top of page

My Items

I'm a title. ​Click here to edit me.

Mélissa Matou | Laboratoire FèyÔpéyi

Mélissa Matou | Laboratoire FèyÔpéyi

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, FèyÔPéyi, porté par Mélissa Matou, célèbre le patrimoine naturel guadeloupéen à travers une gamme de produits cosmétiques et nutraceutiques. Ce projet est bien plus qu’une entreprise, c’est un hommage à la richesse botanique de l’île. FèyÔPéyi incarne la fusion entre tradition et innovation, avec un engagement ferme envers la durabilité et la préservation de l’environnement. C’est une déclaration d’amour envers la Guadeloupe et ses trésors naturels, avec la vision d’une reconnaissance internationale. FèyÔPéyi démontre que l’entrepreneuriat peut être une force motrice du changement positif tout en valorisant le patrimoine local.     Fèyôpéyi. Docteure en Biologie moléculaire et cellulaire, avec une spécialisation en phytochimie et en phytocosmétique, j’ai cofondé le laboratoire FèyÔPéyi Bien-être et Cosmétiques aux côtés de mes collaboratrices, Savana André et Mélissa Marillat. Notre mission première est la mise en valeur des plantes aromatiques et médicinales originaires des Antilles et de la Guyane, en mettant en lumière leurs propriétés souvent méconnues ou sous-estimées. Dans cette optique, nous aspirons à développer un laboratoire de recherche et de développement pour créer des cosmétiques, des nutraceutiques et des matières premières innovantes, s’inspirant de la biodiversité locale. L’échec fait partie intégrante du processus entrepreneurial. À mon sens, il n’y a pas de réussite sans quelques revers.   Nous avons déjà lancé sur le marché des produits cosmétiques naturels et avons en projet de proposer des compléments alimentaires à base de plantes locales. Le nom « FèyÔPéyi » porte en lui une signification double, associant les plantes du terroir à l’idée de « fait au pays », en capsulant parfaitement notre engagement envers l’innovation naturelle et locale. Ma motivation principale est de trouver des solutions naturelles et innovantes pour les besoins en cosmétiques et nutraceutiques de notre population, en relevant les défis spécifiques de notre territoire.   Mental d’entrepreneure. L’esprit entrepreneurial a toujours été ancré en moi, et cette entreprise n’est pas la première à laquelle je me consacre. Je suis parfaitement consciente des défis et des risques inhérents à la création d’une entreprise. Le facteur le plus déterminant réside dans une vision claire de nos objectifs. Mon style de leadership est essentiellement de nature managériale. Mes proches me qualifient souvent de diplomate et de patiente. Je suis convaincue que l’harmonie et une attitude positive sont essentielles pour des relations humaines fructueuses. L’échec fait partie intégrante du processus entrepreneurial. À mon sens, il n’y a pas de réussite sans quelques revers. Toutefois, je n’ai jamais réellement accepté l’échec. Mon engagement dans chaque initiative est total, dans le but d’éviter les échecs et, surtout, de ne rien regretter. Mon plus grand défi a été de surmonter ma timidité et de sortir de ma zone de confort. Appartenant à une famille soudée, le soutien indéfectible, en particulier celui de ma mère, représente l’un de mes atouts les plus précieux.     Sa vision. La Guadeloupe doit renforcer ses liens économiques avec la Caraïbe et le monde pour encourager le commerce, l’investissement, et l’innovation. Malgré notre petite taille, notre emplacement au cœur des Caraïbes est stratégique. Il est crucial de briser les barrières mentales limitant notre interaction avec nos voisins et d’exploiter pleinement nos ressources. Ma carrière illustre que le talent local peut être reconnu à l’échelle mondiale, soulignant l’importance de faire valoir et de croire en nos capacités au-delà des frontières.   Il est essentiel que les nouvelles générations s’ancrent dans notre histoire, embrassent notre patrimoine, et démontrent que nous pouvons exceller localement et internationalement. Nous devons cultiver une fierté renouvelée envers notre identité et notre territoire, en bâtissant un avenir où notre héritage est non seulement préservé, mais aussi célébré et valorisé. Réaffirmons notre fierté envers notre identité et notre territoire.

Enrick Plantier | Flamboyant Premier

Enrick Plantier | Flamboyant Premier

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Flamboyant Premier, finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, redéfinit l’éducation en Guadeloupe. Sous la direction d’Enrick Plantier et de ses associés, ce collège privé se distingue par son engagement envers l’excellence et son approche pédagogique personnalisée. C’est bien plus qu’une institution éducative, c’est un lieu où l’ambition et les valeurs guadeloupéennes s’épanouissent. Flamboyant Premier incarne l’entrepreneuriat éducatif avec une vision audacieuse : former une nouvelle génération de leaders et d’innovateurs ancrés dans leur culture et prêts à relever les défis de notre société.     Flamboyant Premier. Flamboyant Premier est avant tout une histoire d’hommes et de femmes. Le point de départ est le centre de soutien scolaire de Jannick Marboeuf. Après de longues années, Malik Kabela et elle ont constaté un déclin de leur impact sur la scolarité de leurs élèves. C’est à ce moment précis qu’ils ont conçu l’idée d’ouvrir un collège pour intervenir plus tôt dans le processus éducatif. Ils savaient que pour mener ce projet à bien, ils avaient besoin de compétences complémentaires, c’est pourquoi ils se sont tournés vers moi. J'ai rapidement compris que fondé une école privée exigeait plus qu'une passion pour l'éducation : il fallait de la détermination, de la pugnacité et une vision claire. Ouvert en octobre 2022, Flamboyant Premier est un collège privé hors contrat qui se distingue par son approche pédagogique unique : des classes de huit élèves maximum, une emphase sur le développement global de l’individu et l’intégration des activités culturelles, sportives, et manuelles pour équilibrer l’excellence académique avec le bien-être de chaque élève. Les cours théoriques ont lieu le matin, suivis d’activités l’après-midi, incluant la gestion de projet pour développer des compétences pratiques et de leadership. Ancrés dans des valeurs d’égalité des chances, nous croyons en la transformation sociale par l’éducation, faisant de Flamboyant Premier un catalyseur de progrès au cœur de la jeunesse guadeloupéenne. Mental d’entrepreneur. L’aventure entrepreneuriale ne m’était pas prédestinée, mais la création de Flamboyant Premier m’a transformé en chef d’entreprise. J’ai rapidement compris que fonder une école privée exigeait plus qu’une passion pour l’éducation : il fallait de la détermination, de la pugnacité et une vision claire. Convaincre, partager notre rêve et surmonter les complexités administratives sont devenus mon quotidien. La réussite de Flamboyant Premier, c’est la concrétisation de notre idée en une entité florissante, en dépit des nombreux défis rencontrés.   Sa vision. Notre histoire et les spécificités culturelles qui en découlent favorisent l’innovation et la créativité. Nous devons proposer des solutions pertinentes aux problématiques locales. Cependant, nous privilégions souvent la sécurité d’un emploi salarié. Nous devons encourager une culture entrepreneuriale qui valorise la prise de risque, la créativité et la persévérance. Il faut reconnaître et célébrer les réussites entrepreneuriales locales afin d’inspirer d’autres aspirants entrepreneurs. La proximité avec d’autres entrepreneurs et le réseau d’organisations professionnelles peuvent renforcer la collaboration et le partage d’expériences. Le deuxième point critique est le financement. Beaucoup d’entrepreneurs ont du mal à obtenir les financements nécessaires pour mener à bien leur projet. Les subventions existent, mais sont souvent peu connues et délivrées trop tardivement. Enfin, le dernier point est l’éducation : nous devons investir dans l’éducation et la formation professionnelle pour développer des compétences adaptées aux besoins de l’entrepreneur.   Cheikh Anta Diop a souligné l’importance de s’armer de science et de reconquérir notre patrimoine culturel. À Flamboyant Premier, nous prenons cette mission à cœur en forgeant une conscience historique et culturelle chez nos élèves, les encourageant à reconnaître et à valoriser nos succès locaux et à se libérer de l’idée que ce qui vient d’ailleurs est meilleur. Cependant, nous avons aussi, individuellement, notre part de responsabilité. Nous aspirons souvent à cacher nos succès. Il est possible d’inspirer sans être dans la vantardise. Nous ne valorisons pas à sa juste valeur nos réalisations. Apprenons à apprécier des parcours comme ceux de Maryse Condé ou Euzhan Palcy.   Notre génération est convaincue que la force de la Guadeloupe réside dans sa capacité à éduquer son peuple, à le nourrir et à lui offrir des opportunités d’emplois. Flamboyant Premier incarne notre engagement en faveur de l’éducation, contribuant ainsi à un avenir où chaque Guadeloupéen peut être fier de son identité, de son patrimoine, et de ses réalisations. Nous sommes déterminés à montrer que l’éducation est le premier pas vers un développement durable et inclusif.

Claude Quenette | Dépozé

Claude Quenette | Dépozé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Dépozé, projet finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, est bien plus qu’une solution de covoiturage. Claude Quénette et Ketline Marie sont en phase de créer une véritable révolution de la mobilité à Marie-Galante. Leur initiative, axée sur l’accessibilité et la durabilité, vise à connecter la communauté tout en favorisant l’économie locale. Dépozé incarne l’esprit d’entreprise et l’engagement envers le territoire, en offrant une nouvelle perspective sur la mobilité. C’est un exemple inspirant de la manière dont l’innovation peut résoudre des problèmes locaux tout en ayant un impact positif sur l’environnement et la communauté.     Dépozé. Avec mon associée, Ketline Marie, nous avons initié un projet ambitieux : développer une solution de covoiturage adaptée aux spécificités de Marie-Galante, envisageant à terme son extension à toute la Guadeloupe. Ce projet pilote incarne notre vision d’un covoiturage accessible à tous, y compris à ceux éloignés du numérique, en intégrant une approche mixte combinant technologie et contact humain à travers une ligne téléphonique et un point de vente physique. Le choix du nom « Dépozé » fait écho à notre volonté de revendiquer une identité locale forte. Ce terme, ancré dans l’usage quotidien des transports en commun de l’île, symbolise à la fois une invitation au voyage et un hommage à notre culture. Cette approche du créole souligne notre attachement aux racines locales, tout en marquant notre ambition de renouvellement. La peur de l’échec est légitime, car les risques sont bien réels, mais cela ne devrait jamais être un frein, mais plutôt une force pour s’appliquer et dépasser cette peur.   Notre objectif est double : dynamiser l’économie locale et améliorer la mobilité des habitants, le tout dans une démarche respectueuse de l’environnement. Dépozé se veut être notre contribution au bien-être collectif, offrant une solution concrète à une problématique de mobilité, tout en favorisant l’épanouissement sur nos territoires grâce à nos savoir-faire.     Mental d'entrepreneur. L’entrepreneuriat a toujours été pour nous une vocation, une aspiration à matérialiser des solutions pour notre territoire. Ce désir s’est concrétisé après nos études, marquant le début de notre aventure entrepreneuriale. Nous avions hâte de monter ces projets qui nous habitaient depuis si longtemps.   La peur de l’échec est légitime, car les risques sont bien réels, mais cela ne devrait jamais être un frein, mais plutôt une force pour s’appliquer et dépasser cette peur. Le défi majeur pour moi a été de créer une plateforme en ligne, un domaine éloigné de ma formation initiale. Cette épreuve a renforcé ma volonté de réussir. Au sein de Dépozé nous tenons à développer un leadership participatif donnant à chacun une voix et une chance d’être entendu. C’est notre façon de créer un environnement où chaque utilisateur se sentira à l’aise et écouté.   Sa vision. Notre vision pour la Guadeloupe est audacieuse. Nous croyons que pour bâtir une économie solide, chaque individu doit prendre conscience de son potentiel. Nous appelons à l’encouragement des générations futures à embrasser l’entrepreneuriat, à cultiver leur richesse intellectuelle, culturelle et personnelle, et à ne pas avoir peur de rêver grand. C’est en formant les générations à venir et en leur ouvrant la voie que la Guadeloupe créera un écosystème performant soutenant la création d’entreprise. Les parents ont un rôle crucial à jouer en transmettant ces valeurs à leurs enfants. Nous croyons également qu’il est essentiel de mettre en avant les talents locaux pour inspirer les entrepreneurs de demain.   En fin de compte, la mission de notre génération est de catalyser le changement et d’encourager la prospérité, non seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les générations futures et la Guadeloupe dans son ensemble.

Kisilya Seymour | Baloya

Kisilya Seymour | Baloya

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Projet finaliste du Grand Prix Fabienne Youyoute, Baolya incarne une révolution dans le domaine de la périnatalité en Guadeloupe. Kisilya Seymour, à l’origine de ce projet, offre bien plus qu’un simple service : elle crée un havre de paix pour les futurs parents. Baolya représente l’union parfaite entre tradition et modernité, avec un accompagnement holistique qui s’inspire de la culture guadeloupéenne. Le projet a pour ambition de transformer radicalement l’expérience périnatale en mettant l’accent sur le bien-être des familles. C’est un engagement envers la Guadeloupe et son avenir, une preuve que l’innovation et la compassion peuvent avoir un impact réel sur la communauté.     Baolya. Ma passion pour la périnatalité, ancrée dans la richesse culturelle de notre territoire, a guidé mon parcours depuis mes premiers pas en tant qu’infirmière jusqu’à la fondation de Baolya, le premier et unique centre périnatal de la Guadeloupe. Ce lieu, où se rencontrent nature, traditions et expertise périnatale, est le résultat de mon expérience personnelle transformée en vocation d’entrepreneure, motivée par le désir d’offrir aux familles un accompagnement holistique, allant bien au-delà du suivi médical. C’est ainsi qu’est né Baolya, un écosystème où se trouve une équipe pluridisciplinaire, passionnée et à l’écoute, comprenant une sage-femme, des doulas, une kinésithérapeute, un orthophoniste, des psychologues, un sexothérapeute… qui accompagnent les futurs et jeunes parents à travers des consultations individuelles, des ateliers et des évènements collectifs.   Pour moi, réussir c’est avoir un but vers lequel aller et traverser les étapes pour y arriver, tout en savourant le voyage et ses aléas. « Baolya » fusionne « baobab », l’arbre de vie, et mon prénom. Ce nom incarne notre philosophie : soutenir la vie, dès ses premiers instants, dans un esprit de connexion et d’harmonie.   Mais pourquoi tout cela ? La Guadeloupe fait face à un défi alarmant. Plus d’un tiers des parents ici vivent un mal-être pendant leur grossesse, un pourcentage bien au-dessus de la moyenne nationale française. Les 1 000 premiers jours de la vie d’un bébé, de la grossesse à l’entrée en maternelle, sont cruciaux pour son développement. Pour élever des enfants épanouis, il faut des parents sereins. À ce jour, Baolya a déjà accompagné plus de 200 familles guadeloupéennes. Cependant, notre mission ne fait que commencer. Mon rêve est de faire de Baolya la référence en matière d’accompagnement périnatal en Guadeloupe. Nous avons l’intention d’étendre notre influence en ouvrant un deuxième centre en région basse-terrienne et de proposer des consultations ainsi que des ateliers virtuels pour atteindre encore plus de familles.   Mental d'entrepreneure. Quitter mon emploi salarié pour lancer Baolya fut une décision dictée par un déséquilibre entre mes valeurs et ma pratique professionnelle. J’étais tout à fait consciente des risques et des efforts à fournir au vu d’un tel changement, mais ils ne pesaient pas lourd face à ma détermination. Bien sûr, il y a eu des doutes en cours de route, mais chaque obstacle rencontré m’a permis de grandir, me défaisant de mon ancien mindset de salariée pour embrasser pleinement la vie d’entrepreneure.   Pour moi, réussir c’est avoir un but vers lequel aller et traverser les étapes pour y arriver, tout en savourant le voyage et ses aléas. C’est ressentir de l’épanouissement et de la satisfaction quand on regarde le chemin parcouru. Voir que l’on a évolué en une meilleure version de nous. Je tire satisfaction de l’évolution positive de mon parcours et je suis reconnaissante du soutien inconditionnel de mon entourage à chaque étape de mon projet.     Sa vision. En ce qui concerne ma vision pour l’avenir de l’entrepreneuriat en Guadeloupe, je crois en l’importance de l’éducation et de l’acculturation à l’entrepreneuriat. Il est crucial d’enseigner aux jeunes les compétences nécessaires pour créer et développer une entreprise, tout en simplifiant l’accès aux aides. Mon expérience m’a montré que l’accès aux aides existantes peut s’avérer être un véritable parcours du combattant, en particulier lorsque votre projet ne correspond à aucune catégorie préétablie.   Ma mère m’a toujours dit : «  Fo'w plen avan ou débodé.  » Les illustrations de réussite qui nous entourent dès notre plus jeune âge proviennent principalement de l’extérieur. Mettre en avant les exemples de réussite locales est essentiel pour nourrir l’identité et l’estime de soi des individus. Il est par conséquent primordial de connaître notre passé et de valoriser nos succès. Comme le dit un proverbe africain, «  on soigne les blessures sur sept générations  ». Notre génération est la septième après l’esclavage. Nous sommes donc à un moment de l’histoire où nous avons la possibilité de guérir profondément les traumatismes transgénérationnels, ce qui nous ouvre de nouvelles perspectives. À mon avis, la mission de notre génération est de redéfinir ce que signifie être Guadeloupéen et de donner une nouvelle dimension à cette identité.   En conclusion, avec Baolya, je m’engage à apporter un changement positif dans la vie des familles guadeloupéennes en leur offrant un accompagnement périnatal d’excellence. J’espère que cet engagement encouragera d’autres jeunes entrepreneurs Guadeloupéens à suivre leur passion.

Lespri Kaskòd ou l’avènement d’une puissance économique noire.

Lespri Kaskòd ou l’avènement d’une puissance économique noire.

Par Corinne Thimodent Photos : Teddy Vestris, Yvan Cimadure 12 years a slave ne s’affichait pas encore à l’écran que nombre d’entre nous savaient déjà, conscients de la persistance d’injustices – vivant ici, que le processus d’émancipation n’étant pas achevé qu’il nous faudrait sans cesse et sans répit poursuivre cette œuvre en nous construisant chacun, au bénéfice d’un nous-mêmes symbiotique, des chemins de libertés. Libertés qui au cours de ces quinze dernières années s’exprimant en mille et une manières créatives font démentir les « pas possible » et évoluer nos manières d’agir, jusqu’à déferrer ce droit naturel à tout homme d’entreprendre son territoire. Certain, une autre Guadeloupe se levait. Était-ce à son tour de faire sa part autant que de prendre (sa) part, moins qu’en quinconce, aux festins des responsabilités économiques, synonyme de pouvoir et pour beaucoup d’une forme d’indépendance ? Une Guadeloupe, rassurée sans doute, depuis l’affirmation du Gwoka au patrimoine mondial de l’humanité et l’avènement de l’accras, sublimé en mets déstructurés de maîtres-chefs, de la valeur de ses apports au monde. À nous, que nos aînés destinaient à toutes autres fonctions dirigeantes plus intellectuelles que manuelles, d’accéder aux implications autres que politiciennes ? Lespri Kaskòd est le fighting spirit d’une identité agile dont l’acte premier est de combattre les déterminismes. Moins évidente est la tâche. Car, s’il revient à chaque génération de trouver sa mission, la nôtre aussi ardue que passionnante, revêt tout d’un rôle modèle de pionner, appeler à faire exister ce qui n’est pas encore ou peine à surgir en business plan recevable ? À nous, qui revenions de loin… De l’article 28 du Code noir, plus précisément. Lequel, organisant notre pauvreté, déclarait que «  les esclaves ne pouvaient rien avoir qui ne soient à leur maître ; et que tout ce qui leur venait de l’industrie, ou par la libéralité d’autres personnes, ou autrement, à quelque titre que ce soit, était acquis en pleine propriété à leurs maîtres, sans que les enfants des esclaves, leurs pères et mères, leurs parents et tous autres y puissent rien prétendre par successions, dispositions entre vifs ou à cause de mort ; lesquelles dispositions déclaraient nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu’ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef » . Les volontés d’investir et de s’investir hors des univers connus de la politique, du fonctionnariat, du monde libéral en son statut d’arbitre, ainsi durement confrontées à ses interdictions légales, même après l’abolition du code les ayant établies, ont dû dès lors s’adapter, développer des stratégies de contournement faisant émerger Lespri Kaskòd. Un pur état d’être aux versions multiples, aussi bruyant que silencieux, révolutionnaire et résilient, hors posture du langage, chaque exemple qui en témoigne transcende la parole. D’abord en ba bwa , respectant la consigne de Dominik Coco, nos initiatives semblèrent amusantes, vaines pour les tenants du tout-import, qui cependant émargeaient aussi à l’export ; tant qu’il ne s’agissait que de banane, de rhum et de sucre. Tant que la production locale demeurerait une Hispaniola dont on ne cessait de vanter le potentiel tout en l’évidant de ses projets structurants, vite ramenés pour le confort plus que pour le bien d’une poignée à leur plus simple expression d’artisanerie. Mais à mesure que les productions locales, plus médiatisées, se frayaient des marchés, avec ses locomotives en têtes de pont, lustrées de l’indigo de ces noms devenant communs, l’ennemi, plus que jamais, allait s’arc-bouter aux privilèges surfaits d’une économie de comptoir en sursis, où le rôle de chaque acteur, chaque groupe était en train de se redéfinir. Le contrecarrer ? Non : Kaskòd ! L’enfant du professeur instruit-poète retournait à la terre, élever des poulets bio distribués en circuit court, de sorte que la valeur créée restât plus longtemps ici – Ô peyi – avant d’abonder d’autres mains. Kaskòd, aussi dans sa tête et tout son corps, les descendances des maîtres d’hier, qui, souscrivant entièrement à l’Histoire, portaient fièrement aux Galeries Lafayette leurs Biguines-Madras en Fwans, où elles ne cachaient plus ni un créole parfait ni une guadeloupéanité assumée. Les deux appartiennent au blason du Chevalier de Saint-Georges qu’une voix de Ladrezau rend, sans citation, plus vivant que jamais. Lespri Kaskòd est le fighting spirit d’une identité agile dont l’acte premier est de combattre les déterminismes. Et parce que nous avons appris de nos aînés, l’équilibre pour nous vient d’une quête de complémentarité, révélatrice de notre capacité unique à transmuter en beau et bancable ce qui, a priori, ne l’est pas. Manifester ! Amener à la réalité. Comme pour le mot « nègre », qu’il convient d’écrire avec un grand N, l’entrepreneur guadeloupéen – le sociétal, est ce Nouveau Colon de niches rendues par son engagement exemplaire, au-delà de la notion de travail, des cavernes d’Ali Baba. Fabienne Youyoutte, illustre ce propos, tant elle apporte au monde économique, sans faire de vagues à la surface, par touches disruptives en profondeur, ses textures généreuses aux saveurs originales, mariant notre île avec tous-les partout qui la composent. Elle a fait bouger les lignes. Oui, elle a su, couronnée de la reconnaissance de ses pairs du titre professionnel de Meilleur Artisan de France, asseoir sa notoriété pour obtenir une inclusion méritée au circuit des tour-opérateurs. Elle est la pause gourmande obligée des touristes comme des natifs de passage ou résidents qui prescrivent l’adresse, mais surtout y reviennent tous, conquis par l’audace de ses préparations. Oui, Youyoutte est désormais une marque constituée des attributs de son savoir-faire et des résultats financiers qui la distinguent et valident son ouverture à la franchise. Elle incarne, sans aucun renoncement à ce qui fait d’elle une femme, noire, une personne à part entière, l’excellence au présent du faire avec et voir plus loin, de Lespri Kaskòd !

Orlane Tancons | Orlane & Célian

Orlane Tancons | Orlane & Célian

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Teddy Vestris Finalistes du Grand Prix Fabienne Youyoute, Orlane Tancons et Célian Cafournet apportent une touche d’innovation à l’entrepreneuriat guadeloupéen. Leur plateforme, « Orlane & Célian », valorise les petites entreprises locales tout en offrant une nouvelle manière de découvrir la Guadeloupe. C’est une ode à l’esprit d’entreprise et à l’engagement envers le territoire. Leur projet incarne l’idée que l’innovation locale peut avoir un impact profond, en enrichissant l’économie de l’île tout en honorant ses trésors cachés. Orlane & Célian. Avec Célian Cafournet, nous avons lancé Orlane et Célian , une initiative née de notre amour inconditionnel pour notre île, la Guadeloupe, et notre passion pour l’aventure. Actuellement en fin de cursus d’ingénieur à Paris, nous sommes animés par le désir de revenir enrichir notre «  péyi » avec ce projet ambitieux. Notre aventure a commencé sur les réseaux sociaux, où nous partagions nos découvertes, rassemblant une communauté de plus de 110 000 passionnés. Notre e-book « Guide Péyi », dévoilant nos 50 adresses préférées et téléchargé plus de 7 000 fois, a connu un succès retentissant, soulignant le besoin d’une plateforme dédiée à la découverte de la Guadeloupe.   Il fut un temps où je percevais la réussite comme une série d’accomplissements personnels, tel que l’excellence académique. Notre mission est de promouvoir les petites entreprises locales en leur offrant visibilité et soutien, tout en proposant des réductions exclusives à nos abonnés. Ce modèle gagnant-gagnant favorise l’économie locale et enrichit l’expérience des résidents comme des visiteurs. En participant au Grand Prix Fabienne Youyoutte, nous espérons décupler notre impact, favoriser notre développement, et continuer à hisser haut les couleurs de notre île sur la scène mondiale. Mental d’entrepreneure. L’entrepreneuriat représente pour moi une voie d’apprentissage constant. En tant qu’étudiante, j’ai pris la décision audacieuse de me lancer dans cette aventure convaincue que c’était le moment idéal. Certes, cette route peut parfois susciter des appréhensions, mais c’est aussi ce qui la rend palpitante.   Il fut un temps où je percevais la réussite comme une série d’accomplissements personnels, tel que l’excellence académique. Désormais, je vois le succès comme l’impact positif que l’on peut avoir sur la Guadeloupe, en engageant des actions et en établissant des entreprises qui enrichissent l’économie locale, mais qui renforcent aussi la résilience et la cohésion de notre communauté.   Sa vision. Je suis fermement convaincue que pour établir une économie guadeloupéenne robuste et un écosystème entrepreneurial prospère, nous avons besoin d’un solide soutien de notre communauté envers les entreprises locales. À leur tour, ces entreprises doivent innover, se distinguer et s’adapter pour rester compétitives. Il est impératif de sensibiliser les porteurs de projets aux multiples opportunités qui s’offrent à eux, notamment les concours et les aides institutionnelles, tout en favorisant le réseautage et la collaboration entre les entrepreneurs. Cela contribuera à multiplier les échanges d’expériences et à offrir de nouveaux modèles de réussite aux générations futures. La tendance à se tourner vers des succès extérieurs pour s’inspirer s’explique par le manque de visibilité accordée aux réussites guadeloupéennes, en dehors des domaines du sport et de la musique. Il existe de nombreux entrepreneurs talentueux sur notre territoire, mais leurs histoires et leurs succès ne sont pas suffisamment mis en avant. Pour changer cette dynamique, nous devons mettre en avant les entrepreneurs guadeloupéens comme modèles de réussite, inspirant ainsi la jeunesse à chercher l’inspiration au sein de leur propre communauté.   Bien que réticente à définir une mission universelle pour ma génération, je constate que la génération (Z) possède un potentiel immense pour façonner l’avenir. En nous concentrant sur la durabilité et l’innovation, en exploitant la technologie pour le développement économique tout en préservant notre riche patrimoine culturel, nous pouvons créer un avenir prometteur pour la Guadeloupe

De 6 à au moins 7 chiffres, de chiffre d’affaires, est-ce encore possible ?

De 6 à au moins 7 chiffres, de chiffre d’affaires, est-ce encore possible ?

Par Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Tatiana Pavlova La pandémie de Covid-19 a frappé certaines industries beaucoup plus durement que d'autres. Les secteurs de l'automobile, de la mode et du luxe ont vu leurs revenus baisser de 10 à 15 % en 2020 par rapport à l'année précédente. Les sociétés pétrolières et gazières ont connu des baisses plus importantes de plus de 20 %, et les sociétés de voyages et de tourisme ont vu leurs revenus chuter de près de 50 %. En revanche, les sociétés biopharmaceutiques et technologiques ont elles connu une augmentation respective de 7 % et 6 %. De même, les régions géographiques ont connu des niveaux de retombées variables. Les entreprises basées en Espagne, au Portugal, en France et en Inde ont été les plus durement touchées, connaissant une baisse moyenne de leurs revenus de 7 % à 8 % de 2019 à 2020. Les entreprises basées au Royaume-Uni, en Allemagne, en Autriche et au Japon s'en tirent légèrement mieux, avec une baisse du chiffre d'affaires de 3 à 5 %. Dans le même temps, certains pays, comme le Brésil et la Grande Chine, ont vu leur chiffre d'affaires global augmenter en 2020 d'environ 6 %. © Sumaid Pal Singh Dans un contexte d’incertitudes, comment est-il encore possible d’atteindre 7 chiffres et plus de CA ? On ne reviendra pas ici sur les fondamentaux tels que la pertinence de l’offre de valeur de l’entreprise sur son marché, les méthodes adaptées en gestion de projet, le suivi rapproché de la trésorerie… mais de l’apport de la transformation numérique de l’entreprise. Ce sujet était déjà bien présent avant la pandémie et il le devient encore plus après. La transformation numérique de l’entreprise et son approche de vente sont véritablement un moteur de croissance pour l’entreprise. Réinventez vos modèles commerciaux, et tant que possible tirez profit des données. Recherchez le modèle commercial adapté à l’entreprise dans une approche dynamique, basée notamment sur l'apprentissage, l'adaptation, la collaboration. Vous pouvez décider de réinventer le modèle d'entreprise et choisir de co-optimiser vos avantages commerciaux. Ainsi vous créez de la valeur pour votre client final et exercez une influence au-delà de votre propre entreprise. Prenons l’exemple de l'assureur chinois Ping An. Il a fondé sa structure en 1988 en tant que compagnie d'assurance traditionnelle, mais il s'est récemment transformé pour devenir un leader numérique. L'entreprise a créé une grande variété de services numériques pour établir des relations clients et générer des données : il a beaucoup investi dans l'intelligence artificielle (IA), il a connecté les bases de données clients dans toute l'entreprise avec des systèmes d'IA et des plateformes de décision et il a formé des collaborations, telles qu'une coentreprise numérique avec Alibaba et Tencent, pour améliorer davantage ses capacités. Ces capacités lui ont permis de devenir la compagnie d'assurance la plus appréciée au monde. © Getty images Tirez parti des données. La transformation de l’entreprise devrait être envisagée en gardant à l’esprit dès le début, l’exploitation continue des données qui pourront être collectées. Les données ont de la valeur. Le fait de tirer parti des plateformes pour collecter, organiser, et exploiter les données permet les analyses prédictives sur votre marché et selon la qualité des données, celles d’autres marchés. L’accélération du commerce électronique, « e-commerce », est un bon exemple. Bien que les chaînes d’approvisionnement mondiales aient été perturbées, les entreprises qui ont su rapidement prioriser le passage au commerce électronique sur leur propre site ou plateformes en ligne et qui ont plus largement intégré l’automatisation des processus ont récupéré un avantage concurrentiel certain. D’une part, les entreprises y ont trouvé leur avantage : réduction des coûts de point de vente, diminution du risque, augmentation de la marge des bénéfices, augmentation de la portée géographique et du CA. D’autre part, les volumes et les observations qu’elles auront collectés, une fois traités et organisés serviront à prendre des décisions et à ajuster les prochaines stratégies. Ce ne sont pas la taille ou la capacité financière de l’entreprise qui fera la différence, mais l’attitude et les capacités des décisionnaires. Un autre exemple est celui de l’entreprise Pandora. Le détaillant de bijoux danois Pandora, avec 2 700 magasins, l'une des plus grandes marques mondiales de la catégorie, sur les dernières années a dû fermer 90 % de ses magasins et a fait le choix stratégique de digitaliser l'expérience de la marque et de développer une approche omnicanale. La COVID-19 a compliqué les plans. Toutefois, la direction est restée fidèle à son plan de transformation pendant la pandémie et a même intensifié ses efforts. L'entreprise a ouvert une unité numérique dans sa ville-siège de Copenhague et l'a dotée d'environ 100 ingénieurs en logiciel, qui ont été chargés de renforcer la présence numérique de Pandora et d'accélérer le passage au commerce électronique. Le hub numérique a déployé de nouvelles fonctionnalités comme une simulation d'essayage virtuel, un assistant d'achat à distance et de nouveaux canaux de distribution permettant aux clients d'acheter des produits en ligne et de les récupérer (ou de les retourner) dans les magasins physiques. En marketing, l'entreprise a augmenté ses dépenses médias et lancé des campagnes d'e-mailing personnalisées. Les initiatives de commerce électronique ont généré des résultats rapidement. Les ventes en ligne en 2020 ont dépassé les ventes en magasin pour la première fois dans l'histoire de l'entreprise. Et Pandora continue d'investir dans de nouvelles capacités dans des domaines tels que la science des données et l'analyse avancée. © Sumaid Pal Singh Restez agile, avancez en mode n .0. Ces transformations requièrent une direction technique et une équipe de préférence dédiée, capables d’identifier rapidement les tendances émergentes et dans un contexte d’incertitude de prendre des décisions rapides telles que « se tenir au plan » ou « s’adapter » L’entreprise Bed Bath & Beyond. Fin 2019, un nouveau PDG, Mark Tritton, a pris la relève. Il est venu avec une expérience antérieure dans la direction de la croissance axée sur les marques, les produits et des redressements omnicanaux. La pandémie a modifié leurs plans. Malgré l'incertitude, Tritton a vu la pandémie comme une chance d'accélérer et d'adapter certains éléments de la transformation. Il a réussi à constituer une équipe de direction de classe mondiale qui s'est concentrée sur un certain nombre d'objectifs spécifiques tels que : préserver la liquidité et renforcer la flexibilité financière en réduisant l'endettement ; réduire l'empreinte physique de l'entreprise en fermant définitivement plusieurs magasins ; accélérer le passage de la distribution multicanale à la distribution omnicanale et dévoiler leur plan de création de valeur dans le cadre d'une journée investisseurs. Sans parler de son CA, l'activité numérique et omnicanale a attiré 10,6 millions de nouveaux clients numériques (près du double du nombre de 2019), dont 5 millions de nouveaux clients de la marque. À la mi-2021, le cours de l'action oscillait autour de 30 $, contre 10 $ juste avant l'annonce de l'embauche de Tritton. Enfin, vous l’aurez compris, concentrez-vous sans relâche sur la transformation numérique de l’entreprise. Ne considérez pas la période pandémie, d’après pandémie ou la santé financière de l’entreprise pour arrêter la mise en œuvre d’un plan de transformation. C'est justement l'occasion de réfléchir à des changements ambitieux qui n'auraient peut-être pas été possibles dans des circonstances habituelles. IDC (International Data Corporation) rapporte que les investissements dans la transformation numérique vont augmenter à un taux de croissance annuel combiné de 15,5 % entre 2020 et 2023. D'ici 2023, 75 % des organisations disposeront de « feuilles de route complètes pour la mise en œuvre de la transformation numérique », contre seulement 27 % en 2020. Ce ne sont pas la taille ou la capacité financière de l’entreprise qui fera la différence, mais l’attitude et les capacités des décisionnaires. Les entreprises qui ont du mal à se lancer dans cette transformation peuvent commencer par des initiatives plus petites et plus ciblées pour renforcer leurs capacités et leur élan. Reste à savoir quel est votre niveau d’ambition. Votre vision du monde de demain ?

L'entreprise une pépinière de talent

L'entreprise une pépinière de talent

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Monique Ben À l’heure où il est beaucoup question de recrutement de talent et de leur fidélisation… Et si l’herbe était déjà verte sous nos pieds ? Et oui, et si des talents cachés se trouvaient au sein même de vos équipes, et si ces derniers ne demandaient qu’à éclore ? À travers cet article, nous aborderons la notion de talent, sa détection, son management et sa fidélisation. Mais avant tout… de quoi parlons-nous ? Qu’est-ce que le talent dans l’entreprise ? Le talent en entreprise revêt différentes approches. Celle qui nous intéressera ici portera sur la détention par un individu d’une ou de plusieurs aptitudes. Il s’agit ici d’une aisance naturelle renforcée ou pas par sa formation et/ou son expérience professionnelle et/ou extra-professionnelle. Nous parlons donc d’aptitudes souvent liées à la personnalité, au tempérament même de l’individu. À noter que le talent n’est pas automatiquement su de l’individu lui-même et n’a pas forcément eu l’occasion de s’exprimer dans ses expériences passées ni au sein de votre entreprise. Et c’est là tout l’enjeu du management et de l’accompagnement ! Comment identifier les talents ? Dans le processus de management des équipes et de la gestion des ressources humaines, plusieurs étapes sont au service de l’identification des talents. C’est ainsi que les entretiens annuels d’évaluation et de progrès (EAEP) et les entretiens professionnels sont des outils essentiels qui permettent de cartographier les compétences internes. En effet, l’EAEP constitue un moment formel permettant d’analyser les performances des collaborateurs, faisant ainsi apparaître leur champ d’expertise, mais également lorsque celui-ci est mis à contribution : leur talent. L’entretien professionnel, lui, permet, dès lors que les conditions nécessaires sont créées, de donner une occasion d’échanges qui peut permettre l’identification et l’expression de talent. Il s’agit de favoriser les situations où le talent du collaborateur pourra être sollicité, permettant ainsi une reconnaissance de cette aptitude et de facto une reconnaissance du collaborateur. Mais avant tout, les managers sont en première ligne pour être à l’affût des talents internes. En effet, qui mieux que le manager peut déceler, observer, être témoin de l’expression du talent chez son collaborateur. Prenons pour exemple, un personnel assurant des livraisons qui, au retour de sa tournée, recueille régulièrement des commandes supplémentaires de clients livrés grâce à son relationnel et son bagout, sans pour autant exprimer une appétence pour les métiers de vente. Ou encore, le(la) chargé(e) d’accueil qui en l’absence de votre référent(e) SAV excelle dans la gestion de litiges client. Le talent, c’est aussi le collaborateur qui fait preuve de créativité et d’innovation permettant à l’entreprise de se réinventer et de faire face à ses problématiques inédites ou encore de développer des projets innovants… Autant d’exemples qui nous amènent à nous poser la question : prêtons-nous suffisamment d’attention à ce type d’éléments, ne passons-nous pas à côté de potentiels inexploités ? Nous comprenons donc que le manager doit avoir la capacité de prendre du recul, d’analyser les pratiques (ce que les collaborateurs prennent plaisir à réaliser, ce sur quoi ils sont à l’aise) et de sortir du cadre. Oui, sortir du cadre et de l’ordre établi pour analyser de manière exhaustive le plein potentiel des membres de son équipe. Cela exige de favoriser un climat de confiance, de communication et de transparence. © Natalia Blauth Comment manager et accompagner un talent ? Après avoir décelé un talent, il s’agit de mener une réflexion stratégique sur la façon dont l’entreprise et le collaborateur pourront mettre à profit ce talent dans une logique gagnant-gagnant. Sachant que le collaborateur peut ne pas avoir conscience de ce talent, il peut être nécessaire de l’accompagner dans cette prise de conscience et de valorisation. En effet, ledit talent peut être perçu comme une aptitude banale par le collaborateur tant sa mobilisation lui est simple et naturelle. Il s’agira ensuite de structurer et de cadrer la mobilisation du talent. Gardons en tête que déceler un talent n’est pas synonyme de bouleversements dans l’organisation de l’entreprise. Il s’agit de favoriser les situations où le talent du collaborateur pourra être sollicité, permettant ainsi une reconnaissance de cette aptitude et de facto une reconnaissance du collaborateur. Une vision tronquée pourrait considérer qu’il s’agit d’adapter l’entreprise aux individus. En réalité, la démarche est bien plus vertueuse... Ne l’oublions pas, la reconnaissance n’est pas que financière. Dans d’autres cas, le talent est tel qu’il s’agira d’opérer des changements dans l’organisation (changement de poste, évolution de la fiche de poste…) afin que l’entreprise et le collaborateur expriment au maximum ce talent. L’illustration peut être le livreur qui, désormais, a une prime de commande client, ou qui évolue vers un poste de commercial. Se pose alors la question de la formation. Le talent brut peut en effet également nécessiter une formation annexe qui pourra affiner ce qui est fait naturellement ou viendra apporter les compétences manquantes pour la pleine réussite au nouveau poste. Pour poursuivre l’illustration, cela pourrait être une formation sur l’outil informatique pour le livreur devenu commercial. Il s’agit ensuite d’assurer un suivi régulier du collaborateur afin de s’assurer de son épanouissement dans les missions ponctuelles confiées, son épanouissement au nouveau poste le cas échéant. © Getty images Faire du Talent Management c’est aussi cela à l’échelle de nos TPE et PME locales. À l’heure où l’agilité est de mise au regard de l'actualité et de la nécessaire adaptabilité : et si la réussite du collectif passait également par là… Une vision tronquée pourrait considérer qu’il s’agit d’adapter l’entreprise aux individus. En réalité, la démarche est bien plus vertueuse : optimiser la capacité de l’entreprise à capitaliser ses ressources internes et aller plus loin ensemble grâce à l’unicité de chacun qui, à la bonne place dans le système, contribue encore davantage à la performance collective. Et le talent non exploitable au sein de mon entreprise ? Le plus souvent, cette question se pose dans le cas de collaborateurs, conscients de leur talent, qui s’essoufflent et finissent par ne plus avoir d’intérêt pour leur mission. Dès lors que le collaborateur montrera des signes de démotivation, il s’agira alors de préparer son départ de l’entreprise en organisant et en optimisant la transmission des compétences liées au poste occupé. Alors nous vous posons la question : quels sont les talents cachés, ignorés, sous-mobilisés au sein de votre entreprise ? Enfin, et vous dirigeant ? Quel est votre talent ? S’exprime-t-il pleinement ?

Le défi de l'adaptation permanente

Le défi de l'adaptation permanente

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Sergey Vinogradov Lorsque la résilience est la seule issue, nos entrepreneurs savent faire preuve de flexibilité. Une vérité généralisable à l’ensemble du monde économique et cela au-delà des frontières : les évolutions font partie du paysage économique, social et environnemental. Penser l’entreprise, penser l’entrepreneuriat signifie s’ouvrir à l’exercice de l’adaptation permanente : s’adapter pour réussir, s’adapter pour se faire connaître, s’adapter pour vivre, s’adapter pour survivre ! Deux choix : Impulser le changement ou le subir. La crise sanitaire est l’illustration véritable du défi de l’adaptation, où l’immobilisme n’est pas une issue possible. Nos organisations ont ainsi été mises à rude épreuve et continuent d’être en perpétuel mouvement. Mais quels ont été les leviers de cette flexibilité ? Comment gérer l’après ? Devons-nous relâcher l’attention ? Comment être dans l’anticipation ? Comment assurer des conditions de travail propices à la performance de l’entreprise ? Quels sont les changements de comportement ? Le changement est par définition le fait de modifier quelque chose, le passage d’un état à un autre. Dans l’entreprise, cette notion prend tout son sens, et ce même à très petite échelle : évolutions réglementaires, changement de pratiques, modification d’organisation de travail, distanciel, départ de collaborateurs, intégration de nouveaux collaborateurs, changement de logiciel… Changer induit une modification des habitudes pour l’organisation ainsi que les individus qui la composent. Commence alors un cheminement plus ou moins long en fonction de l’appétence au changement de votre entreprise : le choc, le déni, la frustration, la dépression, l’expérience, la décision et enfin l’acceptation. La clé de la réussite du processus réside dans notre capacité, en tant que manager, à anticiper et à accompagner ce processus. Une approche experte qu’il est indispensable de maîtriser. © Faruk Tokluoglu Le fondement de la flexibilité réside avant tout dans le sens de l’action. Il n’est pas question de changer pour changer, mais bel et bien pour la performance réelle de l’organisation. Pour ce faire, quatre piliers indispensables : donner du sens, adopter une communication transparente, capitaliser sur une coordination des équipes (mobiliser les influenceurs avec efficacité) et identifier le bon moment (dans la mesure du possible). Faites de vos collaborateurs des acteurs du développement en intégrant la co-construction dans votre mode de management. Voilà une nouvelle casquette ajoutée au panel de l’entrepreneur. « Facile à dire », dirons-nous ! Dans les faits, de nombreuses actions font déjà partie de l’ADN des entreprises et prennent racine dans l’histoire de nos organisations. Nous faisons ici allusion à la capacité de résilience face aux évènements notamment climatiques ou sociaux, notre nécessaire adaptation dans notre vie quotidienne pour faire face aux demandes ou obligations liées à notre statut de citoyen. Notre adaptation est d’autant plus simple lorsqu’elle est dictée par une logique ayant du sens pour nous, lorsqu’elle est proche de nous et nous semble accessible. Au sein de l’entreprise, le mécanisme est le même. Il est ici question de préparer les éventuels changements en créant une dynamique créatrice par l’ancrage du collaborateur au sein de l’entreprise : favoriser une communication par le sens et jouer la carte de la transparence de l’information pour impulser un sentiment d’appartenance. Comment identifier la limite entre dire et en dire trop ? En raisonnant autrement, nous pouvons avancer que vos collaborateurs sont les premiers ambassadeurs de l’entreprise, comment parler d’une entreprise que nous ne connaissons pas vraiment ? Changeons les paradigmes et privilégions la performance et le développement des acteurs de l’entreprise. Faites de vos collaborateurs des acteurs du développement en intégrant la co-construction dans votre mode de management. Une co-construction au service d’une organisation apprenante. Ainsi, capitalisez sur chaque situation, chaque adaptation à tout niveau de l’organisation en vue d’une progression collective. © Busra Ince Les RH le moteur d’un changement efficient. Identifier et adapter les leviers de motivation pour en faire bon usage. Nous ne parlons pas que de motivation financière, mais bien d’améliorer votre connaissance de votre équipe et de ses aspirations. Management, méthode de travail, qualité de vie au travail, bien-être, équilibre entre vie professionnelle et vie privée, culture d’entreprise sont des leviers mobilisables indépendamment de la taille de votre organisation. Manager le changement n’est pas sans risques sans une stratégie d’action finement réfléchie et anticipée. Créer et cultiver une culture d’entreprise permet d’avancer plus sereinement au sein d’un environnement mouvant de manière collective et soudée, telle une chrysalide faisant bloc face aux turbulences de l’extérieur tout en ayant la capacité à se développer. La culture d’entreprise est unique à chaque entreprise, elle fait référence à un socle de fonctionnement commun réuni autour de valeurs, de rites, d’une histoire, d’une mission, d’une vision, d’une identité propre et de l’identité du/de la dirigeant(e). En général, elle n’est pas notre priorité au démarrage de notre activité, mais elle se doit de l’être au moins au moment du premier recrutement. Elle permet d’instaurer un mode de fonctionnement commun. Il s’agit d’un véritable levier identitaire utile à fédérer autour d’un projet commun. En effet, le développement d’une intelligence collective présente des avantages non négligeables en matière de flexibilité : émergence de nouvelles pratiques, souplesse dans la réalisation des missions, coopération productive… La situation sanitaire a mis en exergue de nombreux dysfonctionnements au sein des organisations, mais a également permis de révéler des aptitudes utiles à relever les nombreux défis à venir. Le défi de la digitalisation longtemps abordé timidement au sein des entreprises est devenu une réalité incontournable. Manager à distance, télétravail, retour post-télétravail, comment identifier l’organisation optimale qui se doit de perdurer ? Aucune réponse type ne peut être apportée à cette question, car chaque organisation est différente et possède sa propre identité. Repenser l’organisation, accepter de travailler autrement, laisser entrer la créativité au centre des entreprises sont autant d’éléments permettant la création d’une performance pérenne. Manager le changement n’est pas sans risques sans une stratégie d’action finement réfléchie et anticipée.

Les 3 types de management à privilégier en période de crise

Les 3 types de management à privilégier en période de crise

Par Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Lia Bekyan Le monde de l’entreprise a, de toute évidence, changé. Bien que l’étape critique de cette pandémie semble être derrière nous, les activités économiques ne reprendront pas comme avant. Le défi des dirigeants est désormais de réussir à conduire le changement, à naviguer et à prioriser les challenges les plus critiques, entre l’homme et la technologie. Face à cette nouvelle réalité, l’avantage concurrentiel est pour les chefs d'entreprise qui agissent rapidement et qui surtout, adaptent leur leadership. Le besoin de leadership au sein des organisations n'aura jamais été aussi critique. L’enjeu réside maintenant dans la capacité des femmes et des hommes impliqués sur les projets à s’adapter rapidement. Le leadership n’est certainement pas qu’un sujet tendance. Les enjeux sont bien réels. La stratégie autour des ressources humaines et la culture d’entreprise deviennent les principaux facteurs clés de succès. La crise sanitaire a suscité des questionnements individuels. On se retrouve dans un contexte où les femmes et les hommes s’éveillent et s’interrogent : « Où vais-je vraiment ? », « Qu’est-ce que je veux faire ? » « Et comment ? »… Une série de questions qui vient repenser et asseoir les fondamentaux du management. © Sumaid Pal Singh 3 types de leadership à privilégier. La plupart des chefs d’entreprises et dirigeants sont des gens très occupés. De façon générale et encore plus durant cette crise, leur attention étant portée sur plusieurs sujets critiques en même temps, ils perdent de vue la direction du travail d’équipe. Il en résulte différents problèmes d’équipe : l’absence d’une direction claire, le manque de structure, des difficultés à maintenir l’harmonie entre plusieurs personnalités ou encore une mauvaise communication. Cela explique qu’au fil du temps, les gens se désengagent, perdent confiance dans l’avenir de l’entreprise ou de leur évolution au sein de celle-ci. Un leader qui veille à développer les compétences, les comportements et les mentalités des membres de son équipe est à coup sûr efficace dans son rôle. Quel leadership établir dans un environnement de travail complexe, en pleine transformation ? Comment assurer une bonne direction d’équipe ? Comment développer ses compétences relationnelles, son intelligence émotionnelle pour influencer et produire des résultats plus solides ? Le management n’est pas qu’une question de savoir-faire. Diriger ne consiste certainement pas simplement à donner des instructions, mais plutôt à inspirer son équipe vers une vision afin qu’elle réalise ce qu’elle ne soupçonnait pas pouvoir produire un jour pour impacter positivement son marché. Ici l’angle de croissance pour l’équipe comme pour l’entreprise est différent. L’enjeu n’est alors plus qu’une question de respect du timing pour l’obtention d’un bonus pour un manager par exemple, ou pour plus de bénéfices pour le chef d’entreprise. L’enjeu est alors beaucoup plus profond : être acteur du monde de demain. Le fait de comprendre, voire de ne faire qu’un avec cette vision active, une énergie de management et une synergie d’équipe différente. Si vous dirigez avec un état d’esprit uniquement tourné sur la rapidité et la quantité, je vous invite vivement à passer à un état d'esprit de qualité. Un leader qui veille à développer les compétences, les comportements et les mentalités des membres de son équipe est à coup sûr efficace dans son rôle. Bien que le style directif ou chef de file, dans lequel vous attendez une obéissance et l’application immédiate de ce que vous avez dit, fonctionne pour amorcer un changement rapide, en période de crise, il est à proscrire puisqu’il impose l’action, mais sans partager la vision globale. La question du leadership est primordiale pour susciter des résultats bénéfiques tant pour l’entreprise et les clients que pour le monde dans lequel nous évoluons. En s’appuyant sur les 6 types de leadership de Daniel Goleman, en période de crise, le leader qui fonctionne en mode « collaboratif », « participatif » ou « coach » obtient des résultats bien plus positifs. ­Assurez-vous de créer de l’harmonie et de construire des liens au sein de votre équipe, de vous intéresser vraiment au collaborateur. Cela vous demandera de travailler votre intelligence émotionnelle, votre capacité d’écoute et de médiation. Créez le consensus de participation avec des questions d’inclusion comme « qu’en pensez-vous ? ». Montrer que l’avis de chacun est utile active l’intelligence collective d’une équipe, la créativité et l’esprit de solution. ­Et encore mieux, avec une vision long-terme, aidez les membres de votre équipe déjà performants à se développer encore plus. Cela assure aussi une meilleure productivité. Il vous suffit d’être un peu attentif en suggérant, selon les cas, des solutions avec des invitations du style « essayez ça ». Au travers de ces 3 styles de leadership, dans un environnement complexe ou en période de crise, il s’agira d’apprendre à écouter pour comprendre plus que de chercher à répondre. Ne sous-estimez pas l’importance du développement du leadership. Les actions et attitudes des dirigeants peuvent engourdir ou stimuler la performance de l’entreprise. Ces approches sont idéales et apportent une différence nette en matière de résultats. Les entreprises peuvent émerger plus fortes, plus agiles, plus innovantes et plus à même de répondre à un environnement en constante évolution.
© Gade Rebra Le leadership ne s’improvise pas. La question du leadership est primordiale pour susciter des résultats bénéfiques tant pour l’entreprise et les clients que pour le monde dans lequel nous évoluons. Pour actionner efficacement son leadership, il faut avoir un cœur et un esprit engagé. Il ne suffira pas de déployer les techniques transmises en formation ou en séminaire. C’est une décision qui vous pousse à anticiper votre approche relationnelle et technique afin de communiquer, influencer et atteindre avec votre équipe, semaine après semaine, les objectifs de l’entreprise.
Votre équipe est l’une des clés de votre succès, mais encore faut-il avoir mis en œuvre des routines pratiques et des outils simples, faciles à intégrer pour cibler efficacement les attentes et résultats. De même qu’une gouvernance adaptée facilitera la collaboration, la participation et surtout le feed-back. Chacun peut oser plus, libérer son potentiel, sans peur, dans un cadre structuré et naturellement bienveillant. La culture organisationnelle ainsi se renforce. « Les leaders doivent utiliser leurs forces naturelles, mais ils doivent aussi chercher sans relâche des moyens de combler leurs propres écarts de rendement et d’améliorer leur comportement ». Notre société souffre d’un manque de femmes et d’hommes capables d’influencer, capables de créer et de fédérer positivement. Avez-vous déjà réfléchi au leadership que vous souhaitez incarner ? Que pourriez-vous dire de votre leadership aujourd’hui ? Que dit-on de vous ? De quel succès à fort impact êtes-vous fier ? Comme le disait un spécialiste du leadership « Diriger et gérer une organisation est une tâche complexe qui exige une combinaison unique de compétences. Les leaders doivent utiliser leurs forces naturelles, mais ils doivent aussi chercher sans relâche des moyens de combler leurs propres écarts de rendement et d’améliorer leur comportement ». Alors quel leadership allez-vous privilégier ?

La réussite, how to handle

La réussite, how to handle

Par Mary B. Photo : Filipp Romanovski Antoine a tenté sa chance et acheté un ticket de loto. Et en y inscrivant ses 6 numéros, et heureux hasard, coup de poker ou alignement des planètes, il gagne le million ! Aussitôt, la machine se met en ordre de marche, conseiller financier, psychologue, gestionnaire de patrimoine et j’en passe. Est-ce trop ? Trop de monde, trop d’attention, je ne pense pas. Pourquoi ? Car réussir, quel que soit le motif qui nous a poussés au sommet demande un encadrement, une vision, une équipe. Pour Marie, chef d’entreprise, à l’aube de décrocher un gros contrat, que va-t-elle trouver au moment de signer ? Pléthore d’ouvrages sur l’échec ? Comment rebondir ? Certes, l’échec est un atout, mais qu’est-ce qui va la préparer à la réussite et surtout la maintenir en haut de la montagne ? Une définition ? Prenons le temps quelques minutes de définir ici ce que j’entends par la réussite. Tout d’abord, on ne peut pas réussir sa vie professionnelle si on la dissocie de la vie au sens le plus large. La vie s’articule autour du cercle de vie, composé d’amis, de l’amour, etc. La réussite est son ensemble, un équilibre entre tous les aspects qui nous permet de réussir. La réussite ne consiste pas, seulement, à comptabiliser combien d’argent nous rapportons à la fin du mois, mais elle se définit aussi autour de notre contribution afin de laisser un monde un peu meilleur, et faire quelque chose pour rendre quelqu’un un peu plus heureux. © Busra Ince Les ingrédients. « Travailler sur ses rêves plutôt que sur ses échecs . » La réussite demande de travailler sur l’acceptation vers la responsabilité et donc la fuite des excuses. Pour cela, nous devons résoudre avant tout une chose essentielle : l’estime que nous avons de nous. Comment ? C’est en s’établissant sur nos valeurs, ce qui compte, ce qui anime notre feu, notre socle qu’on va développer la confiance en soi. Utiliser l’amour de soi en ayant une vision positive de soi, de son cadre de vie, va nous amener plus de bien-être, une confiance qui se gagne au fur et à mesure que l’on va développer ses talents. Ces croyances qui nous limitent dans notre action, notre confiance, se créent parfois depuis le plus jeune âge dans notre environnement familial ou scolaire : « tu es un bon à rien, tu ne seras jamais… ». Comme nous l’affirme Gilles Paire, coach certifié du centre international du coach « il est plus facile de développer ses talents que de corriger ses blessures », et il est donc plus facile de se focaliser sur ce qui marche, ses rêves et ses ambitions. Au fur et à mesure qu’on développe ses talents, l’estime de soi se développe et cela va se dérouler tout seul. Ça paraît simple à dire, mais ce sont des ingrédients qui vont amener la confiance ! Je partage avec vous ici mon mantra, mon petit secret : tu le mérites, tu y as droit, tu es un gagnant, tu peux rester au sommet, tu peux en jouir en toute quiétude. Et la chance, me direz-vous ? Oui, il est tout aussi important de prendre en compte les événements et les facteurs extérieurs qu’on peut aussi qualifier de hasards ou de bonnes rencontres ! Des rencontres qui peuvent nous ouvrir des portes ou nous pousser à aller hors de notre zone de confort, nous poussant à nous dépasser. Ce sont des portes qui facilitent notre réussite, et qui associées à beaucoup de travail facilitent le succès. © Filipp Romanovski Mais une fois le sommet atteint, comment y rester et surtout le souhaite-t-on consciemment ou non ? Qu’est-ce qui peut freiner ou empêcher notre réussite : nos croyances limitantes ! Ce sont ces petites phrases qu’on se répète devant le miroir ou dans notre cœur après un échec, une blessure ou parfois avant de passer à l’action. Ces croyances qui nous limitent dans notre action, notre confiance, se créent parfois depuis le plus jeune âge dans notre environnement familial ou scolaire : « tu es un bon à rien, tu ne seras jamais… ». Les plus dévastatrices sont celles qui émanent de notre dialogue interne, des croyances qu’on se donne, c’est une information qu’on voit nous-mêmes et qu’on prend pour vérité, « je suis nulle, je suis incapable », mais ce n’est pas nécessairement vrai. Alors quelle option ? Transformer une croyance limitante en une croyance aidante en changeant la façon de penser et de dialoguer avec nous : oui, j’ai des lacunes, mais je peux y arriver et je peux me battre pour l’être. Je transforme cette vue de l’esprit extérieure en une croyance aidante. Et surtout, une fois l’estime et la confiance rechargées, on sait qu’on y a droit. Une vue de l’esprit qu’il va nous falloir déconstruire, décoloniser, à coup de mots doux, de douceur et de bienveillance d’abord envers soi ! Alors, cette nuit, rêvez, osez, imaginez, vous avez entre vos mains les ingrédients de votre réussite !

