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Le génie noir

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Safia Enjoylife

Illustration : Mathieu Delord

 




Le passé grandiose des peuples africains a été jeté dans l’oubli et avec lui l’existence du génie noir. La volonté de dissimuler un pan de l’histoire de l’humanité est apparue afin de justifier la cruauté des envahisseurs européens envers les peuples africains.



En effet, comment admettre que des êtres humains soient torturés et massacrés de façon industrielle ? Il était indispensable de persuader les consciences restées en Europe que les Africains étaient des bêtes sans capacité intellectuelle. D’une part, cette version permettait de ne pas accorder plus de valeur à la vie des Africains qu’à celle d’un poulet d’élevage qui n’a qu’une fonction utilitaire. D’autre part, elle permettait également de légitimer le fait que les Européens s’installent en Afrique et prennent possession des terres et des richesses puisque ce n’étaient pas de véritables individus qui les possédaient. L’Europe s’est docilement laissée convaincre que les Africains étaient vides d’intelligence, vierges d’histoires grandioses et qu’il était de son devoir de les civiliser et de les évangéliser.



Taharqa en pieux pharaon accompagnant une procession de la barque d'Amon. © National Geographic Society



Cette version déshumanisante n’était pas compatible avec les civilisations sophistiquées, structurées, savantes, riches et puissantes que les Européens ont trouvées en Afrique. Deux fragiles solutions ont donc été mises en œuvre pour préserver l’enrichissement exponentiel que représentait la main-d’œuvre et les ressources gratuites. La première consistait à détruire les preuves des connaissances africaines hautement avancées, en démolissant les œuvres architecturales, en démantelant les organisations politiques et militaires, en diabolisant les spiritualités et en sabotant les économies prospères. La deuxième a reposé sur l’expropriation des civilisations impossibles à effacer. Le caractère colossal de certains vestiges de l’histoire africaine a rendu impossible leur destruction.


Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental.

C’est ainsi qu’en dépit de toute logique, l’édification des monuments africains les plus prestigieux a été attribuée à des peuples extérieurs à l’Afrique. Le cas d’expropriation le plus flagrant est celui de la civilisation égyptienne de l’Antiquité. Quand bien même toutes les représentations les dépeignent noirs avec des coiffures africaines, tous les livres occidentaux les présentent blancs. Et ce ne sont pas les multiples preuves scientifiques telles que le taux de mélanine des momies qui ont fait cesser cette expropriation puisque des films et des séries avec des castings blancs dans le rôle des pharaons continuent de proliférer. Même les tests ADN effectués en 2012 et en 2013 par le laboratoire DNA tribes, qui démontrent la nature africaine du génome de plusieurs momies royales dont les pharaons Amenhotep III, Akhénaton, Toutankhamon et Ramsès III, n’ont pas suffi à enrayer ce travestissement de l’histoire.


Dans la même démarche d’expropriation, les récits des triomphes africains qui ont survécu aux incendies des bibliothèques grâce à la tradition orale ont été transformés en victoire de personnages européens ou arabes. C’est ainsi que l’Africain Hannibaal Barca est devenu européen dans tous les péplums et dans toutes les bandes dessinées qui retracent son épopée glorieuse, et ce malgré le fait qu’il soumet la Rome antique avec des éléphants africains. C’est ainsi que les maures, peuple africain extrêmement développé, ont été recouverts d’une identité arabe alors même que tous les témoignages des contemporains les décrivent avec le teint charbon et le nez large. Cette expropriation de l’excellence a touché chaque société africaine hautement sophistiquée. Un exemple moins connu est la fastueuse cité commerçante de Kilwa Kisiwani en Tanzanie dont la population a longtemps été décrite comme un peuple étranger à l’Afrique, car son degré de modernité était trop élevé pour avoir été développé par les Africains. Il en est de même pour l’empire du Monomotapa qui couvrait les territoires actuels du Mozambique et du Zimbabwe. Les techniques d’architecture des édifices de cet empire étaient si complexes que pendant longtemps elles ont été attribuées à une population venue d’ailleurs.



