens, agents, préparateurs, thérapeutes… Nos accomplissements sont aussi beaucoup les leurs.


Lorsque l’on est manager ou encore capitaine, quels sont les mots à prononcer pour permettre à ses équipes de se surpasser ?


Je n’aime pas les discours formatés. Un bon meneur d’hommes sait faire preuve de charisme dans les moments clés, en adaptant son discours et sa posture au groupe qu’il a en face de lui.

L’entrepreneuriat, est-ce là une aventure qui pourrait vous séduire ?


Je n’y suis pas fermé. J’ai quelques projets en tête. Mon approche est un peu la même qu’au haut niveau. Il faudra bien se préparer pour maximiser les chances de réussite.

Enfin, quelle est votre vision de la réussite ? Et pensez-vous avoir vous-même réussi ?


Je trouverais dommage de lui donner une définition unique. En tant qu’athlète, j’ai gagné quelques titres et rempli plusieurs de mes objectifs. Finalement, ce dont je peux être le plus fier c’est d’avoir répondu positivement face à l’adversité. C’est peut-être la définition la plus universelle qu’on pourrait donner à la réussite.

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