COVID-19, la maladie de toutes les divisions

COVID-19, la maladie de toutes les divisions

Par Raphaël Lapin Photo : Nsey Benajah La crise sanitaire dans laquelle la COVID-19 a plongé l’archipel guadeloupéen est le fait générateur d’une autre grande crise : une crise protéiforme et multidimensionnelle cette fois. En effet, les ressorts de cette dernière sont tout à la fois sociologiques, politiques, économiques et sociaux. La première division profonde que doit accuser notre pays à l’issue du drame sanitaire est politique. Nous avons en effet assisté à la consommation du divorce entre les gouvernants et les gouvernés. La crise sanitaire aura ainsi été l’éclatant révélateur de la profonde défiance qui s’est progressivement installée en Guadeloupe entre le peuple et l’autorité publique. Avant elle, les élus étaient déjà au cœur de tous les doutes des Guadeloupéens. Avec pour cause l’échec de la conduite des politiques publiques sur des sujets essentiels tels que l’eau, le chômage, la gestion des déchets, l’efficacité du système de soins, la chlordécone, etc. Déjà en novembre 2020, l’institut de sondage Qualistat relevait que la population dans sa majorité n’avait pas confiance en la classe politique. Cette crise politique est devenue peu à peu sociologique. Elle a attisé toutes les torpeurs du peuple guadeloupéen, réveillé toutes ses inquiétudes et avivé toutes ses meurtrissures. Cette défiance s’est cristallisée durant la crise de la COVID-19 autour de contestations successives de la longue liste des dispositions prises par les autorités déconcentrées de l’État pour faire face à l’épidémie. Tantôt s’agissait-il de dénoncer l’obligation du port du masque, puis il fallait s’opposer au port du masque à l’école. Ensuite est venue la crispation du confinement partiel. Puis la frustration du confinement total a fait son grand retour. Enfin, il y eut le dégoût face à ce funeste arbitrage entre d’un côté ceux dont on considérait qu’ils pouvaient mourir, car trop vieux, trop faibles et pas assez vaccinés et ceux qu’il fallait sauver, car assez jeunes, assez robustes, et suffisamment piqués. Il était alors le temps de manifester contre l’obligation vaccinale pour les soignants et contre le Pass sanitaire pour les civils avant que ne survienne la consternation des premières suspensions de fonctionnaires et certainement les premiers contrôles de lieux publics. © Nsey Benajah Les caractères unilatéraux et aléatoires de ces décisions ont contribué à désorienter les citoyens et ont largement entretenu ce climat de défiance. La communication catastrophique et maladroitement autoritaire de la préfecture et de l’agence régionale de santé n’a pas aidé à ramener de la sérénité dans le débat public. Pendant ce temps, rares sont les élus locaux qui ont fait le choix d’assumer une position spontanée et non dictée par le dictat de l’opinion. De sorte que jamais, au cours des deux années qui viennent de s’écouler, aucune voix forte n’a été en mesure de s’élever pour dire que c’en était assez de tout ce vacarme, pour faire revenir l’ordre et la sérénité dans la société guadeloupéenne. Cette crise politique est devenue peu à peu sociologique. Elle a attisé toutes les torpeurs du peuple guadeloupéen, réveillé toutes ses inquiétudes et avivé toutes ses meurtrissures. Il y a eu des débats sans fins sur la gravité de la maladie, l’ampleur de l’épidémie ou encore la pertinence de tel rimèd razié ou de tel remède pharmaceutique. Ces débats ont progressivement laissé la place à des invectives par réseaux interposés, la diffusion de fausses informations qui a gangrené l’opinion ainsi qu’à des querelles au sein de nos familles, dans nos groupes d’amis. Dans le feu du cancan se jouaient des jeux de faction, s’affermissaient des postures, se raidissaient des opinions. Une véritable bataille de tranchées débutait alors entre les administrations et singulièrement l’administration hospitalière et ses agents. Des menaces de mort ont été adressées. En guise de réponse, elles ont été tournées en dérision et confinées dans ce que d’aucuns auront qualifié maladroitement de « folklore local ». Cette bataille se poursuit aujourd’hui à coup de suspension sans solde et sans perspectives pour des agents récalcitrants à la vaccination. Elle a d’ailleurs été le carburant de vieux préjugés étalés dans les télévisions nationales où des pseudoscientifiques autorisés imputaient les réticences du peuple guadeloupéen face à la vaccination au vaudou ou plus globalement à des pratiques magico-religieuses dont seuls nous aurions eu l’expertise. Au-delà du grotesque de ces préjugés aux relents racistes, c’est surtout l’erreur de constat qui nous a marqués. On imputait à la volonté guadeloupéenne l’échec de la politique vaccinale sans évoquer la réalité de la conduite de cette politique publique dans notre pays. La distance devenait alors une nouvelle source de division sociologique entre le pays et l’Hexagone. Une division bien plus profonde qu’on ne l’imagine. À ce propos, lorsque le Président de la République a fait son discours martial le 12 juillet 2021 pour inciter à la vaccination, le risque était maîtrisé au niveau national où 35 millions de Français avaient déjà reçu la première dose du vaccin. De sorte que la moitié de la population sur le territoire hexagonal était au mieux acquis à la cause vaccinale, au pire, devenue indifférente à l’enjeu. © Christophe Archambault L’histoire des Guadeloupéens est à ce titre différente, voire inverse. À l’époque où les autorités déconcentrées de l’État ont répété les directives de Paris, moins de 30 % des personnes avaient un schéma vaccinal complet. Nous en étions encore à discuter d’une loi sur le fait d’avoir de l’eau dans les robinets pour pouvoir observer les gestes barrières. D’ailleurs, l’essentiel de la communication de l’ARS et des moyens mis en œuvre à cette époque en Guadeloupe reposait sur le triptyque : « tester, alerter, protéger ». De sorte que le message de la vaccination n’avait pas encore été suffisamment amené auprès de chacune et de chacun. L’effet contre-intuitif de la rationalité observée par les services déconcentrés de l’État aura été de braquer un public déjà défiant par rapport à l’autorité publique. Nous avons ainsi ajouté de la fureur à la douleur. Le troisième drame que traverse la Guadeloupe à l’issue de cette quatrième vague, est celui du nécessaire impact économique provoqué par la résurrection du confinement et plus globalement par la succession des mesures prises par les autorités pour lutter bon gré malgré contre l’épidémie. Certes, celui-ci était encore plus souple que durant la toute première vague, qui fut, paradoxalement, moins meurtrière. Cependant, de nombreux secteurs d’activités ont été impactés de plein fouet par cette crise. Il n’est que d’évoquer les secteurs du tourisme et de la restauration pour s’en convaincre. La presse a longuement évoqué le cas de ce restaurateur connu de la place de Jarry que la quatrième vague a convaincu de liquider sa société. On pourrait également parler de l’évènementiel ou encore de la crise de la culture qui perdure depuis désormais près de deux années. Le sport a été également victime de la crise sanitaire. (...) nul ne saurait nier que la crise sanitaire a constitué un accélérateur inouï des inégalités sociales et économiques. En 2020, l’IEDOM évaluait à 3 points de PIB le recul de l’activité économique lié au premier confinement. Dans le même temps, le climat d’affaires, indicateur synthétique de la confiance des chefs d’entreprises pour investir dans l’économie, reculait de 52 points sur un an. Dans le même temps, l’institut de sondage Qualistat révélait que 74 % des chefs d’entreprise étaient inquiets pour l’économie locale en avril 2021 en plein cœur de la première vague d’épidémie (c’était 20 points de moins qu’en avril 2020) ; pendant que 72 % d’entre eux déclaraient un chiffre d’affaires en repli. Il semble que la crise n’ait pas encore produit l’ensemble de ses impacts négatifs sur l’économie guadeloupéenne dans la mesure où ses effets ont été amortis par les dispositifs mis en place par l’État et les collectivités pour surmonter la crise. L’État affirme ainsi que les entreprises guadeloupéennes ont bénéficié au 29 mai 2021, de 1 342 millions d’euros d’aides économiques, 677 millions d’euros de prêts garantis par l’État (PGE), de 155 millions d’euros d’indemnisation au titre de l’activité partielle ; de 221 millions d’euros d’indemnisation au titre du fonds de solidarité ; et de 289 millions d’euros de report de charges fiscales et sociales. © Nsey Benajah Cependant, nul ne saurait nier que la crise sanitaire a constitué un accélérateur inouï des inégalités sociales et économiques. Cette dernière division peut être éprouvée à l’échelle des nations entre les pays les plus développés et les plus pauvres, mais aussi au sein même des nations les plus riches. Les Nations Unies qui ont fait du bien-être économique et social des populations une valeur cardinale constatent un écart croissant entre pays développés et pays en développement tandis que nous rangeons la Guadeloupe dans cette dernière catégorie. Les pays en développement comme la Guadeloupe ou en crise avant la COVID-19 ont été les plus vulnérables. La baisse de leurs recettes entraîne des difficultés croissantes à subvenir aux besoins fondamentaux de leurs populations, notamment à cause des faiblesses institutionnelles et du manque de moyens. Le centre d’information relève que « dans les pays développés, on compte en moyenne 55 lits d’hôpital, 30 médecins et 81 personnels infirmiers pour 10 000 habitants. Selon des données du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), pour le même nombre d’habitants, les pays en développement ne disposent que de 7 lits, 2,5 médecins et 6 personnels infirmiers et manquent souvent également de produits de base comme le savon, l’eau potable, ou la nourriture », ce qui est précisément le cas en Guadeloupe s’agissant de l’eau potable ou de certaines fournitures essentielles. De même, les pays en développement ont une économie informelle dense. C’est toutefois un secteur qui a été particulièrement affecté par les restrictions de mouvements liées à la pandémie. Il nous faudra renouer le lien social après nous être tenus à bonne distance sanitaire, sur les ponts qu’il conviendra de rétablir dans la résorption des inégalités ; il nous faudra nous retrouver en tant que peuple. Dans le monde, la large majorité des personnes actives (plus de 60 %) sont des travailleurs ou travailleuses informel(le)s. Ce sont donc des personnes éloignées de toutes formes d’assurance maladie ou d’allocation chômage. Elles sont ainsi mécaniquement étrangères aux dispositifs d’aide offerts par l’État. De sorte que les confinements successifs et autres couvre-feux ont affecté de plein fouet leur activité tandis que chaque euro perdu apparaissait comme le terreau fertile d’une nouvelle inégalité. Encore faudrait-il évoquer les inégalités en matière d’enseignement. À une époque où la santé se fait l’ennemie de l’école, ce sont souvent les enfants qui en ont le plus besoin qui se trouvent les plus éloignés des enseignements. Des inégalités qui ont été encore aggravées par la fracture numérique et par l’innumérisme pour les enfants, leurs parents et même les enseignants : « ainsi, dans les pays pauvres, 86 % des enfants ont été privés d’école d’après le PNUD, alors que ce chiffre ne concerne que 20 % des enfants dans les autres pays ». © Mathieu de Martignac En France, les Nations unies évaluent à un million les personnes qui sont tombées dans la pauvreté au cours de l’année 2020. Celles-ci viennent s’ajouter aux 9 millions déjà comptabilisées. Le baromètre Ipsos 2020 pour le Secours populaire révélait d’ailleurs que 45 % des personnes qui ont sollicité l’aide du Secours populaire durant le confinement étaient jusque-là inconnus de l’association. Tandis qu’un Français sur trois a éprouvé une perte de revenus depuis le début de la crise. Le nombre de personnes dépendantes des distributions alimentaires est en nette augmentation, notamment parmi les étudiants, travailleurs précaires ou chômeurs récents. Une étude de l’INSEE a par ailleurs démontré que la mortalité liée à la COVID-19 avait été plus importante dans les régions au niveau de vie plus bas. C’est précisément ce que nous avons vécu d’ailleurs en Guadeloupe. Dans une récente étude, le rapporteur spécial de l’ONU sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté, Olivier de Schutter, a mis en avant les échecs de l’Union européenne (UE) dans la lutte contre la pauvreté. En bref, l’ONU nous apprend que du fait de la COVID-19 ceux qui avaient déjà faim ont encore plus faim, ceux qui étaient malades ne le sont pas moins, bien au contraire et ceux qui mouraient dans la pauvreté, sont plus nombreux à mourir dans le dénuement. Ce d’autant que le raccourci entre la vulnérabilité à la maladie et la pauvreté est emprunté assez rapidement. Le coronavirus apparaît ainsi véritablement à l’échelle du monde, comme à l’échelle de nos îles, comme la maladie de toutes les divisions. Au-delà de la lutte contre l’épidémie, d’autres interrogations se posent à nous sur la manière dont il nous faudra construire la sortie de cette crise et surtout sur une réinvention de l’agrégat social. Il nous faudra renouer le lien social après nous être tenus à bonne distance sanitaire, sur les ponts qu’il conviendra de rétablir dans la résorption des inégalités ; il nous faudra nous retrouver en tant que peuple. C’est l’unique moyen de dégager de nouvelles perspectives, de nouvelles ambitions.

Les deux faces d'une même pièce

Les deux faces d'une même pièce

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Nsey Benajah « Please try to remember that what they believe, as well as what they do cause you to endure does not testify to your inferiority but to their inhumanity » — James Baldwin. « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur inhumanité ». Ces mots de James Baldwin constituent l’intermission parfaite pour cette réflexion. Ils prendront davantage de sens à mesure que nous avancerons dans les couloirs de mon raisonnement. James Baldwin était ce poète et écrivain africain-américain, philosophe de la pensée nègre contre la philosophie ségrégationniste qui gangrène les communautés noires à coup de lynchages et d’exécutions sommaires. Récemment – et à maintes reprises déjà –, la communauté franco-caribéenne a subi un nouvel épisode d’un, désormais, quasi traditionnel lynchage médiatique. L’écho aux pratiques de lynching semble tiré par les cheveux. Et pourtant, l’analogie est organique puisque corrélation des essences mêmes du lyncheur et des lynchés. Le lynchage ou procès médiatique est la critique violente et systématique par le biais des médias, d’une personne ou d’une communauté de personnes. Et n’est-ce pas finalement ce que subissent de nouveau les Guadeloupéens et Martiniquais alors qu’ils sont portés au banc des accusés des exotiques décérébrés ? « C’est culturel, il y a d’autres sources d’information. Je ne vais pas revenir sur les vaudous, mais ça existe toujours dans ces territoires. Pourtant il y a un accès facilité aux soins, CMU… Beaucoup de problèmes viennent de la culture. Et le rhum ne guérit pas de tout, au contraire  ». Lorsqu’invité par une chaîne d’information pour le moins sérieuse à apporter son expertise sur les faibles taux de vaccination Covid dans « ces territoires », ce Docteur Boissin, médecin de son état, prononce ces mots, aussi incongrus que son air bonhomme, c’est tout le monde colonial qui est rappelé à nous. Voire même ramené à nous. Cette phase de l’histoire à laquelle il nous semble que notre peuple a échappé, nous retombe dessus chaque fois qu’un français ou qu’un étranger à notre cause, et membre de sa supposée élite intellectuelle de surcroît, assène des scories de ce type, le ciel nous tombe sur la tête et la moutarde nous monte au nez. Nous voilà re-bestialisé.e.s, re-sulbaternisé.e.s, re-objectifié.e.s. RÉ-ENSAUVAGÉ.E.S. Il ne s’agit pas du quasi romantique rewilding américain importé en Europe, consistant à réinsérer la vie sauvage dans des contextes géographiques trop longtemps domestiqués et appauvris par le capitalisme occidental, mais de l’expression de la pensée xénophobe d’une communauté dominante niant l’évolution de l’autre, qu’elle assujettit à l’étalon de sa propre culture. Ainsi, ce n’est point une approche écologique du monde dont il s’agit, mais d’une disruption des écologies humaines, depuis les impériales circularités, faisant de la prédation la seule forme de relation du règne des hommes, mammifères en révolte contre le dessein universel de la nature. © Nsey Benajah L’ensauvagement fut la cellule souche d’un modèle qui s’est répliqué à l’envi. Il est de ces cellules universelles qui comme les cancers se démultiplient sans s’essouffler, sans s’épuiser. L’ensauvagement des Africains, Asiatiques, Moyen-Orientaux et autres colonisés permet de faire de nos corps des archétypes : le Noir bien monté, mais fainéant, sa compagne aussi bête de sexe que lui, l’asiatique ou la brune orientale soumise, servile, esclave sexuelle, etc. Tous ces désirs sexuels projetés. Tout cet exotisme est la forme sexuelle de l’ensauvagement. Et dans les médias, il est réitéré par les dirigeants politiques : les odeurs des quartiers-cages des oiseaux de mauvais augure de Chirac, les kärchers de Sarkozy, ou encore le « Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé… » de Jean-Paul Guerlain. On demeure dans l’univers des sens agressé par la puanteur de l’autre, de la bête qu’est l’homme noir ou de l’homme racisé ; ce sont des représentations qui se répondent finalement. En somme, celui qui tient le fouet contrôle le temps : temps de travail, rentabilité, rendement, congés et repos, loisirs et vacances, mais aussi modernité et contemporanéité, progrès et arriération, obsolescence et longévité. Que faut-il faire de ce ré-ensauvagement systémique ? Faut-il se demander ce que cela dit de nous ? Ce que cela révèle de nous ? Ces attaques en barbarie ou en sauvagerie qui fusent çà et là dans l’espace public font résonance avec nombre de clichés émanant de l’époque coloniale. Tout d’abord, faut-il rappeler la relativité du temps ? Le temps tel qu’il s’écoule et la mesure du progrès telle qu’elle s’écrit en nous sont des schèmes importés et imposés à nos corps et à nos esprits. Chaque communauté colonisée a subi cette imposition d’un temps étranger et aliénant finalement. En Afrique où le temps était essentiellement régi par les saisons et le rythme naturels des moissons, des traditions et des rituels, on doit souscrire à l’horloge occidentale désormais, dans les mines, les champs, les usines pour livrer à la bête colossale du dollar ou de l’euro, les matières premières de ses industries. Des civilisations millénaires se sont vues taxées d’arriération quand elles ont été pillées de toutes les manières possibles, pour se ranger au ton du progrès capitaliste. Certaines peuplades ont été réduites à la primitivité lorsqu’elles ont des rites centenaires, voire millénaires. Et les Antilles, nées de la Traite négrière (ou commerce triangulaire) et de la colonisation, n’ont pas choisi le temps qui importune les bois d’ébènes qui crèvent sous le joug des gouverneurs, maîtres et géreurs. © Dylann Hendricks L’idée de progrès qui a cours actuellement dans nos esprits est fondamentalement erronée puisque ce temps de bâtisseurs n’est pas nôtre. Nos ancêtres – pour ce qui concerne les opprimés d’entre eux – n’étaient que les rouages d’un système bien huilé. En somme, celui qui tient le fouet contrôle le temps : temps de travail, rentabilité, rendement, congés et repos, loisirs et vacances, mais aussi modernité et contemporanéité, progrès et arriération, obsolescence et longévité. Le progrès de la Caraïbe francophone, et l’analyse que nous en faisons devraient être établis sur son temps civilisationnel propre : c’est-à-dire sur sa propre chronologie d’évolution, depuis la déportation et l’arrivée (volontaire) des communautés du pays. C’est dans la réalisation d’une sortie extrêmement récente de la colonie qu’il faut bâtir notre relativité au temps. Je ne cesse de rappeler ce barème : mai 1848 abolition de l’esclavage, 1946 la départementalisation. Et puis, des années 1970 à 1 993, le chlordécone est utilisé aux Antilles et l’affaire d’empoisonnement qui en découle risque le non-lieu pour cause de prescription en mars 2021, alors que les plaintes avaient été déposées en 2006. Dans le même temps, l’épidémie de Covid-19 éclate et touche les Antilles début 2020 sous un confinement strict en mars. Le coupable : un bateau de croisière transportant Guadeloupéen.ne.s parti.e.s en vacances et touristes européen.ne.s pour la grande majorité. Les priorités touristiques n’ont eu de cesse de se révéler à mesure des périodes de contention/rétention qui se succèdent. Cette chronologie s’étend sur les 173 années écoulées depuis les abolitions. Ce qui exsude de ce siècle et demi c’est une politique de l’oubli sous couvert d’une politique simili-intégrationniste par l’État : l’esclavage est aboli, et révolu. Il doit l’être dans vos esprits, puisque « vous êtes français » (voix du Président de Gaulle). Sommé.e.s à l’oubli et d’entrer en civilisation française, tout le reste n’est qu’un mirage… Ce qu’il faut entendre ici c’est la pernicieuse emprise du temps colonial sur les corps. L’évolution guadeloupéenne doit se mesurer à l’aune des jalons d’émancipation et de répression qui se produisent sur le territoire. La colonisation temporelle n’est jamais intégrée à notre raisonnement. Et pourtant, réaliser son impact permettrait de mieux relativiser ces incidents. Qu’induit l’inclusion du temps réapproprié dans l’analyse de ces épisodes de lynchage médiatique ? (...) « je parle ici, d’une part, de Noirs aliénés (mystifiés), et d’autre part, de Blancs non moins aliénés (mystificateurs et mystifiés) ». Revenons sur les dires incriminés ici : La Couverture Médicale Universelle est un dispositif financé par le gouvernement français et qui « permet à toute personne résidant régulièrement en France et de façon ininterrompue depuis plus de trois mois de bénéficier d'une protection complémentaire gratuite et renouvelable ». Et là je cite le site ameli.fr. Cette couverture assure une exonération totale d’avance de frais pour les soins médicaux. Une part importante de la population, enlisée dans la précarité, bénéficie de cette couverture ; que beaucoup d’Africains-Américains et autres minorités hyperprécarisées des marges étatsuniennes envieraient, notamment après la suppression de l’ObamaCare par Trump. C’est une réalité. La présence des vaudous est-elle fausse ? Dans les Caraïbes et les Amériques, il existe bel et bien des syncrétismes religieux à racines vaudouesques – c’est-à-dire héritiers des animismes et polythéismes du vaudou béninois, entre autres (Vaudou, Santeria, Orishas, Obeah, Candomblé, etc.) et le kenbwa (quimbois) guadeloupéen, forme émoussée et avilie des animismes racinaires – tout comme ils existaient et existent encore de nombreuses recettes curatives traditionnelles et autres décoctions dont l’ingrédient antiseptique est le rhum. Les frottements, les aspersions, les bains, les grogs et autres pratiques curatives ou préventives sont des pratiques coutumières, traditionnelles, voire ésotériques, plus ou moins revendiquées et perpétuées. Nos gens se soignent avec le rhum, d’autres pratiquent le vaudou. Enfin, l’histoire du gadèdzafè chez nous amène sans doute un trouble dans les identités qui se réclament africaines, afrocentristes ou afrodescendantes : pourquoi donc cette colère ? © Leah Gordon. © Leah Gordon. La première raison valable est la propre méconnaissance de ces pratiques spirituelles par les Franco-caribéen.ne.s et la dévalorisation qu’iels en font elleux-mêmes. En effet, le vaudou est très mal considéré sous les latitudes franco-caribéennes. Des représentations erronées des rites vaudouesques induisent des comportements à la fois xénophobes et séparatistes. Le « Nous ne sommes pas de ces gens-là » est proclamé par des interjections nourries de défiance, de rejet voire d’un certain suprématisme (idéologie postulant la supériorité d’une race, d’une religion, d’une langue ou d’une culture sur les autres) admettant que les vaudouisant.e.s seraient d’un côté damné.e.s, de l’autre malveillant.e.s et nuisibles. Combien de fois, ai-je entendu les craintes de certain.e.s agents administratifs vis-à-vis d’un sort qui leur serait potentiellement jeté, ou alors de l’ensorcellement des hommes par les femmes avides de leurs biens obtenus par reconnaissance d’enfant. Ce sont là des épisodes de racisme séculaire qui confondent les singularités et les subtilités des cultures des populations anciennement dites « coloniales ». La seconde raison est davantage liée à la perception qu’a une part de la population française sur l’autre – qu’ils soient caribéens francophones, du Pacifique, Africains, musulmans, etc. – et la capacité de l’autre à recevoir ces préjugés. En fait, l’outrage qui est fait tient autant du fond des propos que du fond des protagonistes. Dans la scène qui se joue, il y a un individu qui assène une analyse erronée avec la conviction d’une autorité supérieure et un individu qui est brutalisé psychologiquement par ces propos qui réduisent sa singularité et sa vision du monde et sa place dans le monde ; et ce sur fond de la blessure originelle de l’afrodescendant : l’esclavagisation, la déculturation, l’assimilation, etc. L’un est fondé dans l’impérialisme français, l’autre dans le colonialisme français. Les deux faces d’une même pièce. Frantz Fanon entérinait cette théorie quand il écrivait, dans Peau Noire, Masques Blancs : « je parle ici, d’une part, de Noirs aliénés (mystifiés), et d’autre part, de Blancs non moins aliénés (mystificateurs et mystifiés) ». L’ire qui nous immole, la colère brûlante qui nous consume lorsque ces faits se produisent est certes légitime, puisque nous sommes dénigré.e.s par une dimension civilisationnelle. Toutefois, elle devrait davantage s’étioler face à des certitudes nouvellement acquises. Ce sont là des épisodes de racisme séculaire qui confondent les singularités et les subtilités des cultures des populations anciennement dites « coloniales ». Nous, Guadeloupéen.ne.s, en faisons partie, tout comme les Africain.e.s et autres « ultramarin.e.s ». Les outremers, ces horizons exotiques qui, à leurs yeux, n’ont d’autres reliefs que les plages, les corps de femmes offertes au soleil et une cuisine épicée, relevée qui enivre les esprits et excitent les papilles. Entre images coloniales stéréotypiques et fantasmes, il n’y a aucun savoir réel de celui qui porte le préjugé au rang de vérité absolue. Il n’y a non plus aucun savoir réel des cultures dont on procède lorsque l’on s’insurge de fait avéré, bien qu’énoncé de manière injustifiée, sans maîtrise aucune du contexte civilisationnel. Ces épisodes de racisme séculaire – que l’on pourrait par ailleurs rapprocher du racisme ordinaire, ce racisme inconscient perpétré par des blagues et remarques vraisemblablement innocentes et bienveillantes, mais qui portent les germes de l’impérialisme/colonialisme ontologique de la France – sont redondants, fréquents, notamment dans des milieux que l’on penserait « amicaux » ou « sympathisants » voire « fraternels » de nos héritages. À un festival dédié aux Afriques, un gentil septuagénaire qui vous félicite sur votre qualité langagière, étonné que vous sachiez si bien manier la langue de Molière. Un ex-instituteur qui vous demanderait si vous ne reconnaissiez pas son visage singulier de sauveur des petit.e.s illettré.e.s guadeloupéen.ne.s, révélant la dimension qu’il donnait à l’île : un village. Lui, qui avait dispensé la connaissance dans tant de « comptoirs » d’Afrique, devait se sentir si investi de sa mission civilisatrice que cela confinait au nombrilisme, et notre territoire réduit à son nombril et son giron. Une quadragénaire qui se vante de connaître quelques africaines, certainement de vos connaissances, vous qui habitez Paris vous devez connaître Château Rouge, un autre village, un autre comptoir… des Guerlain, des Zemmour et bien d’autres héritiers, conscients ou inconscients, de ces pensées offensantes pour l’humanité multidimensionnelle. Ces personnages sont les incarnations d’une France coloniale qui n’est pas encore pansée, et qui lutte contre la réforme de ses fondements racialistes. « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur vacuité ». Faudrait-il s’en trouver systématiquement affecté.e.s ? Concerné.e.s, évidemment. Nonobstant l’évidence d’une mobilisation contre ces bavures intellectuelles et philosophiques, un abord moins affecté gagnerait à être adopté afin de manifester notre propre progrès. Les abolitions auront servi à réformer l’image de la Nation française, à la remythifier. Un décret, une loi et on oblitère le passé derrière le voile de la déculturation et de la désinformation. Le passé est simplement rendu inopérant, inacceptable puisqu’il est enterré, caché sous le linceul d’une honte réprouvée, d’une grandeur que l’on ne pourrait répudier. Le phénomène de racisme séculaire est consubstantiel de l’aliénation des populations dominées. En somme, ce sont là les deux pendants d’un même mal : une agnotologie avant l’heure, soit la science de (la fabrique de) l’ignorance. Elleux ignorant.e.s de nous ; nous encore ignorant.e.s de nous-mêmes. Ce que les propos du médecin qui ne parla nullement de médecine enseignent sur nous, c’est la fragilité de nos identités. Je conclurais en empruntant et en me réappropriant les mots de James Baldwin : « Je te prie de garder en mémoire que ce qu’ils croient, ainsi que ce qu’ils te causent de souffrir ne témoigne pas de ton infériorité, mais de leur vacuité ».

Vaudou, marronnage de la Foi

Vaudou, marronnage de la Foi

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Troi Anderson Sur la plantation, deux armes ont massivement servi au projet de domination coloniale et d’assujettissement des pièces de bois d’ébène : la christianisation et le Code Noir. La régulation des esprits chagrins du Péyi Ginen est exécutée par la première, tandis que la seconde aura configuré les rapports entre les corps, blancs, noirs et métis. Le Code Noir définira, donc, la réglementation du traitement physique, spirituel et commercial des esclavagisés. Ce fut le destin de tou.te.s les Africain.e.s déporté.e.s dans les plantations des Amériques. Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans... Des nègres faits curés, dits « curés des Nègres », furent chargés explicitement de prêcher aux esclaves la soumission aux maîtres blancs et de l’ordre voulu par leur Dieu. Par ailleurs, le Code Noir de mars 1685 (édit du Roi sur les esclaves des îles de l’Amérique) indique à l’article 2 : « Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achètent des nègres nouvellement arrivés d’en avertir dans la huitaine au plus tard, tous les gouverneurs et intendants des îles sous peine d’amende arbitraire, lesquels donnent les ordres nécessaires pour les instruire et les baptiser dans le temps convenable » et poursuit à l’article 3 : « Interdisons tout exercice public d’autres religions que la religion catholique, apostolique et romaine. Voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses ». En d’autres termes, cet édit du Roi condamnait tout esclave pratiquant le vaudou, celui-ci étant désigné comme crime méritant châtiment corporel. Pratiquer le vaudou était considéré à la fois comme une atteinte à la sûreté de la colonie puisque les rassemblements seraient conventicules (référence aux réunions secrètes où l’on complote) et une contravention à l’observance du catholicisme tenu pour universel. Voici l’une des bases de la marginalisation et de la criminalisation du vaudou. © Leah Gordon. Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts. Aujourd’hui, sous bien des latitudes, le Vaudou est considéré comme damnation ou chemin vers ce sort. Les représentations stéréotypiques – sorcellerie, sortilèges, ensorcellement, zombification, sacrifices, etc. – qui lui sont durablement accolées sont en partie le résultat des productions cinématographiques, elles-mêmes sans doute inspirées des pseudo recherches anthropologiques biaisées par les suprématismes originels des colons. Pourtant, le sociologue et théologien Laënnec Hurbon, d’écrire : « Toute transformation de la société haïtienne doit compter en effet et avec le Christianisme et avec le Vaudou ». Il écrit ceci dans « Dieu dans le Vaudou haïtien » (2002). Et en effet, il faut considérer que le Vaudou est larvé par le christianisme et non le contraire, comme le titre de son ouvrage l’indique. Hero Vodou in Haïti - © Leah Gordon. © Troi Anderson. Quelques bases sociologiques en contexte haïtien : comme toute formation nationale, la population est bigarrée de ses contrastes et strates, indépendamment des philosophies et régimes politiques de celles-ci. Classes sociales et ethnicités sont les principaux critères de distinction sociale. Tout comme la Guadeloupe, Haïti est faite de contrastes carrefours : classes et appartenance ethnico-raciales sont toujours croisées, et le paysage sociolinguistique met en opposition diglossique la/les langue.s dominante.s et les distinctions socio-géographiques sur leur territoire. Bien qu’Haïti ait conquis son indépendance, les marques des colons ont perduré à travers les siècles : francophonie. En Haïti existent deux pays : la capitale ou les villes de province versus les mornes, ou encore le Péyi andewó (préservation d’une ancestralité africaine, mariage coutumier ou plasaj , créole, vaudou ) et le péyi andedan (Mariage chrétien, français, francophilie ou anglophilie, chrétienté catholique ou protestante). L’indépendance acquise, ce n’est pas un modèle africain ou à base africaine qui est établi, mais bien une mimesis du modèle français, pris dès lors comme étalon identitaire : langue de prestige, formes gouvernementales (période Pétion/Christophe par exemple). Hurbon souligne encore qu’« au cours du développement de la vie civilisée beaucoup d’anciennes manières, coutumes, observances et cérémonies des temps passés ont été rejetées par les couches supérieures de la société et sont graduellement devenues les superstitions et les traditions des basses classes » (Jean Price-Mars, Ainsi parla l’oncle, p.49-50). Subsiste pour autant le Vaudou, puissant dans les lieux retirés. Les communautés des mornes seraient descendantes des communautés marronnes constituées pendant la période de l’esclavagisation, lorsque les Bossales (Africains fraîchement débarqués et non brisés par le système plantationnaire, non créolisés) parvenaient à s’enfuir et à trouver refuge dans les mornes, les forêts. C’est en ces lieux qu’ils refonderont leurs croyances avec, entre autres apports, les connaissances des plantes héritées des Amérindiens. Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s. Le marronnage est l’incubateur du Vaudou, lui-même berceau de l’indépendance. Deux révoltes ont édifié les premiers mythes fondateurs du peuple haïtien en faisant le lit de la conviction des esclavagisés en marronnage. Ils y trouvèrent la foi nécessaire à s’unir contre leur oppresseur. Haïti devient indépendante en 1804 grâce à Toussaint Louverture et Jean-Jacques Dessalines. Mais les précurseurs de la révolution qui provoquèrent l’étincelle sont : d’abord, Makandal un esclave bossale originaire de Guinée qui en 1757, prit la tête d’une bande de marrons, et en faisant du vaudou une force prophétique, conduisit les Esclaves à exterminer les Blancs par l’empoisonnement. Capturé au cours d’une cérémonie vaudou, Makandal sera brûlé vif. Mais les marrons le vénéreront tel le prophète qu’il fut pour l’émancipation (d’ailleurs, dans la colonie, tous poisons, sortilèges et maléfices, fabriqués par les Noirs, furent appelés « des makandals ») ; ensuite, Dutty Boukman, né libre en Sénégambie, puis esclavagisé d’abord en Jamaïque puis en Haïti, présida une cérémonie Vaudou dans le Bois Caïman en 1791, par un pacte de sang avec les esclavagisés en révolte pour mener une guerre pour l’extermination des Blancs. Ainsi naquit la fronde marronne conclue par la Guerre de l’Indépendance et à la libération du peuple haïtien. © Troi Anderson. © Troi Anderson. © Troi Anderson. Le Vaudou est la chéloïde syncrétique des heurts civilisationnels entre les colons et les esclavagisé.e.s. Il est consubstantiel de l’histoire de l’esprit du peuple haïtien, où les croyances ancestrales se sont consolidées à travers un rapport analogique avec la religion universalisante des maîtres : à chaque saint chrétien correspond un loa , un esprit vaudou. Ce syncrétisme se révèle dans les prières des prêtes savann qui bénissent les cérémonies et délivrent des « homélies » métissant le créole au latin et aux langues africaines. Né dans le creuset de l’adversité, il est par essence la force du peuple, qui a transcendé par syncrétisme l’assimilation religieuse, qui a toujours trouvé les ressorts de sa résilience dans cet animisme qui les lie à une nature et des écosystèmes en déséquilibre, qui les bousculent, mais les rend plus forts. Laënnec Hurbon écrit dans Dieu dans le Vaudou haïtien que : « le vaudou est apparu très tôt pour les esclaves comme leur langage propre, comme leur lieu conscient de différentiation d’avec les Maîtres Blancs et comme la force qui décuplera leur capacité de combat ». Qui honnit le Vaudou porte l’empreinte de l’esclavagisation et du brainwashing qui l’a permis, et se fait l’épitomé d’une méconnaissance de l’histoire des Caraïbes. Le Vaudou est invariablement la force qui a permis la victoire des Haïtiens face aux colons, aux oppresseurs et tyrans, même quand ces derniers ont tenté maintes fois d’enterrer ces croyances et pratiques (prêtres catholiques haïtiens et missionnaires canadiens ou étatsuniens), de les utiliser pour manipuler le peuple à des fins de subjugation (Papa Doc). A contrario, avec l’indigénisme, résistance à l’occupation US, on revalorise les racines africaines à travers le vaudou et le créole. Le Vaudou est le marronnage intérieur, où se cache l’africanité non dans les mornes, mais dans le cœur, l’âme et les prières. Vaudou, marronnage premier.

Ma marque employeur, un atout en temps de crise !

Ma marque employeur, un atout en temps de crise !

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Tasha Jolley À cette crise sanitaire s’est adapté qui a pu, se relèvera qui pourra… Après cette crise sanitaire, notre résilience de chef d’entreprise a été mise à rude épreuve. Ce temps d’arrêt pour certains et d’affluence pour d’autres était aussi l’occasion de faire un bilan de la structure de nos entreprises, de la flexibilité de notre organisation et de prendre du recul sur les leviers essentiels pour assurer la performance, avenir de nos structures. Mais regardons les choses sous un autre angle. Enfin, essayons ! © Stéphanie Harvey Ma réalité de chef d'entreprise. Notre environnement, nos habitus conditionnent nos actions. Créer son entreprise est parfois l’occasion de casser les codes qui ne nous correspondent plus ou qui sont contraires à notre vision. Nombreuses sont les raisons de passer à l’action : manque de reconnaissance dans son emploi, perte de sens, recherche d’une qualité d’actions et de prestations, création de son propre emploi (sortir de l’inactivité), besoin d’affirmation de soi… Autant de raisons aussi légitimes les unes que les autres, mais qui marquent néanmoins une envie commune de sortir d’une réalité subie pour s’orienter vers une prise en main de son destin, une volonté d’avancer selon sa propre vision et dans la majorité des cas « faire autrement » ! Mais à quel prix ? La tentation de rentrer dans l’engrenage de l’épuisement professionnel et personnel devient alors de plus en plus forte (…) Le don de soi ! Cette fameuse abnégation qui nous porte à la création et qui nous pousse à nous donner corps et âme pour la réussite de notre projet. Non sans risque, mais tellement énergisante ! Notre entreprise devient notre « bébé » comme beaucoup ont tendance à le dire. Un « bébé » que l’on se doit de protéger, nourrir, soigner, habiller, éduquer et faire grandir. Cependant, les mots ont leur importance ! Non pas « faire grandir », mais « aider à grandir » et c’est bien là tout le piège de l’histoire. © Anca Gabriela Zosin Au fil des années, ressentez-vous une forme d’épuisement avec la sensation de porter seul(e) l’ensemble des difficultés de l’entreprise, avoir la sensation de ne pas être entouré(e) à votre juste valeur ? La tentation de rentrer dans l’engrenage de l’épuisement professionnel et personnel devient alors de plus en plus forte : perte de lucidité, identitaire parfois ; allant jusqu’à la répétition de schémas que vous avez toujours rejetés. Ne culpabilisez pas ! Cela est normal. (…) en temps de crise, c’est le spectre de l’individualité qui prend le dessus, ce phénomène peut être tempéré et coloré par l’existence d’une cause commune (…) En créant, nous nous positionnons avant tout comme technicien(ne), expert(e) du cœur de métier de notre entreprise. Cependant, les casquettes de dirigeant(e) sont multiples et il ne semble pas humain de pouvoir mener de front l’ensemble de ces métiers sur toute la durée de vie d'une entreprise, 99 ans. Une vie d’entreprise qui comme toute entité dotée d’une personnalité évolue dans un environnement en mouvement. Être chef(fe) d’entreprise n’est pas de tout repos, parole de RH Business Partner entrepreneuses ! Alors, comment faire preuve d’autant de flexibilité ? Comment mener toutes nos missions de front ? Sans parler, bien évidemment, de votre vie personnelle ! Une dichotomie interne à la limite de la schizophrénie qui en temps de crise ou post-crise, nous empêche d’avoir une perception éclairée des décisions à prendre. Nous devons nous adapter, mais comment ? Assurément, en tant que chef(fe) d’entreprise expert(e) vous avez autour de vous une équipe de collaborateurs(trices) investie partageant votre passion pour l’entreprise et mobilisée pour le projet commun ou encore vous avez à votre disposition des conseillers compétents et disponibles… © Annie Spratt Culture d’entreprise ou culture de l’entreprise ? Alors à ce stade de l’article, nous vous mettons au défi de trouver la définition de la culture d’entreprise et de distinguer la nuance avec la culture de l’entreprise. Bien évidemment pas de définition toute faite, mais l’expression de ces deux notions au sein de votre entreprise. Facile ou non ? Encore une fois, ne culpabilisez pas, ce n’est pas inné. Ces deux notions n’en demeurent pas moins capitales pour garantir la flexibilité ; un climat interne favorable à la performance et aussi éviter l’engrenage que nous avons abordé plus tôt. La culture d’entreprise est unique à chaque entreprise, elle fait référence à un socle de fonctionnement commun réunit autour de valeurs, de rites, d’une histoire, d’une mission, d’une vision, d’une identité propre et de l’identité du/de la dirigeant(e). En général, elle n’est pas notre priorité au démarrage de notre activité, mais elle se doit de l’être au moins au moment du premier recrutement. Elle permet d’instaurer un mode de fonctionnement commun et annonce dès le début les règles du jeu. Il s’agit d’un véritable levier identitaire utile à la sélection des futurs collaborateurs, mais également à fédérer autour d’un projet commun. D'autre part, la culture de l’entreprise est quant à elle une notion d’autant plus indispensable, car elle fait référence à la perception de l’entreprise par les personnes qui la composent. Elle est un facteur déterminant de l’investissement de chacun au sein de l’organisation. N’étant pas systématique, elle se doit d’être cultivée par tous moyens, notamment à travers la culture d’entreprise, la formation, la transparence… L’être humain est complexe par sa diversité, mais cette pluralité intégrée à une culture d’entreprise partagée et librement choisie est une source de performance intarissable. Généralement en temps de crise, c’est le spectre de l’individualité qui prend le dessus, ce phénomène peut être tempéré et coloré par l’existence d’une cause commune à laquelle on croit et qui nous permet de satisfaire nos besoins primaires individuels. Mais pour cela, il faut convaincre. Et comment le faire si ce n’est par des actions au quotidien visant à renforcer et faire vivre la culture d’entreprise et de l’entreprise de manière collective ? L’anticipation ! © Quinn Buffing Ne recrutez plus le/la collaborateur(trice) qui vous ressemble, mais celui ou celle qui partage la culture de votre entreprise. C’est le moment de revenir sur cette notion « d’aider à grandir ». Votre entreprise a été créée à votre initiative, mais sauf si vous envisagez de rester seul(e) à la faire tourner, vous devrez vous entourer de personnes compétentes. Alors, recherchez des collaborateurs et aidez-les à grandir au sein de votre structure comme vous le feriez avec des associés et non comme des employés. Notre état d’esprit participe à notre conditionnement, mais aussi à celui de notre entourage. Une approche collaborative apporte plus de fruits, car c’est en toute conscience de l’ensemble des enjeux de l’entreprise et de son environnement que vous serez plus productifs collectivement. Oui, l’idée de création vient de vous, oui les risques financiers ont été et sont supportés par vous, oui vous êtes le/la représentant(e) légal(e), mais ne pensez-vous pas que l’on prend plus soin de choses auxquelles on tient et dans lesquelles l’on se retrouve ? Un conseil : cultivez votre marque employeur ! Cela passe par la définition d’une culture d’entreprise, l’éveil des consciences en interne sur la culture de l’entreprise, des recrutements plus ciblés et qualitatifs, une nouvelle perception de son rôle de chef(fe) d’entreprise et du fameux « bébé ». L’utilité de ces leviers réside dans leur portée qui est à la fois interne (performance, fidélisation, collaborateurs premiers ambassadeurs…), mais aussi externe (éthique, responsabilité sociétale de l’entreprise, changement des modes de consommation…). Vous pouvez vous faire accompagner dans cette définition et ainsi vous libérer du temps utile à la prise de recul et au développement de votre business. Faire appel à des spécialistes de la question est la garantie d’un retour sur investissement durable. La flexibilité est un levier de performance en temps de crise et de post-crise. Le temps des constats statiques est révolu, passons à l’action sans plus attendre pour la pérennité de nos entreprises. Pensons autrement !

Accord de performance collective et cohésion interne

Accord de performance collective et cohésion interne

Par Mélissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Aman Abdulalim Au vu des différentes crises que nous traversons depuis la pandémie de Covid-19, nos entreprises doivent faire face aux conséquences de ces situations inédites et déployer toutes les ressources pouvant permettre des sorties de crise positive. Un des outils disponibles pouvant aider certaines entreprises à faire face aux difficultés est l’Accord de performance collective. Sous cet intitulé, il est clairement indiqué qu’il s’agit d’une mesure visant à favoriser la préservation du collectif. Mais comment donner toutes ses chances à l’Accord de performance collective au sein de votre structure ? Accord de performance collective. Cet outil permet aux entreprises, de toute taille, confrontées à des difficultés économiques d’adapter le cadre habituel du travail dans leurs locaux afin de se donner plus de chance de traverser les difficultés rencontrées. Ainsi, l’Accord de performance collective, que nous appellerons APC, permet d’agir sur les éléments suivants : l’aménagement de la durée du travail et de la rémunération, les modalités d’organisation et de répartition de la durée du travail, l’identification des conditions de la mobilité professionnelle et géographique en interne. Les modalités définies vont supplanter l’existant dans les contrats de travail, et ce pour la durée d’application communément décidée. L’APC va donc permettre de s’adapter à la situation en gagnant en agilité et en flexibilité, le tout au service d’une sortie de crise collective. L’objectif est donc de préserver au maximum les emplois, les compétences et les talents de l’entreprise. Voyons dans un premier temps, comment le mettre en place. (…) plus votre culture d’entreprise est connue, palpable et partagée en interne, plus il sera possible de faire bloc et de mobiliser le collectif sur l’APC… Cas de l’entreprise de moins de 11 salariés et de 11 à 20 salariés dépourvue de CSE. L’entreprise doit communiquer un projet d’accord à l’ensemble de ses collaborateurs pour ensuite organiser une concertation. Cette dernière ne pourra avoir lieu qu’à partir du 15e jour de la transmission du projet aux salariés. Pour être valide, ledit accord devra être voté par la majorité des deux tiers des collaborateurs. Une fois mis en place, chaque année avant la date d’anniversaire, l’accord pourra être dénoncé par chacune des parties : l’employeur ou la majorité des deux tiers des collaborateurs. ©  Kam Idris Cas de l’entreprise de plus de 11 à 50 salariés disposant d’un CSE. Dans les entreprises dont l'effectif habituel est au moins égal à cinquante salariés, en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement, les membres titulaires de la délégation du personnel du comité social et économique  (CSE) peuvent négocier et conclure cet accord s'ils sont expressément mandatés à cet effet par une ou plusieurs organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou à défaut par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives au plan national et interprofessionnel. Les organisations syndicales représentatives dans la branche dont relève l'entreprise ou à défaut les organisations syndicales représentatives au niveau national et interprofessionnel sont informées par l'employeur de sa décision d'engager des négociations. Après négociation, la validité des accords est subordonnée à sa signature par les membres de la délégation du personnel du CSE représentant la majorité des suffrages exprimés en faveur des membres lors des dernières élections professionnelles. Un collaborateur en confiance sera plus enclin à entendre et comprendre les difficultés rencontrées par l’entreprise et ainsi la nécessité des changements envisagés à travers le projet d’APC. Pour ce qui est de l’organisation des négociations, l'employeur fait connaître son intention de négocier aux membres de la délégation du personnel du CSE par tout moyen. Les élus qui souhaitent négocier le font savoir dans un délai d'un mois et indiquent, le cas échéant, s'ils sont mandatés par une organisation mentionnée. À l'issue de ce délai, la négociation s'engage avec les salariés qui ont indiqué être mandatés par une organisation ou à défaut avec des salariés élus non mandatés. Mais au-delà du formalisme réglementaire, comment mobiliser autour de l’APC, comment faire pour que l’APC soit compris comme un outil de sauvegarde collectif ? ©  Alexandra Gormago Les critères facilitant l’APC. La confiance envers sa direction. Un collaborateur en confiance sera plus enclin à entendre et comprendre les difficultés rencontrées par l’entreprise et ainsi la nécessité des changements envisagés à travers le projet d’APC. Vos équipes et vous pourrez alors être concentrés sur la recherche de solutions collectives. Mais qu’est-ce qui favorise la confiance envers sa direction ? La transparence, la communication interne, l’équité, des décisions justes perçues comme telles, un management faisant grandir l’homme, l’association aux prises de décision… Il est également intéressant de noter que la confiance envers sa direction est fortement corrélée à la transparence de cette dernière et à la qualité de la communication interne. Une compréhension des enjeux de l’entreprise . Plus vos collaborateurs seront formés et accompagnés dans l’appropriation du fonctionnement global d’une entreprise, et plus particulièrement la leur, plus leur compréhension des retombées des évènements de la vie de l’entreprise et/ou du marché facilitera leur adaptation et adhésion aux choix stratégiques qui pourront en découler. De plus, cette compréhension permettra de rendre leur participation aux processus de décision encore plus percutante. Oui, il s’agit de la culture de l’entreprise de vos collaborateurs. La culture d’entreprise. Parallèlement, plus votre culture d’entreprise est connue, palpable et partagée en interne, plus il sera possible de faire bloc et de mobiliser le collectif sur l’APC, sur ce levier de préservation dans le temps de l’entreprise et de ses emplois. Détrompez-vous, la culture d’entreprise n’est pas que l’affaire des grandes entreprises. S’impliquer, se sentir concerné(e) en entreprise est aussi une affaire de sens, au-delà des responsabilités liées au poste occupé. Parce que, soyons honnêtes, un collaborateur qui « fait le job » et respecte les engagements de son contrat, c’est bien. Mais n’est-ce pas plus stimulant de collaborer avec des personnes concernées et impliquées ? Doublement intéressant : au quotidien vous irez plus loin et plus vite, et en temps de crise, vous ferez plus facilement bloc. ©  Zac Wolff Comment aller vers l’adhésion et la réussite de l’APC ? Que les critères facilitants soient acquis ou pas dans votre organisation, vous pouvez adopter une stratégie favorisant l’adhésion. Un APC c’est du changement ! Selon les mesures envisagées, du changement dans la vie professionnelle et personnelle, en ce qui touche les revenus, les loisirs… Bref, potentiellement un projet non sans conséquence collectif et individuel. L’impact pour chacun des collaborateurs lui sera propre, il ne s’agit pas d’évaluer la pertinence des motifs justifiant les attitudes réfractaires, mais de venir accompagner les collaborateurs vers l’acceptation des changements en les guidant de la remise en question à la remobilisation à travers les différentes phases de la courbe du changement (déni, colère, peur, marchandage, dépression, acceptation, expérimentation…). (…) il sera également important de faire régulièrement le point sur l’évolution de l’entreprise : les efforts consentis apportent-ils les résultats escomptés, une sortie de crise est-elle en vue à l’horizon ? Soyez transparent, communiquez et adaptez votre communication à chaque population de l’entreprise. Vous donnerez ainsi plus de chance au projet d’être compris dans sa globalité : nécessité, finalité, mise en œuvre, incidences, conditions de réussites, facteurs d’échec, prévisionnel de sortie… Par ce biais, vous allez informer, rassurer et rallier le plus de collaborateurs que possible, faisant ainsi de certains des ambassadeurs. Et plus que tout : soyez disponible ! À défaut d’une communication de votre initiative, vous prenez le risque que les collaborateurs partent en quête d’information ailleurs et par voie de fait, le risque que les informations soient erronées. Aussi, assurez-vous de faire le maximum pour communiquer suffisamment en interne pour que chacun ait les fondements du projet que vous leur soumettrez, au-delà d’informations réglementaires dont vous avez l’obligation. ©  Cléo Vermij Et après ? L’APC étant une aventure collective, vous vous devez de le vivre comme tel. Ici, accompagnez vos équipes dans la mise en œuvre de l’APC, dans la transformation réelle qui se met en place dans l’entreprise et dans les vies personnelles des collaborateurs. Prenez le temps de recueillir des retours d’expériences, d’entendre ce qui est plus compliqué que prévu pour les équipes, ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas… L’enjeu étant de garder le contact et de manager cet APC au quotidien afin de ne pas laisser s’installer des non-dits, des frustrations. (…) la transparence et la communication seront vos plus grands alliés. L’APC ayant pour objectif de traverser les difficultés, il sera également important de faire régulièrement le point sur l’évolution de l’entreprise : les efforts consentis apportent-ils les résultats escomptés, une sortie de crise est-elle en vue à l’horizon ? Ne l’oublions pas, l’objectif est la sortie de crise et le retour à une situation normale. Mais me direz-vous ? Et si la sortie de crise est plus compliquée que prévu ? Là aussi, la transparence et la communication seront vos plus grands alliés.

Sargasses et voies de valorisations

Sargasses et voies de valorisations

Par Sarra Gaspard Photo : Alex Perez Les algues sargasses s’échouant sur les côtes de la Guadeloupe et des autres îles de la caraïbe sont les espèces Sargassum natans et Sargassum fluitans . Ces végétaux sont maintenus à la surface des océans par de petites poches sphériques remplies d’un gaz produit par l’algue elle-même. Elles peuvent ainsi croître et se diviser au large sans se fixer, et survivre sur de longues distances. Des études récentes utilisant l’analyse d’images satellitaires ont montré que ces sargasses ne proviennent pas de la mer des sargasses comme on pourrait le supposer a priori . Ces amas d’algues proviennent d’une nouvelle région située au nord de l’estuaire de l’Amazone, au Brésil. Elles sont ensuite poussées par les courants océaniques et le vent des systèmes dépressionnaires de la zone de convergence intertropicale. Elles bénéficient pour se reproduire d’une température océanique élevée et d’un apport en nutriments des fleuves Amazone et Congo. Compte tenu de la destruction massive de la mangrove d’Amérique latine, qui permettait auparavant de retenir une grande partie des nutriments provenant des fleuves, les nutriments contenus dans l’eau de l’Amazone et L’Orénoque sont déversés en quantité importante aux embouchures de ces fleuves et favorisent la croissance de ces algues. Les sargasses remontent ensuite le long de l’Amérique du Sud grâce au courant nord brésilien et rejoignent finalement les côtes d’Amérique Centrale et du Golfe du Mexique d’une part, mais aussi l’autre côté de l’Atlantique atteignant depuis 2011, les côtes du continent africain, du Sénégal au Nigeria. (…) une biomasse renouvelable telle que la sargasse peut constituer à la fois une source d'énergie durable et une alternative viable aux technologies de dépollution coûteuses. En mer, ces algues peuvent constituer des niches de protection pour les juvéniles poissons et crustacés comme pour les tortues marines. Mais arrivées sur la frange littorale, elles forment un barrage difficilement franchissable pour les tortues marines, empêchant les tortues adultes de venir pondre et les tortillons de rejoindre la mer lorsqu’ils sont sortis du nid. Les coraux ne pouvant plus recevoir de lumière sont aussi affectés indirectement par la présence de ces épais bancs de sargasses en surface. Arrivées sur les côtes, ces algues s’accumulent et appauvrissent le milieu en oxygène, elles se décomposent sur les plages, et produisent de l’hydrogène sulfuré, un gaz présentant une odeur nauséabonde et des risques pour la santé. Il est alors recommandé aux personnes vulnérables (enfants, personnes âgées ou malades) d’éviter les zones de décomposition. Ainsi, depuis 2011, les côtes des îles de l’arc caribéen ont connu des échouages massifs et successifs de sargasses, qui se sont ensuite reproduits, en 2012 et 2014, puis 2015. Ainsi de mars à août 2015, les côtes des Antilles ont été particulièrement affectées conduisant à des conséquences majeures sur divers secteurs de l’économie locale, tels que la pêche et le tourisme balnéaire. Aussi, en Guadeloupe et Martinique, a été mis en place par les pouvoirs publics, un plan ayant pour objectif de mener des actions de lutte coordonnées contre l’invasion des sargasses et ses conséquences. Il prévoit le soutien de projets prévenant l’échouage des sargasses, et permettant leur collecte en mer ou au sol grâce à des techniques respectueuses de l’environnement. © David Doublet L’autre aspect des actions soutenues concerne la valorisation des sargasses qui peut être aussi considérée non plus comme un déchet, mais comme une nouvelle matière première renouvelable. Les voies de valorisation envisagées sont potentiellement multiples. L’alimentation animale, ou la production d’engrais à base de sargasses est une filière envisagée. Il est cependant nécessaire que les concentrations en métaux lourds ou composés organiques polluants de la biomasse échouée soient mesurées, afin d’éviter toute propagation des polluants accumulés par les algues lors de leur trajet. Les sargasses sont aussi susceptibles de constituer un réservoir de molécules biologiques d’intérêt : agar, alginates et carraghénanes. Il s’agit d’agents gélifiants, épaississants, et stabilisateurs utilisés dans l’agroalimentaire, ou encore de molécules dont les applications dans des secteurs divers allant de l’industrie pharmaceutique à la cosmétique sont connues. Les sargasses pourraient enfin être utilisées pour la production d’énergie à partir des procédés de méthanisation ou de carbonisation, et elles pourraient être transformées en matériaux à forte valeur ajoutée pour le traitement des pollutions. En effet, le nombre d'études sur l'utilisation de biomatériaux pour la fixation des polluants a fortement augmenté au cours des dernières années. Ces procédés attirent considérablement l’attention des chercheurs travaillant dans le domaine du traitement de l'eau, car ils présentent de nombreux avantages (matériaux renouvelables et peu coûteux), et possèdent une bonne aptitude à la concentration de composés organiques ou métalliques. L’envahissement par ces algues sargasse constitue un phénomène nuisible non seulement pour l’environnement, la faune, la flore, mais aussi, les humains, avec aussi des conséquences notoires sur l’économie locale et la santé. Il s’agit d’un fléau, qui compte tenu de son origine, sera certainement massif et récurrent. Des solutions rapides et économiquement viables doivent donc être trouvées de toute urgence. Relever ce challenge nécessite, la coopération des États concernés dans la recherche de solutions et de repenser le modèle d’exploitation des ressources actuelles, en envisageant les sargasses comme une ressource, une source de matière première. Dans le contexte mondial ou parmi d’autres, deux des défis majeurs sont la production d'énergie durable et l'approvisionnement en eau de bonne qualité, une biomasse renouvelable telle que la sargasse peut constituer à la fois une source d'énergie durable et une alternative viable aux technologies de dépollution coûteuses. Par ailleurs, ce phénomène démontre encore une fois si cela était nécessaire, l’interdépendance des États dans les choix économiques, leurs conséquences et dans la gestion des crises environnementales.