Carte de l'empire du Monomotapa



L’effacement progressif du génie africain a donné naissance à des individus privés de la connaissance de leurs triomphes, de leur érudition et de leur puissance. Un orphelin qui ne connaît pas les exploits et la valeur de ses parents ne pourra pas être conscient des qualités que contient son génome et de sa capacité à reproduire les succès de ses prédécesseurs. Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental. Le résultat est probant : les noirs sont les seuls à enrichir les autres communautés avant la leur. Ils ont également une forte propension à saboter les chances de réussite des compatriotes qui pourraient s’élever vers le succès et devenir des phares qui guident la communauté vers la cohésion et l’émancipation. En revanche, lorsqu’on observe, les communautés qui fédèrent leurs forces, on remarque que ce sont les mêmes qui maîtrisent leur histoire passée qui pratiquent une spiritualité qui leur correspond et qui respectent des us adaptés à leurs spécificités. La comparaison entre ces phénomènes met en évidence une corrélation entre le fait d’ignorer son passé et le fait de dilapider son seul moyen d’émancipation tout en renforçant le pouvoir des entités oppressantes.

(...) si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires.

Les comportements autodestructeurs présents dans la communauté noire ne se réduisent pas au sabotage interne et aux dépenses excessives hors de l’économie intracommunautaire. Ils touchent tous les aspects, des plus anodins aux plus décisifs. Cela passe par la transformation des cheveux, l’éclaircissement de la peau, l’adoption d’une mythologie infériorisante, la pandémie d’actes fratricides, l’annihilation du respect ainsi que l’abandon des responsabilités parentales. Cette accumulation d’agissements nocifs s’avère être cataclysmique pour les tentatives de reconstruction du psychisme et de l’identité des populations noires. Hisser le génie africain des abysses dans lesquels on l’a précipité aidera certainement à traiter la déchéance du peuple noir à sa racine. Cet article va donc s’évertuer à retrouver une portée disparue : le génie africain !



© Zanele Muholi


Chronologiquement, le premier groupe d’êtres humains à avoir fait preuve de génie est africain. En effet, il est reconnu de toute la sphère scientifique que l’homme est apparu en Afrique. Avant que sa curiosité intellectuelle le pousse à devenir le plus grand explorateur de la planète, l’Africain n’a cessé de faire preuve de génie ! Il a eu l’idée de se dresser pour pouvoir surveiller le danger de loin. Ensuite, il a fabriqué des instruments. Les plus anciens outils connus à ce jour ont été découverts au Kenya (Lomekwien, 3,3 millions d’années), en Éthiopie (Oldowayen, 2,55 millions d’années) et en Tanzanie (Acheuléen, 1,76 millions d’années). Après quoi, l’Africain a compris que le feu faisait fuir ses prédateurs et il a bravé les brûlures pour le domestiquer. La plus ancienne utilisation du feu par l’homme a été retrouvée dans la grotte de Swartkrans en Afrique du Sud. C’est ainsi que l’Africain a été à l’origine de chaque idée ingénieuse qui s’est avérée être un tournant décisif vers l’abondance, le confort et la science. D’ailleurs, concernant la science, la plus ancienne trace de calcul est une nouvelle fois attribuée à l’Africain suite à la découverte de bâtons de comptage sur l’os d’Ishango au Congo. Autant dire que l’Africain est le père du génie humain et que l’Afrique est le berceau du savoir.

