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Mélissa Matou | Laboratoire FèyÔpéyi

Mélissa Matou | Laboratoire FèyÔpéyi

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, FèyÔPéyi, porté par Mélissa Matou, célèbre le patrimoine naturel guadeloupéen à travers une gamme de produits cosmétiques et nutraceutiques. Ce projet est bien plus qu’une entreprise, c’est un hommage à la richesse botanique de l’île. FèyÔPéyi incarne la fusion entre tradition et innovation, avec un engagement ferme envers la durabilité et la préservation de l’environnement. C’est une déclaration d’amour envers la Guadeloupe et ses trésors naturels, avec la vision d’une reconnaissance internationale. FèyÔPéyi démontre que l’entrepreneuriat peut être une force motrice du changement positif tout en valorisant le patrimoine local.     Fèyôpéyi. Docteure en Biologie moléculaire et cellulaire, avec une spécialisation en phytochimie et en phytocosmétique, j’ai cofondé le laboratoire FèyÔPéyi Bien-être et Cosmétiques aux côtés de mes collaboratrices, Savana André et Mélissa Marillat. Notre mission première est la mise en valeur des plantes aromatiques et médicinales originaires des Antilles et de la Guyane, en mettant en lumière leurs propriétés souvent méconnues ou sous-estimées. Dans cette optique, nous aspirons à développer un laboratoire de recherche et de développement pour créer des cosmétiques, des nutraceutiques et des matières premières innovantes, s’inspirant de la biodiversité locale. L’échec fait partie intégrante du processus entrepreneurial. À mon sens, il n’y a pas de réussite sans quelques revers.   Nous avons déjà lancé sur le marché des produits cosmétiques naturels et avons en projet de proposer des compléments alimentaires à base de plantes locales. Le nom « FèyÔPéyi » porte en lui une signification double, associant les plantes du terroir à l’idée de « fait au pays », en capsulant parfaitement notre engagement envers l’innovation naturelle et locale. Ma motivation principale est de trouver des solutions naturelles et innovantes pour les besoins en cosmétiques et nutraceutiques de notre population, en relevant les défis spécifiques de notre territoire.   Mental d’entrepreneure. L’esprit entrepreneurial a toujours été ancré en moi, et cette entreprise n’est pas la première à laquelle je me consacre. Je suis parfaitement consciente des défis et des risques inhérents à la création d’une entreprise. Le facteur le plus déterminant réside dans une vision claire de nos objectifs. Mon style de leadership est essentiellement de nature managériale. Mes proches me qualifient souvent de diplomate et de patiente. Je suis convaincue que l’harmonie et une attitude positive sont essentielles pour des relations humaines fructueuses. L’échec fait partie intégrante du processus entrepreneurial. À mon sens, il n’y a pas de réussite sans quelques revers. Toutefois, je n’ai jamais réellement accepté l’échec. Mon engagement dans chaque initiative est total, dans le but d’éviter les échecs et, surtout, de ne rien regretter. Mon plus grand défi a été de surmonter ma timidité et de sortir de ma zone de confort. Appartenant à une famille soudée, le soutien indéfectible, en particulier celui de ma mère, représente l’un de mes atouts les plus précieux.     Sa vision. La Guadeloupe doit renforcer ses liens économiques avec la Caraïbe et le monde pour encourager le commerce, l’investissement, et l’innovation. Malgré notre petite taille, notre emplacement au cœur des Caraïbes est stratégique. Il est crucial de briser les barrières mentales limitant notre interaction avec nos voisins et d’exploiter pleinement nos ressources. Ma carrière illustre que le talent local peut être reconnu à l’échelle mondiale, soulignant l’importance de faire valoir et de croire en nos capacités au-delà des frontières.   Il est essentiel que les nouvelles générations s’ancrent dans notre histoire, embrassent notre patrimoine, et démontrent que nous pouvons exceller localement et internationalement. Nous devons cultiver une fierté renouvelée envers notre identité et notre territoire, en bâtissant un avenir où notre héritage est non seulement préservé, mais aussi célébré et valorisé. Réaffirmons notre fierté envers notre identité et notre territoire.

Enrick Plantier | Flamboyant Premier

Enrick Plantier | Flamboyant Premier

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Flamboyant Premier, finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, redéfinit l’éducation en Guadeloupe. Sous la direction d’Enrick Plantier et de ses associés, ce collège privé se distingue par son engagement envers l’excellence et son approche pédagogique personnalisée. C’est bien plus qu’une institution éducative, c’est un lieu où l’ambition et les valeurs guadeloupéennes s’épanouissent. Flamboyant Premier incarne l’entrepreneuriat éducatif avec une vision audacieuse : former une nouvelle génération de leaders et d’innovateurs ancrés dans leur culture et prêts à relever les défis de notre société.     Flamboyant Premier. Flamboyant Premier est avant tout une histoire d’hommes et de femmes. Le point de départ est le centre de soutien scolaire de Jannick Marboeuf. Après de longues années, Malik Kabela et elle ont constaté un déclin de leur impact sur la scolarité de leurs élèves. C’est à ce moment précis qu’ils ont conçu l’idée d’ouvrir un collège pour intervenir plus tôt dans le processus éducatif. Ils savaient que pour mener ce projet à bien, ils avaient besoin de compétences complémentaires, c’est pourquoi ils se sont tournés vers moi. J'ai rapidement compris que fondé une école privée exigeait plus qu'une passion pour l'éducation : il fallait de la détermination, de la pugnacité et une vision claire. Ouvert en octobre 2022, Flamboyant Premier est un collège privé hors contrat qui se distingue par son approche pédagogique unique : des classes de huit élèves maximum, une emphase sur le développement global de l’individu et l’intégration des activités culturelles, sportives, et manuelles pour équilibrer l’excellence académique avec le bien-être de chaque élève. Les cours théoriques ont lieu le matin, suivis d’activités l’après-midi, incluant la gestion de projet pour développer des compétences pratiques et de leadership. Ancrés dans des valeurs d’égalité des chances, nous croyons en la transformation sociale par l’éducation, faisant de Flamboyant Premier un catalyseur de progrès au cœur de la jeunesse guadeloupéenne. Mental d’entrepreneur. L’aventure entrepreneuriale ne m’était pas prédestinée, mais la création de Flamboyant Premier m’a transformé en chef d’entreprise. J’ai rapidement compris que fonder une école privée exigeait plus qu’une passion pour l’éducation : il fallait de la détermination, de la pugnacité et une vision claire. Convaincre, partager notre rêve et surmonter les complexités administratives sont devenus mon quotidien. La réussite de Flamboyant Premier, c’est la concrétisation de notre idée en une entité florissante, en dépit des nombreux défis rencontrés.   Sa vision. Notre histoire et les spécificités culturelles qui en découlent favorisent l’innovation et la créativité. Nous devons proposer des solutions pertinentes aux problématiques locales. Cependant, nous privilégions souvent la sécurité d’un emploi salarié. Nous devons encourager une culture entrepreneuriale qui valorise la prise de risque, la créativité et la persévérance. Il faut reconnaître et célébrer les réussites entrepreneuriales locales afin d’inspirer d’autres aspirants entrepreneurs. La proximité avec d’autres entrepreneurs et le réseau d’organisations professionnelles peuvent renforcer la collaboration et le partage d’expériences. Le deuxième point critique est le financement. Beaucoup d’entrepreneurs ont du mal à obtenir les financements nécessaires pour mener à bien leur projet. Les subventions existent, mais sont souvent peu connues et délivrées trop tardivement. Enfin, le dernier point est l’éducation : nous devons investir dans l’éducation et la formation professionnelle pour développer des compétences adaptées aux besoins de l’entrepreneur.   Cheikh Anta Diop a souligné l’importance de s’armer de science et de reconquérir notre patrimoine culturel. À Flamboyant Premier, nous prenons cette mission à cœur en forgeant une conscience historique et culturelle chez nos élèves, les encourageant à reconnaître et à valoriser nos succès locaux et à se libérer de l’idée que ce qui vient d’ailleurs est meilleur. Cependant, nous avons aussi, individuellement, notre part de responsabilité. Nous aspirons souvent à cacher nos succès. Il est possible d’inspirer sans être dans la vantardise. Nous ne valorisons pas à sa juste valeur nos réalisations. Apprenons à apprécier des parcours comme ceux de Maryse Condé ou Euzhan Palcy.   Notre génération est convaincue que la force de la Guadeloupe réside dans sa capacité à éduquer son peuple, à le nourrir et à lui offrir des opportunités d’emplois. Flamboyant Premier incarne notre engagement en faveur de l’éducation, contribuant ainsi à un avenir où chaque Guadeloupéen peut être fier de son identité, de son patrimoine, et de ses réalisations. Nous sommes déterminés à montrer que l’éducation est le premier pas vers un développement durable et inclusif.

Claude Quenette | Dépozé

Claude Quenette | Dépozé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Dépozé, projet finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, est bien plus qu’une solution de covoiturage. Claude Quénette et Ketline Marie sont en phase de créer une véritable révolution de la mobilité à Marie-Galante. Leur initiative, axée sur l’accessibilité et la durabilité, vise à connecter la communauté tout en favorisant l’économie locale. Dépozé incarne l’esprit d’entreprise et l’engagement envers le territoire, en offrant une nouvelle perspective sur la mobilité. C’est un exemple inspirant de la manière dont l’innovation peut résoudre des problèmes locaux tout en ayant un impact positif sur l’environnement et la communauté.     Dépozé. Avec mon associée, Ketline Marie, nous avons initié un projet ambitieux : développer une solution de covoiturage adaptée aux spécificités de Marie-Galante, envisageant à terme son extension à toute la Guadeloupe. Ce projet pilote incarne notre vision d’un covoiturage accessible à tous, y compris à ceux éloignés du numérique, en intégrant une approche mixte combinant technologie et contact humain à travers une ligne téléphonique et un point de vente physique. Le choix du nom « Dépozé » fait écho à notre volonté de revendiquer une identité locale forte. Ce terme, ancré dans l’usage quotidien des transports en commun de l’île, symbolise à la fois une invitation au voyage et un hommage à notre culture. Cette approche du créole souligne notre attachement aux racines locales, tout en marquant notre ambition de renouvellement. La peur de l’échec est légitime, car les risques sont bien réels, mais cela ne devrait jamais être un frein, mais plutôt une force pour s’appliquer et dépasser cette peur.   Notre objectif est double : dynamiser l’économie locale et améliorer la mobilité des habitants, le tout dans une démarche respectueuse de l’environnement. Dépozé se veut être notre contribution au bien-être collectif, offrant une solution concrète à une problématique de mobilité, tout en favorisant l’épanouissement sur nos territoires grâce à nos savoir-faire.     Mental d'entrepreneur. L’entrepreneuriat a toujours été pour nous une vocation, une aspiration à matérialiser des solutions pour notre territoire. Ce désir s’est concrétisé après nos études, marquant le début de notre aventure entrepreneuriale. Nous avions hâte de monter ces projets qui nous habitaient depuis si longtemps.   La peur de l’échec est légitime, car les risques sont bien réels, mais cela ne devrait jamais être un frein, mais plutôt une force pour s’appliquer et dépasser cette peur. Le défi majeur pour moi a été de créer une plateforme en ligne, un domaine éloigné de ma formation initiale. Cette épreuve a renforcé ma volonté de réussir. Au sein de Dépozé nous tenons à développer un leadership participatif donnant à chacun une voix et une chance d’être entendu. C’est notre façon de créer un environnement où chaque utilisateur se sentira à l’aise et écouté.   Sa vision. Notre vision pour la Guadeloupe est audacieuse. Nous croyons que pour bâtir une économie solide, chaque individu doit prendre conscience de son potentiel. Nous appelons à l’encouragement des générations futures à embrasser l’entrepreneuriat, à cultiver leur richesse intellectuelle, culturelle et personnelle, et à ne pas avoir peur de rêver grand. C’est en formant les générations à venir et en leur ouvrant la voie que la Guadeloupe créera un écosystème performant soutenant la création d’entreprise. Les parents ont un rôle crucial à jouer en transmettant ces valeurs à leurs enfants. Nous croyons également qu’il est essentiel de mettre en avant les talents locaux pour inspirer les entrepreneurs de demain.   En fin de compte, la mission de notre génération est de catalyser le changement et d’encourager la prospérité, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures et la Guadeloupe dans son ensemble.

Kisilya Seymour | Baloya

Kisilya Seymour | Baloya

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Projet finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, Baolya incarne une révolution dans le domaine de la périnatalité en Guadeloupe. Kisilya Seymour, à l’origine de ce projet, offre bien plus qu’un simple service : elle crée un havre de paix pour les futurs parents. Baolya représente l’union parfaite entre tradition et modernité, avec un accompagnement holistique qui s’inspire de la culture guadeloupéenne. Le projet a pour ambition de transformer radicalement l’expérience périnatale en mettant l’accent sur le bien-être des familles. C’est un engagement envers la Guadeloupe et son avenir, une preuve que l’innovation et la compassion peuvent avoir un impact réel sur la communauté.     Baolya. Ma passion pour la périnatalité, ancrée dans la richesse culturelle de notre territoire, a guidé mon parcours depuis mes premiers pas en tant qu’infirmière jusqu’à la fondation de Baolya, le premier et unique centre périnatal de la Guadeloupe. Ce lieu, où se rencontrent nature, traditions et expertise périnatale, est le résultat de mon expérience personnelle transformée en vocation d’entrepreneure, motivée par le désir d’offrir aux familles un accompagnement holistique, allant bien au-delà du suivi médical. C’est ainsi qu’est né Baolya, un écosystème où se trouve une équipe pluridisciplinaire, passionnée et à l’écoute, comprenant une sage-femme, des doulas, une kinésithérapeute, un orthophoniste, des psychologues, un sexothérapeute… qui accompagnent les futurs et jeunes parents à travers des consultations individuelles, des ateliers et des évènements collectifs.   Pour moi, réussir c’est avoir un but vers lequel aller et traverser les étapes pour y arriver, tout en savourant le voyage et ses aléas. « Baolya » fusionne « baobab », l’arbre de vie, et mon prénom. Ce nom incarne notre philosophie : soutenir la vie, dès ses premiers instants, dans un esprit de connexion et d’harmonie.   Mais pourquoi tout cela ? La Guadeloupe fait face à un défi alarmant. Plus d’un tiers des parents ici vivent un mal-être pendant leur grossesse, un pourcentage bien au-dessus de la moyenne nationale française. Les 1 000 premiers jours de la vie d’un bébé, de la grossesse à l’entrée en maternelle, sont cruciaux pour son développement. Pour élever des enfants épanouis, il faut des parents sereins. À ce jour, Baolya a déjà accompagné plus de 200 familles guadeloupéennes. Cependant, notre mission ne fait que commencer. Mon rêve est de faire de Baolya la référence en matière d’accompagnement périnatal en Guadeloupe. Nous avons l’intention d’étendre notre influence en ouvrant un deuxième centre en région basse-terrienne et de proposer des consultations ainsi que des ateliers virtuels pour atteindre encore plus de familles.   Mental d'entrepreneure. Quitter mon emploi salarié pour lancer Baolya fut une décision dictée par un déséquilibre entre mes valeurs et ma pratique professionnelle. J’étais tout à fait consciente des risques et des efforts à fournir au vu d’un tel changement, mais ils ne pesaient pas lourd face à ma détermination. Bien sûr, il y a eu des doutes en cours de route, mais chaque obstacle rencontré m’a permis de grandir, me défaisant de mon ancien mindset de salariée pour embrasser pleinement la vie d’entrepreneure.   Pour moi, réussir c’est avoir un but vers lequel aller et traverser les étapes pour y arriver, tout en savourant le voyage et ses aléas. C’est ressentir de l’épanouissement et de la satisfaction quand on regarde le chemin parcouru. Voir que l’on a évolué en une meilleure version de nous. Je tire satisfaction de l’évolution positive de mon parcours et je suis reconnaissante du soutien inconditionnel de mon entourage à chaque étape de mon projet.     Sa vision. En ce qui concerne ma vision pour l’avenir de l’entrepreneuriat en Guadeloupe, je crois en l’importance de l’éducation et de l’acculturation à l’entrepreneuriat. Il est crucial d’enseigner aux jeunes les compétences nécessaires pour créer et développer une entreprise, tout en simplifiant l’accès aux aides. Mon expérience m’a montré que l’accès aux aides existantes peut s’avérer être un véritable parcours du combattant, en particulier lorsque votre projet ne correspond à aucune catégorie préétablie.   Ma mère m’a toujours dit : «  Fo'w plen avan ou débodé.  » Les illustrations de réussite qui nous entourent dès notre plus jeune âge proviennent principalement de l’extérieur. Mettre en avant les exemples de réussite locales est essentiel pour nourrir l’identité et l’estime de soi des individus. Il est par conséquent primordial de connaître notre passé et de valoriser nos succès. Comme le dit un proverbe africain, «  on soigne les blessures sur sept générations  ». Notre génération est la septième après l’esclavage. Nous sommes donc à un moment de l’histoire où nous avons la possibilité de guérir profondément les traumatismes transgénérationnels, ce qui nous ouvre de nouvelles perspectives. À mon avis, la mission de notre génération est de redéfinir ce que signifie être Guadeloupéen et de donner une nouvelle dimension à cette identité.   En conclusion, avec Baolya, je m’engage à apporter un changement positif dans la vie des familles guadeloupéennes en leur offrant un accompagnement périnatal d’excellence. J’espère que cet engagement encouragera d’autres jeunes entrepreneurs Guadeloupéens à suivre leur passion.

Lespri Kaskòd ou l’avènement d’une puissance économique noire.

Lespri Kaskòd ou l’avènement d’une puissance économique noire.

Par Corinne Thimodent Photos : Teddy Vestris, Yvan Cimadure 12 years a slave ne s’affichait pas encore à l’écran que nombre d’entre nous savaient déjà, conscients de la persistance d’injustices – vivant ici, que le processus d’émancipation n’étant pas achevé qu’il nous faudrait sans cesse et sans répit poursuivre cette œuvre en nous construisant chacun, au bénéfice d’un nous-mêmes symbiotique, des chemins de libertés. Libertés qui au cours de ces quinze dernières années s’exprimant en mille et une manières créatives font démentir les « pas possible » et évoluer nos manières d’agir, jusqu’à déferrer ce droit naturel à tout homme d’entreprendre son territoire. Certain, une autre Guadeloupe se levait. Était-ce à son tour de faire sa part autant que de prendre (sa) part, moins qu’en quinconce, aux festins des responsabilités économiques, synonyme de pouvoir et pour beaucoup d’une forme d’indépendance ? Une Guadeloupe, rassurée sans doute, depuis l’affirmation du Gwoka au patrimoine mondial de l’humanité et l’avènement de l’accras, sublimé en mets déstructurés de maîtres-chefs, de la valeur de ses apports au monde. À nous, que nos aînés destinaient à toutes autres fonctions dirigeantes plus intellectuelles que manuelles, d’accéder aux implications autres que politiciennes ? Lespri Kaskòd est le fighting spirit d’une identité agile dont l’acte premier est de combattre les déterminismes. Moins évidente est la tâche. Car, s’il revient à chaque génération de trouver sa mission, la nôtre aussi ardue que passionnante, revêt tout d’un rôle modèle de pionner, appeler à faire exister ce qui n’est pas encore ou peine à surgir en business plan recevable ? À nous, qui revenions de loin… De l’article 28 du Code noir, plus précisément. Lequel, organisant notre pauvreté, déclarait que «  les esclaves ne pouvaient rien avoir qui ne soient à leur maître ; et que tout ce qui leur venait de l’industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, était acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions déclaraient nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef » . Les volontés d’investir et de s’investir hors des univers connus de la politique, du fonctionnariat, du monde libéral en son statut d’arbitre, ainsi durement confrontées à ses interdictions légales, même après l’abolition du code les ayant établies, ont dû dès lors s’adapter, développer des stratégies de contournement faisant émerger Lespri Kaskòd. Un pur état d’être aux versions multiples, aussi bruyant que silencieux, révolutionnaire et résilient, hors posture du langage, chaque exemple qui en témoigne transcende la parole. D’abord en ba bwa , respectant la consigne de Dominik Coco, nos initiatives semblèrent amusantes, vaines pour les tenants du tout-import, qui cependant émargeaient aussi à l’export ; tant qu’il ne s’agissait que de banane, de rhum et de sucre. Tant que la production locale demeurerait une Hispaniola dont on ne cessait de vanter le potentiel tout en l’évidant de ses projets structurants, vite ramenés pour le confort plus que pour le bien d’une poignée à leur plus simple expression d’artisanerie. Mais à mesure que les productions locales, plus médiatisées, se frayaient des marchés, avec ses locomotives en têtes de pont, lustrées de l’indigo de ces noms devenant communs, l’ennemi, plus que jamais, allait s’arc-bouter aux privilèges surfaits d’une économie de comptoir en sursis, où le rôle de chaque acteur, chaque groupe était en train de se redéfinir. Le contrecarrer ? Non : Kaskòd ! L’enfant du professeur instruit-poète retournait à la terre, élever des poulets bio distribués en circuit court, de sorte que la valeur créée restât plus longtemps ici – Ô peyi – avant d’abonder d’autres mains. Kaskòd, aussi dans sa tête et tout son corps, les descendances des maîtres d’hier, qui, souscrivant entièrement à l’Histoire, portaient fièrement aux Galeries Lafayette leurs Biguines-Madras en Fwans, où elles ne cachaient plus ni un créole parfait ni une guadeloupéanité assumée. Les deux appartiennent au blason du Chevalier de Saint-Georges qu’une voix de Ladrezau rend, sans citation, plus vivant que jamais. Lespri Kaskòd est le fighting spirit d’une identité agile dont l’acte premier est de combattre les déterminismes. Et parce que nous avons appris de nos aînés, l’équilibre pour nous vient d’une quête de complémentarité, révélatrice de notre capacité unique à transmuter en beau et bancable ce qui, a priori, ne l’est pas. Manifester ! Amener à la réalité. Comme pour le mot « nègre », qu’il convient d’écrire avec un grand N, l’entrepreneur guadeloupéen – le sociétal, est ce Nouveau Colon de niches rendues par son engagement exemplaire, au-delà de la notion de travail, des cavernes d’Ali Baba. Fabienne Youyoutte, illustre ce propos, tant elle apporte au monde économique, sans faire de vagues à la surface, par touches disruptives en profondeur, ses textures généreuses aux saveurs originales, mariant notre île avec tous-les partout qui la composent. Elle a fait bouger les lignes. Oui, elle a su, couronnée de la reconnaissance de ses pairs du titre professionnel de Meilleur Artisan de France, asseoir sa notoriété pour obtenir une inclusion méritée au circuit des tour-opérateurs. Elle est la pause gourmande obligée des touristes comme des natifs de passage ou résidents qui prescrivent l’adresse, mais surtout y reviennent tous, conquis par l’audace de ses préparations. Oui, Youyoutte est désormais une marque constituée des attributs de son savoir-faire et des résultats financiers qui la distinguent et valident son ouverture à la franchise. Elle incarne, sans aucun renoncement à ce qui fait d’elle une femme, noire, une personne à part entière, l’excellence au présent du faire avec et voir plus loin, de Lespri Kaskòd !

Orlane Tancons | Orlane & Célian

Orlane Tancons | Orlane & Célian

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Finalistes du Grand Prix Fabienne Youyoute, Orlane Tancons et Célian Cafournet apportent une touche d’innovation à l’entrepreneuriat guadeloupéen. Leur plateforme, « Orlane & Célian », valorise les petites entreprises locales tout en offrant une nouvelle manière de découvrir la Guadeloupe. C’est une ode à l’esprit d’entreprise et à l’engagement envers le territoire. Leur projet incarne l’idée que l’innovation locale peut avoir un impact profond, en enrichissant l’économie de l’île tout en honorant ses trésors cachés. Orlane & Célian. Avec Célian Cafournet, nous avons lancé Orlane et Célian , une initiative née de notre amour inconditionnel pour notre île, la Guadeloupe, et notre passion pour l’aventure. Actuellement en fin de cursus d’ingénieur à Paris, nous sommes animés par le désir de revenir enrichir notre «  péyi » avec ce projet ambitieux. Notre aventure a commencé sur les réseaux sociaux, où nous partagions nos découvertes, rassemblant une communauté de plus de 110 000 passionnés. Notre e-book « Guide Péyi », dévoilant nos 50 adresses préférées et téléchargé plus de 7 000 fois, a connu un succès retentissant, soulignant le besoin d’une plateforme dédiée à la découverte de la Guadeloupe.   Il fut un temps où je percevais la réussite comme une série d’accomplissements personnels, tel que l’excellence académique. Notre mission est de promouvoir les petites entreprises locales en leur offrant visibilité et soutien, tout en proposant des réductions exclusives à nos abonnés. Ce modèle gagnant-gagnant favorise l’économie locale et enrichit l’expérience des résidents comme des visiteurs. En participant au Grand Prix Fabienne Youyoutte, nous espérons décupler notre impact, favoriser notre développement, et continuer à hisser haut les couleurs de notre île sur la scène mondiale. Mental d’entrepreneure. L’entrepreneuriat représente pour moi une voie d’apprentissage constant. En tant qu’étudiante, j’ai pris la décision audacieuse de me lancer dans cette aventure convaincue que c’était le moment idéal. Certes, cette route peut parfois susciter des appréhensions, mais c’est aussi ce qui la rend palpitante.   Il fut un temps où je percevais la réussite comme une série d’accomplissements personnels, tel que l’excellence académique. Désormais, je vois le succès comme l’impact positif que l’on peut avoir sur la Guadeloupe, en engageant des actions et en établissant des entreprises qui enrichissent l’économie locale, mais qui renforcent aussi la résilience et la cohésion de notre communauté.   Sa vision. Je suis fermement convaincue que pour établir une économie guadeloupéenne robuste et un écosystème entrepreneurial prospère, nous avons besoin d’un solide soutien de notre communauté envers les entreprises locales. À leur tour, ces entreprises doivent innover, se distinguer et s’adapter pour rester compétitives. Il est impératif de sensibiliser les porteurs de projets aux multiples opportunités qui s’offrent à eux, notamment les concours et les aides institutionnelles, tout en favorisant le réseautage et la collaboration entre les entrepreneurs. Cela contribuera à multiplier les échanges d’expériences et à offrir de nouveaux modèles de réussite aux générations futures. La tendance à se tourner vers des succès extérieurs pour s’inspirer s’explique par le manque de visibilité accordée aux réussites guadeloupéennes, en dehors des domaines du sport et de la musique. Il existe de nombreux entrepreneurs talentueux sur notre territoire, mais leurs histoires et leurs succès ne sont pas suffisamment mis en avant. Pour changer cette dynamique, nous devons mettre en avant les entrepreneurs guadeloupéens comme modèles de réussite, inspirant ainsi la jeunesse à chercher l’inspiration au sein de leur propre communauté.   Bien que réticente à définir une mission universelle pour ma génération, je constate que la génération (Z) possède un potentiel immense pour façonner l’avenir. En nous concentrant sur la durabilité et l’innovation, en exploitant la technologie pour le développement économique tout en préservant notre riche patrimoine culturel, nous pouvons créer un avenir prometteur pour la Guadeloupe

De 6 à au moins 7 chiffres, de chiffre d’affaires, est-ce encore possible ?

De 6 à au moins 7 chiffres, de chiffre d’affaires, est-ce encore possible ?

Par Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Tatiana Pavlova La pandémie de Covid-19 a frappé certaines industries beaucoup plus durement que d'autres. Les secteurs de l'automobile, de la mode et du luxe ont vu leurs revenus baisser de 10 à 15 % en 2020 par rapport à l'année précédente. Les sociétés pétrolières et gazières ont connu des baisses plus importantes de plus de 20 %, et les sociétés de voyages et de tourisme ont vu leurs revenus chuter de près de 50 %. En revanche, les sociétés biopharmaceutiques et technologiques ont elles connu une augmentation respective de 7 % et 6 %. De même, les régions géographiques ont connu des niveaux de retombées variables. Les entreprises basées en Espagne, au Portugal, en France et en Inde ont été les plus durement touchées, connaissant une baisse moyenne de leurs revenus de 7 % à 8 % de 2019 à 2020. Les entreprises basées au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche et au Japon s'en tirent légèrement mieux, avec une baisse du chiffre d'affaires de 3 à 5 %. Dans le même temps, certains pays, comme le Brésil et la Grande Chine, ont vu leur chiffre d'affaires global augmenter en 2020 d'environ 6 %. © Sumaid Pal Singh Dans un contexte d’incertitudes, comment est-il encore possible d’atteindre 7 chiffres et plus de CA ? On ne reviendra pas ici sur les fondamentaux tels que la pertinence de l’offre de valeur de l’entreprise sur son marché, les méthodes adaptées en gestion de projet, le suivi rapproché de la trésorerie… mais de l’apport de la transformation numérique de l’entreprise. Ce sujet était déjà bien présent avant la pandémie et il le devient encore plus après. La transformation numérique de l’entreprise et son approche de vente sont véritablement un moteur de croissance pour l’entreprise. Réinventez vos modèles commerciaux, et tant que possible tirez profit des données. Recherchez le modèle commercial adapté à l’entreprise dans une approche dynamique, basée notamment sur l'apprentissage, l'adaptation, la collaboration. Vous pouvez décider de réinventer le modèle d'entreprise et choisir de co-optimiser vos avantages commerciaux. Ainsi vous créez de la valeur pour votre client final et exercez une influence au-delà de votre propre entreprise. Prenons l’exemple de l'assureur chinois Ping An. Il a fondé sa structure en 1988 en tant que compagnie d'assurance traditionnelle, mais il s'est récemment transformé pour devenir un leader numérique. L'entreprise a créé une grande variété de services numériques pour établir des relations clients et générer des données : il a beaucoup investi dans l'intelligence artificielle (IA), il a connecté les bases de données clients dans toute l'entreprise avec des systèmes d'IA et des plateformes de décision et il a formé des collaborations, telles qu'une coentreprise numérique avec Alibaba et Tencent, pour améliorer davantage ses capacités. Ces capacités lui ont permis de devenir la compagnie d'assurance la plus appréciée au monde. © Getty images Tirez parti des données. La transformation de l’entreprise devrait être envisagée en gardant à l’esprit dès le début, l’exploitation continue des données qui pourront être collectées. Les données ont de la valeur. Le fait de tirer parti des plateformes pour collecter, organiser, et exploiter les données permet les analyses prédictives sur votre marché et selon la qualité des données, celles d’autres marchés. L’accélération du commerce électronique, « e-commerce », est un bon exemple. Bien que les chaînes d’approvisionnement mondiales aient été perturbées, les entreprises qui ont su rapidement prioriser le passage au commerce électronique sur leur propre site ou plateformes en ligne et qui ont plus largement intégré l’automatisation des processus ont récupéré un avantage concurrentiel certain. D’une part, les entreprises y ont trouvé leur avantage : réduction des coûts de point de vente, diminution du risque, augmentation de la marge des bénéfices, augmentation de la portée géographique et du CA. D’autre part, les volumes et les observations qu’elles auront collectés, une fois traités et organisés serviront à prendre des décisions et à ajuster les prochaines stratégies. Ce ne sont pas la taille ou la capacité financière de l’entreprise qui fera la différence, mais l’attitude et les capacités des décisionnaires. Un autre exemple est celui de l’entreprise Pandora. Le détaillant de bijoux danois Pandora, avec 2 700 magasins, l'une des plus grandes marques mondiales de la catégorie, sur les dernières années a dû fermer 90 % de ses magasins et a fait le choix stratégique de digitaliser l'expérience de la marque et de développer une approche omnicanale. La COVID-19 a compliqué les plans. Toutefois, la direction est restée fidèle à son plan de transformation pendant la pandémie et a même intensifié ses efforts. L'entreprise a ouvert une unité numérique dans sa ville-siège de Copenhague et l'a dotée d'environ 100 ingénieurs en logiciel, qui ont été chargés de renforcer la présence numérique de Pandora et d'accélérer le passage au commerce électronique. Le hub numérique a déployé de nouvelles fonctionnalités comme une simulation d'essayage virtuel, un assistant d'achat à distance et de nouveaux canaux de distribution permettant aux clients d'acheter des produits en ligne et de les récupérer (ou de les retourner) dans les magasins physiques. En marketing, l'entreprise a augmenté ses dépenses médias et lancé des campagnes d'e-mailing personnalisées. Les initiatives de commerce électronique ont généré des résultats rapidement. Les ventes en ligne en 2020 ont dépassé les ventes en magasin pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise. Et Pandora continue d'investir dans de nouvelles capacités dans des domaines tels que la science des données et l'analyse avancée. © Sumaid Pal Singh Restez agile, avancez en mode n .0. Ces transformations requièrent une direction technique et une équipe de préférence dédiée, capables d’identifier rapidement les tendances émergentes et dans un contexte d’incertitude de prendre des décisions rapides telles que « se tenir au plan » ou « s’adapter » L’entreprise Bed Bath & Beyond. Fin 2019, un nouveau PDG, Mark Tritton, a pris la relève. Il est venu avec une expérience antérieure dans la direction de la croissance axée sur les marques, les produits et des redressements omnicanaux. La pandémie a modifié leurs plans. Malgré l'incertitude, Tritton a vu la pandémie comme une chance d'accélérer et d'adapter certains éléments de la transformation. Il a réussi à constituer une équipe de direction de classe mondiale qui s'est concentrée sur un certain nombre d'objectifs spécifiques tels que : préserver la liquidité et renforcer la flexibilité financière en réduisant l'endettement ; réduire l'empreinte physique de l'entreprise en fermant définitivement plusieurs magasins ; accélérer le passage de la distribution multicanale à la distribution omnicanale et dévoiler leur plan de création de valeur dans le cadre d'une journée investisseurs. Sans parler de son CA, l'activité numérique et omnicanale a attiré 10,6 millions de nouveaux clients numériques (près du double du nombre de 2019), dont 5 millions de nouveaux clients de la marque. À la mi-2021, le cours de l'action oscillait autour de 30 $, contre 10 $ juste avant l'annonce de l'embauche de Tritton. Enfin, vous l’aurez compris, concentrez-vous sans relâche sur la transformation numérique de l’entreprise. Ne considérez pas la période pandémie, d’après pandémie ou la santé financière de l’entreprise pour arrêter la mise en œuvre d’un plan de transformation. C'est justement l'occasion de réfléchir à des changements ambitieux qui n'auraient peut-être pas été possibles dans des circonstances habituelles. IDC (International Data Corporation) rapporte que les investissements dans la transformation numérique vont augmenter à un taux de croissance annuel combiné de 15,5 % entre 2020 et 2023. D'ici 2023, 75 % des organisations disposeront de « feuilles de route complètes pour la mise en œuvre de la transformation numérique », contre seulement 27 % en 2020. Ce ne sont pas la taille ou la capacité financière de l’entreprise qui fera la différence, mais l’attitude et les capacités des décisionnaires. Les entreprises qui ont du mal à se lancer dans cette transformation peuvent commencer par des initiatives plus petites et plus ciblées pour renforcer leurs capacités et leur élan. Reste à savoir quel est votre niveau d’ambition. Votre vision du monde de demain ?

L'entreprise une pépinière de talent

L'entreprise une pépinière de talent

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Monique Ben À l’heure où il est beaucoup question de recrutement de talent et de leur fidélisation… Et si l’herbe était déjà verte sous nos pieds ? Et oui, et si des talents cachés se trouvaient au sein même de vos équipes, et si ces derniers ne demandaient qu’à éclore ? À travers cet article, nous aborderons la notion de talent, sa détection, son management et sa fidélisation. Mais avant tout… de quoi parlons-nous ? Qu’est-ce que le talent dans l’entreprise ? Le talent en entreprise revêt différentes approches. Celle qui nous intéressera ici portera sur la détention par un individu d’une ou de plusieurs aptitudes. Il s’agit ici d’une aisance naturelle renforcée ou pas par sa formation et/ou son expérience professionnelle et/ou extra-professionnelle. Nous parlons donc d’aptitudes souvent liées à la personnalité, au tempérament même de l’individu. À noter que le talent n’est pas automatiquement su de l’individu lui-même et n’a pas forcément eu l’occasion de s’exprimer dans ses expériences passées ni au sein de votre entreprise. Et c’est là tout l’enjeu du management et de l’accompagnement ! Comment identifier les talents ? Dans le processus de management des équipes et de la gestion des ressources humaines, plusieurs étapes sont au service de l’identification des talents. C’est ainsi que les entretiens annuels d’évaluation et de progrès (EAEP) et les entretiens professionnels sont des outils essentiels qui permettent de cartographier les compétences internes. En effet, l’EAEP constitue un moment formel permettant d’analyser les performances des collaborateurs, faisant ainsi apparaître leur champ d’expertise, mais également lorsque celui-ci est mis à contribution : leur talent. L’entretien professionnel, lui, permet, dès lors que les conditions nécessaires sont créées, de donner une occasion d’échanges qui peut permettre l’identification et l’expression de talent. Il s’agit de favoriser les situations où le talent du collaborateur pourra être sollicité, permettant ainsi une reconnaissance de cette aptitude et de facto une reconnaissance du collaborateur. Mais avant tout, les managers sont en première ligne pour être à l’affût des talents internes. En effet, qui mieux que le manager peut déceler, observer, être témoin de l’expression du talent chez son collaborateur. Prenons pour exemple, un personnel assurant des livraisons qui, au retour de sa tournée, recueille régulièrement des commandes supplémentaires de clients livrés grâce à son relationnel et son bagout, sans pour autant exprimer une appétence pour les métiers de vente. Ou encore, le(la) chargé(e) d’accueil qui en l’absence de votre référent(e) SAV excelle dans la gestion de litiges client. Le talent, c’est aussi le collaborateur qui fait preuve de créativité et d’innovation permettant à l’entreprise de se réinventer et de faire face à ses problématiques inédites ou encore de développer des projets innovants… Autant d’exemples qui nous amènent à nous poser la question : prêtons-nous suffisamment d’attention à ce type d’éléments, ne passons-nous pas à côté de potentiels inexploités ? Nous comprenons donc que le manager doit avoir la capacité de prendre du recul, d’analyser les pratiques (ce que les collaborateurs prennent plaisir à réaliser, ce sur quoi ils sont à l’aise) et de sortir du cadre. Oui, sortir du cadre et de l’ordre établi pour analyser de manière exhaustive le plein potentiel des membres de son équipe. Cela exige de favoriser un climat de confiance, de communication et de transparence. © Natalia Blauth Comment manager et accompagner un talent ? Après avoir décelé un talent, il s’agit de mener une réflexion stratégique sur la façon dont l’entreprise et le collaborateur pourront mettre à profit ce talent dans une logique gagnant-gagnant. Sachant que le collaborateur peut ne pas avoir conscience de ce talent, il peut être nécessaire de l’accompagner dans cette prise de conscience et de valorisation. En effet, ledit talent peut être perçu comme une aptitude banale par le collaborateur tant sa mobilisation lui est simple et naturelle. Il s’agira ensuite de structurer et de cadrer la mobilisation du talent. Gardons en tête que déceler un talent n’est pas synonyme de bouleversements dans l’organisation de l’entreprise. Il s’agit de favoriser les situations où le talent du collaborateur pourra être sollicité, permettant ainsi une reconnaissance de cette aptitude et de facto une reconnaissance du collaborateur. Une vision tronquée pourrait considérer qu’il s’agit d’adapter l’entreprise aux individus. En réalité, la démarche est bien plus vertueuse... Ne l’oublions pas, la reconnaissance n’est pas que financière. Dans d’autres cas, le talent est tel qu’il s’agira d’opérer des changements dans l’organisation (changement de poste, évolution de la fiche de poste…) afin que l’entreprise et le collaborateur expriment au maximum ce talent. L’illustration peut être le livreur qui, désormais, a une prime de commande client, ou qui évolue vers un poste de commercial. Se pose alors la question de la formation. Le talent brut peut en effet également nécessiter une formation annexe qui pourra affiner ce qui est fait naturellement ou viendra apporter les compétences manquantes pour la pleine réussite au nouveau poste. Pour poursuivre l’illustration, cela pourrait être une formation sur l’outil informatique pour le livreur devenu commercial. Il s’agit ensuite d’assurer un suivi régulier du collaborateur afin de s’assurer de son épanouissement dans les missions ponctuelles confiées, son épanouissement au nouveau poste le cas échéant. © Getty images Faire du Talent Management c’est aussi cela à l’échelle de nos TPE et PME locales. À l’heure où l’agilité est de mise au regard de l'actualité et de la nécessaire adaptabilité : et si la réussite du collectif passait également par là… Une vision tronquée pourrait considérer qu’il s’agit d’adapter l’entreprise aux individus. En réalité, la démarche est bien plus vertueuse : optimiser la capacité de l’entreprise à capitaliser ses ressources internes et aller plus loin ensemble grâce à l’unicité de chacun qui, à la bonne place dans le système, contribue encore davantage à la performance collective. Et le talent non exploitable au sein de mon entreprise ? Le plus souvent, cette question se pose dans le cas de collaborateurs, conscients de leur talent, qui s’essoufflent et finissent par ne plus avoir d’intérêt pour leur mission. Dès lors que le collaborateur montrera des signes de démotivation, il s’agira alors de préparer son départ de l’entreprise en organisant et en optimisant la transmission des compétences liées au poste occupé. Alors nous vous posons la question : quels sont les talents cachés, ignorés, sous-mobilisés au sein de votre entreprise ? Enfin, et vous dirigeant ? Quel est votre talent ? S’exprime-t-il pleinement ?

Le défi de l'adaptation permanente

Le défi de l'adaptation permanente

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Sergey Vinogradov Lorsque la résilience est la seule issue, nos entrepreneurs savent faire preuve de flexibilité. Une vérité généralisable à l’ensemble du monde économique et cela au-delà des frontières : les évolutions font partie du paysage économique, social et environnemental. Penser l’entreprise, penser l’entrepreneuriat signifie s’ouvrir à l’exercice de l’adaptation permanente : s’adapter pour réussir, s’adapter pour se faire connaître, s’adapter pour vivre, s’adapter pour survivre ! Deux choix : Impulser le changement ou le subir. La crise sanitaire est l’illustration véritable du défi de l’adaptation, où l’immobilisme n’est pas une issue possible. Nos organisations ont ainsi été mises à rude épreuve et continuent d’être en perpétuel mouvement. Mais quels ont été les leviers de cette flexibilité ? Comment gérer l’après ? Devons-nous relâcher l’attention ? Comment être dans l’anticipation ? Comment assurer des conditions de travail propices à la performance de l’entreprise ? Quels sont les changements de comportement ? Le changement est par définition le fait de modifier quelque chose, le passage d’un état à un autre. Dans l’entreprise, cette notion prend tout son sens, et ce même à très petite échelle : évolutions réglementaires, changement de pratiques, modification d’organisation de travail, distanciel, départ de collaborateurs, intégration de nouveaux collaborateurs, changement de logiciel… Changer induit une modification des habitudes pour l’organisation ainsi que les individus qui la composent. Commence alors un cheminement plus ou moins long en fonction de l’appétence au changement de votre entreprise : le choc, le déni, la frustration, la dépression, l’expérience, la décision et enfin l’acceptation. La clé de la réussite du processus réside dans notre capacité, en tant que manager, à anticiper et à accompagner ce processus. Une approche experte qu’il est indispensable de maîtriser. © Faruk Tokluoglu Le fondement de la flexibilité réside avant tout dans le sens de l’action. Il n’est pas question de changer pour changer, mais bel et bien pour la performance réelle de l’organisation. Pour ce faire, quatre piliers indispensables : donner du sens, adopter une communication transparente, capitaliser sur une coordination des équipes (mobiliser les influenceurs avec efficacité) et identifier le bon moment (dans la mesure du possible). Faites de vos collaborateurs des acteurs du développement en intégrant la co-construction dans votre mode de management. Voilà une nouvelle casquette ajoutée au panel de l’entrepreneur. « Facile à dire », dirons-nous ! Dans les faits, de nombreuses actions font déjà partie de l’ADN des entreprises et prennent racine dans l’histoire de nos organisations. Nous faisons ici allusion à la capacité de résilience face aux évènements notamment climatiques ou sociaux, notre nécessaire adaptation dans notre vie quotidienne pour faire face aux demandes ou obligations liées à notre statut de citoyen. Notre adaptation est d’autant plus simple lorsqu’elle est dictée par une logique ayant du sens pour nous, lorsqu’elle est proche de nous et nous semble accessible. Au sein de l’entreprise, le mécanisme est le même. Il est ici question de préparer les éventuels changements en créant une dynamique créatrice par l’ancrage du collaborateur au sein de l’entreprise : favoriser une communication par le sens et jouer la carte de la transparence de l’information pour impulser un sentiment d’appartenance. Comment identifier la limite entre dire et en dire trop ? En raisonnant autrement, nous pouvons avancer que vos collaborateurs sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise, comment parler d’une entreprise que nous ne connaissons pas vraiment ? Changeons les paradigmes et privilégions la performance et le développement des acteurs de l’entreprise. Faites de vos collaborateurs des acteurs du développement en intégrant la co-construction dans votre mode de management. Une co-construction au service d’une organisation apprenante. Ainsi, capitalisez sur chaque situation, chaque adaptation à tout niveau de l’organisation en vue d’une progression collective. © Busra Ince Les RH le moteur d’un changement efficient. Identifier et adapter les leviers de motivation pour en faire bon usage. Nous ne parlons pas que de motivation financière, mais bien d’améliorer votre connaissance de votre équipe et de ses aspirations. Management, méthode de travail, qualité de vie au travail, bien-être, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, culture d’entreprise sont des leviers mobilisables indépendamment de la taille de votre organisation. Manager le changement n’est pas sans risques sans une stratégie d’action finement réfléchie et anticipée. Créer et cultiver une culture d’entreprise permet d’avancer plus sereinement au sein d’un environnement mouvant de manière collective et soudée, telle une chrysalide faisant bloc face aux turbulences de l’extérieur tout en ayant la capacité à se développer. La culture d’entreprise est unique à chaque entreprise, elle fait référence à un socle de fonctionnement commun réuni autour de valeurs, de rites, d’une histoire, d’une mission, d’une vision, d’une identité propre et de l’identité du/de la dirigeant(e). En général, elle n’est pas notre priorité au démarrage de notre activité, mais elle se doit de l’être au moins au moment du premier recrutement. Elle permet d’instaurer un mode de fonctionnement commun. Il s’agit d’un véritable levier identitaire utile à fédérer autour d’un projet commun. En effet, le développement d’une intelligence collective présente des avantages non négligeables en matière de flexibilité : émergence de nouvelles pratiques, souplesse dans la réalisation des missions, coopération productive… La situation sanitaire a mis en exergue de nombreux dysfonctionnements au sein des organisations, mais a également permis de révéler des aptitudes utiles à relever les nombreux défis à venir. Le défi de la digitalisation longtemps abordé timidement au sein des entreprises est devenu une réalité incontournable. Manager à distance, télétravail, retour post-télétravail, comment identifier l’organisation optimale qui se doit de perdurer ? Aucune réponse type ne peut être apportée à cette question, car chaque organisation est différente et possède sa propre identité. Repenser l’organisation, accepter de travailler autrement, laisser entrer la créativité au centre des entreprises sont autant d’éléments permettant la création d’une performance pérenne. Manager le changement n’est pas sans risques sans une stratégie d’action finement réfléchie et anticipée.

Les 3 types de management à privilégier en période de crise

Les 3 types de management à privilégier en période de crise

Par Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Lia Bekyan Le monde de l’entreprise a, de toute évidence, changé. Bien que l’étape critique de cette pandémie semble être derrière nous, les activités économiques ne reprendront pas comme avant. Le défi des dirigeants est désormais de réussir à conduire le changement, à naviguer et à prioriser les challenges les plus critiques, entre l’homme et la technologie. Face à cette nouvelle réalité, l’avantage concurrentiel est pour les chefs d'entreprise qui agissent rapidement et qui surtout, adaptent leur leadership. Le besoin de leadership au sein des organisations n'aura jamais été aussi critique. L’enjeu réside maintenant dans la capacité des femmes et des hommes impliqués sur les projets à s’adapter rapidement. Le leadership n’est certainement pas qu’un sujet tendance. Les enjeux sont bien réels. La stratégie autour des ressources humaines et la culture d’entreprise deviennent les principaux facteurs clés de succès. La crise sanitaire a suscité des questionnements individuels. On se retrouve dans un contexte où les femmes et les hommes s’éveillent et s’interrogent : « Où vais-je vraiment ? », « Qu’est-ce que je veux faire ? » « Et comment ? »… Une série de questions qui vient repenser et asseoir les fondamentaux du management. © Sumaid Pal Singh 3 types de leadership à privilégier. La plupart des chefs d’entreprises et dirigeants sont des gens très occupés. De façon générale et encore plus durant cette crise, leur attention étant portée sur plusieurs sujets critiques en même temps, ils perdent de vue la direction du travail d’équipe. Il en résulte différents problèmes d’équipe : l’absence d’une direction claire, le manque de structure, des difficultés à maintenir l’harmonie entre plusieurs personnalités ou encore une mauvaise communication. Cela explique qu’au fil du temps, les gens se désengagent, perdent confiance dans l’avenir de l’entreprise ou de leur évolution au sein de celle-ci. Un leader qui veille à développer les compétences, les comportements et les mentalités des membres de son équipe est à coup sûr efficace dans son rôle. Quel leadership établir dans un environnement de travail complexe, en pleine transformation ? Comment assurer une bonne direction d’équipe ? Comment développer ses compétences relationnelles, son intelligence émotionnelle pour influencer et produire des résultats plus solides ? Le management n’est pas qu’une question de savoir-faire. Diriger ne consiste certainement pas simplement à donner des instructions, mais plutôt à inspirer son équipe vers une vision afin qu’elle réalise ce qu’elle ne soupçonnait pas pouvoir produire un jour pour impacter positivement son marché. Ici l’angle de croissance pour l’équipe comme pour l’entreprise est différent. L’enjeu n’est alors plus qu’une question de respect du timing pour l’obtention d’un bonus pour un manager par exemple, ou pour plus de bénéfices pour le chef d’entreprise. L’enjeu est alors beaucoup plus profond : être acteur du monde de demain. Le fait de comprendre, voire de ne faire qu’un avec cette vision active, une énergie de management et une synergie d’équipe différente. Si vous dirigez avec un état d’esprit uniquement tourné sur la rapidité et la quantité, je vous invite vivement à passer à un état d'esprit de qualité. Un leader qui veille à développer les compétences, les comportements et les mentalités des membres de son équipe est à coup sûr efficace dans son rôle. Bien que le style directif ou chef de file, dans lequel vous attendez une obéissance et l’application immédiate de ce que vous avez dit, fonctionne pour amorcer un changement rapide, en période de crise, il est à proscrire puisqu’il impose l’action, mais sans partager la vision globale. La question du leadership est primordiale pour susciter des résultats bénéfiques tant pour l’entreprise et les clients que pour le monde dans lequel nous évoluons. En s’appuyant sur les 6 types de leadership de Daniel Goleman, en période de crise, le leader qui fonctionne en mode « collaboratif », « participatif » ou « coach » obtient des résultats bien plus positifs. ­Assurez-vous de créer de l’harmonie et de construire des liens au sein de votre équipe, de vous intéresser vraiment au collaborateur. Cela vous demandera de travailler votre intelligence émotionnelle, votre capacité d’écoute et de médiation. Créez le consensus de participation avec des questions d’inclusion comme « qu’en pensez-vous ? ». Montrer que l’avis de chacun est utile active l’intelligence collective d’une équipe, la créativité et l’esprit de solution. ­Et encore mieux, avec une vision long-terme, aidez les membres de votre équipe déjà performants à se développer encore plus. Cela assure aussi une meilleure productivité. Il vous suffit d’être un peu attentif en suggérant, selon les cas, des solutions avec des invitations du style « essayez ça ». Au travers de ces 3 styles de leadership, dans un environnement complexe ou en période de crise, il s’agira d’apprendre à écouter pour comprendre plus que de chercher à répondre. Ne sous-estimez pas l’importance du développement du leadership. Les actions et attitudes des dirigeants peuvent engourdir ou stimuler la performance de l’entreprise. Ces approches sont idéales et apportent une différence nette en matière de résultats. Les entreprises peuvent émerger plus fortes, plus agiles, plus innovantes et plus à même de répondre à un environnement en constante évolution.
© Gade Rebra Le leadership ne s’improvise pas. La question du leadership est primordiale pour susciter des résultats bénéfiques tant pour l’entreprise et les clients que pour le monde dans lequel nous évoluons. Pour actionner efficacement son leadership, il faut avoir un cœur et un esprit engagé. Il ne suffira pas de déployer les techniques transmises en formation ou en séminaire. C’est une décision qui vous pousse à anticiper votre approche relationnelle et technique afin de communiquer, influencer et atteindre avec votre équipe, semaine après semaine, les objectifs de l’entreprise.
Votre équipe est l’une des clés de votre succès, mais encore faut-il avoir mis en œuvre des routines pratiques et des outils simples, faciles à intégrer pour cibler efficacement les attentes et résultats. De même qu’une gouvernance adaptée facilitera la collaboration, la participation et surtout le feed-back. Chacun peut oser plus, libérer son potentiel, sans peur, dans un cadre structuré et naturellement bienveillant. La culture organisationnelle ainsi se renforce. « Les leaders doivent utiliser leurs forces naturelles, mais ils doivent aussi chercher sans relâche des moyens de combler leurs propres écarts de rendement et d’améliorer leur comportement ». Notre société souffre d’un manque de femmes et d’hommes capables d’influencer, capables de créer et de fédérer positivement. Avez-vous déjà réfléchi au leadership que vous souhaitez incarner ? Que pourriez-vous dire de votre leadership aujourd’hui ? Que dit-on de vous ? De quel succès à fort impact êtes-vous fier ? Comme le disait un spécialiste du leadership « Diriger et gérer une organisation est une tâche complexe qui exige une combinaison unique de compétences. Les leaders doivent utiliser leurs forces naturelles, mais ils doivent aussi chercher sans relâche des moyens de combler leurs propres écarts de rendement et d’améliorer leur comportement ». Alors quel leadership allez-vous privilégier ?

La réussite, how to handle

La réussite, how to handle

Par Mary B. Photo : Filipp Romanovski Antoine a tenté sa chance et acheté un ticket de loto. Et en y inscrivant ses 6 numéros, et heureux hasard, coup de poker ou alignement des planètes, il gagne le million ! Aussitôt, la machine se met en ordre de marche, conseiller financier, psychologue, gestionnaire de patrimoine et j’en passe. Est-ce trop ? Trop de monde, trop d’attention, je ne pense pas. Pourquoi ? Car réussir, quel que soit le motif qui nous a poussés au sommet demande un encadrement, une vision, une équipe. Pour Marie, chef d’entreprise, à l’aube de décrocher un gros contrat, que va-t-elle trouver au moment de signer ? Pléthore d’ouvrages sur l’échec ? Comment rebondir ? Certes, l’échec est un atout, mais qu’est-ce qui va la préparer à la réussite et surtout la maintenir en haut de la montagne ? Une définition ? Prenons le temps quelques minutes de définir ici ce que j’entends par la réussite. Tout d’abord, on ne peut pas réussir sa vie professionnelle si on la dissocie de la vie au sens le plus large. La vie s’articule autour du cercle de vie, composé d’amis, de l’amour, etc. La réussite est son ensemble, un équilibre entre tous les aspects qui nous permet de réussir. La réussite ne consiste pas, seulement, à comptabiliser combien d’argent nous rapportons à la fin du mois, mais elle se définit aussi autour de notre contribution afin de laisser un monde un peu meilleur, et faire quelque chose pour rendre quelqu’un un peu plus heureux. © Busra Ince Les ingrédients. « Travailler sur ses rêves plutôt que sur ses échecs . » La réussite demande de travailler sur l’acceptation vers la responsabilité et donc la fuite des excuses. Pour cela, nous devons résoudre avant tout une chose essentielle : l’estime que nous avons de nous. Comment ? C’est en s’établissant sur nos valeurs, ce qui compte, ce qui anime notre feu, notre socle qu’on va développer la confiance en soi. Utiliser l’amour de soi en ayant une vision positive de soi, de son cadre de vie, va nous amener plus de bien-être, une confiance qui se gagne au fur et à mesure que l’on va développer ses talents. Ces croyances qui nous limitent dans notre action, notre confiance, se créent parfois depuis le plus jeune âge dans notre environnement familial ou scolaire : « tu es un bon à rien, tu ne seras jamais… ». Comme nous l’affirme Gilles Paire, coach certifié du centre international du coach « il est plus facile de développer ses talents que de corriger ses blessures », et il est donc plus facile de se focaliser sur ce qui marche, ses rêves et ses ambitions. Au fur et à mesure qu’on développe ses talents, l’estime de soi se développe et cela va se dérouler tout seul. Ça paraît simple à dire, mais ce sont des ingrédients qui vont amener la confiance ! Je partage avec vous ici mon mantra, mon petit secret : tu le mérites, tu y as droit, tu es un gagnant, tu peux rester au sommet, tu peux en jouir en toute quiétude. Et la chance, me direz-vous ? Oui, il est tout aussi important de prendre en compte les événements et les facteurs extérieurs qu’on peut aussi qualifier de hasards ou de bonnes rencontres ! Des rencontres qui peuvent nous ouvrir des portes ou nous pousser à aller hors de notre zone de confort, nous poussant à nous dépasser. Ce sont des portes qui facilitent notre réussite, et qui associées à beaucoup de travail facilitent le succès. © Filipp Romanovski Mais une fois le sommet atteint, comment y rester et surtout le souhaite-t-on consciemment ou non ? Qu’est-ce qui peut freiner ou empêcher notre réussite : nos croyances limitantes ! Ce sont ces petites phrases qu’on se répète devant le miroir ou dans notre cœur après un échec, une blessure ou parfois avant de passer à l’action. Ces croyances qui nous limitent dans notre action, notre confiance, se créent parfois depuis le plus jeune âge dans notre environnement familial ou scolaire : « tu es un bon à rien, tu ne seras jamais… ». Les plus dévastatrices sont celles qui émanent de notre dialogue interne, des croyances qu’on se donne, c’est une information qu’on voit nous-mêmes et qu’on prend pour vérité, « je suis nulle, je suis incapable », mais ce n’est pas nécessairement vrai. Alors quelle option ? Transformer une croyance limitante en une croyance aidante en changeant la façon de penser et de dialoguer avec nous : oui, j’ai des lacunes, mais je peux y arriver et je peux me battre pour l’être. Je transforme cette vue de l’esprit extérieure en une croyance aidante. Et surtout, une fois l’estime et la confiance rechargées, on sait qu’on y a droit. Une vue de l’esprit qu’il va nous falloir déconstruire, décoloniser, à coup de mots doux, de douceur et de bienveillance d’abord envers soi ! Alors, cette nuit, rêvez, osez, imaginez, vous avez entre vos mains les ingrédients de votre réussite !

COVID-19, la maladie de toutes les divisions

COVID-19, la maladie de toutes les divisions

Par Raphaël Lapin Photo : Nsey Benajah La crise sanitaire dans laquelle la COVID-19 a plongé l’archipel guadeloupéen est le fait générateur d’une autre grande crise : une crise protéiforme et multidimensionnelle cette fois. En effet, les ressorts de cette dernière sont tout à la fois sociologiques, politiques, économiques et sociaux. La première division profonde que doit accuser notre pays à l’issue du drame sanitaire est politique. Nous avons en effet assisté à la consommation du divorce entre les gouvernants et les gouvernés. La crise sanitaire aura ainsi été l’éclatant révélateur de la profonde défiance qui s’est progressivement installée en Guadeloupe entre le peuple et l’autorité publique. Avant elle, les élus étaient déjà au cœur de tous les doutes des Guadeloupéens. Avec pour cause l’échec de la conduite des politiques publiques sur des sujets essentiels tels que l’eau, le chômage, la gestion des déchets, l’efficacité du système de soins, la chlordécone, etc. Déjà en novembre 2020, l’institut de sondage Qualistat relevait que la population dans sa majorité n’avait pas confiance en la classe politique. Cette crise politique est devenue peu à peu sociologique. Elle a attisé toutes les torpeurs du peuple guadeloupéen, réveillé toutes ses inquiétudes et avivé toutes ses meurtrissures. Cette défiance s’est cristallisée durant la crise de la COVID-19 autour de contestations successives de la longue liste des dispositions prises par les autorités déconcentrées de l’État pour faire face à l’épidémie. Tantôt s’agissait-il de dénoncer l’obligation du port du masque, puis il fallait s’opposer au port du masque à l’école. Ensuite est venue la crispation du confinement partiel. Puis la frustration du confinement total a fait son grand retour. Enfin, il y eut le dégoût face à ce funeste arbitrage entre d’un côté ceux dont on considérait qu’ils pouvaient mourir, car trop vieux, trop faibles et pas assez vaccinés et ceux qu’il fallait sauver, car assez jeunes, assez robustes, et suffisamment piqués. Il était alors le temps de manifester contre l’obligation vaccinale pour les soignants et contre le Pass sanitaire pour les civils avant que ne survienne la consternation des premières suspensions de fonctionnaires et certainement les premiers contrôles de lieux publics. © Nsey Benajah Les caractères unilatéraux et aléatoires de ces décisions ont contribué à désorienter les citoyens et ont largement entretenu ce climat de défiance. La communication catastrophique et maladroitement autoritaire de la préfecture et de l’agence régionale de santé n’a pas aidé à ramener de la sérénité dans le débat public. Pendant ce temps, rares sont les élus locaux qui ont fait le choix d’assumer une position spontanée et non dictée par le dictat de l’opinion. De sorte que jamais, au cours des deux années qui viennent de s’écouler, aucune voix forte n’a été en mesure de s’élever pour dire que c’en était assez de tout ce vacarme, pour faire revenir l’ordre et la sérénité dans la société guadeloupéenne. Cette crise politique est devenue peu à peu sociologique. Elle a attisé toutes les torpeurs du peuple guadeloupéen, réveillé toutes ses inquiétudes et avivé toutes ses meurtrissures. Il y a eu des débats sans fins sur la gravité de la maladie, l’ampleur de l’épidémie ou encore la pertinence de tel rimèd razié ou de tel remède pharmaceutique. Ces débats ont progressivement laissé la place à des invectives par réseaux interposés, la diffusion de fausses informations qui a gangrené l’opinion ainsi qu’à des querelles au sein de nos familles, dans nos groupes d’amis. Dans le feu du cancan se jouaient des jeux de faction, s’affermissaient des postures, se raidissaient des opinions. Une véritable bataille de tranchées débutait alors entre les administrations et singulièrement l’administration hospitalière et ses agents. Des menaces de mort ont été adressées. En guise de réponse, elles ont été tournées en dérision et confinées dans ce que d’aucuns auront qualifié maladroitement de « folklore local ». Cette bataille se poursuit aujourd’hui à coup de suspension sans solde et sans perspectives pour des agents récalcitrants à la vaccination. Elle a d’ailleurs été le carburant de vieux préjugés étalés dans les télévisions nationales où des pseudoscientifiques autorisés imputaient les réticences du peuple guadeloupéen face à la vaccination au vaudou ou plus globalement à des pratiques magico-religieuses dont seuls nous aurions eu l’expertise. Au-delà du grotesque de ces préjugés aux relents racistes, c’est surtout l’erreur de constat qui nous a marqués. On imputait à la volonté guadeloupéenne l’échec de la politique vaccinale sans évoquer la réalité de la conduite de cette politique publique dans notre pays. La distance devenait alors une nouvelle source de division sociologique entre le pays et l’Hexagone. Une division bien plus profonde qu’on ne l’imagine. À ce propos, lorsque le Président de la République a fait son discours martial le 12 juillet 2021 pour inciter à la vaccination, le risque était maîtrisé au niveau national où 35 millions de Français avaient déjà reçu la première dose du vaccin. De sorte que la moitié de la population sur le territoire hexagonal était au mieux acquis à la cause vaccinale, au pire, devenue indifférente à l’enjeu. © Christophe Archambault L’histoire des Guadeloupéens est à ce titre différente, voire inverse. À l’époque où les autorités déconcentrées de l’État ont répété les directives de Paris, moins de 30 % des personnes avaient un schéma vaccinal complet. Nous en étions encore à discuter d’une loi sur le fait d’avoir de l’eau dans les robinets pour pouvoir observer les gestes barrières. D’ailleurs, l’essentiel de la communication de l’ARS et des moyens mis en œuvre à cette époque en Guadeloupe reposait sur le triptyque : « tester, alerter, protéger ». De sorte que le message de la vaccination n’avait pas encore été suffisamment amené auprès de chacune et de chacun. L’effet contre-intuitif de la rationalité observée par les services déconcentrés de l’État aura été de braquer un public déjà défiant par rapport à l’autorité publique. Nous avons ainsi ajouté de la fureur à la douleur. Le troisième drame que traverse la Guadeloupe à l’issue de cette quatrième vague, est celui du nécessaire impact économique provoqué par la résurrection du confinement et plus globalement par la succession des mesures prises par les autorités pour lutter bon gré malgré contre l’épidémie. Certes, celui-ci était encore plus souple que durant la toute première vague, qui fut, paradoxalement, moins meurtrière. Cependant, de nombreux secteurs d’activités ont été impactés de plein fouet par cette crise. Il n’est que d’évoquer les secteurs du tourisme et de la restauration pour s’en convaincre. La presse a longuement évoqué le cas de ce restaurateur connu de la place de Jarry que la quatrième vague a convaincu de liquider sa société. On pourrait également parler de l’évènementiel ou encore de la crise de la culture qui perdure depuis désormais près de deux années. Le sport a été également victime de la crise sanitaire. (...) nul ne saurait nier que la crise sanitaire a constitué un accélérateur inouï des inégalités sociales et économiques. En 2020, l’IEDOM évaluait à 3 points de PIB le recul de l’activité économique lié au premier confinement. Dans le même temps, le climat d’affaires, indicateur synthétique de la confiance des chefs d’entreprises pour investir dans l’économie, reculait de 52 points sur un an. Dans le même temps, l’institut de sondage Qualistat révélait que 74 % des chefs d’entreprise étaient inquiets pour l’économie locale en avril 2021 en plein cœur de la première vague d’épidémie (c’était 20 points de moins qu’en avril 2020) ; pendant que 72 % d’entre eux déclaraient un chiffre d’affaires en repli. Il semble que la crise n’ait pas encore produit l’ensemble de ses impacts négatifs sur l’économie guadeloupéenne dans la mesure où ses effets ont été amortis par les dispositifs mis en place par l’État et les collectivités pour surmonter la crise. L’État affirme ainsi que les entreprises guadeloupéennes ont bénéficié au 29 mai 2021, de 1 342 millions d’euros d’aides économiques, 677 millions d’euros de prêts garantis par l’État (PGE), de 155 millions d’euros d’indemnisation au titre de l’activité partielle ; de 221 millions d’euros d’indemnisation au titre du fonds de solidarité ; et de 289 millions d’euros de report de charges fiscales et sociales. © Nsey Benajah Cependant, nul ne saurait nier que la crise sanitaire a constitué un accélérateur inouï des inégalités sociales et économiques. Cette dernière division peut être éprouvée à l’échelle des nations entre les pays les plus développés et les plus pauvres, mais aussi au sein même des nations les plus riches. Les Nations Unies qui ont fait du bien-être économique et social des populations une valeur cardinale constatent un écart croissant entre pays développés et pays en développement tandis que nous rangeons la Guadeloupe dans cette dernière catégorie. Les pays en développement comme la Guadeloupe ou en crise avant la COVID-19 ont été les plus vulnérables. La baisse de leurs recettes entraîne des difficultés croissantes à subvenir aux besoins fondamentaux de leurs populations, notamment à cause des faiblesses institutionnelles et du manque de moyens. Le centre d’information relève que « dans les pays développés, on compte en moyenne 55 lits d’hôpital, 30 médecins et 81 personnels infirmiers pour 10 000 habitants. Selon des données du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour le même nombre d’habitants, les pays en développement ne disposent que de 7 lits, 2,5 médecins et 6 personnels infirmiers et manquent souvent également de produits de base comme le savon, l’eau potable, ou la nourriture », ce qui est précisément le cas en Guadeloupe s’agissant de l’eau potable ou de certaines fournitures essentielles. De même, les pays en développement ont une économie informelle dense. C’est toutefois un secteur qui a été particulièrement affecté par les restrictions de mouvements liées à la pandémie. Il nous faudra renouer le lien social après nous être tenus à bonne distance sanitaire, sur les ponts qu’il conviendra de rétablir dans la résorption des inégalités ; il nous faudra nous retrouver en tant que peuple. Dans le monde, la large majorité des personnes actives (plus de 60 %) sont des travailleurs ou travailleuses informel(le)s. Ce sont donc des personnes éloignées de toutes formes d’assurance maladie ou d’allocation chômage. Elles sont ainsi mécaniquement étrangères aux dispositifs d’aide offerts par l’État. De sorte que les confinements successifs et autres couvre-feux ont affecté de plein fouet leur activité tandis que chaque euro perdu apparaissait comme le terreau fertile d’une nouvelle inégalité. Encore faudrait-il évoquer les inégalités en matière d’enseignement. À une époque où la santé se fait l’ennemie de l’école, ce sont souvent les enfants qui en ont le plus besoin qui se trouvent les plus éloignés des enseignements. Des inégalités qui ont été encore aggravées par la fracture numérique et par l’innumérisme pour les enfants, leurs parents et même les enseignants : « ainsi, dans les pays pauvres, 86 % des enfants ont été privés d’école d’après le PNUD, alors que ce chiffre ne concerne que 20 % des enfants dans les autres pays ». © Mathieu de Martignac En France, les Nations unies évaluent à un million les personnes qui sont tombées dans la pauvreté au cours de l’année 2020. Celles-ci viennent s’ajouter aux 9 millions déjà comptabilisées. Le baromètre Ipsos 2020 pour le Secours populaire révélait d’ailleurs que 45 % des personnes qui ont sollicité l’aide du Secours populaire durant le confinement étaient jusque-là inconnus de l’association. Tandis qu’un Français sur trois a éprouvé une perte de revenus depuis le début de la crise. Le nombre de personnes dépendantes des distributions alimentaires est en nette augmentation, notamment parmi les étudiants, travailleurs précaires ou chômeurs récents. Une étude de l’INSEE a par ailleurs démontré que la mortalité liée à la COVID-19 avait été plus importante dans les régions au niveau de vie plus bas. C’est précisément ce que nous avons vécu d’ailleurs en Guadeloupe. Dans une récente étude, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier de Schutter, a mis en avant les échecs de l’Union européenne (UE) dans la lutte contre la pauvreté. En bref, l’ONU nous apprend que du fait de la COVID-19 ceux qui avaient déjà faim ont encore plus faim, ceux qui étaient malades ne le sont pas moins, bien au contraire et ceux qui mouraient dans la pauvreté, sont plus nombreux à mourir dans le dénuement. Ce d’autant que le raccourci entre la vulnérabilité à la maladie et la pauvreté est emprunté assez rapidement. Le coronavirus apparaît ainsi véritablement à l’échelle du monde, comme à l’échelle de nos îles, comme la maladie de toutes les divisions. Au-delà de la lutte contre l’épidémie, d’autres interrogations se posent à nous sur la manière dont il nous faudra construire la sortie de cette crise et surtout sur une réinvention de l’agrégat social. Il nous faudra renouer le lien social après nous être tenus à bonne distance sanitaire, sur les ponts qu’il conviendra de rétablir dans la résorption des inégalités ; il nous faudra nous retrouver en tant que peuple. C’est l’unique moyen de dégager de nouvelles perspectives, de nouvelles ambitions.

