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Dr. Henry Joseph | Phytobôkaz

Dernière mise à jour : 12 août 2023

Propos recueillis par Ken Joseph

Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin

 



Dr Henry Joseph… « Beaucoup de gens me disent : pourquoi ne fais-tu pas dans la politique ? Je leur réponds, prenez un dictionnaire, vous aurez la réponse. Or, le mot politique vient du grec “polis” qui signifie “cité” et “ikos” suffixe qui signifie “propre à cette chose”. Ce mot politique, d'après son étymologie, signifie “qui concerne le citoyen”. Alors estimez-vous que : “ce que je fais ne concerne pas le citoyen guadeloupéen” ? Si cela concerne le citoyen, laissez-moi faire au moins la définition de ce mot, cela me convient parfaitement ». On ne le présente plus, mais tout y est dit…



Son enfance.


Enfant, j’ai grandi à Gros-Morne Dolé au cœur de la forêt de Gourbeyre, dont je ne pouvais rester insensible. Je suis né d’un père très âgé, secrétaire de mairie dans sa vie active qui deviendra agriculteur à sa retraite, et d'une mère très jeune horticultrice et amoureuse des plantes, donc tous deux totalement ancrés dans la terre. Ma mère Raymonde, cette passionnée des plantes, m’a inculqué le don de l’émerveillement depuis ma tendre enfance et aujourd’hui, toujours vivante avec ses 85 ans, elle n’a pas changé et nourrit toujours et encore de très grands projets de collections de plantes : anthurium, hibiscus ou d’adenium, arbres fruitiers, etc. Elle invente elle-même ses propres hybrides qu’elle est fière de montrer. Mon père René, son seul souci, était de produire tout localement pour ne jamais manquer et pour cela, il fallait économiser et gérer le peu d’argent qu’on avait, et cela avec une mère par contre très dépensière, mais attention, pour n'acheter que des choses utiles pour la maison.

(…) je suis entré très tard à l’école primaire de Trois-Rivières, à l’âge de sept ans où je ne savais ni lire ni écrire.

Notre père nous fera découvrir le bienfait des fruits et légumes locaux dès bébé. Et malgré son âge avancé, il montait dans les arbres pour cueillir des fruits ou les élaguer. Il cultivait tout seul son jardin créole d’un hectare et demi : café, cacao et toutes sortes de fruits (mangues, mandarines, oranges, malacas, letchis, tomadoses, châtaignes, des christophines, des pois, fruit à pain), des légumes racines (madères, malangas, ignames, patates douces, topinambours). Il descendait en ville à Basse-Terre le samedi que pour acheter « la chair » : du poisson et de la morue pour la semaine, les pattes à bœuf et le bouquet pour la soupe du samedi et la viande de bœuf ou de cochon pour le plat du dimanche.


Nous faisions aussi de l’élevage de poules pour les œufs et de cochons pour Noël. Nous avions les barriques pour l’eau potable et notre propre source d’eau, si bien que c’est notre source qui alimentait toute la section de Gros-Morne Dolé durant le carême et en cas de sécheresse. « Si le bateau n’entrait pas », ce n’était pas un souci. Nous étions totalement autonomes, d’autant que mon père a connu les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 sans souffrir de manque, grâce au jardin familial, et il nous a éduqué ainsi toujours dans cet esprit d’autonomie et nous disait toujours : « prenez un livre et apprenez », mais sans jamais nous acheter de bouquin. Et pour l’écouter, en raison du grand respect paternel et maternel, on tournait les pages de son dictionnaire Larousse pour faire semblant de lire, mais sans jamais en apprendre un mot, car il ne nous montrait pas.


Je ne sais pas pourquoi, pourtant il était très instruit, c’était d’ailleurs l’écrivain public de la section, il écrivait des lettres pour tout le monde, dont pour beaucoup d’illettrés. Nous discutions peu, mais que de choses intéressantes essentielles à la vie. Son leitmotiv ? Se suffire, manger, boire, travail et que le travail, le respect de l’autre, et toujours se responsabiliser, tous ces mots étaient son seul guide de vie et il veillait à ce que ses enfants les appliquent.