L’économie circulaire

L’économie circulaire

Par Mary B Photo : Yuyeung Lau Si l’on se réfère à la définition classique, l’économie circulaire est l’économie des circuits d’échange court, de la proximité et de l’optimisation de toutes les ressources qu’elles soient naturelles ou énergétiques. Elle a pour objectif de produire des biens et services tout en limitant fortement la consommation et le gaspillage des matières premières et des sources d'énergies non renouvelables. Dans cet espace bouillonnant d’opportunités et d’offres de consommations, gageons que notre regard sera plus vigilant et résolument tourné vers le futur de nos enfants. © Jilbert Ebrahimi
Aujourd’hui, quand nous posons un regard objectif sur le monde, notre constat est sans appel : les richesses naturelles ne sont pas inépuisables. Il est plus que jamais nécessaire de prendre conscience des limites de notre monde et surtout du caractère fragile de notre environnement naturel. Notre discours ne se veut pas alarmiste, mais alarmant, pour que se dessine une véritable volonté citoyenne d’observer les choses à partir d’une nouvelle approche : un développement économique soucieux d’un meilleur équilibre et du bien-être de la population, tout en préservant son environnement. (…) la donnée environnementale doit ainsi être prise en compte dès la conception de ce modèle économique : « comment produire en respectant mon environnement ? » Pour un territoire insulaire comme le nôtre, qui dépend pour beaucoup d’un apport extérieur dans son système de consommation courante (alimentaire, habillement, construction), avec des conséquences indéniables sur notre production de déchets, nous nous devons d’être un modèle, un exemple en matière de gestion de nos ressources et de notre système de valeurs. Pour cela, beaucoup d’initiatives s’attachent à revaloriser notre savoir-faire local, à favoriser les circuits courts et à économiser les ressources. Dans la démarche que nous évoquons aujourd’hui, il n’est pas question d’invention, mais d’initiative innovante, puisque nous partons d’un bien, d’une matière, de savoir-faire issu de notre patrimoine pour les adapter, les transformer et les rendre viables. Voici posé le contexte de l’économie circulaire, partie intégrante de l’Économie sociale et solidaire (ESS) (définie par la loi Hamon de juillet 2014). L’exigence environnementale : la donnée environnementale doit ainsi être prise en compte dès la conception de ce modèle économique : «  comment produire en respectant mon environnement ?  » En produisant différemment, en tenant compte de ce côté environnemental, en se basant sur un savoir-faire, on se dirige vers du mieux-être, du bien vivre, afin de concevoir autrement la relation et les effets de l’économie sur l’environnement. Cela va passer également par le développement de nouveaux métiers et de nouveaux systèmes économiques. Prenons l’exemple du « jardin partagé » (conçu, créé collectivement par les habitants d’un quartier) : on va chercher à manger mieux, à réapprendre le goût. Le « jardin partagé » dans l’Hexagone est l’un des moyens pour lutter contre la vie chère et l’épuisement des ressources. Lorsqu’on adaptera cette formule aux zones tropicales, il ne s’agira plus de produire uniquement pour sa consommation personnelle : le surplus sera commercialisé avec une nouvelle forme de commerce de proximité. © The blowup On peut alors légitimement se poser la question : l’émergence et l’extension de ce modèle sont-elles subordonnées à l’existence d’une volonté politique ? Pour faire bouger les choses au départ, certainement, mais il faut surtout une prise de conscience générale et je crois qu’elle est en train d’émerger. Le citoyen s’engage, prend sa place. On n’est plus dans une expression du pouvoir, mais dans la recherche d’un équilibre.

Ce passé qui ne passe pas

Ce passé qui ne passe pas

Par Seteve Gadet Photo : Eduardo Gorghetto L’altercation entre Mr Augustin et Mr Chaulet à Basse-Terre révèle ce que la société de consommation essaie de nous faire oublier : le passé esclavagiste ne passe pas. On ne le voit pas tous les jours, mais c’est encore une ombre qui recouvre certains domaines dans le pays. Cette dispute, ces injures racistes évoquent la question de la race, de la mémoire, de l’histoire et la question socio-économique aux Antilles. Je condamne fermement les propos et les gestes de Mr Chaulet. Ceux qui croyaient que la Guadeloupe ne portait plus ce genre d’état d’esprit reviennent de loin. Il y a encore des gens qui pensent comme lui dans nos îles, des jeunes qui grandissent en étant biberonnés par l’esprit anti-nègre. Certaines personnes ne disent rien, mais leur attitude, leur action et leur manière de vivre viennent de cet esprit-là. Le racisme, d’où qu’il vient, est criminel parce qu’il déshumanise, affaiblit et marginalise des êtres humains. Je suis indigné, mais lucide. Bien que j’ai des raisons de le faire, je refuse de cultiver l’amertume et la haine. Je serai du côté de ceux qui travaillent à une meilleure entente entre les gens qui partagent ce bout de terre que nous aimons tant, la Guadeloupe. Le discours du Président de la République qui a provoqué la réaction de Joëlle Ursull démontre autre chose. Les Français blancs qui vivent dans l’Hexagone et les Français noirs qui vivent aux Antilles pensent à partir de lieux mémoriels différents. En fonction de certaines questions, ils pensent leur passé, leur existence et leur futur différemment. On pense l’histoire à partir d’angles différents. Certaines choses ont plus ou moins d’importance que d’autres en fonction de notre communauté. En cherchant à désavouer Joëlle Ursull, la ministre de la France d’outre-mer a été très maladroite. Est-ce parce qu’elle vit en France hexagonale depuis longtemps ? À vous de voir. George Pau-Langevin est une femme intelligente et engagée depuis longtemps pour une société plus équilibrée. Je ne vais pas faire comme certains l’ont fait et la disqualifier seulement à partir de ces propos. Elle devra néanmoins un jour réparer le tort qu’elle a causé chez certains d’entre nous. Il me faut quand même répondre à son argument. Selon elle, les intentions des bourreaux des Juifs et ceux des Africains n’étaient pas les mêmes donc les crimes commis n’ont pas la même ampleur. Ce ne sont pas les intentions qui comptent ici, ce sont les faits. Déshumaniser, brutaliser pour exterminer ou déshumaniser, brutaliser pour le travail forcé ; les faits restent. L’impact de l’esclavage est encore palpable aujourd’hui quoi qu’en disent les partisans du « An nou finn èvè sa ». L’esclavage a été un système brutal, vicieux et inhumain qui a broyé des femmes, des hommes et des enfants. C’est un système économique, politique, culturel, religieux et éthique qui a profité à des groupes. Il a provoqué des handicaps psychologiques et sociétaux sur plusieurs générations dans la région Caraïbe et ailleurs. Certaines personnes en Guadeloupe ne respectent pas ceux qui sont dans une position socio-économique inférieure. C’est un fait même si d’un point de vue éthique, le respect et la dignité ne devraient pas dépendre de notre condition socio-économique. Face à ça, je suis d’accord avec le Dr Boyce Watkins lorsqu’il dit que le pouvoir politique sans le pouvoir économique, c’est comme avoir le permis sans avoir la voiture. Vous n’irez nulle part sauf si quelqu’un vous permet d’avoir une voiture. L’impact de l’esclavage est encore palpable aujourd’hui quoi qu’en disent les partisans du «  An nou finn èvè sa  ». Si j’étais au pays, j’aurais pris part aux manifestations pour dire non au racisme dignement et pacifiquement. ©  Matthew Brady Exhibit B "Human zoo" © Brett Bailley
Non. L’ignominie, la brutalité et l’exploitation à des fins économiques ou politiques n’ont pas de mesures ni de nationalités. Les comparaisons entre des souffrances n’ont jamais rien amené de bon. Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas chercher à comprendre et évaluer les préjudices subis. Cela dit, ceux qui comparent les souffrances ont un message à faire passer. Parfois, il vaut la peine d’être entendu. D’autres fois, ils déshonorent la mémoire de ceux qui ont vécu ces souffrances. En France Hexagonale, la présence des communautés de couleurs dans la culture dominante ne leur a pas toujours été favorable et des stéréotypes ont renforcé certaines perceptions. Ces communautés ont souvent été jugées et classées par rapport à des standards qui n’avaient aucun fondement dans la réalité. On peut comprendre leur besoin de reconnaissance et leur besoin de s’organiser pour défendre leurs intérêts. Cela ne veut pas non plus dire que toutes les personnes issues de ces communautés ont attendu des paroles de reconnaissance ou des dispositifs spéciaux pour se construire. Peu importe notre couleur de peau, on doit tous apprendre à reconnaître comment notre groupe ethnoracial est entré en contact avec d’autres groupes… Ce processus veut que nous apprenions à mettre les « chaussures » des autres. Dans une société multiculturelle, l’histoire envisagée du point de vue d’une seule communauté nous donne ce qu’on a connu récemment d’où la réaction de Joëlle Ursull. Elle disait simplement au Président : «  Attention, vous parlez et regardez l’histoire que d’un seul côté. De mon côté, je ne la vois pas comme ça, car voilà ce que mes ancêtres ont vécu.  » Peut-être que son ton et ses mots ne sont pas toujours lisses, mais c’est ce que je garde du texte. Le 25 mars 2015, l’ONU a fait comme la Guadeloupe à Darboussier en inaugurant une stèle à son siège de New York en mémoire des victimes de l’esclavage. Ils l’ont fait afin de construire l’avenir sans oublier les conséquences du racisme et de l’avidité. On peut ne pas être d’accord avec les prises de position des uns et des autres par contre, il y a une chose dont nous devons nous préoccuper : c’est de la vérité des faits. La conscience des faits a été le point de départ de nombreux mouvements de réforme, de nombreux efforts pour faire cesser les injustices. La conscience fait partie du processus d’éducation. Peu importe notre couleur de peau, on doit tous apprendre à reconnaître comment notre groupe ethnoracial est entré en contact avec d’autres groupes. Les blancs doivent le faire, les noirs aussi, les Indiens, les métisses, les Haïtiens, les Dominicains, les békés, etc. Ce processus veut que nous apprenions à mettre les « chaussures » des autres. Nous ne sommes pas obligés de les garder, mais voir la vie, l’histoire à partir d’autres perspectives que la nôtre. Cela nous donne une compréhension plus profonde de l’histoire. Cela nous aide aussi à voir comment ces différents groupes ont répondu ou pas aux injustices. Nous avons tous des efforts à faire pour ne pas être captifs de notre vision du monde, captifs de notre culture. Moi le premier. Pourquoi ? Parce qu’elle nous met des lunettes lorsque nous regardons le monde. Le risque c’est que ces lunettes nous empêchent de comprendre la vision des autres. De temps en temps, nous devons apprendre à déposer nos lunettes et mettre celles des autres ; et vice versa. « Entre la vérité et la réconciliation, il y a un devoir de réparations ». Ce qui s’est passé à Basse-Terre nous montre que le passé ne passe pas pour certaines personnes. Lorsqu’on ignore cela, il nous revient un jour en pleine figure. Je ne m’attends pas à ce que Nicolas Chaulet voie les noirs autrement à la suite du procès. Comment puis-je changer le cœur d’un homme ? Seulement, je m’attends à ce que la justice lui rappelle que sa couleur et le passé de sa famille ne lui donnent pas le droit de traiter les noirs en Guadeloupe comme il a traité Mr Augustin. En privé, l’amour se manifeste par de la tendresse, mais lorsqu’il montre son visage dans l’espace public, on l’appelle justice. Et ça, c’est le « job » de nos institutions. Si elles ne restaurent et ne protègent pas, le risque est grand de voir le malaise racial s’approfondir sous le soleil. Wole Soyinka, le prix Nobel de littérature en 1986 a dit : «  Entre la vérité et la réconciliation, il y a un devoir de réparations  ». Cette réparation peut prendre plusieurs formes. La justice doit réparer ce qui a été brisé à Basse-Terre au risque de continuer à porter l’héritage d’une «  certaine justice sous les tropiques  ». Cette même idée de la justice que nos grandes robes noires comme Félix Rodes, comme feux René Falla et Gerty Archimède ont souvent combattu farouchement. Cornel West, professeur de philosophie à l'Université d’Harvard, aux Etats-Unis. © Cornelwet
Le Dr Cornel West, l’un de mes modèles chrétiens et mon philosophe noir préféré, m’a appris que la douleur de mon peuple ne devait pas m’empêcher de comprendre celles des autres peuples ni chercher à les minimiser. Autrement dit, je ne dois jamais laisser la souffrance noire me rendre aveugle ou insensible à la souffrance des autres, peu importe leur couleur, leur culture ou leur civilisation. Dans un pays comme la France, des descendants de personnes réduites en esclavage ont eu parfois l’impression que la société et ses institutions ne prenaient pas en compte la souffrance de leurs ancêtres de la même manière que la souffrance des autres communautés. Il y a sûrement plusieurs raisons à cela que je ne vais pas commenter ici. La lutte pour la dignité est commune à tous les peuples. Tous en ont besoin alors qu’ils se battent pour avoir plus d’emprise sur leur existence. À la lumière de ce passé qui a du mal à passer, l’un de nos défis est de ne pas rester emmuré derrière les slogans et les démonstrations. La route de l’action et du dialogue reste à défricher. Je ne sais pas ce qu’elle me réserve, mais je veux y poser les pieds. L’un de mes rappeurs préférés s’appelle Ali et c’est un musulman. Ce jeune homme de 40 ans a dit récemment dans un entretien : «  Comment arriver à la paix sans dialogue ?  ». Nous devons continuer à devenir plus conscients du monde dans lequel nous vivons sans être immobilisés dans ce processus sinon le passé ne passera pas…

Le Mémorial ACTe, la mémoire sous contrôle.

Le Mémorial ACTe, la mémoire sous contrôle.

Par Jocelyn Valton, critique d'art/AICA Photo : Germma Chua-Tran Inauguré en Guadeloupe le 10 mai 2015 par le Président François Hollande en présence d'une pléiade de chefs d'États africains et des Caraïbes, le Mémorial ACTe se présente comme l'un des monuments les plus importants jamais construits à ce jour au niveau mondial, dédié à la mémoire de la traite et de l'esclavage. Une infrastructure de cette envergure déployée dans l'espace public ne saurait être pensée autrement que comme invitation faite aux citoyens de toutes origines d'exercer leur sens de l'analyse critique après plus d'un siècle et demi de non-dits. Ainsi, plutôt qu'appeler au boycott, comme le font quelques-uns (ils ne pourront empêcher les visites en nombre du public, des scolaires notamment), c'est à la visite consciente et vigilante du Mémorial ACTe que j'invite. Chacun pourra vérifier ce que j'identifie comme la trame d'un discours qui, à vouloir être trop consensuel, devient hésitante, entre minoration et révisionnisme subtil. Exposition "Le modèle Noir" © Sophie Crepy Scénographie représentant la franc-maçonnerie © Agence Confino-Alphabeth Tout au long de l'exposition permanente le visiteur pourra être étonné de l'angle choisi, qui sous de nombreux aspects est en contradiction avec l'idée même du concept de Mémorial (monument d'importance variable, censé être érigé pour « honorer la mémoire », de ceux qui ont dramatiquement disparu) : présentation d'Africains comme étant à l'origine du commerce négrier et ayant participé avec les conquistadors à la mise en esclavage des Amérindiens et à leur massacre. Films d’animation présentant des femmes esclaves monnayant leurs charmes auprès des planteurs et éludant la violence sexuelle intimement liée au système esclavagiste (comme si ces femmes esclaves n’étaient pas des « biens meubles » et disposaient librement de leurs corps). Commentaires ambigus sur les « Nègres libres » présentés en « brigands » agresseurs de femmes (comme si l’esclavage, finalement, permettait d’éviter les désordres). Frise de personnages et de dates présentant la France comme un pays ayant toujours été abolitionniste (depuis la reine Bathilde – France : 626-680 –, « ancienne esclave » ayant interdit l’esclavage !), pour faire oublier que la France a été la seconde puissance négrière après l’Angleterre et qu’elle n’a aboli définitivement l’esclavage qu’en 1848, contrainte et forcée pour ne pas voir une seconde révolte générale d’esclaves ; un deuxième Saint-Domingue. Pas de présence marquante de la figure centrale du marron et de la diversité des formes de lutte déployées par les esclaves. Présentation de l’esclavage comme un phénomène « universel » (finalement « naturel ») et minimisant les spécificités de la traite négrière transatlantique : racisme, massification, industrialisation de la traite et de l’esclavage. Mise en parallèle ambiguë d’une histoire de l’esclavage et d’œuvres d’art contemporain (l’art comme résultat « positif » de l’esclavage). Mise en scène spectaculaire de la franc-maçonnerie renvoyant au rôle de Victor Schœlcher (franc-maçon), comme « libérateur » et porte-drapeau d’une France « généreuse » effaçant l’image de la France en puissance esclavagiste. Choix manquant de pertinence d’une scénographie de « type contraignant », obligeant les visiteurs à se plier à l’ordre chronologique et linéaire du parcours. Exposition "Le modèle Noir" © Sophie Crepy © Agence Confino-Alphabeth Scénographie représentant le rétablissement de l'esclavage en Guadeloupe. © Agence Confino-Alphabeth À mon sens et compte tenu du sujet, n’eût-il pas été préférable d’opter pour une scénographie plus ouverte qui placerait chaque spectateur sur les chemins du libre choix ? Faire l’expérience d’une liberté de parcours en véritable discours sur l’esclavage et la privation de liberté au lieu d’interdits et d’obligations anachroniques (commentaires de l’audioguide envahissants, interdiction de photographier…). Pas de présence marquante de la figure centrale du marron et de la diversité des formes de lutte déployées par les esclaves. Absence notable de la figure historique du colon esclavagiste, comme si le crime n’avait pas de visage. Présence d’une reproduction d’un tableau de Louis David présentant Napoléon Bonaparte « en majesté », main au gilet, et mise en scène dans un étrange couloir tapissé de miroirs du sol au plafond. Une aberration scénographique, car les miroirs au sol offrent à la vue incrédule des visiteurs, les dessous des jupes de toutes femmes qui ne seraient pas vêtues d’un pantalon lors de la visite. (…) la seule manière de savoir si le Mémorial ACTe est pertinent dans son contexte, c’est de vérifier sa capacité à faire son public penser, le rendant ainsi plus autonome et plus libre, ou bien, au contraire, s’il n’est pour ce public qu’un autre piège à aliéner. De même, absence des descendants actuels des planteurs (békés), de leur parole et d’une participation au Mémorial donnant corps au « vivre ensemble » si souvent évoquée. D’autre part, un éclairage insuffisant pour permettre de mieux comprendre le faisceau de liens entre ce passé (très récent) et nos sociétés d’aujourd’hui, principalement à l’échelle de la Guadeloupe, puis des Caraïbes et du monde. Comment cette économie plantationnaire, suivie de l’absence de réforme foncière et de redistribution des richesses après l’abolition de 1848, le passage de la main-d’œuvre servile à une main-d’œuvre sous-payée (tout autant exploitée et dominée), a accouché le capitalisme mondialisé d’aujourd’hui… Voilà quelques clés de lecture pour approcher ce Mémorial, à défaut de quoi, comme le révérend Jesse Jackson (leader historique de la lutte antiségrégationniste pour les droits civiques aux côtés de Martin Luther King) lors d’une visite éclair en juillet 2015, on se laisse impressionner, intimider, par l’aspect spectaculaire du bâtiment (ou de la scénographie). Ils ne sont pourtant que la surface d’une machine idéologique plus complexe qui ne s’est pas libérée de l’influence des forces du déni, du refus des pays occidentaux d’envisager des « réparations » pour ce crime contre l’humanité (la France et la Grande-Bretagne en tête), d’une vision intoxiquée par le racisme… Machine qui ne pourra servir l’histoire, l’art, les descendants d’esclaves, de planteurs esclavagistes (eux aussi en ont besoin) et tous les autres citoyens, qu’en procédant à une sérieuse refonte de son discours. Car au bout du compte, la seule manière de savoir si le Mémorial ACTe est pertinent dans son contexte, c’est de vérifier sa capacité à faire son public penser, le rendant ainsi plus autonome et plus libre (même quand cela met l’institution dans l’inconfort), ou bien, au contraire, s’il n’est pour ce public qu’un autre piège à aliéner.

Noire n’est pas mon métier, le livre manifeste

Noire n’est pas mon métier, le livre manifeste

La Rédaction Photo : Thomas Laisné «  Heureusement que vous avez les traits fins  », «  vous parlez Africain  ? », «  trop noire pour [jouer] une métisse  », «  pas assez africaine pour une Africaine  »… Noire n’est pas mon métier, c’est le titre d’un livre manifeste, paru le 3 mai 2018, dans lequel 16 actrices noires – et métisses – mettent en lumière le double plafond de verre, du racisme et du sexisme auquel elles sont – et ont été – confrontées. Une prise de parole choc, un pavé dans la mare, au nom des hommes et des femmes qui ne l’ont pas… Un camaïeu de noir, une variété d’âges, une diversité d’expérience, comme une envie de témoigner et tendre un miroir embarrassant à la France. Ce livre veut provoquer un débat dans la société française pour permettre une plus grande diversité et représentativité dans l’industrie du cinéma, du théâtre et de la télévision. Toutes y racontent des anecdotes, des scènes qu’elles ont vécues, des remarques et plaisanteries qu’elles ont dû subir. «  On n’est pas dans une accusation stérile, on est là plutôt pour dénoncer un système, un état de fait qui perdure depuis trop longtemps  », confiait Aïssa Maïga, à l’initiative de ce livre manifeste, au micro de France Inter. Elle raconte d’ailleurs ce jour-là une situation personnelle qu’elle évoque dans le livre : «  J’ai joué dans une comédie romantique et c’est la seule de tous les temps sur (l’affiche) laquelle il y a uniquement le personnage masculin. Ce n’est pas juste, ce n’est pas normal, ce n’est pas le film  ». Quinze actrices ont donc suivi Aïssa Maïga dans son combat : Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan, Sara Martins, Marie-Philomène NGA, Sabine Pakora, Firmine Richard, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla, Karidja Touré et France Zobda. Toutes ont été confrontées aux stéréotypes et aux clichés racistes dans leur carrière. À titre d’exemple, Le Monde  cite quelques-unes des remarques entendues par ces personnalités : «  Heureusement que vous avez les traits fins  », «  vous parlez Africain  ? », «  trop noire pour [jouer] une métisse  », «  pas assez africaine pour une Africaine  »… Le livre évoque de la manière la plus directe, le quotidien de ces artistes, confrontées aux carcans du cinéma français, et de la société au sens large. Ce livre est, purement et simplement, un constat alarmant de certaines pratiques dans les milieux artistiques notamment lors de castings où certaines de ces actrices sont reléguées dans les rôles de « Noires de service » sans oublier l’accent exagéré et stéréotypé qui va avec…

Toni Morrison, Délivrance

Toni Morrison, Délivrance

La Rédaction Photo : Richard Avedon «  Tout ce que je sais, c’est que pour moi, la nourrir, c’était comme avoir une négrillonne qui me tétait le mamelon  » L’enfant est un personnage récurrent, omniprésent dans la galaxie des figures que Toni Morrison convoque, de livre en livre, sur la scène de son éblouissant théâtre romanesque. Cela depuis son premier ouvrage, L’œil le plus bleu (1970), au centre duquel est le destin sans espoir de Pecola, une fillette noire qui rêve d’avoir la peau blanche et les yeux clairs. Ce vœu éperdu d’être une autre ; cela, afin que changent les regards qui se portent sur elle, Lula Ann Bridewell, l’héroïne de Délivrances – onzième roman de Morrison –, le porte aussi. Lula Ann est née «  noire comme la nuit, noire comme le Soudan  », se plaint Sweetness, sa mère – qui est, elle, «  une mulâtre au teint blond  », legs de ses grands-parents qui pouvaient aisément se faire passer pour blancs. D’où vient alors à Lula Ann cette peau d’«  un noir bleuté  », ses yeux noirs corbeau avec «  aussi quelque chose de sorcier  », décrit Sweetness. C’est inexplicable. «  Tout ce que je sais, c’est que pour moi, la nourrir, c’était comme avoir une négrillonne qui me tétait le mamelon  », ajoute la mère, qui fera payer à Lula Ann le fait d’avoir été quittée par son mari, à la suite de l’irruption dans leur vie de ce bébé «  d’une couleur terrible  ». Vingt ans plus tard, Lula Ann semble avoir conjuré la malédiction. Elle est devenue une superbe jeune femme, a créé une ligne de produits cosmétiques, roule en Jaguar, s’habille de blanc afin de souligner l’intensité du noir de sa peau, et a changé son nom – oubliée, Lula Ann, pour tous elle s’appelle Bride. Quand s’ouvre Délivrances  posé par son auteur, avec une belle assurance, en équilibre sur la ligne de crête qui sépare le roman du conte, le réalisme du merveilleux, fût-il parfois très sombre –, la remarquable entreprise de réinvention d’elle-même qu’a entreprise Bride vacille soudain. Il a suffi d’une phrase, jetée par son amant, Booker : «  T’es pas la femme que je veux . » Il a suffi d’un péché d’enfance, remonté à la surface du présent de Bride. La jeune femme est blessée, moralement, physiquement. Plus inquiétant est l’étrange processus de rajeunissement dont son corps semble la proie, perdant peu à peu ses attributs féminins pour revenir à l’état prépubère, glabre, plat, intact – Lula Ann est de retour dans la vie de Bride, désireuse peut-être de reprendre sa place… © Thimoty Greenfield-Sanders D’autres enfants habitent les pages fluides de Délivrances. Filles et garçons, noirs ou blancs, vivants ou morts. Il y a Lula Ann, Rain, Adam, d’autres qui parfois n’ont pas de nom, qu’on ne fait qu’entrevoir. Ils sont toujours victimes du racisme, de la prédation sexuelle, des défaillances morales des adultes. Au cœur du roman, comme s’il s’agissait de trouver un grand frère à tous ces enfants perdus, Toni Morrison glisse la silhouette de l’inoubliable Pip, l’orphelin des Grandes Espérances, de Charles Dickens. La romancière leur promet aussi un cadet, l’enfant de Bride et de Booker : «  Un enfant. Nouvelle vie. Hors d’atteinte du mal ou de la maladie, à l’abri des enlèvements, des coups, du viol, du racisme, des insultes, des blessures, de la haine de soi, de l’abandon. Libre d’erreurs. Rien que bonté. Sans colère. C’est ce qu’ils croient.  » Au terme de cette fable emplie de compassion, mais tout aussi lucide et implacable, poser un happy end aurait été une duperie. Dans Délivrances, Toni Morrison, prix Nobel de Littérature en 1993 reprend tous les thèmes qu'elle développe roman après roman depuis 40 ans : l'enfance, le racisme institutionnalisé aux États-Unis, la soumission, la violence, la famille, la haine de soi, la rédemption et l'amour… Cette fois la romancière dessine tout cela dans l'Amérique contemporaine, à travers le destin d'une femme. Elle y décrit un racisme à l'intérieur même d'une famille, la soumission à des normes à l'intérieur même de la communauté noire, et les difficultés à se frayer un chemin vers soi-même dans un monde où sévissent le mal, la maladie, les enlèvements, les coups, le racisme, les insultes, les blessures, la haine de soi, l'abandon…

Ta-Nehisi Coates, entre le monde et moi

Ta-Nehisi Coates, entre le monde et moi

Par Gisèle Wood Photo : Sébastian Kim « Je te le dis : cette question — comment vivre avec un corps noir dans un pays perdu dans le rêve — est la question de toute ma vie. » Poignante lettre adressée par Ta-Nehisi Coates à son fils de 15 ans, Une colère noire a connu, depuis 2015, un succès fracassant aux États-Unis, faisant de l’auteur, jeune journaliste à The Atlantic, l’un des intellectuels les plus écoutés du moment. Récompensé par le National Book Award, le livre a surtout été adoubé par la romancière Toni Mor­rison, qui a accueilli Ta-Nehisi Coates, né à Baltimore en 1975, comme la nouvelle voix capable de remplir le vide causé par la mort de l’écrivain James Baldwin en 1987. Coates à Baltimore à environ trois ans et ses frères et sœurs. C’est à une série de gouffres que s’attaque Between the World and Me (édition française : Une colère noire) : celui qui sépare d’abord le mirage du rêve américain, son prétendu confort égalitaire et protecteur (ses « belles pelouses » et ses « allées privées » ), de la réalité de l’injustice et de la peur ressenties par l’auteur tout au long de sa vie. Une insécurité physique, viscérale, « terreur pure de la désincarnation, de la perte de mon corps » , allant de la violence de la rue, des couteaux et armes à feu aux arrestations et fouilles arbitraires, en passant par le tout-venant des vexations racistes (ainsi cette femme qui, par une petite tape dans le dos doublée d’un « Allez ! » , s’en prend au fils de Ta-Nehisi Coates qui, à l’âge de 5 ans, lambinait dans un cinéma). Cette permanente dépossession de soi est un héritage de la fabrique raciste, autre gouffre qui désunira à jamais les noirs des blancs —  « ils ont transformé nos corps pour en faire du sucre, du tabac, du coton et de l’or »  : « N’oublie jamais que nous avons été esclaves dans ce pays plus longtemps que nous n’avons été libres. » Cette longue histoire pleine de cicatrices ne souffre d'aucune compensation. Dans ce livre à l'allure d'une passation générationnelle si tragique, le père ne laisse pas d’espoir à son fils, qui aura toujours « le vent de face et les chiens sur les talons  » : « Ne détourne jamais les yeux de cette réalité. » Les victimes se nomment Michael Brown, Eric Garner ou Trayvon Martin. Gouvernée par un président noir, l’Amérique a connu une recrudescence de violences perpétrées par des policiers souvent acquittés, meurtres racistes systémiques, « carburant » qui alimente, encore et toujours, « la machine américaine » de destruction du corps noir. Ce gouffre, c’est finalement celui qui sépare l’auteur du monde, vertige que Ta-Nehisi Coates a choisi, dans ses articles et essais, de décrypter, sans ­passer sous silence la froideur qu’il a par exemple ressentie devant les ruines du 11 Septembre : « J’avais mes propres désastres à affronter »… Voilà pourquoi le titre américain, Between the world and me (entre le monde et moi), s’avère bien plus riche que le cliché français de la « colère noire » — sans compter que la figure du Black enragé (homme ou femme) est l’un des stéréotypes racistes les plus tenaces outre-Atlantique. « Je devais, je dois survivre pour toi. » © John Edmonds. Si l’écriture compense en partie la blessure de la dépossession de soi, c’est qu’elle s’incarne dans l’épaisseur d’une vie, qui éclot dans le Baltimore des années 1970, se confronte à la rue et à l’école, les « deux bras d’un même monstre » , à l’identification avec Malcolm X, pour trouver une voie à l’université Howard à Washington, « La Mecque, carrefour de la diaspora noire » , puis dans le journalisme. Jusqu’à cette déclaration d’amour, désespérément lyrique, à son fils : « Je devais, je dois survivre pour toi. »

Michelle Obama, Becoming

Michelle Obama, Becoming

Par Gisèle Wood Photo : Thomas Whiteside « C’est l’heure. Je pense que notre démocratie a vu juste : deux mandats, huit ans. C’est assez », confie Michelle Obama dans les colonnes du magazine Vogue US. Elle l'avoue : « La vie à la Maison-Blanche isole. […] Barack et moi, parce que nous sommes un peu têtus, avons maintenu une certaine normalité, principalement en raison de l’âge de nos enfants ». « Je sors dîner avec mes copines, je vais au match de Sasha… », insiste celle qui dit adopter « la même démarche en partant qu’en arrivant ». Ses premiers pas à Washington n’ont pourtant pas été si sûrs « Je ne savais pas ce que j’allais faire avant d’arriver, je n’avais jamais été First Lady des États-Unis d’Amérique. » © The Obama-Robinson Family Archives Née le 17 janvier 1964, Michelle Obama a grandi à Chicago dans le South Side, quartier communautaire, au sein d’un foyer uni. Son parcours ? En 1981, elle entre à l’université de Princeton. Une admission qui réside, selon elle, moins dans l’exercice de la discrimination positive que dans le fait que son frère, Craig, qui y avait obtenu une bourse, était devenu la star de l’équipe de basket. Au sein du campus encore trop monocolore, elle se sent « comme une visiteuse ». Une isolation qui la pousse à traiter de la division raciale. Une thèse que le couple Obama a tenté de garder sous scellé jusqu’au lendemain de l’élection. Mais face à la pression médiatique, Michelle a été forcée de publier le texte, qui révèle un scepticisme, une amertume. Sa conclusion est frappante : son diplôme de Princeton lui permettra au mieux de s’installer à « la périphérie de la société ». Elle ne sera jamais « une participante à part entière. » Son destin en a décidé autrement. © Instagram/@michelleobama Après Princeton, Michelle entre à la faculté de droit de Harvard et commence à suivre le chemin, a priori tracé pour l’élite blanche. À sa sortie, elle devient avocate dans un cabinet d’affaires de Chicago. Un été, elle est chargée de s’occuper d’un stagiaire tout juste diplômé de Harvard. Un stagiaire qui ne cessera de lui tourner autour, et qui n’est autre que Barack Obama. Au départ réticente, Michelle finit par se laisser séduire : ils se marient en 1992, donnent naissance à Malia en 1998 et à Sacha en 2001. Après avoir rencontré Barack, Michelle quitte le privé pour entrer à la mairie de Chicago, puis à l’hôpital universitaire en tant que vice-présidente chargée des relations extérieures, jusqu’à la campagne électorale. © Instagram/@barackobama Sa vie d’avant, elle y a mis une croix quand Barack Obama a été élu président. «  Michelle n’a jamais demandé à être première dame  », explique pour sa part Barack Obama dans cette même interview. «  Comme beaucoup de femmes politiques, elle a dû endosser ce rôle. Mais j’ai toujours su qu’elle serait incroyable et qu’elle laisserait son empreinte dans ce travail  ». «  Car, vous voyez qui elle est – une femme brillante, drôle, généreuse […]. Je pense que les gens sont attirés par elle, car ils se voient en elle – une mère dévouée, une bonne amie et quelqu’un qui n’a pas peur de faire preuve d’autodérision de temps en temps.  » Les démocrates l’adulent, les républicains la redoutent. Et les Américains se plaisent à l’imaginer, un jour, faire de la politique. Michelle Obama est incontestablement la vedette des élections de 2016. Tout au long de la campagne, elle, qui n’a fait qu’une poignée d’interventions, a affiché une popularité à faire pâlir d’envie les deux prétendants : 64 % d’opinions favorables, soit 10 points de plus que son mari. Huit ans après avoir été dépeinte comme une femme noire en colère, « Michelle » s’est fait un prénom et fait désormais l’unanimité. Une popularité qu’elle doit, en partie, au fait de n’avoir pas voulu jouer un rôle partisan à la Maison-Blanche, à la différence d’Hillary Clinton dans les années 90. Elle s’est pliée avec enthousiasme aux contraintes protocolaires de la fonction, faisant campagne sur des sujets consensuels comme la lutte contre l’obésité, l’éducation, ou en faveur des anciens combattants. Avec sa façon de prendre les gens dans ses bras plutôt que de leur serrer la main, ou de retirer ses chaussures pour danser avec les enfants en voyage officiel, elle a construit une image de simplicité et de spontanéité qui vaut aujourd’hui un vrai capital sympathie auprès des électeurs des deux camps. Elle a aussi naturellement adopté les réseaux sociaux et fait quelques apparitions dans les talk-shows télévisés dont les Américains raffolent. Cette popularité, Hillary Clinton a su l’utiliser dans les dernières semaines de la campagne, en faisant intervenir la première dame dans les États clefs, comme la Caroline du Nord, ou juste après la diffusion d’une vidéo dans laquelle Trump tient des propos obscènes sur les femmes. Chaque fois, ses discours émouvants, prononcés sans notes, ont fait mouche et imposé le silence. Le pouvoir de conviction de Michelle Obama n’est pas nouveau. En 2008, les conseillers du président américain avaient remarqué qu’après ses interventions, les appels de bénévoles désirant s’impliquer dans la campagne explosaient. Pas étonnant que la presse américaine spécule sur son éventuel avenir politique, évoquant une candidature au Sénat ou même à la Maison-Blanche. Ce que l’intéressée exclut catégoriquement, affirmant vouloir se consacrer à ses filles. «  Je ne me présenterais pas à la présidence , a-t-elle coupé court il y a quelques mois. Non, non, pas moyen.  » Et pourtant, une partie de la population semble voir les choses autrement. Pour beaucoup, il faudrait que FLOTUS (First Lady of The United States) devienne POTUS (Président of The United States). Après tout, l'Amérique adore les dynasties ! Et Michelle Obama pourrait avoir de l'appétit.  Première First Lady afro-américaine, Michelle Obama, restera le symbole de toute une génération. Son rôle à la Maison-Blanche fut double : non seulement elle a dû se tenir au côté de son mari, mais aussi rassurer son pays tout entier sur le fait qu'une femme noire et au physique particulièrement imposant n'est pas seulement «  douée pour l’athlétisme . » Durant 8 ans, elle nous aura vendu du rêve que ce soit par sa prestance, son style et ses engagements… Elle nous aura montré et démontré que tout était possible. Dans ses mémoires, Michelle Obama invite les lecteurs dans son univers, à travers le récit des expériences qui ont fait d’elle la femme qu’elle est aujourd’hui, depuis son enfance dans le South Side de Chicago en passant par les années où elle a dû concilier sa vie d’avocate et de mère de famille, jusqu’aux deux mandats passés à la Maison-Blanche. Avec la sincérité, l’humour et l’esprit qu’on lui connaît, elle décrit ses victoires comme ses défaites, publiques et privées, et raconte son histoire telle qu’elle l’a vécue. Becoming retrace le parcours intime d’une femme de caractère qui a toujours su aller au-delà de ce qu’on attendait d’elle – une histoire qui nous encourage à faire de même.

Get out ! Un cri primal

Get out ! Un cri primal

Par Gisèle Wood Photo : Willy Vanderperre Get out ? Mais pour aller où ? Il n’y a pas de refuge pour les descendants d’esclaves, et il n’y en a jamais eu, pas plus aujourd’hui qu’hier… À l’heure où les studios hollywoodiens multipliaient les suites et les films de superhéros dans l’espoir de faire de bonnes recettes aux box-offices, un film d’horreur dénonçant le racisme obtient un succès phénoménal et inattendu dès sa sortie, le 24 février 2017 aux États-Unis. Produit avec un petit budget (4,5 M$), Get Out a rapidement franchi le cap des 150 millions de dollars de recette au box-office américain. Il se situe actuellement au quatrième rang des productions les plus lucratives au box-office américain en 2017. Get Out a aussi permis à son réalisateur, Jordan Peele, de devenir le premier cinéaste et scénariste afro-américain à voir son film dépasser le cap des 100 M$ au box-office. Praticien confirmé de la satire, l’idée de Get Out lui est venue durant les années Obama. Dans un podcast diffusé par Bluzzfeed , il expliquait son idée en ces termes : «  Apparemment, nous vivons dans une ère post-raciale. Les gens disaient qu’avec Obama ou pouvoir, le racisme était du passé, que nous n’avions plus besoin d’en parler. Au cas où vous ne le sauriez pas, oui, le racisme existe toujours. C’est ce que j’ai essayé d’évoquer à travers cette histoire  ». Sorti sous Trump, Get Out est beaucoup plus qu’un simple thriller. Le film, qui mélange horreur et comédie acerbe, aborde le problème du racisme à travers les mésaventures d’un couple interracial. On y suit l’histoire de Chris, un jeune homme noir qui accompagne pour la première fois sa petite amie dans sa famille. Il est noir et ils sont blancs. Une visite qui se transformera rapidement en un cauchemar pour Chris, qui se rendra compte qu’il est pris au piège dans une famille raciste. La question du voir – et du bien voir – y est omniprésente : on y perçoit la réalité différemment selon la couleur de peau, on traque avec un appareil photo les faux-semblants. On espionne, on se jauge et se dupe avec les yeux, mais l’on y trouve toujours, en fin de compte, le miroir de l’âme. Tout se noue et se dénoue autour des regards. Le succès de cette œuvre s’explique par le fait que Jordan Peele aborde de front le problème du racisme sous la forme d’un genre très populaire, le film d’horreur. «  C’est fascinant de constater que pas grand-chose n'a changé. La situation de départ est la même, mon personnage demande à son amie : “Est-ce que tes parents savent que je suis noir ?” Il est dans la même position que Sidney Poitier (NDLR. Acteur et réalisateur américano-bahaméen qui a joué dans “ Devine qui vient dîner ”) .  » Mais il reconnaît, lors d’une interview accordée au journal Le Monde , que le film est daté par d'autres aspects : «  La manière dont les personnages des parents de “Devine qui vient dîner…” réagissent était un peu transgressive à l'époque. Elle relève aujourd'hui d'un antiracisme superficiel, qui se traduit par une remarque comme : “Si Obama avait pu se représenter, j'aurais voté pour lui.” L'équivalent de cette attitude à Hollywood est d'aborder la question raciale à travers le passé, avec des films sur l'esclavage.  » Le succès de cette œuvre s’explique par le fait que Jordan Peele aborde de front le problème du racisme sous la forme d’un genre très populaire, le film d’horreur. Certaines scènes font directement écho à des événements qui se sont récemment produits aux États-Unis, comme les crimes racistes commis par les policiers. Sortons de là, oui, il est encore temps. À (re)voir.

La colonisation, crime-brûlot !

La colonisation, crime-brûlot !

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Jay Skyler La colonisation est-elle un partage de culture comme a pu le dire Fillon ou un crime contre l'humanité comme le précise Macron  ? Question absconse au vu des circonstances. Car comment donner du crédit à la parole d’un homme politique ? On les sait démagogues et pourtant on s’accroche à leurs palabres comme à paroles d’Évangile, puisqu’elles sont les promesses d’une société en perpétuelle mutation, et que son amélioration est en jeu. L’avenir est le pari que font ces hommes avec les électeurs chaque quinquennat : quel avenir puis-je vous offrir ? Il faut alors séduire. Dissiper les nuages. Pour remporter des voix électorales. Pour arrondir les angles, adoucir les cœurs et contrôler les appétits d’autonomies, récolter des âmes dans les anciennes colonies ! Oups, le mot est lâché et les châtiments ne se feront sûrement pas attendre. La colonisation ne serait pas un crime contre l’humanité pour les pieds-noirs d’Algérie ? Ce serait un partage de cultures selon Fillon ? Ôtons-nous d’un doute immédiatement : le mot « partage » implique qu’il y ait actions consenties et équitables. Il n’y a eu aucune répartition juste des r/apports entre les colons et les colonisés, quels qu’ils soient. Évidemment, les sociétés issues de ces colonisations sont des hybrides qui ont été soit nucléées par la force – on parlera d’assimilation, voire d’assimilation antagoniste – soit des syncrétismes forgés dans les violences – parlons de créolisations. L’Afrique illustre bien le premier cas, les Antilles le second.  © G. Dascher, couverture d’un cahier scolaire, 1900. Les pieds-noirs étant descendants d’Européens majoritairement Français, installés à partir de 1830 en Algérie pour en faire une colonie de peuplement, et l’Algérie, avant sa départementalisation, ayant un statut de protectorat plus proche de celui de la Corse que de celui des colonies, ne peuvent accepter d’être assimilés à des colonisateurs tortionnaires… Coloniser un pays n’aurait aucune conséquence sur les populations autochtones ? C’est sans doute pour cette raison que l’Algérie déclara la guerre pour son indépendance… Mais qu’implique un crime contre l’humanité ? Bien qu’il n’y ait pas de définition unanimement adoptée, retenons que la liste des crimes de droits communs considérés comme portant atteinte aux droits humains fondamentaux commis ‘dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique dirigée contre toute population civile’ énoncent le meurtre, l’esclavage, la déportation, l’emprisonnement abusif, la torture, les abus sexuels, la persécution de masse, l’Apartheid, etc. comme critères descriptifs. La colonisation a été à la fois le prétexte, l’outil et la conséquence d’un système de pratiques généralisées à l’Europe entière, sur un continent entier voire une région du monde (Asie, notamment pour le Portugal), contre des peuples civilisés (donc populations civiles) et primitivisés par le regard de leurs envahisseurs. Les abus perpétrés dans les comptoirs, les pillages du Continent sont innombrables et inextinguibles depuis lors. Les rapts de millions d’Africains et les abus sexuels vécus par des millions de femmes noires ne sont-ils pas la manifestation d'un système qui perpètre quotidiennement des crimes contre l'humanité ? Le génocide est avéré, et depuis la Loi Taubira , le mot colonisation semble être une injure, offensant les Français droitistes bien-pensants. Songeons à tout ce que les hommes politiques font en Afrique : ils viennent apporter l’électrification, raconte cette élue face à un Passi hors de lui… Une nouvelle corde à l’arc de la dépendance, du paternalisme et de la Françafrique. Macron n’utilise pas le terme " crime contre l’humanité " avec conviction ou érudition. Non seulement parce qu’il n’y croit pas lui-même, mais encore parce qu’il ignore ce que ce concept implique. Nous sommes ici face à de la pure démagogie et des discours entièrement manipulés…

Moonlight, le sacre d’une Amérique

Moonlight, le sacre d’une Amérique

Par Gisèle Wood Photo : Willy Vanderperre Un éloge de la lenteur, de l’observation et du non-dit qui relève plus de l’expérience sensorielle intime. Loin du faste des productions hollywoodiennes, du tumulte et du culte de la polémique,  Moonlight  est la surprise venue des États-Unis que personne n’avait vue venir. Profondément pudique, juste et charnel, ce film sublime à lui seul une notion beaucoup trop souvent négligée au cinéma, celle de l’expérience humaine. Adapté de la pièce de théâtre Black Boys LookBlue de Tarell Alvin McCraney, le film nous fait suivre à travers trois étapes d’une vie le destin tragique de Chiron, un jeune enfant, adolescent et adulte de la banlieue pauvre de Miami. Les sermons moralisateurs et le misérabilisme n’ont ici pas droit de citer. À la place, le spectateur est comme invité à partager la vie du protagoniste, à accompagner une trajectoire de vie, qui sans avoir nécessairement de portée universaliste déborde d’un vrai humanisme aussi tendre que tragique. Sorti en 2016, Moonlight touche à des questions de sexualité, de masculinité, de relation mère-fils et d’identité afro-américaine avec une pudeur et une élégance qui manquent à nombre de faiseurs de morale actuelle. À l’écran, Barry Jenkins, réalisateur et scénariste afro-américain élevé dans le ghetto de Liberty City, à Miami, en Floride, par une mère devenue accro au crack au milieu des années 80, suit le héros de près. Filmée en plans rapprochés, chaque action est en effet montrée pour nous immerger dans la vie de Chiron. L’indissociable trio d’acteurs qui interprète le héros (Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes), par sa déclamation timide, mais surtout ses regards et ses silences, donne une humanité et une véracité folle au personnage. Et si les trois changements d’acteurs qui s’opèrent ne nuisent pas à la qualité du récit, c’est bien sûr grâce à une direction et un jeu d’acteur maîtrisé, mais surtout grâce à une écriture remarquable qui donne au protagoniste et aux situations qu’il vit une impression de réel véritablement palpable. Une force qui se retrouve aussi dans les autres personnages du film, de la mère instable (Naomie Harris) à la mère adoptive (Janelle Monáe) ainsi que dans celui de Kevin, le seul ami de Chiron lui aussi interprété par trois acteurs différents (Jaden Piner, Jharrel Jerome et André Holland). © Art Streiter for EW/Barry Jenkins Moonlight a remporté trois prix lors des Oscars/Academy Awards 2017. Celui du meilleur film, une première pour un long-métrage centré sur l’homosexualité et une deuxième pour un noir après Steve McQueen, du meilleur acteur dans un second rôle pour Mahershala Ali et enfin du meilleur scénario adapté. Depuis sa sortie Moonligth comptabilise près de 12 prix et 19 nominations, et a assuré 65 millions de dollars de recettes mondiales pour un budget de 4 millions. Après ce succès, le réalisateur et scénariste, Barry Jenkins a sorti en 2018 son troisième long-métrage «  Si Beale Street pouvait parler  » adapté du roman du même titre de James Baldwin (Stock, 1997). Un magnifique drame qui évoque l'amour et le racisme à travers le destin d'un couple dont le mari est accusé à tort de viol. Et comme dans Moonlight, la maîtrise y est forte…

Qui sont nos héros ?

Qui sont nos héros ?

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photo : Philippe Giraud/Gamma-Rapho via Getty Images Tantôt acclamée, tantôt honnie, elle a déserté le pays depuis quelques décennies déjà. Elle écrit ceci dans l’un de ses derniers ouvrages : « Je n’étais pas seulement orpheline ; j’étais apatride, une SDF sans terre d’origine ni lieu d’appartenance. En même temps, cependant, j’éprouvais une impression de libération qui n’était pas entièrement désagréable : celle d’être désormais à l’abri de tous jugements ». Ce sont là les mots de Maryse Condé, dans La vie sans fard. À travers ce roman biographique, on suit ses pérégrinations de la Guadeloupe aux États-Unis en passant par la France hexagonale et l’Afrique… Une quête identitaire pour achever sa complétude. On peut aisément comprendre son sentiment de libération face à une société qui ne l’a vraisemblablement pas reconnu dans ses œuvres, qui l’a mal jugé. On ne peut nier que les médisances ont bien cours chez nous… Et pour un peuple représentatif du métissage, la différence n’est pas un apanage. Maryse Condé avec ses collègues de Bush House, la BBC, Londres, 1967 Je me demande encore quelles sont les raisons qui ont présidé à cette relation de détestation entre Maryse Condé et son pays. À quoi est dû le rejet qu’elle évoque ? Était-ce le colorisme – attitude, propre aux sociétés postcoloniales, consistant à juger et préjuger de l’autre en fonction de sa carnation, de son teint, de son degré de négritude – qui opérait, néfaste ? Ou alors est-ce le regard négatif que d’aucuns portent sur les intellectuels dans ce pays ? Les intellectuels réputés plus « francisés », pédants, prétentieux, « blanchis »… Frantz Fanon qui évoque ledit ‘négropolitain’, ou « bounty » qui roule les « R » : «  Le colonisé se sera d’autant plus échappé de sa brousse qu’il aura fait siennes les valeurs culturelles de la métropole. Il sera d’autant plus blanc qu’il aura rejeté sa noirceur, sa brousse  ». Maryse Condé, négresse et écrivaine reconnue mondialement, devait incontestablement être vue comme l’autre, nomade, altérisée. Condé est incontestablement l’écrivaine guadeloupéenne la plus reconnue dans le monde. Alors, pourquoi la jeunesse guadeloupéenne délaisse-t-elle ses artistes et ses intellectuels ? Pourquoi les jeunes Guadeloupéens se réclament-ils de personnalités et de stars étrangères telles que Beyoncé, Oprah ou Obama ?  Beyoncé, Black is King - © Disney Plus La jeunesse guadeloupéenne, disons les 15-30 ans, trouve ses modèles dans les rangs des personnalités américaines, et plus singulièrement parmi les stars africaines-américaines, qu’elles soient des médias, de la politique ou de l’ Entertainement . Ils participent tous d’une même tendance et attitude d’afro-américanisation. Je les ai classés comme suit : la génération McHammer, née entre fin 1970 et début 1980, la génération Pimper, née entre fin 1980 et début 1990 et la génération Bieber, 1990-2000. Barack Obama : Une terre promise - © DR Si la première est conscientisée les deux dernières le sont moins ou pas du tout. Les McHammer sont héritiers d’une identité afro-américanisée au travers de la musique qu’ils écoutent et dont ils réclament les valeurs. Le Possee, Crew , le Mic , l’arène, la rue, le mur ; le Rap, le Break, le Graffitti… C’est aussi l’heure du Reggae, du Raggamuffin, de l’émancipation par la musique avec Bob Marley, Peter Tosh, Arrested Development, Tonton David, NTM, IAM, etc. La jugulaire est américaine ou anglo-caribéenne, mais il y a une veine française dans l’influence musicale de cette génération. « chaque pays doit trouver son modèle et son style propre d’après les ressources dont il dispose, les besoins qu’il ressent, les caractéristiques de sa culture, les structures de pensée et d’actions qui sont les siennes » Eh oui ! Le vecteur d’acculturation est la musique, par le biais de la radio ou de la télévision. On en arrivait également à lire les ouvrages sur les leaders noirs, notamment le mouvement des droits civiques. Et s’imposent ensuite le Rastafarisme et le Reggae, et la légende de l’Éthiopie invaincue. Le Rap et le Reggae avaient une réelle valeur de révolte, d’anticonformisme, de révolte. Le discours émis contre le système gouvernemental, policier, judiciaire français et américain (Occidental, dominant, mainstream) séduit et fait écho à la réalité vécue aux Antilles françaises : le néocolonialisme. Mais, la génération Pimper – en résonance aux titres Pimper’s Paradise de Bob Marley, «  Pimp  » de 50Cent – est abreuvée d’une masse d’informations, encore plus grande et disparate, avec l’imposition de l’internet durant leur adolescence. C’est un raz-de-marée d’influences qui les submergent. Une génération de garçons et de filles qui se nourrissent de plaisirs artificiels, de mondes virtuels et de valeurs tout aussi superficielles. Leurs modèles :  Pimp (proxénète) et la Bitch (Pute) ! Le Rap et le R’n’B-Soul que cette génération Pimper écoute et dont elle se réclame sont le résultat d’une mercantilisation et industrialisation de cette musique noire. Exit Kriss Kross, Queen Latifah, Mc Lyte, Salt’n’Pepa, Missy Elliott, Nas,  (yeah ! she’s back ! I know !), etc. et bonjour 50Cents et consorts du Gangsta Rap . C’est une tendance, un mood … Point de recul. Une révolution déconscientisée dont les effets pervers mènent à une génération nouvellement assimilée « à l’afro-américanisme ». Les McHammer ne sont incontestablement guère engagés dans une révolte par l’acte militant au sens de leurs pères, mais par une action artistique porteuse d’un discours identitaire, de réaffirmation culturelle et de réappropriation de sa créolité : métissage des courants importés, appropriation d’une codification Noire-Américaine ou Caribéenne/Jamaïcaine. Les cultures d’autres ghettos. Toutefois émergeront des artistes qui influenceront les scènes caribéennes et francophones : Tiwony,  Typical Fefe, Karukera Sound System, Jahlawa Sound System, Admiral T, etc. Pour les Pimper, hélas, la conscience de soi n’échappe pas ou peu à la pression du mercantilisme et du consumérisme, principaux motifs dans leurs discours artistiques, quand il en est : money, booty, and let’s shake ‘em both . Quant aux Bieber, ce sont les enfants du consumérisme, de l’hypersexualisation et des addictions - tendances notamment - décomplexés. En somme, la grande différence entre ces trois générations et celles qui leur donnèrent la vie tient en une dilatation de la conscience de soi dans et pour le peuple au profit d’une conscience de soi pour l’ego.  (…) la Guadeloupe n’a pas encore pu être ‘pays’ au sens géopolitique du terme, bien qu’elle le soit spirituellement, comme elle n’a pu explorer ses désirs profonds, n’ayant jamais été face à elle-même, sans tutelle. Les valeurs héritées de l’insoumission de nos pairs, de nos aïeux, se sont émoussées face à l’érosion produite par les apports extérieurs toujours plus conséquents. En effet, la départementalisation, la fin de la 2e Guerre mondiale, la fin du Tan Sorin amènent également la décolonisation, mais aussi une multiplication exponentielle des échanges commerciaux : la globalisation. Pour une société comme la nôtre, à peine sortie de l’esclavage pour plonger dans une République qui ne nous reconnaît citoyenneté qu’à demi-mot, et par là même ne vectorise ses échanges qu’avec une aire étrangère et éloignée, se nourrir de principes exogènes ne peut mener qu’à l’aliénation. Les actions des mouvements indépendantistes prônant l’autodétermination ont été oblitérées, tant par le gouvernement que par la population, par crainte de représailles. Il faut dire que les années 1950-80 n’ont pas été douces aux Antilles. «  Les balles de ce passé grandiose ont eu peu de lendemains  », écrivait Chamoiseau. Peu de lendemains immédiats dirions-nous. Car il y a quelques sursauts. Mais s’il est vrai, selon Jacques Bousquet, que «  chaque pays doit trouver son modèle et son style propre d’après les ressources dont il dispose, les besoins qu’il ressent, les caractéristiques de sa culture, les structures de pensée et d’actions qui sont les siennes  », la Guadeloupe n’a pas encore pu être ‘pays’ au sens géopolitique du terme, bien qu’elle le soit spirituellement, comme elle n’a pu explorer ses désirs profonds, n’ayant jamais été face à elle-même, sans tutelle. © Hunter Newton Assimilation & Tropismes : L’Autre toujours. «  L’indigène est un opprimé dont le rêve permanent est de devenir le persécuteur  » (Frantz Fanon). Initialement, le terme « tropisme » est un concept biologique. Biologiquement, il se définit comme une «  réaction aux agents physiques ou chimiques se traduisant par une orientation et une locomotion déterminées  ». Au sens où nous l’entendons, il renvoie à une «  force irrésistible et inconsciente qui poussent à prendre telle orientation, à agir de telle façon  ». On parle ici d’une orientation inconsciente qui présage d’un conditionnement. C’est le terme exact. Conditionnement, réflexe, ou automatisme. Il existe une corrélation entre la xénophilie (l’amour de l’autre) et l’image négative de la « noirceur » ou de la «  négrité  ». Incarner, intégrer les traits de l’autre induit de se délester du poids de sa négritude. Allant dans ce sens, Fanon de dire : «  Quand les nègres abordent le monde blanc, il y a une certaine action sensibilisante. Si la structure psychologique se révèle fragile, on assiste à un écroulement du Moi. Le Noir cesse de se comporter en individu actionnel. Le but de son action sera Autrui (sous la forme du Blanc), car autrui seul peut le valoriser.  » (Peaux Noires, Masques Blancs). En bref ! Le propos est clair : il y eut une surdétermination des valeurs et du modèle français amenant le Noir antillais à rejeter ce qu’il est, ou à renier ce qu’il aurait pu advenir : la littérature française, les artistes africains-américains et leurs leaders charismatiques.  La mélopée douce qui prévaut dans le pays Guadeloupe : « Il n’y a rien en Guadeloupe ». Alors que le pays est une pépite de luxuriance et de ressources que nous ne nous approprions pas entièrement. Un pays que l’on doit construire pour nous… Aimé Césaire au premier Congrès des écrivains et artistes noirs à La Sorbonne 1956. © AFP Le Triangle de l’émancipation culturelle. Lorsque des fenêtres se sont ouvertes sur le monde, il a pu redéfinir son identité : la Négritude de Césaire, l’Antillanité, la Caribéanité, la Créolité… Toutes ces identités ont pu émerger parce que le Noir antillais a lu, rencontré le Noir américain, puis l’Africain en dignité. Au temps de la Décolonisation et des guerres d’indépendance – époque également du Mouvement des Droits civiques –, les Nègres sont debout partout. Et le panafricanisme a encore de beaux jours devant lui. Et les légendes de la lutte d’émancipation des noirs se forgent, se distinguent. Au cours de mes recherches sur les musiques noires (Jazz, Poésie noire), j’ai pu constater que tous les artistes se sont d’abord réclamés de références africaines-américaines, puis africaines (on peut mettre Hailé Sélassié dans cette catégorie) pour finalement développer leur propre expression. Une expression singulièrement et formellement empreinte de ces influences précédentes. Le triangle de l’émancipation retrace le périple du Passage du Milieu inversé. Détachement de la France, identifications à l’Amérique noire, à l’Afrique, pour un retour chez soi nourri de tout cela. Pour se libérer de l’«  arsenal complexuel  » développé par l’esclavage, le Noir antillais a dû s’éloigner pour mieux s’ancrer. Si la génération Rupaire reconnaissait ses pairs –  leurs combattants –, la dernière génération les méconnaît. Les hauts faits des Africains-Américains, liés aux musiques de contestation, ont tôt fait de faire de l’ombre à nos freedom fighters . Leur envergure internationale et leurs symboles de lutte devenus universels, étendards appropriés par bien d’autres opprimés, ont forcé l’admiration et l’adhésion de notre peuple, à proprement parler, lui-même opprimé. Il fallait à cette dernière génération des symboles qui transcendaient leur insularité. Il faut tout de même rompre avec ses pères pour s’émanciper ! © Rex Way-Iekem Globalisation, nouvelles technologies & inculture. «  Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir  » (Frantz Fanon). Les dernières générations ont-elles trouvé ou entrepris de trouver leur mission pour la société guadeloupéenne ? N'ont-elles pas démissionnées simplement ? Une génération qui pense que l’avenir lui est dû, que la réussite doit lui être livrée en remboursement. La mélopée douce qui prévaut dans le pays Guadeloupe : «  Il n’y a rien en Guadeloupe  ». Alors que le pays est une pépite de luxuriance et de ressources que nous ne nous approprions pas entièrement. Un pays que l’on doit construire pour nous… La globalisation et les nouvelles technologies sont une porte vers des mines culturelles qui pourtant ne seront peut-être jamais exploitées par nos jeunes tant elles sont à profusion et tant les mauvais indices et autres #hastags qui leur sont semés ne les mèneront pas nécessairement à l’émancipation réelle. Oui, les potentialités sont là, mais l’étroitesse des réseaux sociaux – exponentiels pourtant – interdit l’évasion par des « prêts-à-penser », « prêts-à-choisir », et autres costumes habillant nos ego au quotidien. Noam Chomsky dit que «  l’internet pourrait être un pas positif vers l’éducation, l’organisation et la participation dans une société qui ferait sens  ». « Ô, mon corps fait de moi toujours un homme qui s’interroge ! » Mais dans nos sociétés, les nouvelles technologies sont incontestablement l’arme la plus culturellement mortelle de conformisation et de contrôle. Dans notre pays Guadeloupe encore en lutte pour recouvrer la mémoire, ce sont des armes de destructions massives qui plongent nos mémoires dans le néant. L’ailleurs semble plus glorieux et plus glamour, perversité même de ces interfaces personnalisables : «  … tu croules sous le déversement massif, quotidien, d’une manière d’être idéalisée qui démantèle la tienne. Tes martyrs sont indiscernables, les attentats que tu subis n’émeuvent même pas les merles endémiques, tes héros n’atteignent pas le socle des statues et leur résistance bien peu spectaculaire t’est quasiment opaque…  ». (Chamoiseau) Enfin et surtout, oserais-je dire, ces assimilations susmentionnées ne nous ont-elles pas enseigné notre insignifiance ? Comment valoriser des intellectuels fondés dans la République française et grâce à ses armes ? Qui écrit dans la langue de la subordination ? D’aucuns n’y voient aucune grandeur, tant ils sont conditionnés par les nouveaux discours négristes, africanistes, ou khémites. J’ai parfois entendu dire que Césaire avait trahi les peuples antillais en requérant la départementalisation… Mais ces derniers n’oublieraient-ils pas de recontextualiser les faits ? Comment rivaliser avec les grands leaders africains-américains qui ont mené des millions d’hommes à marcher sur les capitales du Monde-Libre ? En effet, la réponse que nous cherchions est résumée en un mot « aliénation ». Et la désaliénation ne peut être achevée que par une prise de conscience réelle de ceux et celles que nous sommes, de ce que nos histoires recèlent de richesses et de héros « endogènes ». Nous ne cesserons de nous identifier à l’autre – même s’il nous ressemble – tant que nous ne saurons pas apprécier et valoriser la grandeur qui réside en chacun de nous et en chacun de nos pairs. Alors, il est temps de laisser surgir la beauté du pays, de laisser fleurir nos œuvres, d’embrasser nos pères et mères et de conquérir nos avenirs : «  Ô, mon corps fait de moi toujours un homme qui s’interroge !  »