Les deux faces d'une même pièce

Les deux faces d'une même pièce

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Nsey Benajah « Please try to remember that what they believe, as well as what they do cause you to endure does not testify to your inferiority but to their inhumanity » — James Baldwin. « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur inhumanité ». Ces mots de James Baldwin constituent l’intermission parfaite pour cette réflexion. Ils prendront davantage de sens à mesure que nous avancerons dans les couloirs de mon raisonnement. James Baldwin était ce poète et écrivain africain-américain, philosophe de la pensée nègre contre la philosophie ségrégationniste qui gangrène les communautés noires à coup de lynchages et d’exécutions sommaires. Récemment – et à maintes reprises déjà –, la communauté franco-caribéenne a subi un nouvel épisode d’un, désormais, quasi traditionnel lynchage médiatique. L’écho aux pratiques de lynching semble tiré par les cheveux. Et pourtant, l’analogie est organique puisque corrélation des essences mêmes du lyncheur et des lynchés. Le lynchage ou procès médiatique est la critique violente et systématique par le biais des médias, d’une personne ou d’une communauté de personnes. Et n’est-ce pas finalement ce que subissent de nouveau les Guadeloupéens et Martiniquais alors qu’ils sont portés au banc des accusés des exotiques décérébrés ? « C’est culturel, il y a d’autres sources d’information. Je ne vais pas revenir sur les vaudous, mais ça existe toujours dans ces territoires. Pourtant il y a un accès facilité aux soins, CMU… Beaucoup de problèmes viennent de la culture. Et le rhum ne guérit pas de tout, au contraire  ». Lorsqu’invité par une chaîne d’information pour le moins sérieuse à apporter son expertise sur les faibles taux de vaccination Covid dans « ces territoires », ce Docteur Boissin, médecin de son état, prononce ces mots, aussi incongrus que son air bonhomme, c’est tout le monde colonial qui est rappelé à nous. Voire même ramené à nous. Cette phase de l’histoire à laquelle il nous semble que notre peuple a échappé, nous retombe dessus chaque fois qu’un français ou qu’un étranger à notre cause, et membre de sa supposée élite intellectuelle de surcroît, assène des scories de ce type, le ciel nous tombe sur la tête et la moutarde nous monte au nez. Nous voilà re-bestialisé.e.s, re-sulbaternisé.e.s, re-objectifié.e.s. RÉ-ENSAUVAGÉ.E.S. Il ne s’agit pas du quasi romantique rewilding américain importé en Europe, consistant à réinsérer la vie sauvage dans des contextes géographiques trop longtemps domestiqués et appauvris par le capitalisme occidental, mais de l’expression de la pensée xénophobe d’une communauté dominante niant l’évolution de l’autre, qu’elle assujettit à l’étalon de sa propre culture. Ainsi, ce n’est point une approche écologique du monde dont il s’agit, mais d’une disruption des écologies humaines, depuis les impériales circularités, faisant de la prédation la seule forme de relation du règne des hommes, mammifères en révolte contre le dessein universel de la nature. © Nsey Benajah L’ensauvagement fut la cellule souche d’un modèle qui s’est répliqué à l’envi. Il est de ces cellules universelles qui comme les cancers se démultiplient sans s’essouffler, sans s’épuiser. L’ensauvagement des Africains, Asiatiques, Moyen-Orientaux et autres colonisés permet de faire de nos corps des archétypes : le Noir bien monté, mais fainéant, sa compagne aussi bête de sexe que lui, l’asiatique ou la brune orientale soumise, servile, esclave sexuelle, etc. Tous ces désirs sexuels projetés. Tout cet exotisme est la forme sexuelle de l’ensauvagement. Et dans les médias, il est réitéré par les dirigeants politiques : les odeurs des quartiers-cages des oiseaux de mauvais augure de Chirac, les kärchers de Sarkozy, ou encore le « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé… » de Jean-Paul Guerlain. On demeure dans l’univers des sens agressé par la puanteur de l’autre, de la bête qu’est l’homme noir ou de l’homme racisé ; ce sont des représentations qui se répondent finalement. En somme, celui qui tient le fouet contrôle le temps : temps de travail, rentabilité, rendement, congés et repos, loisirs et vacances, mais aussi modernité et contemporanéité, progrès et arriération, obsolescence et longévité. Que faut-il faire de ce ré-ensauvagement systémique ? Faut-il se demander ce que cela dit de nous ? Ce que cela révèle de nous ? Ces attaques en barbarie ou en sauvagerie qui fusent çà et là dans l’espace public font résonance avec nombre de clichés émanant de l’époque coloniale. Tout d’abord, faut-il rappeler la relativité du temps ? Le temps tel qu’il s’écoule et la mesure du progrès telle qu’elle s’écrit en nous sont des schèmes importés et imposés à nos corps et à nos esprits. Chaque communauté colonisée a subi cette imposition d’un temps étranger et aliénant finalement. En Afrique où le temps était essentiellement régi par les saisons et le rythme naturels des moissons, des traditions et des rituels, on doit souscrire à l’horloge occidentale désormais, dans les mines, les champs, les usines pour livrer à la bête colossale du dollar ou de l’euro, les matières premières de ses industries. Des civilisations millénaires se sont vues taxées d’arriération quand elles ont été pillées de toutes les manières possibles, pour se ranger au ton du progrès capitaliste. Certaines peuplades ont été réduites à la primitivité lorsqu’elles ont des rites centenaires, voire millénaires. Et les Antilles, nées de la Traite négrière (ou commerce triangulaire) et de la colonisation, n’ont pas choisi le temps qui importune les bois d’ébènes qui crèvent sous le joug des gouverneurs, maîtres et géreurs. © Dylann Hendricks L’idée de progrès qui a cours actuellement dans nos esprits est fondamentalement erronée puisque ce temps de bâtisseurs n’est pas nôtre. Nos ancêtres – pour ce qui concerne les opprimés d’entre eux – n’étaient que les rouages d’un système bien huilé. En somme, celui qui tient le fouet contrôle le temps : temps de travail, rentabilité, rendement, congés et repos, loisirs et vacances, mais aussi modernité et contemporanéité, progrès et arriération, obsolescence et longévité. Le progrès de la Caraïbe francophone, et l’analyse que nous en faisons devraient être établis sur son temps civilisationnel propre : c’est-à-dire sur sa propre chronologie d’évolution, depuis la déportation et l’arrivée (volontaire) des communautés du pays. C’est dans la réalisation d’une sortie extrêmement récente de la colonie qu’il faut bâtir notre relativité au temps. Je ne cesse de rappeler ce barème : mai 1848 abolition de l’esclavage, 1946 la départementalisation. Et puis, des années 1970 à 1 993, le chlordécone est utilisé aux Antilles et l’affaire d’empoisonnement qui en découle risque le non-lieu pour cause de prescription en mars 2021, alors que les plaintes avaient été déposées en 2006. Dans le même temps, l’épidémie de Covid-19 éclate et touche les Antilles début 2020 sous un confinement strict en mars. Le coupable : un bateau de croisière transportant Guadeloupéen.ne.s parti.e.s en vacances et touristes européen.ne.s pour la grande majorité. Les priorités touristiques n’ont eu de cesse de se révéler à mesure des périodes de contention/rétention qui se succèdent. Cette chronologie s’étend sur les 173 années écoulées depuis les abolitions. Ce qui exsude de ce siècle et demi c’est une politique de l’oubli sous couvert d’une politique simili-intégrationniste par l’État : l’esclavage est aboli, et révolu. Il doit l’être dans vos esprits, puisque « vous êtes français » (voix du Président de Gaulle). Sommé.e.s à l’oubli et d’entrer en civilisation française, tout le reste n’est qu’un mirage… Ce qu’il faut entendre ici c’est la pernicieuse emprise du temps colonial sur les corps. L’évolution guadeloupéenne doit se mesurer à l’aune des jalons d’émancipation et de répression qui se produisent sur le territoire. La colonisation temporelle n’est jamais intégrée à notre raisonnement. Et pourtant, réaliser son impact permettrait de mieux relativiser ces incidents. Qu’induit l’inclusion du temps réapproprié dans l’analyse de ces épisodes de lynchage médiatique ? (...) « je parle ici, d’une part, de Noirs aliénés (mystifiés), et d’autre part, de Blancs non moins aliénés (mystificateurs et mystifiés) ». Revenons sur les dires incriminés ici : La Couverture Médicale Universelle est un dispositif financé par le gouvernement français et qui « permet à toute personne résidant régulièrement en France et de façon ininterrompue depuis plus de trois mois de bénéficier d'une protection complémentaire gratuite et renouvelable ». Et là je cite le site ameli.fr. Cette couverture assure une exonération totale d’avance de frais pour les soins médicaux. Une part importante de la population, enlisée dans la précarité, bénéficie de cette couverture ; que beaucoup d’Africains-Américains et autres minorités hyperprécarisées des marges étatsuniennes envieraient, notamment après la suppression de l’ObamaCare par Trump. C’est une réalité. La présence des vaudous est-elle fausse ? Dans les Caraïbes et les Amériques, il existe bel et bien des syncrétismes religieux à racines vaudouesques – c’est-à-dire héritiers des animismes et polythéismes du vaudou béninois, entre autres (Vaudou, Santeria, Orishas, Obeah, Candomblé, etc.) et le kenbwa (quimbois) guadeloupéen, forme émoussée et avilie des animismes racinaires – tout comme ils existaient et existent encore de nombreuses recettes curatives traditionnelles et autres décoctions dont l’ingrédient antiseptique est le rhum. Les frottements, les aspersions, les bains, les grogs et autres pratiques curatives ou préventives sont des pratiques coutumières, traditionnelles, voire ésotériques, plus ou moins revendiquées et perpétuées. Nos gens se soignent avec le rhum, d’autres pratiquent le vaudou. Enfin, l’histoire du gadèdzafè chez nous amène sans doute un trouble dans les identités qui se réclament africaines, afrocentristes ou afrodescendantes : pourquoi donc cette colère ? © Leah Gordon. © Leah Gordon. La première raison valable est la propre méconnaissance de ces pratiques spirituelles par les Franco-caribéen.ne.s et la dévalorisation qu’iels en font elleux-mêmes. En effet, le vaudou est très mal considéré sous les latitudes franco-caribéennes. Des représentations erronées des rites vaudouesques induisent des comportements à la fois xénophobes et séparatistes. Le « Nous ne sommes pas de ces gens-là » est proclamé par des interjections nourries de défiance, de rejet voire d’un certain suprématisme (idéologie postulant la supériorité d’une race, d’une religion, d’une langue ou d’une culture sur les autres) admettant que les vaudouisant.e.s seraient d’un côté damné.e.s, de l’autre malveillant.e.s et nuisibles. Combien de fois, ai-je entendu les craintes de certain.e.s agents administratifs vis-à-vis d’un sort qui leur serait potentiellement jeté, ou alors de l’ensorcellement des hommes par les femmes avides de leurs biens obtenus par reconnaissance d’enfant. Ce sont là des épisodes de racisme séculaire qui confondent les singularités et les subtilités des cultures des populations anciennement dites « coloniales ». La seconde raison est davantage liée à la perception qu’a une part de la population française sur l’autre – qu’ils soient caribéens francophones, du Pacifique, Africains, musulmans, etc. – et la capacité de l’autre à recevoir ces préjugés. En fait, l’outrage qui est fait tient autant du fond des propos que du fond des protagonistes. Dans la scène qui se joue, il y a un individu qui assène une analyse erronée avec la conviction d’une autorité supérieure et un individu qui est brutalisé psychologiquement par ces propos qui réduisent sa singularité et sa vision du monde et sa place dans le monde ; et ce sur fond de la blessure originelle de l’afrodescendant : l’esclavagisation, la déculturation, l’assimilation, etc. L’un est fondé dans l’impérialisme français, l’autre dans le colonialisme français. Les deux faces d’une même pièce. Frantz Fanon entérinait cette théorie quand il écrivait, dans Peau Noire, Masques Blancs : « je parle ici, d’une part, de Noirs aliénés (mystifiés), et d’autre part, de Blancs non moins aliénés (mystificateurs et mystifiés) ». L’ire qui nous immole, la colère brûlante qui nous consume lorsque ces faits se produisent est certes légitime, puisque nous sommes dénigré.e.s par une dimension civilisationnelle. Toutefois, elle devrait davantage s’étioler face à des certitudes nouvellement acquises. Ce sont là des épisodes de racisme séculaire qui confondent les singularités et les subtilités des cultures des populations anciennement dites « coloniales ». Nous, Guadeloupéen.ne.s, en faisons partie, tout comme les Africain.e.s et autres « ultramarin.e.s ». Les outremers, ces horizons exotiques qui, à leurs yeux, n’ont d’autres reliefs que les plages, les corps de femmes offertes au soleil et une cuisine épicée, relevée qui enivre les esprits et excitent les papilles. Entre images coloniales stéréotypiques et fantasmes, il n’y a aucun savoir réel de celui qui porte le préjugé au rang de vérité absolue. Il n’y a non plus aucun savoir réel des cultures dont on procède lorsque l’on s’insurge de fait avéré, bien qu’énoncé de manière injustifiée, sans maîtrise aucune du contexte civilisationnel. Ces épisodes de racisme séculaire – que l’on pourrait par ailleurs rapprocher du racisme ordinaire, ce racisme inconscient perpétré par des blagues et remarques vraisemblablement innocentes et bienveillantes, mais qui portent les germes de l’impérialisme/colonialisme ontologique de la France – sont redondants, fréquents, notamment dans des milieux que l’on penserait « amicaux » ou « sympathisants » voire « fraternels » de nos héritages. À un festival dédié aux Afriques, un gentil septuagénaire qui vous félicite sur votre qualité langagière, étonné que vous sachiez si bien manier la langue de Molière. Un ex-instituteur qui vous demanderait si vous ne reconnaissiez pas son visage singulier de sauveur des petit.e.s illettré.e.s guadeloupéen.ne.s, révélant la dimension qu’il donnait à l’île : un village. Lui, qui avait dispensé la connaissance dans tant de « comptoirs » d’Afrique, devait se sentir si investi de sa mission civilisatrice que cela confinait au nombrilisme, et notre territoire réduit à son nombril et son giron. Une quadragénaire qui se vante de connaître quelques africaines, certainement de vos connaissances, vous qui habitez Paris vous devez connaître Château Rouge, un autre village, un autre comptoir… des Guerlain, des Zemmour et bien d’autres héritiers, conscients ou inconscients, de ces pensées offensantes pour l’humanité multidimensionnelle. Ces personnages sont les incarnations d’une France coloniale qui n’est pas encore pansée, et qui lutte contre la réforme de ses fondements racialistes. « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur vacuité ». Faudrait-il s’en trouver systématiquement affecté.e.s ? Concerné.e.s, évidemment. Nonobstant l’évidence d’une mobilisation contre ces bavures intellectuelles et philosophiques, un abord moins affecté gagnerait à être adopté afin de manifester notre propre progrès. Les abolitions auront servi à réformer l’image de la Nation française, à la remythifier. Un décret, une loi et on oblitère le passé derrière le voile de la déculturation et de la désinformation. Le passé est simplement rendu inopérant, inacceptable puisqu’il est enterré, caché sous le linceul d’une honte réprouvée, d’une grandeur que l’on ne pourrait répudier. Le phénomène de racisme séculaire est consubstantiel de l’aliénation des populations dominées. En somme, ce sont là les deux pendants d’un même mal : une agnotologie avant l’heure, soit la science de (la fabrique de) l’ignorance. Elleux ignorant.e.s de nous ; nous encore ignorant.e.s de nous-mêmes. Ce que les propos du médecin qui ne parla nullement de médecine enseignent sur nous, c’est la fragilité de nos identités. Je conclurais en empruntant et en me réappropriant les mots de James Baldwin : « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur vacuité ».

Vaudou, marronnage de la Foi

Vaudou, marronnage de la Foi

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Troi Anderson Sur la plantation, deux armes ont massivement servi au projet de domination coloniale et d’assujettissement des pièces de bois d’ébène : la christianisation et le Code Noir. La régulation des esprits chagrins du Péyi Ginen est exécutée par la première, tandis que la seconde aura configuré les rapports entre les corps, blancs, noirs et métis. Le Code Noir définira, donc, la réglementation du traitement physique, spirituel et commercial des esclavagisés. Ce fut le destin de tou.te.s les Africain.e.s déporté.e.s dans les plantations des Amériques. Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans... Des nègres faits curés, dits « curés des Nègres », furent chargés explicitement de prêcher aux esclaves la soumission aux maîtres blancs et de l’ordre voulu par leur Dieu. Par ailleurs, le Code Noir de mars 1685 (édit du Roi sur les esclaves des îles de l’Amérique) indique à l’article 2 : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans la huitaine au plus tard, tous les gouverneurs et intendants des îles sous peine d’amende arbitraire, lesquels donnent les ordres nécessaires pour les instruire et les baptiser dans le temps convenable » et poursuit à l’article 3 : « Interdisons tout exercice public d’autres religions que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses ». En d’autres termes, cet édit du Roi condamnait tout esclave pratiquant le vaudou, celui-ci étant désigné comme crime méritant châtiment corporel. Pratiquer le vaudou était considéré à la fois comme une atteinte à la sûreté de la colonie puisque les rassemblements seraient conventicules (référence aux réunions secrètes où l’on complote) et une contravention à l’observance du catholicisme tenu pour universel. Voici l’une des bases de la marginalisation et de la criminalisation du vaudou. © Leah Gordon. Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts. Aujourd’hui, sous bien des latitudes, le Vaudou est considéré comme damnation ou chemin vers ce sort. Les représentations stéréotypiques – sorcellerie, sortilèges, ensorcellement, zombification, sacrifices, etc. – qui lui sont durablement accolées sont en partie le résultat des productions cinématographiques, elles-mêmes sans doute inspirées des pseudo recherches anthropologiques biaisées par les suprématismes originels des colons. Pourtant, le sociologue et théologien Laënnec Hurbon, d’écrire : « Toute transformation de la société haïtienne doit compter en effet et avec le Christianisme et avec le Vaudou ». Il écrit ceci dans « Dieu dans le Vaudou haïtien » (2002). Et en effet, il faut considérer que le Vaudou est larvé par le christianisme et non le contraire, comme le titre de son ouvrage l’indique. Hero Vodou in Haïti - © Leah Gordon. © Troi Anderson. Quelques bases sociologiques en contexte haïtien : comme toute formation nationale, la population est bigarrée de ses contrastes et strates, indépendamment des philosophies et régimes politiques de celles-ci. Classes sociales et ethnicités sont les principaux critères de distinction sociale. Tout comme la Guadeloupe, Haïti est faite de contrastes carrefours : classes et appartenance ethnico-raciales sont toujours croisées, et le paysage sociolinguistique met en opposition diglossique la/les langue.s dominante.s et les distinctions socio-géographiques sur leur territoire. Bien qu’Haïti ait conquis son indépendance, les marques des colons ont perduré à travers les siècles : francophonie. En Haïti existent deux pays : la capitale ou les villes de province versus les mornes, ou encore le Péyi andewó (préservation d’une ancestralité africaine, mariage coutumier ou plasaj , créole, vaudou ) et le péyi andedan (Mariage chrétien, français, francophilie ou anglophilie, chrétienté catholique ou protestante). L’indépendance acquise, ce n’est pas un modèle africain ou à base africaine qui est établi, mais bien une mimesis du modèle français, pris dès lors comme étalon identitaire : langue de prestige, formes gouvernementales (période Pétion/Christophe par exemple). Hurbon souligne encore qu’« au cours du développement de la vie civilisée beaucoup d’anciennes manières, coutumes, observances et cérémonies des temps passés ont été rejetées par les couches supérieures de la société et sont graduellement devenues les superstitions et les traditions des basses classes » (Jean Price-Mars, Ainsi parla l’oncle, p.49-50). Subsiste pour autant le Vaudou, puissant dans les lieux retirés. Les communautés des mornes seraient descendantes des communautés marronnes constituées pendant la période de l’esclavagisation, lorsque les Bossales (Africains fraîchement débarqués et non brisés par le système plantationnaire, non créolisés) parvenaient à s’enfuir et à trouver refuge dans les mornes, les forêts. C’est en ces lieux qu’ils refonderont leurs croyances avec, entre autres apports, les connaissances des plantes héritées des Amérindiens. Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s. Le marronnage est l’incubateur du Vaudou, lui-même berceau de l’indépendance. Deux révoltes ont édifié les premiers mythes fondateurs du peuple haïtien en faisant le lit de la conviction des esclavagisés en marronnage. Ils y trouvèrent la foi nécessaire à s’unir contre leur oppresseur. Haïti devient indépendante en 1804 grâce à Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines. Mais les précurseurs de la révolution qui provoquèrent l’étincelle sont : d’abord, Makandal un esclave bossale originaire de Guinée qui en 1757, prit la tête d’une bande de marrons, et en faisant du vaudou une force prophétique, conduisit les Esclaves à exterminer les Blancs par l’empoisonnement. Capturé au cours d’une cérémonie vaudou, Makandal sera brûlé vif. Mais les marrons le vénéreront tel le prophète qu’il fut pour l’émancipation (d’ailleurs, dans la colonie, tous poisons, sortilèges et maléfices, fabriqués par les Noirs, furent appelés « des makandals ») ; ensuite, Dutty Boukman, né libre en Sénégambie, puis esclavagisé d’abord en Jamaïque puis en Haïti, présida une cérémonie Vaudou dans le Bois Caïman en 1791, par un pacte de sang avec les esclavagisés en révolte pour mener une guerre pour l’extermination des Blancs. Ainsi naquit la fronde marronne conclue par la Guerre de l’Indépendance et à la libération du peuple haïtien. © Troi Anderson. © Troi Anderson. © Troi Anderson. Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s. Il est consubstantiel de l’histoire de l’esprit du peuple haïtien, où les croyances ancestrales se sont consolidées à travers un rapport analogique avec la religion universalisante des maîtres : à chaque saint chrétien correspond un loa , un esprit vaudou. Ce syncrétisme se révèle dans les prières des prêtes savann qui bénissent les cérémonies et délivrent des « homélies » métissant le créole au latin et aux langues africaines. Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts. Laënnec Hurbon écrit dans Dieu dans le Vaudou haïtien que : « le vaudou est apparu très tôt pour les esclaves comme leur langage propre, comme leur lieu conscient de différentiation d’avec les Maîtres Blancs et comme la force qui décuplera leur capacité de combat ». Qui honnit le Vaudou porte l’empreinte de l’esclavagisation et du brainwashing qui l’a permis, et se fait l’épitomé d’une méconnaissance de l’histoire des Caraïbes. Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans, même quand ces derniers ont tenté maintes fois d’enterrer ces croyances et pratiques (prêtres catholiques haïtiens et missionnaires canadiens ou étatsuniens), de les utiliser pour manipuler le peuple à des fins de subjugation (Papa Doc). A contrario, avec l’indigénisme, résistance à l’occupation US, on revalorise les racines africaines à travers le vaudou et le créole. Le Vaudou est le marronnage intérieur, où se cache l’africanité non dans les mornes, mais dans le cœur, l’âme et les prières. Vaudou, marronnage premier.

Ma marque employeur, un atout en temps de crise !

Ma marque employeur, un atout en temps de crise !

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Tasha Jolley À cette crise sanitaire s’est adapté qui a pu, se relèvera qui pourra… Après cette crise sanitaire, notre résilience de chef d’entreprise a été mise à rude épreuve. Ce temps d’arrêt pour certains et d’affluence pour d’autres était aussi l’occasion de faire un bilan de la structure de nos entreprises, de la flexibilité de notre organisation et de prendre du recul sur les leviers essentiels pour assurer la performance, avenir de nos structures. Mais regardons les choses sous un autre angle. Enfin, essayons ! © Stéphanie Harvey Ma réalité de chef d'entreprise. Notre environnement, nos habitus conditionnent nos actions. Créer son entreprise est parfois l’occasion de casser les codes qui ne nous correspondent plus ou qui sont contraires à notre vision. Nombreuses sont les raisons de passer à l’action : manque de reconnaissance dans son emploi, perte de sens, recherche d’une qualité d’actions et de prestations, création de son propre emploi (sortir de l’inactivité), besoin d’affirmation de soi… Autant de raisons aussi légitimes les unes que les autres, mais qui marquent néanmoins une envie commune de sortir d’une réalité subie pour s’orienter vers une prise en main de son destin, une volonté d’avancer selon sa propre vision et dans la majorité des cas « faire autrement » ! Mais à quel prix ? La tentation de rentrer dans l’engrenage de l’épuisement professionnel et personnel devient alors de plus en plus forte (…) Le don de soi ! Cette fameuse abnégation qui nous porte à la création et qui nous pousse à nous donner corps et âme pour la réussite de notre projet. Non sans risque, mais tellement énergisante ! Notre entreprise devient notre « bébé » comme beaucoup ont tendance à le dire. Un « bébé » que l’on se doit de protéger, nourrir, soigner, habiller, éduquer et faire grandir. Cependant, les mots ont leur importance ! Non pas « faire grandir », mais « aider à grandir » et c’est bien là tout le piège de l’histoire. © Anca Gabriela Zosin Au fil des années, ressentez-vous une forme d’épuisement avec la sensation de porter seul(e) l’ensemble des difficultés de l’entreprise, avoir la sensation de ne pas être entouré(e) à votre juste valeur ? La tentation de rentrer dans l’engrenage de l’épuisement professionnel et personnel devient alors de plus en plus forte : perte de lucidité, identitaire parfois ; allant jusqu’à la répétition de schémas que vous avez toujours rejetés. Ne culpabilisez pas ! Cela est normal. (…) en temps de crise, c’est le spectre de l’individualité qui prend le dessus, ce phénomène peut être tempéré et coloré par l’existence d’une cause commune (…) En créant, nous nous positionnons avant tout comme technicien(ne), expert(e) du cœur de métier de notre entreprise. Cependant, les casquettes de dirigeant(e) sont multiples et il ne semble pas humain de pouvoir mener de front l’ensemble de ces métiers sur toute la durée de vie d'une entreprise, 99 ans. Une vie d’entreprise qui comme toute entité dotée d’une personnalité évolue dans un environnement en mouvement. Être chef(fe) d’entreprise n’est pas de tout repos, parole de RH Business Partner entrepreneuses ! Alors, comment faire preuve d’autant de flexibilité ? Comment mener toutes nos missions de front ? Sans parler, bien évidemment, de votre vie personnelle ! Une dichotomie interne à la limite de la schizophrénie qui en temps de crise ou post-crise, nous empêche d’avoir une perception éclairée des décisions à prendre. Nous devons nous adapter, mais comment ? Assurément, en tant que chef(fe) d’entreprise expert(e) vous avez autour de vous une équipe de collaborateurs(trices) investie partageant votre passion pour l’entreprise et mobilisée pour le projet commun ou encore vous avez à votre disposition des conseillers compétents et disponibles… © Annie Spratt Culture d’entreprise ou culture de l’entreprise ? Alors à ce stade de l’article, nous vous mettons au défi de trouver la définition de la culture d’entreprise et de distinguer la nuance avec la culture de l’entreprise. Bien évidemment pas de définition toute faite, mais l’expression de ces deux notions au sein de votre entreprise. Facile ou non ? Encore une fois, ne culpabilisez pas, ce n’est pas inné. Ces deux notions n’en demeurent pas moins capitales pour garantir la flexibilité ; un climat interne favorable à la performance et aussi éviter l’engrenage que nous avons abordé plus tôt. La culture d’entreprise est unique à chaque entreprise, elle fait référence à un socle de fonctionnement commun réunit autour de valeurs, de rites, d’une histoire, d’une mission, d’une vision, d’une identité propre et de l’identité du/de la dirigeant(e). En général, elle n’est pas notre priorité au démarrage de notre activité, mais elle se doit de l’être au moins au moment du premier recrutement. Elle permet d’instaurer un mode de fonctionnement commun et annonce dès le début les règles du jeu. Il s’agit d’un véritable levier identitaire utile à la sélection des futurs collaborateurs, mais également à fédérer autour d’un projet commun. D'autre part, la culture de l’entreprise est quant à elle une notion d’autant plus indispensable, car elle fait référence à la perception de l’entreprise par les personnes qui la composent. Elle est un facteur déterminant de l’investissement de chacun au sein de l’organisation. N’étant pas systématique, elle se doit d’être cultivée par tous moyens, notamment à travers la culture d’entreprise, la formation, la transparence… L’être humain est complexe par sa diversité, mais cette pluralité intégrée à une culture d’entreprise partagée et librement choisie est une source de performance intarissable. Généralement en temps de crise, c’est le spectre de l’individualité qui prend le dessus, ce phénomène peut être tempéré et coloré par l’existence d’une cause commune à laquelle on croit et qui nous permet de satisfaire nos besoins primaires individuels. Mais pour cela, il faut convaincre. Et comment le faire si ce n’est par des actions au quotidien visant à renforcer et faire vivre la culture d’entreprise et de l’entreprise de manière collective ? L’anticipation ! © Quinn Buffing Ne recrutez plus le/la collaborateur(trice) qui vous ressemble, mais celui ou celle qui partage la culture de votre entreprise. C’est le moment de revenir sur cette notion « d’aider à grandir ». Votre entreprise a été créée à votre initiative, mais sauf si vous envisagez de rester seul(e) à la faire tourner, vous devrez vous entourer de personnes compétentes. Alors, recherchez des collaborateurs et aidez-les à grandir au sein de votre structure comme vous le feriez avec des associés et non comme des employés. Notre état d’esprit participe à notre conditionnement, mais aussi à celui de notre entourage. Une approche collaborative apporte plus de fruits, car c’est en toute conscience de l’ensemble des enjeux de l’entreprise et de son environnement que vous serez plus productifs collectivement. Oui, l’idée de création vient de vous, oui les risques financiers ont été et sont supportés par vous, oui vous êtes le/la représentant(e) légal(e), mais ne pensez-vous pas que l’on prend plus soin de choses auxquelles on tient et dans lesquelles l’on se retrouve ? Un conseil : cultivez votre marque employeur ! Cela passe par la définition d’une culture d’entreprise, l’éveil des consciences en interne sur la culture de l’entreprise, des recrutements plus ciblés et qualitatifs, une nouvelle perception de son rôle de chef(fe) d’entreprise et du fameux « bébé ». L’utilité de ces leviers réside dans leur portée qui est à la fois interne (performance, fidélisation, collaborateurs premiers ambassadeurs…), mais aussi externe (éthique, responsabilité sociétale de l’entreprise, changement des modes de consommation…). Vous pouvez vous faire accompagner dans cette définition et ainsi vous libérer du temps utile à la prise de recul et au développement de votre business. Faire appel à des spécialistes de la question est la garantie d’un retour sur investissement durable. La flexibilité est un levier de performance en temps de crise et de post-crise. Le temps des constats statiques est révolu, passons à l’action sans plus attendre pour la pérennité de nos entreprises. Pensons autrement !

Accord de performance collective et cohésion interne

Accord de performance collective et cohésion interne

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Aman Abdulalim Au vu des différentes crises que nous traversons depuis la pandémie de Covid-19, nos entreprises doivent faire face aux conséquences de ces situations inédites et déployer toutes les ressources pouvant permettre des sorties de crise positive. Un des outils disponibles pouvant aider certaines entreprises à faire face aux difficultés est l’Accord de performance collective. Sous cet intitulé, il est clairement indiqué qu’il s’agit d’une mesure visant à favoriser la préservation du collectif. Mais comment donner toutes ses chances à l’Accord de performance collective au sein de votre structure ? Accord de performance collective. Cet outil permet aux entreprises, de toute taille, confrontées à des difficultés économiques d’adapter le cadre habituel du travail dans leurs locaux afin de se donner plus de chance de traverser les difficultés rencontrées. Ainsi, l’Accord de performance collective, que nous appellerons APC, permet d’agir sur les éléments suivants : l’aménagement de la durée du travail et de la rémunération, les modalités d’organisation et de répartition de la durée du travail, l’identification des conditions de la mobilité professionnelle et géographique en interne. Les modalités définies vont supplanter l’existant dans les contrats de travail, et ce pour la durée d’application communément décidée. L’APC va donc permettre de s’adapter à la situation en gagnant en agilité et en flexibilité, le tout au service d’une sortie de crise collective. L’objectif est donc de préserver au maximum les emplois, les compétences et les talents de l’entreprise. Voyons dans un premier temps, comment le mettre en place. (…) plus votre culture d’entreprise est connue, palpable et partagée en interne, plus il sera possible de faire bloc et de mobiliser le collectif sur l’APC… Cas de l’entreprise de moins de 11 salariés et de 11 à 20 salariés dépourvue de CSE. L’entreprise doit communiquer un projet d’accord à l’ensemble de ses collaborateurs pour ensuite organiser une concertation. Cette dernière ne pourra avoir lieu qu’à partir du 15e jour de la transmission du projet aux salariés. Pour être valide, ledit accord devra être voté par la majorité des deux tiers des collaborateurs. Une fois mis en place, chaque année avant la date d’anniversaire, l’accord pourra être dénoncé par chacune des parties : l’employeur ou la majorité des deux tiers des collaborateurs. ©  Kam Idris Cas de l’entreprise de plus de 11 à 50 salariés disposant d’un CSE. Dans les entreprises dont l'effectif habituel est au moins égal à cinquante salariés, en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement, les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique  (CSE) peuvent négocier et conclure cet accord s'ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou à défaut par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives au plan national et interprofessionnel. Les organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou à défaut les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel sont informées par l'employeur de sa décision d'engager des négociations. Après négociation, la validité des accords est subordonnée à sa signature par les membres de la délégation du personnel du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres lors des dernières élections professionnelles. Un collaborateur en confiance sera plus enclin à entendre et comprendre les difficultés rencontrées par l’entreprise et ainsi la nécessité des changements envisagés à travers le projet d’APC. Pour ce qui est de l’organisation des négociations, l'employeur fait connaître son intention de négocier aux membres de la délégation du personnel du CSE par tout moyen. Les élus qui souhaitent négocier le font savoir dans un délai d'un mois et indiquent, le cas échéant, s'ils sont mandatés par une organisation mentionnée. À l'issue de ce délai, la négociation s'engage avec les salariés qui ont indiqué être mandatés par une organisation ou à défaut avec des salariés élus non mandatés. Mais au-delà du formalisme réglementaire, comment mobiliser autour de l’APC, comment faire pour que l’APC soit compris comme un outil de sauvegarde collectif ? ©  Alexandra Gormago Les critères facilitant l’APC. La confiance envers sa direction. Un collaborateur en confiance sera plus enclin à entendre et comprendre les difficultés rencontrées par l’entreprise et ainsi la nécessité des changements envisagés à travers le projet d’APC. Vos équipes et vous pourrez alors être concentrés sur la recherche de solutions collectives. Mais qu’est-ce qui favorise la confiance envers sa direction ? La transparence, la communication interne, l’équité, des décisions justes perçues comme telles, un management faisant grandir l’homme, l’association aux prises de décision… Il est également intéressant de noter que la confiance envers sa direction est fortement corrélée à la transparence de cette dernière et à la qualité de la communication interne. Une compréhension des enjeux de l’entreprise . Plus vos collaborateurs seront formés et accompagnés dans l’appropriation du fonctionnement global d’une entreprise, et plus particulièrement la leur, plus leur compréhension des retombées des évènements de la vie de l’entreprise et/ou du marché facilitera leur adaptation et adhésion aux choix stratégiques qui pourront en découler. De plus, cette compréhension permettra de rendre leur participation aux processus de décision encore plus percutante. Oui, il s’agit de la culture de l’entreprise de vos collaborateurs. La culture d’entreprise. Parallèlement, plus votre culture d’entreprise est connue, palpable et partagée en interne, plus il sera possible de faire bloc et de mobiliser le collectif sur l’APC, sur ce levier de préservation dans le temps de l’entreprise et de ses emplois. Détrompez-vous, la culture d’entreprise n’est pas que l’affaire des grandes entreprises. S’impliquer, se sentir concerné(e) en entreprise est aussi une affaire de sens, au-delà des responsabilités liées au poste occupé. Parce que, soyons honnêtes, un collaborateur qui « fait le job » et respecte les engagements de son contrat, c’est bien. Mais n’est-ce pas plus stimulant de collaborer avec des personnes concernées et impliquées ? Doublement intéressant : au quotidien vous irez plus loin et plus vite, et en temps de crise, vous ferez plus facilement bloc. ©  Zac Wolff Comment aller vers l’adhésion et la réussite de l’APC ? Que les critères facilitants soient acquis ou pas dans votre organisation, vous pouvez adopter une stratégie favorisant l’adhésion. Un APC c’est du changement ! Selon les mesures envisagées, du changement dans la vie professionnelle et personnelle, en ce qui touche les revenus, les loisirs… Bref, potentiellement un projet non sans conséquence collectif et individuel. L’impact pour chacun des collaborateurs lui sera propre, il ne s’agit pas d’évaluer la pertinence des motifs justifiant les attitudes réfractaires, mais de venir accompagner les collaborateurs vers l’acceptation des changements en les guidant de la remise en question à la remobilisation à travers les différentes phases de la courbe du changement (déni, colère, peur, marchandage, dépression, acceptation, expérimentation…). (…) il sera également important de faire régulièrement le point sur l’évolution de l’entreprise : les efforts consentis apportent-ils les résultats escomptés, une sortie de crise est-elle en vue à l’horizon ? Soyez transparent, communiquez et adaptez votre communication à chaque population de l’entreprise. Vous donnerez ainsi plus de chance au projet d’être compris dans sa globalité : nécessité, finalité, mise en œuvre, incidences, conditions de réussites, facteurs d’échec, prévisionnel de sortie… Par ce biais, vous allez informer, rassurer et rallier le plus de collaborateurs que possible, faisant ainsi de certains des ambassadeurs. Et plus que tout : soyez disponible ! À défaut d’une communication de votre initiative, vous prenez le risque que les collaborateurs partent en quête d’information ailleurs et par voie de fait, le risque que les informations soient erronées. Aussi, assurez-vous de faire le maximum pour communiquer suffisamment en interne pour que chacun ait les fondements du projet que vous leur soumettrez, au-delà d’informations réglementaires dont vous avez l’obligation. ©  Cléo Vermij Et après ? L’APC étant une aventure collective, vous vous devez de le vivre comme tel. Ici, accompagnez vos équipes dans la mise en œuvre de l’APC, dans la transformation réelle qui se met en place dans l’entreprise et dans les vies personnelles des collaborateurs. Prenez le temps de recueillir des retours d’expériences, d’entendre ce qui est plus compliqué que prévu pour les équipes, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas… L’enjeu étant de garder le contact et de manager cet APC au quotidien afin de ne pas laisser s’installer des non-dits, des frustrations. (…) la transparence et la communication seront vos plus grands alliés. L’APC ayant pour objectif de traverser les difficultés, il sera également important de faire régulièrement le point sur l’évolution de l’entreprise : les efforts consentis apportent-ils les résultats escomptés, une sortie de crise est-elle en vue à l’horizon ? Ne l’oublions pas, l’objectif est la sortie de crise et le retour à une situation normale. Mais me direz-vous ? Et si la sortie de crise est plus compliquée que prévu ? Là aussi, la transparence et la communication seront vos plus grands alliés.

Sargasses et voies de valorisations

Sargasses et voies de valorisations

Par Sarra Gaspard Photo : Alex Perez Les algues sargasses s’échouant sur les côtes de la Guadeloupe et des autres îles de la caraïbe sont les espèces Sargassum natans et Sargassum fluitans . Ces végétaux sont maintenus à la surface des océans par de petites poches sphériques remplies d’un gaz produit par l’algue elle-même. Elles peuvent ainsi croître et se diviser au large sans se fixer, et survivre sur de longues distances. Des études récentes utilisant l’analyse d’images satellitaires ont montré que ces sargasses ne proviennent pas de la mer des sargasses comme on pourrait le supposer a priori . Ces amas d’algues proviennent d’une nouvelle région située au nord de l’estuaire de l’Amazone, au Brésil. Elles sont ensuite poussées par les courants océaniques et le vent des systèmes dépressionnaires de la zone de convergence intertropicale. Elles bénéficient pour se reproduire d’une température océanique élevée et d’un apport en nutriments des fleuves Amazone et Congo. Compte tenu de la destruction massive de la mangrove d’Amérique latine, qui permettait auparavant de retenir une grande partie des nutriments provenant des fleuves, les nutriments contenus dans l’eau de l’Amazone et L’Orénoque sont déversés en quantité importante aux embouchures de ces fleuves et favorisent la croissance de ces algues. Les sargasses remontent ensuite le long de l’Amérique du Sud grâce au courant nord brésilien et rejoignent finalement les côtes d’Amérique Centrale et du Golfe du Mexique d’une part, mais aussi l’autre côté de l’Atlantique atteignant depuis 2011, les côtes du continent africain, du Sénégal au Nigeria. (…) une biomasse renouvelable telle que la sargasse peut constituer à la fois une source d'énergie durable et une alternative viable aux technologies de dépollution coûteuses. En mer, ces algues peuvent constituer des niches de protection pour les juvéniles poissons et crustacés comme pour les tortues marines. Mais arrivées sur la frange littorale, elles forment un barrage difficilement franchissable pour les tortues marines, empêchant les tortues adultes de venir pondre et les tortillons de rejoindre la mer lorsqu’ils sont sortis du nid. Les coraux ne pouvant plus recevoir de lumière sont aussi affectés indirectement par la présence de ces épais bancs de sargasses en surface. Arrivées sur les côtes, ces algues s’accumulent et appauvrissent le milieu en oxygène, elles se décomposent sur les plages, et produisent de l’hydrogène sulfuré, un gaz présentant une odeur nauséabonde et des risques pour la santé. Il est alors recommandé aux personnes vulnérables (enfants, personnes âgées ou malades) d’éviter les zones de décomposition. Ainsi, depuis 2011, les côtes des îles de l’arc caribéen ont connu des échouages massifs et successifs de sargasses, qui se sont ensuite reproduits, en 2012 et 2014, puis 2015. Ainsi de mars à août 2015, les côtes des Antilles ont été particulièrement affectées conduisant à des conséquences majeures sur divers secteurs de l’économie locale, tels que la pêche et le tourisme balnéaire. Aussi, en Guadeloupe et Martinique, a été mis en place par les pouvoirs publics, un plan ayant pour objectif de mener des actions de lutte coordonnées contre l’invasion des sargasses et ses conséquences. Il prévoit le soutien de projets prévenant l’échouage des sargasses, et permettant leur collecte en mer ou au sol grâce à des techniques respectueuses de l’environnement. © David Doublet L’autre aspect des actions soutenues concerne la valorisation des sargasses qui peut être aussi considérée non plus comme un déchet, mais comme une nouvelle matière première renouvelable. Les voies de valorisation envisagées sont potentiellement multiples. L’alimentation animale, ou la production d’engrais à base de sargasses est une filière envisagée. Il est cependant nécessaire que les concentrations en métaux lourds ou composés organiques polluants de la biomasse échouée soient mesurées, afin d’éviter toute propagation des polluants accumulés par les algues lors de leur trajet. Les sargasses sont aussi susceptibles de constituer un réservoir de molécules biologiques d’intérêt : agar, alginates et carraghénanes. Il s’agit d’agents gélifiants, épaississants, et stabilisateurs utilisés dans l’agroalimentaire, ou encore de molécules dont les applications dans des secteurs divers allant de l’industrie pharmaceutique à la cosmétique sont connues. Les sargasses pourraient enfin être utilisées pour la production d’énergie à partir des procédés de méthanisation ou de carbonisation, et elles pourraient être transformées en matériaux à forte valeur ajoutée pour le traitement des pollutions. En effet, le nombre d'études sur l'utilisation de biomatériaux pour la fixation des polluants a fortement augmenté au cours des dernières années. Ces procédés attirent considérablement l’attention des chercheurs travaillant dans le domaine du traitement de l'eau, car ils présentent de nombreux avantages (matériaux renouvelables et peu coûteux), et possèdent une bonne aptitude à la concentration de composés organiques ou métalliques. L’envahissement par ces algues sargasse constitue un phénomène nuisible non seulement pour l’environnement, la faune, la flore, mais aussi, les humains, avec aussi des conséquences notoires sur l’économie locale et la santé. Il s’agit d’un fléau, qui compte tenu de son origine, sera certainement massif et récurrent. Des solutions rapides et économiquement viables doivent donc être trouvées de toute urgence. Relever ce challenge nécessite, la coopération des États concernés dans la recherche de solutions et de repenser le modèle d’exploitation des ressources actuelles, en envisageant les sargasses comme une ressource, une source de matière première. Dans le contexte mondial ou parmi d’autres, deux des défis majeurs sont la production d'énergie durable et l'approvisionnement en eau de bonne qualité, une biomasse renouvelable telle que la sargasse peut constituer à la fois une source d'énergie durable et une alternative viable aux technologies de dépollution coûteuses. Par ailleurs, ce phénomène démontre encore une fois si cela était nécessaire, l’interdépendance des États dans les choix économiques, leurs conséquences et dans la gestion des crises environnementales.

L’économie circulaire

L’économie circulaire

Par Mary B Photo : Yuyeung Lau Si l’on se réfère à la définition classique, l’économie circulaire est l’économie des circuits d’échange court, de la proximité et de l’optimisation de toutes les ressources qu’elles soient naturelles ou énergétiques. Elle a pour objectif de produire des biens et services tout en limitant fortement la consommation et le gaspillage des matières premières et des sources d'énergies non renouvelables. Dans cet espace bouillonnant d’opportunités et d’offres de consommations, gageons que notre regard sera plus vigilant et résolument tourné vers le futur de nos enfants. © Jilbert Ebrahimi
Aujourd’hui, quand nous posons un regard objectif sur le monde, notre constat est sans appel : les richesses naturelles ne sont pas inépuisables. Il est plus que jamais nécessaire de prendre conscience des limites de notre monde et surtout du caractère fragile de notre environnement naturel. Notre discours ne se veut pas alarmiste, mais alarmant, pour que se dessine une véritable volonté citoyenne d’observer les choses à partir d’une nouvelle approche : un développement économique soucieux d’un meilleur équilibre et du bien-être de la population, tout en préservant son environnement. (…) la donnée environnementale doit ainsi être prise en compte dès la conception de ce modèle économique : « comment produire en respectant mon environnement ? » Pour un territoire insulaire comme le nôtre, qui dépend pour beaucoup d’un apport extérieur dans son système de consommation courante (alimentaire, habillement, construction), avec des conséquences indéniables sur notre production de déchets, nous nous devons d’être un modèle, un exemple en matière de gestion de nos ressources et de notre système de valeurs. Pour cela, beaucoup d’initiatives s’attachent à revaloriser notre savoir-faire local, à favoriser les circuits courts et à économiser les ressources. Dans la démarche que nous évoquons aujourd’hui, il n’est pas question d’invention, mais d’initiative innovante, puisque nous partons d’un bien, d’une matière, de savoir-faire issu de notre patrimoine pour les adapter, les transformer et les rendre viables. Voici posé le contexte de l’économie circulaire, partie intégrante de l’Économie sociale et solidaire (ESS) (définie par la loi Hamon de juillet 2014). L’exigence environnementale : la donnée environnementale doit ainsi être prise en compte dès la conception de ce modèle économique : «  comment produire en respectant mon environnement ?  » En produisant différemment, en tenant compte de ce côté environnemental, en se basant sur un savoir-faire, on se dirige vers du mieux-être, du bien vivre, afin de concevoir autrement la relation et les effets de l’économie sur l’environnement. Cela va passer également par le développement de nouveaux métiers et de nouveaux systèmes économiques. Prenons l’exemple du « jardin partagé » (conçu, créé collectivement par les habitants d’un quartier) : on va chercher à manger mieux, à réapprendre le goût. Le « jardin partagé » dans l’Hexagone est l’un des moyens pour lutter contre la vie chère et l’épuisement des ressources. Lorsqu’on adaptera cette formule aux zones tropicales, il ne s’agira plus de produire uniquement pour sa consommation personnelle : le surplus sera commercialisé avec une nouvelle forme de commerce de proximité. © The blowup On peut alors légitimement se poser la question : l’émergence et l’extension de ce modèle sont-elles subordonnées à l’existence d’une volonté politique ? Pour faire bouger les choses au départ, certainement, mais il faut surtout une prise de conscience générale et je crois qu’elle est en train d’émerger. Le citoyen s’engage, prend sa place. On n’est plus dans une expression du pouvoir, mais dans la recherche d’un équilibre.

Ce passé qui ne passe pas

Ce passé qui ne passe pas

Par Seteve Gadet Photo : Eduardo Gorghetto L’altercation entre Mr Augustin et Mr Chaulet à Basse-Terre révèle ce que la société de consommation essaie de nous faire oublier : le passé esclavagiste ne passe pas. On ne le voit pas tous les jours, mais c’est encore une ombre qui recouvre certains domaines dans le pays. Cette dispute, ces injures racistes évoquent la question de la race, de la mémoire, de l’histoire et la question socio-économique aux Antilles. Je condamne fermement les propos et les gestes de Mr Chaulet. Ceux qui croyaient que la Guadeloupe ne portait plus ce genre d’état d’esprit reviennent de loin. Il y a encore des gens qui pensent comme lui dans nos îles, des jeunes qui grandissent en étant biberonnés par l’esprit anti-nègre. Certaines personnes ne disent rien, mais leur attitude, leur action et leur manière de vivre viennent de cet esprit-là. Le racisme, d’où qu’il vient, est criminel parce qu’il déshumanise, affaiblit et marginalise des êtres humains. Je suis indigné, mais lucide. Bien que j’ai des raisons de le faire, je refuse de cultiver l’amertume et la haine. Je serai du côté de ceux qui travaillent à une meilleure entente entre les gens qui partagent ce bout de terre que nous aimons tant, la Guadeloupe. Le discours du Président de la République qui a provoqué la réaction de Joëlle Ursull démontre autre chose. Les Français blancs qui vivent dans l’Hexagone et les Français noirs qui vivent aux Antilles pensent à partir de lieux mémoriels différents. En fonction de certaines questions, ils pensent leur passé, leur existence et leur futur différemment. On pense l’histoire à partir d’angles différents. Certaines choses ont plus ou moins d’importance que d’autres en fonction de notre communauté. En cherchant à désavouer Joëlle Ursull, la ministre de la France d’outre-mer a été très maladroite. Est-ce parce qu’elle vit en France hexagonale depuis longtemps ? À vous de voir. George Pau-Langevin est une femme intelligente et engagée depuis longtemps pour une société plus équilibrée. Je ne vais pas faire comme certains l’ont fait et la disqualifier seulement à partir de ces propos. Elle devra néanmoins un jour réparer le tort qu’elle a causé chez certains d’entre nous. Il me faut quand même répondre à son argument. Selon elle, les intentions des bourreaux des Juifs et ceux des Africains n’étaient pas les mêmes donc les crimes commis n’ont pas la même ampleur. Ce ne sont pas les intentions qui comptent ici, ce sont les faits. Déshumaniser, brutaliser pour exterminer ou déshumaniser, brutaliser pour le travail forcé ; les faits restent. L’impact de l’esclavage est encore palpable aujourd’hui quoi qu’en disent les partisans du « An nou finn èvè sa ». L’esclavage a été un système brutal, vicieux et inhumain qui a broyé des femmes, des hommes et des enfants. C’est un système économique, politique, culturel, religieux et éthique qui a profité à des groupes. Il a provoqué des handicaps psychologiques et sociétaux sur plusieurs générations dans la région Caraïbe et ailleurs. Certaines personnes en Guadeloupe ne respectent pas ceux qui sont dans une position socio-économique inférieure. C’est un fait même si d’un point de vue éthique, le respect et la dignité ne devraient pas dépendre de notre condition socio-économique. Face à ça, je suis d’accord avec le Dr Boyce Watkins lorsqu’il dit que le pouvoir politique sans le pouvoir économique, c’est comme avoir le permis sans avoir la voiture. Vous n’irez nulle part sauf si quelqu’un vous permet d’avoir une voiture. L’impact de l’esclavage est encore palpable aujourd’hui quoi qu’en disent les partisans du «  An nou finn èvè sa  ». Si j’étais au pays, j’aurais pris part aux manifestations pour dire non au racisme dignement et pacifiquement. ©  Matthew Brady Exhibit B "Human zoo" © Brett Bailley
Non. L’ignominie, la brutalité et l’exploitation à des fins économiques ou politiques n’ont pas de mesures ni de nationalités. Les comparaisons entre des souffrances n’ont jamais rien amené de bon. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à comprendre et évaluer les préjudices subis. Cela dit, ceux qui comparent les souffrances ont un message à faire passer. Parfois, il vaut la peine d’être entendu. D’autres fois, ils déshonorent la mémoire de ceux qui ont vécu ces souffrances. En France Hexagonale, la présence des communautés de couleurs dans la culture dominante ne leur a pas toujours été favorable et des stéréotypes ont renforcé certaines perceptions. Ces communautés ont souvent été jugées et classées par rapport à des standards qui n’avaient aucun fondement dans la réalité. On peut comprendre leur besoin de reconnaissance et leur besoin de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Cela ne veut pas non plus dire que toutes les personnes issues de ces communautés ont attendu des paroles de reconnaissance ou des dispositifs spéciaux pour se construire. Peu importe notre couleur de peau, on doit tous apprendre à reconnaître comment notre groupe ethnoracial est entré en contact avec d’autres groupes… Ce processus veut que nous apprenions à mettre les « chaussures » des autres. Dans une société multiculturelle, l’histoire envisagée du point de vue d’une seule communauté nous donne ce qu’on a connu récemment d’où la réaction de Joëlle Ursull. Elle disait simplement au Président : «  Attention, vous parlez et regardez l’histoire que d’un seul côté. De mon côté, je ne la vois pas comme ça, car voilà ce que mes ancêtres ont vécu.  » Peut-être que son ton et ses mots ne sont pas toujours lisses, mais c’est ce que je garde du texte. Le 25 mars 2015, l’ONU a fait comme la Guadeloupe à Darboussier en inaugurant une stèle à son siège de New York en mémoire des victimes de l’esclavage. Ils l’ont fait afin de construire l’avenir sans oublier les conséquences du racisme et de l’avidité. On peut ne pas être d’accord avec les prises de position des uns et des autres par contre, il y a une chose dont nous devons nous préoccuper : c’est de la vérité des faits. La conscience des faits a été le point de départ de nombreux mouvements de réforme, de nombreux efforts pour faire cesser les injustices. La conscience fait partie du processus d’éducation. Peu importe notre couleur de peau, on doit tous apprendre à reconnaître comment notre groupe ethnoracial est entré en contact avec d’autres groupes. Les blancs doivent le faire, les noirs aussi, les Indiens, les métisses, les Haïtiens, les Dominicains, les békés, etc. Ce processus veut que nous apprenions à mettre les « chaussures » des autres. Nous ne sommes pas obligés de les garder, mais voir la vie, l’histoire à partir d’autres perspectives que la nôtre. Cela nous donne une compréhension plus profonde de l’histoire. Cela nous aide aussi à voir comment ces différents groupes ont répondu ou pas aux injustices. Nous avons tous des efforts à faire pour ne pas être captifs de notre vision du monde, captifs de notre culture. Moi le premier. Pourquoi ? Parce qu’elle nous met des lunettes lorsque nous regardons le monde. Le risque c’est que ces lunettes nous empêchent de comprendre la vision des autres. De temps en temps, nous devons apprendre à déposer nos lunettes et mettre celles des autres ; et vice versa. « Entre la vérité et la réconciliation, il y a un devoir de réparations ». Ce qui s’est passé à Basse-Terre nous montre que le passé ne passe pas pour certaines personnes. Lorsqu’on ignore cela, il nous revient un jour en pleine figure. Je ne m’attends pas à ce que Nicolas Chaulet voie les noirs autrement à la suite du procès. Comment puis-je changer le cœur d’un homme ? Seulement, je m’attends à ce que la justice lui rappelle que sa couleur et le passé de sa famille ne lui donnent pas le droit de traiter les noirs en Guadeloupe comme il a traité Mr Augustin. En privé, l’amour se manifeste par de la tendresse, mais lorsqu’il montre son visage dans l’espace public, on l’appelle justice. Et ça, c’est le « job » de nos institutions. Si elles ne restaurent et ne protègent pas, le risque est grand de voir le malaise racial s’approfondir sous le soleil. Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature en 1986 a dit : «  Entre la vérité et la réconciliation, il y a un devoir de réparations  ». Cette réparation peut prendre plusieurs formes. La justice doit réparer ce qui a été brisé à Basse-Terre au risque de continuer à porter l’héritage d’une «  certaine justice sous les tropiques  ». Cette même idée de la justice que nos grandes robes noires comme Félix Rodes, comme feux René Falla et Gerty Archimède ont souvent combattu farouchement. Cornel West, professeur de philosophie à l'Université d’Harvard, aux Etats-Unis. © Cornelwet
Le Dr Cornel West, l’un de mes modèles chrétiens et mon philosophe noir préféré, m’a appris que la douleur de mon peuple ne devait pas m’empêcher de comprendre celles des autres peuples ni chercher à les minimiser. Autrement dit, je ne dois jamais laisser la souffrance noire me rendre aveugle ou insensible à la souffrance des autres, peu importe leur couleur, leur culture ou leur civilisation. Dans un pays comme la France, des descendants de personnes réduites en esclavage ont eu parfois l’impression que la société et ses institutions ne prenaient pas en compte la souffrance de leurs ancêtres de la même manière que la souffrance des autres communautés. Il y a sûrement plusieurs raisons à cela que je ne vais pas commenter ici. La lutte pour la dignité est commune à tous les peuples. Tous en ont besoin alors qu’ils se battent pour avoir plus d’emprise sur leur existence. À la lumière de ce passé qui a du mal à passer, l’un de nos défis est de ne pas rester emmuré derrière les slogans et les démonstrations. La route de l’action et du dialogue reste à défricher. Je ne sais pas ce qu’elle me réserve, mais je veux y poser les pieds. L’un de mes rappeurs préférés s’appelle Ali et c’est un musulman. Ce jeune homme de 40 ans a dit récemment dans un entretien : «  Comment arriver à la paix sans dialogue ?  ». Nous devons continuer à devenir plus conscients du monde dans lequel nous vivons sans être immobilisés dans ce processus sinon le passé ne passera pas…

Le Mémorial ACTe, la mémoire sous contrôle.

Le Mémorial ACTe, la mémoire sous contrôle.

Par Jocelyn Valton, critique d'art/AICA Photo : Germma Chua-Tran Inauguré en Guadeloupe le 10 mai 2015 par le Président François Hollande en présence d'une pléiade de chefs d'États africains et des Caraïbes, le Mémorial ACTe se présente comme l'un des monuments les plus importants jamais construits à ce jour au niveau mondial, dédié à la mémoire de la traite et de l'esclavage. Une infrastructure de cette envergure déployée dans l'espace public ne saurait être pensée autrement que comme invitation faite aux citoyens de toutes origines d'exercer leur sens de l'analyse critique après plus d'un siècle et demi de non-dits. Ainsi, plutôt qu'appeler au boycott, comme le font quelques-uns (ils ne pourront empêcher les visites en nombre du public, des scolaires notamment), c'est à la visite consciente et vigilante du Mémorial ACTe que j'invite. Chacun pourra vérifier ce que j'identifie comme la trame d'un discours qui, à vouloir être trop consensuel, devient hésitante, entre minoration et révisionnisme subtil. Exposition "Le modèle Noir" © Sophie Crepy Scénographie représentant la franc-maçonnerie © Agence Confino-Alphabeth Tout au long de l'exposition permanente le visiteur pourra être étonné de l'angle choisi, qui sous de nombreux aspects est en contradiction avec l'idée même du concept de Mémorial (monument d'importance variable, censé être érigé pour « honorer la mémoire », de ceux qui ont dramatiquement disparu) : présentation d'Africains comme étant à l'origine du commerce négrier et ayant participé avec les conquistadors à la mise en esclavage des Amérindiens et à leur massacre. Films d’animation présentant des femmes esclaves monnayant leurs charmes auprès des planteurs et éludant la violence sexuelle intimement liée au système esclavagiste (comme si ces femmes esclaves n’étaient pas des « biens meubles » et disposaient librement de leurs corps). Commentaires ambigus sur les « Nègres libres » présentés en « brigands » agresseurs de femmes (comme si l’esclavage, finalement, permettait d’éviter les désordres). Frise de personnages et de dates présentant la France comme un pays ayant toujours été abolitionniste (depuis la reine Bathilde – France : 626-680 –, « ancienne esclave » ayant interdit l’esclavage !), pour faire oublier que la France a été la seconde puissance négrière après l’Angleterre et qu’elle n’a aboli définitivement l’esclavage qu’en 1848, contrainte et forcée pour ne pas voir une seconde révolte générale d’esclaves ; un deuxième Saint-Domingue. Pas de présence marquante de la figure centrale du marron et de la diversité des formes de lutte déployées par les esclaves. Présentation de l’esclavage comme un phénomène « universel » (finalement « naturel ») et minimisant les spécificités de la traite négrière transatlantique : racisme, massification, industrialisation de la traite et de l’esclavage. Mise en parallèle ambiguë d’une histoire de l’esclavage et d’œuvres d’art contemporain (l’art comme résultat « positif » de l’esclavage). Mise en scène spectaculaire de la franc-maçonnerie renvoyant au rôle de Victor Schœlcher (franc-maçon), comme « libérateur » et porte-drapeau d’une France « généreuse » effaçant l’image de la France en puissance esclavagiste. Choix manquant de pertinence d’une scénographie de « type contraignant », obligeant les visiteurs à se plier à l’ordre chronologique et linéaire du parcours. Exposition "Le modèle Noir" © Sophie Crepy © Agence Confino-Alphabeth Scénographie représentant le rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe. © Agence Confino-Alphabeth À mon sens et compte tenu du sujet, n’eût-il pas été préférable d’opter pour une scénographie plus ouverte qui placerait chaque spectateur sur les chemins du libre choix ? Faire l’expérience d’une liberté de parcours en véritable discours sur l’esclavage et la privation de liberté au lieu d’interdits et d’obligations anachroniques (commentaires de l’audioguide envahissants, interdiction de photographier…). Pas de présence marquante de la figure centrale du marron et de la diversité des formes de lutte déployées par les esclaves. Absence notable de la figure historique du colon esclavagiste, comme si le crime n’avait pas de visage. Présence d’une reproduction d’un tableau de Louis David présentant Napoléon Bonaparte « en majesté », main au gilet, et mise en scène dans un étrange couloir tapissé de miroirs du sol au plafond. Une aberration scénographique, car les miroirs au sol offrent à la vue incrédule des visiteurs, les dessous des jupes de toutes femmes qui ne seraient pas vêtues d’un pantalon lors de la visite. (…) la seule manière de savoir si le Mémorial ACTe est pertinent dans son contexte, c’est de vérifier sa capacité à faire son public penser, le rendant ainsi plus autonome et plus libre, ou bien, au contraire, s’il n’est pour ce public qu’un autre piège à aliéner. De même, absence des descendants actuels des planteurs (békés), de leur parole et d’une participation au Mémorial donnant corps au « vivre ensemble » si souvent évoquée. D’autre part, un éclairage insuffisant pour permettre de mieux comprendre le faisceau de liens entre ce passé (très récent) et nos sociétés d’aujourd’hui, principalement à l’échelle de la Guadeloupe, puis des Caraïbes et du monde. Comment cette économie plantationnaire, suivie de l’absence de réforme foncière et de redistribution des richesses après l’abolition de 1848, le passage de la main-d’œuvre servile à une main-d’œuvre sous-payée (tout autant exploitée et dominée), a accouché le capitalisme mondialisé d’aujourd’hui… Voilà quelques clés de lecture pour approcher ce Mémorial, à défaut de quoi, comme le révérend Jesse Jackson (leader historique de la lutte antiségrégationniste pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King) lors d’une visite éclair en juillet 2015, on se laisse impressionner, intimider, par l’aspect spectaculaire du bâtiment (ou de la scénographie). Ils ne sont pourtant que la surface d’une machine idéologique plus complexe qui ne s’est pas libérée de l’influence des forces du déni, du refus des pays occidentaux d’envisager des « réparations » pour ce crime contre l’humanité (la France et la Grande-Bretagne en tête), d’une vision intoxiquée par le racisme… Machine qui ne pourra servir l’histoire, l’art, les descendants d’esclaves, de planteurs esclavagistes (eux aussi en ont besoin) et tous les autres citoyens, qu’en procédant à une sérieuse refonte de son discours. Car au bout du compte, la seule manière de savoir si le Mémorial ACTe est pertinent dans son contexte, c’est de vérifier sa capacité à faire son public penser, le rendant ainsi plus autonome et plus libre (même quand cela met l’institution dans l’inconfort), ou bien, au contraire, s’il n’est pour ce public qu’un autre piège à aliéner.