La nature et mon environnement étaient mes seuls livres ouverts, ma source de bio-inspiration, ma source de nourriture quand on vit sur une île, c’est là où j’ai tout appris, rien que par l’observation et l’expérimentation…

Aujourd’hui, je lui dis merci, ainsi qu’à notre maman, car tous mes frères, Yvon et Jimmy, mes sœurs, Josy et Marie-Céline, nous avons tous pris ce même chemin d’amour des plantes et de la terre, quels que soient nos métiers respectifs. Nous étions tout le temps en ce que j’appelle : « stage d’apprentissage familial de la valeur travail », ce qui manque aujourd’hui à nos enfants, très souvent abandonnés à eux-mêmes. Par exemple, nous faisions la cueillette et la transformation du café pour augmenter le complément de revenu de la famille. La production principale de la famille, c’était la production de bananes, mais fallait aussi les « charroyer » à dos d’hommes - les petits régimes bien sûr - même si nous étions jeunes, cela pour aider nos parents et apprendre à travailler. C'était aussi la cueillette de fruits de saison de la propriété familiale qui ne se gaspillaient pas, il fallait les cueillir pour les marchandes du samedi et notre seul revenu c’était la cueillette des fleurs blanches de Lys de la vierge pour lesquelles les marchandes nous donnaient un pourboire. Tout le reste de l’argent était géré par papa et maman. Notre éclairage à la maison se faisait aux lampes à pétrole…




Avec les jeunes de la section, nous allions nous baigner durant les vacances scolaires à bassin chaudière, le matin, pour son côté glacial et on en profitait pour pêcher des « kakados » avec des paniers en soulevant les roches de la rivière. C’était une de nos sources de protéines, et nous mangions des fruits sauvages tout au long du parcours du bain froid, comme les pommes roses, les zikaks montagne ou les mauricifs, les abricots pays, les krékrés, les pommes pain et en même temps, on apprenait à reconnaître les arbres nourriciers de notre environnement. L’après-midi, on profitait plutôt des eaux chaudes de Dolé pour nous baigner, et là aussi, on pêchait des ouassous et les mulets et l'on récoltait les vigneaux (sorte de petits mollusques) qu’on extirpait de leurs coquilles après cuisson pour les manger en s’aidant des piquants d’orange. Là encore, c’était une autre source de protéines.


Les seuls cadeaux d’enfance dont je me souviens, c’est un avion que se disputaient mes frères pour faire nos premières photos chez Catan, j’avais quatre ans et l’autre cadeau, c’est celui de ma tante Béatrice, un appareil photo, à l’âge de 11 ans, avec lequel je photographiais toutes les fleurs de la nature. Ce cadeau m’a donné la possibilité de connaître un maximum de plantes de mon pays tout simplement par ma passion de la photographie. Autrement, on fabriquait nous-mêmes nos propres jouets comme les kaboa et trottinettes à roulement pour dévaler les pentes de Gros-Morne Dolé, on faisait nos banzas pour chasser les zortolans et les grives.

La réussite, c’est le travail et rien que le travail.

La nature et mon environnement étaient mes seuls livres ouverts, ma source de bio inspiration, ma source de nourriture quand on vit sur une île, c’est là où j’ai tout appris, rien que par l’observation et l’expérimentation : je faisais mes colles pour mes cerfs-volants avec la gomme d’acajou rouge et celui du fruit vert de l’acacia. Je faisais ma glu avec le latex de fruit à pain et c’était toute une chimie pour la maîtrise de la viscosité de ce polymère naturel ; on jouait sur le pH, avec le citron comme milieu acide et la cendre de bois pour le milieu alcalin, et il fallait jouer sur ce pH pour qu’elle ne soit ni trop fluide ni trop dure. On jouait au football dans les routes désertes où ne circulait que la voiture à pain ou le transport en commun Bambou. Nous allions à la boutique de Popo pour faire les courses au détail pour les parents : sucre, huile, beurre rouge et du sel.


