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Éricka Mérion | Qualistat

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Propos recueillis par Ken Joseph

Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin

 




Singulière, dans une sincérité peu courante, libre dans sa façon d’habiter le monde, Ericka Mérion ne peut concevoir la vie autrement que par l’action. Sa force ? Une maîtrise quasi parfaite de sujets tant économico-politique ou encore sportif. Mais surtout une réelle lucidité du monde qui l’entoure. Portrait d’une entrepreneure aux multiples facettes, inspirante et qui surprend par sa tranquille aptitude à être avant tout elle-même.




Une passion particulière.


Enfant, je me rêvais championne de judo puis travaillant dans le domaine du sport, ou avec des sportifs. J’ai toujours été une passionnée de sport et je le suis encore. J’avais ce besoin perpétuel de me dépenser. Alors, j’ai touché à tous les sports : handball, tennis, judo, basket-ball, football, natation, tennis de table, course à pied… Je me suis même essayé à la planche à voile. Lorsque nous étions au collège, mon cousin et moi, nous étions capables de nous lever à 4 h du matin, pour quitter Pointe-à-Pitre en footing, avec une raquette à la main, de courir jusqu’à Bas-du-Fort pour profiter des courts de tennis et de revenir en auto-stop pour être au collège à 8 h 00. Nous nous lancions chaque fois que nous le pouvions de nouveaux défis sportifs. Notre imagination était en permanence mobilisée par la création de nouveaux challenges. Je crois que j’ai toujours aimé ce dépassement de soi et le bien-être que procure le sport. On finit par s’habituer aux endorphines, à l’adrénaline. Mais le judo a toujours été mon sport de prédilection, une passion particulière.


J’ai voulu redonner au judo ce qu’il m’avait apporté. Du coup, je me suis investie à la ligue de judo de Guadeloupe. J’y suis restée dix ans à m’occuper spécifiquement de la communication et des relations avec la presse. J’étais arbitre. Dans l’absolu, je le suis toujours, mais je pense qu’une petite session de mise à jour par rapport aux nouvelles règles serait nécessaire si je devais arbitrer de nouveau, ce qui d’ailleurs n’est pas exclu. Il y a quelques années avec deux copains judokas de mon club, nous avons monté un groupe d’entraînement pour adultes débutants. En fait, quand on y réfléchit bien, on se rend compte que c’était un projet un peu égoïste, puisque nous nous faisions plaisir en permettant à des personnes qui n’avaient que peu fait de sport auparavant et surtout pas de judo de découvrir notre discipline et de partager notre passion. Malgré toutes ces activités dans le judo, je ne suis pas sûre d’avoir déjà soldé le compte, tant ce sport m’a apporté et a façonné la personne que je suis aujourd’hui.

Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question « qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça ».

Je dois avouer que ma passion pour le sport ne se limite pas à la pratique. Il y a des sports qui me procurent un plaisir fou tout en étant spectatrice, et même téléspectatrice. Je peux passer des heures entières à regarder des matchs de tennis, de handball ou de football, des compétitions d’athlétisme et bien sûr de judo. Dès lors qu’il y a des événements de haut niveau en Guadeloupe sur ces disciplines, vous pouvez être certains que je serai au stade. Et lorsque cela s'avère possible, je voyage pour assister aux grandes compétitions (championnat du monde d’athlétisme, championnat du monde ou d’Europe de judo, Jeux olympiques, Roland-Garros…). Vivre le sport en live est incomparable. L’émotion du sport est très particulière parce qu’elle est vraie. Les meilleurs acteurs au monde ne pourront jamais jouer une scène de joie ou de liesse comme le vit un sportif au moment de la victoire. À l’inverse, la détresse de la défaite plonge le perdant dans des abysses dont seuls les sportifs connaissent la profondeur. Pour ma part, je suis hyper sensible à ces extrêmes émotionnels, qui me touchent au plus haut point. J’ai une véritable addiction à la pratique sportive et au spectacle du sport de haut niveau.





Se réaliser.


J’ai reçu une éducation classique, basée sur la responsabilisation. Cela m’a permis d’être très tôt assez autonome. Dire que je me sentais différente à l’époque ? Non, pas vraiment. Mais c’est bien après que je me suis rendu compte des différences par rapport à d’autres que je côtoyais au quotidien, au sport par exemple. Des différences au point de vue scolaire, des différences par rapport à un éveil, une conscience, une sensibilité politique.


Ma vision de la femme, plus jeune et aujourd’hui… Je dois dire que c’est une question que je ne me suis jamais posée et que je ne me pose toujours pas. En revanche, je peux affirmer qu’il y aura toujours des combats à mener pour que la femme trouve sa juste place dans la société. Mais ce n’est pas avec ce genre de questions que les choses vont avancer. Est-ce que vous demandez à un homme à quel moment, il s’est senti le plus homme dans sa vie ?

Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité.

Le choix de mon parcours a toujours été guidé par ma détermination à revenir travailler en Guadeloupe. Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question « qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça ». En fait, l’idée de QualiStat a germé dans ma tête à la suite de mon stage chez L’Oréal. Je travaillais au service marketing où je faisais les analyses statistiques sur les tests réalisés sur des échantillons de testeur. Mon stage a été prolongé par un CDD et je me suis rendu compte que ce travail, qui consistait à donner du sens aux chiffres, me plaisait. J’avais envie de travailler dans ce domaine et j’étais déterminée à travailler dans mon pays. Comme il n’y avait pas de structure privée œuvrant dans ce domaine, je me suis dit qu’il fallait en créer une.