Noire n’est pas mon métier, le livre manifeste

Noire n’est pas mon métier, le livre manifeste

La Rédaction Photo : Thomas Laisné «  Heureusement que vous avez les traits fins  », «  vous parlez Africain  ? », «  trop noire pour [jouer] une métisse  », «  pas assez africaine pour une Africaine  »… Noire n’est pas mon métier, c’est le titre d’un livre manifeste, paru le 3 mai 2018, dans lequel 16 actrices noires – et métisses – mettent en lumière le double plafond de verre, du racisme et du sexisme auquel elles sont – et ont été – confrontées. Une prise de parole choc, un pavé dans la mare, au nom des hommes et des femmes qui ne l’ont pas… Un camaïeu de noir, une variété d’âges, une diversité d’expérience, comme une envie de témoigner et tendre un miroir embarrassant à la France. Ce livre veut provoquer un débat dans la société française pour permettre une plus grande diversité et représentativité dans l’industrie du cinéma, du théâtre et de la télévision. Toutes y racontent des anecdotes, des scènes qu’elles ont vécues, des remarques et plaisanteries qu’elles ont dû subir. «  On n’est pas dans une accusation stérile, on est là plutôt pour dénoncer un système, un état de fait qui perdure depuis trop longtemps  », confiait Aïssa Maïga, à l’initiative de ce livre manifeste, au micro de France Inter. Elle raconte d’ailleurs ce jour-là une situation personnelle qu’elle évoque dans le livre : «  J’ai joué dans une comédie romantique et c’est la seule de tous les temps sur (l’affiche) laquelle il y a uniquement le personnage masculin. Ce n’est pas juste, ce n’est pas normal, ce n’est pas le film  ». Quinze actrices ont donc suivi Aïssa Maïga dans son combat : Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Sara Martins, Marie-Philomène NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré et France Zobda. Toutes ont été confrontées aux stéréotypes et aux clichés racistes dans leur carrière. À titre d’exemple, Le Monde  cite quelques-unes des remarques entendues par ces personnalités : «  Heureusement que vous avez les traits fins  », «  vous parlez Africain  ? », «  trop noire pour [jouer] une métisse  », «  pas assez africaine pour une Africaine  »… Le livre évoque de la manière la plus directe, le quotidien de ces artistes, confrontées aux carcans du cinéma français, et de la société au sens large. Ce livre est, purement et simplement, un constat alarmant de certaines pratiques dans les milieux artistiques notamment lors de castings où certaines de ces actrices sont reléguées dans les rôles de « Noires de service » sans oublier l’accent exagéré et stéréotypé qui va avec…

Toni Morrison, Délivrance

Toni Morrison, Délivrance

La Rédaction Photo : Richard Avedon «  Tout ce que je sais, c’est que pour moi, la nourrir, c’était comme avoir une négrillonne qui me tétait le mamelon  » L’enfant est un personnage récurrent, omniprésent dans la galaxie des figures que Toni Morrison convoque, de livre en livre, sur la scène de son éblouissant théâtre romanesque. Cela depuis son premier ouvrage, L’œil le plus bleu (1970), au centre duquel est le destin sans espoir de Pecola, une fillette noire qui rêve d’avoir la peau blanche et les yeux clairs. Ce vœu éperdu d’être une autre ; cela, afin que changent les regards qui se portent sur elle, Lula Ann Bridewell, l’héroïne de Délivrances – onzième roman de Morrison –, le porte aussi. Lula Ann est née «  noire comme la nuit, noire comme le Soudan  », se plaint Sweetness, sa mère – qui est, elle, «  une mulâtre au teint blond  », legs de ses grands-parents qui pouvaient aisément se faire passer pour blancs. D’où vient alors à Lula Ann cette peau d’«  un noir bleuté  », ses yeux noirs corbeau avec «  aussi quelque chose de sorcier  », décrit Sweetness. C’est inexplicable. «  Tout ce que je sais, c’est que pour moi, la nourrir, c’était comme avoir une négrillonne qui me tétait le mamelon  », ajoute la mère, qui fera payer à Lula Ann le fait d’avoir été quittée par son mari, à la suite de l’irruption dans leur vie de ce bébé «  d’une couleur terrible  ». Vingt ans plus tard, Lula Ann semble avoir conjuré la malédiction. Elle est devenue une superbe jeune femme, a créé une ligne de produits cosmétiques, roule en Jaguar, s’habille de blanc afin de souligner l’intensité du noir de sa peau, et a changé son nom – oubliée, Lula Ann, pour tous elle s’appelle Bride. Quand s’ouvre Délivrances  posé par son auteur, avec une belle assurance, en équilibre sur la ligne de crête qui sépare le roman du conte, le réalisme du merveilleux, fût-il parfois très sombre –, la remarquable entreprise de réinvention d’elle-même qu’a entreprise Bride vacille soudain. Il a suffi d’une phrase, jetée par son amant, Booker : «  T’es pas la femme que je veux . » Il a suffi d’un péché d’enfance, remonté à la surface du présent de Bride. La jeune femme est blessée, moralement, physiquement. Plus inquiétant est l’étrange processus de rajeunissement dont son corps semble la proie, perdant peu à peu ses attributs féminins pour revenir à l’état prépubère, glabre, plat, intact – Lula Ann est de retour dans la vie de Bride, désireuse peut-être de reprendre sa place… © Thimoty Greenfield-Sanders D’autres enfants habitent les pages fluides de Délivrances. Filles et garçons, noirs ou blancs, vivants ou morts. Il y a Lula Ann, Rain, Adam, d’autres qui parfois n’ont pas de nom, qu’on ne fait qu’entrevoir. Ils sont toujours victimes du racisme, de la prédation sexuelle, des défaillances morales des adultes. Au cœur du roman, comme s’il s’agissait de trouver un grand frère à tous ces enfants perdus, Toni Morrison glisse la silhouette de l’inoubliable Pip, l’orphelin des Grandes Espérances, de Charles Dickens. La romancière leur promet aussi un cadet, l’enfant de Bride et de Booker : «  Un enfant. Nouvelle vie. Hors d’atteinte du mal ou de la maladie, à l’abri des enlèvements, des coups, du viol, du racisme, des insultes, des blessures, de la haine de soi, de l’abandon. Libre d’erreurs. Rien que bonté. Sans colère. C’est ce qu’ils croient.  » Au terme de cette fable emplie de compassion, mais tout aussi lucide et implacable, poser un happy end aurait été une duperie. Dans Délivrances, Toni Morrison, prix Nobel de Littérature en 1993 reprend tous les thèmes qu'elle développe roman après roman depuis 40 ans : l'enfance, le racisme institutionnalisé aux États-Unis, la soumission, la violence, la famille, la haine de soi, la rédemption et l'amour… Cette fois la romancière dessine tout cela dans l'Amérique contemporaine, à travers le destin d'une femme. Elle y décrit un racisme à l'intérieur même d'une famille, la soumission à des normes à l'intérieur même de la communauté noire, et les difficultés à se frayer un chemin vers soi-même dans un monde où sévissent le mal, la maladie, les enlèvements, les coups, le racisme, les insultes, les blessures, la haine de soi, l'abandon…

Ta-Nehisi Coates, entre le monde et moi

Ta-Nehisi Coates, entre le monde et moi

Par Gisèle Wood Photo : Sébastian Kim « Je te le dis : cette question — comment vivre avec un corps noir dans un pays perdu dans le rêve — est la question de toute ma vie. » Poignante lettre adressée par Ta-Nehisi Coates à son fils de 15 ans, Une colère noire a connu, depuis 2015, un succès fracassant aux États-Unis, faisant de l’auteur, jeune journaliste à The Atlantic, l’un des intellectuels les plus écoutés du moment. Récompensé par le National Book Award, le livre a surtout été adoubé par la romancière Toni Mor­rison, qui a accueilli Ta-Nehisi Coates, né à Baltimore en 1975, comme la nouvelle voix capable de remplir le vide causé par la mort de l’écrivain James Baldwin en 1987. Coates à Baltimore à environ trois ans et ses frères et sœurs. C’est à une série de gouffres que s’attaque Between the World and Me (édition française : Une colère noire) : celui qui sépare d’abord le mirage du rêve américain, son prétendu confort égalitaire et protecteur (ses « belles pelouses » et ses « allées privées » ), de la réalité de l’injustice et de la peur ressenties par l’auteur tout au long de sa vie. Une insécurité physique, viscérale, « terreur pure de la désincarnation, de la perte de mon corps » , allant de la violence de la rue, des couteaux et armes à feu aux arrestations et fouilles arbitraires, en passant par le tout-venant des vexations racistes (ainsi cette femme qui, par une petite tape dans le dos doublée d’un « Allez ! » , s’en prend au fils de Ta-Nehisi Coates qui, à l’âge de 5 ans, lambinait dans un cinéma). Cette permanente dépossession de soi est un héritage de la fabrique raciste, autre gouffre qui désunira à jamais les noirs des blancs —  « ils ont transformé nos corps pour en faire du sucre, du tabac, du coton et de l’or »  : « N’oublie jamais que nous avons été esclaves dans ce pays plus longtemps que nous n’avons été libres. » Cette longue histoire pleine de cicatrices ne souffre d'aucune compensation. Dans ce livre à l'allure d'une passation générationnelle si tragique, le père ne laisse pas d’espoir à son fils, qui aura toujours « le vent de face et les chiens sur les talons  » : « Ne détourne jamais les yeux de cette réalité. » Les victimes se nomment Michael Brown, Eric Garner ou Trayvon Martin. Gouvernée par un président noir, l’Amérique a connu une recrudescence de violences perpétrées par des policiers souvent acquittés, meurtres racistes systémiques, « carburant » qui alimente, encore et toujours, « la machine américaine » de destruction du corps noir. Ce gouffre, c’est finalement celui qui sépare l’auteur du monde, vertige que Ta-Nehisi Coates a choisi, dans ses articles et essais, de décrypter, sans ­passer sous silence la froideur qu’il a par exemple ressentie devant les ruines du 11 Septembre : « J’avais mes propres désastres à affronter »… Voilà pourquoi le titre américain, Between the world and me (entre le monde et moi), s’avère bien plus riche que le cliché français de la « colère noire » — sans compter que la figure du Black enragé (homme ou femme) est l’un des stéréotypes racistes les plus tenaces outre-Atlantique. « Je devais, je dois survivre pour toi. » © John Edmonds. Si l’écriture compense en partie la blessure de la dépossession de soi, c’est qu’elle s’incarne dans l’épaisseur d’une vie, qui éclot dans le Baltimore des années 1970, se confronte à la rue et à l’école, les « deux bras d’un même monstre » , à l’identification avec Malcolm X, pour trouver une voie à l’université Howard à Washington, « La Mecque, carrefour de la diaspora noire » , puis dans le journalisme. Jusqu’à cette déclaration d’amour, désespérément lyrique, à son fils : « Je devais, je dois survivre pour toi. »

Michelle Obama, Becoming

Michelle Obama, Becoming

Par Gisèle Wood Photo : Thomas Whiteside « C’est l’heure. Je pense que notre démocratie a vu juste : deux mandats, huit ans. C’est assez », confie Michelle Obama dans les colonnes du magazine Vogue US. Elle l'avoue : « La vie à la Maison-Blanche isole. […] Barack et moi, parce que nous sommes un peu têtus, avons maintenu une certaine normalité, principalement en raison de l’âge de nos enfants ». « Je sors dîner avec mes copines, je vais au match de Sasha… », insiste celle qui dit adopter « la même démarche en partant qu’en arrivant ». Ses premiers pas à Washington n’ont pourtant pas été si sûrs « Je ne savais pas ce que j’allais faire avant d’arriver, je n’avais jamais été First Lady des États-Unis d’Amérique. » © The Obama-Robinson Family Archives Née le 17 janvier 1964, Michelle Obama a grandi à Chicago dans le South Side, quartier communautaire, au sein d’un foyer uni. Son parcours ? En 1981, elle entre à l’université de Princeton. Une admission qui réside, selon elle, moins dans l’exercice de la discrimination positive que dans le fait que son frère, Craig, qui y avait obtenu une bourse, était devenu la star de l’équipe de basket. Au sein du campus encore trop monocolore, elle se sent « comme une visiteuse ». Une isolation qui la pousse à traiter de la division raciale. Une thèse que le couple Obama a tenté de garder sous scellé jusqu’au lendemain de l’élection. Mais face à la pression médiatique, Michelle a été forcée de publier le texte, qui révèle un scepticisme, une amertume. Sa conclusion est frappante : son diplôme de Princeton lui permettra au mieux de s’installer à « la périphérie de la société ». Elle ne sera jamais « une participante à part entière. » Son destin en a décidé autrement. © Instagram/@michelleobama Après Princeton, Michelle entre à la faculté de droit de Harvard et commence à suivre le chemin, a priori tracé pour l’élite blanche. À sa sortie, elle devient avocate dans un cabinet d’affaires de Chicago. Un été, elle est chargée de s’occuper d’un stagiaire tout juste diplômé de Harvard. Un stagiaire qui ne cessera de lui tourner autour, et qui n’est autre que Barack Obama. Au départ réticente, Michelle finit par se laisser séduire : ils se marient en 1992, donnent naissance à Malia en 1998 et à Sacha en 2001. Après avoir rencontré Barack, Michelle quitte le privé pour entrer à la mairie de Chicago, puis à l’hôpital universitaire en tant que vice-présidente chargée des relations extérieures, jusqu’à la campagne électorale. © Instagram/@barackobama Sa vie d’avant, elle y a mis une croix quand Barack Obama a été élu président. «  Michelle n’a jamais demandé à être première dame  », explique pour sa part Barack Obama dans cette même interview. «  Comme beaucoup de femmes politiques, elle a dû endosser ce rôle. Mais j’ai toujours su qu’elle serait incroyable et qu’elle laisserait son empreinte dans ce travail  ». «  Car, vous voyez qui elle est – une femme brillante, drôle, généreuse […]. Je pense que les gens sont attirés par elle, car ils se voient en elle – une mère dévouée, une bonne amie et quelqu’un qui n’a pas peur de faire preuve d’autodérision de temps en temps.  » Les démocrates l’adulent, les républicains la redoutent. Et les Américains se plaisent à l’imaginer, un jour, faire de la politique. Michelle Obama est incontestablement la vedette des élections de 2016. Tout au long de la campagne, elle, qui n’a fait qu’une poignée d’interventions, a affiché une popularité à faire pâlir d’envie les deux prétendants : 64 % d’opinions favorables, soit 10 points de plus que son mari. Huit ans après avoir été dépeinte comme une femme noire en colère, « Michelle » s’est fait un prénom et fait désormais l’unanimité. Une popularité qu’elle doit, en partie, au fait de n’avoir pas voulu jouer un rôle partisan à la Maison-Blanche, à la différence d’Hillary Clinton dans les années 90. Elle s’est pliée avec enthousiasme aux contraintes protocolaires de la fonction, faisant campagne sur des sujets consensuels comme la lutte contre l’obésité, l’éducation, ou en faveur des anciens combattants. Avec sa façon de prendre les gens dans ses bras plutôt que de leur serrer la main, ou de retirer ses chaussures pour danser avec les enfants en voyage officiel, elle a construit une image de simplicité et de spontanéité qui vaut aujourd’hui un vrai capital sympathie auprès des électeurs des deux camps. Elle a aussi naturellement adopté les réseaux sociaux et fait quelques apparitions dans les talk-shows télévisés dont les Américains raffolent. Cette popularité, Hillary Clinton a su l’utiliser dans les dernières semaines de la campagne, en faisant intervenir la première dame dans les États clefs, comme la Caroline du Nord, ou juste après la diffusion d’une vidéo dans laquelle Trump tient des propos obscènes sur les femmes. Chaque fois, ses discours émouvants, prononcés sans notes, ont fait mouche et imposé le silence. Le pouvoir de conviction de Michelle Obama n’est pas nouveau. En 2008, les conseillers du président américain avaient remarqué qu’après ses interventions, les appels de bénévoles désirant s’impliquer dans la campagne explosaient. Pas étonnant que la presse américaine spécule sur son éventuel avenir politique, évoquant une candidature au Sénat ou même à la Maison-Blanche. Ce que l’intéressée exclut catégoriquement, affirmant vouloir se consacrer à ses filles. «  Je ne me présenterais pas à la présidence , a-t-elle coupé court il y a quelques mois. Non, non, pas moyen.  » Et pourtant, une partie de la population semble voir les choses autrement. Pour beaucoup, il faudrait que FLOTUS (First Lady of The United States) devienne POTUS (Président of The United States). Après tout, l'Amérique adore les dynasties ! Et Michelle Obama pourrait avoir de l'appétit.  Première First Lady afro-américaine, Michelle Obama, restera le symbole de toute une génération. Son rôle à la Maison-Blanche fut double : non seulement elle a dû se tenir au côté de son mari, mais aussi rassurer son pays tout entier sur le fait qu'une femme noire et au physique particulièrement imposant n'est pas seulement «  douée pour l’athlétisme . » Durant 8 ans, elle nous aura vendu du rêve que ce soit par sa prestance, son style et ses engagements… Elle nous aura montré et démontré que tout était possible. Dans ses mémoires, Michelle Obama invite les lecteurs dans son univers, à travers le récit des expériences qui ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui, depuis son enfance dans le South Side de Chicago en passant par les années où elle a dû concilier sa vie d’avocate et de mère de famille, jusqu’aux deux mandats passés à la Maison-Blanche. Avec la sincérité, l’humour et l’esprit qu’on lui connaît, elle décrit ses victoires comme ses défaites, publiques et privées, et raconte son histoire telle qu’elle l’a vécue. Becoming retrace le parcours intime d’une femme de caractère qui a toujours su aller au-delà de ce qu’on attendait d’elle – une histoire qui nous encourage à faire de même.

Get out ! Un cri primal

Get out ! Un cri primal

Par Gisèle Wood Photo : Willy Vanderperre Get out ? Mais pour aller où ? Il n’y a pas de refuge pour les descendants d’esclaves, et il n’y en a jamais eu, pas plus aujourd’hui qu’hier… À l’heure où les studios hollywoodiens multipliaient les suites et les films de superhéros dans l’espoir de faire de bonnes recettes aux box-offices, un film d’horreur dénonçant le racisme obtient un succès phénoménal et inattendu dès sa sortie, le 24 février 2017 aux États-Unis. Produit avec un petit budget (4,5 M$), Get Out a rapidement franchi le cap des 150 millions de dollars de recette au box-office américain. Il se situe actuellement au quatrième rang des productions les plus lucratives au box-office américain en 2017. Get Out a aussi permis à son réalisateur, Jordan Peele, de devenir le premier cinéaste et scénariste afro-américain à voir son film dépasser le cap des 100 M$ au box-office. Praticien confirmé de la satire, l’idée de Get Out lui est venue durant les années Obama. Dans un podcast diffusé par Bluzzfeed , il expliquait son idée en ces termes : «  Apparemment, nous vivons dans une ère post-raciale. Les gens disaient qu’avec Obama ou pouvoir, le racisme était du passé, que nous n’avions plus besoin d’en parler. Au cas où vous ne le sauriez pas, oui, le racisme existe toujours. C’est ce que j’ai essayé d’évoquer à travers cette histoire  ». Sorti sous Trump, Get Out est beaucoup plus qu’un simple thriller. Le film, qui mélange horreur et comédie acerbe, aborde le problème du racisme à travers les mésaventures d’un couple interracial. On y suit l’histoire de Chris, un jeune homme noir qui accompagne pour la première fois sa petite amie dans sa famille. Il est noir et ils sont blancs. Une visite qui se transformera rapidement en un cauchemar pour Chris, qui se rendra compte qu’il est pris au piège dans une famille raciste. La question du voir – et du bien voir – y est omniprésente : on y perçoit la réalité différemment selon la couleur de peau, on traque avec un appareil photo les faux-semblants. On espionne, on se jauge et se dupe avec les yeux, mais l’on y trouve toujours, en fin de compte, le miroir de l’âme. Tout se noue et se dénoue autour des regards. Le succès de cette œuvre s’explique par le fait que Jordan Peele aborde de front le problème du racisme sous la forme d’un genre très populaire, le film d’horreur. «  C’est fascinant de constater que pas grand-chose n'a changé. La situation de départ est la même, mon personnage demande à son amie : “Est-ce que tes parents savent que je suis noir ?” Il est dans la même position que Sidney Poitier (NDLR. Acteur et réalisateur américano-bahaméen qui a joué dans “ Devine qui vient dîner ”) .  » Mais il reconnaît, lors d’une interview accordée au journal Le Monde , que le film est daté par d'autres aspects : «  La manière dont les personnages des parents de “Devine qui vient dîner…” réagissent était un peu transgressive à l'époque. Elle relève aujourd'hui d'un antiracisme superficiel, qui se traduit par une remarque comme : “Si Obama avait pu se représenter, j'aurais voté pour lui.” L'équivalent de cette attitude à Hollywood est d'aborder la question raciale à travers le passé, avec des films sur l'esclavage.  » Le succès de cette œuvre s’explique par le fait que Jordan Peele aborde de front le problème du racisme sous la forme d’un genre très populaire, le film d’horreur. Certaines scènes font directement écho à des événements qui se sont récemment produits aux États-Unis, comme les crimes racistes commis par les policiers. Sortons de là, oui, il est encore temps. À (re)voir.

La colonisation, crime-brûlot !

La colonisation, crime-brûlot !

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Jay Skyler La colonisation est-elle un partage de culture comme a pu le dire Fillon ou un crime contre l'humanité comme le précise Macron  ? Question absconse au vu des circonstances. Car comment donner du crédit à la parole d’un homme politique ? On les sait démagogues et pourtant on s’accroche à leurs palabres comme à paroles d’Évangile, puisqu’elles sont les promesses d’une société en perpétuelle mutation, et que son amélioration est en jeu. L’avenir est le pari que font ces hommes avec les électeurs chaque quinquennat : quel avenir puis-je vous offrir ? Il faut alors séduire. Dissiper les nuages. Pour remporter des voix électorales. Pour arrondir les angles, adoucir les cœurs et contrôler les appétits d’autonomies, récolter des âmes dans les anciennes colonies ! Oups, le mot est lâché et les châtiments ne se feront sûrement pas attendre. La colonisation ne serait pas un crime contre l’humanité pour les pieds-noirs d’Algérie ? Ce serait un partage de cultures selon Fillon ? Ôtons-nous d’un doute immédiatement : le mot « partage » implique qu’il y ait actions consenties et équitables. Il n’y a eu aucune répartition juste des r/apports entre les colons et les colonisés, quels qu’ils soient. Évidemment, les sociétés issues de ces colonisations sont des hybrides qui ont été soit nucléées par la force – on parlera d’assimilation, voire d’assimilation antagoniste – soit des syncrétismes forgés dans les violences – parlons de créolisations. L’Afrique illustre bien le premier cas, les Antilles le second.  © G. Dascher, couverture d’un cahier scolaire, 1900. Les pieds-noirs étant descendants d’Européens majoritairement Français, installés à partir de 1830 en Algérie pour en faire une colonie de peuplement, et l’Algérie, avant sa départementalisation, ayant un statut de protectorat plus proche de celui de la Corse que de celui des colonies, ne peuvent accepter d’être assimilés à des colonisateurs tortionnaires… Coloniser un pays n’aurait aucune conséquence sur les populations autochtones ? C’est sans doute pour cette raison que l’Algérie déclara la guerre pour son indépendance… Mais qu’implique un crime contre l’humanité ? Bien qu’il n’y ait pas de définition unanimement adoptée, retenons que la liste des crimes de droits communs considérés comme portant atteinte aux droits humains fondamentaux commis ‘dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile’ énoncent le meurtre, l’esclavage, la déportation, l’emprisonnement abusif, la torture, les abus sexuels, la persécution de masse, l’Apartheid, etc. comme critères descriptifs. La colonisation a été à la fois le prétexte, l’outil et la conséquence d’un système de pratiques généralisées à l’Europe entière, sur un continent entier voire une région du monde (Asie, notamment pour le Portugal), contre des peuples civilisés (donc populations civiles) et primitivisés par le regard de leurs envahisseurs. Les abus perpétrés dans les comptoirs, les pillages du Continent sont innombrables et inextinguibles depuis lors. Les rapts de millions d’Africains et les abus sexuels vécus par des millions de femmes noires ne sont-ils pas la manifestation d'un système qui perpètre quotidiennement des crimes contre l'humanité ? Le génocide est avéré, et depuis la Loi Taubira , le mot colonisation semble être une injure, offensant les Français droitistes bien-pensants. Songeons à tout ce que les hommes politiques font en Afrique : ils viennent apporter l’électrification, raconte cette élue face à un Passi hors de lui… Une nouvelle corde à l’arc de la dépendance, du paternalisme et de la Françafrique. Macron n’utilise pas le terme " crime contre l’humanité " avec conviction ou érudition. Non seulement parce qu’il n’y croit pas lui-même, mais encore parce qu’il ignore ce que ce concept implique. Nous sommes ici face à de la pure démagogie et des discours entièrement manipulés…

Moonlight, le sacre d’une Amérique

Moonlight, le sacre d’une Amérique

Par Gisèle Wood Photo : Willy Vanderperre Un éloge de la lenteur, de l’observation et du non-dit qui relève plus de l’expérience sensorielle intime. Loin du faste des productions hollywoodiennes, du tumulte et du culte de la polémique,  Moonlight  est la surprise venue des États-Unis que personne n’avait vue venir. Profondément pudique, juste et charnel, ce film sublime à lui seul une notion beaucoup trop souvent négligée au cinéma, celle de l’expérience humaine. Adapté de la pièce de théâtre Black Boys LookBlue de Tarell Alvin McCraney, le film nous fait suivre à travers trois étapes d’une vie le destin tragique de Chiron, un jeune enfant, adolescent et adulte de la banlieue pauvre de Miami. Les sermons moralisateurs et le misérabilisme n’ont ici pas droit de citer. À la place, le spectateur est comme invité à partager la vie du protagoniste, à accompagner une trajectoire de vie, qui sans avoir nécessairement de portée universaliste déborde d’un vrai humanisme aussi tendre que tragique. Sorti en 2016, Moonlight touche à des questions de sexualité, de masculinité, de relation mère-fils et d’identité afro-américaine avec une pudeur et une élégance qui manquent à nombre de faiseurs de morale actuelle. À l’écran, Barry Jenkins, réalisateur et scénariste afro-américain élevé dans le ghetto de Liberty City, à Miami, en Floride, par une mère devenue accro au crack au milieu des années 80, suit le héros de près. Filmée en plans rapprochés, chaque action est en effet montrée pour nous immerger dans la vie de Chiron. L’indissociable trio d’acteurs qui interprète le héros (Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes), par sa déclamation timide, mais surtout ses regards et ses silences, donne une humanité et une véracité folle au personnage. Et si les trois changements d’acteurs qui s’opèrent ne nuisent pas à la qualité du récit, c’est bien sûr grâce à une direction et un jeu d’acteur maîtrisé, mais surtout grâce à une écriture remarquable qui donne au protagoniste et aux situations qu’il vit une impression de réel véritablement palpable. Une force qui se retrouve aussi dans les autres personnages du film, de la mère instable (Naomie Harris) à la mère adoptive (Janelle Monáe) ainsi que dans celui de Kevin, le seul ami de Chiron lui aussi interprété par trois acteurs différents (Jaden Piner, Jharrel Jerome et André Holland). © Art Streiter for EW/Barry Jenkins Moonlight a remporté trois prix lors des Oscars/Academy Awards 2017. Celui du meilleur film, une première pour un long-métrage centré sur l’homosexualité et une deuxième pour un noir après Steve McQueen, du meilleur acteur dans un second rôle pour Mahershala Ali et enfin du meilleur scénario adapté. Depuis sa sortie Moonligth comptabilise près de 12 prix et 19 nominations, et a assuré 65 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 4 millions. Après ce succès, le réalisateur et scénariste, Barry Jenkins a sorti en 2018 son troisième long-métrage «  Si Beale Street pouvait parler  » adapté du roman du même titre de James Baldwin (Stock, 1997). Un magnifique drame qui évoque l'amour et le racisme à travers le destin d'un couple dont le mari est accusé à tort de viol. Et comme dans Moonlight, la maîtrise y est forte…

Qui sont nos héros ?

Qui sont nos héros ?

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Philippe Giraud/Gamma-Rapho via Getty Images Tantôt acclamée, tantôt honnie, elle a déserté le pays depuis quelques décennies déjà. Elle écrit ceci dans l’un de ses derniers ouvrages : « Je n’étais pas seulement orpheline ; j’étais apatride, une SDF sans terre d’origine ni lieu d’appartenance. En même temps, cependant, j’éprouvais une impression de libération qui n’était pas entièrement désagréable : celle d’être désormais à l’abri de tous jugements ». Ce sont là les mots de Maryse Condé, dans La vie sans fard. À travers ce roman biographique, on suit ses pérégrinations de la Guadeloupe aux États-Unis en passant par la France hexagonale et l’Afrique… Une quête identitaire pour achever sa complétude. On peut aisément comprendre son sentiment de libération face à une société qui ne l’a vraisemblablement pas reconnu dans ses œuvres, qui l’a mal jugé. On ne peut nier que les médisances ont bien cours chez nous… Et pour un peuple représentatif du métissage, la différence n’est pas un apanage. Maryse Condé avec ses collègues de Bush House, la BBC, Londres, 1967 Je me demande encore quelles sont les raisons qui ont présidé à cette relation de détestation entre Maryse Condé et son pays. À quoi est dû le rejet qu’elle évoque ? Était-ce le colorisme – attitude, propre aux sociétés postcoloniales, consistant à juger et préjuger de l’autre en fonction de sa carnation, de son teint, de son degré de négritude – qui opérait, néfaste ? Ou alors est-ce le regard négatif que d’aucuns portent sur les intellectuels dans ce pays ? Les intellectuels réputés plus « francisés », pédants, prétentieux, « blanchis »… Frantz Fanon qui évoque ledit ‘négropolitain’, ou « bounty » qui roule les « R » : «  Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d’autant plus blanc qu’il aura rejeté sa noirceur, sa brousse  ». Maryse Condé, négresse et écrivaine reconnue mondialement, devait incontestablement être vue comme l’autre, nomade, altérisée. Condé est incontestablement l’écrivaine guadeloupéenne la plus reconnue dans le monde. Alors, pourquoi la jeunesse guadeloupéenne délaisse-t-elle ses artistes et ses intellectuels ? Pourquoi les jeunes Guadeloupéens se réclament-ils de personnalités et de stars étrangères telles que Beyoncé, Oprah ou Obama ?  Beyoncé, Black is King - © Disney Plus La jeunesse guadeloupéenne, disons les 15-30 ans, trouve ses modèles dans les rangs des personnalités américaines, et plus singulièrement parmi les stars africaines-américaines, qu’elles soient des médias, de la politique ou de l’ Entertainement . Ils participent tous d’une même tendance et attitude d’afro-américanisation. Je les ai classés comme suit : la génération McHammer, née entre fin 1970 et début 1980, la génération Pimper, née entre fin 1980 et début 1990 et la génération Bieber, 1990-2000. Barack Obama : Une terre promise - © DR Si la première est conscientisée les deux dernières le sont moins ou pas du tout. Les McHammer sont héritiers d’une identité afro-américanisée au travers de la musique qu’ils écoutent et dont ils réclament les valeurs. Le Possee, Crew , le Mic , l’arène, la rue, le mur ; le Rap, le Break, le Graffitti… C’est aussi l’heure du Reggae, du Raggamuffin, de l’émancipation par la musique avec Bob Marley, Peter Tosh, Arrested Development, Tonton David, NTM, IAM, etc. La jugulaire est américaine ou anglo-caribéenne, mais il y a une veine française dans l’influence musicale de cette génération. « chaque pays doit trouver son modèle et son style propre d’après les ressources dont il dispose, les besoins qu’il ressent, les caractéristiques de sa culture, les structures de pensée et d’actions qui sont les siennes » Eh oui ! Le vecteur d’acculturation est la musique, par le biais de la radio ou de la télévision. On en arrivait également à lire les ouvrages sur les leaders noirs, notamment le mouvement des droits civiques. Et s’imposent ensuite le Rastafarisme et le Reggae, et la légende de l’Éthiopie invaincue. Le Rap et le Reggae avaient une réelle valeur de révolte, d’anticonformisme, de révolte. Le discours émis contre le système gouvernemental, policier, judiciaire français et américain (Occidental, dominant, mainstream) séduit et fait écho à la réalité vécue aux Antilles françaises : le néocolonialisme. Mais, la génération Pimper – en résonance aux titres Pimper’s Paradise de Bob Marley, «  Pimp  » de 50Cent – est abreuvée d’une masse d’informations, encore plus grande et disparate, avec l’imposition de l’internet durant leur adolescence. C’est un raz-de-marée d’influences qui les submergent. Une génération de garçons et de filles qui se nourrissent de plaisirs artificiels, de mondes virtuels et de valeurs tout aussi superficielles. Leurs modèles :  Pimp (proxénète) et la Bitch (Pute) ! Le Rap et le R’n’B-Soul que cette génération Pimper écoute et dont elle se réclame sont le résultat d’une mercantilisation et industrialisation de cette musique noire. Exit Kriss Kross, Queen Latifah, Mc Lyte, Salt’n’Pepa, Missy Elliott, Nas,  (yeah ! she’s back ! I know !), etc. et bonjour 50Cents et consorts du Gangsta Rap . C’est une tendance, un mood … Point de recul. Une révolution déconscientisée dont les effets pervers mènent à une génération nouvellement assimilée « à l’afro-américanisme ». Les McHammer ne sont incontestablement guère engagés dans une révolte par l’acte militant au sens de leurs pères, mais par une action artistique porteuse d’un discours identitaire, de réaffirmation culturelle et de réappropriation de sa créolité : métissage des courants importés, appropriation d’une codification Noire-Américaine ou Caribéenne/Jamaïcaine. Les cultures d’autres ghettos. Toutefois émergeront des artistes qui influenceront les scènes caribéennes et francophones : Tiwony,  Typical Fefe, Karukera Sound System, Jahlawa Sound System, Admiral T, etc. Pour les Pimper, hélas, la conscience de soi n’échappe pas ou peu à la pression du mercantilisme et du consumérisme, principaux motifs dans leurs discours artistiques, quand il en est : money, booty, and let’s shake ‘em both . Quant aux Bieber, ce sont les enfants du consumérisme, de l’hypersexualisation et des addictions - tendances notamment - décomplexés. En somme, la grande différence entre ces trois générations et celles qui leur donnèrent la vie tient en une dilatation de la conscience de soi dans et pour le peuple au profit d’une conscience de soi pour l’ego.  (…) la Guadeloupe n’a pas encore pu être ‘pays’ au sens géopolitique du terme, bien qu’elle le soit spirituellement, comme elle n’a pu explorer ses désirs profonds, n’ayant jamais été face à elle-même, sans tutelle. Les valeurs héritées de l’insoumission de nos pairs, de nos aïeux, se sont émoussées face à l’érosion produite par les apports extérieurs toujours plus conséquents. En effet, la départementalisation, la fin de la 2e Guerre mondiale, la fin du Tan Sorin amènent également la décolonisation, mais aussi une multiplication exponentielle des échanges commerciaux : la globalisation. Pour une société comme la nôtre, à peine sortie de l’esclavage pour plonger dans une République qui ne nous reconnaît citoyenneté qu’à demi-mot, et par là même ne vectorise ses échanges qu’avec une aire étrangère et éloignée, se nourrir de principes exogènes ne peut mener qu’à l’aliénation. Les actions des mouvements indépendantistes prônant l’autodétermination ont été oblitérées, tant par le gouvernement que par la population, par crainte de représailles. Il faut dire que les années 1950-80 n’ont pas été douces aux Antilles. «  Les balles de ce passé grandiose ont eu peu de lendemains  », écrivait Chamoiseau. Peu de lendemains immédiats dirions-nous. Car il y a quelques sursauts. Mais s’il est vrai, selon Jacques Bousquet, que «  chaque pays doit trouver son modèle et son style propre d’après les ressources dont il dispose, les besoins qu’il ressent, les caractéristiques de sa culture, les structures de pensée et d’actions qui sont les siennes  », la Guadeloupe n’a pas encore pu être ‘pays’ au sens géopolitique du terme, bien qu’elle le soit spirituellement, comme elle n’a pu explorer ses désirs profonds, n’ayant jamais été face à elle-même, sans tutelle. © Hunter Newton Assimilation & Tropismes : L’Autre toujours. «  L’indigène est un opprimé dont le rêve permanent est de devenir le persécuteur  » (Frantz Fanon). Initialement, le terme « tropisme » est un concept biologique. Biologiquement, il se définit comme une «  réaction aux agents physiques ou chimiques se traduisant par une orientation et une locomotion déterminées  ». Au sens où nous l’entendons, il renvoie à une «  force irrésistible et inconsciente qui poussent à prendre telle orientation, à agir de telle façon  ». On parle ici d’une orientation inconsciente qui présage d’un conditionnement. C’est le terme exact. Conditionnement, réflexe, ou automatisme. Il existe une corrélation entre la xénophilie (l’amour de l’autre) et l’image négative de la « noirceur » ou de la «  négrité  ». Incarner, intégrer les traits de l’autre induit de se délester du poids de sa négritude. Allant dans ce sens, Fanon de dire : «  Quand les nègres abordent le monde blanc, il y a une certaine action sensibilisante. Si la structure psychologique se révèle fragile, on assiste à un écroulement du Moi. Le Noir cesse de se comporter en individu actionnel. Le but de son action sera Autrui (sous la forme du Blanc), car autrui seul peut le valoriser.  » (Peaux Noires, Masques Blancs). En bref ! Le propos est clair : il y eut une surdétermination des valeurs et du modèle français amenant le Noir antillais à rejeter ce qu’il est, ou à renier ce qu’il aurait pu advenir : la littérature française, les artistes africains-américains et leurs leaders charismatiques.  La mélopée douce qui prévaut dans le pays Guadeloupe : « Il n’y a rien en Guadeloupe ». Alors que le pays est une pépite de luxuriance et de ressources que nous ne nous approprions pas entièrement. Un pays que l’on doit construire pour nous… Aimé Césaire au premier Congrès des écrivains et artistes noirs à La Sorbonne 1956. © AFP Le Triangle de l’émancipation culturelle. Lorsque des fenêtres se sont ouvertes sur le monde, il a pu redéfinir son identité : la Négritude de Césaire, l’Antillanité, la Caribéanité, la Créolité… Toutes ces identités ont pu émerger parce que le Noir antillais a lu, rencontré le Noir américain, puis l’Africain en dignité. Au temps de la Décolonisation et des guerres d’indépendance – époque également du Mouvement des Droits civiques –, les Nègres sont debout partout. Et le panafricanisme a encore de beaux jours devant lui. Et les légendes de la lutte d’émancipation des noirs se forgent, se distinguent. Au cours de mes recherches sur les musiques noires (Jazz, Poésie noire), j’ai pu constater que tous les artistes se sont d’abord réclamés de références africaines-américaines, puis africaines (on peut mettre Hailé Sélassié dans cette catégorie) pour finalement développer leur propre expression. Une expression singulièrement et formellement empreinte de ces influences précédentes. Le triangle de l’émancipation retrace le périple du Passage du Milieu inversé. Détachement de la France, identifications à l’Amérique noire, à l’Afrique, pour un retour chez soi nourri de tout cela. Pour se libérer de l’«  arsenal complexuel  » développé par l’esclavage, le Noir antillais a dû s’éloigner pour mieux s’ancrer. Si la génération Rupaire reconnaissait ses pairs –  leurs combattants –, la dernière génération les méconnaît. Les hauts faits des Africains-Américains, liés aux musiques de contestation, ont tôt fait de faire de l’ombre à nos freedom fighters . Leur envergure internationale et leurs symboles de lutte devenus universels, étendards appropriés par bien d’autres opprimés, ont forcé l’admiration et l’adhésion de notre peuple, à proprement parler, lui-même opprimé. Il fallait à cette dernière génération des symboles qui transcendaient leur insularité. Il faut tout de même rompre avec ses pères pour s’émanciper ! © Rex Way-Iekem Globalisation, nouvelles technologies & inculture. «  Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir  » (Frantz Fanon). Les dernières générations ont-elles trouvé ou entrepris de trouver leur mission pour la société guadeloupéenne ? N'ont-elles pas démissionnées simplement ? Une génération qui pense que l’avenir lui est dû, que la réussite doit lui être livrée en remboursement. La mélopée douce qui prévaut dans le pays Guadeloupe : «  Il n’y a rien en Guadeloupe  ». Alors que le pays est une pépite de luxuriance et de ressources que nous ne nous approprions pas entièrement. Un pays que l’on doit construire pour nous… La globalisation et les nouvelles technologies sont une porte vers des mines culturelles qui pourtant ne seront peut-être jamais exploitées par nos jeunes tant elles sont à profusion et tant les mauvais indices et autres #hastags qui leur sont semés ne les mèneront pas nécessairement à l’émancipation réelle. Oui, les potentialités sont là, mais l’étroitesse des réseaux sociaux – exponentiels pourtant – interdit l’évasion par des « prêts-à-penser », « prêts-à-choisir », et autres costumes habillant nos ego au quotidien. Noam Chomsky dit que «  l’internet pourrait être un pas positif vers l’éducation, l’organisation et la participation dans une société qui ferait sens  ». « Ô, mon corps fait de moi toujours un homme qui s’interroge ! » Mais dans nos sociétés, les nouvelles technologies sont incontestablement l’arme la plus culturellement mortelle de conformisation et de contrôle. Dans notre pays Guadeloupe encore en lutte pour recouvrer la mémoire, ce sont des armes de destructions massives qui plongent nos mémoires dans le néant. L’ailleurs semble plus glorieux et plus glamour, perversité même de ces interfaces personnalisables : «  … tu croules sous le déversement massif, quotidien, d’une manière d’être idéalisée qui démantèle la tienne. Tes martyrs sont indiscernables, les attentats que tu subis n’émeuvent même pas les merles endémiques, tes héros n’atteignent pas le socle des statues et leur résistance bien peu spectaculaire t’est quasiment opaque…  ». (Chamoiseau) Enfin et surtout, oserais-je dire, ces assimilations susmentionnées ne nous ont-elles pas enseigné notre insignifiance ? Comment valoriser des intellectuels fondés dans la République française et grâce à ses armes ? Qui écrit dans la langue de la subordination ? D’aucuns n’y voient aucune grandeur, tant ils sont conditionnés par les nouveaux discours négristes, africanistes, ou khémites. J’ai parfois entendu dire que Césaire avait trahi les peuples antillais en requérant la départementalisation… Mais ces derniers n’oublieraient-ils pas de recontextualiser les faits ? Comment rivaliser avec les grands leaders africains-américains qui ont mené des millions d’hommes à marcher sur les capitales du Monde-Libre ? En effet, la réponse que nous cherchions est résumée en un mot « aliénation ». Et la désaliénation ne peut être achevée que par une prise de conscience réelle de ceux et celles que nous sommes, de ce que nos histoires recèlent de richesses et de héros « endogènes ». Nous ne cesserons de nous identifier à l’autre – même s’il nous ressemble – tant que nous ne saurons pas apprécier et valoriser la grandeur qui réside en chacun de nous et en chacun de nos pairs. Alors, il est temps de laisser surgir la beauté du pays, de laisser fleurir nos œuvres, d’embrasser nos pères et mères et de conquérir nos avenirs : «  Ô, mon corps fait de moi toujours un homme qui s’interroge !  »

Se lancer dans la franchise

Se lancer dans la franchise

Par Salomé Berry et Ken Joseph Photo : Al Hakiim La franchise, parce qu’elle accroît les chances de succès, séduit les aspirants entrepreneurs. Mais, même quand on choisit un concept qui a priori fonctionne, créer une entreprise demeure un véritable défi. Le franchisé est d’abord un entrepreneur. C’est lui qui crée sa structure, embauche et paiera ses impôts. Il est important qu’il en ait conscience. Pour se préparer, le futur franchisé gagne donc à bien réfléchir à son projet et à ses attentes, personnelles comme professionnelles. De quoi faciliter le choix du statut et du secteur. Pour donner corps à son projet, il doit aussi étudier le marché, s’enquérir d’un emplacement et, enfin, sélectionner l’enseigne, une préférence de cœur et de raison… Tour d’horizon des étapes incontournables pour venir à bout de cette course de fond. Le fonctionnement. Une relation gagnant-gagnant entre deux entrepreneurs. Voilà, en résumé, l’esprit de la franchise. Pour le franchiseur, l’avantage est évident. Il s’appuie sur ses franchisés afin de grandir plus vite. Ces derniers y gagnent, eux, l’opportunité de lancer leur entreprise sans essuyer tous les plâtres que suppose la création. Mais, avant d’intégrer un réseau, il faut bien mesurer les spécificités de cette manière d’entreprendre. La franchise est une relation contractuelle entre deux indépendants, la tête de réseau et le franchisé, qui demeure responsable de tout ce qu’il va faire dans sa structure. En choisissant ce système, le futur franchisé bénéficie de la force du réseau et de son expérience. Mais en échange, le franchisé s’engage à respecter des règles strictes de fonctionnement. On y trouve donc des contraintes de part et d’autre. Le franchiseur a pour devoir de mettre le franchisé en situation de réussite. Il doit pour cela lui transmettre la notoriété de l’enseigne, son savoir-faire ; et lui assurer une assistance permanente pendant toute la durée du contrat. Pour entreprendre en franchise, il faut d’abord avoir l’esprit de réseau.  Le franchiseur met ainsi à disposition de ses franchisés sa marque, son identité visuelle, son concept architectural. Une formation initiale, et parfois continue, assure la transmission des méthodes commerciales, logistiques ou techniques par exemple. Les procédures à respecter sont détaillées dans une « bible », un manuel mis à disposition du franchisé. En contrepartie de ces avantages, le franchisé accepte de rémunérer son franchiseur. Il lui verse un droit d’entrée pour intégrer le réseau et des redevances, le plus souvent assises sur son chiffre d’affaires. Il s’engage aussi à se conformer au concept de son réseau. Indépendant et responsable de la gestion de son entreprise, il voit donc sa liberté limitée par le respect des règles établies par la tête de réseau. C’est pourquoi tout le monde n’est pas fait pour la franchise. Si l’on a une personnalité trop indépendante, on risque, au bout de quelques mois, de vouloir retravailler tout le concept ou de remettre en cause le versement des redevances. Pour entreprendre en franchise, il faut d’abord avoir l’esprit de réseau.  © Jonathan Kemprer Choisir le secteur. Ouvrir un centre de réparation auto, proposer des soins esthétiques ou bien servir des burgers ? La franchise est possible dans de multiples secteurs. Déterminer l’activité dans laquelle on souhaite se lancer fait donc partie des premières questions à envisager. Pour y répondre, les candidats à la franchise ont tout intérêt à s’interroger d’abord sur leurs motivations. On peut vouloir changer de vie et se réaliser dans un nouveau métier. Être animé d’abord par un désir d’indépendance, chercher à gagner beaucoup d’argent ou se challenger à travers un nouveau défi. Ce sont autant de moteurs qui peuvent aiguiller le futur franchisé vers le choix d’un secteur. Beaucoup envisagent la franchise comme un moyen d’embrasser un métier qui les passionne. Encore faut-il s’assurer que ce sera bien le cas au quotidien. Avoir un intérêt très fort pour la pâtisserie et apprécier d’en faire avec ses enfants le dimanche n’est pas la même chose que de devoir produire plusieurs centaines de fonds de tarte par jour.  LIRE AUSSI | LA FRANCHISE, LE NOUVEL ELDORADO Le choix d’un secteur doit aussi se nourrir d’un bilan lucide sur ses compétences. Il n’est pas nécessaire de venir d’un métier pour l’exercer en franchise. Mais certaines activités peuvent nécessiter des qualifications spécifiques. Dans les services à la personne, un bon relationnel et la capacité à gérer une équipe sont par exemple nécessaires. La capacité financière du futur franchisé est aussi déterminante. Certains secteurs exigent des investissements initiaux importants. Un véritable attrait pour l’activité en elle-même demeure toutefois indispensable. Ouvrir une entreprise nécessite d’y mettre ses tripes. S’orienter vers la restauration sans aucune appétence pour l’alimentaire et la relation client, c’est aller droit dans le mur.  © Tyler Mix Analyser le marché. On ne crée pas une entreprise en misant seulement sur sa bonne étoile. Il importe d’évaluer précisément la pertinence de son installation dans un lieu donné. C’est le but de l’étude de marché. Se passer de cet outil et se reposer uniquement sur l’état local de marché fourni par le franchiseur est une erreur. Ce document ne donne que des informations généralistes. Pour estimer son chiffre d’affaires, établir son business plan, une étude de marché est indispensable. Celle-ci permet de caractériser la demande locale. Elle précise la nature de la concurrence et les évolutions à prévoir en la matière. Cela nécessite bien souvent de se rendre sur place pour réaliser des comptages ou des sondages. Il est possible de faire l’étude soi-même ou de passer par un spécialiste pour gagner du temps et accéder à d’autres sources d’information. © Isaac Matthew Sélectionner l’enseigne avec méthode. Il suffit de jeter un œil à la liste des exposants des salons dédiés à la franchise pour s’en rendre compte. Avec plus de 2 000 réseaux en activité, le futur franchisé a l’embarras du choix lorsqu’il s’agit de sélectionner une enseigne. Pour trouver sa cible, il peut se renseigner grâce à la presse et aux sites spécialisés. Passer par une plate-forme d’intermédiation ou un cabinet de recrutement peut favoriser la mise en relation. Les salons (par exemple le salon Franchise Expo Paris) offrent la possibilité d’échanger avec des têtes de réseau et des franchisés en activité. Le recrutement, c’est d’abord le choix d’un partenaire, et donc une histoire d’hommes. Mais une analyse du réseau est aussi nécessaire. Au-delà du coup de cœur pour un concept, il faut s’interroger sur le fonctionnement de celui-ci. La qualité de son modèle économique, les caractéristiques de son contrat, la manière dont il assure la transmission de son savoir-faire et s’organise pour assister ses franchisés sont autant de critères déterminants. Signer le contrat de franchise. La première pierre qui marque le lancement effectif de son projet, c’est la signature du contrat de franchise. C’est aussi un engagement de plusieurs années. Il faut donc analyser en détail le modèle fourni au franchisé dans le document d’informations précontractuel. Celui-ci fixe les obligations des deux parties pendant la durée du contrat et à son issue. Les aspects financiers – montant du droit d’entrée, calcul de la redevance ou de la contribution à la communication du réseau – doivent y être précisés. Autre point de vigilance : les clauses de concurrence. Elles peuvent interdire au franchisé de développer une activité concurrente de celle exercée dans le réseau, pendant, mais aussi un an après le contrat. Celui-ci est le plus souvent non négociable. Mieux vaut donc prendre le temps d’en mesurer les implications. Le franchisé peut se faire accompagner par un avocat spécialiste afin de vérifier le bon équilibre. © Darshan Patel Préparer l’ouverture. Le démarrage d’une entreprise sous franchise se prépare méthodiquement. Une fois, le contrat signé, le financement et l’emplacement trouvés, l’aventure ne fait que commencer ! Afin de faire face à ses nouvelles obligations, la formation initiale du jeune franchisé doit lui permettre de s’approprier le fonctionnement de son enseigne, ses techniques commerciales et de gestion. Pour les mettre en œuvre, il peut s’appuyer sur les conseils du franchiseur pendant les préparatifs de l’ouverture. Le jour J, il lui faudra avoir aménagé son local, constitué son équipe, mais aussi rodé son discours pour accueillir ses clients. Afin d’assurer la réussite du lancement, une campagne de communication est souvent incontournable. Mieux vaut aussi prévoir un point avec son expert-comptable pour mettre en place des indicateurs de suivi du démarrage de son activité. LIRE AUSSI | ROMÉO MBOUT, LE CHOIX DE LA FRANCHISE © Drake Lv Enfin, au terme du contrat, deux options sont possibles : le renouveler ou céder son affaire. Et quelle que soit la solution envisagée, un seul mot d’ordre : anticiper. Aussi, il est important de rappeler qu’une franchise reste une création d’entreprise avec des risques multiples, le tout étant d’éviter les mauvais réseaux (franchises d’idées, les franchises qui se développent trop rapidement), les contrats excessivement contraignants, les clauses à risque… Il est primordial de rester vigilant, car lorsqu’un point de vente commence à montrer des signes de faiblesse, c’est souvent tout le réseau qui plonge ! Si la franchise est un eldorado, nombreux sont ceux qui y ont laissé des plumes.

La Franchise, le nouvel eldorado

La Franchise, le nouvel eldorado

Par Salomé Berry et Ken Joseph Photo : Marcus Loke Posons le cadre. Apparu sous le nom de « franchising » signifiant libre de taxe, c’est dans les années 30 aux États-Unis que fut créé le premier contrat de franchise. Cela dans l’unique but de pallier les déficiences d’un système de distribution créé pour contourner les lois américaines – dont la loi antitrust – qui interdisaient aux constructeurs d’automobiles de vendre directement leur production aux consommateurs. (…) un dollar sur trois dépensé aux États-Unis le serait au profit d’une entreprise franchisée… Dotées d’un modèle économique fort et puissant en termes de rentabilité, les années 50 et 70 verront la naissance des premiers concepts de la franchise. Une période durant laquelle on verra également le concept atterrir sur le sol français avec pour tête de file le réseau Phildar, une entreprise spécialisée dans la fabrication de laine et de tricot. Un succès tel, que d’autres groupes français n’hésiteront pas à suivre le mouvement. Parmi eux, on retrouve notamment les grandes surfaces telles que Leclerc, Carrefour, Monoprix… Mais qu’est-ce qui les pousse à emprunter cette voie ? Le fait est que la franchise – le partenariat ou toute autre forme de commerce organisé – est la seule technique qui permet à une marque de se développer et de prendre des parts de marché rapidement. © Liam Show Progressivement, la franchise s’est développée et étendue à d’autres secteurs comme le commerce de détail, qui s’est emparé de ce potentiel de développement et de croissance important. Aujourd’hui, avec plus de 3 000 réseaux de franchise sur son sol, sans compter les réseaux intégrés de succursales et les concessions, 757 348 points de vente représentant un chiffre d’affaires de 802 milliards de dollars et 8 275 000 emplois, les États-Unis sont sans conteste « le pays de la franchise ». McDonald’s, Subway, Burger King, Pizza Hut, KFC… Tous les grands noms de la franchise internationale sont nés aux USA. Autant dire que la franchise pèse de tout son poids dans l’économie américaine. D'ailleurs, un dollar sur trois dépensé aux États-Unis le serait au profit d’une entreprise franchisée, c’est dire si les réseaux sont importants et influents au pays de l’Oncle Sam. Mais à l’heure actuelle, dans sa pleine maturité, elle a déjà atteint un certain niveau de saturation. Ainsi, les entreprises américaines jouent désormais la carte des marchés extérieurs, près de la moitié d’entre elles ont une implantation à l'internationale. Avec des années de retard, la « Franchise Boom » semble avoir également modifié le paysage commercial français. Ils étaient 34 franchiseurs en 1971, pour 2 004 aujourd’hui (+ 1,41 % par rapport à 2018). En pleine croissance depuis vingt ans, la franchise confirme ce bon trend en 2018, avec des indicateurs d’activité encore à la hausse : 75 193 points de vente (+ 1,47  %) pour un chiffre d’affaires global de 62,01 milliards d’euros. Avec ces chiffres, la franchise confirme sa place de premier « marché européen" et génère près de 670 000 emplois directs en France. © Ian Deng L’engouement pour la franchise. Le mot « franchise » prend plusieurs significations : éthique, sportive, assurance, droit et enfin de « réseau » qui est, je cite : « un mode de fonctionnement en réseau, pour une activité commerciale ». La même recherche du côté des États-Unis donne : « a business method that in involves licensing of trademarks and mettons of doing business ». Ces deux définitions peuvent suffire pour comprendre que la franchise est un système de ralliement d’entrepreneurs indépendants, œuvrant concomitamment pour une même enseigne commerciale. Mais selon Laurent Delafontaine, directeur associé, Franchise Board, il faudrait rentrer dans des aspects plus techniques pour obtenir les finesses de ce modèle multifacettes :  modèle économique, car le franchisé rémunère le franchiseur par une somme initiale (le droit d’entrée) et une somme récurrente (la redevance ou royalties), pour l’utilisation de sa marque, de son savoir-faire et de son assistance ; modèle juridique, car parmi les droits et les devoirs de chacun (le contrat de franchise), le franchisé s’engage à respecter les conditions d’utilisation de la marque et son savoir-faire dans les meilleures conditions ; modèle social, car la franchise permet au plus grand nombre (76 % des franchisés sont des salariés en reconversion) d’accéder à l’entrepreneuriat. Ainsi, tout un chacun, moyennant bien évidemment une forte implication et un investissement financier, peut devenir restaurateur, fleuriste… en dupliquant localement la réussite du franchiseur. La franchise est aussi devenue l’objet de recherches scientifiques dans des laboratoires universitaires. Des chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi la franchise continuait de se développer, quelle que soit la conjoncture. La principale explication tient à son fonctionnement, qui est une alliance entre chefs d’entreprise, indépendants certes, mais solidaires. «  Il y a en effet dans la franchise, un aspect gagnant-gagnant  », analyse Jacques Gautrand, auteur de la publication Franchise, le guide complet 2018. Un point de vue largement partagé sur un modèle renforcé par son succès. Pour se lancer, les motivations le plus souvent citées par les franchisés renvoient à la notion de sécurisation du projet entrepreneurial qu’apporte la franchise, notamment avec le soutien du franchiseur, le savoir-faire transmis et l’ensemble des méthodes commerciales... La franchise offre la possibilité à un entrepreneur de changer de voie professionnelle, de secteur d’activité, voire de région ! En effet, 76 % (enquête Banque Populaire/FFF, 2017) sont d’anciens salariés, qui après une première expérience professionnelle, choisissent de se reconvertir et de se lancer dans un nouveau métier. Ils deviennent ainsi leur propre patron, et ce dans les principaux secteurs de l’économie (immobilier, prêt-à-porter, restauration rapide, services à la personne). Pour se lancer, les motivations le plus souvent citées par les franchisés, selon Chantal Zimmer, déléguée de la Fédération française de la franchise, renvoient à la notion de sécurisation du projet entrepreneurial qu’apporte la franchise, notamment avec le soutien du franchiseur, le savoir-faire transmis et l’ensemble des méthodes commerciales, techniques, logistiques, informatiques testées et expérimentées. Le franchisé bénéficie ainsi de tous les supports nécessaires à l’essor de son activité, en complément de la formation initiale et continue. En d’autres termes, la franchise est un véritable « accélérateur de business ». Être franchisé, c’est avoir surtout un amortisseur en cas de difficulté ou en période de crise pour rebondir plus facilement. Contrairement à un commerçant isolé, le franchisé bénéficie d’un vrai réseau d’entraide. En ces temps incertains, la franchise est de plus en plus attractive. C’est le constat que font les professionnels et il s’agit d’une réalité indiscutable. © Heather Ford Les secteurs qui bougent. Forte de ses avantages, la franchise séduit et attire. Mais chaque année, la question revient : quels secteurs vont être porteurs dans les prochains mois ? Beaucoup de facteurs entrent en compte, avec parfois des tendances que personne n’a vues venir, mais il existe aussi quelques certitudes qui permettent aux aspirants franchisés de choisir leur domaine d’activité avec plus ou moins de sérénité.         LIRE AUSSI |  SE LANCER DANS LA FRANCHISE Dans les années 1970 et 1980, la franchise était principalement développée dans l’équipement de la personne et de la maison, l’hôtellerie, l’alimentaire et la coiffure. Des secteurs historiques qui représentent toujours un poids économique considérable. En 2018, le commerce alimentaire, les commerces spécialisés, l’hôtellerie et la restauration font la course en tête sur les ouvertures de franchises. Avec respectivement 18 %, 17 % et 13 % du marché, ce sont les secteurs les plus dynamiques, selon l’institut d’études Territoires & Marketing. Avec un chiffre d’affaires de plus de 19 milliards d'euros en 2017, 14 980 franchisés et 182 réseaux, l’alimentaire est en effet sur la première marche du podium. L’équipement de la maison et de la personne enregistre des chiffres d’affaires atteignant respectivement 7 milliards d'euros et 4 milliards d'euros en 2016. La restauration est également très active. Les consommateurs mangent de plus en plus à l’extérieur et les marques françaises et étrangères s’engouffrent dans cette évolution du mode de vie pour trouver de nouveaux concepts. Les fast-foods vont, en effet, continuer leur progression, mais il faudrait tendre vers une restauration à thème. Le secteur demeure varié, que ce soit sur le prix avec des tickets à moins de 10 euros ou la tendance du fast causal , plus onéreuse et toujours plus prisée. Très en vogue, le burger haut de gamme semble cependant « se calmer ». La tendance dans la restauration rapide s’oriente donc vers des enseignes aux forts marqueurs régionaux. À l’inverse, la restauration traditionnelle poursuit sa chute et ne semble pas en mesure de réagir dans un futur proche. © Vlamdimir Proskurousky La franchise suit les tendances et de nouveaux secteurs fleurissent chaque année. Le bâtiment et l’habitat comptent parmi les secteurs dynamiques, même si cela ne se mesure pas encore en ce qui concerne le nombre de réseaux et de franchisés. Mais le secteur bouge beaucoup avec l’importante croissance du développement durable et de l’aménagement du logement, notamment pour les personnes âgées. Prendre soin de soi, se faire plaisir, se détendre… De l’esthétisme à la beauté des ongles ou le maquillage, en passant par le yoga ou les massages, le secteur a le vent en poupe. Et le fitness pourrait également profiter de cette vague, avec de nouveaux concepts. LIRE AUSSI |  ROMÉO MBOUTI, LE CHOIX DE LA FRANCHISE © René Bohmer Rebond espéré pour le prêt-à-porter ? C’est un secteur plutôt moribond qui subit de plein fouet la concurrence d’Internet. Pourtant, c’est le pari de David Borgel, consultant et coach franchise et réseaux. «  Je mets une pièce sur le prêt-à-porter. À condition de se réinventer. Aujourd’hui, les clients viennent repérer en magasin, prendre conseil et achètent sur le net. Il faut changer les méthodes de vente aujourd’hui désuètes. Donner envie au client de revenir. Les gens veulent que l’on s’occupe d’eux. Si l’on ajoute à cela un retour de l’attrait des centres-villes, il peut y avoir une carte à jouer  ». D’autres secteurs pourraient aiguiser les appétits, mais sont à appréhender avec prudence, à l’instar du courtage en crédit. Des changements de lois sont favorables à l’essor de ce marché, mais il y a déjà beaucoup d’acteurs bien installés. Par ailleurs, on peut craindre enfin une réaction des banques qui ne vont pas laisser ce mammouth endormi et qui vont faire en sorte de reprendre l’ascendant. Quant au bio, pourtant très en vogue, l’expert exprime également quelques réticences. «  Il y a un effet de mode, mais ce n’est pas forcément en expansion. Le business model n’est pas abouti avec également certains acteurs qui se servent du bio uniquement comme d’un outil marketing. Cela reste également à destination de CSP+, ce n’est pas une demande de masse. On voit que certaines enseignes de niche comme le gluten free n’ont pas tenu longtemps. Le bio fonctionne quand il est inclus dans une offre générale, même si certains acteurs tirent leur épingle du jeu  », conclut David Borgel. Enfin, tout cela ne reste que des tendances, le choix d’un secteur est plus évident, selon la personnalité ou les antécédents du candidat.

L'empreinte de la couleur

L'empreinte de la couleur

Par Pierre-Yves Chicot | Avocat à la cour et Maître de conférences de droit public Photo : Lens Frazier « J’étais le moins aimé parce que plus foncé que les autres enfants de la fratrie ». Histoire de races dans les colonies départementalisées. Il a 25 ans. Il est là, debout, rempli d’innocence, alors même que le lieu qui l’accueille lui réclame de répondre de forfaits commis. La scène se déroule au Tribunal de Grande Instance de Pointe-à-Pitre. Il est jeune. Son allure d’éphèbe ne laisse aucun doute sur le charme qu’il peut exercer sur le sexe opposé, renforcé par une diction et une expression parfaites. Ses longs cheveux tressés taquinent régulièrement l’entièreté de la rainure de son dos. Il manifeste de la fierté lorsqu’il s’agit de témoigner de ses talents professionnels et l’expression de son corps raconte toute la honte qu’il peut éprouver lorsqu’est évoqué son parcours de délinquant. L’assistance a pu être saisie d’émoi lorsqu’il livre sa première grande souffrance d’enfance : «  J’étais le moins aimé parce que plus foncé que les autres enfants de la fratrie  ». Ainsi, commence le parcours d’un jeune délinquant qui perd confiance en lui et tombera dans les bras de la déviance, en raison de l’empreinte de la couleur. La couleur qui égaye la vie devient, dans la société coloniale et postcoloniale, un poids, un instrument de discorde. Car, en effet, la teinte foncée de l’épiderme peut valablement constituer un handicap de départ dans une société où des ancêtres ont été « élevés » au rang de biens meubles, précisément parce que leur taux de mélanine dans le sang était plus élevé. Depuis très longtemps, certains sont obsédés par la pureté de la couleur et considèrent comme un mal le mélange des sangs qui fait peser le risque de « la transformation des meilleurs au rang des pires ». Ils affirment que la race est le facteur essentiel de l'histoire humaine. Ils soutiennent également, toujours avec force violence, qu'il existe une hiérarchie entre les races et que la race aryenne (Indo-européenne) a été, du fait de sa supériorité intellectuelle et morale, à l'origine de toutes les grandes civilisations. Balivernes ! © Leoni Milano Classe, race et colonialisme en Amérique française. Michel Giraud, dans sa célèbre thèse de sociologie, explique cette empreinte mortifère de la couleur de peau dans le cœur et les esprits de nos sociétés, notamment dans son pays la Martinique. Son exposé scientifique magistral demeure très vivace et pertinent, en dépit du temps passé, depuis sa rédaction et sa publication en 1976. Le concept de race, dit-il, ne doit pas être pris dans son acception biologique quand on l’approche à partir du terreau martiniquais, mais dans celle de « race sociale », c’est-à-dire « la façon dont les membres d’une société se classent réciproquement d’après leurs caractères physiques ». La typologie raciale martiniquaise ne se contente pas de définir les caractéristiques qu’elle recense, elle valorise certaines caractéristiques physiques, et plus généralement, certains groupes, au détriment des autres. C’est-à-dire qu’elle se fonde sur le préjugé de couleur. « de manière générale, la société martiniquaise, en particulier, reste caractérisée par l’obsession coloriste, l’identification raciale pouvant resurgir à tout instant, en particulier lors de toutes graves crises politiques ». La structuration des sociétés antillaises, née du colonialisme français, repose sur une stratification « socio-raciale » singulière, qui a été créée au début de l’époque esclavagiste. D’une intensité inégale de la Martinique à la Guadeloupe, sa persistance révèle la prégnance de l’entreprise coloniale dans les esprits et les relations entre les uns et les autres qui doivent nécessairement évoluer pour faciliter le vivre-ensemble qui demeure compliqué. Ce vivre-ensemble est rendu plus complexe avec l’immigration des nègres haïtiens plutôt rejetés et l’accueil bienveillant, de la part des hommes, des femmes de la République dominicaine à la peau claire et à la longue chevelure. Ces dernières arrivent et sans le savoir peuvent contribuer à la guérison de maux enfouis chez bien des individus qui pensaient que « l’accès » à une «  chabine  », qui plus est aux longs cheveux demeurerait à jamais un fantasme. Garvey Day Parade, 1965, Black is beautiful movement. © Kwame Brathwaite. La revendication parfois virulente du «  black is beautiful  », l’incertitude pesante d’une toujours possible réaction énergique de la majorité nègre de ces pays, les affirmations identitaires chantées sur le mode politique ont conduit certaines personnalités békés à donner des signes de ralliement aux autres. Mais pour l’essentiel, dans sa majorité, cette communauté vit toujours largement refermée sur elle-même, perpétuant une mentalité réfractaire aux unions mixtes et au métissage. On se souvient à quel point, en 2009, les propos axés sur la pureté de la race de cet important commerçant béké martiniquais avaient suscité l’ire de bien des Guadeloupéens et des Martiniquais. Et ce, au plus fort de la crise sociale, dénonciatrice de la vie chère, des monopoles et des inégalités économiques. Des attitudes similaires sont observées chez les Mulâtres, chez la bourgeoisie de couleur. En petits télégraphistes, ces derniers sont les fidèles relais d’une idéologie de l’obsession de la purification de la race pour les descendants des colonisateurs et l’obsession de pâlir la teinte de l’épiderme pour eux-mêmes et leurs descendants. © Gemma Chua Tran Persistance de l’idiotie : entre paralysie sociale et haine du semblable. Les sociologues et les anthropologues, qui conservent parmi leurs travaux de recherche ces objets d’études, constatent que les stéréotypes et les préjugés attachés à la couleur de peau et aux catégories « raciales » sont toujours extrêmement opérants. La société post-esclavagiste de ce début du XXIe siècle reste malade de la couleur. Or, qu’est-ce que serait la vie sans couleurs ? C’est le systématisme à décrire un individu, sans être en sa présence, en commençant par énoncer les nuances des teintes d’épiderme qu’on peut retrouver dans nos pays riches de leur diversité phénotypique. C’est aussi dans cette commune du sud de la Martinique, en ce début de XXIe siècle, l’injonction faite à la fille métisse de la part de sa mère négresse unie à un blanc créole de petite condition, faute de mieux, de reproduire exactement le même schéma qu’elle, quitte à gommer l’amour et les sentiments inhérents à l’attraction naturelle entre les êtres. L’anthropologue Ulrike Zander fait observer que «  de manière générale, la société martiniquaise, en particulier, reste caractérisée par l’obsession coloriste, l’identification raciale pouvant resurgir à tout instant, en particulier lors de toutes graves crises politiques  ». En Guadeloupe, le petit délinquant qui déclare à la barre que sa petite amie attend des jumeaux nous laisse penser que, guéri de sa souffrance de l’empreinte de la couleur, il leur enseignera l’amour d’eux-mêmes pour briser la morbide spirale.

Barack Obama, un président à part…

Barack Obama, un président à part…

Par Thierry Aricique Photo : Peter Yang L’arrivée de Barack Obama à la Présidence des États-Unis d’Amérique fut en 2008 la promesse, l’un des premiers frémissements, brillant et éclatant à l’échelle mondiale, «  d’une intraitable beauté du monde  ». Ce monde de la diversité des espèces, des cultures, des civilisations, des paysages terrestres et célestes, entre la terre et la mer, les plaines et les océans dans le magma du feu et le charroiement du vent, cette multitude est la plus belle beauté de notre monde, ici là et « isidan ». Comme l’écrit si justement Édouard Glissant, l’élection de Barack  Obama à la présidence des États-Unis est «  le résultat à peu près miraculeux, mais si vivant d’un processus dont les diverses opinions publiques et les consciences du Monde ont jusqu’ici refusé de tenir compte : la créolisation des sociétés modernes.  » En 2016, cette présidence prend fin après l’exercice de deux mandats. Tout naturellement, chaque parcelle de ce tout monde est convoquée à apprécier, comparer, critiquer et juger l’action et l’exercice du pouvoir de Barack Obama au regard du capharnaüm des cris et des silences de l’état du monde. Tout d’abord, avant d’émettre quelques sentiments et opinions sur la présidence de Barack Obama, rappelons-nous ce que sont les États-Unis d’Amérique ? C’est d’abord un État démocratique dans sa structure avec ses règles propres de fonctionnement et de gouvernement, dans lequel le Président ne peut faire fi des normes constitutionnelles et de la politique du congrès. Or, les Républicains, le parti majoritaire de cette assemblée, sont et sont restés virulents, glacials et hostiles à toute la politique économique et sociale de Barack Obama. De même, l’Amérique est un peuple de conquérants, avec une tradition du Far West où a longtemps dominé « la passion de domination raciale ». Or la fin de cette ségrégation ne se décrète pas comme cela, du jour au lendemain ; un décret, une loi, un vote ne suffisent pas à changer de pauvres mentalités. Une loi, un homme, un symbole ne peuvent effacer les conséquences de quatre cents ans d’histoire dans une société dont la mentalité structurale est enracinée dans un imaginaire profondément inégalitaire. De plus, la démocratie américaine est une démocratie foncièrement libérale qui exprime peu d’empathie pour le pauvre, le malade et le faible. Enfin, à l’échelle du monde, les États-Unis exercent une domination certaine sur le plan territorial, financier, économique et stratégique. Longtemps, cette Amérique est apparue impérialiste imposant son mode de vie, ses pensées, ses idées par sa force et sa rigidité sans prendre en compte l’opinion des peuples. Longtemps, elle avait cette outrecuidance de savoir le sens du bien de tous ces peuples sans en écouter les tremblements, les espoirs et les inquiétudes alors que le monde est d’une complexité grandissante tant dans son corps social que politique. Il nous faut accepter ce monde et sa complexité, ce monde et sa diversité, ce monde et sa cruauté. © The Atlantic © Pete Souza Si l’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis est une indéniable photo d’une intraitable beauté du monde, qu’en est-il de l’exercice du pouvoir de celui-ci à l’aune de cette marche imprévisible, imprédictible et irrésistible de la créolisation de nos sociétés modernes ? Lorsqu’on interroge la communauté noire, celle-ci semble souffrir d’un bilan contrasté de la politique d’Obama. Cette dernière trouve qu’il n’a pas fait assez, d’autant plus que cette communauté souffre depuis des décennies, quotidiennement, de la violence policière. Or, derrière ce voile de mécontentement se cache une autre interrogation fondamentale : la nécessité absolue de chercher et trouver le héros de ces peuples noirs. Nous attendons cet homme aux qualités exceptionnelles et supérieures comme si ces qualités étaient extérieures à nous-mêmes, comme s’il fallait l’opposer à une communauté blanche. De même, je trouve qu’il est préjudiciable d’enfermer Barack Obama à sa seule et simple couleur de peau, car il est bien plus que cela. Comme l’a exprimé Barack Obama le 28 septembre 2010 avec des électeurs du Nouveau-Mexique dans un échange inhabituel, «  Dieu est dans chaque homme et la force de l’Amérique réside dans la coexistence des nombreuses cultures et religions différentes  ». Nous devons donc attendre tous de nous-mêmes, car nous sommes tous des héros en puissance peut-être aujourd’hui en manque de confiance. De même, je trouve qu’il est préjudiciable d’enfermer Barack Obama à sa seule et simple couleur de peau, car il est bien plus que cela. Il est africain, hawaïen et américain. Il est pratiquant chrétien avec un père formellement de confession musulmane. Il est le miroir de nos lendemains, le chemin d’un ailleurs heureux possible. Il est bien plus que cela. Il est beau, d’une élégante intelligence, brillant de charisme avec une femme « doubout » à ses côtés. Donald Trump, en une du Time magazine. © HANDOUT/REUTERS Lorsque nous voyons la misère intellectuelle et idéologique qui nous a été proposée avec un Donald Trump dans une radicalité haineuse pleine de mauvais ressentiments, je m’interroge sur l’utilité et le bien-fondé de ces critiques acerbes, décalés par rapport à la politique de Barack Obama. Le portrait de Barack Obama pour la National Portrait Gallery, réalisé par Kehinde Wiley. © NPG/ OTIMEX/AFP) À la tête de l’administration américaine pendant ces huit années, Barack Obama n’a pas cessé de mettre en scène, en acte et en discours, une poétique de la relation. À cet effet, nous pouvons retenir de son mandat trois points pour apprécier l’apport de sa politique dans les sociétés du monde moderne et de l’Amérique : son rapport au monde et à l’Islam, l’Obamacare et la problématique de la vente des armes aux États-Unis. Dans une Amérique postérieure au 11 septembre 2001, et un monde en proie aux fondamentalismes religieux, Barack Obama a prononcé un discours d’ouverture au dialogue le 4 juin 2009 à l’université du Caire, lieu connu pour son activisme antiaméricain durant la guerre d’Irak. Ce discours diffusé exprime la volonté de ce nouveau Président de réconcilier l’Amérique avec le monde musulman et de «  chercher un nouveau départ  » de relation afin de sortir «  du cycle de la méfiance et de la discorde  » explicitant clairement que «  Les États-Unis ne sont jamais en guerre contre l’Islam  ». De même, il reconnaît l’apport et la contribution de la culture musulmane à la Renaissance occidentale et que ces deux mondes ont des intérêts mutuels et communs tels la justice, la tolérance, le progrès et la dignité humaine. Ces paroles vont se confirmer en acte, d’une part en décembre 2011 avec le retrait des dernières troupes en Irak, d’autre part en juillet 2015 avec l’accord sur le nucléaire iranien. En effet, ce texte garantit la nature pacifique du programme nucléaire iranien et ouvre surtout la voie à une normalisation des relations économiques et diplomatiques de Téhéran avec la communauté internationale, le tout-monde.  Barack Obama laissera incontestablement une trace, un sillon, une image sous le limon traversé par les changements, les mutations, les errements et la nécessité de trouver des voies du dépassement… En outre, il a refusé une intervention en 2013 en Libye à la surprise générale et fait soumettre cette décision à un vote du Congrès. Il exprime, aujourd’hui, sa fierté par le fait qu’il a pu être capable de s’abstraire «  de la pression immédiate et de réfléchir à ce qui était dans l’intérêt de l’Amérique, pas seulement par rapport à la Syrie, mais par rapport à notre démocratie  » et que cela «  a été l’une des décisions les plus difficiles qui soit  » ; et il regrette sur ce point le manque de suivi de la France et du Royaume-Uni. La poétique de relation est aussi l’obstination à ne rien imposer par la force dans une détermination à trouver des solutions inattendues. Aujourd’hui, la Russie a offert une porte de sortie en proposant de placer l’arsenal chimique syrien sous le contrôle international. Enfin, à Cuba, Barack Obama s’adresse aux Cubains en déclarant : «  Nous sommes tous des Américains  ». Aussi il renoue les relations diplomatiques ternies par l’opération de 1961 de la Baie des Cochons. Washington lève l’embargo cubain. En relation « la force n’est pas puissance ». La relation est écoute, échange, partage, mélange et nécessairement un lieu de compromis et d’entente. Ainsi, il ne convient pas de combattre le monde, mais de combattre avec le monde.   © Pete Souza Ensuite, l’Obamacare est la réforme sociale emblématique des deux mandats de Barack Obama, promulguée après la grave crise économique de 2008. Elle instaure une assurance maladie universelle. Ce n’est certes pas un système de santé publique, mais un système où l’État subventionne les familles modestes qui n’ont pas accès aux soins du privé. En ce sens, l’Obamacare est une mise en abyme, en relation par la voie légale de la société américaine avec sa population pauvre et malade, le champ d’un demain possible qui permet à chaque citoyen sans distinction de se soigner. Cette réforme était attendue depuis plus de 40 ans, John Fitzgerald Kennedy et Bill Clinton s’étaient initiés sur cette voie, mais avaient tous les deux échoué face à l’hostilité aveuglante des Républicains. Obama did it. Enfin, que dire de la relation qu’entretient l’Amérique avec ses armes à feu ? Pendant ses deux mandats, une quinzaine de tueries ont eu cours sur le sol américain. Chaque année, 30 000 personnes trouvent la mort par armes à feu aux États-Unis. Cette Amérique à l’accent traditionnel du Far West, de l’argent, des lobbies et du réflexe œil pour œil dent pour dent, protège constitutionnellement le droit de porter une arme. Pour mettre fin « à cette routine » selon l’expression de Barack Obama, il va passer outre l’opposition du Congrès et promulguer des décrets qui prévoient la généralisation des contrôles des antécédents judiciaires et psychiatriques d’un futur possesseur d’arme.  A promise land (Une terre promise), Barack Obama, ed. Fayard Barack  Obama laissera incontestablement une trace, un sillon, une image sous le limon traversé par les changements, les mutations, les errements et la nécessité de trouver des voies du dépassement, des lieux de rencontres et de délibérations pour que nous saisissions par quelques jaillissements le sentiment de la beauté.