Nous allions à l’école à pied, comme tous les jeunes du quartier ; le souvenir que je garde, c’est que nous étions en bande, non pas pour tout casser, mais en bandes frugivores et locavores, et nous avions toutes les adresses des arbres fruitiers en fonction des saisons et ceci sur tout le parcours qui menait à notre école. On faisait du sport, même des compétitions pour celui qui arrivait le premier sous l’arbre pour choisir les meilleures mangues fraîchement tombées avec la rosée du matin dessus, et on remplissait nos cartables pour les manger à la récréation. Nous n’avions pas le temps de nous ennuyer, nous étions heureux et tout le temps occupés ; et nous n’avions pas de téléphones portables. Au contraire, on s’entraidait, nous étions solidaires, on se parlait de vive voix et on échangeait nos expériences d’enfants. Je suis très heureux d’avoir connu ce temps de bonheur, de vivre de mon enfance, où nous étions peut-être pauvres en argent, mais riches de la valeur de notre environnement.




Apprendre à apprendre...


Le choix de mes études a été un peu complexe et atypique. Primaire, collège et lycée, cela a été très dur, j’étais un élève très "passable", je ne comprenais pas grand-chose de ce que m’apprenaient mes enseignants, ils manquaient de pédagogie. Déjà, je suis entré très tard à l’école primaire de Trois-Rivières, à l’âge de sept ans où je ne savais ni lire ni écrire. Je me souviens très bien de mon premier jour d’école, car jusqu’à sept ans, je n’avais jamais été enfermé dans une pièce pour apprendre, car durant ma petite enfance, tout était ouvert, c’était l’école de la nature. Et mon maître d’école vu mon âge avancé voulait me faire sauter une classe, et me demanda de lire mon nom, je m’appelais Henry Abram, car mes parents n’étaient pas encore mariés. Et là, silence radio, je connaissais mon nom, mais je ne savais ni le lire ni l’écrire. Et là, il me dit « Tu resteras au cours préparatoire pour apprendre à lire » […] « Je ne peux pas te mettre au CE1 ». J’avais très peur de ce maître, j’étais au fond de la classe, je le craignais tant que je pleurais tout le temps et lui ne faisait rien pour me rassurer, au contraire, il avait un grand bâton d’au moins trois mètres, et me « tchokè » avec, d’où ma très grande peur. Puis j’ai redoublé au moins trois classes : CE2, CM2 et Terminale. J’ai même fait une seconde A, littéraire ; et j’ai supplié mon professeur de physique pour faire une première D scientifique et là, il a marqué sur mon carnet « vous êtes admis en première D à vos risques et périls ». J’aurai tout de même mon baccalauréat avec la mention passable.


Juste après, durant les vacances de 1976, je ferai mon premier stage à l’INRA où tous les chercheurs vont me passionner à l’agriculture. M. Anaïs sur la sélection variétale : tomate caraïbe, aubergine ; M. Arnolin va me transmettre sa passion pour l’igname, et plus tard Lucien Degras en fera de même ; M. Jacques Fournet va me passionner à la détermination botanique et l’entomologie. Puis tout va changer à l’Université des Antilles et de la Guyane, qui s’inaugure en 1975 et l’année d’après en 1976, je m’inscris au DEUG B de biologie, on n’était pas nombreux à l’époque, environ une quinzaine d’étudiants. Enfin, j’entrais à l’école dont je rêvais, apprendre dans les livres, dans des laboratoires et dans la nature. Tous mes professeurs vont être plus que formidables, je leur dis aujourd’hui à tous un très grand merci.


Une fois terminées mes études, je rentre de suite en Guadeloupe avec un objectif : la valorisation du potentiel de cette riche biodiversité de mon pays, la Guadeloupe.

En effet, M. Guyard, professeur de biologie cellulaire, durant la première semaine à l’université nous dit, « vous oubliez le collège et le lycée, ici vous êtes à l’université où il vous faut comprendre ce que vous apprenez si vous voulez demain transmettre ce savoir » et donc son premier cours ne sera pas la biologie cellulaire, mais il va nous apprendre tout simplement à apprendre, avant de commencer son vrai cours. Génial ! Je ne vais jamais oublier cette méthode d’apprentissage que j’appliquerai durant tout mon cursus universitaire.