Avec QualiStat, nous avons répondu à un besoin qui ne s’exprimait pas clairement. Nous avons commencé en développant le pôle socioéconomie. Nous proposions des diagnostics sociaux dans des quartiers cibles d’opérations de rénovation. À l’époque, il y avait de nombreuses opérations de résorption de l’habitat insalubre pilotées par les sociétés d'économie mixte et nous avions réussi à nous positionner sur ce secteur, bien qu’il y avait déjà des acteurs locaux sur ce créneau. Par la suite, nous avons développé l’axe marketing/opinion et monté notre centre d’appels ce qui nous a permis de répondre à d’autres demandes et de lancer les premiers sondages d’opinion.


Notre secteur d’activité a beaucoup évolué depuis la création de QualiStat. L’intensité de la demande est beaucoup plus forte qu’il y a 20 ans. Alors qu’au début, certains décideurs locaux nous voyaient comme de doux rêveurs qui ambitionnaient d’imposer une activité dont la Guadeloupe n’avait pas besoin, aujourd’hui, on voit bien que le curseur a bien bougé et que l’intégration d’une étude préalable ou d’une mission d’évaluation ex post deviennent presque systématique pour des projets d’envergure ou pour certaines politiques publiques. Par ailleurs, la nature des demandes évolue également. Aujourd’hui, les clients, quels qu’ils soient, veulent plus d’expertise, plus de pragmatisme. Les préconisations se doivent d’être concrètes et la mise en œuvre ne doit pas nécessiter la création d’une usine à gaz.


(…) pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé.

Enfin, l’avènement du numérique a fortement fait évoluer les techniques de recueil des données. À QualiStat, nous avons quasiment banni les enquêtes en face à face sur papier, pour laisser la place au recueil sur tablettes tactiles. Nous intégrons également les enquêtes web, même si la couverture Internet est chez nous un frein au développement de cette méthode. En effet, la question de la représentativité géographique de la cible ne peut pas toujours être garantie et les usages numériques des seniors sont très inégaux. Les réseaux sociaux ont fait apparaître la notion d’opinion spontanée, qui s’oppose à l’opinion induite (observée par le biais des sondages). Désormais, les instituts sont obligés d’intégrer à la fois l’opinion spontanée et l’opinion induite, au risque de passer à côté de signaux faibles, émergents, voire parfois de tendances plus lourdes.





L’entrepreneuriat en Guadeloupe.


Nous sommes dans un pays où il y a du travail, mais peu d’emplois. Les entreprises n’ont pas beaucoup de visibilité sur leur avenir, le marché est étroit, donc elles réfléchissent à deux fois avant d’embaucher. Pour autant, elles ont besoin d’accéder à certains services pour se structurer et se développer. Au lieu de les avoir en interne, elles préfèrent acheter des prestations. Créer son emploi en entreprenant devient alors la solution pour échapper au chômage. Après la départementalisation, il fallait structurer le service public. Ce secteur offrait de nombreux emplois et pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé. Le secteur public continue d’attirer une frange de jeunes actifs, ou de parents de jeunes actifs qui poussent leurs enfants vers la sécurité de l’emploi. Mais cette tendance diminue et l’avènement de nouveaux métiers, de nouveaux besoins créent des opportunités pour les jeunes diplômés qui n’hésitent plus à créer leur entreprise.


Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge.

Le rôle des politiques n’est pas d’avoir un engagement entrepreneurial, mais bien de créer les conditions favorables au développement de l’esprit d’entreprendre d’une part et des entreprises d’autre part. Il s’agit donc de favoriser l’émergence de structures d’hébergement et d’accompagnement des entreprises, quel que soit leur niveau de maturité, afin de réduire la mortalité des entreprises locales. L’accompagnement doit apporter une meilleure maîtrise de l’environnement économique et des obligations du chef d’entreprise qui sont de vrais facteurs clés de succès. De plus, dès lors que c’est possible, les collectivités locales doivent privilégier les entreprises de leur territoire. Toutefois, les faire travailler, c’est bien. Mais les payer dans des délais raisonnables, c’est mieux. Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge.





Le génie guadeloupéen.


Le génie est quelqu’un qui se démarque par un talent particulier. Notre contexte économique est si spécifique en raison de l’étroitesse du marché, de la double insularité, de notre positionnement géographique au cœur de la caraïbe – qui s’oppose à notre appartenance au marché européen –, du niveau de dépendance par rapport aux importations, qu’entreprendre en Guadeloupe peut nécessiter des talents inimaginables. De plus, la petite taille de nos entreprises contraint le chef d’entreprise local à multiplier les casquettes. D’aucuns affirment que lorsque l’on entreprend en Guadeloupe et que l’on parvient à faire prospérer son entreprise, on peut le faire partout dans le monde. Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité.



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Enfin.


Aujourd’hui, nous commençons à pénétrer le marché de la Réunion, sur le même modèle qui nous a permis d’entrer en Martinique, puis en Guyane. Parvenir à s’imposer à la Réunion et à y gagner des parts de marché durablement serait un complément à la réussite caribéenne de QualiStat. Et si c’était à refaire, je referais tout à l’identique, parce que l’entrepreneuriat est une aventure ; une aventure managériale, humaine et économique. Jusqu’ici, l’aventure est belle et enrichissante. Nous avons peut-être fait quelques erreurs, mais celles-ci nous ont toutes fait grandir. Nous aurions peut-être pu développer l’entreprise plus vite et investir les territoires voisins plus tôt, mais je crois que nous avons toujours avancé à notre rythme et jusqu’ici l’aventure est enrichissante. L’aventure est belle.


Un conseil ? Il faut croire en son projet. Toutefois, cela ne suffit pas, il est indispensable de se poser les bonnes questions et de bien comprendre que ce qui marche ailleurs n’est pas forcément transposable sur notre marché, dans notre économie insulaire.

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