Se lancer dans la franchise

Se lancer dans la franchise

Par Salomé Berry et Ken Joseph Photo : Al Hakiim La franchise, parce qu’elle accroît les chances de succès, séduit les aspirants entrepreneurs. Mais, même quand on choisit un concept qui a priori fonctionne, créer une entreprise demeure un véritable défi. Le franchisé est d’abord un entrepreneur. C’est lui qui crée sa structure, embauche et paiera ses impôts. Il est important qu’il en ait conscience. Pour se préparer, le futur franchisé gagne donc à bien réfléchir à son projet et à ses attentes, personnelles comme professionnelles. De quoi faciliter le choix du statut et du secteur. Pour donner corps à son projet, il doit aussi étudier le marché, s’enquérir d’un emplacement et, enfin, sélectionner l’enseigne, une préférence de cœur et de raison… Tour d’horizon des étapes incontournables pour venir à bout de cette course de fond. Le fonctionnement. Une relation gagnant-gagnant entre deux entrepreneurs. Voilà, en résumé, l’esprit de la franchise. Pour le franchiseur, l’avantage est évident. Il s’appuie sur ses franchisés afin de grandir plus vite. Ces derniers y gagnent, eux, l’opportunité de lancer leur entreprise sans essuyer tous les plâtres que suppose la création. Mais, avant d’intégrer un réseau, il faut bien mesurer les spécificités de cette manière d’entreprendre. La franchise est une relation contractuelle entre deux indépendants, la tête de réseau et le franchisé, qui demeure responsable de tout ce qu’il va faire dans sa structure. En choisissant ce système, le futur franchisé bénéficie de la force du réseau et de son expérience. Mais en échange, le franchisé s’engage à respecter des règles strictes de fonctionnement. On y trouve donc des contraintes de part et d’autre. Le franchiseur a pour devoir de mettre le franchisé en situation de réussite. Il doit pour cela lui transmettre la notoriété de l’enseigne, son savoir-faire ; et lui assurer une assistance permanente pendant toute la durée du contrat. Pour entreprendre en franchise, il faut d’abord avoir l’esprit de réseau.  Le franchiseur met ainsi à disposition de ses franchisés sa marque, son identité visuelle, son concept architectural. Une formation initiale, et parfois continue, assure la transmission des méthodes commerciales, logistiques ou techniques par exemple. Les procédures à respecter sont détaillées dans une « bible », un manuel mis à disposition du franchisé. En contrepartie de ces avantages, le franchisé accepte de rémunérer son franchiseur. Il lui verse un droit d’entrée pour intégrer le réseau et des redevances, le plus souvent assises sur son chiffre d’affaires. Il s’engage aussi à se conformer au concept de son réseau. Indépendant et responsable de la gestion de son entreprise, il voit donc sa liberté limitée par le respect des règles établies par la tête de réseau. C’est pourquoi tout le monde n’est pas fait pour la franchise. Si l’on a une personnalité trop indépendante, on risque, au bout de quelques mois, de vouloir retravailler tout le concept ou de remettre en cause le versement des redevances. Pour entreprendre en franchise, il faut d’abord avoir l’esprit de réseau.  © Jonathan Kemprer Choisir le secteur. Ouvrir un centre de réparation auto, proposer des soins esthétiques ou bien servir des burgers ? La franchise est possible dans de multiples secteurs. Déterminer l’activité dans laquelle on souhaite se lancer fait donc partie des premières questions à envisager. Pour y répondre, les candidats à la franchise ont tout intérêt à s’interroger d’abord sur leurs motivations. On peut vouloir changer de vie et se réaliser dans un nouveau métier. Être animé d’abord par un désir d’indépendance, chercher à gagner beaucoup d’argent ou se challenger à travers un nouveau défi. Ce sont autant de moteurs qui peuvent aiguiller le futur franchisé vers le choix d’un secteur. Beaucoup envisagent la franchise comme un moyen d’embrasser un métier qui les passionne. Encore faut-il s’assurer que ce sera bien le cas au quotidien. Avoir un intérêt très fort pour la pâtisserie et apprécier d’en faire avec ses enfants le dimanche n’est pas la même chose que de devoir produire plusieurs centaines de fonds de tarte par jour.  LIRE AUSSI | LA FRANCHISE, LE NOUVEL ELDORADO Le choix d’un secteur doit aussi se nourrir d’un bilan lucide sur ses compétences. Il n’est pas nécessaire de venir d’un métier pour l’exercer en franchise. Mais certaines activités peuvent nécessiter des qualifications spécifiques. Dans les services à la personne, un bon relationnel et la capacité à gérer une équipe sont par exemple nécessaires. La capacité financière du futur franchisé est aussi déterminante. Certains secteurs exigent des investissements initiaux importants. Un véritable attrait pour l’activité en elle-même demeure toutefois indispensable. Ouvrir une entreprise nécessite d’y mettre ses tripes. S’orienter vers la restauration sans aucune appétence pour l’alimentaire et la relation client, c’est aller droit dans le mur.  © Tyler Mix Analyser le marché. On ne crée pas une entreprise en misant seulement sur sa bonne étoile. Il importe d’évaluer précisément la pertinence de son installation dans un lieu donné. C’est le but de l’étude de marché. Se passer de cet outil et se reposer uniquement sur l’état local de marché fourni par le franchiseur est une erreur. Ce document ne donne que des informations généralistes. Pour estimer son chiffre d’affaires, établir son business plan, une étude de marché est indispensable. Celle-ci permet de caractériser la demande locale. Elle précise la nature de la concurrence et les évolutions à prévoir en la matière. Cela nécessite bien souvent de se rendre sur place pour réaliser des comptages ou des sondages. Il est possible de faire l’étude soi-même ou de passer par un spécialiste pour gagner du temps et accéder à d’autres sources d’information. © Isaac Matthew Sélectionner l’enseigne avec méthode. Il suffit de jeter un œil à la liste des exposants des salons dédiés à la franchise pour s’en rendre compte. Avec plus de 2 000 réseaux en activité, le futur franchisé a l’embarras du choix lorsqu’il s’agit de sélectionner une enseigne. Pour trouver sa cible, il peut se renseigner grâce à la presse et aux sites spécialisés. Passer par une plate-forme d’intermédiation ou un cabinet de recrutement peut favoriser la mise en relation. Les salons (par exemple le salon Franchise Expo Paris) offrent la possibilité d’échanger avec des têtes de réseau et des franchisés en activité. Le recrutement, c’est d’abord le choix d’un partenaire, et donc une histoire d’hommes. Mais une analyse du réseau est aussi nécessaire. Au-delà du coup de cœur pour un concept, il faut s’interroger sur le fonctionnement de celui-ci. La qualité de son modèle économique, les caractéristiques de son contrat, la manière dont il assure la transmission de son savoir-faire et s’organise pour assister ses franchisés sont autant de critères déterminants. Signer le contrat de franchise. La première pierre qui marque le lancement effectif de son projet, c’est la signature du contrat de franchise. C’est aussi un engagement de plusieurs années. Il faut donc analyser en détail le modèle fourni au franchisé dans le document d’informations précontractuel. Celui-ci fixe les obligations des deux parties pendant la durée du contrat et à son issue. Les aspects financiers – montant du droit d’entrée, calcul de la redevance ou de la contribution à la communication du réseau – doivent y être précisés. Autre point de vigilance : les clauses de concurrence. Elles peuvent interdire au franchisé de développer une activité concurrente de celle exercée dans le réseau, pendant, mais aussi un an après le contrat. Celui-ci est le plus souvent non négociable. Mieux vaut donc prendre le temps d’en mesurer les implications. Le franchisé peut se faire accompagner par un avocat spécialiste afin de vérifier le bon équilibre. © Darshan Patel Préparer l’ouverture. Le démarrage d’une entreprise sous franchise se prépare méthodiquement. Une fois, le contrat signé, le financement et l’emplacement trouvés, l’aventure ne fait que commencer ! Afin de faire face à ses nouvelles obligations, la formation initiale du jeune franchisé doit lui permettre de s’approprier le fonctionnement de son enseigne, ses techniques commerciales et de gestion. Pour les mettre en œuvre, il peut s’appuyer sur les conseils du franchiseur pendant les préparatifs de l’ouverture. Le jour J, il lui faudra avoir aménagé son local, constitué son équipe, mais aussi rodé son discours pour accueillir ses clients. Afin d’assurer la réussite du lancement, une campagne de communication est souvent incontournable. Mieux vaut aussi prévoir un point avec son expert-comptable pour mettre en place des indicateurs de suivi du démarrage de son activité. LIRE AUSSI | ROMÉO MBOUT, LE CHOIX DE LA FRANCHISE © Drake Lv Enfin, au terme du contrat, deux options sont possibles : le renouveler ou céder son affaire. Et quelle que soit la solution envisagée, un seul mot d’ordre : anticiper. Aussi, il est important de rappeler qu’une franchise reste une création d’entreprise avec des risques multiples, le tout étant d’éviter les mauvais réseaux (franchises d’idées, les franchises qui se développent trop rapidement), les contrats excessivement contraignants, les clauses à risque… Il est primordial de rester vigilant, car lorsqu’un point de vente commence à montrer des signes de faiblesse, c’est souvent tout le réseau qui plonge ! Si la franchise est un eldorado, nombreux sont ceux qui y ont laissé des plumes.

La Franchise, le nouvel eldorado

La Franchise, le nouvel eldorado

Par Salomé Berry et Ken Joseph Photo : Marcus Loke Posons le cadre. Apparu sous le nom de « franchising » signifiant libre de taxe, c’est dans les années 30 aux États-Unis que fut créé le premier contrat de franchise. Cela dans l’unique but de pallier les déficiences d’un système de distribution créé pour contourner les lois américaines – dont la loi antitrust – qui interdisaient aux constructeurs d’automobiles de vendre directement leur production aux consommateurs. (…) un dollar sur trois dépensé aux États-Unis le serait au profit d’une entreprise franchisée… Dotées d’un modèle économique fort et puissant en termes de rentabilité, les années 50 et 70 verront la naissance des premiers concepts de la franchise. Une période durant laquelle on verra également le concept atterrir sur le sol français avec pour tête de file le réseau Phildar, une entreprise spécialisée dans la fabrication de laine et de tricot. Un succès tel, que d’autres groupes français n’hésiteront pas à suivre le mouvement. Parmi eux, on retrouve notamment les grandes surfaces telles que Leclerc, Carrefour, Monoprix… Mais qu’est-ce qui les pousse à emprunter cette voie ? Le fait est que la franchise – le partenariat ou toute autre forme de commerce organisé – est la seule technique qui permet à une marque de se développer et de prendre des parts de marché rapidement. © Liam Show Progressivement, la franchise s’est développée et étendue à d’autres secteurs comme le commerce de détail, qui s’est emparé de ce potentiel de développement et de croissance important. Aujourd’hui, avec plus de 3 000 réseaux de franchise sur son sol, sans compter les réseaux intégrés de succursales et les concessions, 757 348 points de vente représentant un chiffre d’affaires de 802 milliards de dollars et 8 275 000 emplois, les États-Unis sont sans conteste « le pays de la franchise ». McDonald’s, Subway, Burger King, Pizza Hut, KFC… Tous les grands noms de la franchise internationale sont nés aux USA. Autant dire que la franchise pèse de tout son poids dans l’économie américaine. D'ailleurs, un dollar sur trois dépensé aux États-Unis le serait au profit d’une entreprise franchisée, c’est dire si les réseaux sont importants et influents au pays de l’Oncle Sam. Mais à l’heure actuelle, dans sa pleine maturité, elle a déjà atteint un certain niveau de saturation. Ainsi, les entreprises américaines jouent désormais la carte des marchés extérieurs, près de la moitié d’entre elles ont une implantation à l'internationale. Avec des années de retard, la « Franchise Boom » semble avoir également modifié le paysage commercial français. Ils étaient 34 franchiseurs en 1971, pour 2 004 aujourd’hui (+ 1,41 % par rapport à 2018). En pleine croissance depuis vingt ans, la franchise confirme ce bon trend en 2018, avec des indicateurs d’activité encore à la hausse : 75 193 points de vente (+ 1,47  %) pour un chiffre d’affaires global de 62,01 milliards d’euros. Avec ces chiffres, la franchise confirme sa place de premier « marché européen" et génère près de 670 000 emplois directs en France. © Ian Deng L’engouement pour la franchise. Le mot « franchise » prend plusieurs significations : éthique, sportive, assurance, droit et enfin de « réseau » qui est, je cite : « un mode de fonctionnement en réseau, pour une activité commerciale ». La même recherche du côté des États-Unis donne : « a business method that in involves licensing of trademarks and mettons of doing business ». Ces deux définitions peuvent suffire pour comprendre que la franchise est un système de ralliement d’entrepreneurs indépendants, œuvrant concomitamment pour une même enseigne commerciale. Mais selon Laurent Delafontaine, directeur associé, Franchise Board, il faudrait rentrer dans des aspects plus techniques pour obtenir les finesses de ce modèle multifacettes :  modèle économique, car le franchisé rémunère le franchiseur par une somme initiale (le droit d’entrée) et une somme récurrente (la redevance ou royalties), pour l’utilisation de sa marque, de son savoir-faire et de son assistance ; modèle juridique, car parmi les droits et les devoirs de chacun (le contrat de franchise), le franchisé s’engage à respecter les conditions d’utilisation de la marque et son savoir-faire dans les meilleures conditions ; modèle social, car la franchise permet au plus grand nombre (76 % des franchisés sont des salariés en reconversion) d’accéder à l’entrepreneuriat. Ainsi, tout un chacun, moyennant bien évidemment une forte implication et un investissement financier, peut devenir restaurateur, fleuriste… en dupliquant localement la réussite du franchiseur. La franchise est aussi devenue l’objet de recherches scientifiques dans des laboratoires universitaires. Des chercheurs ont essayé de comprendre pourquoi la franchise continuait de se développer, quelle que soit la conjoncture. La principale explication tient à son fonctionnement, qui est une alliance entre chefs d’entreprise, indépendants certes, mais solidaires. «  Il y a en effet dans la franchise, un aspect gagnant-gagnant  », analyse Jacques Gautrand, auteur de la publication Franchise, le guide complet 2018. Un point de vue largement partagé sur un modèle renforcé par son succès. Pour se lancer, les motivations le plus souvent citées par les franchisés renvoient à la notion de sécurisation du projet entrepreneurial qu’apporte la franchise, notamment avec le soutien du franchiseur, le savoir-faire transmis et l’ensemble des méthodes commerciales... La franchise offre la possibilité à un entrepreneur de changer de voie professionnelle, de secteur d’activité, voire de région ! En effet, 76 % (enquête Banque Populaire/FFF, 2017) sont d’anciens salariés, qui après une première expérience professionnelle, choisissent de se reconvertir et de se lancer dans un nouveau métier. Ils deviennent ainsi leur propre patron, et ce dans les principaux secteurs de l’économie (immobilier, prêt-à-porter, restauration rapide, services à la personne). Pour se lancer, les motivations le plus souvent citées par les franchisés, selon Chantal Zimmer, déléguée de la Fédération française de la franchise, renvoient à la notion de sécurisation du projet entrepreneurial qu’apporte la franchise, notamment avec le soutien du franchiseur, le savoir-faire transmis et l’ensemble des méthodes commerciales, techniques, logistiques, informatiques testées et expérimentées. Le franchisé bénéficie ainsi de tous les supports nécessaires à l’essor de son activité, en complément de la formation initiale et continue. En d’autres termes, la franchise est un véritable « accélérateur de business ». Être franchisé, c’est avoir surtout un amortisseur en cas de difficulté ou en période de crise pour rebondir plus facilement. Contrairement à un commerçant isolé, le franchisé bénéficie d’un vrai réseau d’entraide. En ces temps incertains, la franchise est de plus en plus attractive. C’est le constat que font les professionnels et il s’agit d’une réalité indiscutable. © Heather Ford Les secteurs qui bougent. Forte de ses avantages, la franchise séduit et attire. Mais chaque année, la question revient : quels secteurs vont être porteurs dans les prochains mois ? Beaucoup de facteurs entrent en compte, avec parfois des tendances que personne n’a vues venir, mais il existe aussi quelques certitudes qui permettent aux aspirants franchisés de choisir leur domaine d’activité avec plus ou moins de sérénité.         LIRE AUSSI |  SE LANCER DANS LA FRANCHISE Dans les années 1970 et 1980, la franchise était principalement développée dans l’équipement de la personne et de la maison, l’hôtellerie, l’alimentaire et la coiffure. Des secteurs historiques qui représentent toujours un poids économique considérable. En 2018, le commerce alimentaire, les commerces spécialisés, l’hôtellerie et la restauration font la course en tête sur les ouvertures de franchises. Avec respectivement 18 %, 17 % et 13 % du marché, ce sont les secteurs les plus dynamiques, selon l’institut d’études Territoires & Marketing. Avec un chiffre d’affaires de plus de 19 milliards d'euros en 2017, 14 980 franchisés et 182 réseaux, l’alimentaire est en effet sur la première marche du podium. L’équipement de la maison et de la personne enregistre des chiffres d’affaires atteignant respectivement 7 milliards d'euros et 4 milliards d'euros en 2016. La restauration est également très active. Les consommateurs mangent de plus en plus à l’extérieur et les marques françaises et étrangères s’engouffrent dans cette évolution du mode de vie pour trouver de nouveaux concepts. Les fast-foods vont, en effet, continuer leur progression, mais il faudrait tendre vers une restauration à thème. Le secteur demeure varié, que ce soit sur le prix avec des tickets à moins de 10 euros ou la tendance du fast causal , plus onéreuse et toujours plus prisée. Très en vogue, le burger haut de gamme semble cependant « se calmer ». La tendance dans la restauration rapide s’oriente donc vers des enseignes aux forts marqueurs régionaux. À l’inverse, la restauration traditionnelle poursuit sa chute et ne semble pas en mesure de réagir dans un futur proche. © Vlamdimir Proskurousky La franchise suit les tendances et de nouveaux secteurs fleurissent chaque année. Le bâtiment et l’habitat comptent parmi les secteurs dynamiques, même si cela ne se mesure pas encore en ce qui concerne le nombre de réseaux et de franchisés. Mais le secteur bouge beaucoup avec l’importante croissance du développement durable et de l’aménagement du logement, notamment pour les personnes âgées. Prendre soin de soi, se faire plaisir, se détendre… De l’esthétisme à la beauté des ongles ou le maquillage, en passant par le yoga ou les massages, le secteur a le vent en poupe. Et le fitness pourrait également profiter de cette vague, avec de nouveaux concepts. LIRE AUSSI |  ROMÉO MBOUTI, LE CHOIX DE LA FRANCHISE © René Bohmer Rebond espéré pour le prêt-à-porter ? C’est un secteur plutôt moribond qui subit de plein fouet la concurrence d’Internet. Pourtant, c’est le pari de David Borgel, consultant et coach franchise et réseaux. «  Je mets une pièce sur le prêt-à-porter. À condition de se réinventer. Aujourd’hui, les clients viennent repérer en magasin, prendre conseil et achètent sur le net. Il faut changer les méthodes de vente aujourd’hui désuètes. Donner envie au client de revenir. Les gens veulent que l’on s’occupe d’eux. Si l’on ajoute à cela un retour de l’attrait des centres-villes, il peut y avoir une carte à jouer  ». D’autres secteurs pourraient aiguiser les appétits, mais sont à appréhender avec prudence, à l’instar du courtage en crédit. Des changements de lois sont favorables à l’essor de ce marché, mais il y a déjà beaucoup d’acteurs bien installés. Par ailleurs, on peut craindre enfin une réaction des banques qui ne vont pas laisser ce mammouth endormi et qui vont faire en sorte de reprendre l’ascendant. Quant au bio, pourtant très en vogue, l’expert exprime également quelques réticences. «  Il y a un effet de mode, mais ce n’est pas forcément en expansion. Le business model n’est pas abouti avec également certains acteurs qui se servent du bio uniquement comme d’un outil marketing. Cela reste également à destination de CSP+, ce n’est pas une demande de masse. On voit que certaines enseignes de niche comme le gluten free n’ont pas tenu longtemps. Le bio fonctionne quand il est inclus dans une offre générale, même si certains acteurs tirent leur épingle du jeu  », conclut David Borgel. Enfin, tout cela ne reste que des tendances, le choix d’un secteur est plus évident, selon la personnalité ou les antécédents du candidat.

L'empreinte de la couleur

L'empreinte de la couleur

Par Pierre-Yves Chicot | Avocat à la cour et Maître de conférences de droit public Photo : Lens Frazier « J’étais le moins aimé parce que plus foncé que les autres enfants de la fratrie ». Histoire de races dans les colonies départementalisées. Il a 25 ans. Il est là, debout, rempli d’innocence, alors même que le lieu qui l’accueille lui réclame de répondre de forfaits commis. La scène se déroule au Tribunal de Grande Instance de Pointe-à-Pitre. Il est jeune. Son allure d’éphèbe ne laisse aucun doute sur le charme qu’il peut exercer sur le sexe opposé, renforcé par une diction et une expression parfaites. Ses longs cheveux tressés taquinent régulièrement l’entièreté de la rainure de son dos. Il manifeste de la fierté lorsqu’il s’agit de témoigner de ses talents professionnels et l’expression de son corps raconte toute la honte qu’il peut éprouver lorsqu’est évoqué son parcours de délinquant. L’assistance a pu être saisie d’émoi lorsqu’il livre sa première grande souffrance d’enfance : «  J’étais le moins aimé parce que plus foncé que les autres enfants de la fratrie  ». Ainsi, commence le parcours d’un jeune délinquant qui perd confiance en lui et tombera dans les bras de la déviance, en raison de l’empreinte de la couleur. La couleur qui égaye la vie devient, dans la société coloniale et postcoloniale, un poids, un instrument de discorde. Car, en effet, la teinte foncée de l’épiderme peut valablement constituer un handicap de départ dans une société où des ancêtres ont été « élevés » au rang de biens meubles, précisément parce que leur taux de mélanine dans le sang était plus élevé. Depuis très longtemps, certains sont obsédés par la pureté de la couleur et considèrent comme un mal le mélange des sangs qui fait peser le risque de « la transformation des meilleurs au rang des pires ». Ils affirment que la race est le facteur essentiel de l'histoire humaine. Ils soutiennent également, toujours avec force violence, qu'il existe une hiérarchie entre les races et que la race aryenne (Indo-européenne) a été, du fait de sa supériorité intellectuelle et morale, à l'origine de toutes les grandes civilisations. Balivernes ! © Leoni Milano Classe, race et colonialisme en Amérique française. Michel Giraud, dans sa célèbre thèse de sociologie, explique cette empreinte mortifère de la couleur de peau dans le cœur et les esprits de nos sociétés, notamment dans son pays la Martinique. Son exposé scientifique magistral demeure très vivace et pertinent, en dépit du temps passé, depuis sa rédaction et sa publication en 1976. Le concept de race, dit-il, ne doit pas être pris dans son acception biologique quand on l’approche à partir du terreau martiniquais, mais dans celle de « race sociale », c’est-à-dire « la façon dont les membres d’une société se classent réciproquement d’après leurs caractères physiques ». La typologie raciale martiniquaise ne se contente pas de définir les caractéristiques qu’elle recense, elle valorise certaines caractéristiques physiques, et plus généralement, certains groupes, au détriment des autres. C’est-à-dire qu’elle se fonde sur le préjugé de couleur. « de manière générale, la société martiniquaise, en particulier, reste caractérisée par l’obsession coloriste, l’identification raciale pouvant resurgir à tout instant, en particulier lors de toutes graves crises politiques ». La structuration des sociétés antillaises, née du colonialisme français, repose sur une stratification « socio-raciale » singulière, qui a été créée au début de l’époque esclavagiste. D’une intensité inégale de la Martinique à la Guadeloupe, sa persistance révèle la prégnance de l’entreprise coloniale dans les esprits et les relations entre les uns et les autres qui doivent nécessairement évoluer pour faciliter le vivre-ensemble qui demeure compliqué. Ce vivre-ensemble est rendu plus complexe avec l’immigration des nègres haïtiens plutôt rejetés et l’accueil bienveillant, de la part des hommes, des femmes de la République dominicaine à la peau claire et à la longue chevelure. Ces dernières arrivent et sans le savoir peuvent contribuer à la guérison de maux enfouis chez bien des individus qui pensaient que « l’accès » à une «  chabine  », qui plus est aux longs cheveux demeurerait à jamais un fantasme. Garvey Day Parade, 1965, Black is beautiful movement. © Kwame Brathwaite. La revendication parfois virulente du «  black is beautiful  », l’incertitude pesante d’une toujours possible réaction énergique de la majorité nègre de ces pays, les affirmations identitaires chantées sur le mode politique ont conduit certaines personnalités békés à donner des signes de ralliement aux autres. Mais pour l’essentiel, dans sa majorité, cette communauté vit toujours largement refermée sur elle-même, perpétuant une mentalité réfractaire aux unions mixtes et au métissage. On se souvient à quel point, en 2009, les propos axés sur la pureté de la race de cet important commerçant béké martiniquais avaient suscité l’ire de bien des Guadeloupéens et des Martiniquais. Et ce, au plus fort de la crise sociale, dénonciatrice de la vie chère, des monopoles et des inégalités économiques. Des attitudes similaires sont observées chez les Mulâtres, chez la bourgeoisie de couleur. En petits télégraphistes, ces derniers sont les fidèles relais d’une idéologie de l’obsession de la purification de la race pour les descendants des colonisateurs et l’obsession de pâlir la teinte de l’épiderme pour eux-mêmes et leurs descendants. © Gemma Chua Tran Persistance de l’idiotie : entre paralysie sociale et haine du semblable. Les sociologues et les anthropologues, qui conservent parmi leurs travaux de recherche ces objets d’études, constatent que les stéréotypes et les préjugés attachés à la couleur de peau et aux catégories « raciales » sont toujours extrêmement opérants. La société post-esclavagiste de ce début du XXIe siècle reste malade de la couleur. Or, qu’est-ce que serait la vie sans couleurs ? C’est le systématisme à décrire un individu, sans être en sa présence, en commençant par énoncer les nuances des teintes d’épiderme qu’on peut retrouver dans nos pays riches de leur diversité phénotypique. C’est aussi dans cette commune du sud de la Martinique, en ce début de XXIe siècle, l’injonction faite à la fille métisse de la part de sa mère négresse unie à un blanc créole de petite condition, faute de mieux, de reproduire exactement le même schéma qu’elle, quitte à gommer l’amour et les sentiments inhérents à l’attraction naturelle entre les êtres. L’anthropologue Ulrike Zander fait observer que «  de manière générale, la société martiniquaise, en particulier, reste caractérisée par l’obsession coloriste, l’identification raciale pouvant resurgir à tout instant, en particulier lors de toutes graves crises politiques  ». En Guadeloupe, le petit délinquant qui déclare à la barre que sa petite amie attend des jumeaux nous laisse penser que, guéri de sa souffrance de l’empreinte de la couleur, il leur enseignera l’amour d’eux-mêmes pour briser la morbide spirale.

Barack Obama, un président à part…

Barack Obama, un président à part…

Par Thierry Aricique Photo : Peter Yang L’arrivée de Barack Obama à la Présidence des États-Unis d’Amérique fut en 2008 la promesse, l’un des premiers frémissements, brillant et éclatant à l’échelle mondiale, «  d’une intraitable beauté du monde  ». Ce monde de la diversité des espèces, des cultures, des civilisations, des paysages terrestres et célestes, entre la terre et la mer, les plaines et les océans dans le magma du feu et le charroiement du vent, cette multitude est la plus belle beauté de notre monde, ici là et « isidan ». Comme l’écrit si justement Édouard Glissant, l’élection de Barack  Obama à la présidence des États-Unis est «  le résultat à peu près miraculeux, mais si vivant d’un processus dont les diverses opinions publiques et les consciences du Monde ont jusqu’ici refusé de tenir compte : la créolisation des sociétés modernes.  » En 2016, cette présidence prend fin après l’exercice de deux mandats. Tout naturellement, chaque parcelle de ce tout monde est convoquée à apprécier, comparer, critiquer et juger l’action et l’exercice du pouvoir de Barack Obama au regard du capharnaüm des cris et des silences de l’état du monde. Tout d’abord, avant d’émettre quelques sentiments et opinions sur la présidence de Barack Obama, rappelons-nous ce que sont les États-Unis d’Amérique ? C’est d’abord un État démocratique dans sa structure avec ses règles propres de fonctionnement et de gouvernement, dans lequel le Président ne peut faire fi des normes constitutionnelles et de la politique du congrès. Or, les Républicains, le parti majoritaire de cette assemblée, sont et sont restés virulents, glacials et hostiles à toute la politique économique et sociale de Barack Obama. De même, l’Amérique est un peuple de conquérants, avec une tradition du Far West où a longtemps dominé « la passion de domination raciale ». Or la fin de cette ségrégation ne se décrète pas comme cela, du jour au lendemain ; un décret, une loi, un vote ne suffisent pas à changer de pauvres mentalités. Une loi, un homme, un symbole ne peuvent effacer les conséquences de quatre cents ans d’histoire dans une société dont la mentalité structurale est enracinée dans un imaginaire profondément inégalitaire. De plus, la démocratie américaine est une démocratie foncièrement libérale qui exprime peu d’empathie pour le pauvre, le malade et le faible. Enfin, à l’échelle du monde, les États-Unis exercent une domination certaine sur le plan territorial, financier, économique et stratégique. Longtemps, cette Amérique est apparue impérialiste imposant son mode de vie, ses pensées, ses idées par sa force et sa rigidité sans prendre en compte l’opinion des peuples. Longtemps, elle avait cette outrecuidance de savoir le sens du bien de tous ces peuples sans en écouter les tremblements, les espoirs et les inquiétudes alors que le monde est d’une complexité grandissante tant dans son corps social que politique. Il nous faut accepter ce monde et sa complexité, ce monde et sa diversité, ce monde et sa cruauté. © The Atlantic © Pete Souza Si l’arrivée de Barack Obama à la présidence des États-Unis est une indéniable photo d’une intraitable beauté du monde, qu’en est-il de l’exercice du pouvoir de celui-ci à l’aune de cette marche imprévisible, imprédictible et irrésistible de la créolisation de nos sociétés modernes ? Lorsqu’on interroge la communauté noire, celle-ci semble souffrir d’un bilan contrasté de la politique d’Obama. Cette dernière trouve qu’il n’a pas fait assez, d’autant plus que cette communauté souffre depuis des décennies, quotidiennement, de la violence policière. Or, derrière ce voile de mécontentement se cache une autre interrogation fondamentale : la nécessité absolue de chercher et trouver le héros de ces peuples noirs. Nous attendons cet homme aux qualités exceptionnelles et supérieures comme si ces qualités étaient extérieures à nous-mêmes, comme s’il fallait l’opposer à une communauté blanche. De même, je trouve qu’il est préjudiciable d’enfermer Barack Obama à sa seule et simple couleur de peau, car il est bien plus que cela. Comme l’a exprimé Barack Obama le 28 septembre 2010 avec des électeurs du Nouveau-Mexique dans un échange inhabituel, «  Dieu est dans chaque homme et la force de l’Amérique réside dans la coexistence des nombreuses cultures et religions différentes  ». Nous devons donc attendre tous de nous-mêmes, car nous sommes tous des héros en puissance peut-être aujourd’hui en manque de confiance. De même, je trouve qu’il est préjudiciable d’enfermer Barack Obama à sa seule et simple couleur de peau, car il est bien plus que cela. Il est africain, hawaïen et américain. Il est pratiquant chrétien avec un père formellement de confession musulmane. Il est le miroir de nos lendemains, le chemin d’un ailleurs heureux possible. Il est bien plus que cela. Il est beau, d’une élégante intelligence, brillant de charisme avec une femme « doubout » à ses côtés. Donald Trump, en une du Time magazine. © HANDOUT/REUTERS Lorsque nous voyons la misère intellectuelle et idéologique qui nous a été proposée avec un Donald Trump dans une radicalité haineuse pleine de mauvais ressentiments, je m’interroge sur l’utilité et le bien-fondé de ces critiques acerbes, décalés par rapport à la politique de Barack Obama. Le portrait de Barack Obama pour la National Portrait Gallery, réalisé par Kehinde Wiley. © NPG/ OTIMEX/AFP) À la tête de l’administration américaine pendant ces huit années, Barack Obama n’a pas cessé de mettre en scène, en acte et en discours, une poétique de la relation. À cet effet, nous pouvons retenir de son mandat trois points pour apprécier l’apport de sa politique dans les sociétés du monde moderne et de l’Amérique : son rapport au monde et à l’Islam, l’Obamacare et la problématique de la vente des armes aux États-Unis. Dans une Amérique postérieure au 11 septembre 2001, et un monde en proie aux fondamentalismes religieux, Barack Obama a prononcé un discours d’ouverture au dialogue le 4 juin 2009 à l’université du Caire, lieu connu pour son activisme antiaméricain durant la guerre d’Irak. Ce discours diffusé exprime la volonté de ce nouveau Président de réconcilier l’Amérique avec le monde musulman et de «  chercher un nouveau départ  » de relation afin de sortir «  du cycle de la méfiance et de la discorde  » explicitant clairement que «  Les États-Unis ne sont jamais en guerre contre l’Islam  ». De même, il reconnaît l’apport et la contribution de la culture musulmane à la Renaissance occidentale et que ces deux mondes ont des intérêts mutuels et communs tels la justice, la tolérance, le progrès et la dignité humaine. Ces paroles vont se confirmer en acte, d’une part en décembre 2011 avec le retrait des dernières troupes en Irak, d’autre part en juillet 2015 avec l’accord sur le nucléaire iranien. En effet, ce texte garantit la nature pacifique du programme nucléaire iranien et ouvre surtout la voie à une normalisation des relations économiques et diplomatiques de Téhéran avec la communauté internationale, le tout-monde.  Barack Obama laissera incontestablement une trace, un sillon, une image sous le limon traversé par les changements, les mutations, les errements et la nécessité de trouver des voies du dépassement… En outre, il a refusé une intervention en 2013 en Libye à la surprise générale et fait soumettre cette décision à un vote du Congrès. Il exprime, aujourd’hui, sa fierté par le fait qu’il a pu être capable de s’abstraire «  de la pression immédiate et de réfléchir à ce qui était dans l’intérêt de l’Amérique, pas seulement par rapport à la Syrie, mais par rapport à notre démocratie  » et que cela «  a été l’une des décisions les plus difficiles qui soit  » ; et il regrette sur ce point le manque de suivi de la France et du Royaume-Uni. La poétique de relation est aussi l’obstination à ne rien imposer par la force dans une détermination à trouver des solutions inattendues. Aujourd’hui, la Russie a offert une porte de sortie en proposant de placer l’arsenal chimique syrien sous le contrôle international. Enfin, à Cuba, Barack Obama s’adresse aux Cubains en déclarant : «  Nous sommes tous des Américains  ». Aussi il renoue les relations diplomatiques ternies par l’opération de 1961 de la Baie des Cochons. Washington lève l’embargo cubain. En relation « la force n’est pas puissance ». La relation est écoute, échange, partage, mélange et nécessairement un lieu de compromis et d’entente. Ainsi, il ne convient pas de combattre le monde, mais de combattre avec le monde.   © Pete Souza Ensuite, l’Obamacare est la réforme sociale emblématique des deux mandats de Barack Obama, promulguée après la grave crise économique de 2008. Elle instaure une assurance maladie universelle. Ce n’est certes pas un système de santé publique, mais un système où l’État subventionne les familles modestes qui n’ont pas accès aux soins du privé. En ce sens, l’Obamacare est une mise en abyme, en relation par la voie légale de la société américaine avec sa population pauvre et malade, le champ d’un demain possible qui permet à chaque citoyen sans distinction de se soigner. Cette réforme était attendue depuis plus de 40 ans, John Fitzgerald Kennedy et Bill Clinton s’étaient initiés sur cette voie, mais avaient tous les deux échoué face à l’hostilité aveuglante des Républicains. Obama did it. Enfin, que dire de la relation qu’entretient l’Amérique avec ses armes à feu ? Pendant ses deux mandats, une quinzaine de tueries ont eu cours sur le sol américain. Chaque année, 30 000 personnes trouvent la mort par armes à feu aux États-Unis. Cette Amérique à l’accent traditionnel du Far West, de l’argent, des lobbies et du réflexe œil pour œil dent pour dent, protège constitutionnellement le droit de porter une arme. Pour mettre fin « à cette routine » selon l’expression de Barack Obama, il va passer outre l’opposition du Congrès et promulguer des décrets qui prévoient la généralisation des contrôles des antécédents judiciaires et psychiatriques d’un futur possesseur d’arme.  A promise land (Une terre promise), Barack Obama, ed. Fayard Barack  Obama laissera incontestablement une trace, un sillon, une image sous le limon traversé par les changements, les mutations, les errements et la nécessité de trouver des voies du dépassement, des lieux de rencontres et de délibérations pour que nous saisissions par quelques jaillissements le sentiment de la beauté.

Focus sur l'essentiel

Focus sur l'essentiel

Par Mary B. Photo : David Suarez Vite, vite, dépêche-toi ! Je n’ai pas le temps ! Je suis débordé(e) ! Qui dans sa vie professionnelle ou personnelle n’a pas prononcé une de ces phrases au moins une fois ? Tout va vite, toujours plus vite, l’exigence vis-à-vis du temps devient régulière, tout s’accélère. Le temps de rien, le temps devient un grand tout et dévore nos jours. Alors si vous avez levé la main, peut-être avez-vous déjà, le temps de quelques secondes, dans les embouteillages ou dans une file d’attente, pris le temps de vous demander, mais pourquoi ? Dans quel but ? Quel est le sens de ma vie ? Une fois dépassés le regard des autres, la déception des proches, claquer la porte aux jobs de rêve, à ce saint Graal qu’est la « carrière toute tracée », il en vient la réalisation que le plus important n’est en effet non pas le regard et l’approbation des pairs, mais bien celui que l’on pose sur soi. Si aujourd’hui nous ressentons de plus en plus cette oppression du temps, cette sensation que la terre tourne plus vite, c'est que ses vibrations sont passées de 8 hertz à 17 hertz (résonance de Schumann). Le temps s’accélère, les questions s’amplifient, et nous sommes poussés vers un but : revenir à l’essentiel, à ce qui importe, aux valeurs et au sens que nous souhaitons donner au quotidien quand nous nous levons le matin. © Priscilla Du Preez L’essentiel – un mot si simple, qui pourtant peut se définir de maintes manières différentes. Pour certains, cela peut passer par une envie de ne pas étouffer notre instinct derrière les technologies et le commercial ou de s’accorder la liberté de choisir la voie du cœur et non forcément celle de la raison. L’essentiel peut aussi se décliner par un désir de donner la priorité à notre être spirituel et laisser en sommeil notre côté matériel. L’essentiel passe aussi par le désir et l’envie de revenir au plaisir de manger, de se cuisiner de bons petits plats, de savourer des mets, de partager un vrai repas. D’ailleurs, n’est-ce pas aussi la raison pour laquelle le «  slow food  », c’est-à-dire prendre le temps de manger, de mastiquer, de déglutir, prend son envol ? En effet, il nous rappelle que pour savourer un aliment et ressentir la satiété, nous devons prendre conscience que nous mangeons et nous focaliser sur nos aliments. Il en va de même pour notre consommation de boissons, et cet apogée du « green ». L’art de la méditation et du retour à soi sont d’autres formes de ce « retour » à l’essentiel. Il en est de même, lorsqu’on s’accorde un temps de décompression, de dialogue avec son for intérieur. Comme si l’on appréciait un tableau, se délectait devant l'art ou s'attendrissait devant le sourire d'un enfant… Juste le temps de faire une « pause sur image », et parfois trouver les réponses à ces questions qui nous turlupinent le soir dans notre lit. C’est ainsi que pas à pas, nous commençons à penser autrement. Et cet autrement finit par se refléter dans nos actions quotidiennes telles que notre manière de consommer, peut-être plus en conscience, et que nous investissons autrement. L’investissement se veut collaboratif avec l’avènement des plateformes de financement de type « crowdfunding ». Il suffit d’investir en ligne, donner un don ou une contribution pour qu’un projet citoyen aboutisse. Rassurons-nous, le citoyen-acteur à de beaux jours devant lui. Tout comme l’espace de travail, si l’on prend pour preuve la création de ces espaces de travail en commun « coworking ». En Guadeloupe, nous dénombrons de nombreux espaces de coworking et une plateforme dédiée aux projets ultra-marins : Feedelios. Les cagnottes, le troc voient leurs essors, de même que le don du temps. Une belle illustration se retrouve sur la plateforme Yakasaider sur laquelle son « temps » ainsi que ses compétences deviennent des valeurs d’échange et de partage. © Manja Vitolic " (…) c’est de la façon dont j’ai surmonté ces épreuves qui ont révélé une force en moi que je ne soupçonnais pas. Cette force est née d’un nouvel amour de moi-même et d’une plus forte connexion créée avec mon entourage et surtout ma famille. " «  Ne plus perdre sa vie à la gagner  » Marx. La génération des late bloomers l’a compris et le vit. Traduit au sens littéral par « plante à floraison tardive », ces personnes s’accomplissent sur le tard, mais sont en quête d’un véritable accomplissement personnel. Ils découvrent leur voie, leur accomplissement, plus tard que les autres. L'important – après tout – n’est-il pas de s’épanouir à son rythme ? Une fois dépassés le regard des autres, la déception des proches, claquer la porte aux jobs de rêve, à ce saint Graal qu’est la « carrière toute tracée », il en vient la réalisation que le plus important n’est en effet non pas le regard et l’approbation des pairs, mais bien celui que l’on pose sur soi. Et, comme le perçoit Catherine Taret, auteure d’«  Il n’est jamais trop tard pour éclore  », toutes ces rencontres et ces expériences enrichissent l’être, et, de fait, nous font « pousser ». Les jeunes diplômés sont de moins en moins en quête du poste à millions et à haute responsabilité, et plus en quête de « sens » pour leur travail. Plus qu’aligner des zéros sur les chèques de fin de mois, le plus important réside dans la quête d’utilité sociale qui leur apporte de la satisfaction personnelle. Ils ont compris qu’il ne suffit plus de courir après des résultats éphémères, des heures supplémentaires facturées doubles, qu’une augmentation ne remplace pas la satisfaction d’un développement personnel et d’être en phase avec sa vie. © Anna Meshkov Ah cette quête du « sens » – «  A purpose-driven life  » ! Revenir aux métiers qui ont du sens. Les métiers de demain sont à 70 % des métiers pas encore inventés, réalisés ou créés. Ils sont aussi ces métiers qui ont du sens et vers lesquels nous retournerons. Et pour les 30 % restant ? Sur notre archipel, cela se matérialise aussi par le retour en force des métiers traditionnels, le plus souvent en lien avec la Terre. Ces métiers sont matériellement palpables et de fait donnent une satisfaction immédiate à celui qui l’exerce. Tout comme ces métiers qui ont de l’avenir et ne pourront être remplacés par une machine. Nous assistons à une floraison de métiers autour de l’encadrement personnel dit « coaching », pour guider ses pairs à atteindre un but, à changer de cap professionnel ou personnel. On se laisse désormais guider par sa passion, et ce, même après avoir passé la trentaine. Prenons l’exemple de Stéphanie Lantin, 33 ans Guadeloupéenne, qui a choisi de s’installer à Zurich pour devenir « Coach de vie ». «  Depuis le plus jeune âge, j’ai dû faire face à de nombreux changements : divorce de mes parents, adaptations à de nouvelles cultures et une décennie de hauts et de bas, suite à une relation qui m’a fait toucher le fond et s’est soldée par un divorce. Cependant, c’est de la façon dont j’ai surmonté ces épreuves qui ont révélé une force en moi que je ne soupçonnais pas. Cette force est née d’un nouvel amour de moi-même et d’une plus forte connexion créée avec mon entourage et surtout ma famille. Je veux être l’inspiration, le réveil, le guide pour faire découvrir aux gens que c’est en étant vulnérable que l’on crée des relations significatives, que c’est en s’aimant d’abord que l’on peut mieux prendre soin de l’autre et que nous sommes seuls responsables de notre bonheur et personne d’autres. On ne peut pas contrôler le vent, mais on peut apprendre à contrôler la voile.  » Son travail l’amène à interagir principalement avec des femmes âgées de 25 à 40 ans, fatiguées de jouer le rôle qu’elles pensent devoir tenir dans une société de plus en plus exigeante. Stéphanie les aide à se (re)découvrir et à exprimer qui elles sont, afin de vivre une vie authentique, qui a du sens et vaut la peine d’être vécue. Alors, si aujourd’hui, plus que demain, a du sens, prenons le temps en tournant la page de se demander : «  Sommes-nous “bien”  –  à notre place ?  ».

Black Lives Matter

Black Lives Matter

Par Dr Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photos : Bill Hudson Ici, un manifestant, des droits civiques de 17 ans, attaqué par un chien policier à Birmingham, Alabama, le 3 mai 1963. Cette image a fait la une du New York Times du lendemain. © Bill Hudson, courtesy of High Museum of Art. #BlackLivesMatter c’est «  une intervention idéologique et politique dans un monde où les vies noires sont systématiquement et intentionnellement ciblées par la mort  ». Voilà, la définition première de l’expression-dièse reprise aux quatre coins du monde et du monde noir. Suite à l’assassinat de Trayvon Martin, le 26 février 2012, tout juste âgé de 17 ans, par l’officier Zimmerman, qui invoque la légitime défense échappant ainsi à toute condamnation, la colère fait suite à la stupeur. Mike Brown est assassiné à Ferguson, et depuis, des corps noirs tombent, en série, en une hécatombe macabre, et dans une impunité à donner le vertige. À mesure que le charnier gonfle, la fronde gronde. Et le slogan raz-de-marée déferle sur les médias oppresseurs mainstream et alternatifs des opprimés : du hashtag à la rue, de la rue à la scène, la vague BlackLivesMatter créée par le trio fondateur Queer & Black – Alicia Garza, Opal Tometi et Patrisse Cullors – est un soulèvement contre l’infamie. Black Lives Matter Protests Go Global from Ireland to Africa titre CBS News. Printemps Black ou nouveau chapitre du ‘Civil Rights Movement’ ? Ce nouveau cri s’inscrira dans l’histoire de tous les peuples de la diaspora africaine et d’Afrique, aux côtés du Black Power et du Black Is Beautiful. Il est un écho qui résonne à travers toutes les expériences noires, de l’esclavage aux tueries contemporaines, perpétrées par les puissants et les gouvernants. Car par ces crimes institutionnalisés, de l’esclavagisation aux exécutions sommaires de jeunes mâles nègres, la question des vies noires –  the Black Lives’s Matter  – se pose partout et entre tous.  (…) il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental. Alors que le premier Président du Monde libre est Noir, et qu’il achève sa dernière mandature, les forces de police semblent remettre au goût du jour le « Négrocide ». Alors que le slogan de l’Académie de police étatsunienne est To Protect and To Serve (protéger et servir), des hommes et des femmes sont desservi.e.s et assailli.e.s, puisque abattu.e.s en plein jour, sans motif apparent valable, par ces mêmes forces de police. À travers la lentille française, tout un chacun est en droit d’évoquer l’équivalence de la riposte proportionnelle à la menace. C’est la loi. But, in the US, law in on the Police’s side. Aux USA (comme en France), la loi est du côté des forces de l’ordre. Le policier n’est pas simplement un homme, il est la sanction étatique à l’œuvre, la répression en marche, le représentant de la justice aveugle à (aveuglée par) la différence. «  Police use force in direct response to a threat from racial and from economic groups viewed as threatening to the existing social order  » : en effet, il a tout droit de faire feu sur un individu appartenant à des groupes raciaux ou économiques qu’il présume violents ou dangereux pour maintenir l’ordre et la paix sociale. Non, ce n’est nullement une galéjade. Il n’est guère matière à boutade ici. Loin d’expliquer ou de justifier l’obscénité de ces actes, il faut convenir que l’homme noir est ‘mythologiquement’ associé à la violence dans l’imaginaire étatsunien, mais plus largement dans l’imaginaire occidental. Faut-il rappeler la prématurité de considérer la barbarisation de la bête nègre comme appartenant au passé ? C’était hier ! Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète. L’obscurantisme accompagna notre entrée dans le 21e siècle ! Les stéréotypes viscéralement entretenus par les grands médias (vidéos musicales, films et séries, jeux vidéo, etc.) contribuent très largement à glorifier et ancrer ces représentations négatives de l’homme noir dans l’inconscient collectif. Elles sont également entretenues par des figures et personnalités noires à travers les formes d’art qu’elles développent : le prisonnier, le dealer, le nègre violent, la bête sexuelle, etc. Non, cela ne dédouane pas les officiers responsables des exécutions sommaires d’hommes et de femmes noir.e.s. Mais, pour eux, cela constitue une caution à leurs actes. Un alibi fourni par l’écran-parole d’évangile.  © Logan Weaver Les regards extérieurs s’étonnent et s’offusquent que de tels actes puissent encore se produire aux USA. Comme si 2016 mesurait les progrès de l’humanité 21 siècles après Jésus-Christ. Ces réactions dénotent non seulement une méconnaissance de l’histoire, et de l’histoire étatsunienne en particulier ; mais également une grande naïveté. On parle beaucoup de racisme systémique. C’est là un pléonasme, car le racisme étant un système qui « produit et reproduit des inégalités cumulatives et durables basées sur la race, favorisant une classe/race privilégiée et défavorisant le racisé », il est donc par essence systémique. Cette précision viendrait contraster avec un racisme dit ‘culturel’, par exemple, qui se traduit par une discrimination basée sur des traits culturels fondés en préjugés (on passe donc d’un racisme épistémique – primordial au sens de l’origine – à un racisme culturel). La société américaine est une entité multiculturelle parce qu’elle reconnaît les différences de chacun qu’elles soient religieuses, politiques, culturelles, traditionnelles, et en cela elle est opposée à la France qui porte œillère et cache-sexe face à ses problématiques historico-migratoires (néologisme référence aux descendants d’immigrés colonisés, dits ‘Maghrébins’ et ‘Africains’). Un manifestant lors de la cérémonie commémorative du révérend King, en 1968. © Bob Adelman. Toutefois, ces deux sociétés sont racistes : Les USA ont un système institutionnel ouvertement racialisé, alors que la France perpétue son système colonial « du bon père de famille » : paternaliste, assimilatrice, et faussement intégrationniste. Aussi, comme le souligne l’économiste et philosophe politique Noam Chomsky, «  l’esclavage compte en grande partie comme fondation de [leur] richesse et de [leurs] privilèges. C’est le cœur de [leur] histoire avec l’extermination et l’expulsion des Indiens autochtones. Mais cela ne fait pas partie de [leur] conscience collective  ». Ce n’est nullement un phénomène nouveau pour ceux qui se souviennent du terrorisme de l’intérieur qui réduisit les nègres à d’étranges fruits : les suprématistes blancs. Les USA ne sont pas le pays des droits civiques, mais le pays où les droits civiques furent conquis par les grassroots movements des blacks. Un symbole qui a offert un étendard et des leaders à tous les Noirs de la planète. Ce n’est pas la nation de la liberté, c’est la puissance messianique qui impose des guerres pacificatrices partout ailleurs. C’est le pays de J. Edgar Hoover et des services d’intelligence et de surveillance, le pays de la répression, le berceau du lynchage. L’ Affirmative action (discrimination positive) fut une suite logique aux actions de la rue : les tribunaux et les lois étaient à conquérir pour plus d’équité. Seulement, les leaders disparurent derrière les quotas. Avancée des noirs, certes. Recul du racisme, aucunement. © Linda Mcqueen. © Instagram: @juliarendleman / Julia Rendleman. Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters ! La collusion entre les syndicats des forces de police avec le grand parti Républicain, GOP ( Grand Old Party ) ne doit être ignorée. Plus souvent que rarement, les officiers appartiennent à une classe blanche de basse extraction qui vote à droite. Historiquement, c’est depuis la présidence de Nixon que les forces de police sont au cœur des campagnes des conservateurs américains, et que le GOP est devenu le «  law-and-order, pro-police party  », pour ainsi dire, le parti « pro-force de l’ordre ».  Tout le monde s’est saisi du #BlackLiveMatter pour, parfois, mieux se dessaisir de la #BlackLives’sMatter , de la question des vies noires. On parle de #AllLivesMatter, #OurlivesMatter, etc. Et même de #BlueLivesMatter, mouvement pro-police fondé le 20 décembre 2014 à New York City après la mort de deux officiers, pris en embuscade dans leur voiture de patrouille, Rafael Ramos et Wenjian Liu. 22 v’là les Bleus qui s’approprie le concept. En mai 2016, la Louisiane en fait la Blue Lives Matter Bill , offrant une immunité contre les crimes de haine aux officiers de police, devenus «  protected class in federal hate-crime law  ». C’est le seul État qui soit allé jusque-là, d’autres, au nombre de 37, se sont contentés de durcir les lois contre les violences envers un représentant des forces de l’ordre. Toutefois, une proposition de loi de protection des policiers comme classe protégée en termes de crime de haine serait dans les tubes du Congrès… en passe d’être votée ? Preuve que l’histoire n’est pas linéaire, que les retours en arrière sont possibles sous des contours différents ! Racisme systémique vous disiez ?  En somme, chacun compte ses vies et leur importance : une sorte de nouvelle affirmative action en somme ! Malgré ces tentatives de vol – ce que ses trois muses appellent the theft of Black Queer Women’s Work  – le mouvement originel est plus fort que jamais et trouve des porte-parole au plus haut du firmament : «  Nos vies comptent, nos vies importent  » pour les artistes blacks aussi ! Les meilleurs et nouveaux advocates – pour utiliser un terme purement anglo-saxon – de la cause semblent être les étoiles noires, Béyoncé et Jesse Williams. Leurs performances ont enflammé la Toile ! À travers son clip « Formation », la Queen B rend hommage aux Black Panthers en adoptant leur apparat et leur gestuelle dans une chorégraphie endiablée, en Louisiane défigurée par Katrina et dénonce l’immobilisme étatique face à la reconstruction de la ville mythique du jazz de fanfare. Jesse Williams donne de la voix très tôt contre ces exécutions sommaires et son engagement connaît son apogée à la cérémonie des BET Awards où il reçoit le BET Humanitarian Award pour son engagement. D’autres artistes s’impliquent au plus près du mal. L’artiste SoulRnB et activiste Janelle Monae – moins en vogue, mais plus proche de la rue –  a écrit une chanson avec Wondaland intitulée «  Hell You Talmbout  » fournissant aux activistes de BlackLivesMatter un hymne «  Say Her Name ! Say Her Name ! ». #SayherName, nouvelle interjection-dièse reprise sur les fils de Twitter et de Facebook posts ! Plus personne ne peut rester neutre : même Michael Jordan s’est exprimé. Car l’ampleur du crime étatique exhorte chacun à choisir ce qui compte, son camp : choose what matters  ! © Misan Harriman. Mais, comment ne pas penser que le dernier opus de Beyoncé est un acte promotionnel dont elle a le secret ? Son clip Formation a révélé au monde qu’elle était noire. Ce n’est là que la moitié d’une boutade… Car comment distinguer ceux qui s’impliqueront quoi qu’il leur en coûte (tel que Jesse Williams qui a eu à en découdre avec Hollywood) et ceux qui profiteront d’un mouvement de résistance, larvé dans un phénomène de résistance culturelle et politique tout aussi grand aujourd’hui, le mouvement Afropunk (Afro, Queer, Free, Swagg). Autre mot-dièse incontournable : #Swagg. C’est une tendance qui les aura tous conquis, de la base au sommet, du peuple aux élites, des Pinkett/Smiths à Alicia Keys, en passant par Beyoncé et consorts, avec des maîtres à penser comme la Monae. D’une dynamique Queer Black, le monde s’embrase. Mais qui, d’entre eux, tentera l’immolation politique ?