Par la suite, j’irai à l’époque fouiner dans tous les labos de recherche de mes professeurs, car je vais retrouver mon enfance : observation extérieure puis recherche au labo. C’est ainsi que j’irai baguer des poissons avec le Pr Max Louis dans la mangrove pour étudier leur migration, pêcher des crabes avec le Pr Sonia Bourgeois, chercher des fossiles et des roches de Guadeloupe avec les professeurs Assor et Julius. Je vais étudier l’écologie et la botanique avec le Pr Jacques Portecop, qui va me confier dès la première année de DEUG la recherche de toutes les fougères de Guadeloupe pour réaliser un herbier. J’irai chercher des plantes avec le professeur Paul Bourgeois et il va très tôt m’initier à l’extraction végétale, la chromatographie et la chimie des plantes et 30 ans plus tard mon professeur de chimie va s’associer à son élève en 2005 pour créer Phytobôkaz.



M. Jacques Fournet fera aussi un travail extraordinaire, car passionné de photo, j’avais une collection de 1 800 diapositives de plantes de Guadeloupe et avec beaucoup de patience, il me notera le nom scientifique de chacune des plantes, ce qui explique aujourd’hui ma bonne connaissance des plantes de Guadeloupe. Après le DEUG obtenu avec la mention bien, j’entre directement en deuxième année de pharmacie à Montpellier ; et là, pareil, je vais fouiner dans tous les labos de mes profs de Montpellier. Je vais les initier à la connaissance du milieu tropical appris au DEUG et en échange très tôt, ils vont m’initier à la recherche pharmaceutique que j’adapterai à mon milieu tropical en faisant de la contextualisation de mes études. Je serai pris en charge très tôt par un de mes professeurs, M. Yves Pelissier qui dès la 3e année de pharmacie me passera sa carte de chercheur pour accéder à la bibliothèque réservée aux enseignants-chercheurs et fort de la connaissance des noms botaniques de mes 1 800 diapos de plantes de Guadeloupe, je vais réaliser ma propre banque de données sur les plantes médicinales des Antilles. Ces connaissances vont être utiles à une époque où Internet n’existait pas encore, et mon travail servira de base pour la création du premier réseau caribéen TRAMIL en 1983 sur la connaissance des plantes médicinales de la Caraïbe et de l’Amérique centrale. Ce réseau existe encore et je suis très fier d’avoir été l'un de ces membres fondateurs. Nous étions 15 au départ et aujourd’hui TRAMIL, c’est 15 pays et 200 chercheurs.


Il aura fallu treize ans de bataille juridico-politique mené par Me Robard, les associations des plantes médicinales DOM, nos parlementaires et moi pour faire reconnaître les plantes médicinales de chez nous par le gouvernement…

Juste avant cette thèse de pharmacie, je ferai mon stage de 5e année à l’Institut Pasteur de Guadeloupe où le Dr Frantz Agis va m’initier à la parasitologie tropicale, mais aussi à l’immunologie, l’hématologie et la microbiologie de nos régions. Je ferai aussi une école de photographie pour maîtriser mon côté artistique. J’obtiendrai mon doctorat en pharmacie en 1984 avec mention très honorable. Je vais être repéré en 1984 lors d’un congrès par le doyen de la faculté de pharmacie de Toulouse d’origine guyanaise, je serai accueilli dans son laboratoire de pharmacognosie. Au préalable, je ferai un DEA à l’Institut National Polytechnique de Toulouse où je ferai à la fois une école supérieure de chimie et d’agronomie. Puis je terminerai mes études par un Doctorat de 3e cycle en pharmacognosie sur les plantes médicinales de Guadeloupe que j’obtiendrai avec la mention très honorable. Une fois mes études terminées, je rentre de suite en Guadeloupe avec un objectif : la valorisation du potentiel de cette riche biodiversité de mon pays, la Guadeloupe.




Retour en terre natale.