Focus sur l'essentiel

Focus sur l'essentiel

Par Mary B. Photo : David Suarez Vite, vite, dépêche-toi ! Je n’ai pas le temps ! Je suis débordé(e) ! Qui dans sa vie professionnelle ou personnelle n’a pas prononcé une de ces phrases au moins une fois ? Tout va vite, toujours plus vite, l’exigence vis-à-vis du temps devient régulière, tout s’accélère. Le temps de rien, le temps devient un grand tout et dévore nos jours. Alors si vous avez levé la main, peut-être avez-vous déjà, le temps de quelques secondes, dans les embouteillages ou dans une file d’attente, pris le temps de vous demander, mais pourquoi ? Dans quel but ? Quel est le sens de ma vie ? Une fois dépassés le regard des autres, la déception des proches, claquer la porte aux jobs de rêve, à ce saint Graal qu’est la « carrière toute tracée », il en vient la réalisation que le plus important n’est en effet non pas le regard et l’approbation des pairs, mais bien celui que l’on pose sur soi. Si aujourd’hui nous ressentons de plus en plus cette oppression du temps, cette sensation que la terre tourne plus vite, c'est que ses vibrations sont passées de 8 hertz à 17 hertz (résonance de Schumann). Le temps s’accélère, les questions s’amplifient, et nous sommes poussés vers un but : revenir à l’essentiel, à ce qui importe, aux valeurs et au sens que nous souhaitons donner au quotidien quand nous nous levons le matin. © Priscilla Du Preez L’essentiel – un mot si simple, qui pourtant peut se définir de maintes manières différentes. Pour certains, cela peut passer par une envie de ne pas étouffer notre instinct derrière les technologies et le commercial ou de s’accorder la liberté de choisir la voie du cœur et non forcément celle de la raison. L’essentiel peut aussi se décliner par un désir de donner la priorité à notre être spirituel et laisser en sommeil notre côté matériel. L’essentiel passe aussi par le désir et l’envie de revenir au plaisir de manger, de se cuisiner de bons petits plats, de savourer des mets, de partager un vrai repas. D’ailleurs, n’est-ce pas aussi la raison pour laquelle le «  slow food  », c’est-à-dire prendre le temps de manger, de mastiquer, de déglutir, prend son envol ? En effet, il nous rappelle que pour savourer un aliment et ressentir la satiété, nous devons prendre conscience que nous mangeons et nous focaliser sur nos aliments. Il en va de même pour notre consommation de boissons, et cet apogée du « green ». L’art de la méditation et du retour à soi sont d’autres formes de ce « retour » à l’essentiel. Il en est de même, lorsqu’on s’accorde un temps de décompression, de dialogue avec son for intérieur. Comme si l’on appréciait un tableau, se délectait devant l'art ou s'attendrissait devant le sourire d'un enfant… Juste le temps de faire une « pause sur image », et parfois trouver les réponses à ces questions qui nous turlupinent le soir dans notre lit. C’est ainsi que pas à pas, nous commençons à penser autrement. Et cet autrement finit par se refléter dans nos actions quotidiennes telles que notre manière de consommer, peut-être plus en conscience, et que nous investissons autrement. L’investissement se veut collaboratif avec l’avènement des plateformes de financement de type « crowdfunding ». Il suffit d’investir en ligne, donner un don ou une contribution pour qu’un projet citoyen aboutisse. Rassurons-nous, le citoyen-acteur à de beaux jours devant lui. Tout comme l’espace de travail, si l’on prend pour preuve la création de ces espaces de travail en commun « coworking ». En Guadeloupe, nous dénombrons de nombreux espaces de coworking et une plateforme dédiée aux projets ultra-marins : Feedelios. Les cagnottes, le troc voient leurs essors, de même que le don du temps. Une belle illustration se retrouve sur la plateforme Yakasaider sur laquelle son « temps » ainsi que ses compétences deviennent des valeurs d’échange et de partage. © Manja Vitolic " (…) c’est de la façon dont j’ai surmonté ces épreuves qui ont révélé une force en moi que je ne soupçonnais pas. Cette force est née d’un nouvel amour de moi-même et d’une plus forte connexion créée avec mon entourage et surtout ma famille. " «  Ne plus perdre sa vie à la gagner  » Marx. La génération des late bloomers l’a compris et le vit. Traduit au sens littéral par « plante à floraison tardive », ces personnes s’accomplissent sur le tard, mais sont en quête d’un véritable accomplissement personnel. Ils découvrent leur voie, leur accomplissement, plus tard que les autres. L'important – après tout – n’est-il pas de s’épanouir à son rythme ? Une fois dépassés le regard des autres, la déception des proches, claquer la porte aux jobs de rêve, à ce saint Graal qu’est la « carrière toute tracée », il en vient la réalisation que le plus important n’est en effet non pas le regard et l’approbation des pairs, mais bien celui que l’on pose sur soi. Et, comme le perçoit Catherine Taret, auteure d’«  Il n’est jamais trop tard pour éclore  », toutes ces rencontres et ces expériences enrichissent l’être, et, de fait, nous font « pousser ». Les jeunes diplômés sont de moins en moins en quête du poste à millions et à haute responsabilité, et plus en quête de « sens » pour leur travail. Plus qu’aligner des zéros sur les chèques de fin de mois, le plus important réside dans la quête d’utilité sociale qui leur apporte de la satisfaction personnelle. Ils ont compris qu’il ne suffit plus de courir après des résultats éphémères, des heures supplémentaires facturées doubles, qu’une augmentation ne remplace pas la satisfaction d’un développement personnel et d’être en phase avec sa vie. © Anna Meshkov Ah cette quête du « sens » – «  A purpose-driven life  » ! Revenir aux métiers qui ont du sens. Les métiers de demain sont à 70 % des métiers pas encore inventés, réalisés ou créés. Ils sont aussi ces métiers qui ont du sens et vers lesquels nous retournerons. Et pour les 30 % restant ? Sur notre archipel, cela se matérialise aussi par le retour en force des métiers traditionnels, le plus souvent en lien avec la Terre. Ces métiers sont matériellement palpables et de fait donnent une satisfaction immédiate à celui qui l’exerce. Tout comme ces métiers qui ont de l’avenir et ne pourront être remplacés par une machine. Nous assistons à une floraison de métiers autour de l’encadrement personnel dit « coaching », pour guider ses pairs à atteindre un but, à changer de cap professionnel ou personnel. On se laisse désormais guider par sa passion, et ce, même après avoir passé la trentaine. Prenons l’exemple de Stéphanie Lantin, 33 ans Guadeloupéenne, qui a choisi de s’installer à Zurich pour devenir « Coach de vie ». «  Depuis le plus jeune âge, j’ai dû faire face à de nombreux changements : divorce de mes parents, adaptations à de nouvelles cultures et une décennie de hauts et de bas, suite à une relation qui m’a fait toucher le fond et s’est soldée par un divorce. Cependant, c’est de la façon dont j’ai surmonté ces épreuves qui ont révélé une force en moi que je ne soupçonnais pas. Cette force est née d’un nouvel amour de moi-même et d’une plus forte connexion créée avec mon entourage et surtout ma famille. Je veux être l’inspiration, le réveil, le guide pour faire découvrir aux gens que c’est en étant vulnérable que l’on crée des relations significatives, que c’est en s’aimant d’abord que l’on peut mieux prendre soin de l’autre et que nous sommes seuls responsables de notre bonheur et personne d’autres. On ne peut pas contrôler le vent, mais on peut apprendre à contrôler la voile.  » Son travail l’amène à interagir principalement avec des femmes âgées de 25 à 40 ans, fatiguées de jouer le rôle qu’elles pensent devoir tenir dans une société de plus en plus exigeante. Stéphanie les aide à se (re)découvrir et à exprimer qui elles sont, afin de vivre une vie authentique, qui a du sens et vaut la peine d’être vécue. Alors, si aujourd’hui, plus que demain, a du sens, prenons le temps en tournant la page de se demander : «  Sommes-nous “bien”  –  à notre place ?  ».

Black Lives Matter

Black Lives Matter

Par Dr Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photos : Bill Hudson Ici, un manifestant, des droits civiques de 17 ans, attaqué par un chien policier à Birmingham, Alabama, le 3 mai 1963. Cette image a fait la une du New York Times du lendemain. © Bill Hudson, courtesy of High Museum of Art. #BlackLivesMatter c’est «  une intervention idéologique et politique dans un monde où les vies noires sont systématiquement et intentionnellement ciblées par la mort  ». Voilà, la définition première de l’expression-dièse reprise aux quatre coins du monde et du monde noir. Suite à l’assassinat de Trayvon Martin, le 26 février 2012, tout juste âgé de 17 ans, par l’officier Zimmerman, qui invoque la légitime défense échappant ainsi à toute condamnation, la colère fait suite à la stupeur. Mike Brown est assassiné à Ferguson, et depuis, des corps noirs tombent, en série, en une hécatombe macabre, et dans une impunité à donner le vertige. À mesure que le charnier gonfle, la fronde gronde. Et le slogan raz-de-marée déferle sur les médias oppresseurs mainstream et alternatifs des opprimés : du hashtag à la rue, de la rue à la scène, la vague BlackLivesMatter créée par le trio fondateur Queer & Black – Alicia Garza, Opal Tometi et Patrisse Cullors – est un soulèvement contre l’infamie. Black Lives Matter Protests Go Global from Ireland to Africa titre CBS News. Printemps Black ou nouveau chapitre du ‘Civil Rights Movement’ ? Ce nouveau cri s’inscrira dans l’histoire de tous les peuples de la diaspora africaine et d’Afrique, aux côtés du Black Power et du Black Is Beautiful. Il est un écho qui résonne à travers toutes les expériences noires, de l’esclavage aux tueries contemporaines, perpétrées par les puissants et les gouvernants. Car par ces crimes institutionnalisés, de l’esclavagisation aux exécutions sommaires de jeunes mâles nègres, la question des vies noires –  the Black Lives’s Matter  – se pose partout et entre tous.  (…) il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental. Alors que le premier Président du Monde libre est Noir, et qu’il achève sa dernière mandature, les forces de police semblent remettre au goût du jour le « Négrocide ». Alors que le slogan de l’Académie de police étatsunienne est To Protect and To Serve (protéger et servir), des hommes et des femmes sont desservi.e.s et assailli.e.s, puisque abattu.e.s en plein jour, sans motif apparent valable, par ces mêmes forces de police. À travers la lentille française, tout un chacun est en droit d’évoquer l’équivalence de la riposte proportionnelle à la menace. C’est la loi. But, in the US, law in on the Police’s side. Aux USA (comme en France), la loi est du côté des forces de l’ordre. Le policier n’est pas simplement un homme, il est la sanction étatique à l’œuvre, la répression en marche, le représentant de la justice aveugle à (aveuglée par) la différence. «  Police use force in direct response to a threat from racial and from economic groups viewed as threatening to the existing social order  » : en effet, il a tout droit de faire feu sur un individu appartenant à des groupes raciaux ou économiques qu’il présume violents ou dangereux pour maintenir l’ordre et la paix sociale. Non, ce n’est nullement une galéjade. Il n’est guère matière à boutade ici. Loin d’expliquer ou de justifier l’obscénité de ces actes, il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental. Faut-il rappeler la prématurité de considérer la barbarisation de la bête nègre comme appartenant au passé ? C’était hier ! Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète. L’obscurantisme accompagna notre entrée dans le 21e siècle ! Les stéréotypes viscéralement entretenus par les grands médias (vidéos musicales, films et séries, jeux vidéo, etc.) contribuent très largement à glorifier et ancrer ces représentations négatives de l’homme noir dans l’inconscient collectif. Elles sont également entretenues par des figures et personnalités noires à travers les formes d’art qu’elles développent : le prisonnier, le dealer, le nègre violent, la bête sexuelle, etc. Non, cela ne dédouane pas les officiers responsables des exécutions sommaires d’hommes et de femmes noir.e.s. Mais, pour eux, cela constitue une caution à leurs actes. Un alibi fourni par l’écran-parole d’évangile.  © Logan Weaver Les regards extérieurs s’étonnent et s’offusquent que de tels actes puissent encore se produire aux USA. Comme si 2016 mesurait les progrès de l’humanité 21 siècles après Jésus-Christ. Ces réactions dénotent non seulement une méconnaissance de l’histoire, et de l’histoire étatsunienne en particulier ; mais également une grande naïveté. On parle beaucoup de racisme systémique. C’est là un pléonasme, car le racisme étant un système qui « produit et reproduit des inégalités cumulatives et durables basées sur la race, favorisant une classe/race privilégiée et défavorisant le racisé », il est donc par essence systémique. Cette précision viendrait contraster avec un racisme dit ‘culturel’, par exemple, qui se traduit par une discrimination basée sur des traits culturels fondés en préjugés (on passe donc d’un racisme épistémique – primordial au sens de l’origine – à un racisme culturel). La société américaine est une entité multiculturelle parce qu’elle reconnaît les différences de chacun qu’elles soient religieuses, politiques, culturelles, traditionnelles, et en cela elle est opposée à la France qui porte œillère et cache-sexe face à ses problématiques historico-migratoires (néologisme référence aux descendants d’immigrés colonisés, dits ‘Maghrébins’ et ‘Africains’). Un manifestant lors de la cérémonie commémorative du révérend King, en 1968. © Bob Adelman. Toutefois, ces deux sociétés sont racistes : Les USA ont un système institutionnel ouvertement racialisé, alors que la France perpétue son système colonial « du bon père de famille » : paternaliste, assimilatrice, et faussement intégrationniste. Aussi, comme le souligne l’économiste et philosophe politique Noam Chomsky, «  l’esclavage compte en grande partie comme fondation de [leur] richesse et de [leurs] privilèges. C’est le cœur de [leur] histoire avec l’extermination et l’expulsion des Indiens autochtones. Mais cela ne fait pas partie de [leur] conscience collective  ». Ce n’est nullement un phénomène nouveau pour ceux qui se souviennent du terrorisme de l’intérieur qui réduisit les nègres à d’étranges fruits : les suprématistes blancs. Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète. Ce n’est pas la nation de la liberté, c’est la puissance messianique qui impose des guerres pacificatrices partout ailleurs. C’est le pays de J. Edgar Hoover et des services d’intelligence et de surveillance, le pays de la répression, le berceau du lynchage. L’ Affirmative action (discrimination positive) fut une suite logique aux actions de la rue : les tribunaux et les lois étaient à conquérir pour plus d’équité. Seulement, les leaders disparurent derrière les quotas. Avancée des noirs, certes. Recul du racisme, aucunement. © Linda Mcqueen. © Instagram: @juliarendleman / Julia Rendleman. Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters ! La collusion entre les syndicats des forces de police avec le grand parti Républicain, GOP ( Grand Old Party ) ne doit être ignorée. Plus souvent que rarement, les officiers appartiennent à une classe blanche de basse extraction qui vote à droite. Historiquement, c’est depuis la présidence de Nixon que les forces de police sont au cœur des campagnes des conservateurs américains, et que le GOP est devenu le «  law-and-order, pro-police party  », pour ainsi dire, le parti « pro-force de l’ordre ».  Tout le monde s’est saisi du #BlackLiveMatter pour, parfois, mieux se dessaisir de la #BlackLives’sMatter , de la question des vies noires. On parle de #AllLivesMatter, #OurlivesMatter, etc. Et même de #BlueLivesMatter, mouvement pro-police fondé le 20 décembre 2014 à New York City après la mort de deux officiers, pris en embuscade dans leur voiture de patrouille, Rafael Ramos et Wenjian Liu. 22 v’là les Bleus qui s’approprie le concept. En mai 2016, la Louisiane en fait la Blue Lives Matter Bill , offrant une immunité contre les crimes de haine aux officiers de police, devenus «  protected class in federal hate-crime law  ». C’est le seul État qui soit allé jusque-là, d’autres, au nombre de 37, se sont contentés de durcir les lois contre les violences envers un représentant des forces de l’ordre. Toutefois, une proposition de loi de protection des policiers comme classe protégée en termes de crime de haine serait dans les tubes du Congrès… en passe d’être votée ? Preuve que l’histoire n’est pas linéaire, que les retours en arrière sont possibles sous des contours différents ! Racisme systémique vous disiez ?  En somme, chacun compte ses vies et leur importance : une sorte de nouvelle affirmative action en somme ! Malgré ces tentatives de vol – ce que ses trois muses appellent the theft of Black Queer Women’s Work  – le mouvement originel est plus fort que jamais et trouve des porte-parole au plus haut du firmament : «  Nos vies comptent, nos vies importent  » pour les artistes blacks aussi ! Les meilleurs et nouveaux advocates – pour utiliser un terme purement anglo-saxon – de la cause semblent être les étoiles noires, Béyoncé et Jesse Williams. Leurs performances ont enflammé la Toile ! À travers son clip « Formation », la Queen B rend hommage aux Black Panthers en adoptant leur apparat et leur gestuelle dans une chorégraphie endiablée, en Louisiane défigurée par Katrina et dénonce l’immobilisme étatique face à la reconstruction de la ville mythique du jazz de fanfare. Jesse Williams donne de la voix très tôt contre ces exécutions sommaires et son engagement connaît son apogée à la cérémonie des BET Awards où il reçoit le BET Humanitarian Award pour son engagement. D’autres artistes s’impliquent au plus près du mal. L’artiste SoulRnB et activiste Janelle Monae – moins en vogue, mais plus proche de la rue –  a écrit une chanson avec Wondaland intitulée «  Hell You Talmbout  » fournissant aux activistes de BlackLivesMatter un hymne «  Say Her Name ! Say Her Name ! ». #SayherName, nouvelle interjection-dièse reprise sur les fils de Twitter et de Facebook posts ! Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters  ! © Misan Harriman. Mais, comment ne pas penser que le dernier opus de Beyoncé est un acte promotionnel dont elle a le secret ? Son clip Formation a révélé au monde qu’elle était noire. Ce n’est là que la moitié d’une boutade… Car comment distinguer ceux qui s’impliqueront quoi qu’il leur en coûte (tel que Jesse Williams qui a eu à en découdre avec Hollywood) et ceux qui profiteront d’un mouvement de résistance, larvé dans un phénomène de résistance culturelle et politique tout aussi grand aujourd’hui, le mouvement Afropunk (Afro, Queer, Free, Swagg). Autre mot-dièse incontournable : #Swagg. C’est une tendance qui les aura tous conquis, de la base au sommet, du peuple aux élites, des Pinkett/Smiths à Alicia Keys, en passant par Beyoncé et consorts, avec des maîtres à penser comme la Monae. D’une dynamique Queer Black, le monde s’embrase. Mais qui, d’entre eux, tentera l’immolation politique ?

DS 3 Crossback, icône du style urbain

DS 3 Crossback, icône du style urbain

Par Mike Matthew Photos : DS France Après la sortie de DS 7 Crossback, la marque premium de PSA poursuit son déploiement avec son deuxième opus de la nouvelle ère DS et se positionne sur un créneau encore peu pratiqué par la concurrence, le segment des SUV urbains, puisqu’il ne peut compter que deux seuls rivaux potentiels l’Audi Q2 et le Mini Countryman. Ce nouveau modèle à la fois puissant et sculptural, présenté le mois dernier au showroom DS de Pointe-à-Pitre, vise la catégorie la plus dynamique du segment, celle des petits SUV chics. Un véhicule bien né qui magnifie le « French flair » aussi agréable à regarder qu’à conduire. Alliant élégance, confort et innovations exclusives, DS 3 Crossback repousse les limites et se joue des conventions faisant le choix de technologies spectaculaires : projecteurs DS Matrix led vison , poignées de porte affleurantes se déployant automatiquement, poste de conduite entièrement numérique… Une avant-garde qui va de pair avec sa richesse d’équipements de sécurité, d’aides à la conduite autonome de niveau 2, avec un confort feutré et une acoustique sans précédent. Un intérieur chic & confortable. D’un intérieur cossu, arborant un niveau de finition irréprochable dû au savoir-faire maison, DS 3 Crossback, procure un niveau de confort digne des segments premium. Et qu’il s’agisse de courts ou de longs trajets, le confort de DS 3 Crossback reste le même : exceptionnel. À l’avant comme à l’arrière, le nouveau SUV est doté de sièges en mousse bidensité, pour une assise enveloppante d’une grande qualité. Et parce que les moments de calme sont précieux, DS Automobiles a veillé à ce que la nouvelle DS présente un niveau d’isolation sonore et vibratoire supérieur avec un système HI-FI hors pair doté de 12 haut-parleurs et d’une amplification de 515 watts, afin de vous proposer une immersion sonore exceptionnelle. Délibérément compacte, DS 3 Crossback prodigue des innovations envoûtantes. À l’image de ses projecteurs intelligents DS Matrix Led vision qui permettent de rouler de nuit en pleins phares sans risquer d’éblouir grâce aux projecteurs à LED dont le faisceau lumineux s’adapte automatiquement. DS Drive Assist pour sa part propose une aide à la conduite qui ouvre la voie à la conduite autonome. Grâce au radar et caméra embarqués, il régule la vitesse par rapport au véhicule se situant devant et agit sur la direction pour positionner précisément le véhicule dans sa voie selon les choix et habitudes du conducteur. DS Smart Access vous permettra d’ouvrir et démarrer votre DS par l’application MyDS. Enfin, DS Park Pilot : une innovation qui permet de détecter un emplacement de parking correspondant au gabarit du véhicule, simplement en passant devant, et ce jusqu’à 30 km, puis effectue la manœuvre, en créneau ou en bataille. Une motorisation dynamique. Longue de 4,12 m, la DS 3  Crossback procure une expérience de conduite unique grâce à trois types de motorisations : Essence Pure Tech, Diesel Blue HDI et E-Tense 100 % électrique. À son lancement, 5 motorisations vous seront proposées, précisément trois essences et deux diesels. Le bloc essence 3 cylindres 1,2 litre « PureTech » est décliné en puissance 100, 130 et 155 chevaux, pour respectivement 205, 230 et 240 Nm de couple. En diesel, un seul moteur 4 cylindres 1,5 litre « BlueHDi » est proposé en deux configurations 100 ch/250 Nm et 130 ch/300 Nm. Tous ces moteurs sont suralimentés et apportent un niveau de performances élevé pour une consommation mesurée. Sur route, le conducteur percevra tout de suite la quintessence de ces mécaniques modernes. Enfin, si l’objectif de DS 3 Crossback était de séduire, il faut dire qu’il y parvient parfaitement, et cela sur toute la ligne. Il vous sera possible de choisir entre plusieurs ambiances, baptisées par le constructeur « Inspirations ». Et selon votre choix, ce nouveau SUV urbain se fera alors sportif ou luxueux, tapageur ou discret.

Factures impayées, les recours possibles

Factures impayées, les recours possibles

Par Chrystelle Chulem - Avocat à la cour Photo : Clem Onojeghuo Les délais de paiement peuvent impacter la santé financière d’une entreprise. Il convient donc que le fournisseur ou prestataire demeure vigilant quant aux délais de paiement accordés à ses clients. Les délais de paiement se définissent comme la durée prévue dans un contrat entre la livraison ou la facturation du bien, d’un service par le fournisseur ou le prestataire, et le paiement par le client ou le professionnel. Ils ne peuvent en principe dépasser 60 jours nets à compter de la date d’émission de la facture. À défaut de délai convenu entre les parties, s’applique un délai supplémentaire de paiement de 30 jours, à compter de la réception des marchandises ou de l’exécution de la prestation demandée. Le législateur a réduit ce délai à 20 jours lorsque la facture concerne certains produits, comme les produits périssables. En présence d’une facture restée impayée, le créancier dispose d’un délai de 2 ans pour saisir les tribunaux et recouvrer sa facture lorsque le débiteur est un consommateur. Lorsque la créance n’est pas payée à sa date d’exigibilité, elle devient une facture impayée. Le créancier peut alors mettre en place une procédure de recouvrement de créance. Il existe deux types de procédures de recouvrement de créance : le recouvrement amiable et le recouvrement judiciaire. Le créancier peut tenter un recouvrement à l’amiable sans passer par un juge, en établissant un dialogue avec le débiteur. Il s’agit là d’un préalable à toute procédure contentieuse. L’objectif est d’ouvrir une période de négociation, afin d’éviter le recouvrement judiciaire. Le plus souvent, le recouvrement amiable d'un impayé va suivre un processus consistant en des relances écrites, voire téléphoniques, rappelant l'origine de la dette et son montant. Une proposition de mise en place d'échéancier pourra également lui être faite, si le paiement intégral est impossible. À cette étape, si le débiteur ne s’est pas manifesté, le créancier pourra lui adresser, soit une relance par lettre recommandée avec accusé de réception, soit une lettre de mise en demeure de payer toujours par lettre recommandée avec accusé de réception. Le créancier pourra aussi, par le biais d’un huissier de Justice, faire délivrer « une sommation de payer » valant mise en demeure à son débiteur. © Mika Baumeister Si le débiteur ne se manifeste toujours pas dans les délais impartis par la mise en demeure ou la sommation de payer, le créancier devra alors envisager la mise en place d’une procédure de recouvrement judiciaire. Il devra saisir le juge, soit d’une requête en injonction de payer, soit d’une assignation en paiement à l’encontre de son débiteur. Il appartient au créancier d’être attentif aux délais de prescription. En effet, le délai pour demander le paiement de ses factures et ainsi espérer en obtenir le recouvrement est limité. La prescription désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice, civile ou pénale, n'est plus recevable. En présence d’une facture restée impayée, le créancier dispose d’un délai de 2 ans pour saisir les tribunaux et recouvrer sa facture lorsque le débiteur est un consommateur. En revanche, ce délai est de 5 ans lorsque le débiteur est un professionnel, une société commerciale ou un commerçant. LIRE AUSSI |FACTURES IMPAYÉES Dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, le créancier pourra obtenir d'un juge un titre exécutoire, c’est-à-dire une ordonnance d'injonction de payer, afin de recouvrer sa créance. La première phase de cette procédure n'est pas soumise au principe du contradictoire, puisque le créancier pourra obtenir l'ordonnance d'injonction de payer alors que le débiteur n'est pas avisé de la procédure. A contrario , l’assignation en paiement est un acte délivré par un huissier, par lequel le créancier demande à son débiteur de comparaître à une date précise devant le tribunal. Cette procédure, qui est plus longue que l'injonction de payer, est généralement utilisée lorsque le créancier craint que le débiteur conteste la créance. Quelle que soit la procédure initiée, le titre exécutoire obtenu devra être valablement signifié par voie d’huissier au débiteur. Dès lors, le créancier pourra, par le biais d’un huissier de Justice, engager la procédure de recouvrement forcée en mettant en place les voies d’exécution qui permettront au créancier d’obtenir le recouvrement de ses créances, en ayant recours aux saisies sur le patrimoine du débiteur, en fonction de sa solvabilité.

Factures impayées, le mal des entrepreneur.e.s

Factures impayées, le mal des entrepreneur.e.s

Par Ken Joseph Photo : Nathan Dumlao Voici une plaie économique dont nos entreprises se passeraient bien, tant elle impacte l’ensemble de la croissance et accélère les réactions à la chaîne. En cause ? Les factures impayées. Certes, le sujet n’est pas nouveau, mais il ne s’arrange guère. Et, si le phénomène est largement connu, le syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux (l’ANRC) l’a quantifié, dans un rapport publié le 20 juin 2018. Ainsi, en 2017, les créances impayées françaises ont représenté un manque à investir de 56 milliards d’euros pour les entreprises, soit environ 2 % du produit intérieur brut (PIB). L’étude révèle que le strict respect des délais de paiement « permettrait de soulager la trésorerie des entreprises de 12 milliards d’euros par an ». Certes, la mise en place de la loi pour la modernisation de l’économie dite  LME d’août 2008 modifiée en 2018 a dans un premier temps permis une nette amélioration, disons sur le papier. Dans les faits, les habitudes sont tout autres, car 37 % des TPE-PME dans les secteurs B2b sont payés au-delà de 30 jours, et 23 % au-delà de 6  jours. Pour rappel, en France, la moyenne des retards – au-delà du délai légal – se situe à douze jours. La situation est particulièrement dégradée pour les secteurs « information et communication » et « conseils et services aux entreprises » où près de deux entreprises sur trois connaissent des délais supérieurs à 60 jours, et parmi lesquelles plus de la moitié subissent des retards supérieurs à un mois. Le secteur « construction » s’avère à peine mieux loti, puisque moins d’une entreprise sur deux est payée à l’heure. Par ailleurs, pour le secteur public, si les délais de paiement de l’État sont plus au moins maîtrisés, ceux des collectivités locales et des établissements de santé sont beaucoup plus hétérogènes, voire problématiques, ce qui est notamment le cas des régions. Du côté des départements et régions d’outre-mer, selon l’IEDOM, en 2016, 40 % des entreprises ultramarines subissent un retard de paiement. Et sont par ailleurs 45 % à régler leurs fournisseurs au-delà de 60 jours. © Zhang Kenny Toute entreprise est confrontée tôt ou tard à un client qui ne paye pas. Et il s’agit malheureusement d’une situation trop fréquente qui demeure frustrante chaque fois. Selon l’étude de GoCardless , réalisée auprès de 250 PME françaises, 85 % des sociétés déclarent qu’elles pourraient développer leur activité plus rapidement si elles avaient plus de visibilité sur leurs paiements. De plus, «  l’incertitude quant au moment où les paiements vont arriver  » rend 87 % des dirigeants de PME «  plus stressés et anxieux  ». Et 81 % avancent ne pas être certains d’être en mesure de payer leurs propres factures à temps. 54 % déclarent avoir été contraints de payer leurs créances en retard en raison des délais de paiement de leurs propres clients. Finalement, pour honorer leurs paiements, 42 % des dirigeants de PME auraient demandé un financement d’urgence ou pioché dans leurs économies, afin de compenser les retards. Cependant, 56 % déclarent qu’au cours de leur première année d’activité, les délais de paiement les ont forcé à faire des sacrifices sur leurs salaires, leurs congés ou leurs embauches. Il faut savoir que plus d’une procédure collective (liquidation-faillite) sur quatre découle de problèmes d’impayés et de retards de paiement. Pour un patron, ne pas être payé à temps constitue une véritable crainte, et se pose alors nombre de questions : le client est-il mécontent ? Est-ce que son chèque s’est perdu dans les abysses des bureaux de poste ? Est-ce qu’il espère passer sous le radar ? A-t-il tout simplement oublié d’acquitter sa facture ? Il existe, en effet, plusieurs raisons à ce que ces factures restent lettre morte. La principale pourrait être un contexte conjoncturel, toujours incertain. Mais ce ne sont pas seulement les fournisseurs ou les entreprises partenaires qui rechignent à payer dans les temps ou à payer tout court, mais les privés aussi, donc le consommateur. Nombreux sont ceux qui sont affectés par la situation économique, mais certains d’entre eux vivent visiblement aussi au-dessus de leurs moyens. Et pour les entreprises B2b-B2c, les conséquences peuvent, s’avérer létales. Il faut savoir que plus d’une procédure collective (liquidation-faillite) sur quatre découle de problèmes d’impayés et de retards de paiement. Les TPE et davantage les PME, c’est-à-dire celles qui sont responsables de l’essentiel de la croissance, y sont particulièrement vulnérables, ne disposant pas de l’organisation et des ressources humaines pour y faire face. Alors que souvent, elles ne déméritent pas en matière de produits et de services. Mais c’est aussi de leurs responsabilités de s’assurer des rentrées financières, car trop souvent les entreprises, aveuglées par les perspectives d’un gros contrat, négligent ou oublient de vérifier la solvabilité du client. © Taner Arali Les retards de paiement entraînent un effet de cascade pour les entreprises. Et c’est au détriment de toute la chaîne économique. Elles sont 4 sur 10 à assurer que leur activité a déjà été mise en péril à cause des délais de paiement pratiqués. Selon l’éditeur de logiciels Sellsy, dans son baromètre réalisé en partenariat avec YouGov sur les délais de paiement, 22 % des répondants déplorent un pourcentage d’impayé de plus de 5 % du chiffre d’affaires. Parmi les raisons évoquées, la situation financière difficile de certains clients (45 %), la mauvaise foi de leurs interlocuteurs (40 %), des oublis involontaires (26 %), ou encore la cessation d’activité du client (24 %). En clair, il s’agit souvent d’une configuration du pot de terre contre le pot de fer. Mais il y a encore plus éloquent. (…) les entreprises françaises n’osent pas réclamer leur dû. Elles craignent, surtout dans le contexte économique actuel, que le fait de relancer leurs clients leur fasse perdre des parts de marché. Selon les résultats des travaux de deux chercheurs français, Jean-Noël Barrot et Julien Sauvagnat, le respect des délais de paiement fixés aurait de vrais impacts sur l'emploi. Les deux jeunes sont arrivés à une conclusion saisissante : «  Selon nos estimations, le respect des seuils légaux en matière de délais de paiement conduirait à une augmentation de l'emploi de 2,3 % chez les PME, soit à la création de plus de 100 000 emplois par les entreprises  », expliquent les deux chercheurs. Mais en réalité, combien coûte un impayé ? Le recouvrement des créances impayées est une problématique majeure et stratégique dans la gestion de toute entreprise. En effet, en raison de la fragilité économique globale des entreprises dans une conjoncture difficile, un retard de paiement impacte tout besoin en fonds de roulement (BFR). Il est du chiffre d’affaires (CA) qui ne se transforme pas en trésorerie. Cependant, dans votre CA il y a d’une part vos coûts de revient – ceux de vos fournisseurs et autres frais fixes liés à la production – et de l’autre votre marge. Vos fournisseurs et vos charges fixes devant être payés, en cas de retard ou d’impayé, c’est de la marge payée qui sera utilisée.
Voici un exemple extensible à des milliers de situations bien connues :
vous avez vendu, il y a deux mois 4 formations à 1 200 €. Les prestations ont été effectuées et vous avez facturé à la commande. Marge de 20 %. Sur vos 4 factures, seules 3 ont été réglées à échéance.
Voici l’impact de votre impayé sur votre marge globale :
1. CA = 4 800 €/marge : 960 €/Frais de revient : 3 840 €
2. CA payé = 3 600 €/marge : 720 €/Frais de revient : 2 880 €
3. CA impayé = 1 200 €/marge : 240 €/Frais de revient : 960 €. La marge effectuée sur les sites payés sera utilisée pour payer vos frais de l’impayé : 720 € pour couvrir 960 € de frais de vos fournisseurs + marge d’une autre vente pour combler les 240 € manquants. Vous avez perdu 960 € et effectué 0 marge sur vos ventes payées. Dans cet exemple, pour couvrir le coût de l’impayé sans nuire à vos marges, il vous faut générer et encaisser pour 6 000 € de formation.

D’une manière générale, la formule utilisée pour calculer le coût et l’impact d’un impayé sur votre marge est la suivante : Montant de l’impayé/Taux de marge x 100.
© Efe Kurnaz Mais les conséquences d’un impayé ne se résument pas à une tension sur la trésorerie, elles affectent parfois l’organisation même de l’entreprise de plusieurs manières : en affectant différemment le budget de trésorerie ; en alertant le banquier, qui peut le cas échéant réajuster le niveau de risque à la hausse ce qui engendrera un durcissement des tarifs et de l’accès au crédit ; en affectant l’exploitation de l’entreprise (embauches et investissements repoussés, économie sur l’entretien, les matières premières…). Le temps passé et les dépenses liées au recouvrement (huissiers, dépenses juridiques…), bien souvent à fonds perdu, impactent eux aussi la bonne gestion de l’entreprise. C’est pourquoi il est important d’adopter la bonne attitude à l’apparition d’un retard de paiement, pour maximiser vos chances de récupérer les sommes dues. Selon Daïna Boismoreau, auteure du livre : Les Entreprises et la gestion des impayés clients : la culture du cash (Edilivre), le meilleur modèle de recouvrement de créance est, dans un premier temps, la prévention et l’anticipation via une attention portée au bon enregistrement et à la mise à jour des données liées à l’identité du client, telles que le délai et le mode de paiement du client…, mais également au cadre contractuel, à la présence de bons de commande, à la véracité des prestations ou de produits facturés… et ces actions doivent bien entendu être suivies d’une réactivité d’intervention pour garantir toutes les chances de recouvrement de créances. Accompagné d’un reporting régulier et précis, axé sur tous les indicateurs clés, celui-ci vous permettra un meilleur pilotage de l’activité. Le recouvrement des créances est une activité réglementée liée à l’utilisation de moyens légaux. Il faut donc une structure adaptée selon la taille de l’entreprise et son volume d’affaires. Toutefois, quelle que soit la taille de l’entreprise, une politique de crédit doit être clairement définie, communiquée, appliquée et contrôlée. Le rôle du crédit manager ou du responsable recouvrement voire du directeur administratif et financier, selon le titre que vous lui donnerez ou l’organisation au sein de votre entreprise, est primordial. Il est le chef d’orchestre du recouvrement de créances. Il garantit la bonne marche de recouvrement, le respect des délais, la bonne application du processus. Pour les TPE ou autres entrepreneurs individuels ne pouvant se payer le luxe d’un crédit manager, le recours à un intermédiaire est un levier de réussite décisif dans le recouvrement. Faire appel à un professionnel bénéficiant d’une solide formation juridique, ainsi qu’une maîtrise des techniques de négociation améliore fortement vos chances de récupérer vos impayés, tout en préservant la relation commerciale. Aussi, pour éviter une accumulation d’impayée, une entreprise a tout intérêt à durcir ses conditions générales de vente. Au-delà des libellés des factures, c’est la logique qu’il faut changer : les pays du nord de l’Europe ont, depuis longtemps, pris l’habitude de facturer les mauvais payeurs… Car le problème est bien là : les entreprises françaises n’osent pas réclamer leur dû. Elles craignent, surtout dans le contexte économique actuel, que le fait de relancer leurs clients leur fasse perdre des parts de marché. Si le sujet est aujourd’hui brûlant, c’est que la crise semble prendre une nouvelle ampleur, avec un effet sanglant attendu sur les délais de paiement et, surtout, un effet domino des défaillances.

Le panier de calimordants

Le panier de calimordants

Par Dr. Stéphanie Melyon-Reinette sociologue et artiviste Photo : Mwangi Gatheca C’est une des métaphores que nous affectionnons le plus dans le péyi Gwadloup : le panier de calimordants. On le dit dans notre langue ontologique – celle qui nous a fait naître civilisation créolisée et passer de tiers-monde à tout-monde – que deux de ces énergumènes ne peuvent cohabiter dans le même foyer. « Dé mal krab pa’a rété an menm tou la » , deux crabes mâles ne peuvent demeurer dans le même trou. Fallait-il qu’ils soient mâles pour dire les maux de cette société et surtout que la virilité en soit la quintessence et qu’elle n’ait pas de genre ? Le syndrome de la domination ou le ‘ syndrome du calimordant ’ (métaphore Glissantienne empruntée) est apparemment un trait (ou une tare ?) de l’Antillais/e. Il se caractérise par le «  monté asi tèt a moun  » qui se traduirait littéralement « monter sur la tête de l’autre ». « La Gwadloup malad. La gwadloup malad mésié, fo nou touvé on rimèd mésié pou nou sové péyi la, mézanmi o ! Sa doulouré mésié, sa anmèwdan ayayay… » Monter sur la tête de l’autre, dans le panier de calimordants c’est la pratique en vigueur. On grimpe, on essaie de s’en sortir en étant tantôt marchepied, tantôt marcheur. Alors, bien sûr ce qui caractérise le monde du calimordant c’est aussi la fermeture, le manque d’horizon, la captivité, l’aliénation. Lui qui dans son état et habitat naturel, vit dans un trou qui lui va comme un gant se retrouve après avoir été chassé et déporté dans une grande mi-geôle-mi-fosse-commune dont il ne connaît pas les entours, un monde inconnu où il se sent englouti parmi tous ces corps, il bataille comme les autres pour sa survie quitte à asphyxier l’autre… D’ailleurs, le calimordant est un charognard qui se repaît allègrement de la mort ou de la déchéance, du malheur pour le moins, de l’autre. Il lui boufferait la cervelle. Si l’autre parvient à percevoir le soleil, il tentera de monter sur ses épaules qu’il n’a pas et l’empêchera d’accomplir sa destinée de calimordant affranchi… en somme, la conclusion est restée «  il n’y a pas de raison que tu sortes du lot !  ». © Maan Limburg Alors qu’il m’est demandé de critiquer le pays sans ambages, d’en faire une critique constructive évidemment, mais sans langue de bois, je trouve qu’initier l’exercice par l’exposition de ce syndrome du calimordant est périlleux, mais impétueux. L’exercice n’est pas facile. Il est osé. Car évidemment, je risque de me faire détester (encore plus peut-être), car j’ai la sensation souvent que l’on essaie de me tirer vers le panier… Alors, voici quelques règles de lecture : 1, identifier un mal social ne revient pas à en faire une généralité – tout le monde n’est pas nécessairement concerné –, mais plutôt de mettre en lumière les symptômes d’une maladie dont certains souffrent, ou plus que d’autres. Maladie, maladie, je sais que tu frémis ou trépignes. Pa cho marinad’ , on y revient. 2, j’entends déjà les uns et les autres dénoncer ces paroles de sycophante –  Mwen ka mété’y espré … Un gros mot français parce qu’apparemment, il ne fait pas bon d'être intellectuel sous nos cieux… Donc, dénoncer ces paroles de sycophante, ou de délatrice, d’espionne, d’une personne qui se joue de vous avec l’ennemi (anwww !) qui irrémédiablement, et de manière irrévérencieuse, vient critiquer le péyi ! Ka nou ka toujou kritiké nou, péyi, la, nèg la ? Encore une fois, il faut de temps en temps ouvrir les yeux et (s’)observer pour examiner le chemin parcouru et là où le bât blesse. Et la blessure est toujours à vif ! Incontestablement. Le pays est malade ! Les révolutions, les crises sont les symptômes d’une société qui voit ses fondations ébranlées. Sauf que la Guadeloupe –   la société postcoloniale que nous vivons et qui nous a façonné.e.s – sur quelles fondations fut-elle érigée ? Que savons-nous ? Que la Guadeloupe est une ancienne colonie qui a muté superficiellement en 1946 ! «  Le pays est malade  ». Une des armes de propagande les plus utilisées par les dictateurs, les tyrans et les présidents de tout acabit : la société en putréfaction idéologique, la société qui se meurt. La société qui sombre dans la médiocrité et la violence, la société qu’il faut karcheriser. La société qu’il faut amputer d’une communauté ou d’une langue. La société qui se délite, parce que c’était mieux avant (eux) ! Le Rwanda, l’Afrique du Sud, Afghanistan, Irak, Syrie, etc. Partout où il y eut des génocides, des guerres, il faut soigner le mal qui sévit, et surtout quand c’est le pays de l’autre qui est malade. « Le Pays est malade ». Constat lapidaire ou postulat liminaire ? Constat liminaire, dirais-je plutôt pour couper la mangue en deux. Constat de début donc, mais lapidaire aussi. «  La Gwadloup malad. La gwadloup malad mésié, fo nou touvé on rimèd mésié pou nou sové péyi la, mézanmi o ! Sa doulouré mésié, sa anmèwdan ayayay…  » chantait Guy Konkèt. Sonneur d’alerte avant l’heure, il disait ô combien le pays était en proie à des malfaisants. Le pays est malade comme toutes sociétés en mutations perpétuelles. Les révolutions, les crises sont les symptômes d’une société qui voit ses fondations ébranlées. Sauf que la Guadeloupe – la société postcoloniale que nous vivons et qui nous a façonné.e.s – sur quelles fondations fut-elle érigée ? Que savons-nous ? Que la Guadeloupe est une ancienne colonie qui a muté superficiellement en 1946 en se voyant accorder le statut de département français sans en avoir pleinement joui, qui engendra une population traumatisée par des siècles de conditionnement à la haine de soi et au rabaissement social, résultant en une affectivité déplacée, une ultra-dépendance, et bien d’autres maux dont nous pouvons en faire une courte déclinaison ! Il ne s’agit pas de vous mener à la dépression. Mais de pointer du doigt quelques phénomènes induits par l’histoire. Aux États-Unis, les taux de ces pathologies mentales sont plus élevés que la moyenne nationale. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. © Jeferson Gomes Et en parlant de dépression, parlons santé. Si une chose devait certainement frapper celui qui arrive ou revient – et encore plus celui qui a toujours été à demeure en Guadeloupe –, c’est ce que j’ai appelé dans une communication « le bal des ombres ». Notamment quand on réside à Pointe-à-Pitre ou dans les centres-villes et autres bourgs, on ne peut manquer de voir des silhouettes amaigries et au pas erratiques, hirsutes, échappant des cris d’orfraie, des mélopées de ruminations, des injures qui conjurent… et les autres qui les ignorent, elles, eux, qui sont dans la lumière. On les ignore aisément. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. Je les vois souvent de mon balcon : dissemblables et si similaires. Des épaves de la folie douce du rocher du diable. Abandonné.e.s à l’emprise de la drogue du lenbé (comme j’ai choisi de l’appeler). Mais, la wóch est-elle réellement la seule raison à leur déraison ? Ne devrions-nous pas non plus remarquer la prévalence des pathologies mentales chez nous ? Parmi mes ami.e.s proches, tou.te.s ont au moins un parent qui souffre d’une pathologie mentale : schizophrénie (paranoïaque), bipolarité, etc. Séquelle de l’histoire, indubitablement. Ce phénomène traverse toutes les sociétés postcoloniales ou communautés afrodescendantes : dans la caraïbe anglophone, cela fait longtemps que les chercheurs (sociologues, psychologues) se sont penchés sur le phénomène. Aux États-Unis, les taux de ces pathologies mentales sont plus élevés que la moyenne nationale. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. J’en suis venue à me dire que la cause de tout cela était une assimilation forcenée et son corollaire, la déculturation, qui en est la cause : pousser un être à rejeter ce qu’il est (créole, cheveux poussants vers le soleil, croyances) pour lui indiquer une voix autre par un conditionnement pavlovien ne peut que provoquer un dédoublement de personnalité, un sentiment de déshérence. À partir du moment où l'on ne tient pas les promesses engagées vis-à-vis du projet citoyen calqué sur cet ailleurs, recteur et censeur. Nous perdons la mémoire. Une mémoire sans doute jamais constituée ou restituée… Là encore, je sais que beaucoup prendront la mouche. Surtout parce que sur ces personnes s’abat la lassitude de devoir porter une responsabilité dont elles pensent être exemptes… Autre débat. © Mwangi Gatheca Construire est un projet citoyen, puisque l’on érige une cité pour que les âmes qui s’y affranchissent (ou pas) s’accomplissent dans un projet social et culturel, identitaire et politique. Par ailleurs, aux États-Unis, certaines études montrent que les hommes africains-américains sont susceptibles de ne pas recevoir les soins adéquats. Il y a(urait) beaucoup de diagnostics erronés d’une part, visant à disqualifier ces hommes, et par ailleurs, quand le diagnostic est avéré, ils ne recevraient pas les soins nécessaires. Parlons de soins adéquats chez nous. Nous avons la CMU. Mais les conditions d’accueil ne sont pas idéales pour un territoire ‘français’. Après l’incendie déclaré au CHU le 28 novembre 2017, il nous a été loisible de constater, qu’après des années d’humour mi-léger, mi-grave autour notre établissement hospitalier digne d’un pays en développement, l’incident nous gifle en plein visage et met en lumière ce que j’appelle la politique du «  sa ka kenbé toujou  ». Le pont ne s’effondre pas, on peut encore l’emprunter. La route se grève de nids de poule. Tant que ce ne sont pas des nids d’autruche ou de dinosaures, on peut encore contourner. On attend de voir les canalisations (ou le magma du cœur de la terre !?). Encore une fois, il ne s’agit pas de critiquer gratuitement, mais de questionner la gestion des uns et des autres. Je pense parfois à des édifices ou autres installations coûteuses, financés par les fonds européens ou autres subventions. Après quelques années, ils sont moins glorieux, et là je me pose deux questions : les artisans ou architectes (dans tous les sens du terme) de ces ouvrages, 1, prévoient-ils un budget « maintenance » (ou du moins l’enveloppe prévue le prévoit-elle) ? Et 2, construisons-nous en phase avec notre environnement ? La réponse à cette seconde question est évidente : non ! Plus souvent que rarement, on construit en dépit du bon sens. Seul le capitalisme compte : les sous-sous ! Ainsi, on peut regarder Haïti et les pays d’Afrique et s’interroger doctement sur le fléau des missions humanitaires et l’appétit carnassier des bâtisseurs-chasseurs de marchés, nous ne sommes pas logés à meilleure enseigne. Gagner un marché ce n’est pas penser avenir, mais immédiateté, pour passer au suivant. L’écologie ne se pense jamais à court ou moyen terme. Mais à très long terme. Il en va de même pour l’urbanisme. Comment se fait-il que la maison que mon grand-père a construite de ses mains il y a plus de 70 ans tienne encore debout quand des bâtisses contemporaines s’effondrent déjà ? Comment oublier la salinité (par essence !) des alizés ? Les architectes (encore dans tous les sens du terme) sont-ils tou.te.s occidentaux.ales.alisé.e.s ? Oh, les inimitiés qui me guettent… Mais ce n’est pas un jugement, mais de vraies questions citoyennes. Construire est un projet citoyen, puisque l’on érige une cité pour que les âmes qui s’y affranchissent (ou pas) s’accomplissent dans un projet social et culturel, identitaire et politique.

La femme dans l'histoire

La femme dans l'histoire

Par Safia Enjoylife Photo : Getty images Les premières figurines qui ont représenté l’humain étaient exclusivement féminines. La plus ancienne étant la Vénus de Hohle Fels âgée de 40 000 ans. Cette fascination vouée à la gent féminine s’explique par sa position centrale dans la transmission de la vie. C’est dans le corps de la femme que se forme un nouvel être et c’est également elle qui assure sa survie en l’allaitant pendant qu’il est fragile et dépendant. En raison de sa fonction créatrice et nourricière, la femme a donc été au centre d’une attention et d’une dévotion extrêmement importante pendant les premiers stades de l’humanité. Les rôles fondamentaux des déesses imaginées par les différents peuples rendent compte de sa haute considération. Chez les Égyptiens de l’Antiquité, l’équilibre, la justice, et la paix étaient incarnés par la déesse Maat. Chez les Incas, la déesse Pachamama est source de fertilité et protège les récoltes. Quand on sait que la subsistance principale de cette société était l’agriculture, on comprend que cette divinité tenait un rôle crucial. Dans la croyance hindoue, la conscience, la prospérité, l’abondance, la vérité, la sagesse et la connaissance sont personnifiées par les divinités féminines Aditi, Lakshmi et Sarasvati. On retrouve la même importance accordée aux femmes dans tous les panthéons de la planète. Ce n’est que plus tard que la puissance et le caractère indispensable de la femme ont été amoindris afin de garantir à la gent masculine le monopole de la gouvernance des États et des spiritualités. Dans de nombreuses sociétés, le rôle de la femme a été relégué à celui d’accompagnatrice docile. Son influence et ses actions décisives ont été gommées des récits historiques, au point qu’aujourd’hui, on observe un déséquilibre flagrant entre la surexposition des hommes et l’absence des femmes. On serait tenté de croire que cette distorsion reflète le fait que la femme n’a pas pris part aux progrès des nations, mais en soulevant les épaisses couches d’omission, on retrouve ses apports essentiels dans l’histoire du monde. S’il est vrai que la femme a souvent dû s’inscrire dans la rébellion pour faire valoir son droit d’action et de décision, c’est encore plus vrai pour la femme noire qui, elle, a dû se dresser contre une double barrière, celle du sexisme et celle du racisme. Pour autant, elle n’a jamais cessé de participer aux événements déterminants de l’histoire. Anne Mbande Nzinga, puissante reine du Ndongo et du Matamba. Reines, guides spirituelles, meneuses de révolte, guerrières, mères de héros, chefs de clan, pionnières, elles sont beaucoup plus nombreuses qu’on nous le montre à avoir été des femmes de pouvoir ou des femmes d’influence. Aussi loin que remonte la civilisation, la femme est intervenue dans le sort des nations. Dans l’Antiquité déjà, une lignée de reines africaines a dirigé et protégé le royaume de Koush, situé dans l’actuel Soudan. La reine Amanishakéto s’est démarquée par son génie militaire. En effet, bien que l’empereur romain Auguste ait attaqué son royaume avec une armée trois fois plus nombreuse que la sienne, la reine Amanishakéto a déjoué cette invasion. Ses compétences en stratégie lui ont permis d’écraser les troupes romaines malgré leur supériorité numérique. Suite à cette défaite humiliante, les Romains n’osèrent plus jamais attaquer le royaume de Koush et il prospéra pendant des siècles ! L’exemple d’Amanishakéto témoigne que la combativité et l’ingéniosité ne sont pas des qualités réservées aux femmes modernes. Et le fait qu’une femme dirige un État et prenne part au combat n’est pas un phénomène isolé dans l’histoire africaine. Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira « Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles. » Au 16e siècle, la reine Amina a régné 34 ans sur le royaume de Zazzau situé dans l’actuel Nigéria. Elle fut formée très jeune à la gouvernance et au combat. Lorsque Amina accéda au trône, elle décida de mener une campagne militaire à la tête d’une cavalerie de 20 000 soldats. En plus d’agrandir considérablement son territoire, la reine Amina a développé l’économie en sécurisant le commerce du cuir, des chevaux, du sel et de métaux précieux. Elle rendit son royaume riche et puissant. Des ruines impressionnantes de murs d’enceinte qu’elle fit construire sont encore visibles dans les villes de Kano et Katsina au nord du Nigéria. La reine Mbande Nzinga a également été une guerrière exceptionnelle et un chef d’État exemplaire. Pendant plus de 40 ans, elle a dirigé les royaumes de Ndongo et du Matamba, situés dans l’actuel Angola. Elle était une combattante redoutable et une stratège militaire extrêmement efficace. Elle a tenu les envahisseurs portugais en échec plus de quatre décennies ! Elle est décédée en 1663 à 82 ans après avoir créé une lignée de femmes dirigeantes. Portrait des Amazones du Dahomey qui pendant deux siècles constituaient la garde rapprochée du roi du Dahomey. Les femmes ont toujours participé aux luttes pour la liberté de leurs nations et tandis qu’on les imagine souvent précieuses et délicates, elles n’ont jamais hésité à se saisir des armes pour protéger leurs enfants, leurs maris et leurs parents. Seh Dong Hong-Beh en est la parfaite illustration. Elle était la générale d’une armée de 6 000 guerrières, les Minos. C’est d’ailleurs son parcours héroïque qui a inspiré le personnage du général Okoye dans le film « Black Panther » des studios Marvel. Elle a infligé de graves dégâts aux troupes françaises qui tentaient d’envahir le royaume du Dahomey en 1851. Il faudra que ses adversaires se munissent de mitrailleuses pour venir à bout de la hargne et de la détermination de Seh Dong Hong-Beh et de ses guerrières. En constatant la puissance de feu des soldats français, les Minos refusèrent de capituler. Elles préférèrent sacrifier leurs vies pour ralentir l’avancée des soldats français. Telles sont les héroïnes que l’histoire passe sous silence. Gloria Richardson lors d'une protestation à Cambrige, Juin 1963. © Mike Morgan Les femmes ont toujours résisté face à l’oppression, mais pas nécessairement dans la violence. Kimpa Vita n'a pas mené sa rébellion en versant le sang, mais en propageant des discours de mise en garde contre les mensonges et les exactions que les Portugais perpétraient dans le gigantesque royaume Kongo au 16e siècle. Elle dénonçait les manipulations des missionnaires religieux qui sous couvert de la bible soumettaient le peuple Kongo et pillaient ses ressources. Elle invitait ses compatriotes au rejet de toute alliance ou commerce avec les Européens qui finissaient toujours par trahir et détruire. Elle encourageait ses frères et sœurs à être fiers de leur couleur de peau et de leur identité africaine. À cause de sa quête de justice et de liberté, elle fut arrêtée et torturée. Elle était enceinte, mais cette condition ne lui valut aucune pitié des missionnaires. Ils la brûlèrent vivante avec son bébé dans son ventre. Elle n'était âgée que de 22 ans. En Casamance, une autre meneuse est aussi un symbole de la lutte pacifique. Vers 1940, une guérisseuse de 18 ans, Aline Sitoé Diatta, provoque un boycott massif de la gouvernance française. Elle commence par initier un refus catégorique de toute activité ou règle imposée par les colons français. Par exemple, elle réussit à convaincre les paysans d’abandonner la culture de l'arachide exportée vers la France pour reprendre celle du riz qui nourrit les populations locales. Elle persuade également ses compatriotes de ne plus payer d'impôts. Grâce à elle, les hommes ne s'enrôlent plus dans l'armée française pour aller se faire massacrer au front pendant la Seconde Guerre mondiale. Devant la désobéissance croissante du peuple Diola, les colons français capturèrent Aline en 1943 et la torturèrent plusieurs mois avant de l’exécuter. Les combats pacifiques d'Aline Sitoé Diatta et de Kimpa Vita reflètent l’implication des femmes dans leur société, quels que soient les époques et les moyens. Et concernant les lieux, il n’y a pas qu’en Afrique que la femme a agit, dirigé, lutté et provoqué des progrès. On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes. Les femmes ont résisté pendant leurs captures en Afrique, pendant la traversée des négriers, et pour celles qui ont survécu, elles ont continué à résister, une fois déportées en Amérique et dans la Caraïbe. En Jamaïque, Nanny a fait la guerre aux Anglais pendant une trentaine d’années. À peine débarquée, elle s’enfuit et forme ses compagnons fugitifs à l’art de la guerre en milieu forestier. Elle tient son instruction militaire du peuple Ashanti d’où elle est issue. Elle provoque des dégâts si considérables qu’elle précipite l’abolition. Elle aurait libéré plus de 800 Africains lors d’attaques éclair dans les plantations. À Haïti, Sanité Bélair a vaillamment combattu les Français pendant la révolution qui a eu lieu entre août 1791 et le 1er janvier 1804. Elle était si efficace qu’elle a acquis le grade de lieutenant dans l’armée de Toussaint Louverture. En Guadeloupe, c’est Solitude qui, enceinte, pistolets aux poings, a généré d’énormes pertes du côté français. Au Brésil, c’est Dandara, une fugitive de l’état de Bahia, qui organise des raids dans les plantations portugaises pour libérer des captifs africains. Et des noms de femmes qui se sont placées au cœur des combats, il en existe une liste sans fin. Amelia Boynton (à droite de Martin Luther King Jr) Selma, 1965. © Amelia Boyton House. Cette tendance à participer activement au progrès vers l’émancipation et la justice ne s’est pas éteinte lors des dites « abolitions ». La ségrégation aux États-Unis a connu des opposants célèbres tels que Martin Luther King, Malcom X ou encore Huey P. Newton et Bobby Seale, mais encore une fois les femmes ne sont pas restées à l’écart du combat. En 1955, c’est la journaliste afro- américaine Jo-Ann Robinson qui a initié le boycott des bus de Montgomery. À la suite de l’arrestation abusive de Rosa Parks, Jo-Ann décide d’appeler la communauté noire de Montgomery à cesser d’utiliser les bus de l’agglomération. Son boycott est totalement suivi et se transforme en premier mouvement pacifique en faveur des droits civiques. Sans le savoir, cette femme ordinaire a déclenché un effet domino qui a mené à la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis. L’application du droit de vote est également due à une femme. En 1965, c’est Amelia Boynton Robinson qui a l’idée de la marche historique entre Selma et le capitole de Montgomery. Elle persuade 200 personnes puis l’opération se transforme en succès national avec 25 000 participants venus des quatre coins du pays. Gloria Richardson Dandridge, quant à elle, a milité du côté de Cambridge dans l’état du Maryland en organisant des actions de désobéissance civile avec un petit groupe de femmes noires. Quitte à se faire arrêter et parfois rouer de coups par les matraques des policiers, elles allaient s’asseoir dans des cinémas, des restaurants ou des bowlings réservés aux blancs. On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes. En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux. Winnie Mandela à Johannesburg, en décembre 1986. © Greg English. AP Un exemple flagrant de cette différence de reconnaissance est le couple Nelson et Winnie Mandela. En Afrique du Sud, Winnie Madikizela Mandela était aussi engagée que son mari dans le combat contre l’apartheid. Pendant qu’il était en prison, elle ne s’est jamais résignée. Elle a organisé des protestations très suivies, au point d’être emprisonnée 491 jours. Toutes sortes de tortures physiques lui ont été infligées durant son enfermement. Comme son tempérament trempé dans l’acier l’a empêché de craquer, les gardiens l’ont persécutée psychologiquement. Par exemple, ils mélangeaient des insectes morts à sa nourriture. Winnie a tenu bon et dès sa sortie elle a recommencé à militer. C’est grâce à elle que Nelson Mandela n’est pas tombé dans l’oubli comme les autres prisonniers politiques d’Afrique du Sud. C’est elle qui a maintenu sa situation dans l’actualité en l’évoquant à chaque manifestation. C’est également grâce aux démarches qu’elle a menées inlassablement pendant 27 ans que la lourde peine de Nelson s’est commuée en assignation à résidence puis en libération. En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux. Les femmes ont un rôle beaucoup plus important qu’on veut bien leur accorder dans l’histoire, mais celui-ci est minimisé, voire nié. Et des femmes qui impactent leur société positivement, il en existe partout dans le monde ! Récemment, c’est Marielle Franco qui a incarné la lutte contre l’oppression des démunis au Brésil. Née au cœur d’un complexe de seize favelas parmi les plus dangereuses de Rio, elle réussit ses études de sociologie et s'engage dans le militantisme en faveur des droits civiques. Elle réussit à se faire élire conseillère municipale afin de faire voter des lois qui protègent les femmes des violences et des inégalités. Son élection est une victoire retentissante pour les habitants des favelas, car elle prouve que désormais au Brésil il est possible d'accéder à des postes en politique même quand on est issu de la pauvreté, même quand on est noir et même quand on est une femme ! Malheureusement, cette transgression des standards fut de courte durée. Un an après son élection, le 14 mars 2018 Marielle Franco est exécutée de quatre balles dans la tête. Les différentes luttes qu'elle menait en faveur des défavorisés l'ont rendue trop subversive. D’autant qu’elle dénonçait publiquement la corruption du 41e bataillon de la police militaire de Rio. LIRE AUSSI | LE POUVOIR FÉMININ À L'ÉPREUVE DE L'ENTREPRENEURIAT Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. © Collection Smith / Gado / Getty Images Les femmes ont tenu des rôles essentiels dans tous les domaines. Et s’il en est un où elles sont souvent occultées, c’est la science. Ce champ se veut exclusivement masculin parce qu’il implique des capacités intellectuelles complexes. L’idéologie sexiste voudrait que les femmes soient moins dotées que les hommes concernant les compétences intellectuelles. De nombreux exemples jettent le discrédit sur cette théorie infondée. D’ailleurs, le plus grand progrès scientifique du 20e siècle a pu avoir lieu grâce à trois femmes. Ce sont Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson qui ont permis à la NASA d’envoyer le premier humain sur la lune. Elles ont bravé les lois de la ségrégation qui les écartaient des carrières scientifiques et elles ont surmonté l’obstacle d’être des femmes dans un milieu réservé aux hommes. Katherine Johnson est la surdouée des mathématiques qui a calculé la trajectoire du vol de Neil Amstrong vers la lune en 1969. Dans une ère sans informatique, ces calculs étaient restés impossibles à résoudre avant son arrivée. Dorothy Vaughan, ingénieur en informatique, a programmé le premier ordinateur de la NASA, celui qui a permis de planifier des vols plus rapidement. Mary Jackson, physicienne, a trouvé le conditionnement adéquat pour garantir une navette qui supporte la pression et la chaleur. Ces femmes ont accompli un triomphe légendaire et pourtant le monde n’a découvert leur existence qu’en 2016 au moment de leur biographie cinématographique « Les figures de l’ombre ». (…) la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs... Inutile d’invoquer d’autres exemples pour reconnaître que, quelles que soient les barrières que l’on dresse sur son chemin et les portes qu’on lui claque au nez, la femme vient à bout de tout type d’adversité. Sa puissance était reconnue à l’aube de l’humanité et malgré des siècles d’infériorisation, elle reste toujours aussi évidente. Peu importe le nombre de nuages que l’on place devant elle, la femme illumine le monde. En attendant que la société se décide à laisser sa puissance astrale s’exprimer librement, la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs, elle le fera dans l’ombre de ceux à qui elle murmure les décisions à prendre et les directions à suivre, elle le fera en gagnant un peu plus de droits chaque année. Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira «  Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles . ».