DS 3 Crossback, icône du style urbain

DS 3 Crossback, icône du style urbain

Par Mike Matthew Photos : DS France Après la sortie de DS 7 Crossback, la marque premium de PSA poursuit son déploiement avec son deuxième opus de la nouvelle ère DS et se positionne sur un créneau encore peu pratiqué par la concurrence, le segment des SUV urbains, puisqu’il ne peut compter que deux seuls rivaux potentiels l’Audi Q2 et le Mini Countryman. Ce nouveau modèle à la fois puissant et sculptural, présenté le mois dernier au showroom DS de Pointe-à-Pitre, vise la catégorie la plus dynamique du segment, celle des petits SUV chics. Un véhicule bien né qui magnifie le « French flair » aussi agréable à regarder qu’à conduire. Alliant élégance, confort et innovations exclusives, DS 3 Crossback repousse les limites et se joue des conventions faisant le choix de technologies spectaculaires : projecteurs DS Matrix led vison , poignées de porte affleurantes se déployant automatiquement, poste de conduite entièrement numérique… Une avant-garde qui va de pair avec sa richesse d’équipements de sécurité, d’aides à la conduite autonome de niveau 2, avec un confort feutré et une acoustique sans précédent. Un intérieur chic & confortable. D’un intérieur cossu, arborant un niveau de finition irréprochable dû au savoir-faire maison, DS 3 Crossback, procure un niveau de confort digne des segments premium. Et qu’il s’agisse de courts ou de longs trajets, le confort de DS 3 Crossback reste le même : exceptionnel. À l’avant comme à l’arrière, le nouveau SUV est doté de sièges en mousse bidensité, pour une assise enveloppante d’une grande qualité. Et parce que les moments de calme sont précieux, DS Automobiles a veillé à ce que la nouvelle DS présente un niveau d’isolation sonore et vibratoire supérieur avec un système HI-FI hors pair doté de 12 haut-parleurs et d’une amplification de 515 watts, afin de vous proposer une immersion sonore exceptionnelle. Délibérément compacte, DS 3 Crossback prodigue des innovations envoûtantes. À l’image de ses projecteurs intelligents DS Matrix Led vision qui permettent de rouler de nuit en pleins phares sans risquer d’éblouir grâce aux projecteurs à LED dont le faisceau lumineux s’adapte automatiquement. DS Drive Assist pour sa part propose une aide à la conduite qui ouvre la voie à la conduite autonome. Grâce au radar et caméra embarqués, il régule la vitesse par rapport au véhicule se situant devant et agit sur la direction pour positionner précisément le véhicule dans sa voie selon les choix et habitudes du conducteur. DS Smart Access vous permettra d’ouvrir et démarrer votre DS par l’application MyDS. Enfin, DS Park Pilot : une innovation qui permet de détecter un emplacement de parking correspondant au gabarit du véhicule, simplement en passant devant, et ce jusqu’à 30 km, puis effectue la manœuvre, en créneau ou en bataille. Une motorisation dynamique. Longue de 4,12 m, la DS 3  Crossback procure une expérience de conduite unique grâce à trois types de motorisations : Essence Pure Tech, Diesel Blue HDI et E-Tense 100 % électrique. À son lancement, 5 motorisations vous seront proposées, précisément trois essences et deux diesels. Le bloc essence 3 cylindres 1,2 litre « PureTech » est décliné en puissance 100, 130 et 155 chevaux, pour respectivement 205, 230 et 240 Nm de couple. En diesel, un seul moteur 4 cylindres 1,5 litre « BlueHDi » est proposé en deux configurations 100 ch/250 Nm et 130 ch/300 Nm. Tous ces moteurs sont suralimentés et apportent un niveau de performances élevé pour une consommation mesurée. Sur route, le conducteur percevra tout de suite la quintessence de ces mécaniques modernes. Enfin, si l’objectif de DS 3 Crossback était de séduire, il faut dire qu’il y parvient parfaitement, et cela sur toute la ligne. Il vous sera possible de choisir entre plusieurs ambiances, baptisées par le constructeur « Inspirations ». Et selon votre choix, ce nouveau SUV urbain se fera alors sportif ou luxueux, tapageur ou discret.

Factures impayées, les recours possibles

Factures impayées, les recours possibles

Par Chrystelle Chulem - Avocat à la cour Photo : Clem Onojeghuo Les délais de paiement peuvent impacter la santé financière d’une entreprise. Il convient donc que le fournisseur ou prestataire demeure vigilant quant aux délais de paiement accordés à ses clients. Les délais de paiement se définissent comme la durée prévue dans un contrat entre la livraison ou la facturation du bien, d’un service par le fournisseur ou le prestataire, et le paiement par le client ou le professionnel. Ils ne peuvent en principe dépasser 60 jours nets à compter de la date d’émission de la facture. À défaut de délai convenu entre les parties, s’applique un délai supplémentaire de paiement de 30 jours, à compter de la réception des marchandises ou de l’exécution de la prestation demandée. Le législateur a réduit ce délai à 20 jours lorsque la facture concerne certains produits, comme les produits périssables. En présence d’une facture restée impayée, le créancier dispose d’un délai de 2 ans pour saisir les tribunaux et recouvrer sa facture lorsque le débiteur est un consommateur. Lorsque la créance n’est pas payée à sa date d’exigibilité, elle devient une facture impayée. Le créancier peut alors mettre en place une procédure de recouvrement de créance. Il existe deux types de procédures de recouvrement de créance : le recouvrement amiable et le recouvrement judiciaire. Le créancier peut tenter un recouvrement à l’amiable sans passer par un juge, en établissant un dialogue avec le débiteur. Il s’agit là d’un préalable à toute procédure contentieuse. L’objectif est d’ouvrir une période de négociation, afin d’éviter le recouvrement judiciaire. Le plus souvent, le recouvrement amiable d'un impayé va suivre un processus consistant en des relances écrites, voire téléphoniques, rappelant l'origine de la dette et son montant. Une proposition de mise en place d'échéancier pourra également lui être faite, si le paiement intégral est impossible. À cette étape, si le débiteur ne s’est pas manifesté, le créancier pourra lui adresser, soit une relance par lettre recommandée avec accusé de réception, soit une lettre de mise en demeure de payer toujours par lettre recommandée avec accusé de réception. Le créancier pourra aussi, par le biais d’un huissier de Justice, faire délivrer « une sommation de payer » valant mise en demeure à son débiteur. © Mika Baumeister Si le débiteur ne se manifeste toujours pas dans les délais impartis par la mise en demeure ou la sommation de payer, le créancier devra alors envisager la mise en place d’une procédure de recouvrement judiciaire. Il devra saisir le juge, soit d’une requête en injonction de payer, soit d’une assignation en paiement à l’encontre de son débiteur. Il appartient au créancier d’être attentif aux délais de prescription. En effet, le délai pour demander le paiement de ses factures et ainsi espérer en obtenir le recouvrement est limité. La prescription désigne la durée au-delà de laquelle une action en justice, civile ou pénale, n'est plus recevable. En présence d’une facture restée impayée, le créancier dispose d’un délai de 2 ans pour saisir les tribunaux et recouvrer sa facture lorsque le débiteur est un consommateur. En revanche, ce délai est de 5 ans lorsque le débiteur est un professionnel, une société commerciale ou un commerçant. LIRE AUSSI |FACTURES IMPAYÉES Dans le cadre d’une procédure d’injonction de payer, le créancier pourra obtenir d'un juge un titre exécutoire, c’est-à-dire une ordonnance d'injonction de payer, afin de recouvrer sa créance. La première phase de cette procédure n'est pas soumise au principe du contradictoire, puisque le créancier pourra obtenir l'ordonnance d'injonction de payer alors que le débiteur n'est pas avisé de la procédure. A contrario , l’assignation en paiement est un acte délivré par un huissier, par lequel le créancier demande à son débiteur de comparaître à une date précise devant le tribunal. Cette procédure, qui est plus longue que l'injonction de payer, est généralement utilisée lorsque le créancier craint que le débiteur conteste la créance. Quelle que soit la procédure initiée, le titre exécutoire obtenu devra être valablement signifié par voie d’huissier au débiteur. Dès lors, le créancier pourra, par le biais d’un huissier de Justice, engager la procédure de recouvrement forcée en mettant en place les voies d’exécution qui permettront au créancier d’obtenir le recouvrement de ses créances, en ayant recours aux saisies sur le patrimoine du débiteur, en fonction de sa solvabilité.

Factures impayées, le mal des entrepreneur.e.s

Factures impayées, le mal des entrepreneur.e.s

Par Ken Joseph Photo : Nathan Dumlao Voici une plaie économique dont nos entreprises se passeraient bien, tant elle impacte l’ensemble de la croissance et accélère les réactions à la chaîne. En cause ? Les factures impayées. Certes, le sujet n’est pas nouveau, mais il ne s’arrange guère. Et, si le phénomène est largement connu, le syndicat national des cabinets de recouvrement de créances et de renseignements commerciaux (l’ANRC) l’a quantifié, dans un rapport publié le 20 juin 2018. Ainsi, en 2017, les créances impayées françaises ont représenté un manque à investir de 56 milliards d’euros pour les entreprises, soit environ 2 % du produit intérieur brut (PIB). L’étude révèle que le strict respect des délais de paiement « permettrait de soulager la trésorerie des entreprises de 12 milliards d’euros par an ». Certes, la mise en place de la loi pour la modernisation de l’économie dite  LME d’août 2008 modifiée en 2018 a dans un premier temps permis une nette amélioration, disons sur le papier. Dans les faits, les habitudes sont tout autres, car 37 % des TPE-PME dans les secteurs B2b sont payés au-delà de 30 jours, et 23 % au-delà de 6  jours. Pour rappel, en France, la moyenne des retards – au-delà du délai légal – se situe à douze jours. La situation est particulièrement dégradée pour les secteurs « information et communication » et « conseils et services aux entreprises » où près de deux entreprises sur trois connaissent des délais supérieurs à 60 jours, et parmi lesquelles plus de la moitié subissent des retards supérieurs à un mois. Le secteur « construction » s’avère à peine mieux loti, puisque moins d’une entreprise sur deux est payée à l’heure. Par ailleurs, pour le secteur public, si les délais de paiement de l’État sont plus au moins maîtrisés, ceux des collectivités locales et des établissements de santé sont beaucoup plus hétérogènes, voire problématiques, ce qui est notamment le cas des régions. Du côté des départements et régions d’outre-mer, selon l’IEDOM, en 2016, 40 % des entreprises ultramarines subissent un retard de paiement. Et sont par ailleurs 45 % à régler leurs fournisseurs au-delà de 60 jours. © Zhang Kenny Toute entreprise est confrontée tôt ou tard à un client qui ne paye pas. Et il s’agit malheureusement d’une situation trop fréquente qui demeure frustrante chaque fois. Selon l’étude de GoCardless , réalisée auprès de 250 PME françaises, 85 % des sociétés déclarent qu’elles pourraient développer leur activité plus rapidement si elles avaient plus de visibilité sur leurs paiements. De plus, «  l’incertitude quant au moment où les paiements vont arriver  » rend 87 % des dirigeants de PME «  plus stressés et anxieux  ». Et 81 % avancent ne pas être certains d’être en mesure de payer leurs propres factures à temps. 54 % déclarent avoir été contraints de payer leurs créances en retard en raison des délais de paiement de leurs propres clients. Finalement, pour honorer leurs paiements, 42 % des dirigeants de PME auraient demandé un financement d’urgence ou pioché dans leurs économies, afin de compenser les retards. Cependant, 56 % déclarent qu’au cours de leur première année d’activité, les délais de paiement les ont forcé à faire des sacrifices sur leurs salaires, leurs congés ou leurs embauches. Il faut savoir que plus d’une procédure collective (liquidation-faillite) sur quatre découle de problèmes d’impayés et de retards de paiement. Pour un patron, ne pas être payé à temps constitue une véritable crainte, et se pose alors nombre de questions : le client est-il mécontent ? Est-ce que son chèque s’est perdu dans les abysses des bureaux de poste ? Est-ce qu’il espère passer sous le radar ? A-t-il tout simplement oublié d’acquitter sa facture ? Il existe, en effet, plusieurs raisons à ce que ces factures restent lettre morte. La principale pourrait être un contexte conjoncturel, toujours incertain. Mais ce ne sont pas seulement les fournisseurs ou les entreprises partenaires qui rechignent à payer dans les temps ou à payer tout court, mais les privés aussi, donc le consommateur. Nombreux sont ceux qui sont affectés par la situation économique, mais certains d’entre eux vivent visiblement aussi au-dessus de leurs moyens. Et pour les entreprises B2b-B2c, les conséquences peuvent, s’avérer létales. Il faut savoir que plus d’une procédure collective (liquidation-faillite) sur quatre découle de problèmes d’impayés et de retards de paiement. Les TPE et davantage les PME, c’est-à-dire celles qui sont responsables de l’essentiel de la croissance, y sont particulièrement vulnérables, ne disposant pas de l’organisation et des ressources humaines pour y faire face. Alors que souvent, elles ne déméritent pas en matière de produits et de services. Mais c’est aussi de leurs responsabilités de s’assurer des rentrées financières, car trop souvent les entreprises, aveuglées par les perspectives d’un gros contrat, négligent ou oublient de vérifier la solvabilité du client. © Taner Arali Les retards de paiement entraînent un effet de cascade pour les entreprises. Et c’est au détriment de toute la chaîne économique. Elles sont 4 sur 10 à assurer que leur activité a déjà été mise en péril à cause des délais de paiement pratiqués. Selon l’éditeur de logiciels Sellsy, dans son baromètre réalisé en partenariat avec YouGov sur les délais de paiement, 22 % des répondants déplorent un pourcentage d’impayé de plus de 5 % du chiffre d’affaires. Parmi les raisons évoquées, la situation financière difficile de certains clients (45 %), la mauvaise foi de leurs interlocuteurs (40 %), des oublis involontaires (26 %), ou encore la cessation d’activité du client (24 %). En clair, il s’agit souvent d’une configuration du pot de terre contre le pot de fer. Mais il y a encore plus éloquent. (…) les entreprises françaises n’osent pas réclamer leur dû. Elles craignent, surtout dans le contexte économique actuel, que le fait de relancer leurs clients leur fasse perdre des parts de marché. Selon les résultats des travaux de deux chercheurs français, Jean-Noël Barrot et Julien Sauvagnat, le respect des délais de paiement fixés aurait de vrais impacts sur l'emploi. Les deux jeunes sont arrivés à une conclusion saisissante : «  Selon nos estimations, le respect des seuils légaux en matière de délais de paiement conduirait à une augmentation de l'emploi de 2,3 % chez les PME, soit à la création de plus de 100 000 emplois par les entreprises  », expliquent les deux chercheurs. Mais en réalité, combien coûte un impayé ? Le recouvrement des créances impayées est une problématique majeure et stratégique dans la gestion de toute entreprise. En effet, en raison de la fragilité économique globale des entreprises dans une conjoncture difficile, un retard de paiement impacte tout besoin en fonds de roulement (BFR). Il est du chiffre d’affaires (CA) qui ne se transforme pas en trésorerie. Cependant, dans votre CA il y a d’une part vos coûts de revient – ceux de vos fournisseurs et autres frais fixes liés à la production – et de l’autre votre marge. Vos fournisseurs et vos charges fixes devant être payés, en cas de retard ou d’impayé, c’est de la marge payée qui sera utilisée.
Voici un exemple extensible à des milliers de situations bien connues :
vous avez vendu, il y a deux mois 4 formations à 1 200 €. Les prestations ont été effectuées et vous avez facturé à la commande. Marge de 20 %. Sur vos 4 factures, seules 3 ont été réglées à échéance.
Voici l’impact de votre impayé sur votre marge globale :
1. CA = 4 800 €/marge : 960 €/Frais de revient : 3 840 €
2. CA payé = 3 600 €/marge : 720 €/Frais de revient : 2 880 €
3. CA impayé = 1 200 €/marge : 240 €/Frais de revient : 960 €. La marge effectuée sur les sites payés sera utilisée pour payer vos frais de l’impayé : 720 € pour couvrir 960 € de frais de vos fournisseurs + marge d’une autre vente pour combler les 240 € manquants. Vous avez perdu 960 € et effectué 0 marge sur vos ventes payées. Dans cet exemple, pour couvrir le coût de l’impayé sans nuire à vos marges, il vous faut générer et encaisser pour 6 000 € de formation.

D’une manière générale, la formule utilisée pour calculer le coût et l’impact d’un impayé sur votre marge est la suivante : Montant de l’impayé/Taux de marge x 100.
© Efe Kurnaz Mais les conséquences d’un impayé ne se résument pas à une tension sur la trésorerie, elles affectent parfois l’organisation même de l’entreprise de plusieurs manières : en affectant différemment le budget de trésorerie ; en alertant le banquier, qui peut le cas échéant réajuster le niveau de risque à la hausse ce qui engendrera un durcissement des tarifs et de l’accès au crédit ; en affectant l’exploitation de l’entreprise (embauches et investissements repoussés, économie sur l’entretien, les matières premières…). Le temps passé et les dépenses liées au recouvrement (huissiers, dépenses juridiques…), bien souvent à fonds perdu, impactent eux aussi la bonne gestion de l’entreprise. C’est pourquoi il est important d’adopter la bonne attitude à l’apparition d’un retard de paiement, pour maximiser vos chances de récupérer les sommes dues. Selon Daïna Boismoreau, auteure du livre : Les Entreprises et la gestion des impayés clients : la culture du cash (Edilivre), le meilleur modèle de recouvrement de créance est, dans un premier temps, la prévention et l’anticipation via une attention portée au bon enregistrement et à la mise à jour des données liées à l’identité du client, telles que le délai et le mode de paiement du client…, mais également au cadre contractuel, à la présence de bons de commande, à la véracité des prestations ou de produits facturés… et ces actions doivent bien entendu être suivies d’une réactivité d’intervention pour garantir toutes les chances de recouvrement de créances. Accompagné d’un reporting régulier et précis, axé sur tous les indicateurs clés, celui-ci vous permettra un meilleur pilotage de l’activité. Le recouvrement des créances est une activité réglementée liée à l’utilisation de moyens légaux. Il faut donc une structure adaptée selon la taille de l’entreprise et son volume d’affaires. Toutefois, quelle que soit la taille de l’entreprise, une politique de crédit doit être clairement définie, communiquée, appliquée et contrôlée. Le rôle du crédit manager ou du responsable recouvrement voire du directeur administratif et financier, selon le titre que vous lui donnerez ou l’organisation au sein de votre entreprise, est primordial. Il est le chef d’orchestre du recouvrement de créances. Il garantit la bonne marche de recouvrement, le respect des délais, la bonne application du processus. Pour les TPE ou autres entrepreneurs individuels ne pouvant se payer le luxe d’un crédit manager, le recours à un intermédiaire est un levier de réussite décisif dans le recouvrement. Faire appel à un professionnel bénéficiant d’une solide formation juridique, ainsi qu’une maîtrise des techniques de négociation améliore fortement vos chances de récupérer vos impayés, tout en préservant la relation commerciale. Aussi, pour éviter une accumulation d’impayée, une entreprise a tout intérêt à durcir ses conditions générales de vente. Au-delà des libellés des factures, c’est la logique qu’il faut changer : les pays du nord de l’Europe ont, depuis longtemps, pris l’habitude de facturer les mauvais payeurs… Car le problème est bien là : les entreprises françaises n’osent pas réclamer leur dû. Elles craignent, surtout dans le contexte économique actuel, que le fait de relancer leurs clients leur fasse perdre des parts de marché. Si le sujet est aujourd’hui brûlant, c’est que la crise semble prendre une nouvelle ampleur, avec un effet sanglant attendu sur les délais de paiement et, surtout, un effet domino des défaillances.

Le panier de calimordants

Le panier de calimordants

Par Dr. Stéphanie Melyon-Reinette sociologue et artiviste Photo : Mwangi Gatheca C’est une des métaphores que nous affectionnons le plus dans le péyi Gwadloup : le panier de calimordants. On le dit dans notre langue ontologique – celle qui nous a fait naître civilisation créolisée et passer de tiers-monde à tout-monde – que deux de ces énergumènes ne peuvent cohabiter dans le même foyer. « Dé mal krab pa’a rété an menm tou la » , deux crabes mâles ne peuvent demeurer dans le même trou. Fallait-il qu’ils soient mâles pour dire les maux de cette société et surtout que la virilité en soit la quintessence et qu’elle n’ait pas de genre ? Le syndrome de la domination ou le ‘ syndrome du calimordant ’ (métaphore Glissantienne empruntée) est apparemment un trait (ou une tare ?) de l’Antillais/e. Il se caractérise par le «  monté asi tèt a moun  » qui se traduirait littéralement « monter sur la tête de l’autre ». « La Gwadloup malad. La gwadloup malad mésié, fo nou touvé on rimèd mésié pou nou sové péyi la, mézanmi o ! Sa doulouré mésié, sa anmèwdan ayayay… » Monter sur la tête de l’autre, dans le panier de calimordants c’est la pratique en vigueur. On grimpe, on essaie de s’en sortir en étant tantôt marchepied, tantôt marcheur. Alors, bien sûr ce qui caractérise le monde du calimordant c’est aussi la fermeture, le manque d’horizon, la captivité, l’aliénation. Lui qui dans son état et habitat naturel, vit dans un trou qui lui va comme un gant se retrouve après avoir été chassé et déporté dans une grande mi-geôle-mi-fosse-commune dont il ne connaît pas les entours, un monde inconnu où il se sent englouti parmi tous ces corps, il bataille comme les autres pour sa survie quitte à asphyxier l’autre… D’ailleurs, le calimordant est un charognard qui se repaît allègrement de la mort ou de la déchéance, du malheur pour le moins, de l’autre. Il lui boufferait la cervelle. Si l’autre parvient à percevoir le soleil, il tentera de monter sur ses épaules qu’il n’a pas et l’empêchera d’accomplir sa destinée de calimordant affranchi… en somme, la conclusion est restée «  il n’y a pas de raison que tu sortes du lot !  ». © Maan Limburg Alors qu’il m’est demandé de critiquer le pays sans ambages, d’en faire une critique constructive évidemment, mais sans langue de bois, je trouve qu’initier l’exercice par l’exposition de ce syndrome du calimordant est périlleux, mais impétueux. L’exercice n’est pas facile. Il est osé. Car évidemment, je risque de me faire détester (encore plus peut-être), car j’ai la sensation souvent que l’on essaie de me tirer vers le panier… Alors, voici quelques règles de lecture : 1, identifier un mal social ne revient pas à en faire une généralité – tout le monde n’est pas nécessairement concerné –, mais plutôt de mettre en lumière les symptômes d’une maladie dont certains souffrent, ou plus que d’autres. Maladie, maladie, je sais que tu frémis ou trépignes. Pa cho marinad’ , on y revient. 2, j’entends déjà les uns et les autres dénoncer ces paroles de sycophante –  Mwen ka mété’y espré … Un gros mot français parce qu’apparemment, il ne fait pas bon d'être intellectuel sous nos cieux… Donc, dénoncer ces paroles de sycophante, ou de délatrice, d’espionne, d’une personne qui se joue de vous avec l’ennemi (anwww !) qui irrémédiablement, et de manière irrévérencieuse, vient critiquer le péyi ! Ka nou ka toujou kritiké nou, péyi, la, nèg la ? Encore une fois, il faut de temps en temps ouvrir les yeux et (s’)observer pour examiner le chemin parcouru et là où le bât blesse. Et la blessure est toujours à vif ! Incontestablement. Le pays est malade ! Les révolutions, les crises sont les symptômes d’une société qui voit ses fondations ébranlées. Sauf que la Guadeloupe –   la société postcoloniale que nous vivons et qui nous a façonné.e.s – sur quelles fondations fut-elle érigée ? Que savons-nous ? Que la Guadeloupe est une ancienne colonie qui a muté superficiellement en 1946 ! «  Le pays est malade  ». Une des armes de propagande les plus utilisées par les dictateurs, les tyrans et les présidents de tout acabit : la société en putréfaction idéologique, la société qui se meurt. La société qui sombre dans la médiocrité et la violence, la société qu’il faut karcheriser. La société qu’il faut amputer d’une communauté ou d’une langue. La société qui se délite, parce que c’était mieux avant (eux) ! Le Rwanda, l’Afrique du Sud, Afghanistan, Irak, Syrie, etc. Partout où il y eut des génocides, des guerres, il faut soigner le mal qui sévit, et surtout quand c’est le pays de l’autre qui est malade. « Le Pays est malade ». Constat lapidaire ou postulat liminaire ? Constat liminaire, dirais-je plutôt pour couper la mangue en deux. Constat de début donc, mais lapidaire aussi. «  La Gwadloup malad. La gwadloup malad mésié, fo nou touvé on rimèd mésié pou nou sové péyi la, mézanmi o ! Sa doulouré mésié, sa anmèwdan ayayay…  » chantait Guy Konkèt. Sonneur d’alerte avant l’heure, il disait ô combien le pays était en proie à des malfaisants. Le pays est malade comme toutes sociétés en mutations perpétuelles. Les révolutions, les crises sont les symptômes d’une société qui voit ses fondations ébranlées. Sauf que la Guadeloupe – la société postcoloniale que nous vivons et qui nous a façonné.e.s – sur quelles fondations fut-elle érigée ? Que savons-nous ? Que la Guadeloupe est une ancienne colonie qui a muté superficiellement en 1946 en se voyant accorder le statut de département français sans en avoir pleinement joui, qui engendra une population traumatisée par des siècles de conditionnement à la haine de soi et au rabaissement social, résultant en une affectivité déplacée, une ultra-dépendance, et bien d’autres maux dont nous pouvons en faire une courte déclinaison ! Il ne s’agit pas de vous mener à la dépression. Mais de pointer du doigt quelques phénomènes induits par l’histoire. Aux États-Unis, les taux de ces pathologies mentales sont plus élevés que la moyenne nationale. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. © Jeferson Gomes Et en parlant de dépression, parlons santé. Si une chose devait certainement frapper celui qui arrive ou revient – et encore plus celui qui a toujours été à demeure en Guadeloupe –, c’est ce que j’ai appelé dans une communication « le bal des ombres ». Notamment quand on réside à Pointe-à-Pitre ou dans les centres-villes et autres bourgs, on ne peut manquer de voir des silhouettes amaigries et au pas erratiques, hirsutes, échappant des cris d’orfraie, des mélopées de ruminations, des injures qui conjurent… et les autres qui les ignorent, elles, eux, qui sont dans la lumière. On les ignore aisément. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. Je les vois souvent de mon balcon : dissemblables et si similaires. Des épaves de la folie douce du rocher du diable. Abandonné.e.s à l’emprise de la drogue du lenbé (comme j’ai choisi de l’appeler). Mais, la wóch est-elle réellement la seule raison à leur déraison ? Ne devrions-nous pas non plus remarquer la prévalence des pathologies mentales chez nous ? Parmi mes ami.e.s proches, tou.te.s ont au moins un parent qui souffre d’une pathologie mentale : schizophrénie (paranoïaque), bipolarité, etc. Séquelle de l’histoire, indubitablement. Ce phénomène traverse toutes les sociétés postcoloniales ou communautés afrodescendantes : dans la caraïbe anglophone, cela fait longtemps que les chercheurs (sociologues, psychologues) se sont penchés sur le phénomène. Aux États-Unis, les taux de ces pathologies mentales sont plus élevés que la moyenne nationale. La schizophrénie est même devenue une « maladie de Noirs » selon des observations de thérapeutes étatsuniens, chercheurs et militants antiracistes. J’en suis venue à me dire que la cause de tout cela était une assimilation forcenée et son corollaire, la déculturation, qui en est la cause : pousser un être à rejeter ce qu’il est (créole, cheveux poussants vers le soleil, croyances) pour lui indiquer une voix autre par un conditionnement pavlovien ne peut que provoquer un dédoublement de personnalité, un sentiment de déshérence. À partir du moment où l'on ne tient pas les promesses engagées vis-à-vis du projet citoyen calqué sur cet ailleurs, recteur et censeur. Nous perdons la mémoire. Une mémoire sans doute jamais constituée ou restituée… Là encore, je sais que beaucoup prendront la mouche. Surtout parce que sur ces personnes s’abat la lassitude de devoir porter une responsabilité dont elles pensent être exemptes… Autre débat. © Mwangi Gatheca Construire est un projet citoyen, puisque l’on érige une cité pour que les âmes qui s’y affranchissent (ou pas) s’accomplissent dans un projet social et culturel, identitaire et politique. Par ailleurs, aux États-Unis, certaines études montrent que les hommes africains-américains sont susceptibles de ne pas recevoir les soins adéquats. Il y a(urait) beaucoup de diagnostics erronés d’une part, visant à disqualifier ces hommes, et par ailleurs, quand le diagnostic est avéré, ils ne recevraient pas les soins nécessaires. Parlons de soins adéquats chez nous. Nous avons la CMU. Mais les conditions d’accueil ne sont pas idéales pour un territoire ‘français’. Après l’incendie déclaré au CHU le 28 novembre 2017, il nous a été loisible de constater, qu’après des années d’humour mi-léger, mi-grave autour notre établissement hospitalier digne d’un pays en développement, l’incident nous gifle en plein visage et met en lumière ce que j’appelle la politique du «  sa ka kenbé toujou  ». Le pont ne s’effondre pas, on peut encore l’emprunter. La route se grève de nids de poule. Tant que ce ne sont pas des nids d’autruche ou de dinosaures, on peut encore contourner. On attend de voir les canalisations (ou le magma du cœur de la terre !?). Encore une fois, il ne s’agit pas de critiquer gratuitement, mais de questionner la gestion des uns et des autres. Je pense parfois à des édifices ou autres installations coûteuses, financés par les fonds européens ou autres subventions. Après quelques années, ils sont moins glorieux, et là je me pose deux questions : les artisans ou architectes (dans tous les sens du terme) de ces ouvrages, 1, prévoient-ils un budget « maintenance » (ou du moins l’enveloppe prévue le prévoit-elle) ? Et 2, construisons-nous en phase avec notre environnement ? La réponse à cette seconde question est évidente : non ! Plus souvent que rarement, on construit en dépit du bon sens. Seul le capitalisme compte : les sous-sous ! Ainsi, on peut regarder Haïti et les pays d’Afrique et s’interroger doctement sur le fléau des missions humanitaires et l’appétit carnassier des bâtisseurs-chasseurs de marchés, nous ne sommes pas logés à meilleure enseigne. Gagner un marché ce n’est pas penser avenir, mais immédiateté, pour passer au suivant. L’écologie ne se pense jamais à court ou moyen terme. Mais à très long terme. Il en va de même pour l’urbanisme. Comment se fait-il que la maison que mon grand-père a construite de ses mains il y a plus de 70 ans tienne encore debout quand des bâtisses contemporaines s’effondrent déjà ? Comment oublier la salinité (par essence !) des alizés ? Les architectes (encore dans tous les sens du terme) sont-ils tou.te.s occidentaux.ales.alisé.e.s ? Oh, les inimitiés qui me guettent… Mais ce n’est pas un jugement, mais de vraies questions citoyennes. Construire est un projet citoyen, puisque l’on érige une cité pour que les âmes qui s’y affranchissent (ou pas) s’accomplissent dans un projet social et culturel, identitaire et politique.

La femme dans l'histoire

La femme dans l'histoire

Par Safia Enjoylife Photo : Getty images Les premières figurines qui ont représenté l’humain étaient exclusivement féminines. La plus ancienne étant la Vénus de Hohle Fels âgée de 40 000 ans. Cette fascination vouée à la gent féminine s’explique par sa position centrale dans la transmission de la vie. C’est dans le corps de la femme que se forme un nouvel être et c’est également elle qui assure sa survie en l’allaitant pendant qu’il est fragile et dépendant. En raison de sa fonction créatrice et nourricière, la femme a donc été au centre d’une attention et d’une dévotion extrêmement importante pendant les premiers stades de l’humanité. Les rôles fondamentaux des déesses imaginées par les différents peuples rendent compte de sa haute considération. Chez les Égyptiens de l’Antiquité, l’équilibre, la justice, et la paix étaient incarnés par la déesse Maat. Chez les Incas, la déesse Pachamama est source de fertilité et protège les récoltes. Quand on sait que la subsistance principale de cette société était l’agriculture, on comprend que cette divinité tenait un rôle crucial. Dans la croyance hindoue, la conscience, la prospérité, l’abondance, la vérité, la sagesse et la connaissance sont personnifiées par les divinités féminines Aditi, Lakshmi et Sarasvati. On retrouve la même importance accordée aux femmes dans tous les panthéons de la planète. Ce n’est que plus tard que la puissance et le caractère indispensable de la femme ont été amoindris afin de garantir à la gent masculine le monopole de la gouvernance des États et des spiritualités. Dans de nombreuses sociétés, le rôle de la femme a été relégué à celui d’accompagnatrice docile. Son influence et ses actions décisives ont été gommées des récits historiques, au point qu’aujourd’hui, on observe un déséquilibre flagrant entre la surexposition des hommes et l’absence des femmes. On serait tenté de croire que cette distorsion reflète le fait que la femme n’a pas pris part aux progrès des nations, mais en soulevant les épaisses couches d’omission, on retrouve ses apports essentiels dans l’histoire du monde. S’il est vrai que la femme a souvent dû s’inscrire dans la rébellion pour faire valoir son droit d’action et de décision, c’est encore plus vrai pour la femme noire qui, elle, a dû se dresser contre une double barrière, celle du sexisme et celle du racisme. Pour autant, elle n’a jamais cessé de participer aux événements déterminants de l’histoire. Anne Mbande Nzinga, puissante reine du Ndongo et du Matamba. Reines, guides spirituelles, meneuses de révolte, guerrières, mères de héros, chefs de clan, pionnières, elles sont beaucoup plus nombreuses qu’on nous le montre à avoir été des femmes de pouvoir ou des femmes d’influence. Aussi loin que remonte la civilisation, la femme est intervenue dans le sort des nations. Dans l’Antiquité déjà, une lignée de reines africaines a dirigé et protégé le royaume de Koush, situé dans l’actuel Soudan. La reine Amanishakéto s’est démarquée par son génie militaire. En effet, bien que l’empereur romain Auguste ait attaqué son royaume avec une armée trois fois plus nombreuse que la sienne, la reine Amanishakéto a déjoué cette invasion. Ses compétences en stratégie lui ont permis d’écraser les troupes romaines malgré leur supériorité numérique. Suite à cette défaite humiliante, les Romains n’osèrent plus jamais attaquer le royaume de Koush et il prospéra pendant des siècles ! L’exemple d’Amanishakéto témoigne que la combativité et l’ingéniosité ne sont pas des qualités réservées aux femmes modernes. Et le fait qu’une femme dirige un État et prenne part au combat n’est pas un phénomène isolé dans l’histoire africaine. Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira « Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles. » Au 16e siècle, la reine Amina a régné 34 ans sur le royaume de Zazzau situé dans l’actuel Nigéria. Elle fut formée très jeune à la gouvernance et au combat. Lorsque Amina accéda au trône, elle décida de mener une campagne militaire à la tête d’une cavalerie de 20 000 soldats. En plus d’agrandir considérablement son territoire, la reine Amina a développé l’économie en sécurisant le commerce du cuir, des chevaux, du sel et de métaux précieux. Elle rendit son royaume riche et puissant. Des ruines impressionnantes de murs d’enceinte qu’elle fit construire sont encore visibles dans les villes de Kano et Katsina au nord du Nigéria. La reine Mbande Nzinga a également été une guerrière exceptionnelle et un chef d’État exemplaire. Pendant plus de 40 ans, elle a dirigé les royaumes de Ndongo et du Matamba, situés dans l’actuel Angola. Elle était une combattante redoutable et une stratège militaire extrêmement efficace. Elle a tenu les envahisseurs portugais en échec plus de quatre décennies ! Elle est décédée en 1663 à 82 ans après avoir créé une lignée de femmes dirigeantes. Portrait des Amazones du Dahomey qui pendant deux siècles constituaient la garde rapprochée du roi du Dahomey. Les femmes ont toujours participé aux luttes pour la liberté de leurs nations et tandis qu’on les imagine souvent précieuses et délicates, elles n’ont jamais hésité à se saisir des armes pour protéger leurs enfants, leurs maris et leurs parents. Seh Dong Hong-Beh en est la parfaite illustration. Elle était la générale d’une armée de 6 000 guerrières, les Minos. C’est d’ailleurs son parcours héroïque qui a inspiré le personnage du général Okoye dans le film « Black Panther » des studios Marvel. Elle a infligé de graves dégâts aux troupes françaises qui tentaient d’envahir le royaume du Dahomey en 1851. Il faudra que ses adversaires se munissent de mitrailleuses pour venir à bout de la hargne et de la détermination de Seh Dong Hong-Beh et de ses guerrières. En constatant la puissance de feu des soldats français, les Minos refusèrent de capituler. Elles préférèrent sacrifier leurs vies pour ralentir l’avancée des soldats français. Telles sont les héroïnes que l’histoire passe sous silence. Gloria Richardson lors d'une protestation à Cambrige, Juin 1963. © Mike Morgan Les femmes ont toujours résisté face à l’oppression, mais pas nécessairement dans la violence. Kimpa Vita n'a pas mené sa rébellion en versant le sang, mais en propageant des discours de mise en garde contre les mensonges et les exactions que les Portugais perpétraient dans le gigantesque royaume Kongo au 16e siècle. Elle dénonçait les manipulations des missionnaires religieux qui sous couvert de la bible soumettaient le peuple Kongo et pillaient ses ressources. Elle invitait ses compatriotes au rejet de toute alliance ou commerce avec les Européens qui finissaient toujours par trahir et détruire. Elle encourageait ses frères et sœurs à être fiers de leur couleur de peau et de leur identité africaine. À cause de sa quête de justice et de liberté, elle fut arrêtée et torturée. Elle était enceinte, mais cette condition ne lui valut aucune pitié des missionnaires. Ils la brûlèrent vivante avec son bébé dans son ventre. Elle n'était âgée que de 22 ans. En Casamance, une autre meneuse est aussi un symbole de la lutte pacifique. Vers 1940, une guérisseuse de 18 ans, Aline Sitoé Diatta, provoque un boycott massif de la gouvernance française. Elle commence par initier un refus catégorique de toute activité ou règle imposée par les colons français. Par exemple, elle réussit à convaincre les paysans d’abandonner la culture de l'arachide exportée vers la France pour reprendre celle du riz qui nourrit les populations locales. Elle persuade également ses compatriotes de ne plus payer d'impôts. Grâce à elle, les hommes ne s'enrôlent plus dans l'armée française pour aller se faire massacrer au front pendant la Seconde Guerre mondiale. Devant la désobéissance croissante du peuple Diola, les colons français capturèrent Aline en 1943 et la torturèrent plusieurs mois avant de l’exécuter. Les combats pacifiques d'Aline Sitoé Diatta et de Kimpa Vita reflètent l’implication des femmes dans leur société, quels que soient les époques et les moyens. Et concernant les lieux, il n’y a pas qu’en Afrique que la femme a agit, dirigé, lutté et provoqué des progrès. On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes. Les femmes ont résisté pendant leurs captures en Afrique, pendant la traversée des négriers, et pour celles qui ont survécu, elles ont continué à résister, une fois déportées en Amérique et dans la Caraïbe. En Jamaïque, Nanny a fait la guerre aux Anglais pendant une trentaine d’années. À peine débarquée, elle s’enfuit et forme ses compagnons fugitifs à l’art de la guerre en milieu forestier. Elle tient son instruction militaire du peuple Ashanti d’où elle est issue. Elle provoque des dégâts si considérables qu’elle précipite l’abolition. Elle aurait libéré plus de 800 Africains lors d’attaques éclair dans les plantations. À Haïti, Sanité Bélair a vaillamment combattu les Français pendant la révolution qui a eu lieu entre août 1791 et le 1er janvier 1804. Elle était si efficace qu’elle a acquis le grade de lieutenant dans l’armée de Toussaint Louverture. En Guadeloupe, c’est Solitude qui, enceinte, pistolets aux poings, a généré d’énormes pertes du côté français. Au Brésil, c’est Dandara, une fugitive de l’état de Bahia, qui organise des raids dans les plantations portugaises pour libérer des captifs africains. Et des noms de femmes qui se sont placées au cœur des combats, il en existe une liste sans fin. Amelia Boynton (à droite de Martin Luther King Jr) Selma, 1965. © Amelia Boyton House. Cette tendance à participer activement au progrès vers l’émancipation et la justice ne s’est pas éteinte lors des dites « abolitions ». La ségrégation aux États-Unis a connu des opposants célèbres tels que Martin Luther King, Malcom X ou encore Huey P. Newton et Bobby Seale, mais encore une fois les femmes ne sont pas restées à l’écart du combat. En 1955, c’est la journaliste afro- américaine Jo-Ann Robinson qui a initié le boycott des bus de Montgomery. À la suite de l’arrestation abusive de Rosa Parks, Jo-Ann décide d’appeler la communauté noire de Montgomery à cesser d’utiliser les bus de l’agglomération. Son boycott est totalement suivi et se transforme en premier mouvement pacifique en faveur des droits civiques. Sans le savoir, cette femme ordinaire a déclenché un effet domino qui a mené à la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis. L’application du droit de vote est également due à une femme. En 1965, c’est Amelia Boynton Robinson qui a l’idée de la marche historique entre Selma et le capitole de Montgomery. Elle persuade 200 personnes puis l’opération se transforme en succès national avec 25 000 participants venus des quatre coins du pays. Gloria Richardson Dandridge, quant à elle, a milité du côté de Cambridge dans l’état du Maryland en organisant des actions de désobéissance civile avec un petit groupe de femmes noires. Quitte à se faire arrêter et parfois rouer de coups par les matraques des policiers, elles allaient s’asseoir dans des cinémas, des restaurants ou des bowlings réservés aux blancs. On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes. En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux. Winnie Mandela à Johannesburg, en décembre 1986. © Greg English. AP Un exemple flagrant de cette différence de reconnaissance est le couple Nelson et Winnie Mandela. En Afrique du Sud, Winnie Madikizela Mandela était aussi engagée que son mari dans le combat contre l’apartheid. Pendant qu’il était en prison, elle ne s’est jamais résignée. Elle a organisé des protestations très suivies, au point d’être emprisonnée 491 jours. Toutes sortes de tortures physiques lui ont été infligées durant son enfermement. Comme son tempérament trempé dans l’acier l’a empêché de craquer, les gardiens l’ont persécutée psychologiquement. Par exemple, ils mélangeaient des insectes morts à sa nourriture. Winnie a tenu bon et dès sa sortie elle a recommencé à militer. C’est grâce à elle que Nelson Mandela n’est pas tombé dans l’oubli comme les autres prisonniers politiques d’Afrique du Sud. C’est elle qui a maintenu sa situation dans l’actualité en l’évoquant à chaque manifestation. C’est également grâce aux démarches qu’elle a menées inlassablement pendant 27 ans que la lourde peine de Nelson s’est commuée en assignation à résidence puis en libération. En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux. Les femmes ont un rôle beaucoup plus important qu’on veut bien leur accorder dans l’histoire, mais celui-ci est minimisé, voire nié. Et des femmes qui impactent leur société positivement, il en existe partout dans le monde ! Récemment, c’est Marielle Franco qui a incarné la lutte contre l’oppression des démunis au Brésil. Née au cœur d’un complexe de seize favelas parmi les plus dangereuses de Rio, elle réussit ses études de sociologie et s'engage dans le militantisme en faveur des droits civiques. Elle réussit à se faire élire conseillère municipale afin de faire voter des lois qui protègent les femmes des violences et des inégalités. Son élection est une victoire retentissante pour les habitants des favelas, car elle prouve que désormais au Brésil il est possible d'accéder à des postes en politique même quand on est issu de la pauvreté, même quand on est noir et même quand on est une femme ! Malheureusement, cette transgression des standards fut de courte durée. Un an après son élection, le 14 mars 2018 Marielle Franco est exécutée de quatre balles dans la tête. Les différentes luttes qu'elle menait en faveur des défavorisés l'ont rendue trop subversive. D’autant qu’elle dénonçait publiquement la corruption du 41e bataillon de la police militaire de Rio. LIRE AUSSI | LE POUVOIR FÉMININ À L'ÉPREUVE DE L'ENTREPRENEURIAT Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. © Collection Smith / Gado / Getty Images Les femmes ont tenu des rôles essentiels dans tous les domaines. Et s’il en est un où elles sont souvent occultées, c’est la science. Ce champ se veut exclusivement masculin parce qu’il implique des capacités intellectuelles complexes. L’idéologie sexiste voudrait que les femmes soient moins dotées que les hommes concernant les compétences intellectuelles. De nombreux exemples jettent le discrédit sur cette théorie infondée. D’ailleurs, le plus grand progrès scientifique du 20e siècle a pu avoir lieu grâce à trois femmes. Ce sont Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson qui ont permis à la NASA d’envoyer le premier humain sur la lune. Elles ont bravé les lois de la ségrégation qui les écartaient des carrières scientifiques et elles ont surmonté l’obstacle d’être des femmes dans un milieu réservé aux hommes. Katherine Johnson est la surdouée des mathématiques qui a calculé la trajectoire du vol de Neil Amstrong vers la lune en 1969. Dans une ère sans informatique, ces calculs étaient restés impossibles à résoudre avant son arrivée. Dorothy Vaughan, ingénieur en informatique, a programmé le premier ordinateur de la NASA, celui qui a permis de planifier des vols plus rapidement. Mary Jackson, physicienne, a trouvé le conditionnement adéquat pour garantir une navette qui supporte la pression et la chaleur. Ces femmes ont accompli un triomphe légendaire et pourtant le monde n’a découvert leur existence qu’en 2016 au moment de leur biographie cinématographique « Les figures de l’ombre ». (…) la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs... Inutile d’invoquer d’autres exemples pour reconnaître que, quelles que soient les barrières que l’on dresse sur son chemin et les portes qu’on lui claque au nez, la femme vient à bout de tout type d’adversité. Sa puissance était reconnue à l’aube de l’humanité et malgré des siècles d’infériorisation, elle reste toujours aussi évidente. Peu importe le nombre de nuages que l’on place devant elle, la femme illumine le monde. En attendant que la société se décide à laisser sa puissance astrale s’exprimer librement, la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs, elle le fera dans l’ombre de ceux à qui elle murmure les décisions à prendre et les directions à suivre, elle le fera en gagnant un peu plus de droits chaque année. Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira «  Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles . ».

Shaïna Bihary | Au Comptoir de Grem

Shaïna Bihary | Au Comptoir de Grem

Propos recueillis par Ken Joseph
Photos : Éric Corbel À peine ses études finies et un court passage sur les bancs du salariat, à seulement 24 ans Shaïna Bihary est déjà son propre patron et fait partie de cette génération «  même pas peur  » qui en quête de sens et de réalisations ose bouger les lignes. Comme un besoin de liberté. Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours perçu la femme comme étant battante, courageuse et libre d’être. Pourtant, on entend souvent dire qu’être une femme est un handicap lorsque l’on entreprend ou pour toutes choses. D’ailleurs, il m’a été glissé que le fait d’être une femme me causerait plus de mal à créer mon entreprise que si j’étais un homme. Pour moi, c’est mettre des barrières sur quelque chose qui ne répond pas au genre. C’est d’ailleurs au moment où j’ai créé mon entreprise que je me suis sentie le plus femme. (…) j’ai réalisé que je me sentais plus à l’aise lorsque j’avais une certaine liberté d’organisation et de décision. C’est à ce moment précis que se dessine mon intérêt pour l’entrepreneuriat. Enfant, je me sentais vraiment différente des autres. Quand mes camarades de classe projetaient d’être pompiers ou policiers, je rêvais d’être chanteuse lyrique. À quatre ans, je répétais sans cesse à ma mère que je voulais faire de la musique et dès l’âge de cinq ans, j’ai pu intégrer le conservatoire national de Bobigny, en région parisienne, pour des cours d’initiation à la musique. En temps normal, l’initiation s’étale sur une année scolaire, mais mes professeurs m’ayant décelé des prédispositions à la pratique m’ont octroyé quelques mois plus tard l’accès à de véritables cours individuels de violon. En parallèle à ces années passées au conservatoire, j’ai suivi un cursus scolaire général qui a abouti à un baccalauréat scientifique à l'âge de 17 ans avec une réelle volonté d’être médecin. Pour moi, la musique et la médecine ont une chose commune : le pouvoir d’aider les gens. Malheureusement, ma première année de médecine a été mon premier échec… Je trouvais difficile d’apprendre machinalement des choses qu’on ne vous explique pas, le but étant de suivre sans poser de questions. Suite à cela, j’ai énormément douté de mes capacités intellectuelles et du choix de mon orientation scolaire. C’était une évidence, voire une obligation pour moi d’être diplômée. J’ai finalement décidé de prendre une année sabbatique, afin de prendre du recul sur mes études. Durant cette période, j’ai aussi décidé de me lancer dans le monde du travail. De gauche à droite : Fabienne Dufait-Dacalor (Yotaena), Shaïna Bihary (Au Comptoir de Grem), Catherine Linel ( responsable de la communication et du marketing chez BNP Paribas Antilles-Guyane) et Anne-Gaëlle Lubino (Le Café Papier). © Éric Corbel. Mes premiers pas, en tant que salariée, n’ont pas été faciles. Je me demandais toujours : «  Pourquoi ils font ainsi, et pas autrement ?  » Dans les différents postes que j’ai pu occuper, j’arrivais, de façon naturelle, à effectuer mes tâches dans des délais relativement courts. Dans certaines entreprises, cela était bien perçu des collègues, mais dans d’autres cela n’apportait, malheureusement, que jalousie. Après coup, j’ai réalisé que je me sentais plus à l’aise lorsque j’avais une certaine liberté d’organisation et de décision. C’est à ce moment précis que se dessine mon intérêt pour l’entrepreneuriat. Un intérêt qui s’est accentué lors de mon installation en Guadeloupe, où j’ai eu la chance de travailler dans le domaine des spiritueux et du tabac. Une expérience qui m’a énormément plu. Je me suis tout de suite vu tenir ce type de boutique en y apportant ma touche. Au comptoir de Grem. Avec ma mère, nous discutions souvent de nos projets. Elle était très emballée par mon idée et souhaitait qu’on ouvre cette boutique en devenant associé. Habitant Petit-Bourg, la zone de Colin nous a semblé le lieu idéal pour ouvrir un tabac/cave. Il était cependant difficile de trouver un espace dans cette zone au moment de nos recherches. Nous avons donc commencé à chercher ailleurs où il manquait ce type de commerce. Jusqu’au jour où en repassant à Colin, nous avons vu un local à louer. Nous avons donc demandé à le visiter, ce qui nous a vite convaincu qu’il était parfait pour le projet. Finalement, ma mère m’exhorte à passer à l’acte et d’ouvrir seule cette boutique que j’avais en tête. Grâce à son soutien financier, mais surtout moral, j’ai pu me lancer sans grande peur ou difficulté. Je savais que je ne serais pas seule et cela m’a permis d’aller jusqu’au bout, sans abandonner. Mon concubin m’a aussi soutenu et permis de m’investir pleinement dans la création de mon entreprise. Mes frères m’encourageaient, mais pour les autres membres de ma famille je n’ai soufflé mot de la création de mon entreprise qu’une fois la boutique ouverte, car je voulais leur faire la surprise. LIRE AUSSI | AVEC ELLES, BNP PARIBAS S'ENGAGE. La création de mon entreprise n’a pas été simple. J’avais 23 ans quand j’ai entamé les démarches au vu du financement de ma société. Difficile pour une banque de faire confiance à une jeune femme sans solide expérience dans le domaine, mais BNP Paribas a su tendre l’oreille et me laisser ma chance. J’ai pu expliquer l’ampleur de mon projet lors d’un rendez-vous et avoir une réponse rapide par la suite. J’ai eu la chance d’avoir des interlocuteurs qui ont fait de leur mieux pour effectuer les démarches dans les meilleurs délais et suivre mon dossier jusqu’au déblocage des fonds. C’était un véritable soulagement d’être aussi bien entourée, car c’est un véritable parcours du combattant, d’autant plus pour les démarches administratives. Pour exemple, l’étape de la CCI a été complexe pour les formalités liées à la vente de tabac : il a fallu six semaines pour valider mon dossier alors que quinze jours sont habituellement nécessaires. Cependant, même après l’ouverture, il y a toujours des difficultés, que ce soient les travaux qui ne se passent pas comme prévu ou encore un fournisseur qui a oublié votre commande. Mais rien d’insurmontable, on trouve toujours des solutions ! Si je devais recommencer les choses, je ne ferais pas tout à l’identique, car il est toujours possible de s’améliorer. Mais avant d’y penser, j’ai beaucoup d’idées concernant le développement de ma boutique, mais tout vous dire ici ne ferait que gâcher la surprise !

