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Lorsque la fabrique à symbole est en panne

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Caroline L.

Photos : David Suarez

 




Étant blogueuse, j'ai l'habitude d'écrire souvent. Je trouve l'inspiration assez facilement, mais lorsque j'ai dû écrire sur la Guadeloupe, entre autres, j'ai été victime du syndrome de la page blanche et je me suis remise entre les mains de madame procrastination. Non pas parce que j'étais trop paresseuse (enfin si un peu quand même… Mais ce n'est pas le sujet de l'article !), mais surtout parce que c'était la première fois qu'on me demandait d'écrire sur la Guadeloupe… sur ma Guadeloupe.


Pour être honnête, c'est un sujet que j'ai souvent évité. Il aurait été facile pour moi de présenter cette petite île à la blogosphère, mais je ne l'ai pas fait. Pourquoi ? Tout simplement, parce que très tôt je me suis mise dans une « diaspora mentale ». C'est triste à dire : mon corps est en Guadeloupe, cependant mon esprit est aux quatre coins du globe. Au moment où je me suis décidée à parler de la Guadeloupe telle que je la vois, j'ai commencé à réfléchir à ce terme (que 99,9 % des Guadeloupéens doivent connaître) : « Guadeloupe, Terre de Champions ». Google m'informe qu'un champion est l'« ardent défenseur d'une cause » et/ou une « personne remarquable, de qualité exceptionnelle » et moi je rajouterais, une personne en laquelle les autres peuvent s'identifier. À la lecture de ces définitions, j'ai commencé à remettre en question ce terme « Terre de Champions ». On l'entend partout, souvent, on s'en vante d'ailleurs. Mais il ne semble pas résonner dans nos oreilles ni dans nos vies, peut-être la preuve qu'il n'est pas si évident que ça. De plus, j'ai toujours trouvé cette expression extrêmement réductrice, dans le fond.


(…) nos sociétés antillaises mettent en valeur principalement les acteurs du divertissement.

En général, lorsque nous acclamons une célébrité guadeloupéenne, elle évolue soit dans le monde de la musique ou du sport. Ce qui révèle le fait que nos sociétés antillaises mettent en valeur principalement les acteurs du divertissement. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne me suis jamais identifiée à un de nos champions. On ne connaît pas ou alors que très peu leurs histoires personnelles. Cela explique certainement le fait que la plupart de nos héros, modèles, personnes en lesquelles nous nous identifions ne sont pas Guadeloupéens, ni même antillais.


En 1993, Maya Angelou a récité son poème « On the Pulse of Morning » lors de l’investiture de Bill Clinton.

© Larry Morris/The Washington Post


© Stephen Parker/Alamy



À quel moment ai-je mis de côté mon identité antillaise pour me construire avec d'autres influences ? Je crois que cela a commencé depuis toute petite. Je me revois chérissant mes poupées Barbie (blanches et longilignes) plus que ma propre vie. Aujourd'hui, ça n'a pas réellement changé puisque si vous me demandez quelles sont les personnalités qui m'inspirent, je vous répondrai certainement Maya Angelou, Helen Keller, Lupita N'yongo, Oscar Pistorius (avant qu'il ne tue sa fiancée, of course.). Je suis certaine de ne pas être la seule dans ce cas. Le problème est que nous limitons nos champions à leurs exploits.

(…) nous avons une vision trop superficielle du champion dans nos sociétés antillaises. Par conséquent, ils sont peu assimilés à des moteurs de développement.

Parlons par exemple d’Admiral T. Au-delà de l’image du gars qui est à l’apogée de sa carrière et qui fait danser le Zénith entier, Admiral T vient du ghetto. Je veux dire, avec une histoire comme la sienne on aurait pu faire un véritable symbole de combativité pour la jeunesse ! Au lieu de ça, il est le plus souvent réduit à un moyen de divertissement. Bon, je sais bien, une école a été baptisée à son nom. Et après ? Lorsque je passe devant cet établissement, je ne pense pas à ce jeune venant du ghetto qui a été assez courageux pour réaliser ses rêves coûte que coûte. Non. Je pense à un homme populaire qui gagne bien sa vie. Est-ce ce dont nous avons besoin, nous, jeunes Guadeloupéens ? Je laisse à chacun le soin de répondre. Si vous interrogez un jeune Américain sur les personnalités auxquelles il s’identifie, je suis prête à parier que la plupart viendront des États-Unis.



© Collection personnelle Jocelyne Beroard



Cependant, si la même question est posée à un jeune Guadeloupéen ça m’étonnerait qu’il réponde Patrick Saint-Eloi ou Laura Flessel. En tout cas, ce ne seront pas les premiers noms qu’il aura en tête. La différence est que la société américaine sait se servir de ses champions pour en faire des mythes, des symboles. Qu’en est-il de nous ? Peut-être que notre machine à symboles est cassée ? Elle reste bloquée à la phase « champions ». Mais, je veux rester lucide et m’inclure dans le lot. Nous jouons souvent la carte de la mauvaise foi.


Lorsque l’affaire Cédric Cornet a surgi brutalement, les esprits se sont réveillés pour prendre part à ce fait « juteux », et les actions qu’il a faites pour la Guadeloupe et surtout pour la jeunesse ont semblé lointaines, presque comme si elles n’avaient jamais existé. Si les accusations se révèlent vraies, cette image symbolique de cette jeunesse prenant une part active dans la vie politique de son pays sera oubliée, pour ainsi laisser place au stéréotype du trentenaire influent qui a une relation interdite avec une mineure. Évidemment, si Cédric Cornet est coupable je n’excuserais en rien son comportement, mais je trouverais dommage de passer aux oubliettes des actions audacieuses et innovantes. La conclusion qu’il faudrait tirer de cette histoire est que nous avons une vision trop superficielle du champion dans nos sociétés antillaises. Par conséquent, ils sont peu assimilés à des moteurs de développement.


Je pense que cette montée de violence et de décadence de la jeunesse antillaise est due à cette mauvaise exploitation, qui d’ailleurs engendre une crise identitaire. Qui sommes-nous vraiment ? À qui voulons-nous ressembler ? Lorsqu’on me parle de champions antillais, je ne vois que de grandes performances et quelque part, ce n’est pas normal. J’aurais souhaité voir des symboles de combativité, d’endurance, d’espoir. J’aurais aimé voir en eux de grands frères, des grandes sœurs dont les histoires personnelles me rappellent que tout est possible à celui qui y croit. Évidemment, il y a des choses merveilleuses et des gens extraordinaires aux Antilles. Mais aujourd’hui, c’est ce dont j’avais envie d’écrire sur ma Guadeloupe… cette Terre de Champions.

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