Shaïna Bihary | Au Comptoir de Grem

Shaïna Bihary | Au Comptoir de Grem

Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Éric Corbel À peine ses études finies et un court passage sur les bancs du salariat, à seulement 24 ans Shaïna Bihary est déjà son propre patron et fait partie de cette génération «  même pas peur  » qui en quête de sens et de réalisations ose bouger les lignes. Comme un besoin de liberté. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours perçu la femme comme étant battante, courageuse et libre d’être. Pourtant, on entend souvent dire qu’être une femme est un handicap lorsque l’on entreprend ou pour toutes choses. D’ailleurs, il m’a été glissé que le fait d’être une femme me causerait plus de mal à créer mon entreprise que si j’étais un homme. Pour moi, c’est mettre des barrières sur quelque chose qui ne répond pas au genre. C’est d’ailleurs au moment où j’ai créé mon entreprise que je me suis sentie le plus femme. (…) j’ai réalisé que je me sentais plus à l’aise lorsque j’avais une certaine liberté d’organisation et de décision. C’est à ce moment précis que se dessine mon intérêt pour l’entrepreneuriat. Enfant, je me sentais vraiment différente des autres. Quand mes camarades de classe projetaient d’être pompiers ou policiers, je rêvais d’être chanteuse lyrique. À quatre ans, je répétais sans cesse à ma mère que je voulais faire de la musique et dès l’âge de cinq ans, j’ai pu intégrer le conservatoire national de Bobigny, en région parisienne, pour des cours d’initiation à la musique. En temps normal, l’initiation s’étale sur une année scolaire, mais mes professeurs m’ayant décelé des prédispositions à la pratique m’ont octroyé quelques mois plus tard l’accès à de véritables cours individuels de violon. En parallèle à ces années passées au conservatoire, j’ai suivi un cursus scolaire général qui a abouti à un baccalauréat scientifique à l'âge de 17 ans avec une réelle volonté d’être médecin. Pour moi, la musique et la médecine ont une chose commune : le pouvoir d’aider les gens. Malheureusement, ma première année de médecine a été mon premier échec… Je trouvais difficile d’apprendre machinalement des choses qu’on ne vous explique pas, le but étant de suivre sans poser de questions. Suite à cela, j’ai énormément douté de mes capacités intellectuelles et du choix de mon orientation scolaire. C’était une évidence, voire une obligation pour moi d’être diplômée. J’ai finalement décidé de prendre une année sabbatique, afin de prendre du recul sur mes études. Durant cette période, j’ai aussi décidé de me lancer dans le monde du travail. De gauche à droite : Fabienne Dufait-Dacalor (Yotaena), Shaïna Bihary (Au Comptoir de Grem), Catherine Linel ( responsable de la communication et du marketing chez BNP Paribas Antilles-Guyane) et Anne-Gaëlle Lubino (Le Café Papier). © Éric Corbel. Mes premiers pas, en tant que salariée, n’ont pas été faciles. Je me demandais toujours : «  Pourquoi ils font ainsi, et pas autrement ?  » Dans les différents postes que j’ai pu occuper, j’arrivais, de façon naturelle, à effectuer mes tâches dans des délais relativement courts. Dans certaines entreprises, cela était bien perçu des collègues, mais dans d’autres cela n’apportait, malheureusement, que jalousie. Après coup, j’ai réalisé que je me sentais plus à l’aise lorsque j’avais une certaine liberté d’organisation et de décision. C’est à ce moment précis que se dessine mon intérêt pour l’entrepreneuriat. Un intérêt qui s’est accentué lors de mon installation en Guadeloupe, où j’ai eu la chance de travailler dans le domaine des spiritueux et du tabac. Une expérience qui m’a énormément plu. Je me suis tout de suite vu tenir ce type de boutique en y apportant ma touche. Au comptoir de Grem. Avec ma mère, nous discutions souvent de nos projets. Elle était très emballée par mon idée et souhaitait qu’on ouvre cette boutique en devenant associé. Habitant Petit-Bourg, la zone de Colin nous a semblé le lieu idéal pour ouvrir un tabac/cave. Il était cependant difficile de trouver un espace dans cette zone au moment de nos recherches. Nous avons donc commencé à chercher ailleurs où il manquait ce type de commerce. Jusqu’au jour où en repassant à Colin, nous avons vu un local à louer. Nous avons donc demandé à le visiter, ce qui nous a vite convaincu qu’il était parfait pour le projet. Finalement, ma mère m’exhorte à passer à l’acte et d’ouvrir seule cette boutique que j’avais en tête. Grâce à son soutien financier, mais surtout moral, j’ai pu me lancer sans grande peur ou difficulté. Je savais que je ne serais pas seule et cela m’a permis d’aller jusqu’au bout, sans abandonner. Mon concubin m’a aussi soutenu et permis de m’investir pleinement dans la création de mon entreprise. Mes frères m’encourageaient, mais pour les autres membres de ma famille je n’ai soufflé mot de la création de mon entreprise qu’une fois la boutique ouverte, car je voulais leur faire la surprise. LIRE AUSSI | AVEC ELLES, BNP PARIBAS S'ENGAGE. La création de mon entreprise n’a pas été simple. J’avais 23 ans quand j’ai entamé les démarches au vu du financement de ma société. Difficile pour une banque de faire confiance à une jeune femme sans solide expérience dans le domaine, mais BNP Paribas a su tendre l’oreille et me laisser ma chance. J’ai pu expliquer l’ampleur de mon projet lors d’un rendez-vous et avoir une réponse rapide par la suite. J’ai eu la chance d’avoir des interlocuteurs qui ont fait de leur mieux pour effectuer les démarches dans les meilleurs délais et suivre mon dossier jusqu’au déblocage des fonds. C’était un véritable soulagement d’être aussi bien entourée, car c’est un véritable parcours du combattant, d’autant plus pour les démarches administratives. Pour exemple, l’étape de la CCI a été complexe pour les formalités liées à la vente de tabac : il a fallu six semaines pour valider mon dossier alors que quinze jours sont habituellement nécessaires. Cependant, même après l’ouverture, il y a toujours des difficultés, que ce soient les travaux qui ne se passent pas comme prévu ou encore un fournisseur qui a oublié votre commande. Mais rien d’insurmontable, on trouve toujours des solutions ! Si je devais recommencer les choses, je ne ferais pas tout à l’identique, car il est toujours possible de s’améliorer. Mais avant d’y penser, j’ai beaucoup d’idées concernant le développement de ma boutique, mais tout vous dire ici ne ferait que gâcher la surprise !

Anne-Gaëlle Lubino | Le Café Papier

Anne-Gaëlle Lubino | Le Café Papier

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel C’est confiante et après plus de dix ans passés en tant que salariée qu’Anne-Gaëlle Lubino prend la décision de tout abandonner et de passer à l’acte en créant son entreprise. Un défi de taille que la jeune entrepreneure compte bien relever. Une succession d’étapes. Il me semble, sincèrement, que je n’ai pas eu ce que l’on appelle de rêves d’enfant… Ma mère me raconte souvent que je l’imitais dans son travail, mais me confirme que j’ai toujours aimé beaucoup de choses, sans exprimer d’aspirations particulières. Concernant mes envies de métier, j’ai voulu être sage-femme, enseigner le français à l’étranger, être juge pour enfants, puis juriste d’entreprise, avant de devenir responsable RH. En réalité, je ne me suis jamais dit : « Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes. Mon premier emploi a commencé par un stage de fin d’études dans un cabinet de chasseur de têtes, à Paris. Pour une première expérience, il était assez insolite de comprendre qu’il fallait ruser pour entrer en contact avec des personnes en poste et manœuvrer pour susciter leur intérêt pour un nouveau poste. L’ambiance dans l’entreprise était plutôt moyenne, mais une chose me motivait au quotidien : avoir été spécialisée dans la recherche de profils à l’international. Je ne peux pas dire que je me sois sentie intégrée dans l’équipe ou dans l’entreprise, ni même dans les autres postes que j’ai occupé dans d’autres cabinets. Cette sensation que nous n’étions pas issus du même monde, culturellement et en matière de valeurs. Quoi qu’il en soit, je suis revenue en Guadeloupe au départ pour me ressourcer. Je venais de mettre en œuvre un plan de licenciement collectif, incluant mon propre poste, qui m’avait beaucoup éprouvé humainement, émotionnellement et beaucoup questionné sur mon rôle dans l’entreprise, sur celui que j’avais joué dans la vie de ces personnes. J’étais épuisée et commençais à considérer que je n’étais pas faite pour les ressources humaines. En pleine réflexion sur la suite de mon parcours et afin de rester active, je me suis inscrite en master 2 de droit des affaires à l’université des Antilles et de la Guyane et je continuais à passer des entretiens. Celui que j’ai passé chez Wab Assurances a été un véritable coup de foudre professionnel. Et voilà comment j’ai commencé à travailler en Guadeloupe, dans cette entreprise de valeurs, pendant ma plus longue et plus intéressante expérience professionnelle, qui a duré presque neuf ans. Le café papier, un lieu pensé pour tous. En réalité, je ne me suis jamais dit : «  Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise  ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes. J’ai commencé à me mettre en action quand l’idée que j’ai eue d’un lieu a commencé à prendre tellement de place dans ma tête que je devais choisir entre : la creuser pour en établir la viabilité ou la ranger bien au chaud dans le tiroir des « et si ». J’ai écrit, peaufiné, compté, projeté, je me suis fait accompagner pour ne rater aucune étape dans cette exploration. Quand il s’est avéré que ce projet pouvait tenir la route, j’ai dû choisir entre maintenant et un jour, vous connaissez la suite. Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit. Certains ont été surpris par ce choix tout au début, sachant que j’étais bien dans mon travail et que j’aimais mon équipe. Mais très rapidement, tous ont compris qu’il ne s’agissait pas de m’en échapper et que je travaillais sérieusement à l’idée. Eddy, mon compagnon m’a tout de suite dit : banco. Il est chaque jour un peu plus dans le projet. Ma mère et lui sont mes piliers. J’avoue m’être dit plus d’une fois : «  Mais qu’est-ce que tu fais ?! Tu étais bien, là tu as tout chamboulé et tu as des trucs dont tu n’avais aucune idée à gérer !!!  » Je n’ai jamais envisagé d’abandonner. Je vois toujours tout comme une addition de blocs logiques ou pas (rires). Peut-être des restes des études juridiques. Du coup une fois que j’avais mis le pied dedans, je traitais un bloc, puis un autre, puis le suivant, en gérant tout ce qu’il y avait dans chacun d’eux. Passés les moments où la question était encore d’y aller ou non, les sujets qui pouvaient provoquer de la peur sont aujourd’hui des objets de questionnements, qui me poussent quotidiennement à faire des choix, à trouver des solutions. Le Café Papier est un café-salon de thé, dans lequel on peut également acheter des livres et de la papeterie. Il propose aux personnes qui en ont besoin un lieu confortable où se poser, seul ou à plusieurs, pour lire, travailler, se restaurer avec des produits frais fait maison, du petit-déjeuner (7 h) au début de soirée (19 h). L’idée de ce concept est de proposer en un lieu le confort, le goût de la déco, de la gourmandise…, pour que chacun puisse prendre le temps d’y trouver ce dont il a besoin. Un lieu de rendez-vous, de travail, de loisirs, de rencontres, d’échanges. Ce lieu est celui que j’ai souvent eu envie de trouver durant mes journées de travail, une pause dans l’effervescence de Jarry pour me poser avec un thé, écrire… Cette idée est venue de l’envie de proposer cette parenthèse à tous. Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1, l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions… De gauche à droite : Fabienne Dufait-Dacalor (Yotaena), Shaïna Bihary (Au Comptoir de Grem), Catherine Linel ( responsable de la communication et du marketing chez BNP Paribas Antilles-Guyane) et Anne-Gaëlle Lubino (Le Café Papier). © Éric Corbel. Comme pour beaucoup, l’argent est une des pierres angulaires. Je n’ai pas su au départ le timing dans lequel faire les choses, car j’ignorais les délais, la méthode, etc. Je me suis d’abord adressée à Initiative Guadeloupe, structure au sein de laquelle j’ai rencontré un conseiller très consciencieux avec qui j’ai refait un important travail préparatoire, d’écriture et de projection. À cette période, j’ai également sollicité une amie, salariée chez BNP Paribas, afin qu’elle m’explique comment cela fonctionnait. Son aide a été déterminante. Déjà, parce qu’elle m’a expliqué le fonctionnement du financement d’entreprise, mais également parce qu’elle m’a présenté à l’expert chez BNP Paribas. Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1 l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions, pédagogie devant mon inexpérience et une omniprésence qui a fait que même angoissée par tout ça, je ne me suis jamais sentie seule. Elles sont même venues visiter le local ! Je suis très reconnaissante de tout cet accompagnement, qui du coup, est loin d’avoir été uniquement financier. Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir. Je ne parlerais pas encore d’équilibre à ce stade, parce qu’un lancement absorbe beaucoup de temps, d’énergie, de concentration, d’émotions…, que ma vie personnelle doit donc partager. Je fais tout de même attention à protéger des moments et des espaces personnels, mais le temps n’étant pas extensible, cela implique par exemple de me remettre à travailler plus tard, quand tout le monde est couché ou à trouver l’énergie de faire ce que l’on fait tous une fois rentré chez nous : l’intendance, la présence après des journées à courir sans parfois prendre le temps de déjeuner. Pour l’instant, ce rythme est nécessaire et je choisis de le tenir, grâce au soutien de mes proches. Tant que ça fonctionnera, je continuerai, tout en m’organisant un maximum pour ne léser aucun pan de ma vie. LIRE AUSSI | AVEC ELLES, BNP PARIBAS S'ENGAGE Mental d'entrepreneure. Selon moi, «  parce que c’est une femme  » n’a jamais été en soi un motif suffisant ni pour justifier le mépris ou l’irrespect, et pas plus pour obtenir des traitements de faveur. Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit. Or, il me semble que c’est la société, justement avec sa vision de la femme et le traitement qui en découle qui génère des réactions combatives ou de victimisation. On m’a souvent fait comprendre qu’être une femme est un handicap. Ou en tous les cas dans un certain cadre. Ce qui m’insupporte, c’est le fait que ce soit une donnée induite. Un non-dit évident. Quand on me demandait qui était le DRH alors que c’était moi. Quand on me demande ce que je fais de ma fille dans la construction de ma vie professionnelle ou que des artisans du bâtiment discutent entre eux de choix qui m’incombent et sont surpris que j’aie un avis. Ou encore quand on me demandait qui j’accompagnais dans la création du Café Papier. Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt ! Des erreurs, j’en ai fait plein ! Mais ce que l'on peut considérer comme des erreurs sont ma source principale d’apprentissage, au quotidien. Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir. J’aimerais surtout inscrire durablement le Café Papier dans la liste des établissements de qualité. Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt !

Vincent Tacita | Qualistat

Vincent Tacita | Qualistat

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure Pragmatique, minutieux, brillant… Vincent Tacita incarne une intelligence élégante, étrangement pudique, qui se traduit également par une façon d’approcher la dimension business de son secteur avec finesse. Rencontre d'un homme pressé, un sportif addict, content de lui, mais aussi fort sympathique. Sa fierté ? «  C’est de voir la boîte encore bien debout avec de réelles possibilités de développement  ». Devenir. Comment dire ? J’étais, comme je suis encore, assez rêveur, parfois la tête dans les nuages et assez curieux du monde. Je remercie tous les jours mes parents de m’avoir façonné ainsi, parfois malgré eux. Je suis le benjamin d’une famille de trois enfants. Presque tous juristes – en fait, tous, sauf ma mère. Petit, j’ai pensé à faire comme mon père, mais étant le dernier, mon frère et ma sœur avaient déjà pris ce créneau. Comme j’avais d’assez bons résultats en science, je me suis orienté vers un cursus scientifique au lycée. Manman pa té ka ri avè lékòl la menm ! Elle-même était professeur et j’avoue que ma forte propension au bavardage m’a valu quelques belles remontées de bretelles sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici. À aucun moment, je n’ai envisagé de m’implanter ailleurs : ce pays nous appartient, à nous de le faire progresser. Les valeurs, c’était : travay an lékòl a moun la é pa fè fényan . Je me rappelle que j’allais à l’école et au collège jusqu’au dernier jour. En 4e au collège du Raizet, nous étions trois en cours de récréation un beau jour du mois de juillet. Manman pa démòd ! Les vacances se passaient pour partie chez les grands-parents, à Petit-Canal et à Anse-Bertrand, et l'autre à voyager (Europe, Caraïbe, Amérique…). Des voyages qui étaient toujours assortis de pédagogie (musées, marche et découverte de botanique, de végétaux…), même s’ils étaient toujours marqués par la détente et le repos. Je voulais être médecin et plus précisément chirurgien en traumatologie. Plus jeune, j’ai passé beaucoup de temps dans des chambres d’hôpital et je voue un respect sans borne à quelqu’un que je déifie – pour le coup un véritable bâtisseur – : Hyacinthe Bastaraud. C’est grâce à lui si je marche, six longues opérations, tout de même. Et je me disais ado, que sauver des vies, et réparer des gens, c’était top ! Mais le cursus trop sélectif a eu raison de moi. Il est vrai qu’à l’époque, jeune étudiant parti à Paris (Hôpital Broussais Hôtel Dieu), je m’intéressais plus à la pratique du basketball – ma passion – qu’aux études. Conséquence inévitable : j’ai échoué lamentablement à obtenir le classement me permettant d’envisager la chirurgie. Tout ça à cause de l’épreuve de chimie où j’ai brillé avec un 4/80. C’est peu. Revanchard, je me lance à corps perdu dans des études de chimie ! Et je comprends que travailler à fond, ça paie. Je ne sors pas beaucoup – deux fois par an, pour le carnaval et le 31 décembre – et c’est tout. Je travaille H24 durant l’année universitaire, pour que les vacances soient entièrement consacrées à l’amusement : un temps pour tout. Une fois cette recette mise en place, tout roule. Après avoir terminé mon cursus purement scientifique, je me rends vite compte qu’en Guadeloupe, je ne m’épanouirais pas dans la recherche en chimie. Je repars donc préparer un 3e cycle à l’ESCP : choc de cultures garanti entre les scientifiques que nous étions, mes coreligionnaires et moi-même (en jean et pull) et les étudiants d’école de commerce, en pantalon blazer. Mais choc enrichissant ! À ce moment, les habitudes de travail étant déjà prises, tout se déroule bien. Je termine mon cursus par un stage et je rentre en Guadeloupe où le chômage m’attend, malgré une offre d’emploi en France. À aucun moment, je n’ai envisagé de m’implanter ailleurs : ce pays nous appartient, à nous de le faire progresser. Là encore, remerciements infinis à mes parents, à mon environnement, de me l’avoir enseigné. Le retour est pour moi une évidence, ce d’autant que la Guadeloupe fait progresser ses enfants, bien plus que l’on ne le croit. Le récit. Soyons honnêtes, les premiers souvenirs étaient plutôt là pour doucher nos espoirs : «  une boîte de statistiques et de marketing ? En Guadeloupe ? Mais pour quoi faire ?  » Je me rappelle avec émotion d’un conseil avisé qui m’avait été donné : « a vec votre formation scientifique, pourquoi ne pas aller travailler à Thiais : il y a là-bas une magnifique coutellerie  ». Évidemment, les clients sont très peu nombreux : je commercialise des piscines pour survivre, je fais un peu de formation, Éricka donne des cours de maths… À aucun moment, cependant, nous n’avons regretté notre retour ou pensé à repartir. Cela ne faisait même pas partie de notre équation personnelle. Éricka et moi-même sommes associés à parts égales, directeur d’études. Elle a bien plus de patience que moi et adore répondre aux appels d’offres. Elle est donc plus en relation avec les collectivités. Conséquence, je travaille un peu plus avec le secteur privé et les politiques – parce que j’aime ça. En réalité et vis-à-vis de nos clients, nous sommes vraiment interchangeables. Nous échangeons beaucoup avec d’autres dirigeants ici et ailleurs, mais les spécificités de nos marchés sont tellement saillantes que la formation acquise sur les bancs des écoles, aussi prestigieuse soit-elle, résiste rarement aux affres du quotidien. Les sacrifices ? On passe du temps, beaucoup de temps au boulot. Et comme il s’agit d’analyse de données ou de conseil, on bosse aussi à la maison. Cela peut faire des dégâts dans le couple si les conjoints ne sont pas «  on the same page  ». Avec l’expérience, on est mieux organisé, mais le métier du conseil demeure très chronophage. Il faut donc avoir une sacrée résistance au travail. Tout le monde connaît cette antienne : un consultant voit partir son collègue du bureau à 20 h et lui lance : «  tiens, tu as pris ton après-midi ?  ». Ce n’est pas loin de la vérité. À 20 ans, je ne savais pas du tout que j’allais monter une boîte. Je pense avoir un management participatif. Il est vrai que nous n’avons que des bacs +5 comme salariés et que cela facilite peut-être le mode de gestion. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il faut toujours être à l’écoute, ce d’autant que nous avons des personnalités en acier trempé chez nous. C’est passionnant pour le brainstroming, mais il y a parfois de l’électricité dans l’air. J’ai également tendance à laisser beaucoup d’autonomie, parfois trop : il faut alors faire le pompier et ça demande du temps. Éricka et moi échangeons beaucoup, tout le temps. Depuis nos débuts, nous partageons le même bureau pour conserver cette proximité et échanger sur les cas compliqués ou simples. Je nous considère un peu comme des artisans du conseil. Chaque cas est différent. Le monde est complexe, il y expose toutes les nuances de gris. Sauf que nos clients attendent souvent de nous le «  go  » ou «  no go  ». Il faut donc aller vite en prenant son temps, en imaginant le plus grand nombre de cas possible, ce qui est compliqué parce que nous essayons d’anticiper le comportement du consommateur, de l’usager, du citoyen… Avec le recul, nous sommes conscients d’être perçus comme plus grands que nous ne le sommes. Il est vrai que nous sommes demeurés indépendants et que nous sommes leaders sur notre marché, mais nous ne sommes pas encore Andersen consulting  ! Qualistat nous a vraiment permis d’embrasser nos sociétés plus que nous le faisions déjà. Cette fenêtre particulière, chiffrée, dont nous disposons nous permet de mieux comprendre certains phénomènes. Ou de les voir arriver plus vite que le citoyen lambda. Évidemment, nous avons beaucoup de déplacement : Martinique, Guyane, îles du Nord, la Réunion, Haïti… et nous essayons d’avoir à chaque fois un regard neuf. Et c’est très enrichissant. Le taux de chômage qu’il y a chez nous explique en grande partie ce foisonnement entrepreneurial. QualiStat est segmentée en deux entités : l’une qui s’occupe de l’administration des enquêtes, qui s’appelle QualiSec et l’autre de l’analyse des enquêtes (QualiStat). Depuis plus de 10 ans, nous nous occupons également d’une société spécialisée en gestion de la relation client : Omérys. Nos clients sont essentiellement des entreprises privées et nous faisons en sorte qu’ils puissent se recentrer sur le cœur de métier. Nous nous occupons du reste et notamment de leur fidélisation. Nous accompagnons aussi les petites entreprises et les libéraux puisque nous traitons leur standard, le rendez-vous. Enfin, pour des clients plus importants, nous avons une activité de hot-line technique, avec des informaticiens, de responsables administratifs. Nous nous appuyons techniquement sur un data center qui nous est propre – le seul data center indépendant en Guadeloupe – et qui peut, lui aussi proposer des services et des produits aux grandes entreprises. Pour gérer ces entreprises… ben ou paka dòmi on lo . Nous avons un responsable d’exploitation et deux superviseurs qui gèrent les hommes. Nous nous occupons de la partie commercialisation et des grands projets. Comme je l’ai dit plus tôt, la vie privée prend un coup. Soit le conjoint est chef d’entreprise et comprend le temps et l’énergie que vous y mettez, soit il ne l’est pas et la communication est essentielle. Sinon, ça fait mal aux dents. Quand on sait qu’une union sur deux débouche sur un divorce, on imagine les dégâts chez les chefs d’entreprise : le ratio est plutôt de deux échecs sur trois tentatives ! Sa vision. Le taux de chômage qu’il y a chez nous explique en grande partie ce foisonnement entrepreneurial. À 20 ans, je ne savais pas du tout que j’allais monter une boîte. C’est arrivé en Guadeloupe que je me suis dit que j’allais travailler avec ma camarade de classe, sans avoir forcément une vision d’entrepreneur classique. En gros – et beaucoup vous le diront –, je créais mon emploi. Et ce faisant, je m’amusais en faisant quelque chose de différent, de novateur sur mon marché. Je ne voyais pas cela comme un ascenseur social : il s’agissait simplement de bosser ! Je refuse de porter ce regard noir envers nous-mêmes. Il nous dessert collectivement. Et pendant ce temps, d’autres trouvent les conditions idéales pour venir s’installer et travailler en Guadeloupe. Awa ! En réalité, nous sommes les premières générations à avoir, en moyenne, des revenus inférieurs à ceux de nos parents, ou plus précisément un pouvoir d’achat inférieur à celui de nos anciens. De même, nous avons intégré que la fonction publique n’était plus la panacée. Ce d’autant qu’il n’est plus possible d’y recruter aussi facilement qu’avant. La réussite à un concours est nécessaire et la réduction de la voile publique est désormais la norme. LIRE AUSSI |ÉRICKA MÉRION –  QUALISTAT Je pense réellement qu’il est possible de travailler ensemble en Guadeloupe. Beaucoup de nos proches nous ont mis en garde : si vous êtes à parts égales et que ça coince, vous ne pourrez rien faire ! Nous avons quand même tenu à conserver ce principe de fonctionnement. Et nous discutons, nous échangeons. Quand l’un parvient à convaincre l’autre, on avance et l'on ne regarde pas en arrière. Je pense justement que cette méfiance de nous-mêmes est autoréalisatrice. Plus nous pensons que nous ne parvenons pas à travailler ensemble, moins nous le ferons. De même, je ne vois pas de fantchouisme. Je sais que ce néologisme tout Nuissierien est très en vogue, mais très peu pour moi. Les gens défendent leur « beef steak » et/ou leurs idéaux dans un petit marché. Cela fait des victimes ! Quand on nous accuse de vouloir impacter les résultats d’une élection, que voulez-vous que nous répondions à ça ? D’autant que la même chose se passe en France ! Quand la presse est plutôt macroniste est-ce que ça veut dire qu’ils sont fantchou envers Le Pen, Hamon et Mélenchon ? Non, ça veut dire qu’ils défendent les intérêts de leur poulain. Alors non, je refuse de porter ce regard noir envers nous-mêmes. Il nous dessert collectivement. Et pendant ce temps, d’autres trouvent les conditions idéales pour venir s’installer et travailler en Guadeloupe. Awa ! Nous devons nous serrer les coudes. Je trouve que les politiques de tout bord embrassent de mieux en mieux la nécessité de faire vivre l’entreprise locale. Malheureusement, la fragilité des collectivités, parfois exsangues, met en danger de mort les entreprises. Nombreux sont les entrepreneurs ayant été contraints de mettre la clé sous la porte du fait de délais de paiement trop longs de la part des collectivités locales, parfois de la part de l’État ! Mental d’entrepreneur. L’équilibre est compliqué à trouver. Je suis assez solitaire, mais j’ai en même temps une vie sociale assez riche. Milieu associatif, club service, éducation…, en fait, j’ai besoin d’activité. Mon refuge, c’est la natation. Je nage quasiment tous les jours en allant à l’îlet du Gosier. Quel que soit le temps, seul ou accompagné, parfois en faisant des sorties plus longues. Cela m’apaise, é kòm an ka najé byen. C’est important d’avoir des passions, des hobbies. Le sport (le basket-ball et la natation) en est. Il faut donc bien le faire, s’astreindre à le faire. Le travail aussi. Je pense que c’est pour cette raison que nous sommes encore aussi proactifs. J’ai donc tendance à être très exigeant envers moi et envers les gens que j’aime. Je conçois que ce soit parfois dur à vivre, mais je veux bien être le premier à faire mon autocritique et à me moquer de moi – même si je suis têtu quand j’ai une idée dans la tête. Je ne suis donc pas certain d’être un leader : je ne sais pas si ça donne envie de bosser 70 h par semaine et de se coucher à pas d’heure. Je tiens heureusement de ma famille pour cela : nous n’avons jamais beaucoup dormi. Mon grand frère a juste besoin de 4 à 5 heures, mon père aussi. Et je remercie ma maman : quand je rentrais de soirée au petit matin, quelle que soit mon heure d’arrivée 5 h ou 6 h, à 7 h, elle me réveillait en inventant une activité urgente : laver les voitures, passer la tondeuse, amener le chien chez le vétérinaire. Ça forge ! (…) une entreprise naît, grandit, vieillit et meurt. C’est un cycle normal. Il faut simplement veiller au bien-être de ses collaborateurs en cas d’arrêt impromptu. S’il y a une fierté, c’est de voir la boîte encore bien debout avec de réelles possibilités de développement. Nous sommes très pragmatiques, il ne s’agit pas de vision rêvée : peut-être justement que notre secteur d’activité nous oblige à avoir les pieds sur terre. Non, nous ne serons pas millionnaires. Mais est-ce bien là l’essentiel ? Pour ma part, l’important est d’être reconnu comme de bons – ou excellents – professionnels. Nous savons par expérience que la qualité du travail ne protège pas de l’échec. L’une de nos entreprises a dû fermer, simplement parce que son secteur d’activité, chez nous, la rendait fragile : le marché potentiel n’était que de trois à quatre clients. Nous en avions un qui a souhaité interrompre nos relations, non pour des raisons de qualité, mais pour des motifs de manque de compétitivité. Cela a été difficile, mais nous avons pu le faire sans trop de bobos, ce qui n’a pas entaché notre détermination à continuer d’entreprendre ! Aujourd’hui, l’essentiel est d’envisager toutes les possibilités : une entreprise naît, grandit, vieillit et meurt. C’est un cycle normal. Il faut simplement veiller au bien-être de ses collaborateurs en cas d’arrêt impromptu. Le génie guadeloupéen. Je vous en ai mentionné un, Hyacinthe Bastaraud. Boug la sòti Marigalant é fin pwofésè. Émérite ! Je me prosterne à jamais. Sauver des vies ? Au-dessus, c’est le soleil. J’admire aussi les gens qui inventent. En culture, par exemple. Les plus jeunes ne se rendent pas compte que nous avons deux Guadeloupéens, Pierre-Edouard Décimus et Jacob Desvarieux qui ont littéralement inventé un style musical. Oui, là il s’agit d’inventeur, comme de Vinci, Nemours Jean-Baptiste – et son konpa direk orijinal. Non seulement ils ont inventé un style qui perdure, mais qui a fait des petits de par le monde (la Kizomba en Angola). Éricka et moi partageons cette passion pour Kassav. En concours de chant, difficile de nous mettre à défaut. Une pensée émue à un petit bout de femme, qui crée, elle aussi, dans le domaine de l’art. Anais Verspan a vraiment un talent particulier, qu’elle a longtemps conservé à l’abri des regards. Elle explose maintenant au visage du plus grand nombre, pour le bonheur de beaucoup. Plus près de nous, il y a des créateurs qui ont en commun avec nous une idée toute particulière du pays : Henry Joseph et ses laboratoires Phytobòkaz doivent être considérés, selon moi, comme un phare. Ce d’autant qu’il évolue dans un secteur d’activité liée à la santé, à la sauvegarde de ce que nous sommes. Et qu’il prône l’excellence de ce que nous sommes, de ce que nous avons. Nous sommes bien loin du « fantchou » ! Conquérir. Nous souhaitons être plus dynamiques sur nos marchés « non natifs » : la Martinique, la Guyane, la Réunion, Mayotte. Cela demande de l’énergie, des moyens financiers – la notoriété de l’entreprise nous précède et un jeune diplômé aujourd’hui n’est pas nécessairement prêt à faire les sacrifices que nous avons faits. Il y a encore de grandes possibilités de développement, mais la compétition y est rude : nous le savons puisque nous y sommes déjà. Omérys va chercher à élargir son portefeuille de clients : davantage de « petits comptes » et de professions libérales, quelques gros poissons (compagnies aériennes, secteur bancassurance). L’automatisation des process est inévitable. Malheureusement, ce faisant, les possibilités d’embauches sont réelles, mais les profils recherchés sont plus spécialisés : les places sont donc chères ! Éricka et moi partageons ensemble toute idée d’entreprise que nous avons. Et nous nous associons systématiquement à parts égales. Preuve que nous sommes des conservateurs : nous reproduisons le même schéma, en améliorant les process tout simplement. Entreprendre pour moi c’est se faire confiance donc faire confiance à d’autres. Sinon, cela ne peut pas marcher ! «  Seul, on va plus vite, à deux ou trois on va plus loin  ».

Éricka Mérion | Qualistat

Éricka Mérion | Qualistat

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Singulière, dans une sincérité peu courante, libre dans sa façon d’habiter le monde, Ericka Mérion ne peut concevoir la vie autrement que par l’action. Sa force ? Une maîtrise quasi parfaite de sujets tant économico-politique ou encore sportif. Mais surtout une réelle lucidité du monde qui l’entoure. Portrait d’une entrepreneure aux multiples facettes, inspirante et qui surprend par sa tranquille aptitude à être avant tout elle-même. Une passion particulière. Enfant, je me rêvais championne de judo puis travaillant dans le domaine du sport, ou avec des sportifs. J’ai toujours été une passionnée de sport et je le suis encore. J’avais ce besoin perpétuel de me dépenser. Alors, j’ai touché à tous les sports : handball, tennis, judo, basket-ball, football, natation, tennis de table, course à pied… Je me suis même essayé à la planche à voile. Lorsque nous étions au collège, mon cousin et moi, nous étions capables de nous lever à 4 h du matin, pour quitter Pointe-à-Pitre en footing, avec une raquette à la main, de courir jusqu’à Bas-du-Fort pour profiter des courts de tennis et de revenir en auto-stop pour être au collège à 8 h 00. Nous nous lancions chaque fois que nous le pouvions de nouveaux défis sportifs. Notre imagination était en permanence mobilisée par la création de nouveaux challenges. Je crois que j’ai toujours aimé ce dépassement de soi et le bien-être que procure le sport. On finit par s’habituer aux endorphines, à l’adrénaline. Mais le judo a toujours été mon sport de prédilection, une passion particulière. J’ai voulu redonner au judo ce qu’il m’avait apporté. Du coup, je me suis investie à la ligue de judo de Guadeloupe. J’y suis restée dix ans à m’occuper spécifiquement de la communication et des relations avec la presse. J’étais arbitre. Dans l’absolu, je le suis toujours, mais je pense qu’une petite session de mise à jour par rapport aux nouvelles règles serait nécessaire si je devais arbitrer de nouveau, ce qui d’ailleurs n’est pas exclu. Il y a quelques années avec deux copains judokas de mon club, nous avons monté un groupe d’entraînement pour adultes débutants. En fait, quand on y réfléchit bien, on se rend compte que c’était un projet un peu égoïste, puisque nous nous faisions plaisir en permettant à des personnes qui n’avaient que peu fait de sport auparavant et surtout pas de judo de découvrir notre discipline et de partager notre passion. Malgré toutes ces activités dans le judo, je ne suis pas sûre d’avoir déjà soldé le compte, tant ce sport m’a apporté et a façonné la personne que je suis aujourd’hui. Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question « qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça ». Je dois avouer que ma passion pour le sport ne se limite pas à la pratique. Il y a des sports qui me procurent un plaisir fou tout en étant spectatrice, et même téléspectatrice. Je peux passer des heures entières à regarder des matchs de tennis, de handball ou de football, des compétitions d’athlétisme et bien sûr de judo. Dès lors qu’il y a des événements de haut niveau en Guadeloupe sur ces disciplines, vous pouvez être certains que je serai au stade. Et lorsque cela s'avère possible, je voyage pour assister aux grandes compétitions (championnat du monde d’athlétisme, championnat du monde ou d’Europe de judo, Jeux olympiques, Roland-Garros…). Vivre le sport en live est incomparable. L’émotion du sport est très particulière parce qu’elle est vraie. Les meilleurs acteurs au monde ne pourront jamais jouer une scène de joie ou de liesse comme le vit un sportif au moment de la victoire. À l’inverse, la détresse de la défaite plonge le perdant dans des abysses dont seuls les sportifs connaissent la profondeur. Pour ma part, je suis hyper sensible à ces extrêmes émotionnels, qui me touchent au plus haut point. J’ai une véritable addiction à la pratique sportive et au spectacle du sport de haut niveau. Se réaliser. J’ai reçu une éducation classique, basée sur la responsabilisation. Cela m’a permis d’être très tôt assez autonome. Dire que je me sentais différente à l’époque ? Non, pas vraiment. Mais c’est bien après que je me suis rendu compte des différences par rapport à d’autres que je côtoyais au quotidien, au sport par exemple. Des différences au point de vue scolaire, des différences par rapport à un éveil, une conscience, une sensibilité politique. Ma vision de la femme, plus jeune et aujourd’hui… Je dois dire que c’est une question que je ne me suis jamais posée et que je ne me pose toujours pas. En revanche, je peux affirmer qu’il y aura toujours des combats à mener pour que la femme trouve sa juste place dans la société. Mais ce n’est pas avec ce genre de questions que les choses vont avancer. Est-ce que vous demandez à un homme à quel moment, il s’est senti le plus homme dans sa vie ? Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité. Le choix de mon parcours a toujours été guidé par ma détermination à revenir travailler en Guadeloupe. Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question «  qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça  ». En fait, l’idée de QualiStat a germé dans ma tête à la suite de mon stage chez L’Oréal. Je travaillais au service marketing où je faisais les analyses statistiques sur les tests réalisés sur des échantillons de testeur. Mon stage a été prolongé par un CDD et je me suis rendu compte que ce travail, qui consistait à donner du sens aux chiffres, me plaisait. J’avais envie de travailler dans ce domaine et j’étais déterminée à travailler dans mon pays. Comme il n’y avait pas de structure privée œuvrant dans ce domaine, je me suis dit qu’il fallait en créer une. Avec QualiStat, nous avons répondu à un besoin qui ne s’exprimait pas clairement. Nous avons commencé en développant le pôle socioéconomie. Nous proposions des diagnostics sociaux dans des quartiers cibles d’opérations de rénovation. À l’époque, il y avait de nombreuses opérations de résorption de l’habitat insalubre pilotées par les sociétés d'économie mixte et nous avions réussi à nous positionner sur ce secteur, bien qu’il y avait déjà des acteurs locaux sur ce créneau. Par la suite, nous avons développé l’axe marketing/opinion et monté notre centre d’appels ce qui nous a permis de répondre à d’autres demandes et de lancer les premiers sondages d’opinion. Notre secteur d’activité a beaucoup évolué depuis la création de QualiStat. L’intensité de la demande est beaucoup plus forte qu’il y a 20 ans. Alors qu’au début, certains décideurs locaux nous voyaient comme de doux rêveurs qui ambitionnaient d’imposer une activité dont la Guadeloupe n’avait pas besoin, aujourd’hui, on voit bien que le curseur a bien bougé et que l’intégration d’une étude préalable ou d’une mission d’évaluation ex post deviennent presque systématique pour des projets d’envergure ou pour certaines politiques publiques. Par ailleurs, la nature des demandes évolue également. Aujourd’hui, les clients, quels qu’ils soient, veulent plus d’expertise, plus de pragmatisme. Les préconisations se doivent d’être concrètes et la mise en œuvre ne doit pas nécessiter la création d’une usine à gaz. (…) pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé. Enfin, l’avènement du numérique a fortement fait évoluer les techniques de recueil des données. À QualiStat, nous avons quasiment banni les enquêtes en face à face sur papier, pour laisser la place au recueil sur tablettes tactiles. Nous intégrons également les enquêtes web, même si la couverture Internet est chez nous un frein au développement de cette méthode. En effet, la question de la représentativité géographique de la cible ne peut pas toujours être garantie et les usages numériques des seniors sont très inégaux. Les réseaux sociaux ont fait apparaître la notion d’opinion spontanée, qui s’oppose à l’opinion induite (observée par le biais des sondages). Désormais, les instituts sont obligés d’intégrer à la fois l’opinion spontanée et l’opinion induite, au risque de passer à côté de signaux faibles, émergents, voire parfois de tendances plus lourdes. L’entrepreneuriat en Guadeloupe. Nous sommes dans un pays où il y a du travail, mais peu d’emplois. Les entreprises n’ont pas beaucoup de visibilité sur leur avenir, le marché est étroit, donc elles réfléchissent à deux fois avant d’embaucher. Pour autant, elles ont besoin d’accéder à certains services pour se structurer et se développer. Au lieu de les avoir en interne, elles préfèrent acheter des prestations. Créer son emploi en entreprenant devient alors la solution pour échapper au chômage. Après la départementalisation, il fallait structurer le service public. Ce secteur offrait de nombreux emplois et pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé. Le secteur public continue d’attirer une frange de jeunes actifs, ou de parents de jeunes actifs qui poussent leurs enfants vers la sécurité de l’emploi. Mais cette tendance diminue et l’avènement de nouveaux métiers, de nouveaux besoins créent des opportunités pour les jeunes diplômés qui n’hésitent plus à créer leur entreprise. Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge. Le rôle des politiques n’est pas d’avoir un engagement entrepreneurial, mais bien de créer les conditions favorables au développement de l’esprit d’entreprendre d’une part et des entreprises d’autre part. Il s’agit donc de favoriser l’émergence de structures d’hébergement et d’accompagnement des entreprises, quel que soit leur niveau de maturité, afin de réduire la mortalité des entreprises locales. L’accompagnement doit apporter une meilleure maîtrise de l’environnement économique et des obligations du chef d’entreprise qui sont de vrais facteurs clés de succès. De plus, dès lors que c’est possible, les collectivités locales doivent privilégier les entreprises de leur territoire. Toutefois, les faire travailler, c’est bien. Mais les payer dans des délais raisonnables, c’est mieux. Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge. Le génie guadeloupéen. Le génie est quelqu’un qui se démarque par un talent particulier. Notre contexte économique est si spécifique en raison de l’étroitesse du marché, de la double insularité, de notre positionnement géographique au cœur de la caraïbe – qui s’oppose à notre appartenance au marché européen –, du niveau de dépendance par rapport aux importations, qu’entreprendre en Guadeloupe peut nécessiter des talents inimaginables. De plus, la petite taille de nos entreprises contraint le chef d’entreprise local à multiplier les casquettes. D’aucuns affirment que lorsque l’on entreprend en Guadeloupe et que l’on parvient à faire prospérer son entreprise, on peut le faire partout dans le monde. Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité. LIRE AUSSI | VINCENT TACITA – QUALISTAT Enfin. Aujourd’hui, nous commençons à pénétrer le marché de la Réunion, sur le même modèle qui nous a permis d’entrer en Martinique, puis en Guyane. Parvenir à s’imposer à la Réunion et à y gagner des parts de marché durablement serait un complément à la réussite caribéenne de QualiStat. Et si c’était à refaire, je referais tout à l’identique, parce que l’entrepreneuriat est une aventure ; une aventure managériale, humaine et économique. Jusqu’ici, l’aventure est belle et enrichissante. Nous avons peut-être fait quelques erreurs, mais celles-ci nous ont toutes fait grandir. Nous aurions peut-être pu développer l’entreprise plus vite et investir les territoires voisins plus tôt, mais je crois que nous avons toujours avancé à notre rythme et jusqu’ici l’aventure est enrichissante. L’aventure est belle. Un conseil ? Il faut croire en son projet. Toutefois, cela ne suffit pas, il est indispensable de se poser les bonnes questions et de bien comprendre que ce qui marche ailleurs n’est pas forcément transposable sur notre marché, dans notre économie insulaire.

Quand les consommateurs prennent le pouvoir

Quand les consommateurs prennent le pouvoir

Par Maryse Doré Photo : Olena Sergienko Il fut un temps où les équipes marketing décidaient tranquillement, sans qu’on les dérange, de la couleur d’un produit ou d’un message publicitaire. Aujourd’hui, ces équipes doivent apprendre à composer avec un nouveau pouvoir de décision : celui du consommateur. Car à l’ère d’Internet, du 2.0, ce dernier a décidé de prendre la parole, et il n’est pas prêt à se taire… Le retour à une prise de parole légitime. L’intervention du consommateur dans la politique produit ou la communication d’une marque est le principe fondateur du marketing participatif. Les illustrations sont aujourd’hui légion : de M&M’s à Renault, en passant par Sony, Mastercard ou L’Oréal, toutes les marques s’y mettent. Liebig commercialise ainsi une soupe à partir de la recette d’une de ses clientes, Doritos diffuse un spot publicitaire réalisé par un amateur, tandis que le Groupe Danone laisse le choix de la saveur de la prochaine Danette à ses fans. Mais pourquoi ce soudain interventionnisme du consommateur dans les décisions des marques ? Pour François Laurent, auteur de Marketing 2.0 : l’intelligence collective et coprésident de l’Adetem (Association nationale du marketing), ce n’est qu’un juste retour à la normalité. Jusqu’au début du 19e siècle en effet, nul besoin de marketing, puisque les artisans sont en relation directe avec leur clientèle. « le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec ». C’est l’avènement de l’industrialisation et de la mondialisation qui a créé cette nouvelle discipline, pour pallier l’éloignement entre fabricants et clients. Ainsi, le consommateur, quand il voulait réagir, ne trouvait alors personne à qui parler. Le Web 2.0 lui a donné les moyens d’interagir pour se défendre et donner son avis. Certes, certaines marques lui donnaient déjà la parole par quelques réunions de consommateurs ou enquêtes de satisfaction, mais Internet a permis de multiplier les possibilités de dialogue, tandis que les outils du Web 2.0 ont incroyablement simplifié leur mise en place. © Danone France Une tendance de fond. C’est parce qu’Internet a permis de revenir à une relation plus naturelle que François Laurent est persuadé que le marketing participatif n’est pas une simple mode. Selon lui, «  le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec  ». Au lieu de devenir victime de clients incompris, les marques ont tout intérêt à permettre à leur communauté de s’organiser et de s’exprimer sur le terrain. Le fabricant Dell a ainsi créé IdeaStorm, une plateforme d’échange, sorte de boîte à idées où sont également accueillies les critiques, mêmes mauvaises. Être attentif à ses clients permet de mieux réagir à de telles situations, mais aussi de ne pas se priver de leur créativité, parfois débordante. C’est l’exemple d’Haribo qui a fêté les 40 ans de la Fraise Tagada en misant sur des opérations d’envergure auprès des journalistes, alors qu’elle aurait mieux fait, de mettre à l’honneur la multitude de fans qui rivalise d’originalité pour créer des recettes à base de fraise Tagada. De multiples bénéfices. Au-delà de la créativité de ses clients, une marque peut tirer de multiples bénéfices à les associer au processus de communication. Tout d’abord parce que les messages de ces derniers sont souvent mieux perçus que ceux de la marque elle-même. Les gens croient de moins en moins aux discours publicitaires, et de plus en plus aux avis de leurs pairs. Les commentaires de clients sur Amazon ou TripAvisor valent donc plus que toutes les communications officielles. Aujourd’hui, une marque se définit par les premiers résultats qu’elle génère sur Google, parmi lesquels 50 % sont des avis de consommateurs. Écouter ce que ces derniers ont à dire permet donc de mieux comprendre leurs attentes et la façon dont il faut s’adresser à eux. Mieux analyser sa cible, comprendre la perception de sa marque, prendre du recul par rapport à son produit, gagner en spontanéité et en authenticité dans sa communication pour en fin de compte faire de ses consommateurs des ambassadeurs ; tels sont les multiples gains du marketing participatif. © Jonathan Kemper Encadrer pour éviter les dérapages. Le marketing participatif n’est pas pour autant sans embûches. Au premier rang des risques : celui que l’opération tourne court, faute de participation. Un concours visant à créer la prochaine affiche publicitaire d’un produit qui ne recueillerait qu’une demi-douzaine de créations renverrait une image peu flatteuse. Pire, que les affiches créées aillent à l’encontre de la marque, comme Chevrolet en a déjà fait la dure expérience. Après un appel à la création, le constructeur automobile s’est retrouvé avec des dizaines de vidéos militant contre la pollution de ses véhicules sur son propre site. Pour éviter de tels écueils, plusieurs précautions sont à prendre. Tout d’abord, si un client n’est pas content, c’est souvent parce qu’il n’a pas été écouté. Donner la parole est une chose, encore faut-il être attentif à ce qui se dit. Anticiper les possibles abus suffit par ailleurs souvent à les éviter. Un simple filtre de mots évite par exemple toute injure sur un concours d’affiches. En complément, il est indispensable d’opérer une modération des contenus créés, avant toute mise en ligne. L’idée n’est pas de censurer, mais d’éviter tout dérapage hors de propos. Pour le reste, l’époque où les marques contrôlaient tout est révolue. Elles doivent donc apprendre à jouer le jeu et accepter la dimension citoyenne de leurs consommateurs et de leurs salariés. Car les salariés aussi peuvent être à l’origine d’initiatives, à l’image d’Yves Rocher qui a ouvert en 2007 le site communautaire « Les végétaliseurs », sous l’impulsion de trois de ses employées. Le site compte plus de 40 000 membres qui militent pour un monde plus vert. Il n’y a pas de recette miracle au marketing participatif, il faut tenter des choses et accepter de prendre des claques. L’Oréal a essuyé en 2005 un échec avec le lancement d’un faux blog pour sa marque Vichy. « Le journal de ma peau » animé par un personnage fictif avait soulevé l’ire de la blogosphère. Le nerf de la guerre est donc la gestion et l’animation de sa communauté. Pour emporter son adhésion et la motiver à co-créer, il faut veiller à offrir de la valeur ajoutée aussi bien pour la marque que pour les clients contributeurs. Le marketing participatif, c’est le marketing humain. À LIRE AUSSI | LA GUERRE DES PUBS Tous les secteurs peuvent s’y essayer. Si une majorité s’accorde à reconnaître l’intérêt du marketing participatif, s’adapte-t-il pour autant à tous les secteurs et tous les produits ? La réponse est succincte : oui. Tout juste doit-il être bien encadré pour certains secteurs, comme le luxe, où l’ADN de la marque repose sur son identité. Cette précaution n’a pas empêché Louis Vuitton et Armani de faire leurs premiers pas dans le domaine. Armani a organisé une compétition pour réaliser sa campagne publicitaire Emporio Armani Parfums, tandis que Louis Vuitton a proposé un « live » de son dernier défilé, à qui s’inscrivait sur sa page Facebook. Résultat : 80 000 fans en quelques jours et une nouvelle communauté sur qui s’appuyer. En effet, plus la marque fait rêver, plus la tâche est facile, mais ce n’est pas parce qu’on ne s’appelle pas Nike que le marketing participatif est inenvisageable. La solution est d’imaginer ce qui donnera envie d’adhérer, plutôt que de chercher à marketer sur son produit. © Allef Vincius Des retombées difficilement mesurables. Si le marketing participatif s’adresse au plus grand nombre, ne risque-t-on pas l’essoufflement du marché et la banalisation de l’acte ? Les consommateurs ne vont-ils pas se lasser d’être tant sollicités ? Pour les spécialistes, la réponse est unanime : plus les marques posent des questions, plus les consommateurs apprécient la démarche et se prennent au jeu. Ils vont néanmoins devenir plus exigeants, et choisir celles à qui dédier leur temps, mais tant que les marques proposeront de bons deals, le marketing participatif fonctionnera. Un bémol pourrait toutefois entraver l’ascension de la discipline : c’est la difficulté pour les marques d’en mesurer les retombées économiques. En effet, pour certains, les retombées peuvent se matérialiser sous la forme financière, numéro 1 des ventes. Mais pour d’autres, les retombées ne sont palpables qu’en termes de notoriété ou de taux de sympathie. Pourtant, selon une étude de l’université de Harvard, il est démontré que la croissance d’une marque est directement corrélée à son taux de reconnaissance. Une étude qui prouve ainsi que les résultats, en termes de chiffre d’affaires, se récoltent bel et bien, mais à plus long terme. Tout vient à point qui sait attendre.

Roméo Mbouti | Éram

Roméo Mbouti | Éram

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Il arrive comme on l’avait imaginé… d’un regard vif, un style décontracté, casual et sa conception pragmatique de l’entrepreneuriat. Rencontre d’un entrepreneur ambitieux, volontaire, engagé, d’un leadership affirmé qui a fait le choix de quitter l’Afrique, son Congo, afin de se lancer. Retour sur les ressorts d’un pari réussi. En toute franchise ! Se construire, du Congo à la France. À la maison, l’éducation était matrifocale et variait entre tradition et modernité. Septième d'une fratrie de huit, je peux dire que j’ai bénéficié de la bienveillance de mes aînés et garde de bons souvenirs imprégnés entre autres de la chaleur douce des soirs autour du feu lorsqu’on nous contait des histoires. Enfant, j’étais calme et dévoué, un garçon plutôt facile à vivre avec une petite pointe de rébellion lorsque la justice pour un frère, une sœur ou un camarade était en jeu. À l’école, c’était plutôt strict. C’est l’époque des châtiments corporels et de l’instruction civique dogmatique puisque mon pays natal le Congo, ancienne colonie française avec Brazzaville comme capitale de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale, avait opté pour la doctrine marxiste-léniniste après sa révolution. On avait le cap à l’Est et le modèle éducatif était réglé sur la Chine, Cuba, l’URSS… À 18 ans, la suite de mon cursus scolaire a lieu en France. D’abord, le baccalauréat de comptabilité, comme mes aînés, puis un BTS en gestion, conclut par deux années d’études supérieures en comptabilité-gestion et finance. Viendra ensuite le service militaire obligatoire, je fais partie des derniers appelés, un véritable moment d’intégration pour moi. L’idée de l’entrepreneuriat m’a toujours habité. Parfois, j’ai l’impression que c’est dans l’ADN de la famille. En fait, je réalise que je suis multiple et me suis construit autour de valeurs différentes qui m’ont plus apporté que tourmenté. Par la tradition familiale, j’ai appris l’affirmation de soi, la solidarité et l’entre-aide – il faut donner pour recevoir. De l’éducation scolaire inspirée du communisme, j’ai intégré la notion d’engagement, d’ordre et de discipline. De la culture libérale à l’Européenne, j’ai découvert l’étendue du champ des possibles. Après le service militaire, le saut dans la vie professionnelle s’est imposé, mais le désir du retour au pays natal encore plus. C’est ainsi que j’ai intégré en tant que contrôleur de gestion le groupe de boulangerie créé par mon frère aîné. Plus qu’un tremplin, cette expérience très formatrice, m’a marqué personnellement et forgé mon caractère professionnel puisqu’elle s’est déroulée dans le contexte de post-guerre civile qu’a connu le Congo en 1997. Mes armes affûtées, dès mon retour en France, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le monde de la chaussure, d’abord en tant que gestionnaire de stock. Mais ma passion pour cet univers s’est révélée lors de ma seconde expérience dans ce secteur. J’avais été engagé en tant qu’assistant de direction commerciale, j’ai évolué comme contrôleur de gestion et fini bras droit du dirigeant d’une entreprise familiale spécialisée dans les chaussures multimarques de luxe sur l’avenue des Champs-Élysées. Voilà, vingt ans que je suis dans les boîtes de chaussures. Le choix de la franchise. L’idée de l’entrepreneuriat m’a toujours habité. Parfois, j’ai l’impression que c’est dans l’ADN de la famille. Plus proche de moi, l’inspiration est venue de mon père, un véritable self-made-man qui a su se forger une réputation d’entrepreneur et de mes frères, qui à tour de rôle, ont expérimenté la création d’entreprise. En les observant tous, avec admiration, j’ai également intégré la notion de risque. Plus loin, je pense que les légendes autour du feu, sur le passé commerçant de nos ancêtres ont nourri mon imagination. Le déclic est arrivé quand j’ai réalisé que j’étais arrivé au bout de ma mission auprès de mon dernier employeur et qu’avec l’expérience acquise, il était temps de passer à une nouvelle étape, dans ma vie. Dans les difficultés à affronter, celle qui n’est pas à négliger est celle de la relation bancaire qu’il a fallu construire avec beaucoup d’effort. C'était en 2009 et en dépit du contexte social, des réticences légitimes de la famille, l’appel du destin était trop fort et j’ai maintenu mon cap sur la Guadeloupe qui avait déjà volé mon cœur depuis 2004. J’ai donc pris deux ans pour observer le département, son environnement économique ; et en 2011 j’ai décidé de concrétiser mon projet de création. À la base, c’est une nouvelle enseigne que je souhaitais créer, mais dans mes démarches, les échanges avec mes proches et par mes contacts, l’idée de la franchise s’est avérée. C’est un contrat qui peut paraître contraignant parce que l’on dépend d’une marque, qu’on ne possède pas et qu’il faut souvent mobiliser des garanties et respecter une charte, mais dans le contexte de l’époque, cette option était la plus réaliste et le parcours plus sécurisant. Le deal est simple : contre rémunération financière, vous utilisez une marque et bénéficiez de son expertise, sa notoriété, d'un soutien logistique et technique et même juridique dans certains cas. En tant que contrat commercial, la franchise découle naturellement de la négociation. Chacun doit y trouver son compte. Les démarches créant les opportunités, j’en ai saisi une. Plutôt que de me rendre au salon de la franchise qui a lieu tous les ans à Paris, j’ai croisé ici en Guadeloupe le business angels utile lorsque l'on est jeune et qu’on veut se réaliser sur un terrain nouveau. Un bon leader doit d’abord avoir un cap et un discours clairs. Il n’est pas obligatoirement omniscient ou omnipotent, mais il doit surtout savoir s’entourer et déléguer. Convaincu par mes arguments et surtout mon engagement, il m’a soufflé le nom d’ÉRAM et m’y a introduit pour conclure un contrat de franchise classique, avec une exclusivité sur la Guadeloupe. Et voilà ! Assez rapidement avec un financement personnel et un emprunt bancaire la nouvelle aventure était lancée et cela dure depuis 8 ans. Aujourd’hui, je peux dire que le choix de la marque ÉRAM était pertinent. C’est une véritable maison qui cultive l’esprit de famille, sa cible de toujours, avec des valeurs et un savoir-faire authentique. Nous partions donc avec un partenaire emblématique, fort de 90 ans d’expérience et un enjeu : nous adapter au marché, aux réalités locales, et faire avec les contraintes liées à l’insularité. Je crois que nous y sommes parvenus, car la marque est bien positionnée et sa présence justifiée. Profil d’entrepreneur. Dans les difficultés à affronter, celle qui n’est pas à négliger est celle de la relation bancaire qu’il a fallu construire avec beaucoup d’effort. Le métier du commerce est très prenant par définition et lorsque la passion s’y mêle cela prend une place entière dans notre vie. C’est comme une personne dont on s’occupe, comme un bébé. Ne pas compter ses heures, ne pas trop penser aux prochaines vacances et ne pas hésiter à vider ses bas de laine en cas d’urgence fait partie des sacrifices. Dans le domaine du travail, je suis très observateur, rigoureux et fonctionne en équipe de façon horizontale, car je suis un adepte du management participatif. Je suis un entrepreneur qui a besoin d’allier les chiffres à mon intuition donc souvent sur le terrain. Le leader c’est le pilote d’un projet. Un bon leader doit d’abord avoir un cap et un discours clairs. Il n’est pas obligatoirement omniscient ou omnipotent, mais il doit surtout savoir s’entourer et déléguer. Il doit faire confiance et pouvoir contrôler. C’est celui qui apparaît incontestablement comme un guide aux yeux de son équipe. Ma force et mon courage… si j’en ai, me viennent de mes proches. Leur soutien est jusqu’ici sans faille. J’aime les choses simples, en ce moment c’est le jardinage qui m’apaise. L’échec c’est le revers de l’action, il faut agir en dépit de cette menace pour avancer. Il existe une belle citation de Nelson Mandela à ce sujet. Le reste n’est que retournement de situations ou des erreurs, car tous ceux qui font savent qu’elles existent. Pour moi, l’entrepreneuriat c’est avant tout une initiative de création, qui nous implique et nous reflète personnellement. On y met de soi, on donne corps à ses rêves. Je ne pense pas que ce soit l’unique ascenseur social au détriment du rêve de la fonction publique, c’est juste une option parmi d’autres, mais au moment où la fonction publique dans tous ses versants connaît de profondes mutations dans un contexte global de réduction des moyens, toutes les initiatives doivent être encouragées pour le développement de la Guadeloupe, forte de ses richesses naturelles et culturelles. C’est pour cela que je rends hommage à tous ceux qui se sont lancés. Avec plus ou moins de succès, ils ont essayé pour certains et font face aux difficultés avec dignité pour d’autres. Ce sont des hommes et des femmes, souvent dans l’ombre, qui contribuent au rayonnement de la Guadeloupe. Je les respecte. Y arriver... C’est difficile de définir la réussite, car la vie est pleine de rebondissements. Si on la considère comme la réalisation d’une ambition, d’un désir ou le sentiment d’avoir trouvé sa place dans la société, il faut ensuite pouvoir la mesurer. Comment ? Par un grand sentiment de plénitude peut-être. Du coup ! Je réalise que j’ai encore du chemin à parcourir pour y arriver !!!! L’échec c’est le revers de l’action, il faut agir en dépit de cette menace pour avancer. Il existe une belle citation de Nelson Mandela à ce sujet. Le reste n’est que retournement de situations ou des erreurs, car tous ceux qui font savent qu’elles existent. J’en ai fait et j’en ferai peut-être encore. Le développement de la marque ÉRAM en Guadeloupe se fera par l’ouverture d’autres points de vente avec des évolutions dans l’offre. C’est à l’étude. Si c’était à refaire, je le referais. Un conseil ! Rester persévérant, confiant et rigoureux dans sa gestion.

Les managers de l'industrie 4.O

Les managers de l'industrie 4.O

Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Alex Avalas Avez-vous déjà entendu parler de l’industrie 4.0 ? L’appellation industrie 4.0 ou industrie du futur concerne principalement les business qui intègrent l’intelligence artificielle, l’automatisation et la robotique dans leur nouvelle façon de travailler et dans leurs interactions avec leurs consommateurs. Cette révolution industrielle 4.0 concerne finalement tous les acteurs business qui utilisent des systèmes intelligents au quotidien. Toutefois, au-delà des innovations et technologies qui soutiennent les activités des équipes, le succès de chaque projet dépend en partie de la capacité du manager à conduire agilement son équipe. Quel type de management convient alors dans une société en complète transformation tant au niveau culturel que technologique ? Si les anciens modes de management cohabitent encore, il est nécessaire maintenant de les adapter et de privilégier un management sur mesure qui mettra non plus l’innovation, mais l’individu au cœur du projet. La stratégie organisationnelle de l’entreprise et du manager sera alors d’accorder à chaque membre de son équipe projet une plus grande autonomie tant sur ses tâches que dans les prises de décisions. Au cours du projet, l’équipe devra rapidement s’adapter et réinventer régulièrement ses processus communs sous la direction du manager ou du chef de projet. Vous remarquerez aussi que de nouveaux rôles aux compétences croisées apparaîtront régulièrement. Voilà trois grands principes pour manager avec succès votre équipe projet dans une industrie 4.0… © Cerquiera Embrassez pleinement la stratégie de l’entreprise. Empreignez-vous des objectifs à moyen terme de l’entreprise que vous servez. Clarifiez le périmètre de votre réelle « mission » compte tenu de vos objectifs professionnels et personnels. Si cette mission vous convient vraiment, engagez-vous à avancer dans l’excellence et 24/7 ! En tant que manager, avant de vous attaquer au management de votre équipe projet, vous devez premièrement vous intéresser à la stratégie globale à moyen terme de l’entreprise que vous servez. Quels seront les grands changements au sein de l’entreprise ? À propos des gammes de produits ? Du point de vue des services envisagés ? Pour quelle période ? Quel niveau de priorité l’entreprise envisage-t-elle sur ces grands changements ? Comment ces changements influenceront-ils vos équipes et projets en cours ou planifiés ? Le mode industrie 4.0 est disruptif à tous niveaux, tant par les technologies qu’il porte que par l’organisation «  rapide » au niveau des équipes qu’il induit. Le fait de comprendre la stratégie et la roadmap des projets au sein de votre entreprise vous permettra aussi de définir le niveau d’énergie que vous et vos équipes devrez mettre dans les projets à mener. Une vision plus large vous permettra d’être réactif face aux challenges et de définir le juste effort que vos équipes devront fournir. Prenons un exemple simple : si vous devez voyager dans un autre pays pour y retrouver des amis, le fait de savoir le jour et l’heure de la rencontre vous permettront de choisir selon votre budget et votre capacité physique le moyen de déplacement le plus adapté pour arriver au lieu de rendez-vous à temps donc ni trop tôt ni trop tard et dans les meilleures conditions. © Alex Avalas Sortez du cadre. Analysez votre climat environnemental. Clarifiez votre méthode de management temps. Soyez impertinent. Le mode industrie 4.0 est disruptif à tous niveaux, tant par les technologies qu’il porte que par l’organisation « rapide » au niveau des équipes qu’il induit. N’hésitez pas à vous éloigner des approches classiques pour en expérimenter de nouvelles. Saisissez le climat environnemental interne et externe pour suggérer les changements audacieux nécessaires au succès du projet. Le leadership et le lifestyle du manager, que vous l’acceptiez ou non, influencent l’engagement des membres de votre projet. Managez avec authenticité. Restez transparent coûte que coûte. Pratiquez le feed-back constructif. Soyez reconnaissants. Manifestez votre lifestyle et soignez votre apparence. Votre personnalité impacte le succès de votre projet. Dans un premier temps, identifiez et assumez honnêtement votre personnalité, points forts et points faibles. Rapprochez-vous au besoin d’un coach et/ou d’un mentor. Dans un deuxième temps, partagez-les avec les principaux membres de votre équipe et apprenez aussi à les connaître. Cela peut se faire idéalement durant des temps hors projet, à l’extérieur du cadre de l’entreprise, à l’occasion d’afterwork ou de team building. Le leadership et le lifestyle du manager, que vous l’acceptiez ou non, influencent l’engagement des membres de votre projet. Comprenez que les membres de votre projet s’intéressent tout autant si ce n’est plus, à la personne que vous êtes plus qu’aux savoir-faire que vous révélerez au cours du projet. Plus vous serez simple, authentique et inspirant, plus vos interventions seront efficaces auprès de votre équipe. Enfin, quels que soient les changements organisationnels et technologiques que vous connaîtrez, pour manager avec efficacité vos équipes et projets dans cette industrie du futur, assurez-vous simplement d’avoir un haut niveau d’engagement et de garder du plaisir à travers les projets et équipes que vous gérerez.

Avec Elles, BNP Paribas s'engage.

Avec Elles, BNP Paribas s'engage.

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel « Chez BNP Paribas, nous sommes convaincus que la montée en puissance des femmes entrepreneures constitue, au même titre que l’innovation et l’internationalisation, un levier fort d’accélérateur de croissance de l’économie française. Et c’est un constat amplifié sur nos territoires ». Ce sont les mots de Catherine Linel, responsable de la communication et du marketing au sein de BNP Paribas Antilles-Guyane, qui nous fait un tour d’horizon de l’action régionale d’une banque responsable et consciente de son environnement, fort de son engagement pour l’entrepreneuriat féminin. À ses côtés, trois entrepreneures accompagnées par la structure bancaire. Toutes audacieuses, passionnées et déterminées à se réaliser. Décryptage. Catherine Linel, BNP Paribas a pris le parti de l’entrepreneuriat féminin, au même titre que de nombreuses entreprises. Le féminisme, la femme et son ascension sociale ne sont-ils pas devenus des archétypes d’images de marque vendeurs ? Et de façon concrète, comment s’articule votre engagement à ce propos sur notre territoire ? L’engagement auprès des femmes fait partie des grands axes de la politique RSE menée par de nombreuses grandes entreprises aujourd’hui. Ce n’est pas un phénomène de mode, c’est une nécessité répondant à une réalité sociétale et économique. Et nous ne parlons pas de féminisme. Les enjeux sont ailleurs même si l’entrepreneuriat est une voie d’émancipation et d’épanouissement pour les femmes. Si elles constituent quasiment la moitié de la population active, elles sont beaucoup moins nombreuses dans le rang des créateurs d’entreprises, environ 30 %. Pourtant, des études montrent que les entreprises dirigées par des femmes présenteraient une profitabilité moyenne supérieure de 9 % à celles dirigées par des hommes. On voit bien que l’entrepreneuriat féminin est en développement partout dans le monde. Ces dernières années, des initiatives politiques pour promouvoir l’entrepreneuriat ont amélioré la fiscalité et les régimes de charges sociales tout en simplifiant le passage du chômage vers l’auto-emploi. Dans la situation économique actuelle aux Antilles-Guyane, il n’est plus question de gaspiller des compétences à cause de perceptions obsolètes du rôle des femmes et des hommes et de leur capacité à diriger. Beaucoup considèrent encore qu’être femme est un désavantage pour créer une entreprise. C’est une vision provenant de stéréotypes socioculturels et de freins difficiles à dépasser. Ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui s’autocensurent et se restreignent. Chez BNP Paribas, nous sommes convaincus que la montée en puissance des femmes entrepreneures constitue, au même titre que l’innovation et l’internationalisation, un levier fort d’accélérateur de croissance de l’économie française. Et c’est un constat amplifié sur nos territoires. C’est dans ce cadre que depuis plusieurs années, nous encourageons les femmes entrepreneures à « voir grand » et que nous sommes à leurs côtés tout au long du cycle de développement de leur entreprise, bien au-delà de la relation bancaire. Nous favorisons la connexion des femmes avec l’écosystème de l’entrepreneuriat en général et féminin en particulier. Nous organisons ou parrainons des événements afin de réunir ces femmes, de leur permettre d’échanger sur les bonnes pratiques, de favoriser le mentoring et confronter celles qui ont réussi à celles qui veulent se lancer. Nous leur faisons bénéficier de conseils, d’expertises, de partenariats de choix et d’accompagnements adaptés. Tout cela pour accélérer le développement de leurs projets. Mais notre action va plus loin. Il nous paraît nécessaire de sensibiliser très tôt les jeunes filles à l’entrepreneuriat. C’est pour cela que nous accompagnons l’Association 100 000 entrepreneurs qui est chargé de sensibiliser les collégiens, les lycéens et les étudiants à la création. Nous devons leur montrer que d’autres modèles de réussite existent sur nos territoires et que cette voie de carrière peut être très épanouissante. Il nous faut être auprès des jeunes femmes, mais aussi des jeunes hommes qui seront peut-être soit mari, frère ou père de femmes entrepreneures demain et seront susceptibles de les accompagner. Le milieu entrepreneurial reste dominé par la gent masculine. Comment, lorsque l’on est une femme, s’impose-t-on dans un milieu d’hommes : en adoptant les codes masculins, en se fondant dans le moule ou au contraire en se distinguant ? Il n’y a pas de clivage entre hommes et femmes dans notre approche. Nous ne sommes pas dans une lutte des genres. Il est certain qu’il existe des difficultés à entreprendre pour les femmes. Beaucoup considèrent encore qu’être femme est un désavantage pour créer une entreprise. C’est une vision provenant de stéréotypes socioculturels et de freins difficiles à dépasser. Ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui se censurent et se restreignent. Les femmes sont souvent habitées par un sentiment d’illégitimité qui les handicape. Elles disent manquer de crédibilité auprès d’interlocuteurs masculins, d’accompagnement par des structures et ont du mal à conjuguer vie privée et vie professionnelle. Nous souhaitons agir sur cela également en aidant les femmes à se dépasser, à oser, à voir plus loin. Toutes nos actions doivent leur permettre d’avoir confiance et envie de se lancer et de franchir le cap. L’essentiel, selon moi, c’est de pouvoir se construire en tant que dirigeant avec son autorité et son mode de management. Nous pouvons mettre en avant que les entreprises dirigées par des femmes seraient plus rentables, plus stables et plus pérennes. Il ne s’agit pas de se dire si un dirigeant d’entreprise homme est meilleur qu’une femme. Il y a autant de managers que d’individus. Les femmes sont des managers comme les autres même si parfois on leur prête certaines caractéristiques, notamment la capacité à écouter. Elles seraient plus dans le « savoir-être » quand les hommes seraient dans le « savoir-faire ». Elles auraient des qualités pour le travail en équipe, la diplomatie et les relations humaines. Mais ce sont souvent des stéréotypes, qu’il faut parfois combattre. L’essentiel, selon moi, c’est de pouvoir se construire en tant que dirigeant avec son autorité et son mode de management. Nous pouvons mettre en avant que les entreprises dirigées par des femmes seraient plus rentables, plus stables et plus pérennes. Elles affichent en moyenne de meilleurs retours sur investissements que celles menées par les hommes. Et en cela, cela vaut la peine de les soutenir et de favoriser leur développement.