Anne-Gaëlle Lubino | Le Café Papier

Anne-Gaëlle Lubino | Le Café Papier

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel C’est confiante et après plus de dix ans passés en tant que salariée qu’Anne-Gaëlle Lubino prend la décision de tout abandonner et de passer à l’acte en créant son entreprise. Un défi de taille que la jeune entrepreneure compte bien relever. Une succession d’étapes. Il me semble, sincèrement, que je n’ai pas eu ce que l’on appelle de rêves d’enfant… Ma mère me raconte souvent que je l’imitais dans son travail, mais me confirme que j’ai toujours aimé beaucoup de choses, sans exprimer d’aspirations particulières. Concernant mes envies de métier, j’ai voulu être sage-femme, enseigner le français à l’étranger, être juge pour enfants, puis juriste d’entreprise, avant de devenir responsable RH. En réalité, je ne me suis jamais dit : « Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes. Mon premier emploi a commencé par un stage de fin d’études dans un cabinet de chasseur de têtes, à Paris. Pour une première expérience, il était assez insolite de comprendre qu’il fallait ruser pour entrer en contact avec des personnes en poste et manœuvrer pour susciter leur intérêt pour un nouveau poste. L’ambiance dans l’entreprise était plutôt moyenne, mais une chose me motivait au quotidien : avoir été spécialisée dans la recherche de profils à l’international. Je ne peux pas dire que je me sois sentie intégrée dans l’équipe ou dans l’entreprise, ni même dans les autres postes que j’ai occupé dans d’autres cabinets. Cette sensation que nous n’étions pas issus du même monde, culturellement et en matière de valeurs. Quoi qu’il en soit, je suis revenue en Guadeloupe au départ pour me ressourcer. Je venais de mettre en œuvre un plan de licenciement collectif, incluant mon propre poste, qui m’avait beaucoup éprouvé humainement, émotionnellement et beaucoup questionné sur mon rôle dans l’entreprise, sur celui que j’avais joué dans la vie de ces personnes. J’étais épuisée et commençais à considérer que je n’étais pas faite pour les ressources humaines. En pleine réflexion sur la suite de mon parcours et afin de rester active, je me suis inscrite en master 2 de droit des affaires à l’université des Antilles et de la Guyane et je continuais à passer des entretiens. Celui que j’ai passé chez Wab Assurances a été un véritable coup de foudre professionnel. Et voilà comment j’ai commencé à travailler en Guadeloupe, dans cette entreprise de valeurs, pendant ma plus longue et plus intéressante expérience professionnelle, qui a duré presque neuf ans. Le café papier, un lieu pensé pour tous. En réalité, je ne me suis jamais dit : «  Ah ! Je vais créer une boîte, je vais devenir chef d’entreprise  ». J’ai plutôt vécu cette création comme une succession d’étapes. J’ai commencé à me mettre en action quand l’idée que j’ai eue d’un lieu a commencé à prendre tellement de place dans ma tête que je devais choisir entre : la creuser pour en établir la viabilité ou la ranger bien au chaud dans le tiroir des « et si ». J’ai écrit, peaufiné, compté, projeté, je me suis fait accompagner pour ne rater aucune étape dans cette exploration. Quand il s’est avéré que ce projet pouvait tenir la route, j’ai dû choisir entre maintenant et un jour, vous connaissez la suite. Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit. Certains ont été surpris par ce choix tout au début, sachant que j’étais bien dans mon travail et que j’aimais mon équipe. Mais très rapidement, tous ont compris qu’il ne s’agissait pas de m’en échapper et que je travaillais sérieusement à l’idée. Eddy, mon compagnon m’a tout de suite dit : banco. Il est chaque jour un peu plus dans le projet. Ma mère et lui sont mes piliers. J’avoue m’être dit plus d’une fois : «  Mais qu’est-ce que tu fais ?! Tu étais bien, là tu as tout chamboulé et tu as des trucs dont tu n’avais aucune idée à gérer !!!  » Je n’ai jamais envisagé d’abandonner. Je vois toujours tout comme une addition de blocs logiques ou pas (rires). Peut-être des restes des études juridiques. Du coup une fois que j’avais mis le pied dedans, je traitais un bloc, puis un autre, puis le suivant, en gérant tout ce qu’il y avait dans chacun d’eux. Passés les moments où la question était encore d’y aller ou non, les sujets qui pouvaient provoquer de la peur sont aujourd’hui des objets de questionnements, qui me poussent quotidiennement à faire des choix, à trouver des solutions. Le Café Papier est un café-salon de thé, dans lequel on peut également acheter des livres et de la papeterie. Il propose aux personnes qui en ont besoin un lieu confortable où se poser, seul ou à plusieurs, pour lire, travailler, se restaurer avec des produits frais fait maison, du petit-déjeuner (7 h) au début de soirée (19 h). L’idée de ce concept est de proposer en un lieu le confort, le goût de la déco, de la gourmandise…, pour que chacun puisse prendre le temps d’y trouver ce dont il a besoin. Un lieu de rendez-vous, de travail, de loisirs, de rencontres, d’échanges. Ce lieu est celui que j’ai souvent eu envie de trouver durant mes journées de travail, une pause dans l’effervescence de Jarry pour me poser avec un thé, écrire… Cette idée est venue de l’envie de proposer cette parenthèse à tous. Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1, l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions… De gauche à droite : Fabienne Dufait-Dacalor (Yotaena), Shaïna Bihary (Au Comptoir de Grem), Catherine Linel ( responsable de la communication et du marketing chez BNP Paribas Antilles-Guyane) et Anne-Gaëlle Lubino (Le Café Papier). © Éric Corbel. Comme pour beaucoup, l’argent est une des pierres angulaires. Je n’ai pas su au départ le timing dans lequel faire les choses, car j’ignorais les délais, la méthode, etc. Je me suis d’abord adressée à Initiative Guadeloupe, structure au sein de laquelle j’ai rencontré un conseiller très consciencieux avec qui j’ai refait un important travail préparatoire, d’écriture et de projection. À cette période, j’ai également sollicité une amie, salariée chez BNP Paribas, afin qu’elle m’explique comment cela fonctionnait. Son aide a été déterminante. Déjà, parce qu’elle m’a expliqué le fonctionnement du financement d’entreprise, mais également parce qu’elle m’a présenté à l’expert chez BNP Paribas. Comme elle me l’avait affirmé dès le départ en me parlant du soutien féministe de BNP Paribas, depuis le jour 1 l’expert crédit et mon conseiller forment un duo qui m’a accompagné dans toutes les étapes de la mise en place de ce financement avec réactivité, patience face à mes nombreuses questions, pédagogie devant mon inexpérience et une omniprésence qui a fait que même angoissée par tout ça, je ne me suis jamais sentie seule. Elles sont même venues visiter le local ! Je suis très reconnaissante de tout cet accompagnement, qui du coup, est loin d’avoir été uniquement financier. Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir. Je ne parlerais pas encore d’équilibre à ce stade, parce qu’un lancement absorbe beaucoup de temps, d’énergie, de concentration, d’émotions…, que ma vie personnelle doit donc partager. Je fais tout de même attention à protéger des moments et des espaces personnels, mais le temps n’étant pas extensible, cela implique par exemple de me remettre à travailler plus tard, quand tout le monde est couché ou à trouver l’énergie de faire ce que l’on fait tous une fois rentré chez nous : l’intendance, la présence après des journées à courir sans parfois prendre le temps de déjeuner. Pour l’instant, ce rythme est nécessaire et je choisis de le tenir, grâce au soutien de mes proches. Tant que ça fonctionnera, je continuerai, tout en m’organisant un maximum pour ne léser aucun pan de ma vie. LIRE AUSSI | AVEC ELLES, BNP PARIBAS S'ENGAGE Mental d'entrepreneure. Selon moi, «  parce que c’est une femme  » n’a jamais été en soi un motif suffisant ni pour justifier le mépris ou l’irrespect, et pas plus pour obtenir des traitements de faveur. Être une femme implique de gérer des choses que ne gèrent pas les hommes. Cela se respecte, mais ce n’est pas un passe-droit. Or, il me semble que c’est la société, justement avec sa vision de la femme et le traitement qui en découle qui génère des réactions combatives ou de victimisation. On m’a souvent fait comprendre qu’être une femme est un handicap. Ou en tous les cas dans un certain cadre. Ce qui m’insupporte, c’est le fait que ce soit une donnée induite. Un non-dit évident. Quand on me demandait qui était le DRH alors que c’était moi. Quand on me demande ce que je fais de ma fille dans la construction de ma vie professionnelle ou que des artisans du bâtiment discutent entre eux de choix qui m’incombent et sont surpris que j’aie un avis. Ou encore quand on me demandait qui j’accompagnais dans la création du Café Papier. Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt ! Des erreurs, j’en ai fait plein ! Mais ce que l'on peut considérer comme des erreurs sont ma source principale d’apprentissage, au quotidien. Et même si je ne voyais pas les choses ainsi, cette aventure de création force à accélérer ma résilience : pas vraiment de temps pour s’apitoyer ou s’énerver, il faut rebondir vite, trouver une solution, choisir. J’aimerais surtout inscrire durablement le Café Papier dans la liste des établissements de qualité. Si c’était à refaire, je ferais la même chose, mais probablement dans un autre ordre, avec plus de garde-fous et des vitamines beaucoup plus tôt !

Vincent Tacita | Qualistat

Vincent Tacita | Qualistat

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure Pragmatique, minutieux, brillant… Vincent Tacita incarne une intelligence élégante, étrangement pudique, qui se traduit également par une façon d’approcher la dimension business de son secteur avec finesse. Rencontre d'un homme pressé, un sportif addict, content de lui, mais aussi fort sympathique. Sa fierté ? «  C’est de voir la boîte encore bien debout avec de réelles possibilités de développement  ». Devenir. Comment dire ? J’étais, comme je suis encore, assez rêveur, parfois la tête dans les nuages et assez curieux du monde. Je remercie tous les jours mes parents de m’avoir façonné ainsi, parfois malgré eux. Je suis le benjamin d’une famille de trois enfants. Presque tous juristes – en fait, tous, sauf ma mère. Petit, j’ai pensé à faire comme mon père, mais étant le dernier, mon frère et ma sœur avaient déjà pris ce créneau. Comme j’avais d’assez bons résultats en science, je me suis orienté vers un cursus scientifique au lycée. Manman pa té ka ri avè lékòl la menm ! Elle-même était professeur et j’avoue que ma forte propension au bavardage m’a valu quelques belles remontées de bretelles sur lesquelles je ne m’étendrai pas ici. À aucun moment, je n’ai envisagé de m’implanter ailleurs : ce pays nous appartient, à nous de le faire progresser. Les valeurs, c’était : travay an lékòl a moun la é pa fè fényan . Je me rappelle que j’allais à l’école et au collège jusqu’au dernier jour. En 4e au collège du Raizet, nous étions trois en cours de récréation un beau jour du mois de juillet. Manman pa démòd ! Les vacances se passaient pour partie chez les grands-parents, à Petit-Canal et à Anse-Bertrand, et l'autre à voyager (Europe, Caraïbe, Amérique…). Des voyages qui étaient toujours assortis de pédagogie (musées, marche et découverte de botanique, de végétaux…), même s’ils étaient toujours marqués par la détente et le repos. Je voulais être médecin et plus précisément chirurgien en traumatologie. Plus jeune, j’ai passé beaucoup de temps dans des chambres d’hôpital et je voue un respect sans borne à quelqu’un que je déifie – pour le coup un véritable bâtisseur – : Hyacinthe Bastaraud. C’est grâce à lui si je marche, six longues opérations, tout de même. Et je me disais ado, que sauver des vies, et réparer des gens, c’était top ! Mais le cursus trop sélectif a eu raison de moi. Il est vrai qu’à l’époque, jeune étudiant parti à Paris (Hôpital Broussais Hôtel Dieu), je m’intéressais plus à la pratique du basketball – ma passion – qu’aux études. Conséquence inévitable : j’ai échoué lamentablement à obtenir le classement me permettant d’envisager la chirurgie. Tout ça à cause de l’épreuve de chimie où j’ai brillé avec un 4/80. C’est peu. Revanchard, je me lance à corps perdu dans des études de chimie ! Et je comprends que travailler à fond, ça paie. Je ne sors pas beaucoup – deux fois par an, pour le carnaval et le 31 décembre – et c’est tout. Je travaille H24 durant l’année universitaire, pour que les vacances soient entièrement consacrées à l’amusement : un temps pour tout. Une fois cette recette mise en place, tout roule. Après avoir terminé mon cursus purement scientifique, je me rends vite compte qu’en Guadeloupe, je ne m’épanouirais pas dans la recherche en chimie. Je repars donc préparer un 3e cycle à l’ESCP : choc de cultures garanti entre les scientifiques que nous étions, mes coreligionnaires et moi-même (en jean et pull) et les étudiants d’école de commerce, en pantalon blazer. Mais choc enrichissant ! À ce moment, les habitudes de travail étant déjà prises, tout se déroule bien. Je termine mon cursus par un stage et je rentre en Guadeloupe où le chômage m’attend, malgré une offre d’emploi en France. À aucun moment, je n’ai envisagé de m’implanter ailleurs : ce pays nous appartient, à nous de le faire progresser. Là encore, remerciements infinis à mes parents, à mon environnement, de me l’avoir enseigné. Le retour est pour moi une évidence, ce d’autant que la Guadeloupe fait progresser ses enfants, bien plus que l’on ne le croit. Le récit. Soyons honnêtes, les premiers souvenirs étaient plutôt là pour doucher nos espoirs : «  une boîte de statistiques et de marketing ? En Guadeloupe ? Mais pour quoi faire ?  » Je me rappelle avec émotion d’un conseil avisé qui m’avait été donné : « a vec votre formation scientifique, pourquoi ne pas aller travailler à Thiais : il y a là-bas une magnifique coutellerie  ». Évidemment, les clients sont très peu nombreux : je commercialise des piscines pour survivre, je fais un peu de formation, Éricka donne des cours de maths… À aucun moment, cependant, nous n’avons regretté notre retour ou pensé à repartir. Cela ne faisait même pas partie de notre équation personnelle. Éricka et moi-même sommes associés à parts égales, directeur d’études. Elle a bien plus de patience que moi et adore répondre aux appels d’offres. Elle est donc plus en relation avec les collectivités. Conséquence, je travaille un peu plus avec le secteur privé et les politiques – parce que j’aime ça. En réalité et vis-à-vis de nos clients, nous sommes vraiment interchangeables. Nous échangeons beaucoup avec d’autres dirigeants ici et ailleurs, mais les spécificités de nos marchés sont tellement saillantes que la formation acquise sur les bancs des écoles, aussi prestigieuse soit-elle, résiste rarement aux affres du quotidien. Les sacrifices ? On passe du temps, beaucoup de temps au boulot. Et comme il s’agit d’analyse de données ou de conseil, on bosse aussi à la maison. Cela peut faire des dégâts dans le couple si les conjoints ne sont pas «  on the same page  ». Avec l’expérience, on est mieux organisé, mais le métier du conseil demeure très chronophage. Il faut donc avoir une sacrée résistance au travail. Tout le monde connaît cette antienne : un consultant voit partir son collègue du bureau à 20 h et lui lance : «  tiens, tu as pris ton après-midi ?  ». Ce n’est pas loin de la vérité. À 20 ans, je ne savais pas du tout que j’allais monter une boîte. Je pense avoir un management participatif. Il est vrai que nous n’avons que des bacs +5 comme salariés et que cela facilite peut-être le mode de gestion. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il faut toujours être à l’écoute, ce d’autant que nous avons des personnalités en acier trempé chez nous. C’est passionnant pour le brainstroming, mais il y a parfois de l’électricité dans l’air. J’ai également tendance à laisser beaucoup d’autonomie, parfois trop : il faut alors faire le pompier et ça demande du temps. Éricka et moi échangeons beaucoup, tout le temps. Depuis nos débuts, nous partageons le même bureau pour conserver cette proximité et échanger sur les cas compliqués ou simples. Je nous considère un peu comme des artisans du conseil. Chaque cas est différent. Le monde est complexe, il y expose toutes les nuances de gris. Sauf que nos clients attendent souvent de nous le «  go  » ou «  no go  ». Il faut donc aller vite en prenant son temps, en imaginant le plus grand nombre de cas possible, ce qui est compliqué parce que nous essayons d’anticiper le comportement du consommateur, de l’usager, du citoyen… Avec le recul, nous sommes conscients d’être perçus comme plus grands que nous ne le sommes. Il est vrai que nous sommes demeurés indépendants et que nous sommes leaders sur notre marché, mais nous ne sommes pas encore Andersen consulting  ! Qualistat nous a vraiment permis d’embrasser nos sociétés plus que nous le faisions déjà. Cette fenêtre particulière, chiffrée, dont nous disposons nous permet de mieux comprendre certains phénomènes. Ou de les voir arriver plus vite que le citoyen lambda. Évidemment, nous avons beaucoup de déplacement : Martinique, Guyane, îles du Nord, la Réunion, Haïti… et nous essayons d’avoir à chaque fois un regard neuf. Et c’est très enrichissant. Le taux de chômage qu’il y a chez nous explique en grande partie ce foisonnement entrepreneurial. QualiStat est segmentée en deux entités : l’une qui s’occupe de l’administration des enquêtes, qui s’appelle QualiSec et l’autre de l’analyse des enquêtes (QualiStat). Depuis plus de 10 ans, nous nous occupons également d’une société spécialisée en gestion de la relation client : Omérys. Nos clients sont essentiellement des entreprises privées et nous faisons en sorte qu’ils puissent se recentrer sur le cœur de métier. Nous nous occupons du reste et notamment de leur fidélisation. Nous accompagnons aussi les petites entreprises et les libéraux puisque nous traitons leur standard, le rendez-vous. Enfin, pour des clients plus importants, nous avons une activité de hot-line technique, avec des informaticiens, de responsables administratifs. Nous nous appuyons techniquement sur un data center qui nous est propre – le seul data center indépendant en Guadeloupe – et qui peut, lui aussi proposer des services et des produits aux grandes entreprises. Pour gérer ces entreprises… ben ou paka dòmi on lo . Nous avons un responsable d’exploitation et deux superviseurs qui gèrent les hommes. Nous nous occupons de la partie commercialisation et des grands projets. Comme je l’ai dit plus tôt, la vie privée prend un coup. Soit le conjoint est chef d’entreprise et comprend le temps et l’énergie que vous y mettez, soit il ne l’est pas et la communication est essentielle. Sinon, ça fait mal aux dents. Quand on sait qu’une union sur deux débouche sur un divorce, on imagine les dégâts chez les chefs d’entreprise : le ratio est plutôt de deux échecs sur trois tentatives ! Sa vision. Le taux de chômage qu’il y a chez nous explique en grande partie ce foisonnement entrepreneurial. À 20 ans, je ne savais pas du tout que j’allais monter une boîte. C’est arrivé en Guadeloupe que je me suis dit que j’allais travailler avec ma camarade de classe, sans avoir forcément une vision d’entrepreneur classique. En gros – et beaucoup vous le diront –, je créais mon emploi. Et ce faisant, je m’amusais en faisant quelque chose de différent, de novateur sur mon marché. Je ne voyais pas cela comme un ascenseur social : il s’agissait simplement de bosser ! Je refuse de porter ce regard noir envers nous-mêmes. Il nous dessert collectivement. Et pendant ce temps, d’autres trouvent les conditions idéales pour venir s’installer et travailler en Guadeloupe. Awa ! En réalité, nous sommes les premières générations à avoir, en moyenne, des revenus inférieurs à ceux de nos parents, ou plus précisément un pouvoir d’achat inférieur à celui de nos anciens. De même, nous avons intégré que la fonction publique n’était plus la panacée. Ce d’autant qu’il n’est plus possible d’y recruter aussi facilement qu’avant. La réussite à un concours est nécessaire et la réduction de la voile publique est désormais la norme. LIRE AUSSI |ÉRICKA MÉRION –  QUALISTAT Je pense réellement qu’il est possible de travailler ensemble en Guadeloupe. Beaucoup de nos proches nous ont mis en garde : si vous êtes à parts égales et que ça coince, vous ne pourrez rien faire ! Nous avons quand même tenu à conserver ce principe de fonctionnement. Et nous discutons, nous échangeons. Quand l’un parvient à convaincre l’autre, on avance et l'on ne regarde pas en arrière. Je pense justement que cette méfiance de nous-mêmes est autoréalisatrice. Plus nous pensons que nous ne parvenons pas à travailler ensemble, moins nous le ferons. De même, je ne vois pas de fantchouisme. Je sais que ce néologisme tout Nuissierien est très en vogue, mais très peu pour moi. Les gens défendent leur « beef steak » et/ou leurs idéaux dans un petit marché. Cela fait des victimes ! Quand on nous accuse de vouloir impacter les résultats d’une élection, que voulez-vous que nous répondions à ça ? D’autant que la même chose se passe en France ! Quand la presse est plutôt macroniste est-ce que ça veut dire qu’ils sont fantchou envers Le Pen, Hamon et Mélenchon ? Non, ça veut dire qu’ils défendent les intérêts de leur poulain. Alors non, je refuse de porter ce regard noir envers nous-mêmes. Il nous dessert collectivement. Et pendant ce temps, d’autres trouvent les conditions idéales pour venir s’installer et travailler en Guadeloupe. Awa ! Nous devons nous serrer les coudes. Je trouve que les politiques de tout bord embrassent de mieux en mieux la nécessité de faire vivre l’entreprise locale. Malheureusement, la fragilité des collectivités, parfois exsangues, met en danger de mort les entreprises. Nombreux sont les entrepreneurs ayant été contraints de mettre la clé sous la porte du fait de délais de paiement trop longs de la part des collectivités locales, parfois de la part de l’État ! Mental d’entrepreneur. L’équilibre est compliqué à trouver. Je suis assez solitaire, mais j’ai en même temps une vie sociale assez riche. Milieu associatif, club service, éducation…, en fait, j’ai besoin d’activité. Mon refuge, c’est la natation. Je nage quasiment tous les jours en allant à l’îlet du Gosier. Quel que soit le temps, seul ou accompagné, parfois en faisant des sorties plus longues. Cela m’apaise, é kòm an ka najé byen. C’est important d’avoir des passions, des hobbies. Le sport (le basket-ball et la natation) en est. Il faut donc bien le faire, s’astreindre à le faire. Le travail aussi. Je pense que c’est pour cette raison que nous sommes encore aussi proactifs. J’ai donc tendance à être très exigeant envers moi et envers les gens que j’aime. Je conçois que ce soit parfois dur à vivre, mais je veux bien être le premier à faire mon autocritique et à me moquer de moi – même si je suis têtu quand j’ai une idée dans la tête. Je ne suis donc pas certain d’être un leader : je ne sais pas si ça donne envie de bosser 70 h par semaine et de se coucher à pas d’heure. Je tiens heureusement de ma famille pour cela : nous n’avons jamais beaucoup dormi. Mon grand frère a juste besoin de 4 à 5 heures, mon père aussi. Et je remercie ma maman : quand je rentrais de soirée au petit matin, quelle que soit mon heure d’arrivée 5 h ou 6 h, à 7 h, elle me réveillait en inventant une activité urgente : laver les voitures, passer la tondeuse, amener le chien chez le vétérinaire. Ça forge ! (…) une entreprise naît, grandit, vieillit et meurt. C’est un cycle normal. Il faut simplement veiller au bien-être de ses collaborateurs en cas d’arrêt impromptu. S’il y a une fierté, c’est de voir la boîte encore bien debout avec de réelles possibilités de développement. Nous sommes très pragmatiques, il ne s’agit pas de vision rêvée : peut-être justement que notre secteur d’activité nous oblige à avoir les pieds sur terre. Non, nous ne serons pas millionnaires. Mais est-ce bien là l’essentiel ? Pour ma part, l’important est d’être reconnu comme de bons – ou excellents – professionnels. Nous savons par expérience que la qualité du travail ne protège pas de l’échec. L’une de nos entreprises a dû fermer, simplement parce que son secteur d’activité, chez nous, la rendait fragile : le marché potentiel n’était que de trois à quatre clients. Nous en avions un qui a souhaité interrompre nos relations, non pour des raisons de qualité, mais pour des motifs de manque de compétitivité. Cela a été difficile, mais nous avons pu le faire sans trop de bobos, ce qui n’a pas entaché notre détermination à continuer d’entreprendre ! Aujourd’hui, l’essentiel est d’envisager toutes les possibilités : une entreprise naît, grandit, vieillit et meurt. C’est un cycle normal. Il faut simplement veiller au bien-être de ses collaborateurs en cas d’arrêt impromptu. Le génie guadeloupéen. Je vous en ai mentionné un, Hyacinthe Bastaraud. Boug la sòti Marigalant é fin pwofésè. Émérite ! Je me prosterne à jamais. Sauver des vies ? Au-dessus, c’est le soleil. J’admire aussi les gens qui inventent. En culture, par exemple. Les plus jeunes ne se rendent pas compte que nous avons deux Guadeloupéens, Pierre-Edouard Décimus et Jacob Desvarieux qui ont littéralement inventé un style musical. Oui, là il s’agit d’inventeur, comme de Vinci, Nemours Jean-Baptiste – et son konpa direk orijinal. Non seulement ils ont inventé un style qui perdure, mais qui a fait des petits de par le monde (la Kizomba en Angola). Éricka et moi partageons cette passion pour Kassav. En concours de chant, difficile de nous mettre à défaut. Une pensée émue à un petit bout de femme, qui crée, elle aussi, dans le domaine de l’art. Anais Verspan a vraiment un talent particulier, qu’elle a longtemps conservé à l’abri des regards. Elle explose maintenant au visage du plus grand nombre, pour le bonheur de beaucoup. Plus près de nous, il y a des créateurs qui ont en commun avec nous une idée toute particulière du pays : Henry Joseph et ses laboratoires Phytobòkaz doivent être considérés, selon moi, comme un phare. Ce d’autant qu’il évolue dans un secteur d’activité liée à la santé, à la sauvegarde de ce que nous sommes. Et qu’il prône l’excellence de ce que nous sommes, de ce que nous avons. Nous sommes bien loin du « fantchou » ! Conquérir. Nous souhaitons être plus dynamiques sur nos marchés « non natifs » : la Martinique, la Guyane, la Réunion, Mayotte. Cela demande de l’énergie, des moyens financiers – la notoriété de l’entreprise nous précède et un jeune diplômé aujourd’hui n’est pas nécessairement prêt à faire les sacrifices que nous avons faits. Il y a encore de grandes possibilités de développement, mais la compétition y est rude : nous le savons puisque nous y sommes déjà. Omérys va chercher à élargir son portefeuille de clients : davantage de « petits comptes » et de professions libérales, quelques gros poissons (compagnies aériennes, secteur bancassurance). L’automatisation des process est inévitable. Malheureusement, ce faisant, les possibilités d’embauches sont réelles, mais les profils recherchés sont plus spécialisés : les places sont donc chères ! Éricka et moi partageons ensemble toute idée d’entreprise que nous avons. Et nous nous associons systématiquement à parts égales. Preuve que nous sommes des conservateurs : nous reproduisons le même schéma, en améliorant les process tout simplement. Entreprendre pour moi c’est se faire confiance donc faire confiance à d’autres. Sinon, cela ne peut pas marcher ! «  Seul, on va plus vite, à deux ou trois on va plus loin  ».

Éricka Mérion | Qualistat

Éricka Mérion | Qualistat

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Singulière, dans une sincérité peu courante, libre dans sa façon d’habiter le monde, Ericka Mérion ne peut concevoir la vie autrement que par l’action. Sa force ? Une maîtrise quasi parfaite de sujets tant économico-politique ou encore sportif. Mais surtout une réelle lucidité du monde qui l’entoure. Portrait d’une entrepreneure aux multiples facettes, inspirante et qui surprend par sa tranquille aptitude à être avant tout elle-même. Une passion particulière. Enfant, je me rêvais championne de judo puis travaillant dans le domaine du sport, ou avec des sportifs. J’ai toujours été une passionnée de sport et je le suis encore. J’avais ce besoin perpétuel de me dépenser. Alors, j’ai touché à tous les sports : handball, tennis, judo, basket-ball, football, natation, tennis de table, course à pied… Je me suis même essayé à la planche à voile. Lorsque nous étions au collège, mon cousin et moi, nous étions capables de nous lever à 4 h du matin, pour quitter Pointe-à-Pitre en footing, avec une raquette à la main, de courir jusqu’à Bas-du-Fort pour profiter des courts de tennis et de revenir en auto-stop pour être au collège à 8 h 00. Nous nous lancions chaque fois que nous le pouvions de nouveaux défis sportifs. Notre imagination était en permanence mobilisée par la création de nouveaux challenges. Je crois que j’ai toujours aimé ce dépassement de soi et le bien-être que procure le sport. On finit par s’habituer aux endorphines, à l’adrénaline. Mais le judo a toujours été mon sport de prédilection, une passion particulière. J’ai voulu redonner au judo ce qu’il m’avait apporté. Du coup, je me suis investie à la ligue de judo de Guadeloupe. J’y suis restée dix ans à m’occuper spécifiquement de la communication et des relations avec la presse. J’étais arbitre. Dans l’absolu, je le suis toujours, mais je pense qu’une petite session de mise à jour par rapport aux nouvelles règles serait nécessaire si je devais arbitrer de nouveau, ce qui d’ailleurs n’est pas exclu. Il y a quelques années avec deux copains judokas de mon club, nous avons monté un groupe d’entraînement pour adultes débutants. En fait, quand on y réfléchit bien, on se rend compte que c’était un projet un peu égoïste, puisque nous nous faisions plaisir en permettant à des personnes qui n’avaient que peu fait de sport auparavant et surtout pas de judo de découvrir notre discipline et de partager notre passion. Malgré toutes ces activités dans le judo, je ne suis pas sûre d’avoir déjà soldé le compte, tant ce sport m’a apporté et a façonné la personne que je suis aujourd’hui. Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question « qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça ». Je dois avouer que ma passion pour le sport ne se limite pas à la pratique. Il y a des sports qui me procurent un plaisir fou tout en étant spectatrice, et même téléspectatrice. Je peux passer des heures entières à regarder des matchs de tennis, de handball ou de football, des compétitions d’athlétisme et bien sûr de judo. Dès lors qu’il y a des événements de haut niveau en Guadeloupe sur ces disciplines, vous pouvez être certains que je serai au stade. Et lorsque cela s'avère possible, je voyage pour assister aux grandes compétitions (championnat du monde d’athlétisme, championnat du monde ou d’Europe de judo, Jeux olympiques, Roland-Garros…). Vivre le sport en live est incomparable. L’émotion du sport est très particulière parce qu’elle est vraie. Les meilleurs acteurs au monde ne pourront jamais jouer une scène de joie ou de liesse comme le vit un sportif au moment de la victoire. À l’inverse, la détresse de la défaite plonge le perdant dans des abysses dont seuls les sportifs connaissent la profondeur. Pour ma part, je suis hyper sensible à ces extrêmes émotionnels, qui me touchent au plus haut point. J’ai une véritable addiction à la pratique sportive et au spectacle du sport de haut niveau. Se réaliser. J’ai reçu une éducation classique, basée sur la responsabilisation. Cela m’a permis d’être très tôt assez autonome. Dire que je me sentais différente à l’époque ? Non, pas vraiment. Mais c’est bien après que je me suis rendu compte des différences par rapport à d’autres que je côtoyais au quotidien, au sport par exemple. Des différences au point de vue scolaire, des différences par rapport à un éveil, une conscience, une sensibilité politique. Ma vision de la femme, plus jeune et aujourd’hui… Je dois dire que c’est une question que je ne me suis jamais posée et que je ne me pose toujours pas. En revanche, je peux affirmer qu’il y aura toujours des combats à mener pour que la femme trouve sa juste place dans la société. Mais ce n’est pas avec ce genre de questions que les choses vont avancer. Est-ce que vous demandez à un homme à quel moment, il s’est senti le plus homme dans sa vie ? Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité. Le choix de mon parcours a toujours été guidé par ma détermination à revenir travailler en Guadeloupe. Quand je choisissais une orientation, je me posais toujours la question «  qu’est-ce que je vais pouvoir faire en Guadeloupe avec ça  ». En fait, l’idée de QualiStat a germé dans ma tête à la suite de mon stage chez L’Oréal. Je travaillais au service marketing où je faisais les analyses statistiques sur les tests réalisés sur des échantillons de testeur. Mon stage a été prolongé par un CDD et je me suis rendu compte que ce travail, qui consistait à donner du sens aux chiffres, me plaisait. J’avais envie de travailler dans ce domaine et j’étais déterminée à travailler dans mon pays. Comme il n’y avait pas de structure privée œuvrant dans ce domaine, je me suis dit qu’il fallait en créer une. Avec QualiStat, nous avons répondu à un besoin qui ne s’exprimait pas clairement. Nous avons commencé en développant le pôle socioéconomie. Nous proposions des diagnostics sociaux dans des quartiers cibles d’opérations de rénovation. À l’époque, il y avait de nombreuses opérations de résorption de l’habitat insalubre pilotées par les sociétés d'économie mixte et nous avions réussi à nous positionner sur ce secteur, bien qu’il y avait déjà des acteurs locaux sur ce créneau. Par la suite, nous avons développé l’axe marketing/opinion et monté notre centre d’appels ce qui nous a permis de répondre à d’autres demandes et de lancer les premiers sondages d’opinion. Notre secteur d’activité a beaucoup évolué depuis la création de QualiStat. L’intensité de la demande est beaucoup plus forte qu’il y a 20 ans. Alors qu’au début, certains décideurs locaux nous voyaient comme de doux rêveurs qui ambitionnaient d’imposer une activité dont la Guadeloupe n’avait pas besoin, aujourd’hui, on voit bien que le curseur a bien bougé et que l’intégration d’une étude préalable ou d’une mission d’évaluation ex post deviennent presque systématique pour des projets d’envergure ou pour certaines politiques publiques. Par ailleurs, la nature des demandes évolue également. Aujourd’hui, les clients, quels qu’ils soient, veulent plus d’expertise, plus de pragmatisme. Les préconisations se doivent d’être concrètes et la mise en œuvre ne doit pas nécessiter la création d’une usine à gaz. (…) pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé. Enfin, l’avènement du numérique a fortement fait évoluer les techniques de recueil des données. À QualiStat, nous avons quasiment banni les enquêtes en face à face sur papier, pour laisser la place au recueil sur tablettes tactiles. Nous intégrons également les enquêtes web, même si la couverture Internet est chez nous un frein au développement de cette méthode. En effet, la question de la représentativité géographique de la cible ne peut pas toujours être garantie et les usages numériques des seniors sont très inégaux. Les réseaux sociaux ont fait apparaître la notion d’opinion spontanée, qui s’oppose à l’opinion induite (observée par le biais des sondages). Désormais, les instituts sont obligés d’intégrer à la fois l’opinion spontanée et l’opinion induite, au risque de passer à côté de signaux faibles, émergents, voire parfois de tendances plus lourdes. L’entrepreneuriat en Guadeloupe. Nous sommes dans un pays où il y a du travail, mais peu d’emplois. Les entreprises n’ont pas beaucoup de visibilité sur leur avenir, le marché est étroit, donc elles réfléchissent à deux fois avant d’embaucher. Pour autant, elles ont besoin d’accéder à certains services pour se structurer et se développer. Au lieu de les avoir en interne, elles préfèrent acheter des prestations. Créer son emploi en entreprenant devient alors la solution pour échapper au chômage. Après la départementalisation, il fallait structurer le service public. Ce secteur offrait de nombreux emplois et pour beaucoup de Guadeloupéens, la réussite se résumait à décrocher un emploi dans la fonction publique. Aujourd’hui, la donne a changé. Le secteur public continue d’attirer une frange de jeunes actifs, ou de parents de jeunes actifs qui poussent leurs enfants vers la sécurité de l’emploi. Mais cette tendance diminue et l’avènement de nouveaux métiers, de nouveaux besoins créent des opportunités pour les jeunes diplômés qui n’hésitent plus à créer leur entreprise. Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge. Le rôle des politiques n’est pas d’avoir un engagement entrepreneurial, mais bien de créer les conditions favorables au développement de l’esprit d’entreprendre d’une part et des entreprises d’autre part. Il s’agit donc de favoriser l’émergence de structures d’hébergement et d’accompagnement des entreprises, quel que soit leur niveau de maturité, afin de réduire la mortalité des entreprises locales. L’accompagnement doit apporter une meilleure maîtrise de l’environnement économique et des obligations du chef d’entreprise qui sont de vrais facteurs clés de succès. De plus, dès lors que c’est possible, les collectivités locales doivent privilégier les entreprises de leur territoire. Toutefois, les faire travailler, c’est bien. Mais les payer dans des délais raisonnables, c’est mieux. Malheureusement, les politiques et plus largement le personnel des collectivités ne mesurent pas à quel point ils fragilisent les entreprises avec des délais de paiement à rallonge. Le génie guadeloupéen. Le génie est quelqu’un qui se démarque par un talent particulier. Notre contexte économique est si spécifique en raison de l’étroitesse du marché, de la double insularité, de notre positionnement géographique au cœur de la caraïbe – qui s’oppose à notre appartenance au marché européen –, du niveau de dépendance par rapport aux importations, qu’entreprendre en Guadeloupe peut nécessiter des talents inimaginables. De plus, la petite taille de nos entreprises contraint le chef d’entreprise local à multiplier les casquettes. D’aucuns affirment que lorsque l’on entreprend en Guadeloupe et que l’on parvient à faire prospérer son entreprise, on peut le faire partout dans le monde. Le chef d’entreprise guadeloupéen a une telle capacité d’adaptation, qu’il développe des talents dont d’autres n’ont pas besoin. Ainsi, le génie guadeloupéen, c’est la plasticité. LIRE AUSSI | VINCENT TACITA – QUALISTAT Enfin. Aujourd’hui, nous commençons à pénétrer le marché de la Réunion, sur le même modèle qui nous a permis d’entrer en Martinique, puis en Guyane. Parvenir à s’imposer à la Réunion et à y gagner des parts de marché durablement serait un complément à la réussite caribéenne de QualiStat. Et si c’était à refaire, je referais tout à l’identique, parce que l’entrepreneuriat est une aventure ; une aventure managériale, humaine et économique. Jusqu’ici, l’aventure est belle et enrichissante. Nous avons peut-être fait quelques erreurs, mais celles-ci nous ont toutes fait grandir. Nous aurions peut-être pu développer l’entreprise plus vite et investir les territoires voisins plus tôt, mais je crois que nous avons toujours avancé à notre rythme et jusqu’ici l’aventure est enrichissante. L’aventure est belle. Un conseil ? Il faut croire en son projet. Toutefois, cela ne suffit pas, il est indispensable de se poser les bonnes questions et de bien comprendre que ce qui marche ailleurs n’est pas forcément transposable sur notre marché, dans notre économie insulaire.

Quand les consommateurs prennent le pouvoir

Quand les consommateurs prennent le pouvoir

Par Maryse Doré Photo : Olena Sergienko Il fut un temps où les équipes marketing décidaient tranquillement, sans qu’on les dérange, de la couleur d’un produit ou d’un message publicitaire. Aujourd’hui, ces équipes doivent apprendre à composer avec un nouveau pouvoir de décision : celui du consommateur. Car à l’ère d’Internet, du 2.0, ce dernier a décidé de prendre la parole, et il n’est pas prêt à se taire… Le retour à une prise de parole légitime. L’intervention du consommateur dans la politique produit ou la communication d’une marque est le principe fondateur du marketing participatif. Les illustrations sont aujourd’hui légion : de M&M’s à Renault, en passant par Sony, Mastercard ou L’Oréal, toutes les marques s’y mettent. Liebig commercialise ainsi une soupe à partir de la recette d’une de ses clientes, Doritos diffuse un spot publicitaire réalisé par un amateur, tandis que le Groupe Danone laisse le choix de la saveur de la prochaine Danette à ses fans. Mais pourquoi ce soudain interventionnisme du consommateur dans les décisions des marques ? Pour François Laurent, auteur de Marketing 2.0 : l’intelligence collective et coprésident de l’Adetem (Association nationale du marketing), ce n’est qu’un juste retour à la normalité. Jusqu’au début du 19e siècle en effet, nul besoin de marketing, puisque les artisans sont en relation directe avec leur clientèle. « le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec ». C’est l’avènement de l’industrialisation et de la mondialisation qui a créé cette nouvelle discipline, pour pallier l’éloignement entre fabricants et clients. Ainsi, le consommateur, quand il voulait réagir, ne trouvait alors personne à qui parler. Le Web 2.0 lui a donné les moyens d’interagir pour se défendre et donner son avis. Certes, certaines marques lui donnaient déjà la parole par quelques réunions de consommateurs ou enquêtes de satisfaction, mais Internet a permis de multiplier les possibilités de dialogue, tandis que les outils du Web 2.0 ont incroyablement simplifié leur mise en place. © Danone France Une tendance de fond. C’est parce qu’Internet a permis de revenir à une relation plus naturelle que François Laurent est persuadé que le marketing participatif n’est pas une simple mode. Selon lui, «  le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec  ». Au lieu de devenir victime de clients incompris, les marques ont tout intérêt à permettre à leur communauté de s’organiser et de s’exprimer sur le terrain. Le fabricant Dell a ainsi créé IdeaStorm, une plateforme d’échange, sorte de boîte à idées où sont également accueillies les critiques, mêmes mauvaises. Être attentif à ses clients permet de mieux réagir à de telles situations, mais aussi de ne pas se priver de leur créativité, parfois débordante. C’est l’exemple d’Haribo qui a fêté les 40 ans de la Fraise Tagada en misant sur des opérations d’envergure auprès des journalistes, alors qu’elle aurait mieux fait, de mettre à l’honneur la multitude de fans qui rivalise d’originalité pour créer des recettes à base de fraise Tagada. De multiples bénéfices. Au-delà de la créativité de ses clients, une marque peut tirer de multiples bénéfices à les associer au processus de communication. Tout d’abord parce que les messages de ces derniers sont souvent mieux perçus que ceux de la marque elle-même. Les gens croient de moins en moins aux discours publicitaires, et de plus en plus aux avis de leurs pairs. Les commentaires de clients sur Amazon ou TripAvisor valent donc plus que toutes les communications officielles. Aujourd’hui, une marque se définit par les premiers résultats qu’elle génère sur Google, parmi lesquels 50 % sont des avis de consommateurs. Écouter ce que ces derniers ont à dire permet donc de mieux comprendre leurs attentes et la façon dont il faut s’adresser à eux. Mieux analyser sa cible, comprendre la perception de sa marque, prendre du recul par rapport à son produit, gagner en spontanéité et en authenticité dans sa communication pour en fin de compte faire de ses consommateurs des ambassadeurs ; tels sont les multiples gains du marketing participatif. © Jonathan Kemper Encadrer pour éviter les dérapages. Le marketing participatif n’est pas pour autant sans embûches. Au premier rang des risques : celui que l’opération tourne court, faute de participation. Un concours visant à créer la prochaine affiche publicitaire d’un produit qui ne recueillerait qu’une demi-douzaine de créations renverrait une image peu flatteuse. Pire, que les affiches créées aillent à l’encontre de la marque, comme Chevrolet en a déjà fait la dure expérience. Après un appel à la création, le constructeur automobile s’est retrouvé avec des dizaines de vidéos militant contre la pollution de ses véhicules sur son propre site. Pour éviter de tels écueils, plusieurs précautions sont à prendre. Tout d’abord, si un client n’est pas content, c’est souvent parce qu’il n’a pas été écouté. Donner la parole est une chose, encore faut-il être attentif à ce qui se dit. Anticiper les possibles abus suffit par ailleurs souvent à les éviter. Un simple filtre de mots évite par exemple toute injure sur un concours d’affiches. En complément, il est indispensable d’opérer une modération des contenus créés, avant toute mise en ligne. L’idée n’est pas de censurer, mais d’éviter tout dérapage hors de propos. Pour le reste, l’époque où les marques contrôlaient tout est révolue. Elles doivent donc apprendre à jouer le jeu et accepter la dimension citoyenne de leurs consommateurs et de leurs salariés. Car les salariés aussi peuvent être à l’origine d’initiatives, à l’image d’Yves Rocher qui a ouvert en 2007 le site communautaire « Les végétaliseurs », sous l’impulsion de trois de ses employées. Le site compte plus de 40 000 membres qui militent pour un monde plus vert. Il n’y a pas de recette miracle au marketing participatif, il faut tenter des choses et accepter de prendre des claques. L’Oréal a essuyé en 2005 un échec avec le lancement d’un faux blog pour sa marque Vichy. « Le journal de ma peau » animé par un personnage fictif avait soulevé l’ire de la blogosphère. Le nerf de la guerre est donc la gestion et l’animation de sa communauté. Pour emporter son adhésion et la motiver à co-créer, il faut veiller à offrir de la valeur ajoutée aussi bien pour la marque que pour les clients contributeurs. Le marketing participatif, c’est le marketing humain. À LIRE AUSSI | LA GUERRE DES PUBS Tous les secteurs peuvent s’y essayer. Si une majorité s’accorde à reconnaître l’intérêt du marketing participatif, s’adapte-t-il pour autant à tous les secteurs et tous les produits ? La réponse est succincte : oui. Tout juste doit-il être bien encadré pour certains secteurs, comme le luxe, où l’ADN de la marque repose sur son identité. Cette précaution n’a pas empêché Louis Vuitton et Armani de faire leurs premiers pas dans le domaine. Armani a organisé une compétition pour réaliser sa campagne publicitaire Emporio Armani Parfums, tandis que Louis Vuitton a proposé un « live » de son dernier défilé, à qui s’inscrivait sur sa page Facebook. Résultat : 80 000 fans en quelques jours et une nouvelle communauté sur qui s’appuyer. En effet, plus la marque fait rêver, plus la tâche est facile, mais ce n’est pas parce qu’on ne s’appelle pas Nike que le marketing participatif est inenvisageable. La solution est d’imaginer ce qui donnera envie d’adhérer, plutôt que de chercher à marketer sur son produit. © Allef Vincius Des retombées difficilement mesurables. Si le marketing participatif s’adresse au plus grand nombre, ne risque-t-on pas l’essoufflement du marché et la banalisation de l’acte ? Les consommateurs ne vont-ils pas se lasser d’être tant sollicités ? Pour les spécialistes, la réponse est unanime : plus les marques posent des questions, plus les consommateurs apprécient la démarche et se prennent au jeu. Ils vont néanmoins devenir plus exigeants, et choisir celles à qui dédier leur temps, mais tant que les marques proposeront de bons deals, le marketing participatif fonctionnera. Un bémol pourrait toutefois entraver l’ascension de la discipline : c’est la difficulté pour les marques d’en mesurer les retombées économiques. En effet, pour certains, les retombées peuvent se matérialiser sous la forme financière, numéro 1 des ventes. Mais pour d’autres, les retombées ne sont palpables qu’en termes de notoriété ou de taux de sympathie. Pourtant, selon une étude de l’université de Harvard, il est démontré que la croissance d’une marque est directement corrélée à son taux de reconnaissance. Une étude qui prouve ainsi que les résultats, en termes de chiffre d’affaires, se récoltent bel et bien, mais à plus long terme. Tout vient à point qui sait attendre.

Roméo Mbouti | Éram

Roméo Mbouti | Éram

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Il arrive comme on l’avait imaginé… d’un regard vif, un style décontracté, casual et sa conception pragmatique de l’entrepreneuriat. Rencontre d’un entrepreneur ambitieux, volontaire, engagé, d’un leadership affirmé qui a fait le choix de quitter l’Afrique, son Congo, afin de se lancer. Retour sur les ressorts d’un pari réussi. En toute franchise ! Se construire, du Congo à la France. À la maison, l’éducation était matrifocale et variait entre tradition et modernité. Septième d'une fratrie de huit, je peux dire que j’ai bénéficié de la bienveillance de mes aînés et garde de bons souvenirs imprégnés entre autres de la chaleur douce des soirs autour du feu lorsqu’on nous contait des histoires. Enfant, j’étais calme et dévoué, un garçon plutôt facile à vivre avec une petite pointe de rébellion lorsque la justice pour un frère, une sœur ou un camarade était en jeu. À l’école, c’était plutôt strict. C’est l’époque des châtiments corporels et de l’instruction civique dogmatique puisque mon pays natal le Congo, ancienne colonie française avec Brazzaville comme capitale de la France libre durant la Seconde Guerre mondiale, avait opté pour la doctrine marxiste-léniniste après sa révolution. On avait le cap à l’Est et le modèle éducatif était réglé sur la Chine, Cuba, l’URSS… À 18 ans, la suite de mon cursus scolaire a lieu en France. D’abord, le baccalauréat de comptabilité, comme mes aînés, puis un BTS en gestion, conclut par deux années d’études supérieures en comptabilité-gestion et finance. Viendra ensuite le service militaire obligatoire, je fais partie des derniers appelés, un véritable moment d’intégration pour moi. L’idée de l’entrepreneuriat m’a toujours habité. Parfois, j’ai l’impression que c’est dans l’ADN de la famille. En fait, je réalise que je suis multiple et me suis construit autour de valeurs différentes qui m’ont plus apporté que tourmenté. Par la tradition familiale, j’ai appris l’affirmation de soi, la solidarité et l’entre-aide – il faut donner pour recevoir. De l’éducation scolaire inspirée du communisme, j’ai intégré la notion d’engagement, d’ordre et de discipline. De la culture libérale à l’Européenne, j’ai découvert l’étendue du champ des possibles. Après le service militaire, le saut dans la vie professionnelle s’est imposé, mais le désir du retour au pays natal encore plus. C’est ainsi que j’ai intégré en tant que contrôleur de gestion le groupe de boulangerie créé par mon frère aîné. Plus qu’un tremplin, cette expérience très formatrice, m’a marqué personnellement et forgé mon caractère professionnel puisqu’elle s’est déroulée dans le contexte de post-guerre civile qu’a connu le Congo en 1997. Mes armes affûtées, dès mon retour en France, j’ai eu l’opportunité d’intégrer le monde de la chaussure, d’abord en tant que gestionnaire de stock. Mais ma passion pour cet univers s’est révélée lors de ma seconde expérience dans ce secteur. J’avais été engagé en tant qu’assistant de direction commerciale, j’ai évolué comme contrôleur de gestion et fini bras droit du dirigeant d’une entreprise familiale spécialisée dans les chaussures multimarques de luxe sur l’avenue des Champs-Élysées. Voilà, vingt ans que je suis dans les boîtes de chaussures. Le choix de la franchise. L’idée de l’entrepreneuriat m’a toujours habité. Parfois, j’ai l’impression que c’est dans l’ADN de la famille. Plus proche de moi, l’inspiration est venue de mon père, un véritable self-made-man qui a su se forger une réputation d’entrepreneur et de mes frères, qui à tour de rôle, ont expérimenté la création d’entreprise. En les observant tous, avec admiration, j’ai également intégré la notion de risque. Plus loin, je pense que les légendes autour du feu, sur le passé commerçant de nos ancêtres ont nourri mon imagination. Le déclic est arrivé quand j’ai réalisé que j’étais arrivé au bout de ma mission auprès de mon dernier employeur et qu’avec l’expérience acquise, il était temps de passer à une nouvelle étape, dans ma vie. Dans les difficultés à affronter, celle qui n’est pas à négliger est celle de la relation bancaire qu’il a fallu construire avec beaucoup d’effort. C'était en 2009 et en dépit du contexte social, des réticences légitimes de la famille, l’appel du destin était trop fort et j’ai maintenu mon cap sur la Guadeloupe qui avait déjà volé mon cœur depuis 2004. J’ai donc pris deux ans pour observer le département, son environnement économique ; et en 2011 j’ai décidé de concrétiser mon projet de création. À la base, c’est une nouvelle enseigne que je souhaitais créer, mais dans mes démarches, les échanges avec mes proches et par mes contacts, l’idée de la franchise s’est avérée. C’est un contrat qui peut paraître contraignant parce que l’on dépend d’une marque, qu’on ne possède pas et qu’il faut souvent mobiliser des garanties et respecter une charte, mais dans le contexte de l’époque, cette option était la plus réaliste et le parcours plus sécurisant. Le deal est simple : contre rémunération financière, vous utilisez une marque et bénéficiez de son expertise, sa notoriété, d'un soutien logistique et technique et même juridique dans certains cas. En tant que contrat commercial, la franchise découle naturellement de la négociation. Chacun doit y trouver son compte. Les démarches créant les opportunités, j’en ai saisi une. Plutôt que de me rendre au salon de la franchise qui a lieu tous les ans à Paris, j’ai croisé ici en Guadeloupe le business angels utile lorsque l'on est jeune et qu’on veut se réaliser sur un terrain nouveau. Un bon leader doit d’abord avoir un cap et un discours clairs. Il n’est pas obligatoirement omniscient ou omnipotent, mais il doit surtout savoir s’entourer et déléguer. Convaincu par mes arguments et surtout mon engagement, il m’a soufflé le nom d’ÉRAM et m’y a introduit pour conclure un contrat de franchise classique, avec une exclusivité sur la Guadeloupe. Et voilà ! Assez rapidement avec un financement personnel et un emprunt bancaire la nouvelle aventure était lancée et cela dure depuis 8 ans. Aujourd’hui, je peux dire que le choix de la marque ÉRAM était pertinent. C’est une véritable maison qui cultive l’esprit de famille, sa cible de toujours, avec des valeurs et un savoir-faire authentique. Nous partions donc avec un partenaire emblématique, fort de 90 ans d’expérience et un enjeu : nous adapter au marché, aux réalités locales, et faire avec les contraintes liées à l’insularité. Je crois que nous y sommes parvenus, car la marque est bien positionnée et sa présence justifiée. Profil d’entrepreneur. Dans les difficultés à affronter, celle qui n’est pas à négliger est celle de la relation bancaire qu’il a fallu construire avec beaucoup d’effort. Le métier du commerce est très prenant par définition et lorsque la passion s’y mêle cela prend une place entière dans notre vie. C’est comme une personne dont on s’occupe, comme un bébé. Ne pas compter ses heures, ne pas trop penser aux prochaines vacances et ne pas hésiter à vider ses bas de laine en cas d’urgence fait partie des sacrifices. Dans le domaine du travail, je suis très observateur, rigoureux et fonctionne en équipe de façon horizontale, car je suis un adepte du management participatif. Je suis un entrepreneur qui a besoin d’allier les chiffres à mon intuition donc souvent sur le terrain. Le leader c’est le pilote d’un projet. Un bon leader doit d’abord avoir un cap et un discours clairs. Il n’est pas obligatoirement omniscient ou omnipotent, mais il doit surtout savoir s’entourer et déléguer. Il doit faire confiance et pouvoir contrôler. C’est celui qui apparaît incontestablement comme un guide aux yeux de son équipe. Ma force et mon courage… si j’en ai, me viennent de mes proches. Leur soutien est jusqu’ici sans faille. J’aime les choses simples, en ce moment c’est le jardinage qui m’apaise. L’échec c’est le revers de l’action, il faut agir en dépit de cette menace pour avancer. Il existe une belle citation de Nelson Mandela à ce sujet. Le reste n’est que retournement de situations ou des erreurs, car tous ceux qui font savent qu’elles existent. Pour moi, l’entrepreneuriat c’est avant tout une initiative de création, qui nous implique et nous reflète personnellement. On y met de soi, on donne corps à ses rêves. Je ne pense pas que ce soit l’unique ascenseur social au détriment du rêve de la fonction publique, c’est juste une option parmi d’autres, mais au moment où la fonction publique dans tous ses versants connaît de profondes mutations dans un contexte global de réduction des moyens, toutes les initiatives doivent être encouragées pour le développement de la Guadeloupe, forte de ses richesses naturelles et culturelles. C’est pour cela que je rends hommage à tous ceux qui se sont lancés. Avec plus ou moins de succès, ils ont essayé pour certains et font face aux difficultés avec dignité pour d’autres. Ce sont des hommes et des femmes, souvent dans l’ombre, qui contribuent au rayonnement de la Guadeloupe. Je les respecte. Y arriver... C’est difficile de définir la réussite, car la vie est pleine de rebondissements. Si on la considère comme la réalisation d’une ambition, d’un désir ou le sentiment d’avoir trouvé sa place dans la société, il faut ensuite pouvoir la mesurer. Comment ? Par un grand sentiment de plénitude peut-être. Du coup ! Je réalise que j’ai encore du chemin à parcourir pour y arriver !!!! L’échec c’est le revers de l’action, il faut agir en dépit de cette menace pour avancer. Il existe une belle citation de Nelson Mandela à ce sujet. Le reste n’est que retournement de situations ou des erreurs, car tous ceux qui font savent qu’elles existent. J’en ai fait et j’en ferai peut-être encore. Le développement de la marque ÉRAM en Guadeloupe se fera par l’ouverture d’autres points de vente avec des évolutions dans l’offre. C’est à l’étude. Si c’était à refaire, je le referais. Un conseil ! Rester persévérant, confiant et rigoureux dans sa gestion.

Les managers de l'industrie 4.O

Les managers de l'industrie 4.O

Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Alex Avalas Avez-vous déjà entendu parler de l’industrie 4.0 ? L’appellation industrie 4.0 ou industrie du futur concerne principalement les business qui intègrent l’intelligence artificielle, l’automatisation et la robotique dans leur nouvelle façon de travailler et dans leurs interactions avec leurs consommateurs. Cette révolution industrielle 4.0 concerne finalement tous les acteurs business qui utilisent des systèmes intelligents au quotidien. Toutefois, au-delà des innovations et technologies qui soutiennent les activités des équipes, le succès de chaque projet dépend en partie de la capacité du manager à conduire agilement son équipe. Quel type de management convient alors dans une société en complète transformation tant au niveau culturel que technologique ? Si les anciens modes de management cohabitent encore, il est nécessaire maintenant de les adapter et de privilégier un management sur mesure qui mettra non plus l’innovation, mais l’individu au cœur du projet. La stratégie organisationnelle de l’entreprise et du manager sera alors d’accorder à chaque membre de son équipe projet une plus grande autonomie tant sur ses tâches que dans les prises de décisions. Au cours du projet, l’équipe devra rapidement s’adapter et réinventer régulièrement ses processus communs sous la direction du manager ou du chef de projet. Vous remarquerez aussi que de nouveaux rôles aux compétences croisées apparaîtront régulièrement. Voilà trois grands principes pour manager avec succès votre équipe projet dans une industrie 4.0… © Cerquiera Embrassez pleinement la stratégie de l’entreprise. Empreignez-vous des objectifs à moyen terme de l’entreprise que vous servez. Clarifiez le périmètre de votre réelle « mission » compte tenu de vos objectifs professionnels et personnels. Si cette mission vous convient vraiment, engagez-vous à avancer dans l’excellence et 24/7 ! En tant que manager, avant de vous attaquer au management de votre équipe projet, vous devez premièrement vous intéresser à la stratégie globale à moyen terme de l’entreprise que vous servez. Quels seront les grands changements au sein de l’entreprise ? À propos des gammes de produits ? Du point de vue des services envisagés ? Pour quelle période ? Quel niveau de priorité l’entreprise envisage-t-elle sur ces grands changements ? Comment ces changements influenceront-ils vos équipes et projets en cours ou planifiés ? Le mode industrie 4.0 est disruptif à tous niveaux, tant par les technologies qu’il porte que par l’organisation «  rapide » au niveau des équipes qu’il induit. Le fait de comprendre la stratégie et la roadmap des projets au sein de votre entreprise vous permettra aussi de définir le niveau d’énergie que vous et vos équipes devrez mettre dans les projets à mener. Une vision plus large vous permettra d’être réactif face aux challenges et de définir le juste effort que vos équipes devront fournir. Prenons un exemple simple : si vous devez voyager dans un autre pays pour y retrouver des amis, le fait de savoir le jour et l’heure de la rencontre vous permettront de choisir selon votre budget et votre capacité physique le moyen de déplacement le plus adapté pour arriver au lieu de rendez-vous à temps donc ni trop tôt ni trop tard et dans les meilleures conditions. © Alex Avalas Sortez du cadre. Analysez votre climat environnemental. Clarifiez votre méthode de management temps. Soyez impertinent. Le mode industrie 4.0 est disruptif à tous niveaux, tant par les technologies qu’il porte que par l’organisation « rapide » au niveau des équipes qu’il induit. N’hésitez pas à vous éloigner des approches classiques pour en expérimenter de nouvelles. Saisissez le climat environnemental interne et externe pour suggérer les changements audacieux nécessaires au succès du projet. Le leadership et le lifestyle du manager, que vous l’acceptiez ou non, influencent l’engagement des membres de votre projet. Managez avec authenticité. Restez transparent coûte que coûte. Pratiquez le feed-back constructif. Soyez reconnaissants. Manifestez votre lifestyle et soignez votre apparence. Votre personnalité impacte le succès de votre projet. Dans un premier temps, identifiez et assumez honnêtement votre personnalité, points forts et points faibles. Rapprochez-vous au besoin d’un coach et/ou d’un mentor. Dans un deuxième temps, partagez-les avec les principaux membres de votre équipe et apprenez aussi à les connaître. Cela peut se faire idéalement durant des temps hors projet, à l’extérieur du cadre de l’entreprise, à l’occasion d’afterwork ou de team building. Le leadership et le lifestyle du manager, que vous l’acceptiez ou non, influencent l’engagement des membres de votre projet. Comprenez que les membres de votre projet s’intéressent tout autant si ce n’est plus, à la personne que vous êtes plus qu’aux savoir-faire que vous révélerez au cours du projet. Plus vous serez simple, authentique et inspirant, plus vos interventions seront efficaces auprès de votre équipe. Enfin, quels que soient les changements organisationnels et technologiques que vous connaîtrez, pour manager avec efficacité vos équipes et projets dans cette industrie du futur, assurez-vous simplement d’avoir un haut niveau d’engagement et de garder du plaisir à travers les projets et équipes que vous gérerez.