L’Africain est tellement ingénieux qu’il a donné naissance à la première civilisation capable de concevoir des œuvres architecturales éternelles. Par exemple, il y a 4 600 ans, le roi égyptien Snéfrou fit bâtir trois pyramides (rouge, rhomboïdale et Seïlah) qui ont traversé les millénaires dans un état de conservation quasiment intact. L’Africain ne s’est jamais retrouvé à l’écart du génie humain. Il a même été précurseur dans des champs très divers : sédentarisation, agriculture, spiritualité, médecine, chirurgie, calendrier à douze mois, cosmétiques, art, jeux de société, instruments de musique, astronomie, et tant d’autres. L’Africain a devancé le reste de la planète en matière de découvertes scientifiques, médicinales et technologiques pendant la majeure partie de l’humanité. N’oublions pas que l’existence de l’homo sapiens africain remonte à 200 000 ans. Comparé à l’homo sapiens qui s’installe en Asie il y a 90 000 ans, en Europe il y a 40 000 ans, et en Amérique il y a 30 000 ans, l’Africain a eu le temps d’observer, de comprendre et d’apprivoiser son environnement. Il a eu le temps de réfléchir à des moyens d’utiliser la faune, la flore et le climat à son profit. Il a eu le temps d’apprendre à maîtriser les éléments afin de lui assurer sécurité et prospérité. D’ailleurs, l’Africain détient le record de longévité en terme de puissance d’une nation. Le règne des Égyptiens antiques s’étend sur 3 000 ans. C’est le plus long depuis le début de l’humanité. En comparaison, les règnes des Romains et des Grecs de l’Antiquité ont duré seulement 1 200 ans chacun.



@ Benin City



Avant les invasions européennes, l’Africain a brillé par son génie intellectuel. On peut citer le roi Oba Ewuare Ogidigan qui, entre 1440 et 1473, a apporté des innovations révolutionnaires au royaume Igodomigodo, au point que son règne est considéré comme l’âge d’or de cette civilisation. Il amena la sculpture, l’architecture, la médecine et l’organisation politique de sa nation à son apogée. Son palais était somptueux, il émerveilla les premiers explorateurs européens qui ne manquèrent pas de s’extasier sur le raffinement, l’hygiène et le faste de l’édifice et de ses habitants. En 1668, le hollandais Olfert Dapper raconta : « Le palais du roi équivaut à un pâté de maisons ! Il est aussi large que le quartier de Haarlem et entièrement entouré d’un mur, comme ceux qui encerclent la ville. Il est divisé en de magnifiques pavillons et appartements, il comprend de superbes et immenses galeries, toutes plus grandes les unes que les autres ! Des piliers en bois montent du sol au plafond et sont couverts de gravures des scènes de leurs triomphes militaires. » En 1691, c’est le capitaine portugais Lourenco Pinto qui décrivit la capitale du royaume Igodomigodo en ces termes : « Cette ville est plus vaste que Lisbonne, toutes les rues sont propres et se prolongent à perte de vue ! ». Ce royaume prospéra pendant près d’un millénaire. Une muraille gigantesque de vingt mètres de hauteur protégeait une surface équivalente à trente fois la superficie de Manhattan à New York. Le livre Guinness des records de 1974 l’a d’ailleurs intégré comme le phénomène archéologique le plus vaste jamais découvert sur la planète. Le journaliste britannique Fred Pearce estime que l’agencement de cette muraille en mosaïque ne rendait pas compte de sa taille, mais que mis bout à bout, elle représentait quatre fois la longueur de la grande muraille de Chine. Malheureusement, l’ingéniosité de ce royaume africain n’a pas pu être célébrée puisqu’en 1897 les Britanniques détruisirent tous les édifices et toutes les œuvres d’art dans le but de nier les accomplissements africains. Seuls quelques morceaux de la muraille ont survécu et peuvent être admirés à moins d’une heure de la ville de Lagos au Nigéria.