Une fois retourné dans mon île, toujours pas d’argent, il faudra concilier recherche et travail, étant père de deux filles Joan et Émile que j’aime beaucoup et qu’il faut élever et éduquer. J’utiliserai ma roue de secours de pharmacien, pour travailler à mi-temps et faire des remplacements le matin et l’après-midi, je plante, j’expérimente la culture des plantes médicinales. La rencontre avec mon ami d’enfance, le Dr Pierre Saint-Luce en 1989, va être déterminante. En lisant nos deux thèses en angiologie (médecine des veines) et pharmacognosie (connaissances des remèdes à base de plantes), nous nous apercevons que l’un à la solution de l’autre et dans sa cuisine nous inventons et déposons un brevet sur une spécialité à base de zeb chawpantyé pour faciliter le retour du sang veineux et soulager les œdèmes des membres inférieurs. Forts de cette découverte, nous créons la première société guadeloupéenne de phytocosmétiques et de phytomédicaments que nous appelions HP SANTÉ (Henry et Pierre Santé), un médecin et un pharmacien dans les champs pour cultiver et dans un petit laboratoire pour expérimenter et produire, petit labo de 19 m2 à Baillif gentiment prêté par M. Penchard de la CCI de Basse-Terre.


Il est scandaleux et inconcevable qu’avec 3 800 usines de vies que nous ayons 53 % de chômage chez nos jeunes.

Plusieurs spécialités vont être inventées dans ce petit laboratoire et existent encore à Phytobôkaz : Banuline et Bioven 30 ans après. Malheureusement, c’était trop tôt et trop novateur pour l’époque, il nous était très difficile de vivre de cette entreprise. Nous la fermons en 1992, pour nous recentrer sur nos cœurs de métiers. Le Dr Sainte-Luce va créer le centre de Manioukani à Rivieres-Sens et avec un pharmacien associé Jean-Marie Lomon nous achetons la pharmacie Romney de Basse-Terre que nous appellerons Pharmacie de la place. Et là, nous donnerons un cachet à cette pharmacie en développant les produits créés à HP santé et en inventant d’autres. Je serai coprésident du syndicat des pharmaciens de Guadeloupe. Et avec les autres pharmaciens des autres départements d’outre-mer, il me sera donné de pouvoir mener un rude combat pour la reconnaissance des plantes médicinales de nos régions pour être vendues dans nos pharmacies. Ce combat, je vais le mener grâce à la rencontre avec une avocate au barreau de Paris spécialisé en droit de santé, Me Isabelle Robard. Pour cela, je vais créer l’APLAMEDAROM avec plusieurs amis de disciplines diverses et à l’île de la Réunion mon confrère du syndicat des pharmaciens, Claude Marodon, va créer une association similaire L’APLAMEDOM ; ces deux associations vont être à l’origine des CIPAM, colloque international sur les plantes médicinales de l’outremer et seront les porte-parole de nos combats. Il aura fallu treize ans de bataille juridico-politique mené par Me Robard, les associations des plantes médicinales DOM, nos parlementaires et moi pour faire reconnaître les plantes médicinales de chez nous par le gouvernement en passant par quatre lois : la loi Guigou sur les droits des malades, la loi-programme pour l’outre-mer, les Grenelles de l’environnement pour aboutir à la Lodeom où nous avons réussi à faire modifier le Code de la santé publique pour une prise en compte officielle de nos plantes. Aujourd’hui, ce sont 70 plantes qui sont inscrites à la pharmacopée française contre zéro au début de notre combat en 2001.

(…) la Guadeloupe doit se réinventer, l’heure est venue de retenir le peu de jeunes qui restent encore, non pas pour qu’ils continuent en bandes rivales à s’entretuer en s’inspirant d’un monde virtuel, mais en les passionnant dès leur jeune âge par ce qui les entoure, en les initiant, par la créativité inventive et productive.

Tout se fera quand j’étais à la pharmacie de la place. Durant cette période, je formerai mon peuple non seulement aux plantes médicinales locales, mais aussi à la nutrition à partir des produits locaux. Plusieurs produits seront inventés dans cette pharmacie : Virapic, Huile de galba, Titrézo, Rumago auxquels il faut ajouter Bioven et Banuline ; le succès sera tel que je passais plus mon temps à faire des produits locaux que de vendre les spécialités pharmaceutiques. Et je me suis dit que maintenant l’heure des produits locaux est arrivée et avec Jean-Marie Lomon, d’un commun accord, j’ai vendu ma pharmacie pour créer en 2005 Phytobôkaz.





Son œuvre entrepreneuriale.