Avec Elles, BNP Paribas s'engage.

Avec Elles, BNP Paribas s'engage.

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel « Chez BNP Paribas, nous sommes convaincus que la montée en puissance des femmes entrepreneures constitue, au même titre que l’innovation et l’internationalisation, un levier fort d’accélérateur de croissance de l’économie française. Et c’est un constat amplifié sur nos territoires ». Ce sont les mots de Catherine Linel, responsable de la communication et du marketing au sein de BNP Paribas Antilles-Guyane, qui nous fait un tour d’horizon de l’action régionale d’une banque responsable et consciente de son environnement, fort de son engagement pour l’entrepreneuriat féminin. À ses côtés, trois entrepreneures accompagnées par la structure bancaire. Toutes audacieuses, passionnées et déterminées à se réaliser. Décryptage. Catherine Linel, BNP Paribas a pris le parti de l’entrepreneuriat féminin, au même titre que de nombreuses entreprises. Le féminisme, la femme et son ascension sociale ne sont-ils pas devenus des archétypes d’images de marque vendeurs ? Et de façon concrète, comment s’articule votre engagement à ce propos sur notre territoire ? L’engagement auprès des femmes fait partie des grands axes de la politique RSE menée par de nombreuses grandes entreprises aujourd’hui. Ce n’est pas un phénomène de mode, c’est une nécessité répondant à une réalité sociétale et économique. Et nous ne parlons pas de féminisme. Les enjeux sont ailleurs même si l’entrepreneuriat est une voie d’émancipation et d’épanouissement pour les femmes. Si elles constituent quasiment la moitié de la population active, elles sont beaucoup moins nombreuses dans le rang des créateurs d’entreprises, environ 30 %. Pourtant, des études montrent que les entreprises dirigées par des femmes présenteraient une profitabilité moyenne supérieure de 9 % à celles dirigées par des hommes. On voit bien que l’entrepreneuriat féminin est en développement partout dans le monde. Ces dernières années, des initiatives politiques pour promouvoir l’entrepreneuriat ont amélioré la fiscalité et les régimes de charges sociales tout en simplifiant le passage du chômage vers l’auto-emploi. Dans la situation économique actuelle aux Antilles-Guyane, il n’est plus question de gaspiller des compétences à cause de perceptions obsolètes du rôle des femmes et des hommes et de leur capacité à diriger. Beaucoup considèrent encore qu’être femme est un désavantage pour créer une entreprise. C’est une vision provenant de stéréotypes socioculturels et de freins difficiles à dépasser. Ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui s’autocensurent et se restreignent. Chez BNP Paribas, nous sommes convaincus que la montée en puissance des femmes entrepreneures constitue, au même titre que l’innovation et l’internationalisation, un levier fort d’accélérateur de croissance de l’économie française. Et c’est un constat amplifié sur nos territoires. C’est dans ce cadre que depuis plusieurs années, nous encourageons les femmes entrepreneures à « voir grand » et que nous sommes à leurs côtés tout au long du cycle de développement de leur entreprise, bien au-delà de la relation bancaire. Nous favorisons la connexion des femmes avec l’écosystème de l’entrepreneuriat en général et féminin en particulier. Nous organisons ou parrainons des événements afin de réunir ces femmes, de leur permettre d’échanger sur les bonnes pratiques, de favoriser le mentoring et confronter celles qui ont réussi à celles qui veulent se lancer. Nous leur faisons bénéficier de conseils, d’expertises, de partenariats de choix et d’accompagnements adaptés. Tout cela pour accélérer le développement de leurs projets. Mais notre action va plus loin. Il nous paraît nécessaire de sensibiliser très tôt les jeunes filles à l’entrepreneuriat. C’est pour cela que nous accompagnons l’Association 100 000 entrepreneurs qui est chargé de sensibiliser les collégiens, les lycéens et les étudiants à la création. Nous devons leur montrer que d’autres modèles de réussite existent sur nos territoires et que cette voie de carrière peut être très épanouissante. Il nous faut être auprès des jeunes femmes, mais aussi des jeunes hommes qui seront peut-être soit mari, frère ou père de femmes entrepreneures demain et seront susceptibles de les accompagner. Le milieu entrepreneurial reste dominé par la gent masculine. Comment, lorsque l’on est une femme, s’impose-t-on dans un milieu d’hommes : en adoptant les codes masculins, en se fondant dans le moule ou au contraire en se distinguant ? Il n’y a pas de clivage entre hommes et femmes dans notre approche. Nous ne sommes pas dans une lutte des genres. Il est certain qu’il existe des difficultés à entreprendre pour les femmes. Beaucoup considèrent encore qu’être femme est un désavantage pour créer une entreprise. C’est une vision provenant de stéréotypes socioculturels et de freins difficiles à dépasser. Ce sont parfois les femmes elles-mêmes qui se censurent et se restreignent. Les femmes sont souvent habitées par un sentiment d’illégitimité qui les handicape. Elles disent manquer de crédibilité auprès d’interlocuteurs masculins, d’accompagnement par des structures et ont du mal à conjuguer vie privée et vie professionnelle. Nous souhaitons agir sur cela également en aidant les femmes à se dépasser, à oser, à voir plus loin. Toutes nos actions doivent leur permettre d’avoir confiance et envie de se lancer et de franchir le cap. L’essentiel, selon moi, c’est de pouvoir se construire en tant que dirigeant avec son autorité et son mode de management. Nous pouvons mettre en avant que les entreprises dirigées par des femmes seraient plus rentables, plus stables et plus pérennes. Il ne s’agit pas de se dire si un dirigeant d’entreprise homme est meilleur qu’une femme. Il y a autant de managers que d’individus. Les femmes sont des managers comme les autres même si parfois on leur prête certaines caractéristiques, notamment la capacité à écouter. Elles seraient plus dans le « savoir-être » quand les hommes seraient dans le « savoir-faire ». Elles auraient des qualités pour le travail en équipe, la diplomatie et les relations humaines. Mais ce sont souvent des stéréotypes, qu’il faut parfois combattre. L’essentiel, selon moi, c’est de pouvoir se construire en tant que dirigeant avec son autorité et son mode de management. Nous pouvons mettre en avant que les entreprises dirigées par des femmes seraient plus rentables, plus stables et plus pérennes. Elles affichent en moyenne de meilleurs retours sur investissements que celles menées par les hommes. Et en cela, cela vaut la peine de les soutenir et de favoriser leur développement.

Fabrice Calabre | Cochon Plus

Fabrice Calabre | Cochon Plus

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel - Xavier Dollin Retour sur la trajectoire d’un homme qui s’est nourri de valeurs familiales et qui a su faire preuve de génie dans les situations les plus complexes. Une réussite animée de passion et d’un engagement ancré à son territoire. Observateur sagace, acharné du travail Fabrice Calabre arrive comme personne à exhaler dans le même souffle : panache, audace, insoumission et l’idée que nous pouvons construire ensemble. Sur les traces familiales. Dernier d’une fratrie de six, j’étais un enfant très turbulent au point que ma mère a longtemps cherché une potion qui calmerait ce trop-plein d’énergie. Doté d’une grande soif de connaissances, bien que je ne fusse pas spécialement un grand lecteur, j’ai énormément appris aux côtés de mes aînés. Cela m’a valu quelques petits éclats de maturité de plus par rapport à mon âge, cela d’autant plus que j’étais le fils d’un homme – né en 1923 – qui à l’âge de cinquante ans avait décidé de faire un dernier enfant. D’où une éducation à l’ancienne, toutefois moins stricte que celle reçue par mon frère et mes sœurs aînés ; celle-ci fut basée sur le respect, l’amour de l’autre et du travail dans la dignité. Je me rappelle encore du jour où j’ai appris ce qu’était l’Acte unique européen. Ce jour-là, en revenant de l’école, j’étais très pensif au point que mes amis n’arrêtaient pas de me demander ce qui se passait. En toute franchise, j’étais seulement en train d’évaluer toutes les conséquences d’un tel changement. Mais en fin de compte, dans ma tête de collégien, je préférais minimiser les choses jusqu’à la sortie du titre «  V oici le loup   » qui donnait raison à mes inquiétudes. En classe, je savais une chose : il fallait que je respecte les sacrifices faits par mes parents, courbés dans les champs depuis très tôt jusqu’à pas d’heure. Et c’est d’ailleurs un souvenir d’eux qui m’a servi et qui me sert encore aujourd’hui de source d’inspiration pour persévérer vaille que vaille. Le Guadeloupéen n’a plus rien à prouver en ce qui concerne sa capacité à entreprendre… C’était en septembre 1989, au lendemain du cyclone Hugo, la Guadeloupe entière se réveillait dévastée par le passage de ce cyclone de forte puissance. Dès la levée de l’alerte, mes parents et moi sommes partis en direction de l’exploitation agricole, habités par une grande crainte de ce que nous allions trouver sur place. Les routes étant impraticables, c’est à pied que nous parcourions les trois derniers kilomètres dans un paysage méconnaissable. Et alors que nous nous situions au niveau d’un fromager, arbre emblématique de l’environnement de l’exploitation, nous nous rendions compte que les quelques petits tas de tôles que nous voyions à une centaine de mètres étaient ce qui restait de notre porcherie de plus de 300 m2. Un spectacle accablant : plus de toitures, des animaux à l’agonie, des avortements… Et là, sous mes yeux d’adolescent de 16 ans, se passe quelque chose qui me marquera à jamais. Sans un mot, seulement un échange de regards et mes parents se sont mis au travail, sans se plaindre une seconde comme pour conjurer le sort. Et en quelques jours, cette exploitation meurtrie par le cyclone reprenait vie. Alors, de quoi devrais-je me plaindre aujourd’hui ? Ils m’ont montré comment faire. Étant fils d’agriculteur et aimant les sciences biologiques, le choix de mes études a quasiment coulé de source. Une fois le collège terminé, j’ai naturellement choisi l’option science biologique et agronomique en seconde pour poursuivre avec un BTS en agronomie tropicale, complétée d’une spécialisation en production animale. J’ai vécu ces années d’études agricoles avec beaucoup d’enthousiasme, car il était stimulant d’apprendre des choses en semaine et de pouvoir les mettre en application le week-end. C’était amusant et même un avantage qui m’a permis d’être major de ma promotion, sans pour autant être une « bête de compétition ». Le développement d’une entreprise implique que l’on puisse déléguer, car on ne peut être partout… En ce qui concerne mon parcours professionnel, je remercie chaque jour le ciel, car il s’avère que je n’ai connu, jusqu’à ce jour, aucune journée de chômage. Avant même de terminer ma spécialisation – effectuée dans la ville de Pau – j’avais été contacté par mon ancien chef d’établissement, Mr René Philogène, pour occuper le poste de responsable de la production animale dans un premier temps puis celui d’enseignant en zootechnie. La pratique, en elle-même, viendra dès 1995. Un changement de régime, qui m’a permis plus tard de réaliser mon rêve, à savoir reprendre l’exploitation familiale et être à mon compte. Cela ne veut pas dire que je n’aimais pas mon poste d’enseignant. Bien au contraire, je prenais un vrai plaisir à transmettre ma passion à mes élèves. C’est juste que j’étais animé d’un objectif, un rêve… Cochon Plus, la force de la détermination. Lors de mon installation en tant qu’agriculteur en 1999, je démarre en reprenant l’exploitation familiale créant l’EARL «  La ferme mon roc  », où mon unique associé est ma mère qui malheureusement peu de temps après a connu quelques soucis de santé qui ne lui permettaient plus d’exercer avec moi, comme elle l’aurait souhaité. C’est alors que je lance de grands travaux qui vont permettre de doubler la capacité de production et de moderniser la structure pour plus de confort. L’investissement à l’époque s’élève à 1 400 000 francs soit 213 428 euros. C’est une installation très peu subventionnée contrairement à beaucoup d’autres, pour des raisons sur lesquelles je ne m’étendrais pas ici. Une fois bien lancé, le projet rencontre ses premières difficultés : problèmes d’approvisionnement en eau du nord Grande-Terre, crises sanitaires, problèmes de commercialisation… Tout cela impacte la trésorerie et je me retrouve alors endetté. C’est en septembre 2001 que me vient, dans un élan de sursaut, l’idée de passer à un mode de commercialisation directe, afin de retrouver cette trésorerie qui fait tant défaut. En moins de dix jours, je mets en place une installation mobile qui comprend un petit chapiteau pliable, un barbecue, un groupe électrogène, des luminaires, une belle banderole «  cochon grillé local  », du petit matériel, des uniformes… Et me voilà parti pour l’aventure avec ma sœur qui m’aide à la vente. J’étais vraiment déterminé à m’en sortir ; et ce par tous les moyens dignes de ce nom. Pour ce qui est de l’emplacement, je choisis un lieu stratégique, en matière de passage ; il s’agit du bord de route avant le rond-point de Perin en direction de Morne-à-l’Eau. Comme poussé par la loi de l’attraction, le public adhère tout de suite au concept qui change du poulet et des ailes de dindes. Le succès se faisant et sans m’en rendre compte, je me retrouve avec deux professions très prenantes, au point que la première en pâtit au bout de deux ans et demi. Étant moins présent sur l’exploitation, la production va chuter et connaître son niveau le plus bas et je me retrouve à acheter l’essentiel de ma matière première chez mes collègues éleveurs. Nous n’étions plus dans le schéma de base, à savoir faciliter l’écoulement et la trésorerie de mon exploitation. Fin 2003, j’ai dû arrêter mon activité de transformation pour revenir à temps plein sur l’exploitation où j’embauche un jeune que je forme, afin de me remplacer tout en restructurant la production. Une fois les choses faites, ce fut la relance en décembre 2004, cette fois-ci dans un food truck. Mais le vrai booster de ce redémarrage fut notre passage au JT qui dès le lendemain multiplia par 2,5 notre volume. Toujours en quête de progression et de développement, c’est tout naturellement que je saisis l’occasion qui m’était offerte de louer un local à proximité, afin d’y installer un véritable restaurant et un atelier de découpe et de charcuterie. N’étant pas en mesure à l’époque d’obtenir un prêt, j’avais en revanche la confiance des fournisseurs pour des achats à crédit ainsi que l’aide de quelques proches. Ce changement de configuration impliquait beaucoup de choses, notamment le nombre de personnes à gérer, une gestion administrative plus que complexe. Et c’est à ce moment que ma femme a pris la décision de me rejoindre dans cette aventure. Ce qui m’a permis de me concentrer sur la conception, la production et le développement. On a commencé par une dizaine de salariés, c’était une sacrée entrée en matière pour ce qui est de la gestion des ressources humaines, cela m’a valu mes premières poussées de tension. Cependant, au fil du temps, on se forme et l'on y prend goût, au point de gérer aujourd’hui une masse salariale de 62 personnes. Aujourd’hui, Cochon Plus c’est une cuisine centrale d’une capacité de trois mille repas par jour, un laboratoire de découpe et de charcuterie, trois sites de restauration d’une capacité totale de 350 places assises et un département traiteur-organisateur de réception. Développer nécessite que l’on puisse maîtriser le sujet, c'est ainsi qu’en 2011, je décide de passer le BP de boucherie à l’École Nationale Supérieur des Métiers de la Viande à Paris ainsi que mon Brevet de Maîtrise Traiteur Organisateur de Réception avec le CEPROC à Paris par le biais de la Chambre de Métiers. Ce dernier a été très enrichissant, car il m’a permis de multiplier par trois mon chiffre d’affaires au sein du département traiteur. Le développement d’une entreprise implique que l’on puisse déléguer, car on ne peut être partout, c’est pour cela qu’avant même de lancer nos différents projets nous nous sommes consacrés à chercher celui ou celle qui allait le gérer. Aujourd’hui, Cochon Plus c’est une cuisine centrale d’une capacité de trois mille repas par jour, un laboratoire de découpe et de charcuterie, trois sites de restauration d’une capacité totale de 350 places assises et un département traiteur-organisateur de réception. Un mental à toute épreuve. Je serai tenté de dire que mes premiers pas dans le monde entrepreneurial datent de l’époque où aux côtés de mes parents, tout en étant encore étudiant, je leur faisais part de mes conseils techniques et stratégiques notamment en ce qui concerne l’acquisition de matériels qui ont contribué à améliorer le confort au travail ainsi que le rendement. C’était vraiment là la meilleure école. Dès lors, vous vous rendez compte de l’impact de vos prises de décisions et là vous vous dites vraiment que vous n’avez pas le droit de vous louper. Cependant, le vif du sujet commence réellement lorsqu’en 1999, je décide de reprendre l’exploitation familiale, habité par une seule idée : réussir mon projet au sein de l’entreprise familiale. Je ne compte pas mes heures et aucune porte n’est infranchissable pour moi. C’est aussi à ce moment que je me rends compte du regard que l’on peut porter sur vous en tant que chef d’entreprise, en fonction des intérêts en jeu. Et là, il faut savoir faire preuve de psychologie, afin d’aborder chaque situation avec la plus grande clarté d’esprit que possible. Sans rêve, il ne peut y avoir de réussite, car c’est le premier qui définit le second, celui qui ne rêve pas ne peut avoir d’ambitions. Je me rappelle encore de ce jour, où après avoir eu une discussion avec mon conseiller à la banque, qui ne me laissait pas entrevoir une issue favorable pour mon dossier d’emprunt, je décidais de me rendre au siège de la banque afin de rencontrer le directeur responsable des prêts agricoles. Et cela, sans rendez-vous. Je ne savais qu'une chose : il fallait que je sois convaincant. Alors que mon fils âgé de deux mois était dans la voiture avec sa mère en train de m’attendre, j’ai déclaré à l’accueil de la banque que je disposais de tout mon temps pour que l’on me reçoive. Et c’est ainsi qu’au bout de deux heures, je fus reçu par cet homme qui dès le lendemain matin activait lui-même mon dossier. S’il y a un élément à retenir, c’est la détermination que je ressentais dans l’accomplissement de ce projet. C’est cette même détermination que j’ai connue lors du lancement de ce qui allait devenir Cochon Plus. De surcroît, il fallait vraiment que je puisse partager et faire adopter l’idée d’une enseigne de restauration locale dont le produit phare serait le cochon et que l’on soit sur une démarche du producteur au consommateur. Il fallait que le public s’approprie l’enseigne et cela a été chose faite, par le biais d’une communication basée sur la proximité. C’est aujourd’hui un pari réussi. C onstruire. Le Guadeloupéen n’a plus rien à prouver en ce qui concerne sa capacité à entreprendre ; que ce soit en économie souterraine ou en économie déclarée, la Guadeloupe fait preuve d’une grande vivacité en matière entrepreneuriale. Il est vrai qu’en Guadeloupe on devient entrepreneur par dépit en cause d’un fort taux de chômage. Mais cela n’empêche pas aux porteurs de projet de s’investir à tous les niveaux. Il reste néanmoins un travail à faire et ce n’est pas uniquement au niveau des entrepreneurs. Il s’agit de la conscientisation qui consisterait à permettre à tout un chacun de bien s’imprégner l’idée du « faire ensemble » ainsi que du « Yes, we can ». Autant nous ne formons qu’un au moment du carnaval, autant nous avons du mal à nous approprier la réussite de nos compatriotes afin de nous en réjouir comme une fierté, d’où certaines attitudes destructrices qui freinent la démarche du développement de la Guadeloupe par les Guadeloupéens. Il est vraiment temps que nous commencions à croire en nous et que nous recherchions nos solutions à travers nous-mêmes. L’autre fléau de l’entrepreneuriat, c’est l’ubérisation de quasiment tous les secteurs. Je prendrai l'exemple de mon secteur d’activité à savoir celui de la restauration ; tout le monde est livreur de repas ou traiteur… L’histoire d’un territoire induit ses traditions et son savoir-faire. Celle de notre Guadeloupe étant très riche de tout le brassage des différentes origines, nous permet d’avoir la chance de jouir de tous ces apports qui une fois réunis créent un potentiel inestimable. Notre environnement humain est constitué de notre famille, nos amis, collègues et bien d’autres. Je considère que la réussite est le fait de pouvoir contribuer au bien-être de tout ce beau monde, dans la mesure du possible. En résumé, tout individu à une mission dans cette société, il s’agit dès lors de la cibler et de pouvoir l’accomplir avec tout l’engagement possible. Sans rêve, il ne peut y avoir de réussite, car c’est le premier qui définit le second, celui qui ne rêve pas ne peut avoir d’ambitions. Il est vrai qu’avec le développement de mon activité, le temps consacré à mes enfants est moins important qu’avant. Néanmoins, ils savent pouvoir compter sur moi. Mes plus grandes fiertés, hormis mes enfants, sont aux deux extrémités de mon acte entrepreneurial ; d’un côté les clients satisfaits qui vous font des retours et de l’autre l’accomplissement de mes salariés à travers les postes qu’ils occupent. L’échec est un propulseur qui vous emmène au-delà de vous-même, mais il reste néanmoins redouté, ce qui est normal, car chaque décision prise l’est avec la conviction d’être la bonne. C’est donc cela qui me permet d’avoir l’humilité du doute. Le génie guadeloupéen. L’histoire d’un territoire induit ses traditions et son savoir-faire. Celle de notre Guadeloupe, étant très riche de tout le brassage des différentes origines, nous permet d’avoir la chance de jouir de tous ces apports qui une fois réunis créent un potentiel inestimable. De surcroît, éloignée de la métropole, la Guadeloupe est souvent obligée de s’adapter à des conditions dites « particulières » qui obligent en tout temps à être créative. Voilà pour moi les préalables qui expliquent cette force créatrice que représente le génie guadeloupéen. Et cela dans bien des domaines. Il ne reste plus qu’à mettre tout cela en valeur par une communication d’envergure encore une fois en vue de conscientiser la population.

Réussir le recrutement de mon premier collaborateur

Réussir le recrutement de mon premier collaborateur

Par Melissa Méridan et Ludivine Prosper Photo : Sarah Ruhullah Être chef d'entreprise, c’est souvent être aussi employeur. Une casquette encore différente de celles de gestionnaire, de visionnaire, de stratège que demande la création et la gestion d’entreprise. Si certaines activités nécessitent dès leur lancement le recrutement de salarié(e)s, d’autres peuvent démarrer sans, reposant uniquement sur le chef d’entreprise. Pour ces dernières, leur développement les amènera à envisager de faire grandir l’équipe afin que l’entreprise elle-même grandisse. Quel que soit le moment du premier recrutement, la décision de recruter est une étape charnière pour l’entreprise et l’optimisation du choix du candidat est capitale ! Les signes m’indiquant qu’il me faut recruter Plusieurs éléments peuvent vous amener à envisager un recrutement : vous n’arrivez plus à tout faire seul ? Les délais de réponse vis-à-vis de vos clients sont de plus en plus longs, vous faisant ainsi perdre en professionnalisme et potentiellement des clients et/ou prospects ? Votre présence sur le terrain ralentit le développement stratégique de votre structure ? Vous avez atteint votre objectif de chiffre d’affaires à partir duquel vous aviez projeté le recrutement d’un(e) salarié(e) selon votre plan de développement ? Ou encore, vous êtes en cours de création ou de reprise, et il est évident que votre business model ne fonctionnera pas sans collaborateur(trice)(s) ? Autant de raisons vous amenant à recruter pour la première fois ! © Laura Chouette
Qu’est-ce que cela va changer pour moi ? Vous devenez employeur et manager ! Devenir employeur, c’est s’engager dans une relation contractuelle et humaine avec un(e) salarié(e). Cette collaboration est alors formalisée à travers un contrat de travail, lui-même encadré par les dispositions réglementaires du Code du travail et de votre convention collective. D’où la nécessité d’avoir un contrat de travail bien rédigé, adapté, qui ne vous enfermera pas dans la situation actuelle de votre entreprise, mais qui laissera un champ d’action non négligeable à votre pouvoir de direction pour l’avenir. Mais au-delà, vous devenez manager ! Ce qui suppose des compétences et/ou aptitudes managériales. Une part de votre activité consistera désormais à donner un cadre, organiser le travail, déléguer, motiver, définir des objectifs communs et individuels, communiquer, accompagner, suivre dans le temps… Et cela, c’est aussi du temps. Il vous faut donc vous réorganiser de manière à intégrer cette nouvelle casquette qui, ne l’oubliez pas, vous libérera du temps pour vous consacrer à d’autres missions, ou vous permettre de mieux faire vos missions et par voie de fait : augmenter la performance de l’entreprise ! Et pour mon entreprise, quels changements ? Le premier changement est d’ordre financier, puisque recruter un(e) collaborateur(trice) c’est générer une masse salariale et donc ajouter un nouvel investissement pour l’entreprise. Recruter c’est donc faire évoluer les indicateurs de l’entreprise : votre point mort économique ne sera plus le même (seuil de chiffre d’affaires pour lequel l’entreprise ne perd pas d’argent, mais n’en gagne pas non plus), votre besoin en trésorerie évoluera également… Vous l’aurez compris l’impact nécessite d’anticiper : le coût réel du recrutement, le retour sur investissement attendu pour ce recrutement et la capacité de votre entreprise à absorber ce dernier dans la durée. Il s’agit donc d'établir des prévisionnels fiables et réalistes, vous permettant ainsi de rendre compatibles votre besoin en recrutement, votre capacité à recruter et les modalités de recrutement que vous choisirez ! Par ailleurs, en intégrant un ou des collaborateur(trice)s, l’entreprise élargit le spectre de ses parties prenantes. En effet, de nouveaux interlocuteurs tels que l’URSSAF, la médecine du travail, la DIECCTE, OPCO, entre autres, deviennent des acteurs à considérer. © Sarah Ruhullah Comment réussir mon recrutement ? Recruter est un processus qui se décline en plusieurs phases qui s’assemblent pour ainsi dire. Bien recruter induit la bonne maîtrise de l’interdépendance de chacune de ces phases pour créer les conditions favorables à la réussite de votre recrutement.
Définir votre besoin. L’objectif est de cerner au plus près le besoin présent et futur de votre entreprise. Pour ce faire, mettre en perspective votre performance économique présente et celle souhaitée avec votre organisation actuelle et celle qui serait optimale sera une base pour la création d’une fiche de poste adaptée aux besoins réels de votre entreprise. Les bonnes questions à vous poser : Quels sont mes objectifs financiers, qualitatifs, quantitatifs ? Quel est mon niveau de performance actuel ? Comment puis-je atteindre mes objectifs : nombre de collaborateurs(trices) nécessaire(s), les postes indispensables… ? Quel est le poste que j'ai à pourvoir ? Quelles en sont les principales missions et activités ? Quel sera l'impact direct et indirect du poste sur le résultat de l'entreprise ? Quelles sont les compétences indispensables, utiles ? Quel est le niveau de technicité requis ? Quel niveau de qualification ? Est-ce un besoin ponctuel ou durable ? Quel type de contrat ? Existe-t-il des perspectives d'évolution ? Nos astuces  : évaluer la technicité du poste vous permettra de définir notamment le type de contrat ; évaluer la charge de travail qui sera confiée afin de déterminer si vous avez besoin d'un temps plein ou partiel ; évaluer la durabilité du besoin (intérim, CDD ou CDI ?). (…) il conviendra de manager au quotidien cette relation de travail, d’anticiper les évolutions de votre activité et de développer les compétences de votre entreprise… Définir le coût. L’enjeu est de maîtriser l’ensemble des coûts liés au recrutement envisagé, afin de ne pas être surpris par le coût réel du/de la collaborateur(trice). Les bonnes questions à vous poser : Quel sera le coût global ? Quel en sera le coût indirect (temps à consacrer, ressources externes, investissement matériel…) ? Des aménagements sont-ils nécessaires pour accueillir le/la collaborateur(trice) ? Si oui, quel budget ? Quelle est la meilleure politique de rémunération à mettre en place pour ce poste ? Nos astuces : Utiliser les simulateurs URSSAF ou Pôle Emploi pour estimer le coût de l’embauche, solliciter l'appui d'un expert RH vous aidera à créer une politique de rémunération souple pour l'entreprise, attractive pour le/la salarié(e) et au service de votre stratégie globale (fixe, variable, avantages en nature, véhicule de fonction ou de service, chèque cadeau…), vérifier votre éligibilité aux aides à l’embauche existantes selon votre situation et votre stratégie de recrutement : zones franches, publics prioritaires… https://www.service-public.fr/  (rubriques : aides à l’embauche). Recruter soi-même ou externaliser le recrutement ? Recruter vous-même est une possibilité si vous avez les compétences et le temps nécessaires à la conduite d’un processus de recrutement de A à Z (rédaction et diffusion de l’annonce, gestion des candidatures, entretiens téléphoniques et physiques, test(s), gestion des candidatures non retenues, faire des contrôles de référence en bonne et due forme, valoriser votre marque employeur à travers le processus de recrutement…). L’autre choix qui s’offre à vous, c’est l’externalisation. La gestion des candidatures. Selon le poste à pourvoir et le profil recherché, la diffusion de votre annonce entraîne la réception d’un flux plus ou moins important de candidatures. Aussi, il est capital de s’organiser pour être efficace. En effet, comment traiter le flux de candidature ? Comment répondre aux candidats ? Comment décider, choisir un profil ? Nous vous recommandons de vous outiller d’une grille d’appréciation objective selon les critères requis au poste, d’automatiser les réponses aux candidatures, de prendre le temps de répondre aux personnes reçues en entretien et de ne pas perdre de vue votre marque employeur qui a un impact auprès de vos futurs collaborateur(trice)s, mais aussi auprès de votre clientèle. Confirmer le/la candidat(e) et préparer son arrivée. Le recrutement d’un(e) collaborateur(trice) se concrétise par quelques démarches administratives qu’il vous appartient de mener. Un élément essentiel est la rédaction d’un contrat de travail adapté à votre besoin, à votre entreprise et qui permettra une souplesse utile aux potentielles évolutions de votre structure. N’hésitez à vous faire accompagner d’un(e) expert(e) RH et/ou d’un(e) juriste en droit social en la matière. Autres démarches : réaliser la Déclaration préalable à l’embauche (DPAE) à partir du 8e jour avant l’arrivée du candidat (www.net-entreprises.fr) , créer votre registre du personnel et y inscrire vos embauches et départs de l’entreprise, procéder à l’affiliation aux organismes de retraite complémentaire obligatoire (ARRCO pour les salarié(e)s, AGIRC pour les cadres), organiser la visite d’information et de prévention (anciennement appelé visite médicale d’embauche). Pour les CDD, préparer le Bordereau individuel d’accès à la formation (BIAF) qui sera à remettre au candidat. Dans le cas d’embauche de salarié(e)s de nationalité étrangère : il convient d’adresser au moins 2 jours avant la date de démarrage du contrat une lettre RAR ou un mail à destination de la Préfecture, accompagné d’une copie du titre présenté par le candidat. L’objectif étant de s’assurer de l’existence d’une autorisation de travail pour ce(cette) candidat(e). Enfin, engager les démarches concernant les aides existantes auxquelles vous êtes éligible. © Karabo Ndluli Préparer et réussir l'intégration et la période d'essai. Au-delà des démarches administratives, il vous est nécessaire de créer les conditions favorables à l’intégration du/de la collaborateur(trice). Nos conseils  : assurez-vous de lui réserver un espace de travail cohérent avec la mission que vous lui confiez, et de lui mettre à disposition dès son arrivée l’ensemble des équipements nécessaires à sa prise de fonction. Nous vous recommandons également de préparer un accompagnement d’intégration, comprenez par là, accordez-lui du temps pour une présentation plus détaillée de votre entreprise, de sa raison d’être et de son impact sur l’économie. N’hésitez pas à contextualiser le rôle du ou de la salarié(e) dans la chaîne de création de valeur de votre structure. Un accompagnement dans les missions sera également un moyen de partager vos pratiques et de les ancrer dans les process internes. Capitalisez la période d’essai ! Tout l’enjeu consiste à manager au mieux ce laps de temps afin d’en faire un véritable outil d’aide à la décision quant à la pérennité de la relation de travail. Pour cela, il est utile de programmer des points d’étape réguliers basés sur des critères d’appréciation objectifs, au regard des compétences attendues. En résumé, réussir son recrutement est à la portée de tous, dès lors qu’il y a une véritable réflexion, une véritable stratégie, le temps nécessaire consacré et des outils adaptés utilisés au bon moment ! Pour finir, gardez en tête que le recrutement n’est qu’un premier pas vers votre objectif de performance globale, car une fois le/la collaborateur(trice) embauché(e), il conviendra de manager au quotidien cette relation de travail, d’anticiper les évolutions de votre activité et de développer les compétences de votre entreprise à travers le développement des compétences de votre collaborateur(trice), sans oublier les vôtres !

Richard Trèfle | Bellatrix

Richard Trèfle | Bellatrix

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Big-bang d’inspirations contraires, un more is more décomplexé, geyser d’idées aux contours best-sellers. Rencontre d’un des créateurs les plus stimulants du moment, qui par sa palette de créativité met la critique à ses pieds, emportant tout sur son passage. Un parcours des plus atypiques. Né au début des années 80, à Pointe-à-Pitre, j’ai grandi dans le quartier de Mortenol Sud. Un quartier réputé difficile où j’ai été élevé par ma mère qui nous a éduqué seule, mon frère aîné et moi. Très tôt, elle nous a inculqué les valeurs du travail et du respect, ce qui se révélera comme un véritable défi lorsque l’on grandit avec la tentation de l’argent facile. C’était une femme stricte, mais juste. Nous avons grandi entourés de voisins au grand cœur, de travailleurs acharnés, mais aussi de petits trafiquants. Cet ensemble fera de moi ce que je suis aujourd’hui. Malheureusement, je n’ai pas eu la chance d’accéder à des études supérieures. Je dirais que j’ai eu un parcours scolaire atypique, où j’ai sauté une classe à l’école primaire et une autre au collège, mais étant trop turbulent, du fait de mon ennui, j’ai été à tire-d’aile mis de côté par mes professeurs. J’ai tout de même obtenu un CAP-BEP en électrotechnique, avec la mention très bien. Mais par la suite, je me suis retrouvé sans école pouvant m’accueillir, mes professeurs n’ayant pas jugé utile de m’inscrire en classe supérieure. C’est ainsi que je me retrouve à l'âge de 16 ans sans école et décide de travailler dans un fast-food. Cela a été très difficile, car je me suis vite confronté à la dure réalité de l’entrepreneuriat, un monde qui m’était jusqu’alors inconnu. L’année suivante, je reprends mes études et entre en première électrotechnique, au lycée de Trioncelle, à Baie-Mahault, tout en continuant à travailler le soir. Cette équation n’était certainement pas la meilleure, puisque j’ai vite mis fin à ces études. J’ai donc poursuivi mon expérience au sein de cette même enseigne de fast-food, jusqu’à y devenir technicien de maintenance itinérant. Il est vrai qu’il était bien plus intéressant pour moi de gagner de l’argent en travaillant que de continuer à aller à l’école. Mais lassé par ce secteur, je décide de changer de voie et m’essaie à plusieurs emplois dans différents secteurs. Et c’est après moult expériences que je décide de m’orienter vers un métier plus manuel qui sollicitait rigueur et précision. C’est ainsi que je deviens monteur-lunetier pour un atelier de montage adossé à une grande enseigne de l’optique et me passionne pour ce métier. J’y suis resté deux ans puis me suis vite lassé, car j’avais peu de marge de manœuvre pour m’exprimer. J'ai donc postulé chez un autre opticien de la région pointoise qui, à cette époque, avait cinq magasins en gérance. À 25 ans, me voilà chef d’atelier manageant trois monteurs, tous plus âgés que moi. Les premières années ont été laborieuses, car il était difficile pour moi, de me faire comprendre de mes collègues au vu de mon jeune âge et de mon tempérament impulsif. Il m’a fallu du temps pour comprendre et tisser des liens, pour enfin réussir à installer un climat serein pour le bien de tous, ce qui a porté ces fruits. Grâce à la persévérance et la ténacité, je me suis vite forgé une réputation d’homme exigeant, mais qualifié et réputé pour la qualité de son travail, également apprécié de tous mes collègues. J’ai travaillé près de dix ans dans cette entreprise où j’ai pu valider mon CAP monteur-lunetier, à Besançon, à l'aide de la VAE. J’en ai profité par la suite pour m’essayer au BTS optique Lunetterie et ai suivi plusieurs modules de cette formation à Paris, dont l’examen de vue et la vente-visagiste. Cette reprise m’a réconcilié avec les bancs de l’école. J’ai toutefois décidé de ne pas poursuivre dans cette voie, préférant les travaux manuels, mais aussi parce que mon ancien employeur ne me donnait que peu de moyens pour m’entraîner. Après coup, je me suis formé chez les Meilleurs Ouvriers de France Lunetiers qui dispensent leurs cours dans le Jura, berceau de la lunetterie. Ces derniers ont tout de suite vu en moi un fort potentiel. Débordant d’idée, mais contraint de ne pouvoir évoluer et de ne pouvoir laisser place à ma créativité, au sein de l’entreprise pour laquelle j’ai travaillé près d’une décennie, j’ai décidé de créer ma propre entreprise ainsi que ma propre marque : Bellatrix . Je me suis laissé, en tout et pour tout, un an pour effectuer toutes les démarches administratives et créer la première collection. Cela a été très difficile, car je me suis vite confronté à la dure réalité de l’entrepreneuriat, un monde qui m’était jusqu’alors inconnu. La révélation Bellatrix . J’ai choisi le nom Bellatrix qui signifie ténacité en latin, car si je ne savais rien de l’entrepreneuriat, je savais que la ténacité allait être indispensable pour créer et développer ce projet. C’est aussi, un hommage appuyé à ma femme qui dès mes débuts, enceinte de notre premier enfant, m’a épaulé et aidé en effectuant toutes les démarches : étude de marché, rédaction des statuts… Sans elle, j’aurai déjà abandonné et c’est sans compter sur sa persistance, sa pugnacité et sa persévérance. Oui, je dirais que Bellatrix, au-delà d’une passion et d’une totale liberté, est aussi une histoire familiale. C’est en effet à deux que cette société s’est créée. Cela a été un véritable défi et l’est encore aujourd’hui, élevant nos deux jeunes enfants, Maxine et Raphaël, et Christelle menant sa carrière professionnelle en tant que cadre dans le secteur privé. Elle m’accompagne moralement certes, mais tient un rôle prépondérant chez Bellatrix puisqu’elle y est mon associée, responsable du développement des activités, de l’administratif, de la gestion et du marketing. Sortir de sa zone de confort, oser. Voici le créneau de notre couple. Quand je vends une paire de lunettes dans le monde, je véhicule l’image de la Guadeloupe. Toutes mes lunettes sont faites main, dans mon atelier, et sont toutes gravées : made in Guadeloupe. Avec Bellatrix, je propose aux opticiens et particuliers la possibilité de créer sur mesure des montures de lunettes optiques et solaires adaptées à la morphologie de leur visage et de choisir forme et couleur. Ce choix se fait parmi de nombreux coloris, l’intégration de tissu ou de matières naturelles telles que le sable, le bois, la fibre de coco... Dès le départ, j’ai été épaulé par Guadeloupe expansion et Initiative Guadeloupe avec qui j’ai constitué un dossier solide qui m’a permis d’obtenir un prêt à taux zéro. Ensuite, un gros coup de chapeau à la Région Guadeloupe en la personne de son président et son équipe, qui nous ont permis de continuer notre développement aux moyens d’aides financières (ARICE…) et d’accompagnements par le biais de conseils aux entreprises. La Chambre des métiers m’a également soutenu en me permettant d’être accompagné par des consultants en organisation et développement d’entreprise. Aussi, j’ai pu compter sur le soutien des Meilleurs Ouvriers de France. (…) mes premiers pas ont été difficiles, car personne ne me connaissait, tout le monde porte en général de grandes marques. J’ai reçu un accueil chaleureux de la part des opticiens guadeloupéens. Et à peine trois mois après le lancement commercial, je décide de participer à l’un des plus grands salons professionnels de l’optique, le Silmo de Paris. J’assois ainsi notre notoriété et élargis notre portefeuille clients. Les médias locaux nous ont également réservé un très bon accueil ainsi que la population qui semble adhèrer au concept ; nous recevons des félicitations de toute part pour notre initiative. Je me rappelle, qu’à la suite d’un reportage que Guadeloupe la 1re nous avait consacré, mettre rendu à Destreland et être reconnu par des gens qui venaient me féliciter pour mon initiative et m’encourageaient dans cette voie que j’avais choisi. Ce jour-là, j’avais une vingtaine de cartes de visite et en l’espace d’une heure, il ne m’en restait plus. J’étais très content et c’est à ce moment que j’ai commencé à avoir confiance en moi, car beaucoup de gens comptaient sur moi. Et il était inconcevable de les décevoir. Au fil du temps, j’ai analysé ce qui n’allait pas et je me suis vite amélioré. Ma fierté tient dans le fait que tous mes premiers clients ont repassé commande jusqu’à ce jour et me félicitent pour les améliorations portées sur la qualité de mon travail. Aussi, de nombreuses personnalités ont été séduites par notre concept et nous font confiance pour leur proposer des montures parfaitement adaptées à la morphologie de leur visage (Claudia Tagbo, Lilian Thuram, Sonia Rolland, Kareen Guiock...). Nous avons eu l’opportunité de participer en mai 2018 à un événement organisé en marge du Festival de Cannes par une marque de produit capillaire haut de gamme. Le but était de présenter sa marque à des personnalités et des influenceurs, le tout dans une somptueuse villa sur les hauteurs de Cannes. Nous avons ainsi pu rencontrer et faire découvrir la marque à de nombreuses personnalités, mais aussi monter les marches du festival. Grand fan du réalisateur américain Spike Lee, je savais qu’il serait à Cannes, son film Blackkklansman étant nominé. À ma grande surprise, je vois qu’il "like" sur Instagram la publication annonçant mon arrivée à Cannes. Je lui crée donc une paire de lunettes composées de trois sables de plages guadeloupéennes. À force d’audace, de contacts noués, nous parvenons à le rencontrer et à lui remettre la paire de lunettes. Un moment mémorable pour nous. Nous espérons pouvoir poursuivre les échanges avec ce réalisateur de renom. Le post concernant Spike Lee a été vu plus de 52 000 fois et partagé 400 fois. Nous espérons poursuivre notre développement à l’international et asseoir notre notoriété. Ses débuts. Comme je le disais plus tôt, mes premiers pas ont été difficiles, car personne ne me connaissait, tout le monde porte en général de grandes marques. Il fallait donc que je prouve de quoi j’étais capable… Ma chance, c'est que je suis le seul à faire ce que je fais et cela a été l’élément déclencheur, car j’ai attiré l’attention. Mais à l’époque, j’étais très mal à l’aise quand il s'agissait de m’exprimer en public, j’avais énormément de mal à expliquer mon activité. Je manquais cruellement de confiance en moi. D’ailleurs, mes premières créations, avec le recul qui est le mien aujourd’hui, étaient une vraie catastrophe. Ma mère avait très peur à mes débuts, je venais de démissionner de mon travail et ma femme était enceinte de notre premier enfant… Quand je recevais l’appel de mes premiers clients, je tremblais, ils se plaignaient de mes finitions ou autres, comme savait si bien le faire mon amie de lycée Odile Martial (rires), opticienne et première cliente. Je manquais de confiance. Je me rappelle, parfois, que je me réveillais la nuit pour réfléchir, me demander si j’avais fait le bon choix. Est-ce que ce n’était pas mieux de rester à mon ancien emploi et toucher un salaire ? Les clients, allaient-ils de nouveau me faire confiance… ? Je me souviens de mon premier jour de démarchage commercial, je tremblais à l’idée de voir mes premiers clients me fixant des yeux afin d’entendre ce que j’avais à leur dire, car je me répétais et bégayais tout le temps. Mes premiers entretiens je les faisais avec mon associée, ma femme, qui prenait le relais quand je m’emballais. Elle m’a beaucoup aidé à traverser cette période qui maintenant est de l’histoire ancienne. J’ai aussi reçu l’aide de ma première fan qui est ma mère, à qui je dois tout, car grâce à ses conseils ainsi que ceux de ma femme, j’ai réussi à surmonter cette épreuve et maintenant j’aime ce que je fais. Ma mère avait très peur à mes débuts, je venais de démissionner de mon travail et ma femme était enceinte de notre premier enfant, mais grâce à ma détermination elle a vite été rassurée. J’ai su m’entourer de bonnes personnes, dignes de confiance, pour mener à bien ce projet et c’est pour cela que je suis fière de dire haut et fort que Bellatrix est une société familiale guadeloupéenne, car j’utilise toutes les ressources autour de moi pour les intégrer dans mes lunettes. Quand je vends une paire de lunettes dans le monde, je véhicule l’image de la Guadeloupe. Toutes mes lunettes sont faites main, dans mon atelier, et sont toutes gravées : made in Guadeloupe . Pour moi, cela est un gage de qualité et de reconnaissance pour mon île. Nous avons embauché notre première salariée en 2018, afin de répondre aux commandes croissantes. Enfin… Malheureusement, le succès ne vient jamais tout seul. J’ai dû aussi m’armer de patience et découvrir aussi des personnes mal intentionnées qui n’ont aucun scrupule à vous dénigrer ou dénigrer votre travail pour essayer de briller à leur tour ou utiliser votre notoriété pour se mettre en avant. Je trouve cela répugnant, mais j’ai appris à mettre de l’eau dans mon vin et à passer au-dessus. Enfin, l’entrepreneuriat m’a beaucoup changé, la transition de salarié à patron est complètement différente. Maintenant, j'appréhende mieux ses pourtours, mais tout est question de stratégie à adopter. C’est pour cela que j’ai été accompagné par la Chambre des Métiers et de l’Artisanat par le dispositif CAPEA — en la personne de M. Amblard, afin d’élaborer la meilleure stratégie pour le bon fonctionnement de l’entreprise et cela m’a permis d’éviter de nombreux écueils. Les réseaux sociaux nous ont aussi permis de nous développer. Ce sont de très bons outils de communication qui permettent à une entreprise de gagner en visibilité et développer son chiffre d’affaires. Aujourd’hui, nous sommes connus au-delà de la Guadeloupe et cela reste ma fierté. Le génie guadeloupéen, selon moi, consiste à pouvoir exprimer son intelligence et sa culture au service de soi-même, mais aussi des autres. Le génie peut s’exprimer de différentes manières. Notre passé, je pense, nous permet d’être fort mentalement et de faire preuve de ténacité.

Corinne Thimodent-Nabal | Gloasanvé

Corinne Thimodent-Nabal | Gloasanvé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin En choisissant sa voie, Corinne Thimodent-Nabal a sans doute réussi son premier pari, celui de la légitimité. Celle d’un savoir et d’un savoir-faire, qui prennent forme dans des créations qui mixent les registres, une féminité extrême aux délicats accents créoles. Pas exactement là où on l’attendait, cette entrepreneure à la fois pugnace et discrète nous propose une célébration de l’artisanat à l’ère du tout numérique. Récit d’une entrepreneure qui fait vibrer l’économie circulaire. L’organisation de la pensée. Enfant, je ne me souviens pas avoir eu un rêve bien défini. Cela se précise à l’adolescence, j’écris beaucoup, je chante, je pratique alors pas mal de sport, mais c’est au tennis que je m’exprime le mieux. Deux professions m’attirent : psychologue et journaliste. À l’époque, je me sentais à part, mais pas différente. J’ai grandi dans une famille catholique où l’éducation est outil et le travail une liberté. Je n’ai pas vraiment fait de choix d’études. J’ai essayé de me conformer autant que possible. Après une première année catastrophique à Paris, n’y étant pas préparée, je suis revenue en Guadeloupe étudier le droit. J’ai eu des doutes sur les raisons profondes de ce premier départ, sur ma capacité à relever le défi. Quand j’ai eu ma licence, je me suis sentie pousser des ailes, avec ce master en médiation culturelle deux ans plus tard, enfin, j’allais pouvoir travailler dans mon domaine la culture. Pour moi, les études sont d’abord une école de formation et d’organisation de la pensée. C’est la manière dont j’allais mettre en œuvre tout cela qui m’a porté. La peur de l’échec est légitime, l’impératif est de la gérer. Je n’ai pas de hiérarchie à ce sujet, un échec est un échec. Quand je reviens en Guadeloupe, fin 1999, Hellen Rugard et moi étions les rares à avoir ce profil que l’on commençait à rechercher dans l’économie de la culture ; l’ingénierie culturelle. Donc, quand je rentre, je postule au Centre des arts et de la culture de Pointe-à-Pitre. Je me retrouve, tout en travaillant sur un mémoire sur la programmation, à faire mes premiers pas en tant que chargée de communication ; fonction qui se résuma très vite à rédiger des communiqués et accompagner les artistes aux rendez-vous médias. Heureusement, en arrière-plan, je peaufine ce mémoire faisant un vrai état des lieux de la structure, en proposant des déambulations et un nouveau visage aux événements déjà phares (ex Festival de jazz), fléchant les axes, les possibilités de partenariat et de financement. J’ai adoré faire cela, mais ça va rester une copie sur mon bureau, l’autre dans mon ordinateur de bureau, puisque très vite à la suite d'une altercation violente avec des collègues, je vais perdre ce premier emploi. À ce moment, on se pose beaucoup de questions. On refait le film de l’entrée à la sortie. On cherche le pourquoi. C’est tellement choquant, violent, soudain. Je m’en suis beaucoup voulu et ne trouvant pas de réponses, je me suis repliée un temps sur moi-même. On s’accroche. Puis, j’ai connu l’agence Cromatick où j’étais l’une des plumes de Pierre-Edouard Picor. J’y croisais Sainsily, qui au cours d’une conversation, m’enseignait sans le savoir le génie des couleurs, des formes. Il devient une inspiration comme l’a été pour moi Lucien Léogane, mon professeur de technologie au Collège. Durant cette période étrange, j’ai la chance de participer aux équipes du Festival du film Noir tout couleur avec Lydia René-Corail, j’apprends. J’intègre l’équipe constitutive du Festival Créole Blues sur deux saisons, qui deviendra par la suite Terre de Blues, j’apprends aux côtés de Pierre-Edouard Decimus, Eddy Compère. Je m’intéresse au théâtre, donc c’est naturellement que je dis oui à Poetika, que l’on retrouve au restaurant la Fougère en représentation d’un répertoire revisité des œuvres de Rupaire, Vélo, Césaire, Damas… et la voix merveilleuse de Jacqueline Étienne. Et puis, il y aura cette pièce de théâtre «  Si batô la pa rentré  » qui va allumer la mèche et m’interpeller sérieusement au fil des années. Le salariat, je m’y plie, j’ai fait un tour à RFO. Tombée en carence, je m’entends dire à un directeur, si vous ne m’appelez pas pour un travail en tenant compte de mes compétences ce n’est pas la peine d’appeler. Ce jour-là, j’étais à Pôle emploi, cadre où je validais mon départ pour un semestre de formation au CFPJ en tant que journaliste presse magazine. Encore une fois, je partais, avec la ferme intention de revenir en tant que journaliste, spécialisée dans la culture… GloaSanvé, woulé lespwa. Entrepreneure, je le suis devenue en développant le projet de micro-filière cuir intégré, au sein de ma première structure Figures Rp, créée en novembre 2004. Ce n’était pas une envie, mais une nécessité. J’y exerçais en tant que consultant en relations publiques et presse, et assurais la gestion de projets culturels et sportifs tels que le Tour de Guadeloupe en Canot à Voile traditionnel. Le tour 2007 est un véritable succès. Une telle envolée suscite les convoitises, si je m’engage sur les tours suivants, mes énergies sont déjà ailleurs sur l’optimisation de mes compétences ; afin de mener à bien ce projet de plateforme d’information entre les femmes de la Caraïbe avec ses événements, sa boutique en ligne fournie d’objets, de produits que je ne trouve pas. Ce que je trouve est clivant, manque de finitions pour intéresser la clientèle que je vise. Je m’interroge sur cela, c’est un vrai sujet que pose le constat des limites et des freins à la création, la question de la disponibilité des matières premières, de l’atrophie des infrastructures de production, de la formation des artisans. Dix ans après la création de Figures Rp, et à l’appui des études de faisabilité dont les préconisations suggèrent de travailler le marché, en amont de toute implantation d’ateliers, pour faciliter l’émergence d’une demande locale forte, je fonde Tanal Caraïbes qui prend la suite en ce qui concerne l’exploitation de la marque GloaSanvé . En allant signer le prêt participatif, le directeur de l’organisme me dit avec beaucoup de sérieux : « vous souffrez de plusieurs handicaps : vous êtes une femme, vous êtes noire et vous ne vous appelez pas untel ». Nous fonctionnons comme un bureau de style et concevons des collections : chaussures, maroquinerie et accessoires avec des matériaux élaborés et des couleurs chaudes, coordonnons le travail à façon et la vente. Ainsi, pouvons-nous travailler à la fois sur une clientèle locale et internationale. À l’appui d’une solide stratégie en marketing de contenu, de relations publiques et presse, en participant à des événements aux côtés de designers reconnus de la place et nos ventes privées, nous avons pu constituer notre communauté d’abonnées/clientes. La marque GloaSanvé est une offre de choix, se positionnant sur le haut de gamme pour des femmes cherchant à vivre et exprimer leur être. On part d’un objet commun et d’une technique ancestrale : le travail de la peau en cuir, pour en faire un produit qui casse les codes. Prenons l’exemple de la marque Versace qui représente un art de vivre : quand les personnes sont conquises par une marque, elles adoptent le style de vie qu’elles véhiculent. Porter du Vuitton donne une belle assurance à une femme, en ce que cette marque incarne l’élégance à la française. Aujourd’hui, une femme se sent aussi à l’aise avec son accessoire GloaSanvé, parce qu’elle valide et valorise l’art d’être, un style de vie et d’attitude combative et apaisée face au défi de la vie. Il faut penser la marque comme un tout, comme un produit qui traduit l’art de vivre créole. Ce que nous magnifions avec notre motif all over Woulé Lespwa dont le dessin est une allégorie d’une horloge du temps créole : ce temps suspendu où la lune fait face au soleil et permet tous les rêves possibles. C’est ce temps suspendu que nous offrons à nos visiteurs qui viennent chez nous se détendre. C’est aussi dans ce temps suspendu que nous franchissions des étapes de vie. Le piment servant de rite de passage à l’âge adulte des jeunes Amérindiens, le tambour-ka guadeloupéen instrument musical hérité de nos ancêtres qui ont su s’unir et inventer à travers lui ce langage commun. L’œil profane dira qu’il correspond à des moments de vie dans les plantations. Pour les initiés hautement spirituels, il incarne la résistance et accompagne l’élévation de nos pensées. Le colibri fait sa part, essaime, et toujours l’homme présent dans la diversité qui fait sa force. GloaSanvé s’identifie et interprète, faune, flore, culture, patrimoine les déclinant : talon madras grand-joie, demi-deuil, tige balisier, finition en feuilleté de cuir pour un effet doré original, Woulé Lespwa en doublure et imprimé pour la maroquinerie et les carrés de soie. Avant de pouvoir produire cette collection commercialisée aujourd’hui, j’ai dû abandonner la fabrication de deux précollections. Mes proches, ma famille, une poignée d’ami.es m’ont soutenu, surtout dans la phase des études de faisabilité. Mon activité était lisible et ne sortait pas du cadre même si la démarche en matière d’économie circulaire et la stratégie de marque avaient un fort caractère innovant. Ensuite, cela se complique tant il manque des fonds – à la fois pour produire et communiquer correctement. Plus j’avançais, plus je me rendais compte que si mes idées faisaient leur chemin, des décideurs restés scotchés à l’un des scénarios du projet initial m’empêchaient d’en dérouler sereinement les autres aspects. La question du développement endogène me préoccupe et me passionne et c’est sur les industries créatives que j’allais désormais opérer. Faire avec ce que l’on a et transformer ce quotidien vite jugé sans lendemain alors qu’il faut dessiner de nouvelles perspectives, tendre vers le plus abouti possible – en l’espèce à partir d’un déchet ; faire œuvre d’originalité et de pertinence, donner corps et une raison d’être aux industries créatives qui ont leur part à jouer en transversalité avec d’autres secteurs : la culture, le tourisme, l’artisanat. Innover tant dans nos perceptions que dans nos pratiques, être promoteur de ce monde nouveau. J’ai eu aussi des soutiens affirmés en dehors de mon cercle familial ; en cela, je suis extrêmement reconnaissante, et surtout : je n’oublie pas. Avant de pouvoir produire cette collection commercialisée aujourd’hui, j’ai dû abandonner la fabrication de deux précollections. Celle de 2014 et celle de 2016. Deux raisons à cela : d’une part, l’option de vendre en ligne des modèles sur des photos pas disponibles immédiatement à l’achat, ne marche pas vraiment et de l’autre les fonds du prêt participatif pour lesquels je me suis vue rendre l’âme arrivent avec beaucoup de retard. L’atelier à façon a profité de cette faille pour casser le contrat et produire nos modèles pour son compte alors que nous les avions conçu. Je m’étais investie dans le façonnage, payé la phase de prototype, préfinancé le matériel pour la pose du talon cubain ; l’atelier étant équipé pour les Louis XIV. Toutefois, j’en ai tiré une formation exemplaire, tant sur la fabrication du produit que sur ma capacité à pouvoir m’investir dans ce domaine. Le made in Guadeloupe oui et le « Think » in Guadeloupe d’où vient et se greffe la valeur ajoutée. Car ce qui distingue les industries créatives, c’est la propriété intellectuelle et les attributs qui y sont attachés validant l’organisation de la pensée et sa matérialisation dans un objet sensé. C’est là que vient la richesse de ce secteur. Mon ambition, en tout cas ma volonté, était de démontrer qu’il était tout à fait possible de croire et mettre en œuvre l’initiative de départ, qu’à défaut d’une usine intégrée que toute la postproduction pouvait être implantée ici de la créa jusqu’à l’atelier de prototypes et opérer les ventes en ligne, que les modèles et l’esprit de la marque prônant l’affirmation de l’être pouvaient conquérir sa clientèle en construisant et en s’appuyant sur un marché intérieur – une demande locale de plus en plus forte. Plus encore en utilisant le numérique pour parvenir à diffuser et désenclaver la marque. Avec GloaSanvé, la mise en œuvre de ses process, la valorisation de notre culture avec ce motif allover, nous fait entrer dans une autre dimension, de conception, de finition, d’aboutissement. Nos ventes et la demande de nouvelles collections valident notre modèle économique, modèle que nous améliorons et qui participe au changement de regard sur nous-mêmes ; ajoutant aux grands axes de développement économique, les activités et industries relevant des ICC. Pour imposer la marque, nous avons dû l’habiter, afin de ne pas être une pâle copie d’autres marques. GloaSanvé est une marque, donc nous évoluons dans un espace très particulier à cheval entre le design, l’artisanat et l’industrie, le bien de consommation courant et le produit culturel. Oui, la demande d’être, d’exister, de faire résonner ce son spécial qui est le nôtre est bel et bien présent et nos clientes l’affirment, le confirment en achetant et en portant nos modèles, chaussures, sacs, soieries. Ma première difficulté et qui l’est encore aujourd’hui, c’est d’être et de rester crédible. Il y a différents publics, mais globalement ce fut « hard » levé de boucliers dans certains milieux, moquerie, rejet…, mais je savais pourquoi, donc il fallait juste faire le job, continuer d’apprécier chacun pour ce qu’il veut bien être et attendre. Pour financer la création de l’entreprise, j’ai cumulé les emplois et apporté les fonds initiaux de ma poche. Dans la même année, une amie, chère à mon cœur, m’a accordé un prêt. Ensuite, j’ai obtenu l’intervention du Firg sous forme de prêts participatifs, et enfin un accompagnement de Feedelios. Ce qui nous manque pour créer une véritable économie guadeloupéenne ? Un marché local proactif, «  coloniser » sans état d’âme des niches inexploitées, avoir confiance et cultiver une grande ouverture d’esprit. Je ne peux le nier, j’ai eu peur de me lancer dans une telle aventure d'autant plus que mes fonds propres sont faibles, et que si je bénéficiais de prêts, il pèse sur moi des contraintes énormes. J’avais déjà une formation initiale qui s’est développée par la pratique, avérée insuffisante pour affronter tout cela. Je me suis adaptée sortant de ma zone de confort m’appuyant aujourd’hui sur un cabinet-conseil. Mieux entourée, je me prépare à parfaire mes connaissances et compétences également. Christelle, est ma collaboratrice, très polyvalente, elle intervient sur le site — back-office, coanime la communication digitale, et assure l’infographie. En soutien, nous avons ponctuellement des collaborateurs extérieurs qui interviennent sur la maintenance des sites, les fiches de style, la coordination avec les ateliers quand je ne peux pas m’y rendre moi-même. Et je fais tout le reste… Mental d’entrepreneure et plafond de verre. En ce qui concerne l’entrepreneuriat, en Guadeloupe, je dirais rude et formateur. La fonction publique ne m’a jamais attiré. Je conseillerai d’être avant tout, quel que soit le domaine, des intrapreneurs. Après, les opportunités sont multiples. En Guadeloupe, on sait travailler ensemble, il faut juste s’y mettre au bon moment et comprendre pour accepter et surmonter, si cela en vaut la peine, les interactions difficiles. Il faut laisser le temps apporter les réponses et nous ramener ou nous amener vers les ressources adéquates, humaines ou autres. Ce qui nous manque pour créer une véritable économie guadeloupéenne ? Un marché local proactif, « coloniser » sans état d’âme des niches inexploitées, avoir confiance et cultiver une grande ouverture d’esprit. Les chefs d’entreprise ont des profils très divers. Si nous sortons de la caricature de l’image du politique, je dirai que bon nombre sont à l’écoute et essayent d’apporter de vraies solutions. Quand cela coince, il faut être très lucide sur le couple politique/administratif. Ce que j’ai cru comprendre, c’est que nos projets doivent servir une plus grande cause que nous-mêmes pour que les fonds publics rencontrent des volontés privées. À nous d’apporter la preuve qu’ils peuvent parier sur nous : là aussi est le piège pour un entrepreneur comme pour le politique. Je n’ai pas de solutions préétablies, j’ai juste compris qu’il fallait demeurer bienveillant, travailler sans relâche, c’est-à-dire chercher et mettre à l’épreuve. Ne rien imposer, mais démontrer et s’inscrire dans ce territoire, l’envisager telles une enclave créative et une rampe de lancement. Ma force, mon courage me viennent de mon vécu relié aux vies et exemples de résistance et de résilience de ceux et celles qui m’ont précédé. En allant signer le prêt participatif, le directeur de l’organisme me dit avec beaucoup de sérieux : «  vous souffrez de plusieurs handicaps : vous êtes une femme, vous êtes noire et vous ne vous appelez pas untel  ». J’ai quand même signé, la boule au ventre avec l’étrange sensation de la présence inéluctable de cette épée de Damoclès tout près de mon cou même pas au-dessus de ma tête. Ceci n’est pas un exemple isolé, car plus d’une fois, on m’a fait comprendre qu’être femme était un handicap. Pour avancer dans le monde de l’entrepreneuriat, j’ai étouffé ma féminité pour attirer l’attention sur mon propos plutôt que le désir charnel. La femme potomitan est une réalité. Je n’en ai pas les qualités. Il faut des références à toute civilisation ou plus humblement dans toutes les sociétés qui se structurent. La sous-représentation des femmes dans l’entrepreneuriat est cohérente – je n’ai pas dit normale – avec le monde taillé pour et par les hommes. Cela change, ça bouge, c’est ce que je relève et pour moi c’est le plus important. Rien ne meurt vraiment, surtout pas les luttes menées pour l’égalité, la justice, la liberté. Le féminisme se transforme, évolue et progresse. Non, il n’est pas mort, il se fait « intersectionnel ». Pour moi, il s’agit toujours d’affirmer cette humanité ; humanité qui a des droits et qui connaît dès le berceau toutes ses obligations. En devenant entrepreneur, souvent, j’ai l’impression que mon ADN a changé. Je suis devenue une personne qui ne se réduit pas aux km2 de son territoire ce qui ouvre mon imagination et me permet d’user de toutes mes potentialités ; je dirai à chaque étape, à chaque pas franchi, je suis une autre version de moi-même. Physiquement, parfois pas la meilleure, mais mentalement, psychologiquement, intellectuellement plus solide. S’il me faut parler de sacrifices faits pour le bien de la structure, je dirais que c’est douloureux, cela impacte différents niveaux, et c’est très personnel. Ma force, mon courage me viennent de mon vécu relié aux vies et exemples de résistance et de résilience de ceux et celles qui m’ont précédé. Et j’ai attrapé la foi dès ma conception, je crois. Partant du postulat que rien n’est acquis, la réussite se construit pas à pas, échec après victoire à demi, au rythme d’un marathonien. La peur de l’échec est légitime, l’impératif est de la gérer. Je n’ai pas de hiérarchie à ce sujet, un échec est un échec, pour en apprendre vaut mieux en saisir le pourquoi et le comment pour ne pas les répéter. Je douterai jusqu’à mon dernier souffle en m’assurant de limiter la casse autour de moi. Mais ce dont je suis le plus fière, c’est d’avoir réussi à vendre – sans moyens autres que ma détermination – et convaincre des partenaires d’investir dans GloaSanvé. Vivons heureux, vivons cachés ? Cela exprime les peurs et les craintes de l’autre à qui l'on attribue nous-mêmes une forte capacité de nuisance et le pouvoir de changer le cours de nos vies. Je suis plutôt discrète et autour de moi, les sélections s’opèrent naturellement. Je n’impose pas. Si je suis quelque part, c’est qu’on m’y a invité et cela vaut également dans l’autre sens. Concernant le développement de GloaSanvé, je passe, je préfère garder cela encore secret. Un conseil pour celui ou celle qui souhaite devenir entrepreneur ? Posez-vous la question du pourquoi, assurez-vous à chaque étape d’être bien compris de votre entourage, et allez-y sans vous prendre la tête même si vous faites et devez faire les choses avec sérieux. Le génie guadeloupéen ? Il est un disruptif : il déjoue les déterminismes en mettant en œuvre tous les outils du marroneur, l’esprit kaskod ! Il s’adapte, réinvente la méthode et joue ses harmonies en tenant compte des autres sons existants, sans vouloir les étouffer, mais se faisant entendre, comprendre, avec douceur se faisant tel un magicien, il manifeste.