L’Africain a également brillé par sa philanthropie, son altruisme et sa sagesse. L’empereur Soudiata Keita n’est-il pas le premier chef d’État à abolir l’esclavage et à garantir la justice et l’équité pour tous ? Sa charte du Manden est la première Déclaration des droits de l’homme au monde. Ce fondateur de l’immense empire du Mali ne s’est pas contenté de fédérer de nombreux peuples rivaux. Il ne s’est pas contenté d’enrichir sa nation. D’ailleurs grâce à l’exploitation de l’or qu’il a initié, un de ces successeurs, l’empereur Mansa Musa, détient le titre d’homme le plus riche de tous les temps. Malgré sa puissance politique et militaire, malgré sa richesse incommensurable, Soundiata Keita s’est soucié sincèrement du sort de ses administrés. Vers 1236, il a donc élaboré une charte de 7 chapitres et 44 articles qui rejette les abus, la tyrannie, la cruauté, la violence gratuite, l’exploitation humaine et le non-respect de la vie. En voici les grandes lignes : aucune vie n’est supérieure à une autre [égalité]. Que nul ne cause du tort gratuitement ou ne martyrise son prochain [intégrité]. Que chacun veille sur son prochain [fraternité]. La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves, personne ne sera non plus mis à mort parce qu’il est esclave [justice]. Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois [liberté].


Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société.

Et ce fameux empire du Mali n’a pas apporté que la liberté, la fraternité et l’égalité, sur le plan intellectuel. La ville de Tombouctou a été le phare de l’érudition tout au long du 14e siècle. 115 000 personnes fourmillaient dans cette cité cinq fois plus vaste que Londres. Les universités de Tombouctou ont acquis une renommée internationale à force que des dizaines de milliers de nobles et de religieux issus d’Afrique, d’Orient, d’Europe et d’Asie accourent pour s'y former. La première encyclopédie au monde a été réalisée là-bas, quatre siècles avant la première encyclopédie européenne. Elle réunissait des travaux sur les mathématiques, la médecine, la poésie, le droit et l’astronomie. Au cours des siècles, des millions de connaissances ont été inscrites dans des livres par des savants de l’empire du Mali, malheureusement seuls quelques manuscrits ont survécu aux ravages des Européens qui ont brûlé tous les textes rédigés dans des langues qu’ils ne maîtrisaient pas (Mande, Peul, Sudani, Suqi) afin de les remplacer par la bible écrite en latin. Ces anciens manuscrits représentent désormais de précieux trésors qui témoignent du génie africain. Ils sont disséminés, cachés, protégés d’un autre massacre. Il y en aurait 3 450 dans les villes de Chinguetti et Ouadâne en Mauritanie, 6 000 à Oualata et 11 000 dans une collection privée au Niger. Dans le troisième épisode de la série « Sahara », le présentateur britannique Michael Palin a rencontré un imam de Tombouctou qui dispose d’une collection de textes datant de l’empire du Mali qui indiquent des planètes en orbite autour du soleil. Ces textes prouvent que les Africains connaissaient les différentes planètes, savaient qu’elles tournent autour du soleil et maîtrisaient leurs rotations et leurs ellipses plus d’un siècle avant les travaux de Copernic et Galilée. Ces exemples d’expropriations, comme ceux des théorèmes mathématiques de Pythagore et Thalès qui ne sont pas grecs, mais africains font partie de ce processus de déni du génie noir.




Ce génie noir a beau être victime d’une multitude de tentatives d’annihilation depuis quatre siècles, il ne cesse de se régénérer dans chaque nouvelle génération et de s’exprimer dans tous les domaines. C’est ainsi que malgré l’invasion, puis la colonisation, puis la déportation, puis la mise en esclavage, puis l’effacement de l’histoire africaine, puis la ségrégation et l’apartheid, puis la discrimination raciale, puis le racisme ordinaire, le génie noir n’a jamais disparu ! Il se révèle dans chaque champ d’activité dans lequel les noirs sont autorisés à accéder.