Grâce à la vente de la pharmacie et fort de ce capital et avec des fonds européens du Feader, je vais créer la société Phytobôkaz. Notre entreprise Phytobôkaz (PHYT, plantes et OBÔKAZ signifiant « autour de la maison ») est née en 2005, de l’association entre mon ancien professeur, Paul Bourgeois, chimiste à la retraite et moi. Le laboratoire Phytobôkaz fabrique des compléments alimentaires et des phytocosmétiques. Les matières premières naturelles nécessaires aux besoins de l’entreprise sont puisées au cœur de la biodiversité de la Guadeloupe. La conception de nos produits suit un itinéraire technique précis, de la plante au produit fini, que nous avons dû mettre en place pour assurer un développement harmonieux de la faune, de la flore et de l’Homme avec notre unité de production, ceci autour du nouveau concept, celui de l’économie symbiotique.


Il s’agit d’un concept innovant d’agroécologie, d’agroforesterie et d’agrotransformation liant le développement de notre laboratoire et le maintien de la biodiversité de façon concomitante. Le projet était de produire des plantes oléagineuses (galbas, cocotiers, calebassiers, avocatiers) en comprenant le fonctionnement de chacune de ces espèces, les interconnexions trophiques faune/flore et les adaptations humaines à effectuer, afin d’optimiser le développement de notre entreprise tout en préservant la biodiversité. Conscient qu’au cours de ces prochaines années, les ressources carbonées de la chimie française seront de plus en plus végétales. 80 % de la biodiversité de la France se trouve en outremer, pourtant il n’y a pratiquement pas d’exemples de valorisation du point de vue industriel de cette richesse en harmonie avec la nature sur ces mêmes territoires.


Mon parcours de vie montre que pour arriver à Phytobôkaz, il a fallu beaucoup de sacrifices, de ténacité, de recherches, d’expériences à la fois pour maîtriser les itinéraires techniques agricoles et industriels tout en maintenant la qualité.

Dès 2005, Phytobôkaz a été une entreprise pionnière afin de répondre aux exigences de la transition énergétique et écologique. Notre démarche a consisté à imiter le fonctionnement de la forêt tropicale pour concevoir un ensemble agroécologique durable et utile. Ainsi, nous avons recréé tout un écosystème interdépendant qui vit sur notre plantation alternée de galbas, de calebassiers, de cocotiers et d’avocatiers, des oléagineux que nous avons sélectionnés. Les abeilles, les mouches, d’autres insectes, les chauves-souris et les hommes interviennent à différents stades de la chaîne allant de la plantation aux produits finis : les huiles. Notre concept intègre également des innovations en matière d’outil de récolte des noix de galba respectueux de notre écosystème, et d’outil décalage et de conservation des noix afin de préserver les propriétés organoleptiques et pharmacologiques de l’huile. Notre unité d’agroécologie, d’agroforesterie et d’agrotransformation est opérationnelle depuis maintenant deux ans. Nous avons eu également un impact sur la biodiversité végétale et le paysage, grâce à la reforestation visible sur la parcelle.


Une autre image de l’agriculture antillaise se construit, plus propre, plus nuancée, et se fond au paysage déjà luxuriant de la forêt guadeloupéenne jadis nommée « île d’émeraude ». Avec la fin programmée du pétrole dans une quarantaine d’années et de la pétrochimie, nous devons d’ores et déjà penser à des contenants durables, comme alternatives aux sacs et aux couverts en plastique. Cela a conduit notre entreprise au niveau socio-économique et culturel à tisser des passerelles avec le monde associatif notamment avec l’association On Pannyé On Kwi. Il s’agit d’une entreprise dont l’activité consiste en la fabrication d’objets écoconçus dans le cadre de la mise en place d’un atelier de vannerie pour la protection de l’environnement et la dépollution de nos territoires. Celle-ci se fait par la gestion des déchets à la source par l’usage des paniers et des kwis (calebasses coupées en deux). Pour ce faire, l’association travaille à partir de matières premières 100 % naturelles issues de notre biodiversité, comme des lianes et des bambous pour la fabrication des paniers. Puis elle récupère les calebasses de nos plantations et les débarrasse de leur pulpe et noix et fabrique des objets écoconçus.

Résister et exister.