Fabrice Calabre | Cochon Plus

Fabrice Calabre | Cochon Plus

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel - Xavier Dollin Retour sur la trajectoire d’un homme qui s’est nourri de valeurs familiales et qui a su faire preuve de génie dans les situations les plus complexes. Une réussite animée de passion et d’un engagement ancré à son territoire. Observateur sagace, acharné du travail Fabrice Calabre arrive comme personne à exhaler dans le même souffle : panache, audace, insoumission et l’idée que nous pouvons construire ensemble. Sur les traces familiales. Dernier d’une fratrie de six, j’étais un enfant très turbulent au point que ma mère a longtemps cherché une potion qui calmerait ce trop-plein d’énergie. Doté d’une grande soif de connaissances, bien que je ne fusse pas spécialement un grand lecteur, j’ai énormément appris aux côtés de mes aînés. Cela m’a valu quelques petits éclats de maturité de plus par rapport à mon âge, cela d’autant plus que j’étais le fils d’un homme – né en 1923 – qui à l’âge de cinquante ans avait décidé de faire un dernier enfant. D’où une éducation à l’ancienne, toutefois moins stricte que celle reçue par mon frère et mes sœurs aînés ; celle-ci fut basée sur le respect, l’amour de l’autre et du travail dans la dignité. Je me rappelle encore du jour où j’ai appris ce qu’était l’Acte unique européen. Ce jour-là, en revenant de l’école, j’étais très pensif au point que mes amis n’arrêtaient pas de me demander ce qui se passait. En toute franchise, j’étais seulement en train d’évaluer toutes les conséquences d’un tel changement. Mais en fin de compte, dans ma tête de collégien, je préférais minimiser les choses jusqu’à la sortie du titre «  V oici le loup   » qui donnait raison à mes inquiétudes. En classe, je savais une chose : il fallait que je respecte les sacrifices faits par mes parents, courbés dans les champs depuis très tôt jusqu’à pas d’heure. Et c’est d’ailleurs un souvenir d’eux qui m’a servi et qui me sert encore aujourd’hui de source d’inspiration pour persévérer vaille que vaille. Le Guadeloupéen n’a plus rien à prouver en ce qui concerne sa capacité à entreprendre… C’était en septembre 1989, au lendemain du cyclone Hugo, la Guadeloupe entière se réveillait dévastée par le passage de ce cyclone de forte puissance. Dès la levée de l’alerte, mes parents et moi sommes partis en direction de l’exploitation agricole, habités par une grande crainte de ce que nous allions trouver sur place. Les routes étant impraticables, c’est à pied que nous parcourions les trois derniers kilomètres dans un paysage méconnaissable. Et alors que nous nous situions au niveau d’un fromager, arbre emblématique de l’environnement de l’exploitation, nous nous rendions compte que les quelques petits tas de tôles que nous voyions à une centaine de mètres étaient ce qui restait de notre porcherie de plus de 300 m2. Un spectacle accablant : plus de toitures, des animaux à l’agonie, des avortements… Et là, sous mes yeux d’adolescent de 16 ans, se passe quelque chose qui me marquera à jamais. Sans un mot, seulement un échange de regards et mes parents se sont mis au travail, sans se plaindre une seconde comme pour conjurer le sort. Et en quelques jours, cette exploitation meurtrie par le cyclone reprenait vie. Alors, de quoi devrais-je me plaindre aujourd’hui ? Ils m’ont montré comment faire. Étant fils d’agriculteur et aimant les sciences biologiques, le choix de mes études a quasiment coulé de source. Une fois le collège terminé, j’ai naturellement choisi l’option science biologique et agronomique en seconde pour poursuivre avec un BTS en agronomie tropicale, complétée d’une spécialisation en production animale. J’ai vécu ces années d’études agricoles avec beaucoup d’enthousiasme, car il était stimulant d’apprendre des choses en semaine et de pouvoir les mettre en application le week-end. C’était amusant et même un avantage qui m’a permis d’être major de ma promotion, sans pour autant être une « bête de compétition ». Le développement d’une entreprise implique que l’on puisse déléguer, car on ne peut être partout… En ce qui concerne mon parcours professionnel, je remercie chaque jour le ciel, car il s’avère que je n’ai connu, jusqu’à ce jour, aucune journée de chômage. Avant même de terminer ma spécialisation – effectuée dans la ville de Pau – j’avais été contacté par mon ancien chef d’établissement, Mr René Philogène, pour occuper le poste de responsable de la production animale dans un premier temps puis celui d’enseignant en zootechnie. La pratique, en elle-même, viendra dès 1995. Un changement de régime, qui m’a permis plus tard de réaliser mon rêve, à savoir reprendre l’exploitation familiale et être à mon compte. Cela ne veut pas dire que je n’aimais pas mon poste d’enseignant. Bien au contraire, je prenais un vrai plaisir à transmettre ma passion à mes élèves. C’est juste que j’étais animé d’un objectif, un rêve… Cochon Plus, la force de la détermination. Lors de mon installation en tant qu’agriculteur en 1999, je démarre en reprenant l’exploitation familiale créant l’EARL «  La ferme mon roc  », où mon unique associé est ma mère qui malheureusement peu de temps après a connu quelques soucis de santé qui ne lui permettaient plus d’exercer avec moi, comme elle l’aurait souhaité. C’est alors que je lance de grands travaux qui vont permettre de doubler la capacité de production et de moderniser la structure pour plus de confort. L’investissement à l’époque s’élève à 1 400 000 francs soit 213 428 euros. C’est une installation très peu subventionnée contrairement à beaucoup d’autres, pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrais pas ici. Une fois bien lancé, le projet rencontre ses premières difficultés : problèmes d’approvisionnement en eau du nord Grande-Terre, crises sanitaires, problèmes de commercialisation… Tout cela impacte la trésorerie et je me retrouve alors endetté. C’est en septembre 2001 que me vient, dans un élan de sursaut, l’idée de passer à un mode de commercialisation directe, afin de retrouver cette trésorerie qui fait tant défaut. En moins de dix jours, je mets en place une installation mobile qui comprend un petit chapiteau pliable, un barbecue, un groupe électrogène, des luminaires, une belle banderole «  cochon grillé local  », du petit matériel, des uniformes… Et me voilà parti pour l’aventure avec ma sœur qui m’aide à la vente. J’étais vraiment déterminé à m’en sortir ; et ce par tous les moyens dignes de ce nom. Pour ce qui est de l’emplacement, je choisis un lieu stratégique, en matière de passage ; il s’agit du bord de route avant le rond-point de Perin en direction de Morne-à-l’Eau. Comme poussé par la loi de l’attraction, le public adhère tout de suite au concept qui change du poulet et des ailes de dindes. Le succès se faisant et sans m’en rendre compte, je me retrouve avec deux professions très prenantes, au point que la première en pâtit au bout de deux ans et demi. Étant moins présent sur l’exploitation, la production va chuter et connaître son niveau le plus bas et je me retrouve à acheter l’essentiel de ma matière première chez mes collègues éleveurs. Nous n’étions plus dans le schéma de base, à savoir faciliter l’écoulement et la trésorerie de mon exploitation. Fin 2003, j’ai dû arrêter mon activité de transformation pour revenir à temps plein sur l’exploitation où j’embauche un jeune que je forme, afin de me remplacer tout en restructurant la production. Une fois les choses faites, ce fut la relance en décembre 2004, cette fois-ci dans un food truck. Mais le vrai booster de ce redémarrage fut notre passage au JT qui dès le lendemain multiplia par 2,5 notre volume. Toujours en quête de progression et de développement, c’est tout naturellement que je saisis l’occasion qui m’était offerte de louer un local à proximité, afin d’y installer un véritable restaurant et un atelier de découpe et de charcuterie. N’étant pas en mesure à l’époque d’obtenir un prêt, j’avais en revanche la confiance des fournisseurs pour des achats à crédit ainsi que l’aide de quelques proches. Ce changement de configuration impliquait beaucoup de choses, notamment le nombre de personnes à gérer, une gestion administrative plus que complexe. Et c’est à ce moment que ma femme a pris la décision de me rejoindre dans cette aventure. Ce qui m’a permis de me concentrer sur la conception, la production et le développement. On a commencé par une dizaine de salariés, c’était une sacrée entrée en matière pour ce qui est de la gestion des ressources humaines, cela m’a valu mes premières poussées de tension. Cependant, au fil du temps, on se forme et l'on y prend goût, au point de gérer aujourd’hui une masse salariale de 62 personnes. Aujourd’hui, Cochon Plus c’est une cuisine centrale d’une capacité de trois mille repas par jour, un laboratoire de découpe et de charcuterie, trois sites de restauration d’une capacité totale de 350 places assises et un département traiteur-organisateur de réception. Développer nécessite que l’on puisse maîtriser le sujet, c'est ainsi qu’en 2011, je décide de passer le BP de boucherie à l’École Nationale Supérieur des Métiers de la Viande à Paris ainsi que mon Brevet de Maîtrise Traiteur Organisateur de Réception avec le CEPROC à Paris par le biais de la Chambre de Métiers. Ce dernier a été très enrichissant, car il m’a permis de multiplier par trois mon chiffre d’affaires au sein du département traiteur. Le développement d’une entreprise implique que l’on puisse déléguer, car on ne peut être partout, c’est pour cela qu’avant même de lancer nos différents projets nous nous sommes consacrés à chercher celui ou celle qui allait le gérer. Aujourd’hui, Cochon Plus c’est une cuisine centrale d’une capacité de trois mille repas par jour, un laboratoire de découpe et de charcuterie, trois sites de restauration d’une capacité totale de 350 places assises et un département traiteur-organisateur de réception. Un mental à toute épreuve. Je serai tenté de dire que mes premiers pas dans le monde entrepreneurial datent de l’époque où aux côtés de mes parents, tout en étant encore étudiant, je leur faisais part de mes conseils techniques et stratégiques notamment en ce qui concerne l’acquisition de matériels qui ont contribué à améliorer le confort au travail ainsi que le rendement. C’était vraiment là la meilleure école. Dès lors, vous vous rendez compte de l’impact de vos prises de décisions et là vous vous dites vraiment que vous n’avez pas le droit de vous louper. Cependant, le vif du sujet commence réellement lorsqu’en 1999, je décide de reprendre l’exploitation familiale, habité par une seule idée : réussir mon projet au sein de l’entreprise familiale. Je ne compte pas mes heures et aucune porte n’est infranchissable pour moi. C’est aussi à ce moment que je me rends compte du regard que l’on peut porter sur vous en tant que chef d’entreprise, en fonction des intérêts en jeu. Et là, il faut savoir faire preuve de psychologie, afin d’aborder chaque situation avec la plus grande clarté d’esprit que possible. Sans rêve, il ne peut y avoir de réussite, car c’est le premier qui définit le second, celui qui ne rêve pas ne peut avoir d’ambitions. Je me rappelle encore de ce jour, où après avoir eu une discussion avec mon conseiller à la banque, qui ne me laissait pas entrevoir une issue favorable pour mon dossier d’emprunt, je décidais de me rendre au siège de la banque afin de rencontrer le directeur responsable des prêts agricoles. Et cela, sans rendez-vous. Je ne savais qu'une chose : il fallait que je sois convaincant. Alors que mon fils âgé de deux mois était dans la voiture avec sa mère en train de m’attendre, j’ai déclaré à l’accueil de la banque que je disposais de tout mon temps pour que l’on me reçoive. Et c’est ainsi qu’au bout de deux heures, je fus reçu par cet homme qui dès le lendemain matin activait lui-même mon dossier. S’il y a un élément à retenir, c’est la détermination que je ressentais dans l’accomplissement de ce projet. C’est cette même détermination que j’ai connue lors du lancement de ce qui allait devenir Cochon Plus. De surcroît, il fallait vraiment que je puisse partager et faire adopter l’idée d’une enseigne de restauration locale dont le produit phare serait le cochon et que l’on soit sur une démarche du producteur au consommateur. Il fallait que le public s’approprie l’enseigne et cela a été chose faite, par le biais d’une communication basée sur la proximité. C’est aujourd’hui un pari réussi. C onstruire. Le Guadeloupéen n’a plus rien à prouver en ce qui concerne sa capacité à entreprendre ; que ce soit en économie souterraine ou en économie déclarée, la Guadeloupe fait preuve d’une grande vivacité en matière entrepreneuriale. Il est vrai qu’en Guadeloupe on devient entrepreneur par dépit en cause d’un fort taux de chômage. Mais cela n’empêche pas aux porteurs de projet de s’investir à tous les niveaux. Il reste néanmoins un travail à faire et ce n’est pas uniquement au niveau des entrepreneurs. Il s’agit de la conscientisation qui consisterait à permettre à tout un chacun de bien s’imprégner l’idée du « faire ensemble » ainsi que du « Yes, we can ». Autant nous ne formons qu’un au moment du carnaval, autant nous avons du mal à nous approprier la réussite de nos compatriotes afin de nous en réjouir comme une fierté, d’où certaines attitudes destructrices qui freinent la démarche du développement de la Guadeloupe par les Guadeloupéens. Il est vraiment temps que nous commencions à croire en nous et que nous recherchions nos solutions à travers nous-mêmes. L’autre fléau de l’entrepreneuriat, c’est l’ubérisation de quasiment tous les secteurs. Je prendrai l'exemple de mon secteur d’activité à savoir celui de la restauration ; tout le monde est livreur de repas ou traiteur… L’histoire d’un territoire induit ses traditions et son savoir-faire. Celle de notre Guadeloupe étant très riche de tout le brassage des différentes origines, nous permet d’avoir la chance de jouir de tous ces apports qui une fois réunis créent un potentiel inestimable. Notre environnement humain est constitué de notre famille, nos amis, collègues et bien d’autres. Je considère que la réussite est le fait de pouvoir contribuer au bien-être de tout ce beau monde, dans la mesure du possible. En résumé, tout individu à une mission dans cette société, il s’agit dès lors de la cibler et de pouvoir l’accomplir avec tout l’engagement possible. Sans rêve, il ne peut y avoir de réussite, car c’est le premier qui définit le second, celui qui ne rêve pas ne peut avoir d’ambitions. Il est vrai qu’avec le développement de mon activité, le temps consacré à mes enfants est moins important qu’avant. Néanmoins, ils savent pouvoir compter sur moi. Mes plus grandes fiertés, hormis mes enfants, sont aux deux extrémités de mon acte entrepreneurial ; d’un côté les clients satisfaits qui vous font des retours et de l’autre l’accomplissement de mes salariés à travers les postes qu’ils occupent. L’échec est un propulseur qui vous emmène au-delà de vous-même, mais il reste néanmoins redouté, ce qui est normal, car chaque décision prise l’est avec la conviction d’être la bonne. C’est donc cela qui me permet d’avoir l’humilité du doute. Le génie guadeloupéen. L’histoire d’un territoire induit ses traditions et son savoir-faire. Celle de notre Guadeloupe, étant très riche de tout le brassage des différentes origines, nous permet d’avoir la chance de jouir de tous ces apports qui une fois réunis créent un potentiel inestimable. De surcroît, éloignée de la métropole, la Guadeloupe est souvent obligée de s’adapter à des conditions dites « particulières » qui obligent en tout temps à être créative. Voilà pour moi les préalables qui expliquent cette force créatrice que représente le génie guadeloupéen. Et cela dans bien des domaines. Il ne reste plus qu’à mettre tout cela en valeur par une communication d’envergure encore une fois en vue de conscientiser la population.

Réussir le recrutement de mon premier collaborateur

Réussir le recrutement de mon premier collaborateur

Par Melissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Sarah Ruhullah Être chef d'entreprise, c’est souvent être aussi employeur. Une casquette encore différente de celles de gestionnaire, de visionnaire, de stratège que demande la création et la gestion d’entreprise. Si certaines activités nécessitent dès leur lancement le recrutement de salarié(e)s, d’autres peuvent démarrer sans, reposant uniquement sur le chef d’entreprise. Pour ces dernières, leur développement les amènera à envisager de faire grandir l’équipe afin que l’entreprise elle-même grandisse. Quel que soit le moment du premier recrutement, la décision de recruter est une étape charnière pour l’entreprise et l’optimisation du choix du candidat est capitale ! Les signes m’indiquant qu’il me faut recruter Plusieurs éléments peuvent vous amener à envisager un recrutement : vous n’arrivez plus à tout faire seul ? Les délais de réponse vis-à-vis de vos clients sont de plus en plus longs, vous faisant ainsi perdre en professionnalisme et potentiellement des clients et/ou prospects ? Votre présence sur le terrain ralentit le développement stratégique de votre structure ? Vous avez atteint votre objectif de chiffre d’affaires à partir duquel vous aviez projeté le recrutement d’un(e) salarié(e) selon votre plan de développement ? Ou encore, vous êtes en cours de création ou de reprise, et il est évident que votre business model ne fonctionnera pas sans collaborateur(trice)(s) ? Autant de raisons vous amenant à recruter pour la première fois ! © Laura Chouette
Qu’est-ce que cela va changer pour moi ? Vous devenez employeur et manager ! Devenir employeur, c’est s’engager dans une relation contractuelle et humaine avec un(e) salarié(e). Cette collaboration est alors formalisée à travers un contrat de travail, lui-même encadré par les dispositions réglementaires du Code du travail et de votre convention collective. D’où la nécessité d’avoir un contrat de travail bien rédigé, adapté, qui ne vous enfermera pas dans la situation actuelle de votre entreprise, mais qui laissera un champ d’action non négligeable à votre pouvoir de direction pour l’avenir. Mais au-delà, vous devenez manager ! Ce qui suppose des compétences et/ou aptitudes managériales. Une part de votre activité consistera désormais à donner un cadre, organiser le travail, déléguer, motiver, définir des objectifs communs et individuels, communiquer, accompagner, suivre dans le temps… Et cela, c’est aussi du temps. Il vous faut donc vous réorganiser de manière à intégrer cette nouvelle casquette qui, ne l’oubliez pas, vous libérera du temps pour vous consacrer à d’autres missions, ou vous permettre de mieux faire vos missions et par voie de fait : augmenter la performance de l’entreprise ! Et pour mon entreprise, quels changements ? Le premier changement est d’ordre financier, puisque recruter un(e) collaborateur(trice) c’est générer une masse salariale et donc ajouter un nouvel investissement pour l’entreprise. Recruter c’est donc faire évoluer les indicateurs de l’entreprise : votre point mort économique ne sera plus le même (seuil de chiffre d’affaires pour lequel l’entreprise ne perd pas d’argent, mais n’en gagne pas non plus), votre besoin en trésorerie évoluera également… Vous l’aurez compris l’impact nécessite d’anticiper : le coût réel du recrutement, le retour sur investissement attendu pour ce recrutement et la capacité de votre entreprise à absorber ce dernier dans la durée. Il s’agit donc d'établir des prévisionnels fiables et réalistes, vous permettant ainsi de rendre compatibles votre besoin en recrutement, votre capacité à recruter et les modalités de recrutement que vous choisirez ! Par ailleurs, en intégrant un ou des collaborateur(trice)s, l’entreprise élargit le spectre de ses parties prenantes. En effet, de nouveaux interlocuteurs tels que l’URSSAF, la médecine du travail, la DIECCTE, OPCO, entre autres, deviennent des acteurs à considérer. © Sarah Ruhullah Comment réussir mon recrutement ? Recruter est un processus qui se décline en plusieurs phases qui s’assemblent pour ainsi dire. Bien recruter induit la bonne maîtrise de l’interdépendance de chacune de ces phases pour créer les conditions favorables à la réussite de votre recrutement.
Définir votre besoin. L’objectif est de cerner au plus près le besoin présent et futur de votre entreprise. Pour ce faire, mettre en perspective votre performance économique présente et celle souhaitée avec votre organisation actuelle et celle qui serait optimale sera une base pour la création d’une fiche de poste adaptée aux besoins réels de votre entreprise. Les bonnes questions à vous poser : Quels sont mes objectifs financiers, qualitatifs, quantitatifs ? Quel est mon niveau de performance actuel ? Comment puis-je atteindre mes objectifs : nombre de collaborateurs(trices) nécessaire(s), les postes indispensables… ? Quel est le poste que j'ai à pourvoir ? Quelles en sont les principales missions et activités ? Quel sera l'impact direct et indirect du poste sur le résultat de l'entreprise ? Quelles sont les compétences indispensables, utiles ? Quel est le niveau de technicité requis ? Quel niveau de qualification ? Est-ce un besoin ponctuel ou durable ? Quel type de contrat ? Existe-t-il des perspectives d'évolution ? Nos astuces  : évaluer la technicité du poste vous permettra de définir notamment le type de contrat ; évaluer la charge de travail qui sera confiée afin de déterminer si vous avez besoin d'un temps plein ou partiel ; évaluer la durabilité du besoin (intérim, CDD ou CDI ?). (…) il conviendra de manager au quotidien cette relation de travail, d’anticiper les évolutions de votre activité et de développer les compétences de votre entreprise… Définir le coût. L’enjeu est de maîtriser l’ensemble des coûts liés au recrutement envisagé, afin de ne pas être surpris par le coût réel du/de la collaborateur(trice). Les bonnes questions à vous poser : Quel sera le coût global ? Quel en sera le coût indirect (temps à consacrer, ressources externes, investissement matériel…) ? Des aménagements sont-ils nécessaires pour accueillir le/la collaborateur(trice) ? Si oui, quel budget ? Quelle est la meilleure politique de rémunération à mettre en place pour ce poste ? Nos astuces : Utiliser les simulateurs URSSAF ou Pôle Emploi pour estimer le coût de l’embauche, solliciter l'appui d'un expert RH vous aidera à créer une politique de rémunération souple pour l'entreprise, attractive pour le/la salarié(e) et au service de votre stratégie globale (fixe, variable, avantages en nature, véhicule de fonction ou de service, chèque cadeau…), vérifier votre éligibilité aux aides à l’embauche existantes selon votre situation et votre stratégie de recrutement : zones franches, publics prioritaires… https://www.service-public.fr/  (rubriques : aides à l’embauche). Recruter soi-même ou externaliser le recrutement ? Recruter vous-même est une possibilité si vous avez les compétences et le temps nécessaires à la conduite d’un processus de recrutement de A à Z (rédaction et diffusion de l’annonce, gestion des candidatures, entretiens téléphoniques et physiques, test(s), gestion des candidatures non retenues, faire des contrôles de référence en bonne et due forme, valoriser votre marque employeur à travers le processus de recrutement…). L’autre choix qui s’offre à vous, c’est l’externalisation. La gestion des candidatures. Selon le poste à pourvoir et le profil recherché, la diffusion de votre annonce entraîne la réception d’un flux plus ou moins important de candidatures. Aussi, il est capital de s’organiser pour être efficace. En effet, comment traiter le flux de candidature ? Comment répondre aux candidats ? Comment décider, choisir un profil ? Nous vous recommandons de vous outiller d’une grille d’appréciation objective selon les critères requis au poste, d’automatiser les réponses aux candidatures, de prendre le temps de répondre aux personnes reçues en entretien et de ne pas perdre de vue votre marque employeur qui a un impact auprès de vos futurs collaborateur(trice)s, mais aussi auprès de votre clientèle. Confirmer le/la candidat(e) et préparer son arrivée. Le recrutement d’un(e) collaborateur(trice) se concrétise par quelques démarches administratives qu’il vous appartient de mener. Un élément essentiel est la rédaction d’un contrat de travail adapté à votre besoin, à votre entreprise et qui permettra une souplesse utile aux potentielles évolutions de votre structure. N’hésitez à vous faire accompagner d’un(e) expert(e) RH et/ou d’un(e) juriste en droit social en la matière. Autres démarches : réaliser la Déclaration préalable à l’embauche (DPAE) à partir du 8e jour avant l’arrivée du candidat (www.net-entreprises.fr) , créer votre registre du personnel et y inscrire vos embauches et départs de l’entreprise, procéder à l’affiliation aux organismes de retraite complémentaire obligatoire (ARRCO pour les salarié(e)s, AGIRC pour les cadres), organiser la visite d’information et de prévention (anciennement appelé visite médicale d’embauche). Pour les CDD, préparer le Bordereau individuel d’accès à la formation (BIAF) qui sera à remettre au candidat. Dans le cas d’embauche de salarié(e)s de nationalité étrangère : il convient d’adresser au moins 2 jours avant la date de démarrage du contrat une lettre RAR ou un mail à destination de la Préfecture, accompagné d’une copie du titre présenté par le candidat. L’objectif étant de s’assurer de l’existence d’une autorisation de travail pour ce(cette) candidat(e). Enfin, engager les démarches concernant les aides existantes auxquelles vous êtes éligible. © Karabo Ndluli Préparer et réussir l'intégration et la période d'essai. Au-delà des démarches administratives, il vous est nécessaire de créer les conditions favorables à l’intégration du/de la collaborateur(trice). Nos conseils  : assurez-vous de lui réserver un espace de travail cohérent avec la mission que vous lui confiez, et de lui mettre à disposition dès son arrivée l’ensemble des équipements nécessaires à sa prise de fonction. Nous vous recommandons également de préparer un accompagnement d’intégration, comprenez par là, accordez-lui du temps pour une présentation plus détaillée de votre entreprise, de sa raison d’être et de son impact sur l’économie. N’hésitez pas à contextualiser le rôle du ou de la salarié(e) dans la chaîne de création de valeur de votre structure. Un accompagnement dans les missions sera également un moyen de partager vos pratiques et de les ancrer dans les process internes. Capitalisez la période d’essai ! Tout l’enjeu consiste à manager au mieux ce laps de temps afin d’en faire un véritable outil d’aide à la décision quant à la pérennité de la relation de travail. Pour cela, il est utile de programmer des points d’étape réguliers basés sur des critères d’appréciation objectifs, au regard des compétences attendues. En résumé, réussir son recrutement est à la portée de tous, dès lors qu’il y a une véritable réflexion, une véritable stratégie, le temps nécessaire consacré et des outils adaptés utilisés au bon moment ! Pour finir, gardez en tête que le recrutement n’est qu’un premier pas vers votre objectif de performance globale, car une fois le/la collaborateur(trice) embauché(e), il conviendra de manager au quotidien cette relation de travail, d’anticiper les évolutions de votre activité et de développer les compétences de votre entreprise à travers le développement des compétences de votre collaborateur(trice), sans oublier les vôtres !

Richard Trèfle | Bellatrix

Richard Trèfle | Bellatrix

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Big-bang d’inspirations contraires, un more is more décomplexé, geyser d’idées aux contours best-sellers. Rencontre d’un des créateurs les plus stimulants du moment, qui par sa palette de créativité met la critique à ses pieds, emportant tout sur son passage. Un parcours des plus atypiques. Né au début des années 80, à Pointe-à-Pitre, j’ai grandi dans le quartier de Mortenol Sud. Un quartier réputé difficile où j’ai été élevé par ma mère qui nous a éduqué seule, mon frère aîné et moi. Très tôt, elle nous a inculqué les valeurs du travail et du respect, ce qui se révélera comme un véritable défi lorsque l’on grandit avec la tentation de l’argent facile. C’était une femme stricte, mais juste. Nous avons grandi entourés de voisins au grand cœur, de travailleurs acharnés, mais aussi de petits trafiquants. Cet ensemble fera de moi ce que je suis aujourd’hui. Malheureusement, je n’ai pas eu la chance d’accéder à des études supérieures. Je dirais que j’ai eu un parcours scolaire atypique, où j’ai sauté une classe à l’école primaire et une autre au collège, mais étant trop turbulent, du fait de mon ennui, j’ai été à tire-d’aile mis de côté par mes professeurs. J’ai tout de même obtenu un CAP-BEP en électrotechnique, avec la mention très bien. Mais par la suite, je me suis retrouvé sans école pouvant m’accueillir, mes professeurs n’ayant pas jugé utile de m’inscrire en classe supérieure. C’est ainsi que je me retrouve à l'âge de 16 ans sans école et décide de travailler dans un fast-food. Cela a été très difficile, car je me suis vite confronté à la dure réalité de l’entrepreneuriat, un monde qui m’était jusqu’alors inconnu. L’année suivante, je reprends mes études et entre en première électrotechnique, au lycée de Trioncelle, à Baie-Mahault, tout en continuant à travailler le soir. Cette équation n’était certainement pas la meilleure, puisque j’ai vite mis fin à ces études. J’ai donc poursuivi mon expérience au sein de cette même enseigne de fast-food, jusqu’à y devenir technicien de maintenance itinérant. Il est vrai qu’il était bien plus intéressant pour moi de gagner de l’argent en travaillant que de continuer à aller à l’école. Mais lassé par ce secteur, je décide de changer de voie et m’essaie à plusieurs emplois dans différents secteurs. Et c’est après moult expériences que je décide de m’orienter vers un métier plus manuel qui sollicitait rigueur et précision. C’est ainsi que je deviens monteur-lunetier pour un atelier de montage adossé à une grande enseigne de l’optique et me passionne pour ce métier. J’y suis resté deux ans puis me suis vite lassé, car j’avais peu de marge de manœuvre pour m’exprimer. J'ai donc postulé chez un autre opticien de la région pointoise qui, à cette époque, avait cinq magasins en gérance. À 25 ans, me voilà chef d’atelier manageant trois monteurs, tous plus âgés que moi. Les premières années ont été laborieuses, car il était difficile pour moi, de me faire comprendre de mes collègues au vu de mon jeune âge et de mon tempérament impulsif. Il m’a fallu du temps pour comprendre et tisser des liens, pour enfin réussir à installer un climat serein pour le bien de tous, ce qui a porté ces fruits. Grâce à la persévérance et la ténacité, je me suis vite forgé une réputation d’homme exigeant, mais qualifié et réputé pour la qualité de son travail, également apprécié de tous mes collègues. J’ai travaillé près de dix ans dans cette entreprise où j’ai pu valider mon CAP monteur-lunetier, à Besançon, à l'aide de la VAE. J’en ai profité par la suite pour m’essayer au BTS optique Lunetterie et ai suivi plusieurs modules de cette formation à Paris, dont l’examen de vue et la vente-visagiste. Cette reprise m’a réconcilié avec les bancs de l’école. J’ai toutefois décidé de ne pas poursuivre dans cette voie, préférant les travaux manuels, mais aussi parce que mon ancien employeur ne me donnait que peu de moyens pour m’entraîner. Après coup, je me suis formé chez les Meilleurs Ouvriers de France Lunetiers qui dispensent leurs cours dans le Jura, berceau de la lunetterie. Ces derniers ont tout de suite vu en moi un fort potentiel. Débordant d’idée, mais contraint de ne pouvoir évoluer et de ne pouvoir laisser place à ma créativité, au sein de l’entreprise pour laquelle j’ai travaillé près d’une décennie, j’ai décidé de créer ma propre entreprise ainsi que ma propre marque : Bellatrix . Je me suis laissé, en tout et pour tout, un an pour effectuer toutes les démarches administratives et créer la première collection. Cela a été très difficile, car je me suis vite confronté à la dure réalité de l’entrepreneuriat, un monde qui m’était jusqu’alors inconnu. La révélation Bellatrix . J’ai choisi le nom Bellatrix qui signifie ténacité en latin, car si je ne savais rien de l’entrepreneuriat, je savais que la ténacité allait être indispensable pour créer et développer ce projet. C’est aussi, un hommage appuyé à ma femme qui dès mes débuts, enceinte de notre premier enfant, m’a épaulé et aidé en effectuant toutes les démarches : étude de marché, rédaction des statuts… Sans elle, j’aurai déjà abandonné et c’est sans compter sur sa persistance, sa pugnacité et sa persévérance. Oui, je dirais que Bellatrix, au-delà d’une passion et d’une totale liberté, est aussi une histoire familiale. C’est en effet à deux que cette société s’est créée. Cela a été un véritable défi et l’est encore aujourd’hui, élevant nos deux jeunes enfants, Maxine et Raphaël, et Christelle menant sa carrière professionnelle en tant que cadre dans le secteur privé. Elle m’accompagne moralement certes, mais tient un rôle prépondérant chez Bellatrix puisqu’elle y est mon associée, responsable du développement des activités, de l’administratif, de la gestion et du marketing. Sortir de sa zone de confort, oser. Voici le créneau de notre couple. Quand je vends une paire de lunettes dans le monde, je véhicule l’image de la Guadeloupe. Toutes mes lunettes sont faites main, dans mon atelier, et sont toutes gravées : made in Guadeloupe. Avec Bellatrix, je propose aux opticiens et particuliers la possibilité de créer sur mesure des montures de lunettes optiques et solaires adaptées à la morphologie de leur visage et de choisir forme et couleur. Ce choix se fait parmi de nombreux coloris, l’intégration de tissu ou de matières naturelles telles que le sable, le bois, la fibre de coco... Dès le départ, j’ai été épaulé par Guadeloupe expansion et Initiative Guadeloupe avec qui j’ai constitué un dossier solide qui m’a permis d’obtenir un prêt à taux zéro. Ensuite, un gros coup de chapeau à la Région Guadeloupe en la personne de son président et son équipe, qui nous ont permis de continuer notre développement aux moyens d’aides financières (ARICE…) et d’accompagnements par le biais de conseils aux entreprises. La Chambre des métiers m’a également soutenu en me permettant d’être accompagné par des consultants en organisation et développement d’entreprise. Aussi, j’ai pu compter sur le soutien des Meilleurs Ouvriers de France. (…) mes premiers pas ont été difficiles, car personne ne me connaissait, tout le monde porte en général de grandes marques. J’ai reçu un accueil chaleureux de la part des opticiens guadeloupéens. Et à peine trois mois après le lancement commercial, je décide de participer à l’un des plus grands salons professionnels de l’optique, le Silmo de Paris. J’assois ainsi notre notoriété et élargis notre portefeuille clients. Les médias locaux nous ont également réservé un très bon accueil ainsi que la population qui semble adhèrer au concept ; nous recevons des félicitations de toute part pour notre initiative. Je me rappelle, qu’à la suite d’un reportage que Guadeloupe la 1re nous avait consacré, mettre rendu à Destreland et être reconnu par des gens qui venaient me féliciter pour mon initiative et m’encourageaient dans cette voie que j’avais choisi. Ce jour-là, j’avais une vingtaine de cartes de visite et en l’espace d’une heure, il ne m’en restait plus. J’étais très content et c’est à ce moment que j’ai commencé à avoir confiance en moi, car beaucoup de gens comptaient sur moi. Et il était inconcevable de les décevoir. Au fil du temps, j’ai analysé ce qui n’allait pas et je me suis vite amélioré. Ma fierté tient dans le fait que tous mes premiers clients ont repassé commande jusqu’à ce jour et me félicitent pour les améliorations portées sur la qualité de mon travail. Aussi, de nombreuses personnalités ont été séduites par notre concept et nous font confiance pour leur proposer des montures parfaitement adaptées à la morphologie de leur visage (Claudia Tagbo, Lilian Thuram, Sonia Rolland, Kareen Guiock...). Nous avons eu l’opportunité de participer en mai 2018 à un événement organisé en marge du Festival de Cannes par une marque de produit capillaire haut de gamme. Le but était de présenter sa marque à des personnalités et des influenceurs, le tout dans une somptueuse villa sur les hauteurs de Cannes. Nous avons ainsi pu rencontrer et faire découvrir la marque à de nombreuses personnalités, mais aussi monter les marches du festival. Grand fan du réalisateur américain Spike Lee, je savais qu’il serait à Cannes, son film Blackkklansman étant nominé. À ma grande surprise, je vois qu’il "like" sur Instagram la publication annonçant mon arrivée à Cannes. Je lui crée donc une paire de lunettes composées de trois sables de plages guadeloupéennes. À force d’audace, de contacts noués, nous parvenons à le rencontrer et à lui remettre la paire de lunettes. Un moment mémorable pour nous. Nous espérons pouvoir poursuivre les échanges avec ce réalisateur de renom. Le post concernant Spike Lee a été vu plus de 52 000 fois et partagé 400 fois. Nous espérons poursuivre notre développement à l’international et asseoir notre notoriété. Ses débuts. Comme je le disais plus tôt, mes premiers pas ont été difficiles, car personne ne me connaissait, tout le monde porte en général de grandes marques. Il fallait donc que je prouve de quoi j’étais capable… Ma chance, c'est que je suis le seul à faire ce que je fais et cela a été l’élément déclencheur, car j’ai attiré l’attention. Mais à l’époque, j’étais très mal à l’aise quand il s'agissait de m’exprimer en public, j’avais énormément de mal à expliquer mon activité. Je manquais cruellement de confiance en moi. D’ailleurs, mes premières créations, avec le recul qui est le mien aujourd’hui, étaient une vraie catastrophe. Ma mère avait très peur à mes débuts, je venais de démissionner de mon travail et ma femme était enceinte de notre premier enfant… Quand je recevais l’appel de mes premiers clients, je tremblais, ils se plaignaient de mes finitions ou autres, comme savait si bien le faire mon amie de lycée Odile Martial (rires), opticienne et première cliente. Je manquais de confiance. Je me rappelle, parfois, que je me réveillais la nuit pour réfléchir, me demander si j’avais fait le bon choix. Est-ce que ce n’était pas mieux de rester à mon ancien emploi et toucher un salaire ? Les clients, allaient-ils de nouveau me faire confiance… ? Je me souviens de mon premier jour de démarchage commercial, je tremblais à l’idée de voir mes premiers clients me fixant des yeux afin d’entendre ce que j’avais à leur dire, car je me répétais et bégayais tout le temps. Mes premiers entretiens je les faisais avec mon associée, ma femme, qui prenait le relais quand je m’emballais. Elle m’a beaucoup aidé à traverser cette période qui maintenant est de l’histoire ancienne. J’ai aussi reçu l’aide de ma première fan qui est ma mère, à qui je dois tout, car grâce à ses conseils ainsi que ceux de ma femme, j’ai réussi à surmonter cette épreuve et maintenant j’aime ce que je fais. Ma mère avait très peur à mes débuts, je venais de démissionner de mon travail et ma femme était enceinte de notre premier enfant, mais grâce à ma détermination elle a vite été rassurée. J’ai su m’entourer de bonnes personnes, dignes de confiance, pour mener à bien ce projet et c’est pour cela que je suis fière de dire haut et fort que Bellatrix est une société familiale guadeloupéenne, car j’utilise toutes les ressources autour de moi pour les intégrer dans mes lunettes. Quand je vends une paire de lunettes dans le monde, je véhicule l’image de la Guadeloupe. Toutes mes lunettes sont faites main, dans mon atelier, et sont toutes gravées : made in Guadeloupe . Pour moi, cela est un gage de qualité et de reconnaissance pour mon île. Nous avons embauché notre première salariée en 2018, afin de répondre aux commandes croissantes. Enfin… Malheureusement, le succès ne vient jamais tout seul. J’ai dû aussi m’armer de patience et découvrir aussi des personnes mal intentionnées qui n’ont aucun scrupule à vous dénigrer ou dénigrer votre travail pour essayer de briller à leur tour ou utiliser votre notoriété pour se mettre en avant. Je trouve cela répugnant, mais j’ai appris à mettre de l’eau dans mon vin et à passer au-dessus. Enfin, l’entrepreneuriat m’a beaucoup changé, la transition de salarié à patron est complètement différente. Maintenant, j'appréhende mieux ses pourtours, mais tout est question de stratégie à adopter. C’est pour cela que j’ai été accompagné par la Chambre des Métiers et de l’Artisanat par le dispositif CAPEA — en la personne de M. Amblard, afin d’élaborer la meilleure stratégie pour le bon fonctionnement de l’entreprise et cela m’a permis d’éviter de nombreux écueils. Les réseaux sociaux nous ont aussi permis de nous développer. Ce sont de très bons outils de communication qui permettent à une entreprise de gagner en visibilité et développer son chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous sommes connus au-delà de la Guadeloupe et cela reste ma fierté. Le génie guadeloupéen, selon moi, consiste à pouvoir exprimer son intelligence et sa culture au service de soi-même, mais aussi des autres. Le génie peut s’exprimer de différentes manières. Notre passé, je pense, nous permet d’être fort mentalement et de faire preuve de ténacité.

Corinne Thimodent-Nabal | Gloasanvé

Corinne Thimodent-Nabal | Gloasanvé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin En choisissant sa voie, Corinne Thimodent-Nabal a sans doute réussi son premier pari, celui de la légitimité. Celle d’un savoir et d’un savoir-faire, qui prennent forme dans des créations qui mixent les registres, une féminité extrême aux délicats accents créoles. Pas exactement là où on l’attendait, cette entrepreneure à la fois pugnace et discrète nous propose une célébration de l’artisanat à l’ère du tout numérique. Récit d’une entrepreneure qui fait vibrer l’économie circulaire. L’organisation de la pensée. Enfant, je ne me souviens pas avoir eu un rêve bien défini. Cela se précise à l’adolescence, j’écris beaucoup, je chante, je pratique alors pas mal de sport, mais c’est au tennis que je m’exprime le mieux. Deux professions m’attirent : psychologue et journaliste. À l’époque, je me sentais à part, mais pas différente. J’ai grandi dans une famille catholique où l’éducation est outil et le travail une liberté. Je n’ai pas vraiment fait de choix d’études. J’ai essayé de me conformer autant que possible. Après une première année catastrophique à Paris, n’y étant pas préparée, je suis revenue en Guadeloupe étudier le droit. J’ai eu des doutes sur les raisons profondes de ce premier départ, sur ma capacité à relever le défi. Quand j’ai eu ma licence, je me suis sentie pousser des ailes, avec ce master en médiation culturelle deux ans plus tard, enfin, j’allais pouvoir travailler dans mon domaine la culture. Pour moi, les études sont d’abord une école de formation et d’organisation de la pensée. C’est la manière dont j’allais mettre en œuvre tout cela qui m’a porté. La peur de l’échec est légitime, l’impératif est de la gérer. Je n’ai pas de hiérarchie à ce sujet, un échec est un échec. Quand je reviens en Guadeloupe, fin 1999, Hellen Rugard et moi étions les rares à avoir ce profil que l’on commençait à rechercher dans l’économie de la culture ; l’ingénierie culturelle. Donc, quand je rentre, je postule au Centre des arts et de la culture de Pointe-à-Pitre. Je me retrouve, tout en travaillant sur un mémoire sur la programmation, à faire mes premiers pas en tant que chargée de communication ; fonction qui se résuma très vite à rédiger des communiqués et accompagner les artistes aux rendez-vous médias. Heureusement, en arrière-plan, je peaufine ce mémoire faisant un vrai état des lieux de la structure, en proposant des déambulations et un nouveau visage aux événements déjà phares (ex Festival de jazz), fléchant les axes, les possibilités de partenariat et de financement. J’ai adoré faire cela, mais ça va rester une copie sur mon bureau, l’autre dans mon ordinateur de bureau, puisque très vite à la suite d'une altercation violente avec des collègues, je vais perdre ce premier emploi. À ce moment, on se pose beaucoup de questions. On refait le film de l’entrée à la sortie. On cherche le pourquoi. C’est tellement choquant, violent, soudain. Je m’en suis beaucoup voulu et ne trouvant pas de réponses, je me suis repliée un temps sur moi-même. On s’accroche. Puis, j’ai connu l’agence Cromatick où j’étais l’une des plumes de Pierre-Edouard Picor. J’y croisais Sainsily, qui au cours d’une conversation, m’enseignait sans le savoir le génie des couleurs, des formes. Il devient une inspiration comme l’a été pour moi Lucien Léogane, mon professeur de technologie au Collège. Durant cette période étrange, j’ai la chance de participer aux équipes du Festival du film Noir tout couleur avec Lydia René-Corail, j’apprends. J’intègre l’équipe constitutive du Festival Créole Blues sur deux saisons, qui deviendra par la suite Terre de Blues, j’apprends aux côtés de Pierre-Edouard Decimus, Eddy Compère. Je m’intéresse au théâtre, donc c’est naturellement que je dis oui à Poetika, que l’on retrouve au restaurant la Fougère en représentation d’un répertoire revisité des œuvres de Rupaire, Vélo, Césaire, Damas… et la voix merveilleuse de Jacqueline Étienne. Et puis, il y aura cette pièce de théâtre «  Si batô la pa rentré  » qui va allumer la mèche et m’interpeller sérieusement au fil des années. Le salariat, je m’y plie, j’ai fait un tour à RFO. Tombée en carence, je m’entends dire à un directeur, si vous ne m’appelez pas pour un travail en tenant compte de mes compétences ce n’est pas la peine d’appeler. Ce jour-là, j’étais à Pôle emploi, cadre où je validais mon départ pour un semestre de formation au CFPJ en tant que journaliste presse magazine. Encore une fois, je partais, avec la ferme intention de revenir en tant que journaliste, spécialisée dans la culture… GloaSanvé, woulé lespwa. Entrepreneure, je le suis devenue en développant le projet de micro-filière cuir intégré, au sein de ma première structure Figures Rp, créée en novembre 2004. Ce n’était pas une envie, mais une nécessité. J’y exerçais en tant que consultant en relations publiques et presse, et assurais la gestion de projets culturels et sportifs tels que le Tour de Guadeloupe en Canot à Voile traditionnel. Le tour 2007 est un véritable succès. Une telle envolée suscite les convoitises, si je m’engage sur les tours suivants, mes énergies sont déjà ailleurs sur l’optimisation de mes compétences ; afin de mener à bien ce projet de plateforme d’information entre les femmes de la Caraïbe avec ses événements, sa boutique en ligne fournie d’objets, de produits que je ne trouve pas. Ce que je trouve est clivant, manque de finitions pour intéresser la clientèle que je vise. Je m’interroge sur cela, c’est un vrai sujet que pose le constat des limites et des freins à la création, la question de la disponibilité des matières premières, de l’atrophie des infrastructures de production, de la formation des artisans. Dix ans après la création de Figures Rp, et à l’appui des études de faisabilité dont les préconisations suggèrent de travailler le marché, en amont de toute implantation d’ateliers, pour faciliter l’émergence d’une demande locale forte, je fonde Tanal Caraïbes qui prend la suite en ce qui concerne l’exploitation de la marque GloaSanvé . En allant signer le prêt participatif, le directeur de l’organisme me dit avec beaucoup de sérieux : « vous souffrez de plusieurs handicaps : vous êtes une femme, vous êtes noire et vous ne vous appelez pas untel ». Nous fonctionnons comme un bureau de style et concevons des collections : chaussures, maroquinerie et accessoires avec des matériaux élaborés et des couleurs chaudes, coordonnons le travail à façon et la vente. Ainsi, pouvons-nous travailler à la fois sur une clientèle locale et internationale. À l’appui d’une solide stratégie en marketing de contenu, de relations publiques et presse, en participant à des événements aux côtés de designers reconnus de la place et nos ventes privées, nous avons pu constituer notre communauté d’abonnées/clientes. La marque GloaSanvé est une offre de choix, se positionnant sur le haut de gamme pour des femmes cherchant à vivre et exprimer leur être. On part d’un objet commun et d’une technique ancestrale : le travail de la peau en cuir, pour en faire un produit qui casse les codes. Prenons l’exemple de la marque Versace qui représente un art de vivre : quand les personnes sont conquises par une marque, elles adoptent le style de vie qu’elles véhiculent. Porter du Vuitton donne une belle assurance à une femme, en ce que cette marque incarne l’élégance à la française. Aujourd’hui, une femme se sent aussi à l’aise avec son accessoire GloaSanvé, parce qu’elle valide et valorise l’art d’être, un style de vie et d’attitude combative et apaisée face au défi de la vie. Il faut penser la marque comme un tout, comme un produit qui traduit l’art de vivre créole. Ce que nous magnifions avec notre motif all over Woulé Lespwa dont le dessin est une allégorie d’une horloge du temps créole : ce temps suspendu où la lune fait face au soleil et permet tous les rêves possibles. C’est ce temps suspendu que nous offrons à nos visiteurs qui viennent chez nous se détendre. C’est aussi dans ce temps suspendu que nous franchissions des étapes de vie. Le piment servant de rite de passage à l’âge adulte des jeunes Amérindiens, le tambour-ka guadeloupéen instrument musical hérité de nos ancêtres qui ont su s’unir et inventer à travers lui ce langage commun. L’œil profane dira qu’il correspond à des moments de vie dans les plantations. Pour les initiés hautement spirituels, il incarne la résistance et accompagne l’élévation de nos pensées. Le colibri fait sa part, essaime, et toujours l’homme présent dans la diversité qui fait sa force. GloaSanvé s’identifie et interprète, faune, flore, culture, patrimoine les déclinant : talon madras grand-joie, demi-deuil, tige balisier, finition en feuilleté de cuir pour un effet doré original, Woulé Lespwa en doublure et imprimé pour la maroquinerie et les carrés de soie. Avant de pouvoir produire cette collection commercialisée aujourd’hui, j’ai dû abandonner la fabrication de deux précollections. Mes proches, ma famille, une poignée d’ami.es m’ont soutenu, surtout dans la phase des études de faisabilité. Mon activité était lisible et ne sortait pas du cadre même si la démarche en matière d’économie circulaire et la stratégie de marque avaient un fort caractère innovant. Ensuite, cela se complique tant il manque des fonds – à la fois pour produire et communiquer correctement. Plus j’avançais, plus je me rendais compte que si mes idées faisaient leur chemin, des décideurs restés scotchés à l’un des scénarios du projet initial m’empêchaient d’en dérouler sereinement les autres aspects. La question du développement endogène me préoccupe et me passionne et c’est sur les industries créatives que j’allais désormais opérer. Faire avec ce que l’on a et transformer ce quotidien vite jugé sans lendemain alors qu’il faut dessiner de nouvelles perspectives, tendre vers le plus abouti possible – en l’espèce à partir d’un déchet ; faire œuvre d’originalité et de pertinence, donner corps et une raison d’être aux industries créatives qui ont leur part à jouer en transversalité avec d’autres secteurs : la culture, le tourisme, l’artisanat. Innover tant dans nos perceptions que dans nos pratiques, être promoteur de ce monde nouveau. J’ai eu aussi des soutiens affirmés en dehors de mon cercle familial ; en cela, je suis extrêmement reconnaissante, et surtout : je n’oublie pas. Avant de pouvoir produire cette collection commercialisée aujourd’hui, j’ai dû abandonner la fabrication de deux précollections. Celle de 2014 et celle de 2016. Deux raisons à cela : d’une part, l’option de vendre en ligne des modèles sur des photos pas disponibles immédiatement à l’achat, ne marche pas vraiment et de l’autre les fonds du prêt participatif pour lesquels je me suis vue rendre l’âme arrivent avec beaucoup de retard. L’atelier à façon a profité de cette faille pour casser le contrat et produire nos modèles pour son compte alors que nous les avions conçu. Je m’étais investie dans le façonnage, payé la phase de prototype, préfinancé le matériel pour la pose du talon cubain ; l’atelier étant équipé pour les Louis XIV. Toutefois, j’en ai tiré une formation exemplaire, tant sur la fabrication du produit que sur ma capacité à pouvoir m’investir dans ce domaine. Le made in Guadeloupe oui et le « Think » in Guadeloupe d’où vient et se greffe la valeur ajoutée. Car ce qui distingue les industries créatives, c’est la propriété intellectuelle et les attributs qui y sont attachés validant l’organisation de la pensée et sa matérialisation dans un objet sensé. C’est là que vient la richesse de ce secteur. Mon ambition, en tout cas ma volonté, était de démontrer qu’il était tout à fait possible de croire et mettre en œuvre l’initiative de départ, qu’à défaut d’une usine intégrée que toute la postproduction pouvait être implantée ici de la créa jusqu’à l’atelier de prototypes et opérer les ventes en ligne, que les modèles et l’esprit de la marque prônant l’affirmation de l’être pouvaient conquérir sa clientèle en construisant et en s’appuyant sur un marché intérieur – une demande locale de plus en plus forte. Plus encore en utilisant le numérique pour parvenir à diffuser et désenclaver la marque. Avec GloaSanvé, la mise en œuvre de ses process, la valorisation de notre culture avec ce motif allover, nous fait entrer dans une autre dimension, de conception, de finition, d’aboutissement. Nos ventes et la demande de nouvelles collections valident notre modèle économique, modèle que nous améliorons et qui participe au changement de regard sur nous-mêmes ; ajoutant aux grands axes de développement économique, les activités et industries relevant des ICC. Pour imposer la marque, nous avons dû l’habiter, afin de ne pas être une pâle copie d’autres marques. GloaSanvé est une marque, donc nous évoluons dans un espace très particulier à cheval entre le design, l’artisanat et l’industrie, le bien de consommation courant et le produit culturel. Oui, la demande d’être, d’exister, de faire résonner ce son spécial qui est le nôtre est bel et bien présent et nos clientes l’affirment, le confirment en achetant et en portant nos modèles, chaussures, sacs, soieries. Ma première difficulté et qui l’est encore aujourd’hui, c’est d’être et de rester crédible. Il y a différents publics, mais globalement ce fut « hard » levé de boucliers dans certains milieux, moquerie, rejet…, mais je savais pourquoi, donc il fallait juste faire le job, continuer d’apprécier chacun pour ce qu’il veut bien être et attendre. Pour financer la création de l’entreprise, j’ai cumulé les emplois et apporté les fonds initiaux de ma poche. Dans la même année, une amie, chère à mon cœur, m’a accordé un prêt. Ensuite, j’ai obtenu l’intervention du Firg sous forme de prêts participatifs, et enfin un accompagnement de Feedelios. Ce qui nous manque pour créer une véritable économie guadeloupéenne ? Un marché local proactif, «  coloniser » sans état d’âme des niches inexploitées, avoir confiance et cultiver une grande ouverture d’esprit. Je ne peux le nier, j’ai eu peur de me lancer dans une telle aventure d'autant plus que mes fonds propres sont faibles, et que si je bénéficiais de prêts, il pèse sur moi des contraintes énormes. J’avais déjà une formation initiale qui s’est développée par la pratique, avérée insuffisante pour affronter tout cela. Je me suis adaptée sortant de ma zone de confort m’appuyant aujourd’hui sur un cabinet-conseil. Mieux entourée, je me prépare à parfaire mes connaissances et compétences également. Christelle, est ma collaboratrice, très polyvalente, elle intervient sur le site — back-office, coanime la communication digitale, et assure l’infographie. En soutien, nous avons ponctuellement des collaborateurs extérieurs qui interviennent sur la maintenance des sites, les fiches de style, la coordination avec les ateliers quand je ne peux pas m’y rendre moi-même. Et je fais tout le reste… Mental d’entrepreneure et plafond de verre. En ce qui concerne l’entrepreneuriat, en Guadeloupe, je dirais rude et formateur. La fonction publique ne m’a jamais attiré. Je conseillerai d’être avant tout, quel que soit le domaine, des intrapreneurs. Après, les opportunités sont multiples. En Guadeloupe, on sait travailler ensemble, il faut juste s’y mettre au bon moment et comprendre pour accepter et surmonter, si cela en vaut la peine, les interactions difficiles. Il faut laisser le temps apporter les réponses et nous ramener ou nous amener vers les ressources adéquates, humaines ou autres. Ce qui nous manque pour créer une véritable économie guadeloupéenne ? Un marché local proactif, « coloniser » sans état d’âme des niches inexploitées, avoir confiance et cultiver une grande ouverture d’esprit. Les chefs d’entreprise ont des profils très divers. Si nous sortons de la caricature de l’image du politique, je dirai que bon nombre sont à l’écoute et essayent d’apporter de vraies solutions. Quand cela coince, il faut être très lucide sur le couple politique/administratif. Ce que j’ai cru comprendre, c’est que nos projets doivent servir une plus grande cause que nous-mêmes pour que les fonds publics rencontrent des volontés privées. À nous d’apporter la preuve qu’ils peuvent parier sur nous : là aussi est le piège pour un entrepreneur comme pour le politique. Je n’ai pas de solutions préétablies, j’ai juste compris qu’il fallait demeurer bienveillant, travailler sans relâche, c’est-à-dire chercher et mettre à l’épreuve. Ne rien imposer, mais démontrer et s’inscrire dans ce territoire, l’envisager telles une enclave créative et une rampe de lancement. Ma force, mon courage me viennent de mon vécu relié aux vies et exemples de résistance et de résilience de ceux et celles qui m’ont précédé. En allant signer le prêt participatif, le directeur de l’organisme me dit avec beaucoup de sérieux : «  vous souffrez de plusieurs handicaps : vous êtes une femme, vous êtes noire et vous ne vous appelez pas untel  ». J’ai quand même signé, la boule au ventre avec l’étrange sensation de la présence inéluctable de cette épée de Damoclès tout près de mon cou même pas au-dessus de ma tête. Ceci n’est pas un exemple isolé, car plus d’une fois, on m’a fait comprendre qu’être femme était un handicap. Pour avancer dans le monde de l’entrepreneuriat, j’ai étouffé ma féminité pour attirer l’attention sur mon propos plutôt que le désir charnel. La femme potomitan est une réalité. Je n’en ai pas les qualités. Il faut des références à toute civilisation ou plus humblement dans toutes les sociétés qui se structurent. La sous-représentation des femmes dans l’entrepreneuriat est cohérente – je n’ai pas dit normale – avec le monde taillé pour et par les hommes. Cela change, ça bouge, c’est ce que je relève et pour moi c’est le plus important. Rien ne meurt vraiment, surtout pas les luttes menées pour l’égalité, la justice, la liberté. Le féminisme se transforme, évolue et progresse. Non, il n’est pas mort, il se fait « intersectionnel ». Pour moi, il s’agit toujours d’affirmer cette humanité ; humanité qui a des droits et qui connaît dès le berceau toutes ses obligations. En devenant entrepreneur, souvent, j’ai l’impression que mon ADN a changé. Je suis devenue une personne qui ne se réduit pas aux km2 de son territoire ce qui ouvre mon imagination et me permet d’user de toutes mes potentialités ; je dirai à chaque étape, à chaque pas franchi, je suis une autre version de moi-même. Physiquement, parfois pas la meilleure, mais mentalement, psychologiquement, intellectuellement plus solide. S’il me faut parler de sacrifices faits pour le bien de la structure, je dirais que c’est douloureux, cela impacte différents niveaux, et c’est très personnel. Ma force, mon courage me viennent de mon vécu relié aux vies et exemples de résistance et de résilience de ceux et celles qui m’ont précédé. Et j’ai attrapé la foi dès ma conception, je crois. Partant du postulat que rien n’est acquis, la réussite se construit pas à pas, échec après victoire à demi, au rythme d’un marathonien. La peur de l’échec est légitime, l’impératif est de la gérer. Je n’ai pas de hiérarchie à ce sujet, un échec est un échec, pour en apprendre vaut mieux en saisir le pourquoi et le comment pour ne pas les répéter. Je douterai jusqu’à mon dernier souffle en m’assurant de limiter la casse autour de moi. Mais ce dont je suis le plus fière, c’est d’avoir réussi à vendre – sans moyens autres que ma détermination – et convaincre des partenaires d’investir dans GloaSanvé. Vivons heureux, vivons cachés ? Cela exprime les peurs et les craintes de l’autre à qui l'on attribue nous-mêmes une forte capacité de nuisance et le pouvoir de changer le cours de nos vies. Je suis plutôt discrète et autour de moi, les sélections s’opèrent naturellement. Je n’impose pas. Si je suis quelque part, c’est qu’on m’y a invité et cela vaut également dans l’autre sens. Concernant le développement de GloaSanvé, je passe, je préfère garder cela encore secret. Un conseil pour celui ou celle qui souhaite devenir entrepreneur ? Posez-vous la question du pourquoi, assurez-vous à chaque étape d’être bien compris de votre entourage, et allez-y sans vous prendre la tête même si vous faites et devez faire les choses avec sérieux. Le génie guadeloupéen ? Il est un disruptif : il déjoue les déterminismes en mettant en œuvre tous les outils du marroneur, l’esprit kaskod ! Il s’adapte, réinvente la méthode et joue ses harmonies en tenant compte des autres sons existants, sans vouloir les étouffer, mais se faisant entendre, comprendre, avec douceur se faisant tel un magicien, il manifeste.

Ludmilla Lurel | Punch Mabi

Ludmilla Lurel | Punch Mabi

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Frappées de génie, elles ont su imposer leurs savoirs et savoir-faire au-delà de nos terres, par un produit d'exception, dans «  un milieu exclusivement dirigé par des générations d’hommes  ». Cofondatrice des punchs Mabi, Ludmilla Lurel se dit «  exigeante avec elle-même  ». C’est-à-dire ambitieuse, perfectionniste. Une entrepreneure au sens très affûté, à la présence mi-discrète, mi-fatale, qui sait ce qu’elle veut. Histoire d’une success-story familiale… Entre perception et besoin de réalisation. Je suis issue d’une famille où les femmes sont très indépendantes. Et mes parents ayant divorcé, à la maison, il n’y avait que ma mère pour unique référence. Nous étions trois, trois femmes : ma sœur et moi, avec comme pilier notre mère. Une femme, ô combien courageuse, dynamique, cultivée…, qui aussi très tôt nous a appris à nous défaire de nos limites, nous répétant sans cesse que nous devions pouvoir tout faire ! En somme, ne jamais dépendre de quiconque. Elle nous a aussi inculqué le sens des responsabilités, vis-à-vis de la famille et de la société. Un ensemble qui aujourd’hui a façonné la femme que je suis, bien que ma vision de la femme depuis ait fortement mué. À l’époque, j’aimais recevoir et passais beaucoup de temps à cuisiner, notamment pour mes cousins qui adoraient tester mes nouvelles créations. Le dessin était un autre hobby, quand je m’isolais au bord de la rivière. J’étais une enfant déterminée, quand je voulais quelque chose, je me donnais les moyens de l’obtenir. Cependant, j’ai conscience d’avoir été une enfant sensible qui avait l’impression de devoir toujours donner le meilleur d’elle, pour satisfaire ses parents. Surtout ma mère qui a toujours été très exigeante. Ce qui explique, la raison pour laquelle j’ai grandi avec la volonté de réaliser de grands projets et d’aller toujours plus loin. Une fois que l’on accepte de sortir de sa zone de confort, je pense qu’on ne craint plus l’échec, on pense autrement, on pense challenge et réussite. Le choix de mes études d’architecture a été influencé par ma situation familiale. La maison est pour moi, le symbole de l’unification, de la famille et du partage. L’un des souvenirs d’enfance qui m’a marqué et sûrement conduit vers ce choix, ce sont les « coups de main » organisés lorsque mes parents construisaient notre maison. Ces moments conviviaux et de partage, cette chaleur, la famille…, je voulais les revivre et les offrir. Je suis donc partie en Métropole suivre un cursus en architecture. Et malgré les difficultés rencontrées, il était impensable pour ma mère que je n’aille pas au bout de mes études. Je le devais à ma mère et aux sacrifices qu’elle avait pu faire pour me permettre d’étudier dans les meilleures conditions. Enfin diplômée, je suis rentrée en Guadeloupe et dès août 2006, j’ai commencé à travailler en free-lance pour une agence d’architecture. Je m’occupais entre autres de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre. Les week-ends et jours fériés, dès que mon emploi du temps le permettait, je rejoignais l’équipe Mabi. Puis les rivalités au sein de l’agence ont commencé à se faire ressentir. J’ai été confrontée à un harcèlement quotidien. Mais c’est un incident, de l’ordre de l’agression physique, qui m’a amené à ne plus revenir sur mon lieu de travail. La façon dont mes collaborateurs ont géré le problème a été lamentable et cela m’a mis face à la réalité des femmes dans le milieu professionnel, plus particulièrement dans un milieu à dominante masculine. J’ai quitté l’agence en 2009 et après quelques mois à envoyer des CV, j’ai décidé de créer La Bulle Verte Architecture, en octobre 2010. J’avais ce besoin de me prouver que je pouvais y arriver seule. En créant Punch Mabi, nous n’avions pas pensé que nous n’exercerions pas les métiers pour lesquels nous avions étudié. J’avais fait des études d’architecture et je voulais m’accomplir en tant qu’architecte, laisser mon empreinte. La bulle verte était censée proposer un concept de maison d’architecte en kit avec une architecture écologique et un projet intégrant également l’aménagement paysager du terrain. Le manque de financement s’est vite fait ressentir, m’empêchant d’aller jusqu’au bout de mon concept. Puis j’ai eu une tout autre clientèle que ce que j’espérais, je me suis retrouvée à construire des lotissements de 9 à 50 maisons… Les budgets ne permettaient pas de faire des projets écologiques. Nous étions plus sur du profit. J’ai aussi réalisé des bâtiments industriels, tels qu’une usine de transformation de sous-produits animaux. Mais en 2016, la naissance de ma fille a complètement bouleversé ma perception de la vie. J’ai ressenti un grand besoin de stabilité, mais je savais que j’avais aussi besoin de continuer à relever de grands défis. Il m’a semblé là que c’était le moment propice pour m’investir totalement dans l’entreprise familiale afin de mettre tout mon potentiel au service du développement des punchs Mabi. J’ai donc fait le choix en juin 2017 de travailler à plein temps au sein des punchs Mabi. Punch Mabi, une aventure familiale. C’est au cours des grandes vacances de 2003, lors d’un repas familial, que l’histoire des punchs Mabi a trouvé son port de naissance. Ma mère nous fit part de son envie d’offrir un cadeau à des personnes qui l’avaient soigné et accompagné durant plusieurs mois en Métropole. Elle cherchait un beau produit, représentatif de la Guadeloupe, mais disait ne rien trouver à son goût. Elle trouvait insupportable que nous n’ayons rien de ce genre à offrir. Et quelques jours après, elle nous réunissait pour nous dire : «  Et pourquoi, ne pourrions-nous pas créer ce produit ?  ». Elle voulait rester dans la tradition. De ce fait, nous avons opté pour un produit traditionnel, un produit fini, prêt à être consommé, représentatif de notre pays, de notre culture et de notre savoir-faire. Ainsi est né le Punch Mabi. Un punch traditionnel dans un emballage haut de gamme. On ne s’arrête jamais de penser entreprise. On se teste, on sort de notre zone de confort, on cherche à exceller. Nous étions très enthousiastes. De surcroît, ma sœur et moi étions encore étudiantes, et cela dans des domaines bien différents de la transformation agroalimentaire. Tout s’est enchaîné assez rapidement et sans trop se poser de questions. Il fallait que l’on voie le résultat, que l’on sorte un produit à l’image de ce que nous avions imaginé. Nous avons parcouru plusieurs salons afin de nous imprégner du milieu et donner une orientation plus définie à notre projet : recherche du packaging, analyse du marché, du process… Nous avons acheté des bouteilles de décoration et avons testé des fruits, des recettes… En parallèle, nous avions commencé les formalités de création de l’entreprise et de douane. Nos produits sont sortis un an plus tard, le temps de la conception et de la macération. Nous avons tout appris sur le tas. La SARL Mabi à travers ses punchs valorise les fruits de notre terroir, et c’est cet aspect qui nous a particulièrement plu. Nous souhaitons valoriser le savoir-faire traditionnel de la Guadeloupe afin qu’il soit reconnu dans le monde et y apporter une touche moderne, haut de gamme. Nous retravaillons des fruits connus, mais aussi oubliés de la Guadeloupe. Nos terres sont riches de trésors qui méritent d’être exploités et présentés au monde entier. Vous imaginez demain une sauce aux raisins de mer servie dans un restaurant étoilé ? Ou un coulis de mombin sur une pâtisserie ? Si nous ne valorisons pas toute la diversité des produits du territoire, d’autres le feront à notre place. Nous proposons un produit haut de gamme, issue d’une entreprise exclusivement dirigée par des femmes, alors que le milieu de l’excellence du rhum est exclusivement dirigé par des générations d’hommes blancs. Au début, nous faisions avec les emplois du temps des uns et des autres, ajoutez à cela la situation géographique éloignée, notamment durant mes études. La famille nous a beaucoup soutenu. On organisait de grands « coups de main » pour les premières productions. Aujourd’hui, nous sommes trois à travailler à plein temps. Je m’occupe des salons en Europe et à l’étranger, du digitale, de la communication et de l’administration. Bien qu’il y ait la volonté de transmission, je préfère que ma mère garde la main sur la partie commerciale de l’entreprise, c’est-à-dire la négociation des contrats. Je continue d’observer et d’apprendre sur ce domaine. Le projet a été financé en grande partie avec nos fonds propres. Ma mère a beaucoup investi dans l’entreprise. Et tout ce que l’entreprise générait comme bénéfice était réinvesti pour le développement. J’ai moi-même investi dans l’entreprise quand je le pouvais. Il en va de même pour ma sœur. Punch Mabi est un projet innovant. Nous avons été les premiers à proposer un punch aux fruits dans une bouteille design avec des fruits intégrés et visibles, mais aussi comestibles. Nous travaillons un produit pur, sans y ajouter de l’eau ou du sirop et laissons macérer nos punchs avant d’être commercialisés. Nous proposons un alcool à 34° alors que la plupart sont à 21°. Nous proposons 20 parfums de punch. Nous utilisons tous les fruits de notre verger : mangues, abricots, caramboles, gingembres, cocos… Pour certains, nous sillonnons la Guadeloupe à la recherche de fruits sauvages et travaillons avec des agriculteurs. Le packaging de nos produits est innovant, nous continuons à proposer des bouteilles uniques à nos clients. Nous avons fait des émules et subissons une forte concurrence. Vous verrez que depuis peu, la plupart des punchs ont des fruits dans leur bouteille et certains vont jusqu’à proposer des packagings identiques aux nôtres. Les punchs Mabi suscitent de l’intérêt à travers le monde. Nous avons pu nous en rendre compte lors des salons que nous avons faits aux États-Unis, au Canada, au Japon… Malheureusement, la distribution à l’échelle mondiale s’avère être une problématique que nous n’avons pas encore réussi à résoudre. Nous avons conscience que nous mettons les pieds sur un terrain qui a priori pourrait être hostile à notre égard. Nous proposons un produit haut de gamme, issue d’une entreprise exclusivement dirigée par des femmes, alors que le milieu de l’excellence du rhum est exclusivement dirigé par des générations d’hommes blancs. Mais nous restons confiantes en nos capacités à innover. Ses premiers pas Là tout de suite, ce qui me revient en tête, c’est la place de l’administratif. Personne ne vous prépare à cela, surtout pas l’école. J’étais stupéfaite de voir tout ce qu’il fallait faire pour être à jour, tout ce que nous devions payer et toutes les formalités qui étaient à réaliser. Forcément, on change. On doit se décupler, devenir polyvalent : secrétaire, comptable, producteur, manufacturier, etc. On est en constante veille, anticipant et pensant au « next step ». On ne s’arrête jamais de penser entreprise. On se teste, on sort de notre zone de confort, on cherche à exceller. Dans l’entrepreneuriat, il n’y a que l’excellence qui mène à la réussite. Nous avons fait de nombreux salons en métropole et en Guadeloupe afin de nous faire connaître. En France, le punch tel que nous le faisions était peu connu. En revanche, en Guadeloupe, les gens, même s’ils étaient attirés par le packaging, avaient tendance à ne pas trop vouloir goûter prétextant qu’ils avaient la même chose chez eux. Comme nous travaillons avec de nombreux fruits, nous les interpellions sur les différentes saveurs. Dans l’ensemble, le public a bien accueilli la marque et le concept. Le premier jury de nos produits, c’est la famille. Nous les testons en famille, s’ils plaisent aux proches nous les lançons. Avec nos vingt saveurs, il y en a pour tous les goûts, du plus sucré au plus sec. Nous écoutons tous les commentaires de nos clients. Nous avons eu de nombreux prix au concours international agricole, dont une médaille d’or. Nous avons été amenés à changer notre packaging, mais pas notre recette, car nous voulions que notre produit se distingue des autres. Nous n’avons jamais prétendu vouloir plaire à tout le monde. Notre punch est fort et plaît aux amateurs d’alcool fort. Les mentalités ont changé, les goûts aussi. Aujourd’hui, on nous fait moins remarquer que le produit est fort en alcool. Le rhum a plus de notoriété qu’en 2004 quand nous avons lancé le projet et cela a donné encore plus de potentiel à nos punchs. L’analyse que nous avions faite avant de créer les punchs Mabi était judicieuse. Nous sommes connus pour la belle bouteille et le produit authentique. C’est un cadeau que les gens prennent plaisir à offrir. Nous avons des gens qui nous écrivent des quatre coins du globe. Les premières difficultés que nous avons rencontrées concernent la fabrication des bouteilles et des bouchons. Pour de petites quantités avec une spécificité particulière : un goulot plus large pour recevoir les fruits à noyau entiers, le coût que cela représentait était relativement conséquent pour notre jeune structure. La deuxième, et non des moindres, c’est la douane : comment leur expliquer que dans une bouteille de 70 cl avec des fruits et du sucre, il ne peut y avoir 70 cl d’alcool pur ? Et que dire des taxes de douane pour l’export ? Le plus gros sacrifice que nous ayons fait réside dans l’engagement premier à savoir devenir entrepreneur/artisan. Pour une structure comme la nôtre, il n’y a pas d’heures ou de jours qui ne peuvent pas être utilisés pour le travail, si cela s’avère nécessaire. Quand il faut travailler, on retrousse les manches et on le fait. Mabi m’a apporté de nombreuses opportunités. J’ai rencontré des personnes formidables, inspirantes. J’ai pu par le biais de la région Guadeloupe et Business France aller aux États-Unis, participer à différents salons, représenter la Guadeloupe et faire connaître notre savoir-faire. Nous avons eu de nombreux prix au concours international agricole, dont une médaille d’or. Pour les plus récents : médaille d’or et d’argent au concours international de Lyon et une médaille d’argent au concours mondiale Spirit Sélection de Bruxelles. Cette année, j’ai été invitée à participer à un colloque au Sénat en qualité d’intervenante, sur l’une des tables rondes ayant pour thème «  Les parcours audacieux et innovants  ». J’ai côtoyé ministres, quêteurs, sénateurs et des femmes entrepreneures captivantes. Mabi me donne la possibilité de vivre des expériences extraordinaires. Une économie guadeloupéenne. La base est déjà là pour que nous puissions créer une véritable économie guadeloupéenne. Nous avons de plus en plus d’entreprises qui se créent, mais il faudrait davantage les accompagner. Mais rien ne se fera sans réelle cohésion. Je vais vous donner quelques exemples qui pour moi font ressortir les problèmes que nous avons en Guadeloupe : l’impossibilité de vendre nos produits sur le marché français et cela malgré une demande en constante progression ; nos ventes restent aléatoires, car nos produits ne sont pas compétitifs. Notre prix de revient, étant déjà impacté par l’import de nos produits (bouteilles, bouchons, différents emballages). À l’export, nous sommes confrontés à des coûts de transport exagérés et irréguliers. Aucun transitaire ne peut vous donner une grille de prix. Nous subissons des taxes sur le punch, soit 17,51 € sur le litre d’alcool pur et 5,5 sur la Sécu, plus une TVA douanière. Il faut compter près de 10 euros de transport et taxes sur notre bouteille arrivée en Europe. À titre de comparaison, le rhum est taxé à 8,5 € par litre d’alcool pur et les punchs 17,51. Et depuis 2016, nous rencontrons des difficultés avec la douane qui essaye à chaque arrivage de marchandises de bloquer notre marchandise et de nous surtaxer. La route du rhum. Voilà trois éditions que la Martinique fait parler d’elle au départ de la route du rhum à Saint-Malo. Comment se fait-il que nous n’ayons pas de label d’appellation de rhum en Guadeloupe ? Nous serions bien plus forts si nous travaillons ensemble. Voici six ans que nous faisons des coffrets de fête de fin d’année pour les entreprises. Je suis encore sidérée de voir que certaines entreprises continuent d’offrir que du champagne, du foie gras, etc. Nous avons de quoi faire ici. C’est une prise de conscience qui semble difficile à avoir. Si nous n’y arrivons pas chez nous, nous n’y arriverons pas à l’extérieur. Entrepreneure next door ? Je suis bien loin de l’idéal familial que j’avais pu imaginer, petite fille. Aujourd’hui, j’essaye de me laisser du temps afin que je puisse m’épanouir tant dans ma vie privée que professionnelle, car il est essentiel d’allier les deux. Mais ma priorité reste ma famille. Être présente pour ma fille à chaque étape de sa vie. Pour l’instant, j’y arrive. Je sais m’arrêter quand cela est nécessaire. Je m’arrange toujours pour dégager du temps pour passer des instants en famille malgré mon emploi du temps très chargé. J’ai la chance de pouvoir me faire aider par la famille et d’avoir une pépite très autonome. L’intérêt porté à notre produit à son histoire et ses créateurs me montre que j’ai trouvé une place dans la société, dans ma société, dans ma région et mon pays. Ma vision de la réussite, c’est de s’accomplir pleinement en tant qu’individu dans son projet professionnel. D’avoir un métier qui nous plaît et d’être reconnu et valorisé par le public. C’est d’avoir l’ambition nécessaire pour aller au bout de ses rêves et d’en vivre confortablement. C’est d’avoir un projet qui est assez stable et rayonnant pour nous permettre de nous surpasser, de sortir de notre zone de confort, pour nous réaliser personnellement et pouvoir donner vie à d’autres rêves, d’autres projets. J’ai passé une année riche de partage. J’ai été sollicitée dans différents cadres pour parler de mon travail, de mon parcours. J’en suis très honorée. Les P unchs Mabi sont de plus en plus reconnus comme un produit d’exception. L’intérêt porté à notre produit, à son histoire et ses créateurs me montre que j’ai trouvé une place dans la société, dans ma société, dans ma région et mon pays. Mais je suis bien loin de mes objectifs et de l’idée que j’ai de la réussite. Cependant, je suis sur la bonne voie. Il y a quelques années, je me demandais comment j’allais faire face aux difficultés rencontrées dans ma vie, si j’allais pouvoir me relever et me réorienter. L’échec est formateur, l’échec est gratifiant. Je suis sortie plus forte, plus avertie, plus déterminée. Une fois que l’on accepte de sortir de sa zone de confort, je pense qu’on ne craint plus l’échec, on pense autrement, on pense challenge et réussite. Aujourd'hui, je fais encore des erreurs, mais c’est un passage obligatoire de l’apprentissage pour atteindre la perfection. De chaque erreur, je tire une leçon. Je mûris et je continue ma métamorphose. Je ne suis pas du tout adepte du dicton : «  Vivons heureux, vivons cachés  ». Je vis pleinement ma vie. Je travaille fort et je mérite de m’exposer au soleil, si je le désire. Aujourd’hui, je sais exactement où je vais, ce que je veux et même si le chemin emprunté n’est pas le plus facile, je m’y rends d’un pas décidé. Je suis devenue une autre femme et je suis en constante évolution ; je m’épanouis et me forge. Mabi est arrivé à un stade où nous devons passer à la vitesse supérieure. Nous avons un beau projet à venir, une nouvelle gamme qui toucherait un public plus large. Lorsqu’une femme arrive à gérer son foyer tout en ayant une activité professionnelle, nous disons souvent : « deux journées en une ». De cet état, il n’y a, selon moi, plus qu’un pas pour qu’elle devienne chef d’entreprise. Malheureusement, la société comme elle est faite, ne lui prête que peu d’attention ou très peu de place. Elle doit selon les mœurs rester femme, être épouse, mère et intendante. Je comprends parfaitement ces femmes qui rebutent face à l’envie d’entreprendre, car cela suppose de porter et de pouvoir assumer toutes ces casquettes. Elles sont souvent les sacrifiées pour le bonheur de la famille et de la société. Cependant, ces dernières années, les choses tendent à changer. Et aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à se jeter à l’eau, prêtes à porter toutes ces casquettes. Ce qui probablement nous donne une hargne encore plus importante que celle des hommes pour atteindre nos objectifs de réussite. Le génie guadeloupéen ! C’est pour moi, les personnes qui font rayonner la Guadeloupe, qui valorisent ses atouts, son savoir-faire et sa culture. Ceux qui vous font dire : «  Wouaw Génial !!! Je n’y avais pas pensé, mais c’est vraiment trop bien comme idée  ». Ces personnes qui représentent la Guadeloupe dans le monde entier, reconnues et appréciées chez eux. (…) c’est souvent à partir d'une passion que l’on fait naître les plus beaux projets. Mabi est arrivé à un stade où nous devons passer à la vitesse supérieure. Nous avons un beau projet à venir, une nouvelle gamme qui touchera un public plus large. Mais dans un premier temps, il nous faut sortir une unité de production pour automatiser certaines étapes de la production. Nous augmenterons ainsi le volume de production et pourrons donner naissance à notre deuxième projet. Ce projet est très gratifiant pour moi, car il me permettra de m’exprimer en tant qu’architecte et d’intégrer d’autres passions à mon projet professionnel. Si j’ai un conseil à donner à celui qui souhaite entreprendre, c’est d’entreprendre dans un projet en relation avec ce qu’il aime. Réfléchissez à ce pourquoi vous êtes doués et comment capitaliser à partir de ce don. Ainsi, vous aurez certainement un projet qui tiendra la route et la force nécessaire pour pouvoir le réaliser, car c’est souvent à partir d'une passion que l’on fait naître les plus beaux projets.