Après lesdites « abolitions », les noirs ont été tolérés dans le milieu du divertissement. Les premiers métiers qu’ils ont pu exercer hors des champs et du rôle de domestique ont donc été la musique et le sport. Côté musique, tous les genres les plus populaires ont été créés par le génie noir : la samba, le reggae, le compas, la salsa, le zouk, le calypso, la soca, le rap, le jazz, le blues, le rR&B, le gospel, le rock&roll, etc. Et même dans les genres musicaux intégrés tardivement par les noirs comme la pop, le génie noir a encore dominé. Michael Jackson n’est-il pas le roi incontesté de la pop ? Côté sport, on peut citer Lewis Hamilton pour les courses de formule 1, Serena Williams pour le tennis, Usain Bolt pour l’athlétisme, Michael Jordan pour le basket, Pelé pour le football. Tous ont obtenu le titre de légende dans leur discipline, car leurs exploits dépassent les résultats habituels et ils laissent derrière eux un palmarès inégalé. Même le patinage artistique a été révolutionné dès qu’une athlète noire l’a intégré. On se souvient des prouesses de Surya Bonaly. Elle est d’ailleurs la seule de tout le milieu à qui une figure doit son nom. Toute la magie du génie noir, c’est que même lorsque les noirs accèdent tardivement à une discipline et qu’ils sont les derniers à en apprendre le fonctionnement, ils occupent rapidement la première place, ils ont une longévité unique et surtout ils battent des records jamais égalés.



Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabé, à la tribune de l'ONU. © ONU


Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société. Dans la politique avec des figures emblématiques comme Thomas Sankara et Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, dans les sciences avec Katherine Johnson la mathématicienne qui a permis au premier humain de voyager sur la lune, dans l’anthropologie avec Joseph Anténor Firmin qui a mis en évidence le caractère négroïde des Égyptiens antiques, dans la chirurgie avec le docteur Patricia Bath qui a révolutionné la chirurgie oculaire, dans l’informatique avec Philip Emeagwali qui a inventé l’ordinateur de calcul le plus rapide du monde. Actuellement sa machine sert à prévoir les effets du réchauffement climatique. Dans le domaine de la technologie, on doit la 3G, la 4G et le wifi à Jesse Eugene Russell. Et la liste des apports du génie noir dans le progrès et la modernité est sans fin.


Ava Duvernay, en couverture du magazine The Hollywood Reporter, réalisatrice, productrice et scénariste.


Depuis quelques années, de nouveaux domaines s’ouvrent à la communauté noire et là encore le génie noir se fait remarquer. Dans la mode, il y a le styliste Olivier Rousteing qui accomplit de véritables exploits depuis 10 ans. Dans l’industrie pétrolière c’est la milliardaire Folorunsho Alakija, dans l’archéologie c’est le professeur Félix A. Chami, dans l’astronomie c’est le docteur Fatoumata Kebe, dans le droit c’est l’avocate Dehlia Umunna, dans l’étude de l’histoire c’est le professeur Vincent Brown, dans la réalisation cinématographique ce sont Ava Duvernay et Ryan Coogler, dans les concours de beauté ce sont Deshauna Barber et Sanneta Myrie, dans la robotique c’est Bertin Nahum, dans l’ingénierie ce sont John Magiro et William Kamkwamba, dans la pharmacologie et la biochimie il y a eu le docteur Alfredo Bowman, dans l’aviation c’est Eniola Lawrence, dans la littérature c’est Wole Soyinka et dans le domaine spatial c’est Guion Bluford.



Olivier Rousteing directeur artistique de la maison Balmain. © Estrop/Getty Images



Tous ces exemples sont autant de références qui permettent de réaliser que l’individu noir est habité par l’intelligence, le savoir-faire et l’excellence ! Ces preuves sont essentielles puisque tous les peuples ont été persuadés pendant plusieurs siècles que l’intellect, les inventions et les sciences ne concernent pas le peuple noir. La première victime de cette désinformation est le peuple noir lui-même puisqu’en ignorant ses qualités et ses compétences il est incapable de croire en sa capacité à impulser, à organiser, à diriger, à réussir et à briller ! Dès lors que les noirs reprennent possession de leur identité profonde en découvrant la grandeur de leurs ancêtres et l’exemplarité de leurs contemporains, ils sont inspirés au point de s’engouffrer vers le triomphe.


Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi mettre en lumière le génie noir donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance.

Aucun peuple n’a été lésé dans la distribution de l’intelligence et de la capacité à réussir. Les Guadeloupéens ont d’ailleurs été généreusement dotés puisque proportionnellement à la population de leur île, le taux de héros, de champions et de figures inspirantes est très élevé. Dès que les Africains ont été déportés sur ce territoire, on a pu observer des génies militaires comme Louis Delgrès. Il est le plus célèbre, néanmoins bien d’autres ont existé en Guadeloupe et ont précipité ladite « abolition » de 1848. Louis Delgrès a le mérite d’avoir réussi à tenir en échec l’armée de Napoléon reconnue comme la meilleure de l’époque, pendant plusieurs semaines alors qu’il était en infériorité numérique et technologique. Le génie militaire a continué de s’exprimer au travers de personnage comme Camille Mortenol. C’est grâce à ses hautes compétences en stratégie qu’il a sauvé Paris et tous ses monuments sacrés des bombardements allemands pendant la Première Guerre mondiale. Par conséquent, si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires.



Gerty Archimède à Paris, en 1947. © Rue des Archives. AGIP



Côté politique, c’est l’avocate Gerty Archimède qui incarne l’audace et la sagacité du génie noir. Malgré le fait d’être une femme à une époque particulièrement sexiste et d’être noire dans une ère coloniale, Gerty réussit son cursus universitaire dans le droit et devient la première femme à intégrer le barreau de la Guadeloupe. Sa culture générale et son talent d’oratrice hors du commun la mènent à tenir le rôle de bâtonnier de l’Ordre de Guadeloupe par trois fois. Elle double son titre de pionnière en devenant aussi la première femme député des Antilles. Elle se sert de cette fonction pour lutter contre le colonialisme dans les plus hautes sphères du gouvernement français. Elle n’abandonne pas pour autant sa carrière d’avocat et elle défend gracieusement les plus démunis. Ses compétences en droit pénal sont si remarquables qu’elles sont sollicitées jusqu’en Afrique. Gerty termine sa carrière politique comme maire de Basse-Terre. On reconnaît bien le génie africain à toutes les casquettes qu’elle a portées avec brio et à l’altruisme dont elle a fait preuve toute sa vie. En littérature, la Guadeloupe foisonne également de génies.



Maryse Condé. © Philippe Matsas/Opale/Leemage



On retient le poète Guy Tirolien et l’écrivaine Maryse Condé dont les parcours ont inspiré au-delà des frontières de l’île. Le prix Nobel alternatif de littérature qui a été décerné à madame Condé fin 2018 par des intellectuels suédois rend compte de la portée de son œuvre. Et Guy Tirolien n’est pas en reste avec son poème « Prière d’un petit enfant nègre » qui a connu un succès international. Inutile donc pour les Guadeloupéens de tourner leurs regards vers les États-Unis pour trouver des modèles auprès de Maya Angelou ou Tony Morrison. Ils possèdent leurs propres références.


Et l’excellence guadeloupéenne n’est pas circonscrite à l’histoire ancienne. Plus proche dans le temps il y a Dany Bébel-Gisler qui, en tant que linguiste et sociologue, a largement contribué à donner au créole guadeloupéen le respect et la noblesse qu’il mérite. La qualité des travaux de cette chercheuse lui a valu d’intégrer des instances reconnues mondialement telles que le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Et le créole guadeloupéen n’a pas été valorisé que par des gens de lettres. En effet, le groupe de musique Zouk Machine a offert une visibilité nationale à cette langue avec son hit d’anthologie « Maldon ». En vendant plus d’un million de singles en France hexagonale, ces trois chanteuses guadeloupéennes ont accompli le coup de maître de placer le refrain en créole sur autant de lèvres. Et fait unique dans l’histoire, une chanson en créole est restée neuf semaines en première position des ventes. En 2001, les trois Guadeloupéennes ont même interprété ce titre au pied de la tour Eiffel devant des millions de téléspectateurs ! Le génie musical du groupe Zouk Machine a donc offert au créole guadeloupéen une visibilité jamais atteinte.



