Par Dr Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste
Photos : Bill Hudson
Ici, un manifestant, des droits civiques de 17 ans, attaqué par un chien policier à Birmingham, Alabama, le 3 mai 1963. Cette image a fait la une du New York Times du lendemain. © Bill Hudson, courtesy of High Museum of Art.
#BlackLivesMatter c’est « une intervention idéologique et politique dans un monde où les vies noires sont systématiquement et intentionnellement ciblées par la mort ». Voilà, la définition première de l’expression-dièse reprise aux quatre coins du monde et du monde noir. Suite à l’assassinat de Trayvon Martin, le 26 février 2012, tout juste âgé de 17 ans, par l’officier Zimmerman, qui invoque la légitime défense échappant ainsi à toute condamnation, la colère fait suite à la stupeur. Mike Brown est assassiné à Ferguson, et depuis, des corps noirs tombent, en série, en une hécatombe macabre, et dans une impunité à donner le vertige. À mesure que le charnier gonfle, la fronde gronde. Et le slogan raz-de-marée déferle sur les médias oppresseurs mainstream et alternatifs des opprimés : du hashtag à la rue, de la rue à la scène, la vague BlackLivesMatter créée par le trio fondateur Queer & Black – Alicia Garza, Opal Tometi et Patrisse Cullors – est un soulèvement contre l’infamie. Black Lives Matter Protests Go Global from Ireland to Africa titre CBS News. Printemps Black ou nouveau chapitre du ‘Civil Rights Movement’ ? Ce nouveau cri s’inscrira dans l’histoire de tous les peuples de la diaspora africaine et d’Afrique, aux côtés du Black Power et du Black Is Beautiful. Il est un écho qui résonne à travers toutes les expériences noires, de l’esclavage aux tueries contemporaines, perpétrées par les puissants et les gouvernants. Car par ces crimes institutionnalisés, de l’esclavagisation aux exécutions sommaires de jeunes mâles nègres, la question des vies noires – the Black Lives’s Matter – se pose partout et entre tous.
(…) il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental.
Alors que le premier Président du Monde libre est Noir, et qu’il achève sa dernière mandature, les forces de police semblent remettre au goût du jour le « Négrocide ». Alors que le slogan de l’Académie de police étatsunienne est To Protect and To Serve (protéger et servir), des hommes et des femmes sont desservi.e.s et assailli.e.s, puisque abattu.e.s en plein jour, sans motif apparent valable, par ces mêmes forces de police. À travers la lentille française, tout un chacun est en droit d’évoquer l’équivalence de la riposte proportionnelle à la menace. C’est la loi. But, in the US, law in on the Police’s side.
Aux USA (comme en France), la loi est du côté des forces de l’ordre. Le policier n’est pas simplement un homme, il est la sanction étatique à l’œuvre, la répression en marche, le représentant de la justice aveugle à (aveuglée par) la différence. « Police use force in direct response to a threat from racial and from economic groups viewed as threatening to the existing social order » : en effet, il a tout droit de faire feu sur un individu appartenant à des groupes raciaux ou économiques qu’il présume violents ou dangereux pour maintenir l’ordre et la paix sociale. Non, ce n’est nullement une galéjade. Il n’est guère matière à boutade ici. Loin d’expliquer ou de justifier l’obscénité de ces actes, il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental. Faut-il rappeler la prématurité de considérer la barbarisation de la bête nègre comme appartenant au passé ? C’était hier !
Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète.
L’obscurantisme accompagna notre entrée dans le 21e siècle ! Les stéréotypes viscéralement entretenus par les grands médias (vidéos musicales, films et séries, jeux vidéo, etc.) contribuent très largement à glorifier et ancrer ces représentations négatives de l’homme noir dans l’inconscient collectif. Elles sont également entretenues par des figures et personnalités noires à travers les formes d’art qu’elles développent : le prisonnier, le dealer, le nègre violent, la bête sexuelle, etc. Non, cela ne dédouane pas les officiers responsables des exécutions sommaires d’hommes et de femmes noir.e.s. Mais, pour eux, cela constitue une caution à leurs actes. Un alibi fourni par l’écran-parole d’évangile.
© Logan Weaver
Les regards extérieurs s’étonnent et s’offusquent que de tels actes puissent encore se produire aux USA. Comme si 2016 mesurait les progrès de l’humanité 21 siècles après Jésus-Christ. Ces réactions dénotent non seulement une méconnaissance de l’histoire, et de l’histoire étatsunienne en particulier ; mais également une grande naïveté. On parle beaucoup de racisme systémique. C’est là un pléonasme, car le racisme étant un système qui « produit et reproduit des inégalités cumulatives et durables basées sur la race, favorisant une classe/race privilégiée et défavorisant le racisé », il est donc par essence systémique. Cette précision viendrait contraster avec un racisme dit ‘culturel’, par exemple, qui se traduit par une discrimination basée sur des traits culturels fondés en préjugés (on passe donc d’un racisme épistémique – primordial au sens de l’origine – à un racisme culturel). La société américaine est une entité multiculturelle parce qu’elle reconnaît les différences de chacun qu’elles soient religieuses, politiques, culturelles, traditionnelles, et en cela elle est opposée à la France qui porte œillère et cache-sexe face à ses problématiques historico-migratoires (néologisme référence aux descendants d’immigrés colonisés, dits ‘Maghrébins’ et ‘Africains’).
Un manifestant lors de la cérémonie commémorative du révérend King, en 1968. © Bob Adelman.