La vente de mon officine de pharmacie par cet apport financier va faciliter la création de notre entreprise Phytobôkaz. Nos difficultés vont arriver plus sur le plan humain, car il est difficile de garder nos jeunes chercheurs, qui ont du mal à comprendre que Paris ne s’est pas construit en un jour ; ils veulent gagner vite et beaucoup d’argent. Cela est incompatible quand on vit sur une île, loin de tout qui peut faciliter le bon fonctionnement de notre entreprise de production ; nous n’achetons pas pour revendre, cela est un commerce plus facile, qui demande que de la gestion de flux maritime entre l’achat et la vente.


Mon parcours de vie montre que pour arriver à Phytobôkaz, il a fallu beaucoup de sacrifices, de ténacité, de recherches, d’expériences à la fois pour maîtriser les itinéraires techniques agricoles et industriels tout en maintenant la qualité.


Nous ne sommes pas nombreux dans ce secteur innovant, sans modèles, tout doit être inventé, créer avec peu de moyens et malgré vents et marées nous arrivons toutefois à résister et exister. Nous ne construisons pas pour nous, mais pour nos enfants, nous ne verrons pas le fruit de tous nos efforts tout de suite, mais ma qualité, c’est la patience et la persévérance.



Le conseil régional a fait de la croissance verte son cheval de bataille, je pense que c’est une bonne initiative, car c’est un créneau porteur et d’avenir pour un développement harmonieux de nos territoires, car il préserve la vie issue de la richesse de notre biodiversité terrestre, facilement accessible tout en la valorisant. L’économie bleue se fera dans un deuxième temps, car plus difficilement accessible par sa biodiversité marine, donc commençons par la verte, et créons nos entreprises innovantes. Face aux contraintes financières qui nous attendent, consommer local arrive à grands pas, ce sera le résultat d’une prise de conscience de nos richesses, la fin des engagements de l’état à notre égard qui nous poussera à produire pour vivre, et enfin prendre en main notre destin.


Beaucoup de gens me disent : « pourquoi ne fais-tu pas dans la politique ? » Je leur réponds, prenez un dictionnaire, vous aurez la réponse. Or, le mot politique vient du grec “polis” qui signifie “cité” et “ikos” suffixe qui signifie “propre à cette chose”. Ce mot politique, d'après son étymologie, signifie “qui concerne le citoyen”. Alors estimez-vous que : « ce que je fais ne concerne pas le citoyen guadeloupéen » ? Si cela concerne le citoyen, laissez-moi faire au moins la définition de ce mot, cela me convient parfaitement. Et tous les jeunes qui s’engagent dans l’entrepreneuriat et emboîtent le pas de mon engagement, je les encourage, car ils sont sur la voie du futur et de leur avenir.



La réussite.


La réussite, c’est le travail et rien que le travail. Ma plus grande fierté ce sont ces personnes invisibles de mon île, si nombreuses et si silencieuses composées d’enfants et d’adultes qui croisent mon chemin et m’arrêtent pour me serrer la main sans que personne ne voie et pour me dire un seul mot : « Merci pour votre travail ». Concernant l’échec, je m’inspire de cette citation de Nelson Mandela : « Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends ».




En aparté...


La nature a toujours été pour moi une source d’inspiration, de création et de bonheur. Les sociétés filles de Phytobôkaz suivront la même inspiration. La première à naître sera Couleurbôkaz qui partira à la conquête de toutes les couleurs naturelles de nos plantes pour les valoriser tant dans le domaine du textile, du bâtiment, du cosmétique ou encore de l’alimentaire. Après réflexion, si nous n’avançons pas dans ce petit pays Guadeloupe, aujourd’hui, c’est que nous allons chercher très loin les idées et le malheur des autres pour l’importer, l’accumuler sur une si petite île, ce qui pollue notre esprit, notre environnement et nous appauvrit. Alors que le grand bonheur et les grandes richesses sont à nos pieds et sont faits que de petits riens heureux. Nous sommes devenus aveugles de ces petits riens réels, pour choisir de vivre sans se projeter dans un monde virtuel, celui des autres. Ce sont ces petits riens qui nous entourent qu’il conviendrait de valoriser pour nous enrichir. En effet, ces petits riens vont nous donner à manger avec ses 220 espèces comestibles, sachant que l’argent n’est pas comestible, ce sont ces petits riens qui vont nous soigner avec ses 625 plantes médicinales, ce sont ces petits riens qui vont créer de la richesse avec ses 3 800 espèces de plantes ou ses 3 800 usines de vies capables de fabriquer l’ensemble des besoins de l’être humain que nous sommes.