Et les records ne sont pas des phénomènes rares pour le peuple Guadeloupéen. Serge Nubret, Marie-José Pérec et Lilian Thuram sont des champions qui ont remporté des victoires internationales et décroché des records extraordinaires. Serge Nubret, champion de culturisme, a gagné les titres de Mr Europe, Mr World et Mr Univers. Il a affronté plusieurs fois Arnold Schwarzenegger qui d’ailleurs avait une grande estime pour ce Guadeloupéen coriace et déterminé. Pour atteindre un niveau international et gagner l’estime d’une légende comme Schwarzenegger en étant issu d’une famille modeste d’Anse-Bertrand, il faut posséder une ambition, un sens de la discipline et un talent qui relèvent du génie ! Marie-José Pérec a elle aussi accompli des prouesses inégalées. Cette sprinteuse guadeloupéenne surnommée la gazelle est la seule qui ait ramené trois médailles d’or olympiques à la France en athlétisme. Elle a également été sacrée deux fois championne du monde du 400m. Elle détient jusqu’à présent le record de France du 200m, du 400m, du 400m haies et du relais 4 × 400m. Son palmarès fait de Marie-José Pérec la plus brillante athlète de France. Une telle accumulation de victoires n’est pas anodine, le génie africain est forcément dans les parages. Plus récemment encore, Lilian Thuram a permis à l’équipe de France de football d’accéder pour la première fois à la finale de la coupe du monde. En juillet 1998, ce défenseur guadeloupéen a inscrit les deux seuls buts du match côté français. Cet acte a ouvert la voie à la première victoire des bleus dans cette compétition mondiale. Oser quitter sa position de défenseur pour se transformer en redoutable attaquant, remarquer la faille de la défense croate, saisir l’opportunité de marquer, calculer la bonne fenêtre de tir, viser juste, doser la puissance adéquate pour le coup de pied, déjouer la vigilance du goal adverse, toutes ces actions ne relèvent pas uniquement de capacités physiques, mais également d’un processus cognitif complexe. Cette succession de décisions judicieuses lui vaudra l’obtention de la Légion d’honneur. Les sportifs ne sont pas juste des muscles qui agissent. Les sacrifices qu’il faut s’imposer, la volonté et la rigueur qu’il faut démontrer, la ténacité et la force mentale dont il faut faire preuve, sont des qualités intellectuelles que ces légendes guadeloupéennes ont poussées à leur paroxysme.


Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance.

En partant à la recherche du génie noir, on réalise qu’il n’est ni disparu, ni loin. Tous les exemples cités prouvent qu’il a survécu à des centaines d’années de déni et de sabotage. Il était présent à l’aube de l’intelligence humaine et il est encore là. En prendre conscience libère l’esprit de l’individu noir de la cage dans laquelle il a été placé. En effet, à force d’être matraqué de modèles occidentaux d'excellence avec en parallèle l’absence de représentations positives auxquelles il peut s'identifier, l’individu noir a été convaincu de son infériorité. Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi, mettre en lumière le génie noir, donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance. Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance. C’est en cela que connaître notre histoire est indispensable : la connaissance de notre génie déclenche la capacité de croire que nous pouvons tout entreprendre et tout réussir. Alors, évadons-nous de notre cage psychologique grâce à la connaissance de nous-mêmes et emparons-nous de l’excellence dont est pétrie notre nature ! Osons, réalisons et triomphons !

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