Le pouvoir féminin à l'épreuve de l'entrepreneuriat

Le pouvoir féminin à l'épreuve de l'entrepreneuriat

Par Marc Lantin Photo : Jessica Felico Elles sont des dizaines, des centaines, des milliers à avoir franchi le pas. Elles, ce sont ces femmes qui ont transcendé les stéréotypes et qui ont choisi de repenser l’équilibre délicat entre vie de famille et vie professionnelle. Ce sont ces femmes qui ont défié les inégalités, brisé le plafond de verre, ont osé entreprendre en se lançant dans une aventure parfois risquée, souvent audacieuse, mais toujours enrichissante. Non, on ne naît pas entrepreneure, malgré des qualités intrinsèques qui font bon augure. Mais on le devient ! Et c’est particulièrement vrai dans un monde où l’entrepreneuriat se conjugue essentiellement au masculin ; où les qualités valorisées chez ces dernières sont plutôt celles de la douceur, de la discrétion ou de la modération que celles de l’ambition, de l’audace ou de la compétition cultivée par la gent masculine. Ces stéréotypes – amers – sont souvent véhiculés dès l’école, par la famille et la société, invitant les femmes comme les hommes à se conformer à des rôles sociaux traditionnels et figés. Compter les femmes pour que les femmes comptent. La question est sans doute aussi vieille que l’humanité. Le pouvoir exercé par une femme, à la tête d’une entreprise, se distingue-t-il radicalement du pouvoir masculin ? Oublions un moment les changements survenus depuis la tornade #metoo. Essayons de poser la question avec lucidité, en particulier dans nos îles où le débat demeure, pour l’heure, moins vif à ce sujet que dans l’Hexagone. Quel changement observé, dans un territoire comme la Guadeloupe, de cette révolution du pouvoir au féminin ? Et quelles sont les difficultés rencontrées dans la quête entrepreneuriale des femmes ? Entre transformations et « traditions ». Les femmes guadeloupéennes en vue sur le plan entrepreneurial étaient souvent des héritières et des épouses. Ainsi, derrière chaque femme dirigeante se cachait une dynastie familiale dont elle avait, pour une raison ou une autre, pris un moment les commandes. Or, aujourd’hui, les choses tendent à évoluer. Notre paysage économique ne se décline plus au masculin. Le foisonnement de l’autoentrepreneuriat a permis à davantage de femmes d’exprimer leurs désirs de démarrer, seules ou en groupe, une activité. Ces femmes, issues de tous les milieux sociaux, ont su profiter d’une mondialisation qui leur a par ailleurs apporté les modes de consommation et les tendances en provenance du monde. Le second changement est culturel. Il ne porte pas tant sur les relations hommes-femmes dans nos îles que sur la manière dont elles sont perçues. L’idée même qu’elles soient discrètes, dépendantes d’un homme… a fini par s’étioler. (…) la femme guadeloupéenne est indéniablement investie d’un pouvoir fort, puisqu’elle est le stabilisateur, le rouage essentiel de l’économie familiale et régionale. Les nouveaux comportements sociaux ont brisé les tabous. Les divorces se sont multipliés, la révolution des rencontres 2.0 est passée par là. Le mot 'choix' est devenu la règle dans nos contrées qui vénèrent la femme « potomitan » où la diversité des destins féminins est désormais davantage acceptée. Le dernier changement est celui de la perception, qui nous ramène à la question de la beauté, de l’apparence physique, des femmes célébrées, parce que belles et mutiques. Là aussi, la fissure est devenue une fracture. Les femmes savent toujours utiliser de façon redoutable l’arme de la séduction, mais elles se sont affranchies des codes… pour en créer d’autres. De plus en plus indépendantes sur le plan financier et sur celui des mœurs, elles osent beaucoup plus et ont la volonté de gouverner, se hisser à des postes à responsabilité. Et lorsque l’on regarde le haut de la pyramide sociale, il est indéniable que, depuis le tournant du 21e siècle environ, le patronat guadeloupéen s’est féminisé. La citadelle économique serait-elle en train de vaciller ? Pas vraiment, car si l’on regarde de plus près ce groupe social influent ne représente qu’une infime partie de la population féminine globale. Avec un vivier de 216 039 femmes, seules 7 088 d’entre elles dirigent une entreprise en Guadeloupe, dont neuf sur dix exerçant dans le commerce et les services. Notons qu’il s’agit principalement de microentreprises ; plus de 6 unités sur 10 n’ont aucun salarié ; 3 sur 10 ont un effectif compris entre 1 et 10 actifs, selon une étude réalisée par la CCI des îles de Guadeloupe en 2017 sur « l’entrepreneuriat au féminin ». Même s’il est vrai que ce chiffre ne cesse d’augmenter, l’entrepreneuriat conserve malgré tout un visage masculin. On le remarque très facilement dans les médias avec une surreprésentation des hommes interviewés parmi les chefs d’entreprise. Ce sont eux que l’on montre le plus souvent pour illustrer des success-stories entrepreneuriales. Par ailleurs, les nombreuses études académiques présentant le facteur « femme » comme étant un désavantage pour entreprendre ont renforcé cette norme masculine. Enfin, la Fédération Les Premières (ex-Les Pionnières) dénonce la norme « guerrière » de l’entrepreneuriat actuel, dans laquelle de nombreuses femmes ne se reconnaissent pas. On peut souligner le vocabulaire sans équivoque utilisé dans les start-ups : stratégie, chef, offensive, former une alliance… «  Où sont les femmes ?  » ; comme si au fond, Patrick Juvet hantait toujours un peu notre époque. Pourtant, en ce qui concerne la base de la pyramide sociale, la femme guadeloupéenne est indéniablement investie d’un pouvoir fort, puisqu’elle est le stabilisateur, le rouage essentiel de l’économie familiale et régionale. © Helen Ngoc Mais où est le problème ? Le psychologue R. Perron l’avait déjà identifié en 1967 : «  l’individu tend à choisir les activités, les attitudes, les réactions, qui concordent avec l’image qu’il se fait de lui-même, avec ce qu’il attend de lui-même ; et il tend à en interpréter le déroulement et l’issue en fonction de cette image  ». En clair : l’individu privilégie naturellement l’action qui conforte l’image qu’il se fait de lui – quitte à s’autocensurer. Ainsi, la femme qui n’est pas capable de se projeter, de se rêver en tant qu’entrepreneure, peinera à franchir le cap. Certaines femmes ont la sensation de trahir quelque chose en adoptant une posture entrepreneuriale, de s’éloigner de la construction sociale « normale ». De ne pas être complètement légitime – de jouer un rôle. Et pourtant, la posture entrepreneuriale est l’atout indispensable pour convaincre, aller chercher des financements, recruter… pour permettre à son entreprise de croître, tout simplement. Ainsi, les femmes se heurtent à des difficultés pour faire évoluer leurs vies professionnelles. Et lorsqu’elles veulent entreprendre, elles se retrouvent confrontées à un univers d’hommes parfois peu désireux de leur accorder leur confiance. Entreprendre peut alors s’avérer plus difficile pour une femme, qui devra lutter contre des préjugés et peut-être s’affirmer avec davantage de force qu’un homme. La plupart des rapports s’accordent à dire que les freins à l’entrepreneuriat féminin sont principalement de 3 ordres. D’une part, la peur du risque qu’il soit financier ou lié à la crainte d’échouer (près de la moitié selon certaines enquêtes). Ensuite, il semblerait que les femmes fassent moins appel à leurs réseaux professionnels que les hommes. Last but not least , le sacro-saint « équilibre entre foyer et carrière » qui repose encore souvent sur leurs épaules. Mais d’autres facteurs sont également épinglés : l’absence de modèles, les difficultés d’accès au financement (découlant souvent de leur statut professionnel) ou encore le manque de formation spécifique. © D Roberts Les codes du financement. À propos des stratégies d’affaires des femmes entrepreneures, de nombreuses études pointent les difficultés qu’elles rencontrent en matière de financement. En général, on constate que les femmes entrepreneures recourent moins à l’emprunt que leurs homologues masculins, tant pour démarrer leur activité que pour la financer par la suite. Les données issues d’une récente enquête de l’OCDE relative aux inégalités hommes-femmes montrent que les chefs d’entreprise masculins recourent plus aux crédits bancaires que les femmes. Les résultats sont par contre plus contrastés en ce qui concerne les différences entre hommes et femmes en matière de refus de demandes de crédits. Il existe tout de même un écart qui tend à s’agrandir depuis fin 2010 en défaveur des femmes. L'une des raisons qui pourraient expliquer la différence de traitement subie par les femmes entrepreneures serait le manque d’actifs auquel les prêteurs portent de la valeur, comme l’expérience, les ressources, la trésorerie, les garanties… La difficulté de recourir à un emprunt peut également s’accentuer chez les femmes célibataires, mères divorcées ou chez les demandeuses d’emploi. Cela peut s’expliquer par le fait que les bailleurs de fonds identifient leur situation comme plus précaire que celle des hommes ou d'autres femmes. L’étude sur les freins et moteurs liés à l’entrepreneuriat féminin souligne également l’existence d’un problème sociologique qui rattache la femme à la sphère domestique plutôt qu’à la sphère professionnelle. Cela semble avoir une incidence sur la confiance accordée par les banquiers aux projets portés par des femmes. Toutefois, ce problème sociologique semble être en baisse dans notre société. La difficulté de recourir à un emprunt peut également s’accentuer chez les femmes célibataires, mères divorcées ou chez les demandeuses d’emploi. Cela peut s’expliquer par le fait que les bailleurs de fonds identifient leur situation comme plus précaire que celle des hommes ou d'autres femmes. Si les femmes ont plus de difficultés à obtenir des financements, l’enquête de l’OCDE montre tout de même que ce n’est que dans la moitié des 14 pays européens étudiés que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à voir le financement comme un problème majeur lors du lancement de leur activité. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes démarrent généralement leur activité avec un capital de départ plus faible que les hommes, et ont moins souvent besoin d’avoir recours au financement. D’un autre côté, l’accès difficile à l’emprunt peut également amener les femmes à opter pour une entreprise de moindre taille. Une chose est certaine, dans le contexte économique actuel, l’accès au crédit à des taux d’intérêt supportables est devenu un réel défi pour les entrepreneurs, sans distinction de genre. S’il n’est pas toujours possible de réduire les taux d’intérêt, diverses mesures ont tout de même été adoptées afin de faciliter l’accès au financement. C’est notamment le cas des médiateurs de crédit qui facilitent l’octroi de crédits aux PME. L’étude de l’OCDE note aussi que les mesures prises pour faciliter l’accès au crédit sont particulièrement efficaces lorsqu’elles sont accompagnées d’autres services comme des formations ou de l’accompagnement. Les services complémentaires ont notamment l’avantage de renforcer la confiance des entrepreneurs et de diminuer leur sentiment de prise de risque. Les motivations des femmes créatrices sont le plus souvent éloignées du goût du pouvoir, du souci de réussir. Malgré le discours, soutenant qu’il n’existe pas de différence entre les hommes et les femmes d’affaires en ce qui concerne leurs besoins, les tendances observées démontrent que les femmes ajoutent un nouveau visage au modèle historique de « l’homme d’affaires » et que ce mouvement a besoin d’être encouragé par des organismes privés, mais également publics pour se structurer et se renforcer. De nombreux organismes et réseaux d’entrepreneures permettent aujourd’hui de stimuler l’éclosion d’entreprises à propriété féminine et les accompagnent, les mentorent, les financent ou les introduisent. Force est de constater que la volonté d’épanouissement personnel semble plus forte que le goût d’innover. Et aussi, se sortir du chômage, rebondir afin d’échapper au « plafond de verre », articuler : vie professionnelle, familiale et sociale ; gagner en autonomie… Les motivations des femmes créatrices sont le plus souvent éloignées du goût du pouvoir, du souci de réussir. © Abbey Lossing Fort heureusement, depuis quelque temps, les femmes créent de moins en moins par défaut. Une nouvelle génération de femmes mieux formées, maîtrisant les nouvelles technologies, utilisant les financements alternatifs et le réseautage bouscule les anciens codes, les institutions (familiales, économiques, sociales). Et si chez trop de femmes le désir d’entreprendre reste au stade du fantasme parce qu’elles sont pétrifiées à l’idée de passer à l’action, la situation évolue, notamment grâce aux réseaux féminins. Bien sûr, entreprendre pour une femme (comme pour un homme d’ailleurs) est loin d’être un long fleuve tranquille, mais les réseaux sont là, sur le terrain, pour démontrer que l’entrepreneuriat est une véritable opportunité de carrière pour les femmes : une opportunité de se réaliser, de relever un défi en prenant des risques calculés. L’avenir des femmes désireuses de lancer leur boîte est de toute évidence lié au réseautage, car il permet à chacune de découvrir que créer son entreprise est une aventure non seulement réalisable, mais aussi intéressante, épanouissante et rémunératrice. Une des clés du succès est de bien s’entourer dès le départ. Enfin, les réseaux sous le signe de l’entrepreneuriat féminin permettent de mettre en lumière les nombreux dispositifs d’accompagnement au service des futures cheffes d’entreprise. Et comme il n’y a pas d’accompagnement efficace sans un diagnostic précis et objectivé, BNP Paribas a créé l’Observatoire annuel national de l’Entrepreneuriat féminin, afin de mieux mesurer chaque année le ressenti, les leviers et les freins des femmes entrepreneures. BNP Paribas peut ainsi toujours mieux les comprendre, les aider à se lancer et à grandir. Le but n’est-il pas de changer le monde ?

Dix ans après le LKP, pour un nouvel acte de régularisation économique en outremer

Dix ans après le LKP, pour un nouvel acte de régularisation économique en outremer

Par Raphaël Lapin Photo : Mothi Limbu La culture naissante de la régulation économique apparue en outre-mer depuis les événements de 2009, n’a pas conduit, en Guadeloupe, à une efficacité économique de nature à garantir le bien-être du consommateur. C’est le constat que permet de dresser une analyse rapide du contexte socio-économique du marché guadeloupéen, lequel n’a pas connu d’évolution structurelle profonde dans la décennie qui vient de s’écouler. Cependant, avant d’entrer plus dans le constat, il est important de se figurer les notions mobilisées pour caractériser l’état des structures de marché guadeloupéennes et ce vers quoi il conviendrait que celles-ci tendent. Les économistes Maya Bacache Beauvallet et Anne Perrot le rappellent, la « régulation économique » correspond à une grande variété d’interventions publiques de nature généralement sectorielle, qui iraient d’actions strictement économiques (prix, quantités) jusqu’à des règles de déontologie qui s’appliquent à une profession ou à la protection de la vie privée. Toutes ces interventions, qu’elles soient de nature économique ou non, peuvent affecter le fonctionnement des marchés. De manière plus prosaïque, la régulation économique constitue une intervention de la puissance publique (État, collectivité territoriale) dans un secteur de l’économie. Laquelle intervention peut consister, par exemple, dans l’adoption d’une loi afin de régir le jeu de l’offre et de la demande sur un marché donné. Le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé explique qu’à l’échelle de l’Union européenne, la régulation économique apparaît comme la réponse adaptée aux imperfections et à l’obsolescence d’un double modèle de rationalité : d’une part, le modèle néo-libéral de l’ homo oeconomicus agissant au sein d’un marché parfaitement concurrentiel et autorégulé et, d’autre part, le modèle néo-wébérien d’un appareil étatique ou bureaucratique hiérarchisé et regardé comme rationnel, omniscient et omnipotent. De sorte que le modèle de la régulation économique serait une façon de voguer entre deux modèles d’économie politique opposés ; une espèce d’entre-deux visant à garantir des intérêts antagonistes néanmoins réels et nécessaires. Or, les événements qui ont entouré l’émergence du LKP et dont nous avons fêté le 10e anniversaire en 2019 ont révélé que ce projet de régulation économique porté au niveau européen avait trop longtemps mis à la marge les collectivités ultramarines. Dans cet article, nous évoquerons particulièrement la régulation de nature concurrentielle, c’est-à-dire la régulation ayant un impact direct sur les conditions économiques d’exercice de l’activité dans un secteur, et motivée par le contrôle du pouvoir de marché. Cette régulation passe notamment par les règles du droit de la concurrence que l’on retrouve aussi bien au niveau européen qu’au niveau national. À ce propos, Neeli Kroes, ancienne commissaire européenne à la concurrence, proclamait que «  le droit de la concurrence ne peut pas tout faire, mais ce qu’il fait, il le fait bien  ». Les territoires d’outre-mer échappent cependant au postulat posé par Neeli Kroes. Le droit de la concurrence n’a pas pu bien faire sur les marchés ultramarins, dans la mesure où il n’y a fait l’objet que d’une mise en œuvre relative et relativement récente. (…) si l’exclusif colonial n’existe plus, on peut encore regretter un certain unilatéralisme chronique des relations commerciales avec l’ancienne métropole qui est qualifiable d’exclusif commercial et dont les buts non avoués demeurent proches de ceux évoqués pour l’exclusif colonial… L’élément transformateur de la structuration des économies ultramarines telles qu’elles existent aujourd’hui est celui du passage d’une économie coloniale à une économie capitaliste. De sorte que l’encadrement juridique de cette pâque de l’esclavage au salariat a lié le sort de l’économie outre-mer. En effet, la structure des marchés des départements d’outre-mer, et singulièrement du marché guadeloupéen, est la résultante de politiques économiques dont le caractère séculaire conduirait presque à les qualifier d’ancestrales. Au XVIIe siècle, l’économie coloniale était uniquement tournée vers la navigation et le commerce. Richelieu posait en 1626 les fondements d’une subordination mercantile à l’égard des colonies des Amériques. Un travail achevé par Colbert qui a pu affirmer en 1671 que «  les Français font à présent tout le commerce des Isles  ». Puisque les Français maîtrisaient le commerce et que le royaume de France était le maître des océans, le royaume jugea qu’il était temps de libéraliser le commerce à destination des colonies. La Compagnie des Indes occidentales a alors été dissoute et la liberté du commerce à destination des Antilles a été consacrée en 1674, plus d’un siècle avant le décret d’Allarde. Afin d’encadrer cette liberté, l’État monarchique a adopté le fameux Édit de Fontainebleau du 27 octobre 1727 consacrant l’ exclusif colonial . C’est de cet édit que nous avons hérité la structure économique de nos relations commerciales actuelles avec l’ancienne métropole. L’historien Frédéric Régent définit ce système ainsi que ses fondements à travers quatre caractéristiques : d’abord par l’interdiction faite aux colonies de vendre leurs produits à quel qu’autre pays que ce soit que leur métropole, les colonies ne peuvent pas non plus transformer les matières premières, seule la métropole approvisionne les colonies et les navires battant pavillon français peuvent seuls approvisionner les colonies. Ces caractéristiques définissent l’exclusif colonial en fonction de trois buts : apporter des débouchés aux produits métropolitains, écarter la concurrence des États étrangers et obtenir des marchandises non produites en métropole. Cette réalité deviendra plus criante à mesure que se développe l’économie sucrière dans les îles. Or, si l’exclusif colonial n’existe plus, on peut encore regretter un certain unilatéralisme chronique des relations commerciales avec l’ancienne métropole qui est qualifiable d’exclusif commercial et dont les buts non avoués demeurent proches de ceux évoqués pour l’exclusif colonial à la lecture des effets délétères de ce système sur les économies insulaires. (…) les anciennes colonies aujourd’hui DROM ont toujours été proclamées comme dominées par le marché mondial sans jamais entrer dans le jeu de la liberté du commerce, de la liberté de l’offre et de la demande… C’est ainsi que l’IEDOM retient que sur la dernière décennie, la structure des échanges extérieurs de la Guadeloupe a très peu évolué. De plus, l’Institut relève qu’en 2017, «  la France hors DOM demeure le principal fournisseur de la Guadeloupe, totalisant près de 1,6 milliard d’euros de biens importés, soit 58,7 % des importations du territoire, une part en léger repli par rapport à 2016 (-1,8 point). Les autres pays de l’Union européenne (UE) fournissent la Guadeloupe à hauteur de 328,2 millions d'euros (soit 12,1 % du total)  ». Après l’exclusif colonial, alors que la mer est sujette de la couronne, un autre acte vient sceller la structuration des économies ultramarines. Sur cette gravure de Moreau Le Jeune, de la fin du XVIIIe siècle, le Code noir est dépeint comme une avancée humaniste. C’est le «  pacte colonial  » qui lie l’élite coloniale à la métropole. Ce « pacte » dessine trois catégories de population au sein des colonies, le négociant, chargé de fournir les marchandises, d’octroyer des crédits et de fixer les prix, c’est lui le grand profiteur du régime ; il y a ensuite le colon, protégé par la mise hors pair de son patrimoine foncier. Il y a enfin les esclaves qui conformément à l’article 44 du code noir de mars 1685 sont déclarés «  être meubles et comme tels entrer dans la communauté  ». Cette distinction est perpétuée aujourd’hui entre le grossiste, transporteur le plus souvent, le détaillant, héritier dans le domaine de la grande distribution du colon et le salarié/consommateur. Puis, vint l’abolition et le passage abrupt de l’économie coloniale fondée sur l’asservissement et sur l’exclusif, à une économie capitaliste. De sorte que les anciennes colonies aujourd’hui DROM, ont toujours été proclamées comme dominées par le marché mondial sans jamais entrer dans le jeu de la liberté du commerce, de la liberté de l’offre et de la demande, sans même n’avoir jamais fait l’objet d’une politique économique véritable n’ayant ni la coloration du libéralisme ni celle du socialisme comme certains des pays voisins indépendants. La seule politique qui ait prévalu se résume en l’expression fameuse : «  à chaque jour suffit sa peine  ». La part est faite aux théories de Karl Marx sur l’opposition classique entre le capital et le travail. Le colon est le propriétaire, le laboureur, loin d’être celui de la fable de La Fontaine, est celui qu’il faudra désormais appeler affranchi. Au commencement, il était des économies marchandes fondées sur l’esclavage. Un décret et une loi plus tard, il sera substitué à ces rapports sociaux précapitalistes, le rapport de pouvoir entre les classes garantissant, tout de même, la soumission du travail au capital sans alternative possible. La domination de ce rapport étant prédéterminée par l’accumulation primitive du capital elle-même régie par le droit de l’époque. Ainsi, le décret du 27 avril 1848 dispose en son article 1er : «  l’esclavage sera aboli dans toutes les colonies et possessions françaises  » sans pour autant garantir une liberté réelle aux anciens esclaves qui étaient alors dans l’impossibilité matérielle d’entreprendre. Un an plus tard quasiment jour pour jour, la loi du 30 avril 1849 répondant à l’article 5 du décret suscité a reconnu un droit à l’indemnisation restrictif. L’article 2 de cette dernière loi constituera l’acte de naissance des cartels qui enserrent jusqu’à présent les structures économiques locales notamment dans le secteur de la grande distribution. Cet article dispose que : «  Tous les noirs affranchis donneront droit à l’indemnité  » aux anciens maîtres. Voilà posée la pierre angulaire de l’économie capitaliste de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion. En outre, l’article 7 de ladite loi impose aux bénéficiaires de l’indemnité d’en consacrer le huitième à l’établissement d’une banque coloniale de prêt et d’escomptes. Une telle initiative s’explique par la proposition d’amendement de Schoelcher : «  L’amendement que nous avons l’honneur de vous proposer  », écrit-il, «  a pour but de consacrer une partie de l’indemnité au travail colonial, à l’établissement de banques qui prêteront sur hypothèque, sur dépôt de marchandises, qui prêteront aussi sur les récoltes, et qui permettront de la sorte aux petits comme aux grands propriétaires de pouvoir toujours offrir une juste rémunération aux laboureurs  ». La part belle est faite aux théories de Karl Marx sur l’opposition classique entre le capital et le travail. Le colon est le propriétaire, le laboureur, loin d’être celui de la fable de La Fontaine, est celui qu’il faudra désormais appeler affranchi. Le droit à indemnisation, le capital des banques coloniales, l’accès au crédit d’investissement, et le fonctionnement hérité de l’exclusif colonial permettent à une minorité de se constituer une rente de situation. Une rente de situation renforcée par le caractère insulaire, fragmenté et peu peuplé de notre archipel. Ces éléments qui peuvent paraître de plus en plus lointains et de moins en moins signifiants constituent encore les bases des structures des différents marchés ultramarins. Lesquels n’ont pas fait l’objet au cours des décennies qui ont suivi, d’une politique économique très poussée. Ce qui explique la sclérose de ces marchés autour d’opérateurs monopolistiques jouissant dans certains domaines, comme dans la grande distribution, de la prime au premier installé et dans d’autres, bénéficiant en plus, de facilités essentielles, comme c’est le cas dans les domaines du carburant ou de la téléphonie. Les événements de 2009 apparaissent dès lors dans l’histoire de la Guadeloupe comme un moment de sursaut collectif qui a conduit les autorités publiques à imaginer, pour la première fois des dispositions d’une sorte de «  droit ultramarin de la concurrence  ». C’est ainsi qu’un avis rendu par l’autorité de la concurrence le 24 juin 2009 faisait un point global sur la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d’outre-mer. Dans le même esprit, le 20 novembre 2012, le Parlement français adoptait une loi dite de régulation économique outre-mer. Celle-ci venait réformer de nombreuses dispositions du code de commerce afin de « tropicaliser » le droit de la concurrence. Tout l’enjeu des dispositions contenues dans ce texte était, en effet, d’apporter une réponse mieux appropriée aux conséquences négatives sur le bien-être du consommateur des structures monopolistiques dans lesquelles sont enserrés ces marchés. On peut regretter le manque de pertinence de certaines mesures de cette loi dont on a le sentiment qu’elle avait pour objet de spécifier l’applicabilité en outre-mer de certaines règles qui y étaient d’ores et déjà applicables en vertu du principe d’assimilation législative. Cependant, on peut relever des dispositions qui constituent un réel progrès pour peu qu’elles soient effectivement mobilisées. Il en va ainsi de la réforme du pouvoir d’injonction structurelle confiée à l’autorité de la concurrence effectuée par la modification de l’alinéa 2 de l’article L. 752-26 du code de commerce. La loi instaurait les injonctions de cession d’actif qui remplaçaient les injonctions de cession de surface prévue par l'ancienne loi. L’idée serait par exemple que l’autorité de la concurrence rende une décision contraignant un grand groupe de la distribution à vendre les actifs qu’il possède dans une entreprise en raison d’actes qualifiables d’abus de position dominante notamment. (…) la lutte contre la vie chère implique une nécessaire évaluation de la mise en œuvre des dispositifs contenus dans la loi de régulation économique de 2012. Ce dispositif inquiétait certains juristes qui craignaient qu’elle provoque « une “ recomposition” administrative du fonctionnement de l’économie par une autorité, serait-elle indépendante  ». Toutefois, non seulement les conditions prévues par la loi sont particulièrement nombreuses et empêchent d’en arriver à pareilles extrémités, mais au surplus, l’autorité de la concurrence n’a pas eu recours pour l’heure à ce procédé en outre-mer. Le dispositif a d’ailleurs été soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel qui, dans une décision du 1er octobre 2013 retient que : «  les dispositions relatives aux injonctions structurelles visant soit, à corriger ou mettre fin aux accords et actes par lesquels s’est constituée une situation de puissance économique permettant des pratiques de prix ou de marges élevés en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné, soit à enjoindre les cessions d’actifs indispensables à la garantie d’une concurrence effective (…) ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre  ». La décision portait alors sur la loi de transposition en Nouvelle-Calédonie des dispositions de la loi du 20 novembre 2012. Une autre disposition de cette loi qui était particulièrement intéressante reposait sur la faculté offerte par l’article L. 462-5 du code de commerce aux régions d’outre-mer de saisir l’autorité de la concurrence de toute pratique anticoncurrentielle ou susceptible de l’être. Cela avait pour effet de responsabiliser les exécutifs locaux dans la lutte contre la vie chère. Cependant, depuis 2012, aucune saisine de l’autorité à l’initiative d’un exécutif n’a été effectuée. Dans le prolongement de la loi du 20 novembre 2012, deux décrets du 27 décembre 2013 venaient rénover le cadre de la réglementation du prix du carburant dans les cinq départements d’outre-mer. Un peu plus tard, le titre VI de la loi pour l’égalité réelle en outre-mer du 28 février 2017 venait introduire dans le droit positif français de nouvelles dispositions. Entre réglementation des prix et promotion de la concurrence, la loi sur la régulation économique outre-mer posait les fondements d’une politique ultramarine de concurrence (PUC). Tirant des conséquences de ces évolutions juridiques pour les outre-mer, l’autorité a rendu pas moins d’une vingtaine de décisions et d’avis relatifs à la situation concurrentielle en outre-mer, condamnant certaines pratiques anticoncurrentielles sur ces dix dernières années. L’autorité avait ainsi sanctionné la société Henkel et ses grossistes importateurs dans plusieurs départements d’outre-mer à hauteur de 600 000 €. En effet, ces entreprises avaient conclu des contrats d’importation exclusifs qui aboutissent mécaniquement à renchérir le prix des produits à la consommation et qui sont désormais interdits par la loi du 20 novembre 2012. Une telle décision laisse penser que le droit de la concurrence fait enfin l’objet d’une mise en œuvre effective en outre-mer et le comportement des opérateurs économiques, l’objet d’un contrôle. Cependant, la récente nomination d’un délégué interministériel à la concurrence, en la personne de monsieur Francis Amand, remet en question ce premier constat. La mission principale de ce délégué interministériel consistera à renforcer la transparence des prix en outre-mer par la lutte contre les pratiques commerciales déloyales ainsi que les ententes et les abus de position dominante comme si, finalement, les événements de 2009 et les évolutions juridiques qui s’en sont suivies avaient tout changé pour que finalement rien ne change jusqu’à présent. Le 11 avril 2019, le nouveau Délégué interministériel faisait encore une fois le constat très actuel de ce qu’« il n’y a pas une forte culture de concurrence en outre-mer ». À ce propos, il regrettait notamment le faible nombre de signalements reçus par les autorités qui nuisaient à la mise en œuvre des règles de droit. © Baylee Gramling Au-delà de ces constats sans cesse répétés, la lutte contre la vie chère implique une nécessaire évaluation de la mise en œuvre des dispositifs contenus dans la loi de régulation économique de 2012. Celle-ci pourrait passer par une demande d’avis de l’autorité de la concurrence sur la situation concurrentielle de chacun des territoires d’outre-mer et singulièrement de la Guadeloupe. À la suite de cet avis, il conviendrait de prendre un nouvel acte de régulation. Ce nouvel acte ne saurait faire l’économie de laisser une plus grande place à l’encadrement des prix considérant l’échec des dispositifs plus souples. Peut-être, une solution intermédiaire passerait-elle par une mise à disposition dans nos territoires des moyens de mise en œuvre des règles relatives à la concurrence. À ce propos, on rappellera tout de même les travaux de la direction des affaires financières, fiscales et de l’entreprise de l’OCDE qui retient, à l’issue du forum mondial sur la concurrence s’agissant des politiques de concurrence et des économies de petites tailles, qu’il appartient aux pouvoirs publics d’examiner «  si, et dans quelle mesure, la “petite” taille d’une économie exige un régime d’application de la législation sur la concurrence qui présente, sur le fond ou du point de vue institutionnel, des différences par rapport au régime en vigueur dans les économies de plus grande taille  ». Dès lors, la politique ultramarine de concurrence doit aller plus loin dans l’objectif de régulation économique et envisager, par exemple, de domicilier dans chaque département d’outre-mer une antenne de l’autorité de la concurrence. Celle-ci serait dotée d’une délégation de pouvoir de l’autorité nationale qui irait au-delà de ce que peuvent faire les DIECCTE en la matière. Elle serait ainsi capable, par exemple, de s’autosaisir, de rendre des avis, de prendre des sanctions, ou encore de recevoir des engagements. Ce nouvel acte de régulation pourrait d’ailleurs s’inscrire dans le cadre du nouvel acte de décentralisation annoncé par le Président de la République le 25 avril 2019.

Le génie noir

Le génie noir

Par Safia Enjoylife Illustration : Mathieu Delord Le passé grandiose des peuples africains a été jeté dans l’oubli et avec lui l’existence du génie noir. La volonté de dissimuler un pan de l’histoire de l’humanité est apparue afin de justifier la cruauté des envahisseurs européens envers les peuples africains. En effet, comment admettre que des êtres humains soient torturés et massacrés de façon industrielle ? Il était indispensable de persuader les consciences restées en Europe que les Africains étaient des bêtes sans capacité intellectuelle. D’une part, cette version permettait de ne pas accorder plus de valeur à la vie des Africains qu’à celle d’un poulet d’élevage qui n’a qu’une fonction utilitaire. D’autre part, elle permettait également de légitimer le fait que les Européens s’installent en Afrique et prennent possession des terres et des richesses puisque ce n’étaient pas de véritables individus qui les possédaient. L’Europe s’est docilement laissée convaincre que les Africains étaient vides d’intelligence, vierges d’histoires grandioses et qu’il était de son devoir de les civiliser et de les évangéliser. Taharqa en pieux pharaon accompagnant une procession de la barque d'Amon. © National Geographic Society Cette version déshumanisante n’était pas compatible avec les civilisations sophistiquées, structurées, savantes, riches et puissantes que les Européens ont trouvées en Afrique. Deux fragiles solutions ont donc été mises en œuvre pour préserver l’enrichissement exponentiel que représentait la main-d’œuvre et les ressources gratuites. La première consistait à détruire les preuves des connaissances africaines hautement avancées, en démolissant les œuvres architecturales, en démantelant les organisations politiques et militaires, en diabolisant les spiritualités et en sabotant les économies prospères. La deuxième a reposé sur l’expropriation des civilisations impossibles à effacer. Le caractère colossal de certains vestiges de l’histoire africaine a rendu impossible leur destruction. Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental. C’est ainsi qu’en dépit de toute logique, l’édification des monuments africains les plus prestigieux a été attribuée à des peuples extérieurs à l’Afrique. Le cas d’expropriation le plus flagrant est celui de la civilisation égyptienne de l’Antiquité. Quand bien même toutes les représentations les dépeignent noirs avec des coiffures africaines, tous les livres occidentaux les présentent blancs. Et ce ne sont pas les multiples preuves scientifiques telles que le taux de mélanine des momies qui ont fait cesser cette expropriation puisque des films et des séries avec des castings blancs dans le rôle des pharaons continuent de proliférer. Même les tests ADN effectués en 2012 et en 2013 par le laboratoire DNA tribes , qui démontrent la nature africaine du génome de plusieurs momies royales dont les pharaons Amenhotep III, Akhénaton, Toutankhamon et Ramsès III, n’ont pas suffi à enrayer ce travestissement de l’histoire. Dans la même démarche d’expropriation, les récits des triomphes africains qui ont survécu aux incendies des bibliothèques grâce à la tradition orale ont été transformés en victoire de personnages européens ou arabes. C’est ainsi que l’Africain Hannibaal Barca est devenu européen dans tous les péplums et dans toutes les bandes dessinées qui retracent son épopée glorieuse, et ce malgré le fait qu’il soumet la Rome antique avec des éléphants africains. C’est ainsi que les maures , peuple africain extrêmement développé, ont été recouverts d’une identité arabe alors même que tous les témoignages des contemporains les décrivent avec le teint charbon et le nez large. Cette expropriation de l’excellence a touché chaque société africaine hautement sophistiquée. Un exemple moins connu est la fastueuse cité commerçante de Kilwa Kisiwani en Tanzanie dont la population a longtemps été décrite comme un peuple étranger à l’Afrique, car son degré de modernité était trop élevé pour avoir été développé par les Africains. Il en est de même pour l’empire du Monomotapa qui couvrait les territoires actuels du Mozambique et du Zimbabwe. Les techniques d’architecture des édifices de cet empire étaient si complexes que pendant longtemps elles ont été attribuées à une population venue d’ailleurs. Carte de l'empire du Monomotapa L’effacement progressif du génie africain a donné naissance à des individus privés de la connaissance de leurs triomphes, de leur érudition et de leur puissance. Un orphelin qui ne connaît pas les exploits et la valeur de ses parents ne pourra pas être conscient des qualités que contient son génome et de sa capacité à reproduire les succès de ses prédécesseurs. Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental. Le résultat est probant : les noirs sont les seuls à enrichir les autres communautés avant la leur. Ils ont également une forte propension à saboter les chances de réussite des compatriotes qui pourraient s’élever vers le succès et devenir des phares qui guident la communauté vers la cohésion et l’émancipation. En revanche, lorsqu’on observe, les communautés qui fédèrent leurs forces, on remarque que ce sont les mêmes qui maîtrisent leur histoire passée qui pratiquent une spiritualité qui leur correspond et qui respectent des us adaptés à leurs spécificités. La comparaison entre ces phénomènes met en évidence une corrélation entre le fait d’ignorer son passé et le fait de dilapider son seul moyen d’émancipation tout en renforçant le pouvoir des entités oppressantes. (...) si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires. Les comportements autodestructeurs présents dans la communauté noire ne se réduisent pas au sabotage interne et aux dépenses excessives hors de l’économie intracommunautaire. Ils touchent tous les aspects, des plus anodins aux plus décisifs. Cela passe par la transformation des cheveux, l’éclaircissement de la peau, l’adoption d’une mythologie infériorisante, la pandémie d’actes fratricides, l’annihilation du respect ainsi que l’abandon des responsabilités parentales. Cette accumulation d’agissements nocifs s’avère être cataclysmique pour les tentatives de reconstruction du psychisme et de l’identité des populations noires. Hisser le génie africain des abysses dans lesquels on l’a précipité aidera certainement à traiter la déchéance du peuple noir à sa racine. Cet article va donc s’évertuer à retrouver une portée disparue : le génie africain ! © Zanele Muholi Chronologiquement, le premier groupe d’êtres humains à avoir fait preuve de génie est africain. En effet, il est reconnu de toute la sphère scientifique que l’homme est apparu en Afrique. Avant que sa curiosité intellectuelle le pousse à devenir le plus grand explorateur de la planète, l’Africain n’a cessé de faire preuve de génie ! Il a eu l’idée de se dresser pour pouvoir surveiller le danger de loin. Ensuite, il a fabriqué des instruments. Les plus anciens outils connus à ce jour ont été découverts au Kenya (Lomekwien, 3,3 millions d’années), en Éthiopie (Oldowayen, 2,55 millions d’années) et en Tanzanie (Acheuléen, 1,76 millions d’années). Après quoi, l’Africain a compris que le feu faisait fuir ses prédateurs et il a bravé les brûlures pour le domestiquer. La plus ancienne utilisation du feu par l’homme a été retrouvée dans la grotte de Swartkrans en Afrique du Sud. C’est ainsi que l’Africain a été à l’origine de chaque idée ingénieuse qui s’est avérée être un tournant décisif vers l’abondance, le confort et la science. D’ailleurs, concernant la science, la plus ancienne trace de calcul est une nouvelle fois attribuée à l’Africain suite à la découverte de bâtons de comptage sur l’os d’Ishango au Congo. Autant dire que l’Africain est le père du génie humain et que l’Afrique est le berceau du savoir. L’Africain est tellement ingénieux qu’il a donné naissance à la première civilisation capable de concevoir des œuvres architecturales éternelles. Par exemple, il y a 4 600 ans, le roi égyptien Snéfrou fit bâtir trois pyramides (rouge, rhomboïdale et Seïlah) qui ont traversé les millénaires dans un état de conservation quasiment intact. L’Africain ne s’est jamais retrouvé à l’écart du génie humain. Il a même été précurseur dans des champs très divers : sédentarisation, agriculture, spiritualité, médecine, chirurgie, calendrier à douze mois, cosmétiques, art, jeux de société, instruments de musique, astronomie, et tant d’autres. L’Africain a devancé le reste de la planète en matière de découvertes scientifiques, médicinales et technologiques pendant la majeure partie de l’humanité. N’oublions pas que l’existence de l’homo sapiens africain remonte à 200 000 ans. Comparé à l’homo sapiens qui s’installe en Asie il y a 90 000 ans, en Europe il y a 40 000 ans, et en Amérique il y a 30 000 ans, l’Africain a eu le temps d’observer, de comprendre et d’apprivoiser son environnement. Il a eu le temps de réfléchir à des moyens d’utiliser la faune, la flore et le climat à son profit. Il a eu le temps d’apprendre à maîtriser les éléments afin de lui assurer sécurité et prospérité. D’ailleurs, l’Africain détient le record de longévité en terme de puissance d’une nation. Le règne des Égyptiens antiques s’étend sur 3 000 ans. C’est le plus long depuis le début de l’humanité. En comparaison, les règnes des Romains et des Grecs de l’Antiquité ont duré seulement 1 200 ans chacun. @ Benin City Avant les invasions européennes, l’Africain a brillé par son génie intellectuel. On peut citer le roi Oba Ewuare Ogidigan qui, entre 1440 et 1473, a apporté des innovations révolutionnaires au royaume Igodomigodo, au point que son règne est considéré comme l’âge d’or de cette civilisation. Il amena la sculpture, l’architecture, la médecine et l’organisation politique de sa nation à son apogée. Son palais était somptueux, il émerveilla les premiers explorateurs européens qui ne manquèrent pas de s’extasier sur le raffinement, l’hygiène et le faste de l’édifice et de ses habitants. En 1668, le hollandais Olfert Dapper raconta : «  Le palais du roi équivaut à un pâté de maisons ! Il est aussi large que le quartier de Haarlem et entièrement entouré d’un mur, comme ceux qui encerclent la ville. Il est divisé en de magnifiques pavillons et appartements, il comprend de superbes et immenses galeries, toutes plus grandes les unes que les autres ! Des piliers en bois montent du sol au plafond et sont couverts de gravures des scènes de leurs triomphes militaires.  » En 1691, c’est le capitaine portugais Lourenco Pinto qui décrivit la capitale du royaume Igodomigodo en ces termes : «  Cette ville est plus vaste que Lisbonne, toutes les rues sont propres et se prolongent à perte de vue !  ». Ce royaume prospéra pendant près d’un millénaire. Une muraille gigantesque de vingt mètres de hauteur protégeait une surface équivalente à trente fois la superficie de Manhattan à New York. Le livre Guinness des records de 1974 l’a d’ailleurs intégré comme le phénomène archéologique le plus vaste jamais découvert sur la planète. Le journaliste britannique Fred Pearce estime que l’agencement de cette muraille en mosaïque ne rendait pas compte de sa taille, mais que mis bout à bout, elle représentait quatre fois la longueur de la grande muraille de Chine. Malheureusement, l’ingéniosité de ce royaume africain n’a pas pu être célébrée puisqu’en 1897 les Britanniques détruisirent tous les édifices et toutes les œuvres d’art dans le but de nier les accomplissements africains. Seuls quelques morceaux de la muraille ont survécu et peuvent être admirés à moins d’une heure de la ville de Lagos au Nigéria. L’Africain a également brillé par sa philanthropie, son altruisme et sa sagesse. L’empereur Soudiata Keita n’est-il pas le premier chef d’État à abolir l’esclavage et à garantir la justice et l’équité pour tous ? Sa charte du Manden est la première Déclaration des droits de l’homme au monde. Ce fondateur de l’immense empire du Mali ne s’est pas contenté de fédérer de nombreux peuples rivaux. Il ne s’est pas contenté d’enrichir sa nation. D’ailleurs grâce à l’exploitation de l’or qu’il a initié, un de ces successeurs, l’empereur Mansa Musa, détient le titre d’homme le plus riche de tous les temps. Malgré sa puissance politique et militaire, malgré sa richesse incommensurable, Soundiata Keita s’est soucié sincèrement du sort de ses administrés. Vers 1236, il a donc élaboré une charte de 7 chapitres et 44 articles qui rejette les abus, la tyrannie, la cruauté, la violence gratuite, l’exploitation humaine et le non-respect de la vie. En voici les grandes lignes : aucune vie n’est supérieure à une autre [égalité]. Que nul ne cause du tort gratuitement ou ne martyrise son prochain [intégrité]. Que chacun veille sur son prochain [fraternité]. La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves, personne ne sera non plus mis à mort parce qu’il est esclave [justice]. Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois [liberté]. Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société. Et ce fameux empire du Mali n’a pas apporté que la liberté, la fraternité et l’égalité, sur le plan intellectuel. La ville de Tombouctou a été le phare de l’érudition tout au long du 14e siècle. 115 000 personnes fourmillaient dans cette cité cinq fois plus vaste que Londres. Les universités de Tombouctou ont acquis une renommée internationale à force que des dizaines de milliers de nobles et de religieux issus d’Afrique, d’Orient, d’Europe et d’Asie accourent pour s'y former. La première encyclopédie au monde a été réalisée là-bas, quatre siècles avant la première encyclopédie européenne. Elle réunissait des travaux sur les mathématiques, la médecine, la poésie, le droit et l’astronomie. Au cours des siècles, des millions de connaissances ont été inscrites dans des livres par des savants de l’empire du Mali, malheureusement seuls quelques manuscrits ont survécu aux ravages des Européens qui ont brûlé tous les textes rédigés dans des langues qu’ils ne maîtrisaient pas (Mande, Peul, Sudani, Suqi) afin de les remplacer par la bible écrite en latin. Ces anciens manuscrits représentent désormais de précieux trésors qui témoignent du génie africain. Ils sont disséminés, cachés, protégés d’un autre massacre. Il y en aurait 3 450 dans les villes de Chinguetti et Ouadâne en Mauritanie, 6 000 à Oualata et 11 000 dans une collection privée au Niger. Dans le troisième épisode de la série « Sahara » , le présentateur britannique Michael Palin a rencontré un imam de Tombouctou qui dispose d’une collection de textes datant de l’empire du Mali qui indiquent des planètes en orbite autour du soleil. Ces textes prouvent que les Africains connaissaient les différentes planètes, savaient qu’elles tournent autour du soleil et maîtrisaient leurs rotations et leurs ellipses plus d’un siècle avant les travaux de Copernic et Galilée. Ces exemples d’expropriations, comme ceux des théorèmes mathématiques de Pythagore et Thalès qui ne sont pas grecs, mais africains font partie de ce processus de déni du génie noir. Ce génie noir a beau être victime d’une multitude de tentatives d’annihilation depuis quatre siècles, il ne cesse de se régénérer dans chaque nouvelle génération et de s’exprimer dans tous les domaines. C’est ainsi que malgré l’invasion, puis la colonisation, puis la déportation, puis la mise en esclavage, puis l’effacement de l’histoire africaine, puis la ségrégation et l’apartheid, puis la discrimination raciale, puis le racisme ordinaire, le génie noir n’a jamais disparu ! Il se révèle dans chaque champ d’activité dans lequel les noirs sont autorisés à accéder. Après lesdites « abolitions », les noirs ont été tolérés dans le milieu du divertissement. Les premiers métiers qu’ils ont pu exercer hors des champs et du rôle de domestique ont donc été la musique et le sport. Côté musique, tous les genres les plus populaires ont été créés par le génie noir : la samba, le reggae, le compas, la salsa, le zouk, le calypso, la soca, le rap, le jazz, le blues, le rR&B, le gospel, le rock&roll, etc. Et même dans les genres musicaux intégrés tardivement par les noirs comme la pop, le génie noir a encore dominé. Michael Jackson n’est-il pas le roi incontesté de la pop ? Côté sport, on peut citer Lewis Hamilton pour les courses de formule 1, Serena Williams pour le tennis, Usain Bolt pour l’athlétisme, Michael Jordan pour le basket, Pelé pour le football. Tous ont obtenu le titre de légende dans leur discipline, car leurs exploits dépassent les résultats habituels et ils laissent derrière eux un palmarès inégalé. Même le patinage artistique a été révolutionné dès qu’une athlète noire l’a intégré. On se souvient des prouesses de Surya Bonaly. Elle est d’ailleurs la seule de tout le milieu à qui une figure doit son nom. Toute la magie du génie noir, c’est que même lorsque les noirs accèdent tardivement à une discipline et qu’ils sont les derniers à en apprendre le fonctionnement, ils occupent rapidement la première place, ils ont une longévité unique et surtout ils battent des records jamais égalés. Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabé, à la tribune de l'ONU. © ONU Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société. Dans la politique avec des figures emblématiques comme Thomas Sankara et Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, dans les sciences avec Katherine Johnson la mathématicienne qui a permis au premier humain de voyager sur la lune, dans l’anthropologie avec Joseph Anténor Firmin qui a mis en évidence le caractère négroïde des Égyptiens antiques, dans la chirurgie avec le docteur Patricia Bath qui a révolutionné la chirurgie oculaire, dans l’informatique avec Philip Emeagwali qui a inventé l’ordinateur de calcul le plus rapide du monde. Actuellement sa machine sert à prévoir les effets du réchauffement climatique. Dans le domaine de la technologie, on doit la 3G, la 4G et le wifi à Jesse Eugene Russell. Et la liste des apports du génie noir dans le progrès et la modernité est sans fin. Ava Duvernay, en couverture du magazine The Hollywood Reporter, réalisatrice, productrice et scénariste. Depuis quelques années, de nouveaux domaines s’ouvrent à la communauté noire et là encore le génie noir se fait remarquer. Dans la mode, il y a le styliste Olivier Rousteing qui accomplit de véritables exploits depuis 10 ans. Dans l’industrie pétrolière c’est la milliardaire Folorunsho Alakija, dans l’archéologie c’est le professeur Félix A. Chami, dans l’astronomie c’est le docteur Fatoumata Kebe, dans le droit c’est l’avocate Dehlia Umunna, dans l’étude de l’histoire c’est le professeur Vincent Brown, dans la réalisation cinématographique ce sont Ava Duvernay et Ryan Coogler, dans les concours de beauté ce sont Deshauna Barber et Sanneta Myrie, dans la robotique c’est Bertin Nahum, dans l’ingénierie ce sont John Magiro et William Kamkwamba, dans la pharmacologie et la biochimie il y a eu le docteur Alfredo Bowman, dans l’aviation c’est Eniola Lawrence, dans la littérature c’est Wole Soyinka et dans le domaine spatial c’est Guion Bluford. Olivier Rousteing directeur artistique de la maison Balmain. © Estrop/Getty Images Tous ces exemples sont autant de références qui permettent de réaliser que l’individu noir est habité par l’intelligence, le savoir-faire et l’excellence ! Ces preuves sont essentielles puisque tous les peuples ont été persuadés pendant plusieurs siècles que l’intellect, les inventions et les sciences ne concernent pas le peuple noir. La première victime de cette désinformation est le peuple noir lui-même puisqu’en ignorant ses qualités et ses compétences il est incapable de croire en sa capacité à impulser, à organiser, à diriger, à réussir et à briller ! Dès lors que les noirs reprennent possession de leur identité profonde en découvrant la grandeur de leurs ancêtres et l’exemplarité de leurs contemporains, ils sont inspirés au point de s’engouffrer vers le triomphe. Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi mettre en lumière le génie noir donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance. Aucun peuple n’a été lésé dans la distribution de l’intelligence et de la capacité à réussir. Les Guadeloupéens ont d’ailleurs été généreusement dotés puisque proportionnellement à la population de leur île, le taux de héros, de champions et de figures inspirantes est très élevé. Dès que les Africains ont été déportés sur ce territoire, on a pu observer des génies militaires comme Louis Delgrès. Il est le plus célèbre, néanmoins bien d’autres ont existé en Guadeloupe et ont précipité ladite « abolition » de 1848. Louis Delgrès a le mérite d’avoir réussi à tenir en échec l’armée de Napoléon reconnue comme la meilleure de l’époque, pendant plusieurs semaines alors qu’il était en infériorité numérique et technologique. Le génie militaire a continué de s’exprimer au travers de personnage comme Camille Mortenol. C’est grâce à ses hautes compétences en stratégie qu’il a sauvé Paris et tous ses monuments sacrés des bombardements allemands pendant la Première Guerre mondiale. Par conséquent, si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires. Gerty Archimède à Paris, en 1947. © Rue des Archives. AGIP Côté politique, c’est l’avocate Gerty Archimède qui incarne l’audace et la sagacité du génie noir. Malgré le fait d’être une femme à une époque particulièrement sexiste et d’être noire dans une ère coloniale, Gerty réussit son cursus universitaire dans le droit et devient la première femme à intégrer le barreau de la Guadeloupe. Sa culture générale et son talent d’oratrice hors du commun la mènent à tenir le rôle de bâtonnier de l’Ordre de Guadeloupe par trois fois. Elle double son titre de pionnière en devenant aussi la première femme député des Antilles. Elle se sert de cette fonction pour lutter contre le colonialisme dans les plus hautes sphères du gouvernement français. Elle n’abandonne pas pour autant sa carrière d’avocat et elle défend gracieusement les plus démunis. Ses compétences en droit pénal sont si remarquables qu’elles sont sollicitées jusqu’en Afrique. Gerty termine sa carrière politique comme maire de Basse-Terre. On reconnaît bien le génie africain à toutes les casquettes qu’elle a portées avec brio et à l’altruisme dont elle a fait preuve toute sa vie. En littérature, la Guadeloupe foisonne également de génies. Maryse Condé. © Philippe Matsas/Opale/Leemage On retient le poète Guy Tirolien et l’écrivaine Maryse Condé dont les parcours ont inspiré au-delà des frontières de l’île. Le prix Nobel alternatif de littérature qui a été décerné à madame Condé fin 2018 par des intellectuels suédois rend compte de la portée de son œuvre. Et Guy Tirolien n’est pas en reste avec son poème «  Prière d’un petit enfant nègre  » qui a connu un succès international. Inutile donc pour les Guadeloupéens de tourner leurs regards vers les États-Unis pour trouver des modèles auprès de Maya Angelou ou Tony Morrison. Ils possèdent leurs propres références. Et l’excellence guadeloupéenne n’est pas circonscrite à l’histoire ancienne. Plus proche dans le temps il y a Dany Bébel-Gisler qui, en tant que linguiste et sociologue, a largement contribué à donner au créole guadeloupéen le respect et la noblesse qu’il mérite. La qualité des travaux de cette chercheuse lui a valu d’intégrer des instances reconnues mondialement telles que le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Et le créole guadeloupéen n’a pas été valorisé que par des gens de lettres. En effet, le groupe de musique Zouk Machine a offert une visibilité nationale à cette langue avec son hit d’anthologie « Maldon ». En vendant plus d’un million de singles en France hexagonale, ces trois chanteuses guadeloupéennes ont accompli le coup de maître de placer le refrain en créole sur autant de lèvres. Et fait unique dans l’histoire, une chanson en créole est restée neuf semaines en première position des ventes. En 2001, les trois Guadeloupéennes ont même interprété ce titre au pied de la tour Eiffel devant des millions de téléspectateurs ! Le génie musical du groupe Zouk Machine a donc offert au créole guadeloupéen une visibilité jamais atteinte. Et les records ne sont pas des phénomènes rares pour le peuple Guadeloupéen. Serge Nubret, Marie-José Pérec et Lilian Thuram sont des champions qui ont remporté des victoires internationales et décroché des records extraordinaires. Serge Nubret, champion de culturisme, a gagné les titres de Mr Europe, Mr World et Mr Univers. Il a affronté plusieurs fois Arnold Schwarzenegger qui d’ailleurs avait une grande estime pour ce Guadeloupéen coriace et déterminé. Pour atteindre un niveau international et gagner l’estime d’une légende comme Schwarzenegger en étant issu d’une famille modeste d’Anse-Bertrand, il faut posséder une ambition, un sens de la discipline et un talent qui relèvent du génie ! Marie-José Pérec a elle aussi accompli des prouesses inégalées. Cette sprinteuse guadeloupéenne surnommée la gazelle est la seule qui ait ramené trois médailles d’or olympiques à la France en athlétisme. Elle a également été sacrée deux fois championne du monde du 400m. Elle détient jusqu’à présent le record de France du 200m, du 400m, du 400m haies et du relais 4 × 400m. Son palmarès fait de Marie-José Pérec la plus brillante athlète de France. Une telle accumulation de victoires n’est pas anodine, le génie africain est forcément dans les parages. Plus récemment encore, Lilian Thuram a permis à l’équipe de France de football d’accéder pour la première fois à la finale de la coupe du monde. En juillet 1998, ce défenseur guadeloupéen a inscrit les deux seuls buts du match côté français. Cet acte a ouvert la voie à la première victoire des bleus dans cette compétition mondiale. Oser quitter sa position de défenseur pour se transformer en redoutable attaquant, remarquer la faille de la défense croate, saisir l’opportunité de marquer, calculer la bonne fenêtre de tir, viser juste, doser la puissance adéquate pour le coup de pied, déjouer la vigilance du goal adverse, toutes ces actions ne relèvent pas uniquement de capacités physiques, mais également d’un processus cognitif complexe. Cette succession de décisions judicieuses lui vaudra l’obtention de la Légion d’honneur. Les sportifs ne sont pas juste des muscles qui agissent. Les sacrifices qu’il faut s’imposer, la volonté et la rigueur qu’il faut démontrer, la ténacité et la force mentale dont il faut faire preuve, sont des qualités intellectuelles que ces légendes guadeloupéennes ont poussées à leur paroxysme. Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance. En partant à la recherche du génie noir, on réalise qu’il n’est ni disparu, ni loin. Tous les exemples cités prouvent qu’il a survécu à des centaines d’années de déni et de sabotage. Il était présent à l’aube de l’intelligence humaine et il est encore là. En prendre conscience libère l’esprit de l’individu noir de la cage dans laquelle il a été placé. En effet, à force d’être matraqué de modèles occidentaux d'excellence avec en parallèle l’absence de représentations positives auxquelles il peut s'identifier, l’individu noir a été convaincu de son infériorité. Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi, mettre en lumière le génie noir, donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance. Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance. C’est en cela que connaître notre histoire est indispensable : la connaissance de notre génie déclenche la capacité de croire que nous pouvons tout entreprendre et tout réussir. Alors, évadons-nous de notre cage psychologique grâce à la connaissance de nous-mêmes et emparons-nous de l’excellence dont est pétrie notre nature ! Osons, réalisons et triomphons !

Xavier Sambar | The Green Hostel

Xavier Sambar | The Green Hostel

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Charismatique, loquace, le regard hésitant, déterminé à faire bouger les lignes de notre temps. Il fait partie de ces entrepreneurs en mal d’aventure, aimant se challenger. Et après avoir créé sa première entreprise en 2015, c’est sans grand bruit, dans une totale discrétion qu’il s’est lancé dans un tout nouveau projet : The Green Hostel. Un projet, innovant, qui sort du cadre, qui d’ailleurs a récemment reçu lors des « Rencontres Pro-Durables » organisées par la CCI îles de Guadeloupe, en partenariat avec la Région Guadeloupe et l’ADEME, le trophée éco-innovant dans la catégorie : produit/service éco-innovant. Une récompense qui distingue les entreprises ayant mis sur le marché un produit et/ou service innovant pour lequel des critères environnementaux ont été intégrés dans les phases de conception, sur l’ensemble de sa chaîne de valeurs. Rencontre d’un entrepreneur déterminé, assurément dans l’air du temps. Les prémices. Mon parcours, en tant qu’étudiant, n’a pas été un long fleuve tranquille. Je peux remercier mes parents qui m’ont soutenu durant ce long parcours. Malgré les doutes de mon entourage concernant mon cursus, je n’aurai pas été le même aujourd’hui. Je regrette certaines erreurs, mauvaises décisions, dépenses, voyages en période universitaire (rires), mais ces expériences ont forgé la personne que je suis aujourd’hui. Les études n’ont jamais été forcées par mes parents, suite aux nombreux sacrifices qu’ils ont faits pour me permettre de vivre cette expérience ultra-marine, étudier en France, mais aussi à New York. L’évidence était aussi de les rendre fiers en revenant avec mon diplôme. Ainsi, depuis 2014, je suis ingénieur en écoconception. Toutes ces expériences, ces voyages ont forgé une idée fixe : «  Je retournerai en Guadeloupe développer à ma manière ce que j’ai pu voir à travers mes voyages  ». Après un master, j’ai travaillé durant deux ans pour la Fédération française du Bâtiment en tant que consultant en Qualité-Sécurité-Environnement. Deux années de vie formatrices, enrichissantes, surtout l’autonomie qui m’a été laissée dès mon premier contrat, m’ont prouvé que j’étais tout à fait apte à me débrouiller seul et les efforts fournis allaient pour un projet personnel. Donc en 2015, je retourne en Guadeloupe avec dans mes valises le business plan et l'étude de marché de ma première entreprise. Un bureau d'études en Qualité-Sécurité-Environnement, que j’ai appelé Qseption . J’ai alors en Guadeloupe pu apporter mon expertise dans différents secteurs d’activité, public et privé. Je n’ai pas eu de craintes spécifiques concernant l’entrepreneuriat, je n’avais pas besoin d’investissement important pour Qseption seulement de ma matière grise, mais je savais que je me lançais dans une aventure qui allait changer ma vie et ma vision. Mais au fond, le doute est une bonne chose, car il amène vers la perfection, du moins il permet de s’en rapprocher. Le bureau d’études existe toujours, mais après trois ans et de nombreux retards de paiements, la lassitude s’est installée. Un épanouissement en demi-teinte. La décision a été celle de me consacrer à la création d’un projet sur lequel je travaillais déjà depuis deux ans. The Green Hostel. J’ai gardé pour secret le projet de l'auberge de jeunesse concept store, jusqu’à la phase de concrétisation, pour ne pas recevoir d’énergies négatives. Et une fois le projet sur pied, les retours ont été plutôt positifs, mais le manque de sécurité reste toujours très inquiétant pour la famille. Comme je vous le disais, juste avant, j’ai eu la chance de beaucoup voyager et d’atterrir dans des lieux riches, insolites et j’ai toujours posé mes valises dans un hostel. L’évidence d’en créer un en Guadeloupe a toujours trotté dans ma tête. Le nerf de la guerre est toujours de trouver les financements, les délais, les longues démarches. Je ne vais pas trop m’étaler sur le sujet, je risque de décourager un grand nombre. L’idée de l’auberge de jeunesse est de proposer une alternative à l'hôtellerie classique existant en Guadeloupe en créant une offre à moindre coût avec un accueil des plus chaleureux pour une clientèle touristique en évolution. Nous voulons promouvoir un tourisme respectueux des Hommes, de leur culture et de leur environnement. Nous croyons qu’il est possible de concilier développement économique, protection de l’environnement et préservation de notre identité créole. Le but est de faire découvrir à nos clients un mode de vie, des traditions, une histoire. Pour cela, nous avons pris le parti d’avoir un fonctionnement le plus écoresponsable possible, en diminuant les consommations, en utilisant des énergies renouvelables, des écomatériaux pour la rénovation, limitant les impacts, entrant dans une démarche zéro déchet (compostage, tri, etc.) et enfin en privilégiant l’économie circulaire et la production locale. The Green Hostel comportera 50 couchages, dont 9 chambres partagées, 1 chambre double privative et une chambre family, un bar, une terrasse végétalisée et un potager. Tout au long de l’année, The Green Hostel & Store organisera de nombreux événements allant du concert privé en terrasse, aux événements de sensibilisation, des formations dédiées à tous. Nous avons pour souhait d’accueillir le panel le plus varié afin de partager nos valeurs et notre philosophie. Du backpackers voyageant seul au groupe sportif, scolaire, de carnaval, d’amis… Le premier étage du Green Hostel sera consacré en grande partie au Green Store, un concept store dédié aux productions locales raffinées et de caractère. Produits bio, bijoux, accessoires, vêtements… Nous proposerons des espaces de ventes de qualité afin de mettre au mieux en valeur la richesse et la diversité du terroir guadeloupéen. Le Green Store comportera aussi un espace de coworking (tourné sur le développement durable), une salle dédiée à la formation écoresponsable, au yoga et une écolaverie accessible à tous. The Green Hostel et The Green Store sont avant tout des lieux de vie, de passage, d’échange où l’on se sent comme à la maison. Nous avons fait le choix de parier sur le cœur de la ville de Pointe-à-Pitre et d’y créer la première auberge de jeunesse écoresponsable de Guadeloupe. Le centre-ville de Pointe-à-Pitre, véritable écrin du patrimoine guadeloupéen, est aujourd’hui en phase de redynamisation. La situation géographique privilégiée et le patrimoine architectural de la ville lui confèrent un cachet et un potentiel touristique important qui pour l’heure est trop peu exploité. De grands projets tels «  Karukera Bay   » y sont envisagés. Nous avons décidé d’apporter notre pierre à l’édifice, en créant une offre touristique innovante, dynamique, ancrée dans notre époque et dans notre culture. Avec le concours de l’EPF et de la Ville de Pointe-à-Pitre, nous avons pu obtenir un site pour concrétiser notre projet, au 8 quai Lardenoy. Le nerf de la guerre est toujours de trouver les financements, les délais, les longues démarches. Je ne vais pas trop m’étaler sur le sujet, je risque de décourager un grand nombre. Aujourd’hui, je me décrirai comme un entrepreneur passionné, optimiste, têtu (rires) et déterminé. À l’ère du 2.0, être connecté est une évidence, le marché nous a déjà montré que les entreprises qui n’ont pas su évoluer vers le numérique au moment opportun sont les plus vulnérables. Notre communication se veut dans l’air du temps, nous sommes aujourd’hui présents et actifs sur les plateformes sociales les plus utilisées : Facebook et Instagram. Nous comptons aujourd’hui une communauté de plus de 500 abonnés (Facebook & Instagram). Les spécificités du secteur touristique nous amènent à référencer l’auberge sur des sites et blogs dédiés ; nous sommes actuellement en pleine création du site internet. Néanmoins, les médias traditionnels tels que la presse écrite, la radio et la TV ont participé à la promotion du projet. De mon expérience, si j’ai un conseil à donner ce serait de persévérer, ne pas s’attendre à des retours immédiats, aller vers un projet pour lequel on est prêt à se lever, se battre, s’ouvrir aux autres, saisir les occasions, se méfier des belles paroles et surtout ne jamais baisser les bras. Les beaux jours arrivent !

