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Ma fille ne sera pas une femme potomitan

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Caroline L.

Photo : Paul Strand

 




Le modèle de la femme potomitan a traversé les générations en s’ancrant dans nos idéaux en passant par les cuisines et les chambres des enfants, lieux phares de cette femme pilier. Ce « CDI de femme Potomitan » a été souvent vu comme la couronne qui orne la tête de la mère, reine du foyer, mais n’est-il pas en réalité les chaînes qui la condamneront à être l’esclave de cette société patriarcale ? Cette expression a en réalité une résonance très trompeuse. À première vue, ce terme « Potomitan » semble renvoyer à quelque chose de très symbolique, presque féministe « Mère Courage », « Famn Doubout ». Le poteau de cette fondation ancestrale qu’est la famille. Mais il suffit de regarder de plus près pour comprendre que ce rôle n’est qu’une énième clause abusive qui attache la femme à son contrat de mère et d’épouse. Ce modèle familial a émergé à l’époque postcoloniale où se sont imposées par la même occasion la figure de l’homme « semeur de graines » et de la femme prenant ses responsabilités sans jamais faiblir.




Femme courage, père déserteur.


Ce rôle d’héroïne sociale n'est finalement que subalterne. La femme ne doit pas se donner le droit d'exister qu'à travers le prisme de la maternité et éventuellement, celui du mariage. Si l’on accorde à la femme, cette qualité qu'est le courage il faut reconnaître que cette réaction n'est que la résultante du choix de l'homme. Elle prend la relève après son départ sans avoir eu réellement la possibilité de choisir. L'homme aurait donc le droit d'être incertain et léger tandis que la femme devrait se tenir prête à en assumer les conséquences. L'homme a le droit de partir, la femme a le devoir de rester, "c'est comme ça". Du moins, c'est ce que l'on observe et cautionne sans trop se poser de questions. Bien que ce modèle archaïque tend à se moderniser de plus en plus et que les rôles, parfois, s'inversent, la femme reste encore jugée bonne ou mauvaise en fonction de son rapport à sa famille. Ce qui est paradoxal, voire hypocrite, dans nos sociétés antillaises est que l'on est prêt à reconnaître à la femme des qualités de leader, mais essentiellement dans un contexte familial.



© Renée Thompson



« Fo on madanm tchenn plas ay ».


Aujourd'hui, les Antilles représentent un espace social où modernité et traditions se confondent et s'entrechoquent. Bien que timide, on remarque une évolution étouffée par des contradictions tenaces. Cette contradiction s'exprime surtout dans le choix de nos modèles. D'un côté, on admire ces femmes de caractère qui ont su s'imposer dans un milieu d'hommes telles que Lucette Michaux-Chevry, Christiane Taubira ou encore Gerty Archimède, mais de l'autre on fait l'amalgame entre fort caractère et réelle émancipation féminine. Il suffit de voir les nouvelles représentations de la femme noire dans les séries télé. L'une est certes, brillante, mais reste la maîtresse du Président, la femme de l'ombre (NDLR Olivia Pope : Scandal), l'autre a bâti son empire à partir d'un trafic de drogues (NDLR Cookie Lyon : Empire).


Le rôle de la femme aux Antilles est fragmenté par cette atmosphère sociale qui la réduit inévitablement à être "un potomitan" familial et par cette liberté partielle qui l'autorise à vivre ses passions et ses désirs.

En effet, la femme est encouragée à aller le plus loin possible dans ses études, mais doit garder en tête comme une échéance fatidique le jour où elle sera mère et épouse. Elle est appuyée dans son désir d'indépendance financière, mais pas trop, de peur de vexer l'homme qui est ou sera avec elle. Dans l'une de ses chansons, le chanteur Kalash dépeint le visage ou plutôt le stéréotype de la nouvelle image de la femme antillaise : l'Independant Gyal. Elle a la trentaine, et est représentée par une chef d'entreprise intransigeante, "matérialiste qui n'aurait besoin de personne". On pourrait opposer cette définition de l’indépendance féminine à celle de la femme potomitan, pourtant ces deux aspects de la femme se ressemblent plus qu'ils ne s'affrontent. La femme poto-mitan et l'independant gyal sont soumises au regard et aux attentes masculins, et là encore, être une "independant gyal" ne reviendrait qu'à donner vie à un fantasme inventé par les hommes, le terme "gyal" étant péjoratif et dégradant.





Le rôle de la femme aux Antilles est fragmenté par cette atmosphère sociale qui la réduit inévitablement à être "un potomitan" familial et par cette liberté partielle qui l'autorise à vivre ses passions et ses désirs. Alors, peut-on parler véritablement d'émancipation féminine ? La question doit se poser surtout, lorsque de plus en plus, l'image de la femme noire antillaise est un concentré de concours de miss et de figurantes dans les clips musicaux. Ce phénomène ralentit l'évolution et n'est pas sans rappeler le mouvement « Sois belle et tais-toi ». De plus, encourager la femme à mesurer sa beauté face à celle d'autres femmes ne fait que les objetiser et les réduire au statut de fantasmes et de canons de beauté. Ces contradictions et ces confusions dans la question du rôle social de la femme sont le résultat d'une éducation souvent basée sous le signe de la bienséance et du paraître. Elle "se doit d'être comme cela ou comme ceci", mais il serait temps d'accorder à la femme le doit d'être, tout simplement, et celui d'exister par et pour elle-même.

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