Toutefois, ces deux sociétés sont racistes : Les USA ont un système institutionnel ouvertement racialisé, alors que la France perpétue son système colonial « du bon père de famille » : paternaliste, assimilatrice, et faussement intégrationniste. Aussi, comme le souligne l’économiste et philosophe politique Noam Chomsky, « l’esclavage compte en grande partie comme fondation de [leur] richesse et de [leurs] privilèges. C’est le cœur de [leur] histoire avec l’extermination et l’expulsion des Indiens autochtones. Mais cela ne fait pas partie de [leur] conscience collective ». Ce n’est nullement un phénomène nouveau pour ceux qui se souviennent du terrorisme de l’intérieur qui réduisit les nègres à d’étranges fruits : les suprématistes blancs. Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète. Ce n’est pas la nation de la liberté, c’est la puissance messianique qui impose des guerres pacificatrices partout ailleurs. C’est le pays de J. Edgar Hoover et des services d’intelligence et de surveillance, le pays de la répression, le berceau du lynchage. L’Affirmative action (discrimination positive) fut une suite logique aux actions de la rue : les tribunaux et les lois étaient à conquérir pour plus d’équité. Seulement, les leaders disparurent derrière les quotas. Avancée des noirs, certes. Recul du racisme, aucunement.
© Linda Mcqueen.
© Instagram: @juliarendleman / Julia Rendleman.
Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters !
La collusion entre les syndicats des forces de police avec le grand parti Républicain, GOP (Grand Old Party) ne doit être ignorée. Plus souvent que rarement, les officiers appartiennent à une classe blanche de basse extraction qui vote à droite. Historiquement, c’est depuis la présidence de Nixon que les forces de police sont au cœur des campagnes des conservateurs américains, et que le GOP est devenu le « law-and-order, pro-police party », pour ainsi dire, le parti « pro-force de l’ordre ».
Tout le monde s’est saisi du #BlackLiveMatter pour, parfois, mieux se dessaisir de la #BlackLives’sMatter, de la question des vies noires. On parle de #AllLivesMatter, #OurlivesMatter, etc. Et même de #BlueLivesMatter, mouvement pro-police fondé le 20 décembre 2014 à New York City après la mort de deux officiers, pris en embuscade dans leur voiture de patrouille, Rafael Ramos et Wenjian Liu. 22 v’là les Bleus qui s’approprie le concept. En mai 2016, la Louisiane en fait la Blue Lives Matter Bill, offrant une immunité contre les crimes de haine aux officiers de police, devenus « protected class in federal hate-crime law ». C’est le seul État qui soit allé jusque-là, d’autres, au nombre de 37, se sont contentés de durcir les lois contre les violences envers un représentant des forces de l’ordre. Toutefois, une proposition de loi de protection des policiers comme classe protégée en termes de crime de haine serait dans les tubes du Congrès… en passe d’être votée ? Preuve que l’histoire n’est pas linéaire, que les retours en arrière sont possibles sous des contours différents ! Racisme systémique vous disiez ?
En somme, chacun compte ses vies et leur importance : une sorte de nouvelle affirmative action en somme ! Malgré ces tentatives de vol – ce que ses trois muses appellent the theft of Black Queer Women’s Work – le mouvement originel est plus fort que jamais et trouve des porte-parole au plus haut du firmament : « Nos vies comptent, nos vies importent » pour les artistes blacks aussi ! Les meilleurs et nouveaux advocates – pour utiliser un terme purement anglo-saxon – de la cause semblent être les étoiles noires, Béyoncé et Jesse Williams. Leurs performances ont enflammé la Toile ! À travers son clip « Formation », la Queen B rend hommage aux Black Panthers en adoptant leur apparat et leur gestuelle dans une chorégraphie endiablée, en Louisiane défigurée par Katrina et dénonce l’immobilisme étatique face à la reconstruction de la ville mythique du jazz de fanfare. Jesse Williams donne de la voix très tôt contre ces exécutions sommaires et son engagement connaît son apogée à la cérémonie des BET Awards où il reçoit le BET Humanitarian Award pour son engagement. D’autres artistes s’impliquent au plus près du mal. L’artiste SoulRnB et activiste Janelle Monae – moins en vogue, mais plus proche de la rue – a écrit une chanson avec Wondaland intitulée « Hell You Talmbout » fournissant aux activistes de BlackLivesMatter un hymne « Say Her Name ! Say Her Name ! ». #SayherName, nouvelle interjection-dièse reprise sur les fils de Twitter et de Facebook posts ! Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters !
© Misan Harriman.
Mais, comment ne pas penser que le dernier opus de Beyoncé est un acte promotionnel dont elle a le secret ? Son clip Formation a révélé au monde qu’elle était noire. Ce n’est là que la moitié d’une boutade… Car comment distinguer ceux qui s’impliqueront quoi qu’il leur en coûte (tel que Jesse Williams qui a eu à en découdre avec Hollywood) et ceux qui profiteront d’un mouvement de résistance, larvé dans un phénomène de résistance culturelle et politique tout aussi grand aujourd’hui, le mouvement Afropunk (Afro, Queer, Free, Swagg). Autre mot-dièse incontournable : #Swagg. C’est une tendance qui les aura tous conquis, de la base au sommet, du peuple aux élites, des Pinkett/Smiths à Alicia Keys, en passant par Beyoncé et consorts, avec des maîtres à penser comme la Monae. D’une dynamique Queer Black, le monde s’embrase. Mais qui, d’entre eux, tentera l’immolation politique ?
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