Corinne Coman | Akamissco

Corinne Coman | Akamissco

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Elle incarne une féminité assumée et affranchie des diktats. Refuse les étiquettes même celles qui l’ont fait connaître du grand public. Inventive, elle se définit comme « multipotentielle ». Une entrepreneure éprise de créativité, boulimique du travail, qui signifie avec éclat que l’audace reste son unique étole. Décryptage. Briser les codes. Après Miss France, j’ai repris mes études et j’ai fini en tant que major de promotion de l’Université Paris II Panthéon-Assas avec un master 2 en marketing et communication des entreprises obtenu avec mention bien. Récemment, j’ai vu que l’on qualifiait certaines personnes de multipotentielles. Je pense faire partie de cette catégorie, car lorsque je me lance dans un projet, il est rare qu’il s’achève sur un échec. Je me donne les moyens de réussir, en travaillant dur. Cela a été le cas durant mon cursus scolaire et universitaire, et aujourd’hui dans le domaine professionnel. Le choix de reprendre mes études après Miss France était primordial pour moi, car je voulais me construire une carrière et ne pas être enfermée dans une image. L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui. Miss France c’est vraiment l’aventure d’une vie. Et dire que je ne rêvais pas d’être Miss France (rires) ! L’expérience m’intéressait, m’intriguait. C’est un univers que j’ai découvert avec mes élections déjà de Miss Guadeloupe puis de Miss France. Pour la petite histoire, je me suis présentée à Miss Guadeloupe en candidate libre et j’ai appris à marcher en talons spécialement pour l’élection. À Miss France, on est élue jeune fille et lorsqu'on remet sa couronne on devient une jeune femme chef d’entreprise. On voyage, on ouvre son horizon, on mûrit et l'on s’endurcit aussi beaucoup, car passer de l’ombre à la lumière suscite énormément de convoitise et de jalousie. L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui. Avant de reprendre mes études en formation initiale en 2006, j’ai travaillé au Conseil Régional de la Guadeloupe au service tourisme, en parallèle, je travaillais avec le Comité du Tourisme de la Guadeloupe sur la promotion de la destination, je suivais des cours du soir et le samedi matin. À la région, j’ai débuté en bas de l’échelle. Tout en étant en poste, j’ai passé le concours de rédacteur territorial en France que j’ai obtenu. Je dégageais aussi du temps pour faire des activités d’ancienne Miss France (présence à des élections de Miss essentiellement et des œuvres de charité). Je travaillais sans cesse, j’avais un rythme de fou. Heureusement, ma famille m’épaulait et je faisais du sport. J’ai beaucoup souffert de la méchanceté gratuite de certaines personnes quand j’étais à la Région. Je recevais des courriers anonymes, des lettres d’insultes à mon travail… Après sont arrivées les rumeurs… En revanche, cela ne m’a jamais posé de problèmes, car l’attention des gens était occupée par des choses fausses ce qui me permettait d’avancer sereinement sur mes projets. Les rumeurs sont en quelque sorte la rançon de la gloire. Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé. Lorsque j’ai obtenu ma licence d’administration publique avec mention, alors que je travaillais au Conseil Régional, mes professeurs m’ont incité à poursuivre mes études et c’est comme cela que je suis retournée sur les bancs de la fac en 2006. En 2007, je décide de partir de nouveau sur Paris pour achever mon 3e cycle, j’obtiens deux masters qui m’ouvrent les portes des cabinets d’avocats d’affaires internationaux sur Paris. Mon dernier poste en tant que salariée était celui de Business Development Manager au sein du cabinet d’avocats d’affaires anglo-saxon Ashurst LLP. Je dirigeais le département marketing et communication du bureau de Paris. Missco & co. Je crois que dans un coin de ma tête, j’ai toujours voulu entreprendre, créer de la valeur et des richesses. Très jeune, j’ai investi dans l’immobilier. J’étais propriétaire de mon premier bien à 21 ans. Je suis une boîte à idées (rires), pour moi-même et mes ami(e)s. Des projets, des idées j’en ai eu des tas, mais le temps me manquait. Lorsque je vois le rythme que j’avais, je me demande aujourd’hui comment j’ai réussi à tenir. Je suis toujours aussi active, mais je fais attention à avoir un certain équilibre. Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé. C’est lui qui m’a boosté. Je voulais être un exemple pour lui, qu’il se dise qu’il faut foncer et ne pas avoir peur. Entreprendre, créer une entreprise, dans ma famille c’est un concept abstrait. Je suis issue d’une famille de fonctionnaires, mes parents l’étaient et mes frères le sont. J’étais la seule déjà à être salariée dans le privé. Le jour où j’ai dû annoncer à ma mère que je renonçais à ma carrière pour me lancer dans l’entrepreneuriat, je crois que le sol s’est dérobé sous ses pieds. En toute franchise, je pense que c’est toujours compliqué pour ma famille, car être entrepreneure c’est l’aventure, l’incertitude… Elle s’inquiète pour moi, mais pour autant j’ai son soutien indéfectible et c’est précieux ! Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus… Une fois que ma décision a été prise de réaliser mes projets, à aucun moment je n’ai pensé à abandonner. J’ai douté oui, mais revenir en arrière jamais. Même en quittant mon cabinet, je n’ai pas eu de regrets. Je pense que je suis actuellement à ma place. Je me suis donné deux ans pour faire décoller mes activités et faire le bilan. Selon le constat, je verrai quelles seront les décisions à prendre. Dans tout choix, il y a des sacrifices. J’ai renoncé à un salaire confortable, une carrière toute tracée pour réaliser mes projets sans l’assurance que tout fonctionne. Cela en vaut la peine. Et puis, l’idée de cumuler un poste en tant que salariée et ma vie d’entrepreneure ne sont pas impossible pour moi. Missco & Co est pour le moment une SASU, mais dans mon rêve le plus fou, cela deviendra une holding (rires) ! C’est la société qui regroupe les trois activités que j’ai lancées en 2018. Globe Studen t , le guide de survie pour son premier hiver à destination des jeunes Ultramarins qui rejoignent l’Europe pour poursuivre leurs études. Ma Stor y , une série d’interviews de personnalités emblématiques afrodescendantes sur le thème comment faire d’un échec un atout et enfin Akamiss co , une boutique en ligne d’accessoires de mode, de produits de beauté et de produits d’intérieur d’inspiration caribéenne. D’un point de vue du financement, mes deux premières activités ont été intégralement autofinancées. Pour Akamissco, j’ai dû recourir à l’emprunt bancaire et j’ai également obtenu un prêt d’honneur de France Initiative. Je me suis beaucoup appuyée sur mon expérience personnelle et professionnelle. En complément, j’ai suivi des formations auprès de la CCI de Paris et d’Île-de-France sur la partie e-commerce et la gestion d’entreprise. Se former tout au long de sa vie c’est important. Personne n’a la science infuse. Les activités lancées sont le résultat d’une quête de sens : à savoir promouvoir et soutenir nos talents, nos savoir-faire et notre jeunesse. Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus. Une des qualités à avoir en tant qu’entrepreneur : c’est faire preuve de résilience, il ne faut rien lâcher, toujours trouver des solutions et mobiliser son réseau. J’apprends au fil des jours. Aujourd’hui, c’est Akamissco qui occupe la majorité de mon temps. Je travaille à faire décoller les ventes et faire connaître le site. C’est un concept plein de belles promesses. Je dois travailler sur mon impatience. J’aime quand ça va vite. Il faut que j’apprenne à donner le temps au temps (rires). J’ai toujours beaucoup d’idées, je dois aussi me canaliser pour ne pas m’éparpiller. Pour autant, un nouveau projet est en route ! Mental d’entrepreneur. Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir vivre correctement des activités que je lance. Quand on travaille grâce à ses passions, ce n’est plus une contrainte. C’est quelque chose que j’aimerais expérimenter réellement. J’essaie de m’accorder du temps, prendre soin de moi et aussi passer du temps de qualité avec mon fils, Nelson. Par exemple, le mercredi après-midi lui est dédié. Je l’accompagne à ses activités, on passe du temps ensemble, on joue, on rit… Depuis que j’ai quitté mon emploi de salariée, je le récupère après l’école, au centre de loisirs. Il n’a plus de nounou pour le moment. Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question. Pour moi la femme, c’est celle qui arrive à concilier toutes ses vies, femme active, mère de famille, amie, amante. C’est important pour moi de conserver une vie sociale, de voir mes ami(e)s, même si dans les faits c’est compliqué. Les journées ne sont jamais assez longues. Je n’aime pas l’idée de la femme potomitan, mais c’est une réalité dans notre société guadeloupéenne. Celles qui le sont n’ont pas eu d’autres choix que de l’être, c’est tout. C’est souvent face à l’adversité que l’on se révèle à soi-même et aux autres, homme ou femme. Je pense tout de même que la femme a plus de ressources pour se relever des épreuves difficiles de la vie, des 3 D (divorce, déménagement, deuil). Je ne suis pas féministe pour un sou. J’ai besoin d’un homme à mes côtés, de son aide, son support et son amour. Mais je n’en ai pas toujours eu et cela ne m’a pas empêché d’avancer. Pour être bien à deux, il faut savoir être bien seule. Le moment où je me suis sentie complète en tant que femme, c’est en devenant mère. L’arrivée de Nelson a été un bouleversement considérable. Dans l’absolu, j’ai toujours rêvé de fonder une famille, mais en même temps je me demandais si je serais à la hauteur. J’ai fait un baby blues après sa naissance, je n’ai pas réussi à l’allaiter. J’ai culpabilisé, beaucoup, mais j’ai pu compter sur le père de mon fils qui a été présent, donnait le biberon, changeait les couches… Il était très impliqué et compréhensif. Être entrepreneur c’est naviguer à vue. On ajuste les actions, on rectifie le tir si nécessaire, on confirme l’essai. Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question. À l’heure actuelle, je poursuis mon sourcing pour développer le nombre de produits mis en vente sur Akamissco.com. Je pense aussi à des partenariats et à de l’événementiel et pourquoi pas l’ouverture d’une boutique physique. Si je devais refaire les choses, je les ferais à plus grande échelle, je verrais les choses en grand ! Je prends plus de risques aujourd’hui, mais je reste encore prudente. Pour celui ou celle qui souhaite entreprendre ; je dirais, qu’une fois que tu as ton idée, mûrit bien ton projet et surtout n’éludes pas cette phase. Prépare bien ton business plan, fais-toi aider et accompagner par des professionnels, forme-toi et puis lance-toi, fonce ! Je finis sur une citation de Xavier Dolan «  Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais  ».

Jean-Pierre Pierin | Monétik Alizés

Jean-Pierre Pierin | Monétik Alizés

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Bosseur, pugnace et de fière allure, Jean-Pierre Pierin semble avoir pris ses aises le long de son aventure entrepreneuriale. Et celui qui, tantôt, se refusait d’échouer et qui a aujourd’hui comme seule religion la monétique, incarne inévitablement sa réussite : celle de la liberté pièce secrète de ses ambitions… Le devoir de revenir. Dernier d’une famille monoparentale de huit enfants que notre mère a élevé seule ; je suis né à Saint-François le jour de la fête de Saint-François d’Assise… J’y ai passé toute mon enfance et mon adolescence à pratiquer tous les sports et activités que nous offrait Saint-François, une époque heureuse, bien que difficile financièrement, entre une famille aimante et ma petite bande d’amis. Le passage au lycée de Baimbridge fut une période qui m’a profondément marqué, nous y avons vécu un drame lors de notre année de terminale, la perte d’un de nos camarades dans une fusillade : «  L’affaire Charles-Henri Salin  ». Cela nous a tellement ému que nous avons tous eu notre baccalauréat en mémoire de notre camarade assassiné. J’ai pu bénéficier d’une aide régionale et d’une bourse afin que je puisse étudier à Paris sans imposer à ma mère ces frais supplémentaires, sachant qu’elle ne pouvait pas y faire face. Donc je n’avais pas droit à l’échec hors de mon île… La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir. Arrivé à Paris en 1986, étudiant à Jussieu Paris VI en Deug A (mathématiques et physique structure de la matière), j’ai vécu le début de la grève des étudiants contre la loi Devaquet , et j’ai bien compris que l’union faisait la force et permettait de se faire entendre. Je suis resté, en tout, neuf ans en métropole, entrecoupés d’une année sabbatique qui m’a permis de rester au chevet de ma mère victime de son premier AVC. Je ne souhaitais surtout pas passer le cap des dix ans hors de mon île. Je voulais rentrer et être utile à mon pays. De retour à Paris, la mort dans l’âme, en quittant ma mère une deuxième fois, je me suis orienté vers un parcours en électrotechnique et informatique industrielle, j’ai suivi des cours d’ingénierie à l’EPITA (École des ingénieurs en intelligence informatique), qui m’ont permis d’effectuer un stage dans une société EIS à Ris-Orangis dans le 91. L'heure de la monétique. Mes premiers pas dans la monétique ont commencé à Créteil à Monétique SA, mon travail et mon sérieux au sein de cette entreprise ont été remarqués et j’ai pu acquérir rapidement la confiance de ma direction et de mes collègues qui m’ont élu délégué du personnel. Une expérience qui me guide jusqu’à aujourd’hui dans la gestion de mes rapports sociaux au sein de mon entreprise. Plusieurs voyages et stages aux États-Unis et à Cuba, durant cette période, m’ont affermi professionnellement et permis de comprendre l’esprit des affaires. J’avais la certitude qu’il y avait des choses à faire dans notre espace caribéen. Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires… La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir. J’ai donc proposé à la direction de Monétique SA de m’accompagner pour créer une filiale en Guadeloupe, car il y avait un besoin de service dans notre domaine. Monétik Alizés est donc né en avril 1995, filiale de Monétique SA. Nous étions spécialisés en maintenance monétique et je souhaitais apporter les mêmes services aux commerçants et artisans guadeloupéens. L’implantation ne fut pas simple, sans étude de marché, avec uniquement deux ans d’expérience en monétique. Je me suis installé à Jarry, mon oncle y avait un atelier de réparation de moteurs, je lui ai loué un bureau de 20 m2, il y avait juste un ordinateur et un téléphone à cadran (269 696). Début de l’activité sans aides ni subventions, le technicien est devenu son propre patron et les lourdes démarches administratives qui lui prennent la moitié de son temps s’imposent à lui. Cette aventure était vraiment très personnelle. Nos parents nous avaient toujours fait comprendre qu’il fallait être fonctionnaire pour réussir, j’ai toujours su que je ne souhaitais pas cette vie : dépendre de l’autre. Ne jamais se mentir à soi-même est l'une de mes devises et être libre. Oui, la liberté a toujours été le moteur de mes ambitions, les plus secrètes. Une volonté de fer. Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires. Les banques n’y croyaient pas. Ce domaine de technologie, la monétique, était méconnue et j’ai dû faire face, seul, aux difficultés financières et de gestion d’entreprise, mais c’était possible, surmontable, j’en étais sûr. Ma conviction ne me faisait jamais défaut même dans les moments les plus difficiles. Sans perdre mon enthousiasme, j’ai dû trouver de nouvelles stratégies de commercialisation de mes services. Étant seul et n’ayant pas l’âme d’un commercial, j’ai dû devenir un vendeur. On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés. Au début, ce n’était pas simple, mon avenir en dépendait et celui de ma nouvelle famille. Je devenais père d’une petite fille deux ans après la création de Monétik Alizés. Donc il fallait redoubler d’efforts pour naviguer sans relâche dans les méandres de ma nouvelle vie. Oui, c’est possible de croire en une vie meilleure, mais encore faut-il y être préparé et je ne l’étais pas. Alors j’ai redoublé d’efforts, je ne me suis jamais laissé abattre, j’ai pris ma kanawha (pirogue amérindienne) et jusqu’à ce jour, je me suis laissé voguer sur cette mer des Caraïbes, d’île en île, bercé par les alizés comme jadis, ces Amérindiens qui peuplaient cet archipel caribéen, en ramant, sans jamais baisser les bras. J’espère que Monétik Alizés soufflera très longtemps pour promouvoir une autre vision du service monétique dans la Caraïbe. Réussir. On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés. Comme cet homme d’affaires qui me conviait régulièrement à sa table, mon JR à moi (cela me faisait penser au feuilleton Dallas), m’apprenant les petites subtilités du business aux Antilles. Sa phrase préférée était : «  Quand tu réussis en Guadeloupe, tu peux réussir dans le monde entier  ». Quel privilège j’ai eu, la transmission d’un père spirituel. En l’écoutant, j’ai su appliquer ses conseils, je suis devenu un chef d’entreprise dans mon pays. Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet. Le marché de la monétique étant dominé par les banques et à l’époque par Datacom, j’ai dû innover, en commercialisant une marque de TPE (Terminal de paiement électronique) qui n’était pas vendue aux Antilles Guyane : Ascom Monetel. Cette marque équipait ses terminaux de microprocesseurs plus puissants et de lecteur à carte à mémoire EMV (EUROCARD MASTERCARD), technologiquement, j’avais fait le bon choix. Étant nouveau sur le marché de la maintenance monétique, je ne pouvais pas me développer totalement, il fallait vendre des terminaux pour en assurer l’assistance et le SAV. J’étais dans l’obligation de commercialiser une nouvelle marque de TPE pour faire la différence. Le service à la clientèle, la proximité, l’accompagnement technique téléphonique, le conseil avisé au développement aux nouvelles solutions d’encaissement ont changé le visage de la monétique ; la marque Monétik Alizés est aujourd’hui associée au terminal de paiement. L'enseigne est implantée en Guyane, Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous sommes partenaires de plusieurs sociétés métropolitaines qui souhaitent étendre leur champ d’action sur les Antilles-Guyane. Nous sommes, avant tout, une société de services partenaires des établissements bancaires. Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet. La dématérialisation électronique favorise le développement commercial au rang mondial et nous devons y prendre notre place. En tout cas, l’avenir de la monétique aux Antilles-Guyane et dans le monde est énorme… Nous souhaitons demeurer un acteur important de la monétique et nous devons faire évoluer nos services, apporter toutes les nouvelles solutions de paiements électroniques aux commerçants pour les aider à développer leur activité et l’économie de nos régions. Mais nous devons surtout croire en notre jeunesse et l’aider à réaliser ses propres rêves…

Yohan Marié | 4Drive

Yohan Marié | 4Drive

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Débit, vitesse, fiabilité, transformation digitale, Cloud sont autant de facettes pour lesquelles la fibre optique s'impose comme l'un des principaux leviers de développement des entreprises. Toutefois, la vitesse sans maîtrise ne serait pas efficace. Ainsi, Canal+ Business , l'opérateur du Très Haut Débit pour les entreprises des DOM, dispose d'un ensemble de services très haut débit adapté aux besoins de chaque entreprise. Dans l'article qui suit, il s'agit justement de fibre optique et de vitesse pour cette jeune entreprise de " serious gaming ". On dit souvent que ceux qui portent un projet novateur ne sont pas assez aidés par leurs entourages... Au moment où nous avons pris la décision de fonder 4Drive, je peux dire que tous les voyants étaient au vert vis-à-vis de nos proches. Nous n’avons pas pris cette décision sur un coup de tête, en annonçant à tous, du jour au lendemain, que nous allions créer notre entreprise. Non, il y a eu tout d’abord beaucoup de discussions, d’échanges entre nous, afin d’analyser et de poser le projet dans son ensemble. Et plus nous écumions les réunions, plus nous nous sentions sur la bonne voie avec l’envie de plus en plus prégnante de nous lancer. Lorsque nous avons présenté notre projet à nos proches, nous avons obtenu assez facilement leur adhésion : ils ont constaté que ce projet était mûrement réfléchi dans sa globalité. Ils ne sont pas, c’est vrai, tous fans de sport automobiles, mais ils ont adhéré au projet, à l'idée d’apporter quelque chose de nouveau et d’innovant aux Antilles. Le fait de s’associer était quelque peu le passage obligé pour nous au vu du coût de l’opération et ils en étaient bien conscients. De ce fait, ils nous ont bien évidemment guidés et conseillés vis-à-vis de notre organisation future. C’est pour cela que je dis que tous les voyants étaient au vert. 4Drive se présente comme un projet, à la fois, attractif, ludique et innovant pour le bassin caribéen. Comment vous est venue cette idée ? Nous sommes quatre potes qui avons grandi avec le sport automobile, à des degrés différents, dans notre entourage (des oncles pilotes et/ou une certaine passion pour le sport automobile). Initialement, nous avions pour projet d’ouvrir une société de karting, car à la suite de la fermeture du karting de Jarry, il n’y avait plus aucune infrastructure où les amateurs de sport auto pouvaient se défouler à moindre coût. Mais le coût d’exploitation de l’opération nous a quelque peu refroidi. Nous avons donc réfléchi aux alternatives existant dans le sport automobile et c’est ainsi que nous avons opté pour le simulateur de pilotage. Et afin qu’il ne soit pas considéré comme un jeu vidéo amélioré, il était nécessaire de s’équiper d’une machine de pointe, reconnue et validée par les professionnels dans le domaine. C’est pour cela que notre choix s’est porté sur le simulateur Ellip6. Leader mondial dans ce domaine, Ellip6 a collaboré avec des champions du monde que l’on ne présente plus, pour le développement de leur produit (Sébastien Loeb, Yvan Muller, etc.). Après un peu plus d’un an d’études et de recherches, nous avons importé en Guadeloupe le simulateur Ellip6 Lite. Cet outil de pilotage professionnel permet de mettre le sport automobile à la portée de tous et en toute sécurité. Il peut en effet simuler plusieurs catégories de véhicules, tourisme, GT, Rallye, et même la F1. Mais, un tel projet demande des moyens d’investissement conséquents, comment avez-vous financé ce dernier ? Au vu de l’engouement et des sondages que nous avons effectués lors de notre étude de projet, il était nécessaire pour nous de nous positionner rapidement sur le marché. Ainsi, nous avons décidé d’investir en fonds propres avec un accompagnement de la BNP Paribas. Nous avons l’objectif de faire venir d’autres simulateurs à court et moyen terme, en utilisant cette fois les différents leviers que les acteurs économiques locaux et européens peuvent mettre en place. En nous implantant sur Jarry, nous avons consulté les différents opérateurs de la zone et c’est auprès de Canal+ Business que nous avons pu bénéficier du meilleur support actuel à savoir la fibre optique, et surtout au meilleur coût. Il implique, aussi, un réseau d’exploitation irréprochable… Notre simulateur à la possibilité de fonctionner avec d’autres simulateurs Ellip6 dans le monde, sous réserve d’avoir une connexion rapide, stable et fiable. En nous implantant sur Jarry, nous avons consulté les différents opérateurs de la zone et c’est auprès de Canal+ Business que nous avons pu bénéficier du meilleur support actuel à savoir la fibre optique, et surtout au meilleur coût. Ainsi, grâce à notre CanalBox PRO , nous avons pu participer à notre premier challenge intercentre face à deux autres centres Ellip6, Lyon et Pierrelatte. Je tiens à préciser tout de même que nos pilotes locaux ont remporté ce challenge. D’autres compétitions de ce type sont à venir et nous avons l’ambition, grâce à notre connexion actuelle, d’héberger nos premières courses caribéennes. Seriez-vous en mesure, aujourd’hui, de conseiller l’offre Canal + Business à un entrepreneur ayant les mêmes exigences de connectivité que vous ? Nous avions étudié les différentes offres possibles, mais c’est bien cette offre commerciale qui s’est démarquée. Elle répond aujourd’hui parfaitement à nos attentes et nous permet d’atteindre les différents objectifs que nous nous sommes fixés à ce sujet. Alors, oui, nous sommes, en effet, en mesure de conseiller l’offre de Canal+ Business à un entrepreneur ayant nos exigences de connectivité à savoir la rapidité, la stabilité et la fiabilité de la connexion internet. Être son propre boss demande plus qu’être salarié, on ne compte pas les heures, cela demande un investissement personnel plus important. Une entreprise, encore plus à sa création, demande une pleine implication. Pourtant, vous et vos associés, vous avez fait le choix de conserver vos activités propres, est-ce là pour vous un filet de sécurité ? Nous sommes de jeunes entrepreneurs, mais aussi de jeunes pères de famille, avec toutes les responsabilités que cela implique, c’est pour cela que nous avons fait le choix de ne pas quitter nos activités professionnelles. Par ailleurs, nous savions aussi que nous nous lancions sur un marché inédit aux Antilles, il était donc important de prendre la tendance de celui-ci et d’identifier l’aspect porteur du marché. Donc nous ne nous précipitons pas, nous y allons étape par étape, un pas après l’autre en vérifiant attentivement si la marche sur laquelle nous mettons le pied est suffisamment solide pour nous permettre d’avancer. Ne pensez-vous pas qu’être entrepreneur demande une pleine prise de risque ou pensez-vous qu’il est préférable de les limiter ? Pour ma part, créer sa société est déjà une prise de risque. Après, tout dépend, bien entendu, de la situation de l’entrepreneur. Il y a des personnes qui partent de rien, qui se lancent à fond dans l’entrepreneuriat et qui réussissent ; et en effet, il y en a d’autres qui font de même et qui pourtant n’ont pas cette chance. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas à temps plein que nous devons considérer que le risque est moindre. Il y a effectivement des risques sauf que ceux-ci sont mesurés afin de limiter les incidences sur nos vies personnelles et familiales. Du coup, comment sont définis vos rôles au sein de la structure ? En fonction des études, mais également par rapport à l’activité professionnelle de chacun, nous avons conjointement défini nos postes. Nous avons chacun la chance d’avoir des parcours différents et c’est ce qui nous a permis de nous positionner professionnellement au sein de 4Drive. Vouloir devenir son propre « boss », est-ce une raison suffisante pour entreprendre ? La réponse la plus facile serait de répondre « oui », bien entendu, mais ce n’est pas tout. Entreprendre au sein d’une activité qui nous tient à cœur et dans laquelle nous pouvons nous épanouir est aussi une raison pour devenir son propre patron, mais il ne faut pas oublier une chose : être son propre boss demande plus qu’être salarié, on ne compte pas les heures, cela demande un investissement personnel plus important. Il ne faut pas négliger tous ces aspects et rester peut-être focalisé sur le fait de ne plus avoir de patron à qui rendre des comptes : c’est justement en devenant patron que l’on se rend compte de la difficulté du poste de BOSS. Les erreurs font partie intégrante de toute aventure entrepreneuriale. En avez-vous fait ? Et quel a été le plus difficile pour vous dans votre parcours d’entrepreneur ? Notre société est toute jeune, elle a un peu plus de deux ans maintenant, donc je ne peux pas dire que nous ayons fait des erreurs majeures pouvant mettre à mal notre activité pour le moment ! Mais si je devais citer une erreur, je dirais que nous avons péché sur la communication, mais c’est un spot sur lequel nous nous rattrapons par le biais de formations en communication. Notamment la communication digitale, qui est devenue le moyen de communication par excellence avec l’émergence des réseaux sociaux. Avec le recul qui est le vôtre et en raison de votre expérience, pensez-vous qu’il est important de se former pour entreprendre ? Bien sûr, il est important de se former pour entreprendre, c’est un moyen sûr de connaître tous les rouages de l’entrepreneuriat. Un de nos associés avait suivi une formation en création d’entreprise, mais nous avons surtout eu la chance d’être accompagnés par des spécialistes dans leurs domaines respectifs. Nous sommes une jeune équipe et une formation plus complète de notre troupe n’est pas exclue. Il n’est jamais trop tard pour apprendre. Pour beaucoup d’entrepreneurs qui recherchent à s’associer, la question du statut juridique est souvent problématique. Quel est le statut de votre structure et quels sont ses avantages et ses inconvénients ? Nous avons opté pour une Société par Actions Simplifiée (SAS) qui a l’avantage notamment d’être souple dans son fonctionnement. Cette forme juridique répond à notre organisation de départ ainsi qu'aux objectifs fixés à moyen terme. À ce stade, nous n’avons pas rencontré d’inconvénient majeur concernant cette question. Comment envisagez-vous le développement de votre structure ? Malgré tout le chemin parcouru, nous sommes toujours au début de l’aventure et nous avons encore beaucoup de nouveaux projets à court et moyen terme. N’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux, car le meilleur est à venir.

La nouvelle BMW X4, un coupé au fort caractère

La nouvelle BMW X4, un coupé au fort caractère

Par Mike Matthew Photos : BMW France Quatre ans après sa première sortie, voici le nouvel X4 qui permet à BMW d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire des Sports Activity Coupé. Reprenant l’esthétique reconnaissable de son prédécesseur, sa nouvelle déclinaison remet au goût du jour le X4 avec des surfaces épurées, rehaussées de touches élégantes et modernes. Avec sa dynamique de conduite nettement améliorée, ses lignes résolument sportives, son intérieur raffiné et ses systèmes d’aide à la conduite et de connectivité ultramoderne, la nouvelle BMW X4 dégage une impression de puissance et affirme sa nouvelle identité. Et s’impose aujourd’hui, comme la plus captivante des sportives de la gamme chez BMW. Un confort exceptionnel. Grâce à ses nouvelles proportions : plus longue (+ 81 mm), plus large (+ 37 mm), un empattement accru (+ 54 mm) et moins haut de 3 mm par rapport au modèle précédent, le design extérieur de la nouvelle BMW X4 dégage agilité et puissance, et se distingue de ses concurrentes par ses lignes dynamiques qui confèrent au nouveau SUV l’allure d’une sportive au caractère bien affirmé. À bord, l’aménagement de l’habitacle est centré sur les besoins du conducteur avec un tableau de bord aux contours nets et une assise légèrement surélevée. Les matériaux de premier choix, la précision de la finition et les détails soignés donnent le ton, cette sensation d’être enveloppé dans un « cocon » qui procure toujours autant de plaisir. Également très fonctionnelle, elle propose des espaces de rangement volumineux, des vide-poches généreux et des porte-gobelets et autres compartiments améliorant la qualité de la vie à bord. À l’arrière, la banquette offre trois véritables places assises, avec davantage d’espace pour les jambes que sur le précédent modèle. Avec le dossier rabattable en trois parties de 40/20/40 fourni de série, il est possible de faire passer la capacité du coffre de 525 litres à 1 430 l. Une conduite unique. Pour son lancement, la nouvelle BMW X4 est proposée sous plusieurs variantes de motorisation : trois moteurs à essence, quatre moteurs à diesel et enfin deux modèles BMW M Performance qui s’imposent comme les fleurons de la gamme. Grâce à son châssis entièrement repensé, adapté aux spécificités du Sports Activity Coupé, mais aussi au centre de gravité abaissé par rapport à la BMW X3, la nouvelle BMW X4 peut se prévaloir d’une agilité exceptionnelle et d’un confort de conduite remarquable. Une association intelligente de matériaux a permis d’alléger considérablement le châssis, mais aussi la carrosserie et de nombreuses autres pièces. Grâce au concept BMW EfficientLightweight, le nouveau modèle pèse jusqu’à 50 kg de moins que la génération précédente (hors équipements). Les caractéristiques aérodynamiques du Sports Activity Coupé ont également été améliorées, portant le coefficient de traînée (Cx) de la nouvelle BMW X4 à 0,30, un niveau encore jamais atteint sur ce segment. Alors, qu'attendez-vous, pour vous lancer ?

La fondation Orange, pour une présence sans frontière et un ancrage local

La fondation Orange, pour une présence sans frontière et un ancrage local

Par Ken Joseph Illustration : Mathieu Delord Anciennement placé sous l’égide du ministère des PTT, l’opérateur historique de la fin des années 80, France Télécom, aujourd’hui Orange, s’est imposé dès sa création à l’origine du déploiement des réseaux téléphoniques les plus performants au monde et encore aujourd’hui très largement utilisés. Principaux opérateurs européens et africains du mobile et de l’accès internet ADSL, et l’un des leaders mondiaux des services de télécommunication aux entreprises, l’histoire de ce groupe a suivi de très près l’essor foudroyant et l’évolution mouvementée des télécoms depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui. Le groupe a été de toutes les aventures : du réseaucom2000 au GSM, de l’emblématique Bibop et des Pagers jusqu’à la 3 et 4G… Et sûrement demain du déploiement de la 5G. (…) le Groupe a toujours su préserver la nature de sa mission : permettre à tous de communiquer. L’humain en premier, comme point de départ et point d’arrivée. Vingt-sept ans après, le lancement d’Orange au Royaume-Uni qui révolutionna le marché avec la facturation à la minute, l’histoire de cette cellule administrative devenue entreprise privée en 2004, semble être l’une des plus belles success-stories made in France. Et avec un chiffre d’affaires de 41,096 milliards d’euros pour l’exercice 2017, soit une hausse de +1,2 % par rapport à l’année 2016, on peut dire que l’opérateur historique français, présent dans 30 pays du monde se porte bien, semble-t-il. Ce pour le plus grand bonheur des actionnaires, qui ont connu une augmentation du dividende pour l’exercice 2018. Orange a enregistré 503 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires cette année-là. Le bénéfice net dégagé est de 1,9 milliard d’euros. Par ailleurs, c’est la première fois que le chiffre d’affaires du groupe Orange enregistre une croissance en France depuis l’année 2009. Celle-ci s’élève à +0,6 % pour un chiffre d’affaires de 18,1 milliards d’euros en 2017. Fier de ses conquêtes à l’échelle du monde et de ces 263 millions de clients, au cours de sa profonde mutation, le groupe a toujours su préserver la nature de sa mission : permettre à tous de communiquer. L’humain en premier, comme point de départ et point d’arrivée. Plaçant ainsi l’homme, la société et la planète au cœur de toutes ses réflexions. «  Nous voulons offrir un progrès réel pour l’homme, le citoyen, nos collaborateurs et nos clients sur trois univers d’innovation : développer les potentiels de chacun d’entre nous ; construire une société plus intelligente, responsable et ouverte, mais aussi mieux équilibrée  », peut-on lire sur le site du groupe, sous la rubrique Human Inside. Faire du numérique un levier de progrès pour tous : voici l’objectif du groupe, aujourd’hui, qui affirme, ainsi, que la technologie est un vecteur majeur de développement et de progrès, aussi bien à l’échelle d’un individu, d’un territoire ou d’un pays. Et à travers sa démarche de RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) le groupe attache à rendre possible cette création de valeurs et activer les bénéfices du numérique dans la société. C’est ainsi qu’en 2015, l’éducation numérique, pour les jeunes et les femmes, devient la priorité du groupe par le biais de sa fondation. La démarche RSE du groupe via la Fondation Orange est inscrite au sein du plan stratégique du groupe, fondé sur une dynamique digitale, efficace et responsable. Chaque territoire est ainsi mobilisé et partage une même ambition de création de valeurs, déclinée en initiatives transverses ou locales dans le cadre de ses activités et sur ses sites. Fondée, en 1987, lorsque le groupe Orange s’appelait encore France Télécom, la vocation de la Fondation Orange a été de créer du lien entre les individus, faciliter la communication pour ceux qui en sont exclus pour des raisons diverses, de santé, de handicap ou du fait de leur situation économique. La Fondation est alors de tous les combats et ses engagements font, en effet, échos au prolongement de la mission première du groupe : permettre à tous de communiquer. Premier mécène des retransmissions d’opéra, avant d’avoir fait de la solidarité numérique son cheval de bataille, elle a d’abord choisi la culture, dont la musique vocale comme axe d’engagement. Ce qui lui permet de rendre accessibles de grandes œuvres dans plus de 300 salles de cinéma. Dès 1991, la Fondation Orange s’engage aux côtés d’associations aidant les personnes avec autisme, c'est ainsi que verra le jour l’association Volontaires pour les personnes avec autisme, constituée de salariés Orange bénévoles. En 2005, le groupe s’internationalise et dans la foulée aborde un nouvel axe, celui de l’éducation par les biais de la lutte contre l’illettrisme et la mise en place de programme d’éducation pour les filles et les femmes dans les pays en développement. Culture, santé et handicap, éducation, voici les trois priorités de la fondation Orange. En filigrane, elle cultive deux constantes, deux préoccupations « transverses » : l’attention portée à l’amélioration de la situation des femmes sans qualification et les jeunes déscolarisés, qui sont aujourd’hui systématiquement recherchés dans les projets que soutient la fondation, et l’utilisation des outils numériques, qui constituent un levier formidable pour ses actions, dans le champ de l’éducation et de la culture comme dans celui de la santé. Un ensemble avec comme fil rouge la solidarité numérique, visant à répondre aux besoins des populations. « nos engagements dans ces trois domaines : agir pour l’avenir des jeunes, l’autonomie des femmes et les personnes autistes » Engagée depuis 2005 dans des actions de mécénat en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, la Fondation Orange soutient des projets dans 30 pays, avec 16 autres fondations réparties dans le monde où le Groupe Orange est présent en tant qu’opérateur. Dans le fonctionnement, la Fondation Orange définit les grandes lignes, et ensuite chaque fondation dispose d’une certaine autonomie pour mettre en place les actions. La Fondation Orange anime les échanges avec les fondations des autres pays (ou des équipes du groupe sur place engagées dans les actions solidaires) via des calls et des conventions, puis valide les appels à projets. C’est ainsi qu’elle put développer les FabLabs Solidaires à l’international. Aujourd’hui, il en existe 73 dans 11 pays. Elle a également 530 écoles numériques dans 12 pays, qui permettent à 130 000 élèves d’accéder à des contenus pédagogiques envoyés directement dans des écoles qui n’ont pas de connexion. Dotée d’un budget annuel de près de 23 millions, dont 8 millions injectés en France, la fondation permet une plus grande intégration sociale des individus notamment par la mise en place d’un mécénat de proximité porté par les salariés du groupe et d’un grand projet destiné à réduire la fracture numérique : Orange Solidarité Numérique. La participation des salariés est une composante majeure du mécénat à travers le bénévolat, le parrainage de projets et le mécénat de compétence du groupe. Voilà, aujourd’hui, 34 ans, durant lesquels la fondation, ses partenaires et les salariés du groupe se mobilisent autour de projets majeurs, unis par la même volonté de créer, construire et développer des liens entre personnes sur ses territoires. Et la Guadeloupe et la Martinique comme la Guyane ne sont pas en reste. Pilotée sur les trois pôles par Catherine Nordey, responsable des relations extérieures et presse chez Orange Caraïbes, en qualité de déléguée mécénat fondation Orange, cette dernière entend bien développer et asseoir l’impact RSE du groupe dans nos territoires ultramarins. Et depuis 2010, sous son égide, ce sont près de 30 projets qui ont été accompagnés par la fondation, «  soit un total de près de 450 000 euros d’investissement permettant ainsi un ancrage des actions de la fondation Orange localement. Et nous travaillons encore au développement de cet ancrage sur ces trois régions  », confit la déléguée mécénat Caraïbe. Parmi les projets phares soutenus par la fondation orange aux Antilles-Guyane, autres que ces trois axes de priorité (culture, santé et handicap, éducation), Catherine Nordey, depuis 2015, au même titre qu’au plan national, a fait de l’inclusion numérique l’une des priorités de la fondation qui se développe autour de quatre programmes d’éducation numériques : les Écoles Numériques, les FabLabs Solidaire, les maisons Digitales pour les femmes sans emploi ni qualification et Ensemble pour l’insertion des Jeunes. Ainsi, c’est la création de cinq maisons digitales à destination des femmes qui ont été soutenues par la fondation (soit 108 000 euros), dont trois en Guyane, une en Martinique et en Guadeloupe. Trois FabLabs financés (soit 75 540 euros), 15 000 euros pour le soutien du projet d’un espace de formations numériques pour des jeunes déscolarisés de la ML Nord Martinique… Pour l’année 2018, la fondation a accompagné cinq projets à hauteurs de 118 000 euros. Et pour les années à venir, La Fondation compte bien continuer son action pour l’inclusion numérique et pour ses «  engagements dans ces trois domaines : agir pour l’avenir des jeunes, l’autonomie des femmes et les personnes autistes  », affirme Cartherine Nordey. La fondation accompagne également des événements dans des répertoires musicaux variés, ainsi que des projets à vocation sociale et pédagogique qui permettent une plus grande accessibilité des publics à la musique, pour exemple le soutien à la création d’un jeune chœur de Guadeloupe porté par Carib’Opera, le concours « voix des outremers » organisé par le Sopraniste Fabrice di Falco. La démarche RSE du groupe à travers la Fondation Orange est inscrite au sein du plan stratégique du groupe, fondé sur une dynamique digitale, efficace et responsable. Chaque territoire est ainsi mobilisé et partage une même ambition de création de valeurs, déclinée en initiatives transverses ou locales dans le cadre de ses activités et sur ses sites. Ainsi, le groupe Orange souhaite être un acteur essentiel et utile dans la vie de tous, en se concentrant sur ce qui importe le plus à chacun. Plus d’infos sur le site : www.fondationorange.com

Didier Delpech, entrepreneur engagé

Didier Delpech, entrepreneur engagé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure Le mécénat d’entreprise par la voie de Fondations connaît en France un envol spectaculaire. Environnement, sport, insertion, humanitaire… Aucun secteur ne semble échapper à la bienveillance des entreprises. Mais l’un des secteurs les plus courus grâce à la puissance économique d’entreprises telles que Cartier, le groupe LVMH, Hermès ou encore Kronenbourg reste la culture. Leurs leitmotivs au-delà de l’apport en visibilité ? La transmission d’un patrimoine culturel pérenne. Et c’est sûrement dans cette optique que Didier Delpech, président du Groupe Bloknot Antilles-Guyane, a créé la Fondation Fore en 2013, faisant de son entreprise la première PME guadeloupéenne à avoir sa propre fondation. Entrepreneur chevronné, Didier Delpech s’illustre désormais à l’image de ces chefs d’entreprise philanthropes qui ont la volonté de s’unir dans une démarche commune de promotion d’un territoire, d’un attachement à un patrimoine ou encore par l’enthousiasme d’une création… Donner n’est-il pas avant tout faire plaisir, en se faisant plaisir ? Rencontre d’un entrepreneur passionné et engagé. Quel a été votre parcours avant la création du Centre de Formation Fore en 1986 ? C’est avant tout celui d’un garçon curieux qui dès son adolescence avait envie de s’émanciper très vite. Après un baccalauréat technologique et une première année de faculté de sciences, j’ai voulu commencer à travailler sérieusement. Un petit coup de pouce du destin m’a permis de venir m’installer en Guadeloupe et de donner mes premiers cours d’électricité. Le monde de l’entreprise s’ouvrait à moi. La création de la Fondation Fore s’est faite sur un constat. Il fallait faire plus et mieux, éviter le saupoudrage et se concentrer sur un objectif majeur : « favoriser l’émergence de talents caribéens, au travers de leur savoir-faire ou leur art en développant, avec eux, des projets originaux à caractère artistique, culturel ou patrimonial ». Aujourd’hui, avec le recul, comment définiriez-vous votre aventure entrepreneuriale ? En premier lieu, je pense qu’il faut avoir cela en soi, une forme de vocation ou peut-être d’éducation. Je m'en souviens comme si c’était hier, pendant la préparation de mon BAFA, dire à mes copains, alors que je n’avais que 17 ans : «  J’aurai mon entreprise ! Je travaillerais à mon compte. » Ensuite, en découvrant le monde de la formation, j’ai compris que j’allais pouvoir concilier ce que j’aimais le plus, l’enseignement et le développement d’une entreprise. Comme on dit, j’avais trouvé ma voie. Trente-quatre ans sont passés et pourtant, je n’ai rien oublié. L’effervescence permanente, l’engagement de tous les instants, les sacrifices nombreux, les coups durs réguliers, mais ce qui reste, c’est toujours le positif. Les projets novateurs, les équipes avec qui je travaille et tous ces témoignages au quotidien qui nous prouvent l’utilité de notre engagement sur notre territoire. Aujourd’hui à la tête d’un petit groupe régional (Antilles-Guyane), j’ai le plaisir de travailler avec une équipe de 80 salariés, des partenaires de renoms et un grand nombre de formateurs consultants. Implantée en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à Saint-Martin, comment avez-vous orchestré le développement de votre structure ? Le développement d’une entreprise repose avant tout sur une vision partagée avec ses équipes, car au quotidien ce sont elles qui œuvrent pour l’atteinte de cet objectif commun. Nous avons mis au cœur de notre fonctionnement la qualité de service, le respect et une grande attention portée à l’ensemble de nos clients furent-ils stagiaires, entreprises ou financeurs. Mon rôle est de veiller à ce que ces valeurs soient toujours au centre de notre fonctionnement. Un autre point important, c’est toujours monter en compétences. Je suis moi-même un pur produit de la formation. J’ai compris très vite que si je voulais être performant, je devais en permanence me former. J’ai donc rapidement suivi une formation de formateur, puis des formations informatiques, mais pour le développement de mes entreprises, c’est celle en contrôle de gestion puis mon master en management stratégique (ICG) qui m’ont permis d’avoir une vision globale indispensable. En 2013, vous créez la Fondation Fore, quel était votre souhait à travers cette Fondation ? C’était avant tout le prolongement de nos actions antérieures. Fore a toujours soutenu des sportifs, des artistes ou bien des associations pour la réalisation de leur projet. La création de la Fondation Fore s’est faite sur un constat. Il fallait faire plus et mieux, éviter le saupoudrage et se concentrer sur un objectif majeur : « f avoriser l’émergence de talents caribéens, au travers de leur savoir-faire ou leur art en développant, avec eux, des projets originaux à caractère artistique, culturel ou patrimonia l ». En effet, votre fondation ambitionne le rayonnement de la culture dans nos territoires. Est-ce dire qu’il y a un déficit dans ce domaine ? Quel regard portez-vous sur la culture dans notre région ? Il y a beaucoup d’initiatives et nos territoires fourmillent de projets. Nous nous situons donc en amont pour favoriser l’émergence et la visibilité de ces talents. La responsabilité sociale de l’entreprise s’acquiert au quotidien par le respect de tous les corps sociaux qui la constituent, par son engagement environnemental, par sa participation à la vie de la cité. De façon concrète, comment s’articule votre action de mécène dans ce domaine ? La Fondation Fore au travers de son comité exécutif, de 10 membres, lance des appels à projets. À réception des dossiers, nous validons dans un premier temps qu’ils sont en phase avec l’objet de la Fondation, puis faisons une sélection sur des critères préétablis (originalité, faisabilité, budget…). Notre apport financier à ces projets oscille entre 2 à 15 000 euros. Toutefois, ce n’est pas notre seul soutien, nous essayons d’être aux côtés d'artistes ou de porteurs de projets pour les aider sur des aspects administratifs ou logistiques. Vos appels à projets, trouvent-ils véritablement un écho ? Plus qu’espéré !!! En effet, nous recevons un grand nombre de dossiers, d’une très grande diversité, tant au moment des appels à projets que tout au long de l’année. Pour ne rien vous cacher, c’est même un peu frustrant de ne pas avoir suffisamment de fonds pour tous les soutenir. Les choses changent, l’esprit et l’engagement des dirigeants également. Mais être entrepreneur ne signifie pas forcément être adepte d’un capitalisme débridé… Pour ma part, je prône pour un entrepreneuriat social. N’avez-vous pas le sentiment de pallier les défaillances des acteurs publics ? Non, simplement apporter notre pierre à l’édifice, rendre à ce territoire un peu de ce qu’il m’a donné. Pour vous, la finalité du capitalisme serait-elle de voir les entreprises contribuer à l’intérêt général sous dictat de la solidarité afin de gagner en respectabilité sociale ? La responsabilité sociale de l’entreprise s’acquiert au quotidien par le respect de tous les corps sociaux qui la constituent, par son engagement environnemental, par sa participation à la vie de la cité. La création d’une Fondation peut être une composante, mais ce n’est pas une fin en soi. Pourtant, capitalisme et solidarité ne sont pas des mots qu’on associe facilement… Les choses changent, l’esprit et l’engagement des dirigeants également. Mais être entrepreneur ne signifie pas forcément être adepte d’un capitalisme débridé. Pour ma part, je prône pour un entrepreneuriat social. Il y a aujourd’hui plusieurs philosophies du mécénat. Peut-on comparer votre action à celle de Bernard Arnault avec sa Fondation Louis Vuitton ou encore celle de Bernard Hayot ? Vous êtes taquin, j’aimerais avoir les mêmes moyens, car le travail est immense et très sincèrement j’admire ce qu’ils font dans ce domaine. Mais nous devons tout faire avec nos propres moyens, les nôtres sont limités, mais suffisants pour soutenir des projets régionaux et créer une réelle proximité avec les artistes. Que répondez-vous aux détracteurs du mécénat, pour qui les entreprises s’achètent un supplément d’âme à bon compte afin de revaloriser leur image ? Cela m’intéresse peu… Ce sont souvent les mêmes qui ne font rien !!! J’ai œuvré pendant 25 ans sans Fondation, mais avec le même engagement, je les invite donc à s’investir autant ! Quel est l’intérêt, aujourd’hui, pour un chef d’entreprise de recourir au mécénat ? Ce ne doit pas être une recherche d’intérêt direct, mais une conviction profonde, celle que l’entreprise a son rôle à jouer au-delà de sa propre activité, en contribuant d’une façon ou d’une autre à la réussite de projets non lucratifs. Cela va vous surprendre, mais pour moi il n’y a pas de définitions de la réussite et encore moins de modèles, c’est une notion très personnelle, mais surtout très subjective. La fiscalité avantageuse octroyée par la loi Aillagon pour le mécénat a-t-elle motivé votre choix ? Il est vrai que tout don fait à une Fondation ouvre droit à une déduction fiscale. Pour faire simple, pour un particulier 66 % du montant de son don est déduit de son impôt sur le revenu, et pour les entreprises, c’est 60 % du montant du don qui vient en réduction de l’impôt sur les bénéfices. Bien évidemment, c’est plafonné. En ce qui nous concerne, notre motivation était ailleurs, mais cet avantage fiscal nous a permis d’accroître sensiblement la dotation à la Fondation. Comment finance-t-on une Fondation d’Entreprise ? Avant de savoir comment la financer, il faut faire un choix pour son montage. Pour notre part, nous nous sommes adossés à la Fondation de France qui a une réelle expertise et qui accompagne plus de huit cents Fondations. Les démarches ont donc été simplifiées. Concernant le financement de la Fondation Fore, c’est assez simple puisque Fore est le principal donateur, complété par quelques dons privés de personnes qui comprennent notre démarche. En 2019, vous ouvrez un espace de travail partagé à Basse-Terre, est-ce une continuité dans votre engagement ? Quelle est la particularité de cet espace ? C’est en effet une continuité, car cet espace collaboratif concilie le monde de l’entrepreneuriat, la culture et le social. Il sera confié à l’association Annou Soti qui depuis de nombreuses années réalise en Basse-Terre des projets novateurs avec des personnes en grandes difficultés. Le Fort Coworking Social Hub. Pour finir, quelle serait votre définition de la réussite ? Cela va vous surprendre, mais pour moi il n’y a pas de définitions de la réussite et encore moins de modèles, c’est une notion très personnelle, mais surtout très subjective.

Fondation d'entreprise, révolution solidaire

Fondation d'entreprise, révolution solidaire

Par Maryse Doré Illustrations : Mathieu Delord Quinze ans après l’application de la loi Aillagon , du 1er août 2003, sur le mécénat, le nombre de fondations d’entreprises n’a cessé de progresser en France. Une dynamique constante depuis 2010, tant pour ce qui est du budget alloué que du nombre d’entreprises engagées dans le mécénat. En vérité, cette progression tient moins à l’exploitation d’avantages fiscaux qu’à la volonté des entreprises de rationaliser leur politique de mécénat et de transmettre une image cohérente. Et si le mécénat d’entreprise était un domaine, jadis, réservé aux grandes entreprises, aujourd’hui, il intéresse désormais les PME et les TPE, numériquement très présentes. En effet, le poids des PME parmi les entreprises mécènes a progressé de 9 points. Elles représentent dorénavant un quart des mécènes et 29 % du budget. En revanche, du côté des plus petites, 12 % des TPE sont engagées dans le mécénat et représentent 11 % du budget global, alors qu’une grande entreprise sur deux est mécène. Ainsi, on compte 14 % d’entreprises mécènes en France soit 170 000 entreprises, pour un budget de 3,5 milliards d’euros en 2016, soit plus de 25 % en deux ans. D’autre part, au 30 juin 2018, la France comptait 510 fondations créées par des entreprises, dont 411 fondations d’entreprise contre 240 en 2008. (…) les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale. Et les perspectives sont très optimistes, puisque près de 80 % d’entre elles déclarent vouloir stabiliser ou augmenter leur budget dans les deux ans à venir. Bien sûr, la législation, plus que favorable depuis 2003, y contribue fortement. Mais finalement, l’aspect financier ne serait qu’un facilitateur, puisque l’incitation fiscale n’est que très rarement la motivation première et arriverait même en dernière position. Première finalité : contribuer à l’intérêt général ; deuxième : exprimer et incarner les valeurs de l’entreprise. Vient ensuite la volonté de valoriser l’image et la réputation de l’entreprise. In fine, les entreprises sont toutes concernées par le mécénat. Et comme le prédit François Debiesse, le président d’Admical, association qui développe le mécénat depuis sa création en 1979 : «  L’entreprise de demain sera engagée ou ne sera pas  ». Qui dit mécénat, pense habituellement culture. Historiquement, cette forme d’action sociale apparaît en France pour soutenir et valoriser la production artistique. Pourtant, les champs d’intervention des entreprises mécènes sont en réalité très divers, tout en étant conditionnés par un cadre réglementaire. Celui-ci prévoit qu’elles puissent intervenir auprès d’organismes ou de personnes exerçant des activités présentant un intérêt général. Une notion souvent associée aux projets comportant un aspect culturel, sportif, éducatif, social ou encore philanthropique. Ces dernières années, le contexte de crise a eu une influence forte sur les domaines privilégiés par les entreprises. Elles concentrent désormais leurs efforts sur les enjeux de développement humain. «  On observe que les fondations se recentrent sur leur territoire d’ancrage pour prendre en charge les urgences sociales les plus fortes, ce qui constitue d’habitude une compétence des collectivités territoriales  », décrit Sylvain Reymond, responsable mécénat et investissement citoyen du réseau «  Les entreprises pour la Cité  » . Cet organisme, qui regroupe 250 entreprises engagées dans une démarche de responsabilité sociétale, a publié en 2016, en partenariat avec le cabinet de conseil EY, un panorama consacré aux fondations et aux fonds de dotation. Résultat de cette étude : les principaux domaines d’intervention de ces structures sont l’éducation (58 %), l’action sociale contre la précarité et l’exclusion (49 %) et l’insertion professionnelle (43 %). En queue de peloton se trouve le sport, choisi par 13 % des fondations seulement. Ainsi, relativement aux difficultés des institutions, les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale. L’Admical publie également tous les deux ans un baromètre sur le secteur. D’après les chiffres de 2016, les entreprises agissent principalement dans les domaines du sport (48 %), du social (26 %) et de la culture (24 %). Ce résultat ne contredit pas pour autant le panorama concernant les fondations. «  97  % des entreprises mécènes sont des très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), numériquement très présentes. Le sport reste l’un de leurs principaux domaines d’intervention, ce qui avantage ce domaine d’intervention au classement général  », explique Sylvaine Parriaux au journal Le nouvel économiste , qui précise que les chiffres concernant les budgets donnent une vision plus juste de la réalité. Les montants les plus importants sont, en effet, consacrés au social (17 % du budget global de 3,5 milliards d’euros en 2015), à la culture (15 %) et à l’éducation (14 %). Les pratiques diffèrent ainsi selon la taille des entreprises. «  Une petite structure va raisonner par rapport à son territoire. Sa motivation est d’y contribuer au-delà de son business  », souligne Sylvaine Parriaux. Comme vu ci-dessus, le sport est un domaine qui se prête particulièrement bien à cette ambition. Les grands groupes vont quant à eux chercher à être en cohérence avec leur stratégie responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ils ont tendance à choisir des actions qui font écho à leur domaine d’activité. La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable. Ainsi, dans bien des cas, la fondation d’entreprise s’inscrit dans une certaine continuité : engagement de l’Occitane en Roumanie dès 1989, soutien des journalistes d’Elle (magazine) à la création de ROZ (un magazine féminin en Afghanistan), la fondation EDF qui envoie entre autres ses techniciens pendant 15 jours en mission à l’étranger pour installer des panneaux photovoltaïques dans des zones sans électricité. Il peut aussi s’agir de donner de la cohérence interne à un groupe diversifié, comme chez Vinci. © Tobias Jelskov La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable. Il n’est pas non plus absurde de tabler sur des retombées commerciales à condition de bien se différencier. Les messages véhiculés par le mécénat peuvent surtout, plus facilement investir le champ social ou environnemental, par rapport à la publicité accusée de « greenwashing » (responsabilité environnementale). Si les publics sont variés (société civile, clients et médias), la fierté d’appartenir à l’entreprise apparaît à la fois comme un objectif et comme une condition de réussite. Les salariés peuvent être consultés pour définir les axes du mécénat, comme pour la fondation Areva, ou pour y soumettre des projets et apporter des compétences. Avec la crise, il apparaît que la fondation d’entreprise joue en outre un rôle stabilisateur, assurant une image de l’entreprise dans la continuité. Engagée sur 5 ans, la fondation d’entreprise ne peut pas faire l’objet de variable d’ajustement, même si certaines d’entre elles n’ont pas survécu à leur fondateur comme la Fondation Vivendi. Pour trouver un terrain d’entente, le mécénat se révèle fructueux lorsqu’il intervient sur un terrain proche de l’activité de l’entreprise, voire au sein d’une communauté, où elle est présente. L’environnement a logiquement fait une percée dans des fondations comme Veolia Environnement ou EDF. A contrario , le rachat en 2007 par un groupe d’entreprises d’un tableau de Poussin au profit du Louvre pour une somme rondelette avait fait grincer des dents dans les milieux syndicalistes de certaines entreprises et fondations donatrices. Bien qu’il soit fondé sur un acte volontaire, le mécénat s’imprègne de plus en plus des nouvelles exigences de la société civile et de responsabilité. Pour atteindre ses objectifs, la fondation doit s’appuyer sur de vraies compétences, souvent issues de plusieurs univers. Déléguée générale de la fondation d’entreprise Elle , Karine Guldeman provient du monde associatif. Autre exemple de diversité, le conseil d’administration de la fondation Air Liquide est composé de neuf membres, dont un représentant du personnel et « trois personnalités extérieures qualifiées » dans le domaine de l’environnement, de la santé et des micro-initiatives. Les mécènes conservent parfois certains complexes vis-à-vis de la communication externe, sauf dans le domaine culturel, où par exemple des fondations d’entreprise telles que Ricard, Louis Vuitton, Hermès, Cartier bénéficient de bonnes couvertures dans la presse artistique. En revanche, la communication sur les actions de solidarité se révèle un exercice délicat dans une France à la tradition judéo-chrétienne. En effet, certaines entreprises sont encore frileuses et hésitent par crainte d’être taxées de récupération en faveur de leur image. Cependant, les choses évoluent, lentement, et les entreprises assument de mieux en mieux leur rôle dans le domaine de la RSE y compris dans le domaine de la solidarité. Le mécénat d’entreprise n’a d’ailleurs pas à rougir puisqu’il développe de plus en plus des logiques d’investissements réciproques avec ses partenaires, dans lesquelles des résultats concrets sont poursuivis. Les fondations veulent en effet maximiser leur impact social et environnemental. Ce sont d’autres bailleurs de fonds, les philanthropes capitalistes anglo-saxons, qui ont amorcé de nouveaux concepts comme le « retour social sur investissement ». Il faut être capable de pister chaque euro investi, une exigence rendue encore plus incontournable avec la crise. Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes. Sur ces bases, la fondation d’entreprise se révèle un excellent instrument pour maîtriser son action et tenir un discours cohérent, notamment vis-à-vis des médias, parfois méfiants, mais aussi des actionnaires. La professionnalisation du mécénat peut contribuer à améliorer la réputation du monde des affaires. Au-delà des montants mis en dotation, la fondation constitue un outil peu coûteux, susceptible de créer un effet de levier à la fois au sein de la firme et dans la société, dans la mesure où les partenaires du donateur sont poussés à atteindre l’excellence. La crise aura eu pour effet de favoriser les investissements dans la solidarité aux dépens de l’international. Certains projets de création de fondations, momentanément gelés, devraient se débloquer lorsque la conjoncture sera devenue meilleure. Souvent, la création d’une telle structure vise à apporter de la lisibilité à la politique de mécénat d’une entreprise vis-à-vis de l’extérieur, et l’incite à clarifier son champ d’action. Quelques exemples de réussite locale... La Fondation Semsamar solidarité. Créée en 2011 par la Semsamar qui l’a doté d’un fonds initial de 150 000 euros, la fondation a pour but de structurer les actions sociales menées par la SEM au profit des familles défavorisées, des jeunes et de la promotion de valeurs telles que l’excellence ou la citoyenneté active. Semsamar Solidarités soutient à ce titre les structures associatives engagées dans l’action sociale à Saint-Martin, Guadeloupe, Guyane et Martinique. La Fondation Claude Emmanuel Blandin. Première fondation d’entreprise formée en Guadeloupe, la Fondation Claude Emmanuel Blandin mène des actions inscrites dans des champs d’intervention permettant le développement économique, social et culturel en avantageant l’éducation et la science. La bourse « mobilité Québec » est une action phare de la fondation Claude Emmanuel Blandin, qui s’inscrit dans une volonté de rendre plus accessibles les sciences et les techniques au plus grand nombre tout en promouvant la mobilité à l’international. D’autre part, la fondation porte sa contribution à de nombreux événements tels que le « prix de l’Audace » organisée par l’Union des Entreprises ou encore le Concours Robotique First. La Fondation Nestlé France. Créée en septembre 2008 sur le thème « Manger bien pour vivre mieux ». Sa naissance est partie de la publication d’un Livre blanc, qui dresse un panorama des habitudes alimentaires en France. La fondation d’entreprise récompense des acteurs de terrain, en soutenant notamment des projets de recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines pour mieux cerner l’évolution des comportements alimentaires. Elle a aussi mis en place un prix, les « Nids d’or », qui récompense des projets autour de la nutrition (éducation, plaisir, activités physiques et santé). © Fondation Hermès Alors que les États-Unis bénéficient d’une grande générosité du public et de l’existence de puissants philantropreneurs, la France dispose quant à elle d’un cadre fiscal très favorable, notamment pour les entreprises. Avec la crise, ces dernières ressentent une attente forte de leurs clients pour qu’elles intègrent, jusque dans leurs offres, une dimension éthique. Cette attente les pousse à instrumentaliser les opérations de mécénat, gommant les frontières entre intérêt commercial et intérêt général, comme c’est déjà le cas avec la multiplication des opérations de produits-partage. Avec la crise, le mécénat favorise de plus en plus la thématique de la solidarité. Dernier-né, le fonds de dotation qui permet également de faire appel aux dons du public. Peu d’entreprises y ont eu recours pour l’instant. Notons que le principal intérêt de la fondation d’entreprise ou du fonds de dotation est de permettre à l’entreprise de s’impliquer davantage dans le choix des programmes qu’elle souhaite soutenir ou pas. Dans le mécénat, l’entreprise se retrouve essentiellement dans une position de pourvoyeur d’argent. Elle n’a pas de regard sur les projets. À l’opposé, dans une démarche proactive, la fondation est décisionnaire. Elle est en contact direct avec les experts sur des sujets qui l’intéressent. Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes. La fondation porte d’ailleurs très souvent le nom de l’entreprise. Ainsi, le public peut facilement faire le lien entre l’entreprise et l’action menée. La fondation d’entreprise peut communiquer autant qu’elle veut, à condition que cela porte bien sur les programmes de la fondation et qu’il n’y ait pas de but commercial. Avoir une marque déjà connue prédispose à lancer une fondation. Pour les firmes moins connues, les aspects RH prédominent souvent. La possibilité de définir les missions de la fondation peut fournir des outils pour l’entreprise. Grâce à sa fondation, l’entreprise Rip Curl a pu mener des travaux de recherche sur l’écoconception, qui lui ont été utiles. Mais, l’ouverture sur les autres est présente, puisque ces recherches sont en « open source ». Ce programme se situe bien, comme la protection des récifs coralliens, au cœur de son métier. L’entreprise aurait eu moins de liberté en travaillant uniquement avec une ONG, comme la fondation Surf Rider, par exemple. La fondation peut aussi se révéler précieuse à un moment clé de l’histoire de l’entreprise. La fusion récente de deux entreprises a été facilitée, parce que l’une d’entre elles disposait d’une fondation, qui permettait à chaque salarié de choisir un programme à développer. Plusieurs conditions de réussite doivent être réunies : il doit exister un lien entre le métier de l’entreprise et les missions de la fondation, comme pour Lafuma la protection des Alpes ou encore le soutien des jeunes en difficulté à travers le sport. L’action de la fondation doit être communiquée et relayée en interne. Il ne faut pas laisser l’impression qu’elle est une «  danseuse du Président  ». Les salariés qui le veulent doivent pouvoir y participer. Une grille de sélection puis d’évolution des projets doit être préétablie, car leur sélection ne peut pas être aléatoire. Il faut définir des objectifs par projet et les évaluer chaque année avec le porteur de projet. L’idéal est de disposer d’au moins un permanent de manière à ce que la fondation soit réellement active et dispose de relais en interne dans l’entreprise. Il est indispensable que chaque année, la fondation s’investisse sur des projets et qu’elle ne soit pas « en dormance ». Enfin, à la suite des récentes réformes fiscales, les fondations d’entreprise et les fonds de dotation affichent leur inquiétude, en particulier celle de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les premières études, menées en juillet, laissent déjà apparaître une baisse des dons de l’ordre de 60 % à la suite de cette réforme, et cette tendance devrait, en principe, s’inscrire dans la durée. Quant au prélèvement à la source, son effet devrait être seulement temporaire, mais favorise l’attentisme des particuliers par manque de pédagogie sur les modalités de l’année de transition. Enfin, et non des moindres, la suppression de la « réserve parlementaire » des députés, en juillet 2017, a fait disparaître une importante source de financement des actions culturelles locales. Face aux menaces budgétaires qui pèsent, une piste est à explorer sur le développement du mécénat de compétences, sous forme de prestation de services ou de mise à disposition de main-d’œuvre. Mais à l’heure actuelle, les dispositions législatives actuelles sont imprécises et ne permettent pas d’articuler correctement le mécénat de compétences avec les règles de la commande publique.
Source : Panorama des fondations 2016 et 2018, par Les entreprises pour la Cité et EY

Cédric Rutil et la culture commerciale

Cédric Rutil et la culture commerciale

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel En entreprise, seul le comportement des résultats détermine toute pérennité, un impératif au quotidien pour tous entrepreneurs. Cédrick Rutil, directeur commercial et communication chez Citroën et DS Automobiles, fait partie de ces acteurs et experts de la culture commerciale qui mettent leurs expertises au service d'entreprises. Depuis 2015, vous occupez le poste de directeur commercial chez Citroën et DS Automobiles, quel a été votre parcours avant d’en être-là ? Formation initiale d’ingénieur complétée d’un master en management et gestion des entreprises. J’ai débuté ma carrière professionnelle il y a maintenant treize ans au sein de cabinets de conseil sur Paris puis j’ai eu l’opportunité de rentrer en Guadeloupe en 2008 grâce au Groupe Loret que j’ai intégré d’abord à la direction informatique puis au sein de la direction financière du Groupe. Ma carrière a été une suite d’opportunités que j’ai saisies, la dernière date de 2015 lorsque M. Jean-Luc Boulogne m’a proposé de prendre la direction commerciale et communication des marques Citroën et DS au sein de l’entité Auto Guadeloupe. Un bon produit est un produit qui plaît au plus grand nombre et qui satisfait à des critères de qualité incontournables tels que la fiabilité du p