L’innovation ne tombera jamais du ciel, ce sera toujours le résultat d’une contrainte, car ma seule et unique conviction, c’est que personne ne le fera à notre place.

Il est scandaleux et inconcevable qu’avec 3 800 usines de vies nous ayons 53 % de chômage chez nos jeunes. Je pense sincèrement que la prise de conscience de ces petits riens fera le bonheur que nous cherchons en vain. Je pense qu’au lieu de pleurer toute la journée à la recherche des aides de l’État qui deviendront plus rares, nous devrions plutôt ouvrir nos yeux sur nos propres richesses, pas sur celles des autres que nous enrichissons sans cesse, car eux, ils travaillent. Ce qui est triste, c’est qu’on achète beaucoup de choses dont on n’a pas besoin qu’on jette et qui polluent, surtout des choses achetées avec un argent que l’on n’a pas, au lieu de créer de plus belles choses durables à partir de nos propres matières. Nous devons maintenant travailler plus, chacun individuellement, pour donner l’exemple à nos enfants et les retenir sur l’île, au lieu de dire et de répéter sans cesse que nous sommes une population vieillissante, car on oublie que ce sont les jeunes qui font des enfants et pas les vieux. Nous ne sommes pas une population vieillissante, nous sommes plutôt une population passive, celle qui fait fuir ses propres enfants par sa passivité et ses parlottes inutiles. Malheureusement, nos enfants qui ne reviennent plus, où vont-ils ? À la rencontre, tout simplement, de ceux qui travaillent et qui créent.


Alors la Guadeloupe doit se réinventer, l’heure est venue de retenir le peu de jeunes qui restent encore, non pas pour qu’ils continuent en bandes rivales à s’entretuer en s’inspirant d’un monde virtuel, mais en les passionnant dès leur jeune âge par ce qui les entoure, en les initiant, par la créativité inventive et productive. Pour cela, nous devrions plus que jamais aller chercher au plus profond de nous-mêmes ce que nous avons d’original et de spécifique dans nos sources d’inspirations, celles de nos traditions, celles que nous ont laissées nos grands-parents et que nous ne trouverons nulle part ailleurs que dans notre environnement et dans notre biodiversité. C’est selon moi le seul moyen pour arriver à une souveraineté interne et endogène tant souhaitée par tous. L’heure est venue de prendre notre destin et celui de nos enfants en main.


Victor Hugo disait : « qu’il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée dont l’heure est venue ». L’heure de cette Guadeloupe prospère est arrivée. Jamais je n’ai été aussi confiant sur l’avenir de mon île, car la planète brûle, et pour la sauver, nous sommes tous unanimes que cela passera par la transition écologique et énergétique, mais chacun doit y contribuer et faire sa part de colibri, c’est une urgence. Or, notre archipel, la seule pour les Petites Antilles, classé par l’UNESCO depuis 1992 « zone de réserve de la biosphère mondiale » doit être un exemple planétaire, en optant pour une économie symbiotique, celle qui cultive avec la vie et que j’appelle de mes vœux, sans pesticides, sans herbicides et sans engrais chimiques et il faudrait tout créer à partir de cette diversité de vie.


Certains diront que Joseph est un utopiste, je leur répondrai : oui, je suis un utopiste, car l’utopie comme disait Théodore Monod, « c’est ce qui n’a pas été essayé », alors essayons. Donc je vous propose d’ouvrir nos yeux pour créer des emplois là où ils en existent, notre avenir et nos vraies forces sont dans notre biodiversité, et non pas en traversant une rue. Là, ils n’existent plus. Ce qui est important, c’est tout simplement se remettre en question et au travail, sans attendre. L’innovation ne tombera jamais du ciel, ce sera toujours le résultat d’une contrainte, car ma seule et unique conviction, c’est que personne ne le fera à notre place.

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