Ludmilla Lurel | Punch Mabi

Ludmilla Lurel | Punch Mabi

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Frappées de génie, elles ont su imposer leurs savoirs et savoir-faire au-delà de nos terres, par un produit d'exception, dans «  un milieu exclusivement dirigé par des générations d’hommes  ». Cofondatrice des punchs Mabi, Ludmilla Lurel se dit «  exigeante avec elle-même  ». C’est-à-dire ambitieuse, perfectionniste. Une entrepreneure au sens très affûté, à la présence mi-discrète, mi-fatale, qui sait ce qu’elle veut. Histoire d’une success-story familiale… Entre perception et besoin de réalisation. Je suis issue d’une famille où les femmes sont très indépendantes. Et mes parents ayant divorcé, à la maison, il n’y avait que ma mère pour unique référence. Nous étions trois, trois femmes : ma sœur et moi, avec comme pilier notre mère. Une femme, ô combien courageuse, dynamique, cultivée…, qui aussi très tôt nous a appris à nous défaire de nos limites, nous répétant sans cesse que nous devions pouvoir tout faire ! En somme, ne jamais dépendre de quiconque. Elle nous a aussi inculqué le sens des responsabilités, vis-à-vis de la famille et de la société. Un ensemble qui aujourd’hui a façonné la femme que je suis, bien que ma vision de la femme depuis ait fortement mué. À l’époque, j’aimais recevoir et passais beaucoup de temps à cuisiner, notamment pour mes cousins qui adoraient tester mes nouvelles créations. Le dessin était un autre hobby, quand je m’isolais au bord de la rivière. J’étais une enfant déterminée, quand je voulais quelque chose, je me donnais les moyens de l’obtenir. Cependant, j’ai conscience d’avoir été une enfant sensible qui avait l’impression de devoir toujours donner le meilleur d’elle, pour satisfaire ses parents. Surtout ma mère qui a toujours été très exigeante. Ce qui explique, la raison pour laquelle j’ai grandi avec la volonté de réaliser de grands projets et d’aller toujours plus loin. Une fois que l’on accepte de sortir de sa zone de confort, je pense qu’on ne craint plus l’échec, on pense autrement, on pense challenge et réussite. Le choix de mes études d’architecture a été influencé par ma situation familiale. La maison est pour moi, le symbole de l’unification, de la famille et du partage. L’un des souvenirs d’enfance qui m’a marqué et sûrement conduit vers ce choix, ce sont les « coups de main » organisés lorsque mes parents construisaient notre maison. Ces moments conviviaux et de partage, cette chaleur, la famille…, je voulais les revivre et les offrir. Je suis donc partie en Métropole suivre un cursus en architecture. Et malgré les difficultés rencontrées, il était impensable pour ma mère que je n’aille pas au bout de mes études. Je le devais à ma mère et aux sacrifices qu’elle avait pu faire pour me permettre d’étudier dans les meilleures conditions. Enfin diplômée, je suis rentrée en Guadeloupe et dès août 2006, j’ai commencé à travailler en free-lance pour une agence d’architecture. Je m’occupais entre autres de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre. Les week-ends et jours fériés, dès que mon emploi du temps le permettait, je rejoignais l’équipe Mabi. Puis les rivalités au sein de l’agence ont commencé à se faire ressentir. J’ai été confrontée à un harcèlement quotidien. Mais c’est un incident, de l’ordre de l’agression physique, qui m’a amené à ne plus revenir sur mon lieu de travail. La façon dont mes collaborateurs ont géré le problème a été lamentable et cela m’a mis face à la réalité des femmes dans le milieu professionnel, plus particulièrement dans un milieu à dominante masculine. J’ai quitté l’agence en 2009 et après quelques mois à envoyer des CV, j’ai décidé de créer La Bulle Verte Architecture, en octobre 2010. J’avais ce besoin de me prouver que je pouvais y arriver seule. En créant Punch Mabi, nous n’avions pas pensé que nous n’exercerions pas les métiers pour lesquels nous avions étudié. J’avais fait des études d’architecture et je voulais m’accomplir en tant qu’architecte, laisser mon empreinte. La bulle verte était censée proposer un concept de maison d’architecte en kit avec une architecture écologique et un projet intégrant également l’aménagement paysager du terrain. Le manque de financement s’est vite fait ressentir, m’empêchant d’aller jusqu’au bout de mon concept. Puis j’ai eu une tout autre clientèle que ce que j’espérais, je me suis retrouvée à construire des lotissements de 9 à 50 maisons… Les budgets ne permettaient pas de faire des projets écologiques. Nous étions plus sur du profit. J’ai aussi réalisé des bâtiments industriels, tels qu’une usine de transformation de sous-produits animaux. Mais en 2016, la naissance de ma fille a complètement bouleversé ma perception de la vie. J’ai ressenti un grand besoin de stabilité, mais je savais que j’avais aussi besoin de continuer à relever de grands défis. Il m’a semblé là que c’était le moment propice pour m’investir totalement dans l’entreprise familiale afin de mettre tout mon potentiel au service du développement des punchs Mabi. J’ai donc fait le choix en juin 2017 de travailler à plein temps au sein des punchs Mabi. Punch Mabi, une aventure familiale. C’est au cours des grandes vacances de 2003, lors d’un repas familial, que l’histoire des punchs Mabi a trouvé son port de naissance. Ma mère nous fit part de son envie d’offrir un cadeau à des personnes qui l’avaient soigné et accompagné durant plusieurs mois en Métropole. Elle cherchait un beau produit, représentatif de la Guadeloupe, mais disait ne rien trouver à son goût. Elle trouvait insupportable que nous n’ayons rien de ce genre à offrir. Et quelques jours après, elle nous réunissait pour nous dire : «  Et pourquoi, ne pourrions-nous pas créer ce produit ?  ». Elle voulait rester dans la tradition. De ce fait, nous avons opté pour un produit traditionnel, un produit fini, prêt à être consommé, représentatif de notre pays, de notre culture et de notre savoir-faire. Ainsi est né le Punch Mabi. Un punch traditionnel dans un emballage haut de gamme. On ne s’arrête jamais de penser entreprise. On se teste, on sort de notre zone de confort, on cherche à exceller. Nous étions très enthousiastes. De surcroît, ma sœur et moi étions encore étudiantes, et cela dans des domaines bien différents de la transformation agroalimentaire. Tout s’est enchaîné assez rapidement et sans trop se poser de questions. Il fallait que l’on voie le résultat, que l’on sorte un produit à l’image de ce que nous avions imaginé. Nous avons parcouru plusieurs salons afin de nous imprégner du milieu et donner une orientation plus définie à notre projet : recherche du packaging, analyse du marché, du process… Nous avons acheté des bouteilles de décoration et avons testé des fruits, des recettes… En parallèle, nous avions commencé les formalités de création de l’entreprise et de douane. Nos produits sont sortis un an plus tard, le temps de la conception et de la macération. Nous avons tout appris sur le tas. La SARL Mabi à travers ses punchs valorise les fruits de notre terroir, et c’est cet aspect qui nous a particulièrement plu. Nous souhaitons valoriser le savoir-faire traditionnel de la Guadeloupe afin qu’il soit reconnu dans le monde et y apporter une touche moderne, haut de gamme. Nous retravaillons des fruits connus, mais aussi oubliés de la Guadeloupe. Nos terres sont riches de trésors qui méritent d’être exploités et présentés au monde entier. Vous imaginez demain une sauce aux raisins de mer servie dans un restaurant étoilé ? Ou un coulis de mombin sur une pâtisserie ? Si nous ne valorisons pas toute la diversité des produits du territoire, d’autres le feront à notre place. Nous proposons un produit haut de gamme, issue d’une entreprise exclusivement dirigée par des femmes, alors que le milieu de l’excellence du rhum est exclusivement dirigé par des générations d’hommes blancs. Au début, nous faisions avec les emplois du temps des uns et des autres, ajoutez à cela la situation géographique éloignée, notamment durant mes études. La famille nous a beaucoup soutenu. On organisait de grands « coups de main » pour les premières productions. Aujourd’hui, nous sommes trois à travailler à plein temps. Je m’occupe des salons en Europe et à l’étranger, du digitale, de la communication et de l’administration. Bien qu’il y ait la volonté de transmission, je préfère que ma mère garde la main sur la partie commerciale de l’entreprise, c’est-à-dire la négociation des contrats. Je continue d’observer et d’apprendre sur ce domaine. Le projet a été financé en grande partie avec nos fonds propres. Ma mère a beaucoup investi dans l’entreprise. Et tout ce que l’entreprise générait comme bénéfice était réinvesti pour le développement. J’ai moi-même investi dans l’entreprise quand je le pouvais. Il en va de même pour ma sœur. Punch Mabi est un projet innovant. Nous avons été les premiers à proposer un punch aux fruits dans une bouteille design avec des fruits intégrés et visibles, mais aussi comestibles. Nous travaillons un produit pur, sans y ajouter de l’eau ou du sirop et laissons macérer nos punchs avant d’être commercialisés. Nous proposons un alcool à 34° alors que la plupart sont à 21°. Nous proposons 20 parfums de punch. Nous utilisons tous les fruits de notre verger : mangues, abricots, caramboles, gingembres, cocos… Pour certains, nous sillonnons la Guadeloupe à la recherche de fruits sauvages et travaillons avec des agriculteurs. Le packaging de nos produits est innovant, nous continuons à proposer des bouteilles uniques à nos clients. Nous avons fait des émules et subissons une forte concurrence. Vous verrez que depuis peu, la plupart des punchs ont des fruits dans leur bouteille et certains vont jusqu’à proposer des packagings identiques aux nôtres. Les punchs Mabi suscitent de l’intérêt à travers le monde. Nous avons pu nous en rendre compte lors des salons que nous avons faits aux États-Unis, au Canada, au Japon… Malheureusement, la distribution à l’échelle mondiale s’avère être une problématique que nous n’avons pas encore réussi à résoudre. Nous avons conscience que nous mettons les pieds sur un terrain qui a priori pourrait être hostile à notre égard. Nous proposons un produit haut de gamme, issue d’une entreprise exclusivement dirigée par des femmes, alors que le milieu de l’excellence du rhum est exclusivement dirigé par des générations d’hommes blancs. Mais nous restons confiantes en nos capacités à innover. Ses premiers pas Là tout de suite, ce qui me revient en tête, c’est la place de l’administratif. Personne ne vous prépare à cela, surtout pas l’école. J’étais stupéfaite de voir tout ce qu’il fallait faire pour être à jour, tout ce que nous devions payer et toutes les formalités qui étaient à réaliser. Forcément, on change. On doit se décupler, devenir polyvalent : secrétaire, comptable, producteur, manufacturier, etc. On est en constante veille, anticipant et pensant au « next step ». On ne s’arrête jamais de penser entreprise. On se teste, on sort de notre zone de confort, on cherche à exceller. Dans l’entrepreneuriat, il n’y a que l’excellence qui mène à la réussite. Nous avons fait de nombreux salons en métropole et en Guadeloupe afin de nous faire connaître. En France, le punch tel que nous le faisions était peu connu. En revanche, en Guadeloupe, les gens, même s’ils étaient attirés par le packaging, avaient tendance à ne pas trop vouloir goûter prétextant qu’ils avaient la même chose chez eux. Comme nous travaillons avec de nombreux fruits, nous les interpellions sur les différentes saveurs. Dans l’ensemble, le public a bien accueilli la marque et le concept. Le premier jury de nos produits, c’est la famille. Nous les testons en famille, s’ils plaisent aux proches nous les lançons. Avec nos vingt saveurs, il y en a pour tous les goûts, du plus sucré au plus sec. Nous écoutons tous les commentaires de nos clients. Nous avons eu de nombreux prix au concours international agricole, dont une médaille d’or. Nous avons été amenés à changer notre packaging, mais pas notre recette, car nous voulions que notre produit se distingue des autres. Nous n’avons jamais prétendu vouloir plaire à tout le monde. Notre punch est fort et plaît aux amateurs d’alcool fort. Les mentalités ont changé, les goûts aussi. Aujourd’hui, on nous fait moins remarquer que le produit est fort en alcool. Le rhum a plus de notoriété qu’en 2004 quand nous avons lancé le projet et cela a donné encore plus de potentiel à nos punchs. L’analyse que nous avions faite avant de créer les punchs Mabi était judicieuse. Nous sommes connus pour la belle bouteille et le produit authentique. C’est un cadeau que les gens prennent plaisir à offrir. Nous avons des gens qui nous écrivent des quatre coins du globe. Les premières difficultés que nous avons rencontrées concernent la fabrication des bouteilles et des bouchons. Pour de petites quantités avec une spécificité particulière : un goulot plus large pour recevoir les fruits à noyau entiers, le coût que cela représentait était relativement conséquent pour notre jeune structure. La deuxième, et non des moindres, c’est la douane : comment leur expliquer que dans une bouteille de 70 cl avec des fruits et du sucre, il ne peut y avoir 70 cl d’alcool pur ? Et que dire des taxes de douane pour l’export ? Le plus gros sacrifice que nous ayons fait réside dans l’engagement premier à savoir devenir entrepreneur/artisan. Pour une structure comme la nôtre, il n’y a pas d’heures ou de jours qui ne peuvent pas être utilisés pour le travail, si cela s’avère nécessaire. Quand il faut travailler, on retrousse les manches et on le fait. Mabi m’a apporté de nombreuses opportunités. J’ai rencontré des personnes formidables, inspirantes. J’ai pu par le biais de la région Guadeloupe et Business France aller aux États-Unis, participer à différents salons, représenter la Guadeloupe et faire connaître notre savoir-faire. Nous avons eu de nombreux prix au concours international agricole, dont une médaille d’or. Pour les plus récents : médaille d’or et d’argent au concours international de Lyon et une médaille d’argent au concours mondiale Spirit Sélection de Bruxelles. Cette année, j’ai été invitée à participer à un colloque au Sénat en qualité d’intervenante, sur l’une des tables rondes ayant pour thème «  Les parcours audacieux et innovants  ». J’ai côtoyé ministres, quêteurs, sénateurs et des femmes entrepreneures captivantes. Mabi me donne la possibilité de vivre des expériences extraordinaires. Une économie guadeloupéenne. La base est déjà là pour que nous puissions créer une véritable économie guadeloupéenne. Nous avons de plus en plus d’entreprises qui se créent, mais il faudrait davantage les accompagner. Mais rien ne se fera sans réelle cohésion. Je vais vous donner quelques exemples qui pour moi font ressortir les problèmes que nous avons en Guadeloupe : l’impossibilité de vendre nos produits sur le marché français et cela malgré une demande en constante progression ; nos ventes restent aléatoires, car nos produits ne sont pas compétitifs. Notre prix de revient, étant déjà impacté par l’import de nos produits (bouteilles, bouchons, différents emballages). À l’export, nous sommes confrontés à des coûts de transport exagérés et irréguliers. Aucun transitaire ne peut vous donner une grille de prix. Nous subissons des taxes sur le punch, soit 17,51 € sur le litre d’alcool pur et 5,5 sur la Sécu, plus une TVA douanière. Il faut compter près de 10 euros de transport et taxes sur notre bouteille arrivée en Europe. À titre de comparaison, le rhum est taxé à 8,5 € par litre d’alcool pur et les punchs 17,51. Et depuis 2016, nous rencontrons des difficultés avec la douane qui essaye à chaque arrivage de marchandises de bloquer notre marchandise et de nous surtaxer. La route du rhum. Voilà trois éditions que la Martinique fait parler d’elle au départ de la route du rhum à Saint-Malo. Comment se fait-il que nous n’ayons pas de label d’appellation de rhum en Guadeloupe ? Nous serions bien plus forts si nous travaillons ensemble. Voici six ans que nous faisons des coffrets de fête de fin d’année pour les entreprises. Je suis encore sidérée de voir que certaines entreprises continuent d’offrir que du champagne, du foie gras, etc. Nous avons de quoi faire ici. C’est une prise de conscience qui semble difficile à avoir. Si nous n’y arrivons pas chez nous, nous n’y arriverons pas à l’extérieur. Entrepreneure next door ? Je suis bien loin de l’idéal familial que j’avais pu imaginer, petite fille. Aujourd’hui, j’essaye de me laisser du temps afin que je puisse m’épanouir tant dans ma vie privée que professionnelle, car il est essentiel d’allier les deux. Mais ma priorité reste ma famille. Être présente pour ma fille à chaque étape de sa vie. Pour l’instant, j’y arrive. Je sais m’arrêter quand cela est nécessaire. Je m’arrange toujours pour dégager du temps pour passer des instants en famille malgré mon emploi du temps très chargé. J’ai la chance de pouvoir me faire aider par la famille et d’avoir une pépite très autonome. L’intérêt porté à notre produit à son histoire et ses créateurs me montre que j’ai trouvé une place dans la société, dans ma société, dans ma région et mon pays. Ma vision de la réussite, c’est de s’accomplir pleinement en tant qu’individu dans son projet professionnel. D’avoir un métier qui nous plaît et d’être reconnu et valorisé par le public. C’est d’avoir l’ambition nécessaire pour aller au bout de ses rêves et d’en vivre confortablement. C’est d’avoir un projet qui est assez stable et rayonnant pour nous permettre de nous surpasser, de sortir de notre zone de confort, pour nous réaliser personnellement et pouvoir donner vie à d’autres rêves, d’autres projets. J’ai passé une année riche de partage. J’ai été sollicitée dans différents cadres pour parler de mon travail, de mon parcours. J’en suis très honorée. Les P unchs Mabi sont de plus en plus reconnus comme un produit d’exception. L’intérêt porté à notre produit, à son histoire et ses créateurs me montre que j’ai trouvé une place dans la société, dans ma société, dans ma région et mon pays. Mais je suis bien loin de mes objectifs et de l’idée que j’ai de la réussite. Cependant, je suis sur la bonne voie. Il y a quelques années, je me demandais comment j’allais faire face aux difficultés rencontrées dans ma vie, si j’allais pouvoir me relever et me réorienter. L’échec est formateur, l’échec est gratifiant. Je suis sortie plus forte, plus avertie, plus déterminée. Une fois que l’on accepte de sortir de sa zone de confort, je pense qu’on ne craint plus l’échec, on pense autrement, on pense challenge et réussite. Aujourd'hui, je fais encore des erreurs, mais c’est un passage obligatoire de l’apprentissage pour atteindre la perfection. De chaque erreur, je tire une leçon. Je mûris et je continue ma métamorphose. Je ne suis pas du tout adepte du dicton : «  Vivons heureux, vivons cachés  ». Je vis pleinement ma vie. Je travaille fort et je mérite de m’exposer au soleil, si je le désire. Aujourd’hui, je sais exactement où je vais, ce que je veux et même si le chemin emprunté n’est pas le plus facile, je m’y rends d’un pas décidé. Je suis devenue une autre femme et je suis en constante évolution ; je m’épanouis et me forge. Mabi est arrivé à un stade où nous devons passer à la vitesse supérieure. Nous avons un beau projet à venir, une nouvelle gamme qui toucherait un public plus large. Lorsqu’une femme arrive à gérer son foyer tout en ayant une activité professionnelle, nous disons souvent : « deux journées en une ». De cet état, il n’y a, selon moi, plus qu’un pas pour qu’elle devienne chef d’entreprise. Malheureusement, la société comme elle est faite, ne lui prête que peu d’attention ou très peu de place. Elle doit selon les mœurs rester femme, être épouse, mère et intendante. Je comprends parfaitement ces femmes qui rebutent face à l’envie d’entreprendre, car cela suppose de porter et de pouvoir assumer toutes ces casquettes. Elles sont souvent les sacrifiées pour le bonheur de la famille et de la société. Cependant, ces dernières années, les choses tendent à changer. Et aujourd’hui, elles sont de plus en plus nombreuses à se jeter à l’eau, prêtes à porter toutes ces casquettes. Ce qui probablement nous donne une hargne encore plus importante que celle des hommes pour atteindre nos objectifs de réussite. Le génie guadeloupéen ! C’est pour moi, les personnes qui font rayonner la Guadeloupe, qui valorisent ses atouts, son savoir-faire et sa culture. Ceux qui vous font dire : «  Wouaw Génial !!! Je n’y avais pas pensé, mais c’est vraiment trop bien comme idée  ». Ces personnes qui représentent la Guadeloupe dans le monde entier, reconnues et appréciées chez eux. (…) c’est souvent à partir d'une passion que l’on fait naître les plus beaux projets. Mabi est arrivé à un stade où nous devons passer à la vitesse supérieure. Nous avons un beau projet à venir, une nouvelle gamme qui touchera un public plus large. Mais dans un premier temps, il nous faut sortir une unité de production pour automatiser certaines étapes de la production. Nous augmenterons ainsi le volume de production et pourrons donner naissance à notre deuxième projet. Ce projet est très gratifiant pour moi, car il me permettra de m’exprimer en tant qu’architecte et d’intégrer d’autres passions à mon projet professionnel. Si j’ai un conseil à donner à celui qui souhaite entreprendre, c’est d’entreprendre dans un projet en relation avec ce qu’il aime. Réfléchissez à ce pourquoi vous êtes doués et comment capitaliser à partir de ce don. Ainsi, vous aurez certainement un projet qui tiendra la route et la force nécessaire pour pouvoir le réaliser, car c’est souvent à partir d'une passion que l’on fait naître les plus beaux projets.

Le pouvoir féminin à l'épreuve de l'entrepreneuriat

Le pouvoir féminin à l'épreuve de l'entrepreneuriat

Par Marc Lantin Photo : Jessica Felico Elles sont des dizaines, des centaines, des milliers à avoir franchi le pas. Elles, ce sont ces femmes qui ont transcendé les stéréotypes et qui ont choisi de repenser l’équilibre délicat entre vie de famille et vie professionnelle. Ce sont ces femmes qui ont défié les inégalités, brisé le plafond de verre, ont osé entreprendre en se lançant dans une aventure parfois risquée, souvent audacieuse, mais toujours enrichissante. Non, on ne naît pas entrepreneure, malgré des qualités intrinsèques qui font bon augure. Mais on le devient ! Et c’est particulièrement vrai dans un monde où l’entrepreneuriat se conjugue essentiellement au masculin ; où les qualités valorisées chez ces dernières sont plutôt celles de la douceur, de la discrétion ou de la modération que celles de l’ambition, de l’audace ou de la compétition cultivée par la gent masculine. Ces stéréotypes – amers – sont souvent véhiculés dès l’école, par la famille et la société, invitant les femmes comme les hommes à se conformer à des rôles sociaux traditionnels et figés. Compter les femmes pour que les femmes comptent. La question est sans doute aussi vieille que l’humanité. Le pouvoir exercé par une femme, à la tête d’une entreprise, se distingue-t-il radicalement du pouvoir masculin ? Oublions un moment les changements survenus depuis la tornade #metoo. Essayons de poser la question avec lucidité, en particulier dans nos îles où le débat demeure, pour l’heure, moins vif à ce sujet que dans l’Hexagone. Quel changement observé, dans un territoire comme la Guadeloupe, de cette révolution du pouvoir au féminin ? Et quelles sont les difficultés rencontrées dans la quête entrepreneuriale des femmes ? Entre transformations et « traditions ». Les femmes guadeloupéennes en vue sur le plan entrepreneurial étaient souvent des héritières et des épouses. Ainsi, derrière chaque femme dirigeante se cachait une dynastie familiale dont elle avait, pour une raison ou une autre, pris un moment les commandes. Or, aujourd’hui, les choses tendent à évoluer. Notre paysage économique ne se décline plus au masculin. Le foisonnement de l’autoentrepreneuriat a permis à davantage de femmes d’exprimer leurs désirs de démarrer, seules ou en groupe, une activité. Ces femmes, issues de tous les milieux sociaux, ont su profiter d’une mondialisation qui leur a par ailleurs apporté les modes de consommation et les tendances en provenance du monde. Le second changement est culturel. Il ne porte pas tant sur les relations hommes-femmes dans nos îles que sur la manière dont elles sont perçues. L’idée même qu’elles soient discrètes, dépendantes d’un homme… a fini par s’étioler. (…) la femme guadeloupéenne est indéniablement investie d’un pouvoir fort, puisqu’elle est le stabilisateur, le rouage essentiel de l’économie familiale et régionale. Les nouveaux comportements sociaux ont brisé les tabous. Les divorces se sont multipliés, la révolution des rencontres 2.0 est passée par là. Le mot 'choix' est devenu la règle dans nos contrées qui vénèrent la femme « potomitan » où la diversité des destins féminins est désormais davantage acceptée. Le dernier changement est celui de la perception, qui nous ramène à la question de la beauté, de l’apparence physique, des femmes célébrées, parce que belles et mutiques. Là aussi, la fissure est devenue une fracture. Les femmes savent toujours utiliser de façon redoutable l’arme de la séduction, mais elles se sont affranchies des codes… pour en créer d’autres. De plus en plus indépendantes sur le plan financier et sur celui des mœurs, elles osent beaucoup plus et ont la volonté de gouverner, se hisser à des postes à responsabilité. Et lorsque l’on regarde le haut de la pyramide sociale, il est indéniable que, depuis le tournant du 21e siècle environ, le patronat guadeloupéen s’est féminisé. La citadelle économique serait-elle en train de vaciller ? Pas vraiment, car si l’on regarde de plus près ce groupe social influent ne représente qu’une infime partie de la population féminine globale. Avec un vivier de 216 039 femmes, seules 7 088 d’entre elles dirigent une entreprise en Guadeloupe, dont neuf sur dix exerçant dans le commerce et les services. Notons qu’il s’agit principalement de microentreprises ; plus de 6 unités sur 10 n’ont aucun salarié ; 3 sur 10 ont un effectif compris entre 1 et 10 actifs, selon une étude réalisée par la CCI des îles de Guadeloupe en 2017 sur « l’entrepreneuriat au féminin ». Même s’il est vrai que ce chiffre ne cesse d’augmenter, l’entrepreneuriat conserve malgré tout un visage masculin. On le remarque très facilement dans les médias avec une surreprésentation des hommes interviewés parmi les chefs d’entreprise. Ce sont eux que l’on montre le plus souvent pour illustrer des success-stories entrepreneuriales. Par ailleurs, les nombreuses études académiques présentant le facteur « femme » comme étant un désavantage pour entreprendre ont renforcé cette norme masculine. Enfin, la Fédération Les Premières (ex-Les Pionnières) dénonce la norme « guerrière » de l’entrepreneuriat actuel, dans laquelle de nombreuses femmes ne se reconnaissent pas. On peut souligner le vocabulaire sans équivoque utilisé dans les start-ups : stratégie, chef, offensive, former une alliance… «  Où sont les femmes ?  » ; comme si au fond, Patrick Juvet hantait toujours un peu notre époque. Pourtant, en ce qui concerne la base de la pyramide sociale, la femme guadeloupéenne est indéniablement investie d’un pouvoir fort, puisqu’elle est le stabilisateur, le rouage essentiel de l’économie familiale et régionale. © Helen Ngoc Mais où est le problème ? Le psychologue R. Perron l’avait déjà identifié en 1967 : «  l’individu tend à choisir les activités, les attitudes, les réactions, qui concordent avec l’image qu’il se fait de lui-même, avec ce qu’il attend de lui-même ; et il tend à en interpréter le déroulement et l’issue en fonction de cette image  ». En clair : l’individu privilégie naturellement l’action qui conforte l’image qu’il se fait de lui – quitte à s’autocensurer. Ainsi, la femme qui n’est pas capable de se projeter, de se rêver en tant qu’entrepreneure, peinera à franchir le cap. Certaines femmes ont la sensation de trahir quelque chose en adoptant une posture entrepreneuriale, de s’éloigner de la construction sociale « normale ». De ne pas être complètement légitime – de jouer un rôle. Et pourtant, la posture entrepreneuriale est l’atout indispensable pour convaincre, aller chercher des financements, recruter… pour permettre à son entreprise de croître, tout simplement. Ainsi, les femmes se heurtent à des difficultés pour faire évoluer leurs vies professionnelles. Et lorsqu’elles veulent entreprendre, elles se retrouvent confrontées à un univers d’hommes parfois peu désireux de leur accorder leur confiance. Entreprendre peut alors s’avérer plus difficile pour une femme, qui devra lutter contre des préjugés et peut-être s’affirmer avec davantage de force qu’un homme. La plupart des rapports s’accordent à dire que les freins à l’entrepreneuriat féminin sont principalement de 3 ordres. D’une part, la peur du risque qu’il soit financier ou lié à la crainte d’échouer (près de la moitié selon certaines enquêtes). Ensuite, il semblerait que les femmes fassent moins appel à leurs réseaux professionnels que les hommes. Last but not least , le sacro-saint « équilibre entre foyer et carrière » qui repose encore souvent sur leurs épaules. Mais d’autres facteurs sont également épinglés : l’absence de modèles, les difficultés d’accès au financement (découlant souvent de leur statut professionnel) ou encore le manque de formation spécifique. © D Roberts Les codes du financement. À propos des stratégies d’affaires des femmes entrepreneures, de nombreuses études pointent les difficultés qu’elles rencontrent en matière de financement. En général, on constate que les femmes entrepreneures recourent moins à l’emprunt que leurs homologues masculins, tant pour démarrer leur activité que pour la financer par la suite. Les données issues d’une récente enquête de l’OCDE relative aux inégalités hommes-femmes montrent que les chefs d’entreprise masculins recourent plus aux crédits bancaires que les femmes. Les résultats sont par contre plus contrastés en ce qui concerne les différences entre hommes et femmes en matière de refus de demandes de crédits. Il existe tout de même un écart qui tend à s’agrandir depuis fin 2010 en défaveur des femmes. L'une des raisons qui pourraient expliquer la différence de traitement subie par les femmes entrepreneures serait le manque d’actifs auquel les prêteurs portent de la valeur, comme l’expérience, les ressources, la trésorerie, les garanties… La difficulté de recourir à un emprunt peut également s’accentuer chez les femmes célibataires, mères divorcées ou chez les demandeuses d’emploi. Cela peut s’expliquer par le fait que les bailleurs de fonds identifient leur situation comme plus précaire que celle des hommes ou d'autres femmes. L’étude sur les freins et moteurs liés à l’entrepreneuriat féminin souligne également l’existence d’un problème sociologique qui rattache la femme à la sphère domestique plutôt qu’à la sphère professionnelle. Cela semble avoir une incidence sur la confiance accordée par les banquiers aux projets portés par des femmes. Toutefois, ce problème sociologique semble être en baisse dans notre société. La difficulté de recourir à un emprunt peut également s’accentuer chez les femmes célibataires, mères divorcées ou chez les demandeuses d’emploi. Cela peut s’expliquer par le fait que les bailleurs de fonds identifient leur situation comme plus précaire que celle des hommes ou d'autres femmes. Si les femmes ont plus de difficultés à obtenir des financements, l’enquête de l’OCDE montre tout de même que ce n’est que dans la moitié des 14 pays européens étudiés que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à voir le financement comme un problème majeur lors du lancement de leur activité. Cela peut s’expliquer par le fait que les femmes démarrent généralement leur activité avec un capital de départ plus faible que les hommes, et ont moins souvent besoin d’avoir recours au financement. D’un autre côté, l’accès difficile à l’emprunt peut également amener les femmes à opter pour une entreprise de moindre taille. Une chose est certaine, dans le contexte économique actuel, l’accès au crédit à des taux d’intérêt supportables est devenu un réel défi pour les entrepreneurs, sans distinction de genre. S’il n’est pas toujours possible de réduire les taux d’intérêt, diverses mesures ont tout de même été adoptées afin de faciliter l’accès au financement. C’est notamment le cas des médiateurs de crédit qui facilitent l’octroi de crédits aux PME. L’étude de l’OCDE note aussi que les mesures prises pour faciliter l’accès au crédit sont particulièrement efficaces lorsqu’elles sont accompagnées d’autres services comme des formations ou de l’accompagnement. Les services complémentaires ont notamment l’avantage de renforcer la confiance des entrepreneurs et de diminuer leur sentiment de prise de risque. Les motivations des femmes créatrices sont le plus souvent éloignées du goût du pouvoir, du souci de réussir. Malgré le discours, soutenant qu’il n’existe pas de différence entre les hommes et les femmes d’affaires en ce qui concerne leurs besoins, les tendances observées démontrent que les femmes ajoutent un nouveau visage au modèle historique de « l’homme d’affaires » et que ce mouvement a besoin d’être encouragé par des organismes privés, mais également publics pour se structurer et se renforcer. De nombreux organismes et réseaux d’entrepreneures permettent aujourd’hui de stimuler l’éclosion d’entreprises à propriété féminine et les accompagnent, les mentorent, les financent ou les introduisent. Force est de constater que la volonté d’épanouissement personnel semble plus forte que le goût d’innover. Et aussi, se sortir du chômage, rebondir afin d’échapper au « plafond de verre », articuler : vie professionnelle, familiale et sociale ; gagner en autonomie… Les motivations des femmes créatrices sont le plus souvent éloignées du goût du pouvoir, du souci de réussir. © Abbey Lossing Fort heureusement, depuis quelque temps, les femmes créent de moins en moins par défaut. Une nouvelle génération de femmes mieux formées, maîtrisant les nouvelles technologies, utilisant les financements alternatifs et le réseautage bouscule les anciens codes, les institutions (familiales, économiques, sociales). Et si chez trop de femmes le désir d’entreprendre reste au stade du fantasme parce qu’elles sont pétrifiées à l’idée de passer à l’action, la situation évolue, notamment grâce aux réseaux féminins. Bien sûr, entreprendre pour une femme (comme pour un homme d’ailleurs) est loin d’être un long fleuve tranquille, mais les réseaux sont là, sur le terrain, pour démontrer que l’entrepreneuriat est une véritable opportunité de carrière pour les femmes : une opportunité de se réaliser, de relever un défi en prenant des risques calculés. L’avenir des femmes désireuses de lancer leur boîte est de toute évidence lié au réseautage, car il permet à chacune de découvrir que créer son entreprise est une aventure non seulement réalisable, mais aussi intéressante, épanouissante et rémunératrice. Une des clés du succès est de bien s’entourer dès le départ. Enfin, les réseaux sous le signe de l’entrepreneuriat féminin permettent de mettre en lumière les nombreux dispositifs d’accompagnement au service des futures cheffes d’entreprise. Et comme il n’y a pas d’accompagnement efficace sans un diagnostic précis et objectivé, BNP Paribas a créé l’Observatoire annuel national de l’Entrepreneuriat féminin, afin de mieux mesurer chaque année le ressenti, les leviers et les freins des femmes entrepreneures. BNP Paribas peut ainsi toujours mieux les comprendre, les aider à se lancer et à grandir. Le but n’est-il pas de changer le monde ?

Dix ans après le LKP, pour un nouvel acte de régularisation économique en outremer

Dix ans après le LKP, pour un nouvel acte de régularisation économique en outremer

Par Raphaël Lapin Photo : Mothi Limbu La culture naissante de la régulation économique apparue en outre-mer depuis les événements de 2009, n’a pas conduit, en Guadeloupe, à une efficacité économique de nature à garantir le bien-être du consommateur. C’est le constat que permet de dresser une analyse rapide du contexte socio-économique du marché guadeloupéen, lequel n’a pas connu d’évolution structurelle profonde dans la décennie qui vient de s’écouler. Cependant, avant d’entrer plus dans le constat, il est important de se figurer les notions mobilisées pour caractériser l’état des structures de marché guadeloupéennes et ce vers quoi il conviendrait que celles-ci tendent. Les économistes Maya Bacache Beauvallet et Anne Perrot le rappellent, la « régulation économique » correspond à une grande variété d’interventions publiques de nature généralement sectorielle, qui iraient d’actions strictement économiques (prix, quantités) jusqu’à des règles de déontologie qui s’appliquent à une profession ou à la protection de la vie privée. Toutes ces interventions, qu’elles soient de nature économique ou non, peuvent affecter le fonctionnement des marchés. De manière plus prosaïque, la régulation économique constitue une intervention de la puissance publique (État, collectivité territoriale) dans un secteur de l’économie. Laquelle intervention peut consister, par exemple, dans l’adoption d’une loi afin de régir le jeu de l’offre et de la demande sur un marché donné. Le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé explique qu’à l’échelle de l’Union européenne, la régulation économique apparaît comme la réponse adaptée aux imperfections et à l’obsolescence d’un double modèle de rationalité : d’une part, le modèle néo-libéral de l’ homo oeconomicus agissant au sein d’un marché parfaitement concurrentiel et autorégulé et, d’autre part, le modèle néo-wébérien d’un appareil étatique ou bureaucratique hiérarchisé et regardé comme rationnel, omniscient et omnipotent. De sorte que le modèle de la régulation économique serait une façon de voguer entre deux modèles d’économie politique opposés ; une espèce d’entre-deux visant à garantir des intérêts antagonistes néanmoins réels et nécessaires. Or, les événements qui ont entouré l’émergence du LKP et dont nous avons fêté le 10e anniversaire en 2019 ont révélé que ce projet de régulation économique porté au niveau européen avait trop longtemps mis à la marge les collectivités ultramarines. Dans cet article, nous évoquerons particulièrement la régulation de nature concurrentielle, c’est-à-dire la régulation ayant un impact direct sur les conditions économiques d’exercice de l’activité dans un secteur, et motivée par le contrôle du pouvoir de marché. Cette régulation passe notamment par les règles du droit de la concurrence que l’on retrouve aussi bien au niveau européen qu’au niveau national. À ce propos, Neeli Kroes, ancienne commissaire européenne à la concurrence, proclamait que «  le droit de la concurrence ne peut pas tout faire, mais ce qu’il fait, il le fait bien  ». Les territoires d’outre-mer échappent cependant au postulat posé par Neeli Kroes. Le droit de la concurrence n’a pas pu bien faire sur les marchés ultramarins, dans la mesure où il n’y a fait l’objet que d’une mise en œuvre relative et relativement récente. (…) si l’exclusif colonial n’existe plus, on peut encore regretter un certain unilatéralisme chronique des relations commerciales avec l’ancienne métropole qui est qualifiable d’exclusif commercial et dont les buts non avoués demeurent proches de ceux évoqués pour l’exclusif colonial… L’élément transformateur de la structuration des économies ultramarines telles qu’elles existent aujourd’hui est celui du passage d’une économie coloniale à une économie capitaliste. De sorte que l’encadrement juridique de cette pâque de l’esclavage au salariat a lié le sort de l’économie outre-mer. En effet, la structure des marchés des départements d’outre-mer, et singulièrement du marché guadeloupéen, est la résultante de politiques économiques dont le caractère séculaire conduirait presque à les qualifier d’ancestrales. Au XVIIe siècle, l’économie coloniale était uniquement tournée vers la navigation et le commerce. Richelieu posait en 1626 les fondements d’une subordination mercantile à l’égard des colonies des Amériques. Un travail achevé par Colbert qui a pu affirmer en 1671 que «  les Français font à présent tout le commerce des Isles  ». Puisque les Français maîtrisaient le commerce et que le royaume de France était le maître des océans, le royaume jugea qu’il était temps de libéraliser le commerce à destination des colonies. La Compagnie des Indes occidentales a alors été dissoute et la liberté du commerce à destination des Antilles a été consacrée en 1674, plus d’un siècle avant le décret d’Allarde. Afin d’encadrer cette liberté, l’État monarchique a adopté le fameux Édit de Fontainebleau du 27 octobre 1727 consacrant l’ exclusif colonial . C’est de cet édit que nous avons hérité la structure économique de nos relations commerciales actuelles avec l’ancienne métropole. L’historien Frédéric Régent définit ce système ainsi que ses fondements à travers quatre caractéristiques : d’abord par l’interdiction faite aux colonies de vendre leurs produits à quel qu’autre pays que ce soit que leur métropole, les colonies ne peuvent pas non plus transformer les matières premières, seule la métropole approvisionne les colonies et les navires battant pavillon français peuvent seuls approvisionner les colonies. Ces caractéristiques définissent l’exclusif colonial en fonction de trois buts : apporter des débouchés aux produits métropolitains, écarter la concurrence des États étrangers et obtenir des marchandises non produites en métropole. Cette réalité deviendra plus criante à mesure que se développe l’économie sucrière dans les îles. Or, si l’exclusif colonial n’existe plus, on peut encore regretter un certain unilatéralisme chronique des relations commerciales avec l’ancienne métropole qui est qualifiable d’exclusif commercial et dont les buts non avoués demeurent proches de ceux évoqués pour l’exclusif colonial à la lecture des effets délétères de ce système sur les économies insulaires. (…) les anciennes colonies aujourd’hui DROM ont toujours été proclamées comme dominées par le marché mondial sans jamais entrer dans le jeu de la liberté du commerce, de la liberté de l’offre et de la demande… C’est ainsi que l’IEDOM retient que sur la dernière décennie, la structure des échanges extérieurs de la Guadeloupe a très peu évolué. De plus, l’Institut relève qu’en 2017, «  la France hors DOM demeure le principal fournisseur de la Guadeloupe, totalisant près de 1,6 milliard d’euros de biens importés, soit 58,7 % des importations du territoire, une part en léger repli par rapport à 2016 (-1,8 point). Les autres pays de l’Union européenne (UE) fournissent la Guadeloupe à hauteur de 328,2 millions d'euros (soit 12,1 % du total)  ». Après l’exclusif colonial, alors que la mer est sujette de la couronne, un autre acte vient sceller la structuration des économies ultramarines. Sur cette gravure de Moreau Le Jeune, de la fin du XVIIIe siècle, le Code noir est dépeint comme une avancée humaniste. C’est le «  pacte colonial  » qui lie l’élite coloniale à la métropole. Ce « pacte » dessine trois catégories de population au sein des colonies, le négociant, chargé de fournir les marchandises, d’octroyer des crédits et de fixer les prix, c’est lui le grand profiteur du régime ; il y a ensuite le colon, protégé par la mise hors pair de son patrimoine foncier. Il y a enfin les esclaves qui conformément à l’article 44 du code noir de mars 1685 sont déclarés «  être meubles et comme tels entrer dans la communauté  ». Cette distinction est perpétuée aujourd’hui entre le grossiste, transporteur le plus souvent, le détaillant, héritier dans le domaine de la grande distribution du colon et le salarié/consommateur. Puis, vint l’abolition et le passage abrupt de l’économie coloniale fondée sur l’asservissement et sur l’exclusif, à une économie capitaliste. De sorte que les anciennes colonies aujourd’hui DROM, ont toujours été proclamées comme dominées par le marché mondial sans jamais entrer dans le jeu de la liberté du commerce, de la liberté de l’offre et de la demande, sans même n’avoir jamais fait l’objet d’une politique économique véritable n’ayant ni la coloration du libéralisme ni celle du socialisme comme certains des pays voisins indépendants. La seule politique qui ait prévalu se résume en l’expression fameuse : «  à chaque jour suffit sa peine  ». La part est faite aux théories de Karl Marx sur l’opposition classique entre le capital et le travail. Le colon est le propriétaire, le laboureur, loin d’être celui de la fable de La Fontaine, est celui qu’il faudra désormais appeler affranchi. Au commencement, il était des économies marchandes fondées sur l’esclavage. Un décret et une loi plus tard, il sera substitué à ces rapports sociaux précapitalistes, le rapport de pouvoir entre les classes garantissant, tout de même, la soumission du travail au capital sans alternative possible. La domination de ce rapport étant prédéterminée par l’accumulation primitive du capital elle-même régie par le droit de l’époque. Ainsi, le décret du 27 avril 1848 dispose en son article 1er : «  l’esclavage sera aboli dans toutes les colonies et possessions françaises  » sans pour autant garantir une liberté réelle aux anciens esclaves qui étaient alors dans l’impossibilité matérielle d’entreprendre. Un an plus tard quasiment jour pour jour, la loi du 30 avril 1849 répondant à l’article 5 du décret suscité a reconnu un droit à l’indemnisation restrictif. L’article 2 de cette dernière loi constituera l’acte de naissance des cartels qui enserrent jusqu’à présent les structures économiques locales notamment dans le secteur de la grande distribution. Cet article dispose que : «  Tous les noirs affranchis donneront droit à l’indemnité  » aux anciens maîtres. Voilà posée la pierre angulaire de l’économie capitaliste de la Guadeloupe, de la Guyane, de la Martinique et de la Réunion. En outre, l’article 7 de ladite loi impose aux bénéficiaires de l’indemnité d’en consacrer le huitième à l’établissement d’une banque coloniale de prêt et d’escomptes. Une telle initiative s’explique par la proposition d’amendement de Schoelcher : «  L’amendement que nous avons l’honneur de vous proposer  », écrit-il, «  a pour but de consacrer une partie de l’indemnité au travail colonial, à l’établissement de banques qui prêteront sur hypothèque, sur dépôt de marchandises, qui prêteront aussi sur les récoltes, et qui permettront de la sorte aux petits comme aux grands propriétaires de pouvoir toujours offrir une juste rémunération aux laboureurs  ». La part belle est faite aux théories de Karl Marx sur l’opposition classique entre le capital et le travail. Le colon est le propriétaire, le laboureur, loin d’être celui de la fable de La Fontaine, est celui qu’il faudra désormais appeler affranchi. Le droit à indemnisation, le capital des banques coloniales, l’accès au crédit d’investissement, et le fonctionnement hérité de l’exclusif colonial permettent à une minorité de se constituer une rente de situation. Une rente de situation renforcée par le caractère insulaire, fragmenté et peu peuplé de notre archipel. Ces éléments qui peuvent paraître de plus en plus lointains et de moins en moins signifiants constituent encore les bases des structures des différents marchés ultramarins. Lesquels n’ont pas fait l’objet au cours des décennies qui ont suivi, d’une politique économique très poussée. Ce qui explique la sclérose de ces marchés autour d’opérateurs monopolistiques jouissant dans certains domaines, comme dans la grande distribution, de la prime au premier installé et dans d’autres, bénéficiant en plus, de facilités essentielles, comme c’est le cas dans les domaines du carburant ou de la téléphonie. Les événements de 2009 apparaissent dès lors dans l’histoire de la Guadeloupe comme un moment de sursaut collectif qui a conduit les autorités publiques à imaginer, pour la première fois des dispositions d’une sorte de «  droit ultramarin de la concurrence  ». C’est ainsi qu’un avis rendu par l’autorité de la concurrence le 24 juin 2009 faisait un point global sur la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d’outre-mer. Dans le même esprit, le 20 novembre 2012, le Parlement français adoptait une loi dite de régulation économique outre-mer. Celle-ci venait réformer de nombreuses dispositions du code de commerce afin de « tropicaliser » le droit de la concurrence. Tout l’enjeu des dispositions contenues dans ce texte était, en effet, d’apporter une réponse mieux appropriée aux conséquences négatives sur le bien-être du consommateur des structures monopolistiques dans lesquelles sont enserrés ces marchés. On peut regretter le manque de pertinence de certaines mesures de cette loi dont on a le sentiment qu’elle avait pour objet de spécifier l’applicabilité en outre-mer de certaines règles qui y étaient d’ores et déjà applicables en vertu du principe d’assimilation législative. Cependant, on peut relever des dispositions qui constituent un réel progrès pour peu qu’elles soient effectivement mobilisées. Il en va ainsi de la réforme du pouvoir d’injonction structurelle confiée à l’autorité de la concurrence effectuée par la modification de l’alinéa 2 de l’article L. 752-26 du code de commerce. La loi instaurait les injonctions de cession d’actif qui remplaçaient les injonctions de cession de surface prévue par l'ancienne loi. L’idée serait par exemple que l’autorité de la concurrence rende une décision contraignant un grand groupe de la distribution à vendre les actifs qu’il possède dans une entreprise en raison d’actes qualifiables d’abus de position dominante notamment. (…) la lutte contre la vie chère implique une nécessaire évaluation de la mise en œuvre des dispositifs contenus dans la loi de régulation économique de 2012. Ce dispositif inquiétait certains juristes qui craignaient qu’elle provoque « une “ recomposition” administrative du fonctionnement de l’économie par une autorité, serait-elle indépendante  ». Toutefois, non seulement les conditions prévues par la loi sont particulièrement nombreuses et empêchent d’en arriver à pareilles extrémités, mais au surplus, l’autorité de la concurrence n’a pas eu recours pour l’heure à ce procédé en outre-mer. Le dispositif a d’ailleurs été soumis à l’examen du Conseil Constitutionnel qui, dans une décision du 1er octobre 2013 retient que : «  les dispositions relatives aux injonctions structurelles visant soit, à corriger ou mettre fin aux accords et actes par lesquels s’est constituée une situation de puissance économique permettant des pratiques de prix ou de marges élevés en comparaison des moyennes habituellement constatées dans le secteur économique concerné, soit à enjoindre les cessions d’actifs indispensables à la garantie d’une concurrence effective (…) ne portent pas une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre  ». La décision portait alors sur la loi de transposition en Nouvelle-Calédonie des dispositions de la loi du 20 novembre 2012. Une autre disposition de cette loi qui était particulièrement intéressante reposait sur la faculté offerte par l’article L. 462-5 du code de commerce aux régions d’outre-mer de saisir l’autorité de la concurrence de toute pratique anticoncurrentielle ou susceptible de l’être. Cela avait pour effet de responsabiliser les exécutifs locaux dans la lutte contre la vie chère. Cependant, depuis 2012, aucune saisine de l’autorité à l’initiative d’un exécutif n’a été effectuée. Dans le prolongement de la loi du 20 novembre 2012, deux décrets du 27 décembre 2013 venaient rénover le cadre de la réglementation du prix du carburant dans les cinq départements d’outre-mer. Un peu plus tard, le titre VI de la loi pour l’égalité réelle en outre-mer du 28 février 2017 venait introduire dans le droit positif français de nouvelles dispositions. Entre réglementation des prix et promotion de la concurrence, la loi sur la régulation économique outre-mer posait les fondements d’une politique ultramarine de concurrence (PUC). Tirant des conséquences de ces évolutions juridiques pour les outre-mer, l’autorité a rendu pas moins d’une vingtaine de décisions et d’avis relatifs à la situation concurrentielle en outre-mer, condamnant certaines pratiques anticoncurrentielles sur ces dix dernières années. L’autorité avait ainsi sanctionné la société Henkel et ses grossistes importateurs dans plusieurs départements d’outre-mer à hauteur de 600 000 €. En effet, ces entreprises avaient conclu des contrats d’importation exclusifs qui aboutissent mécaniquement à renchérir le prix des produits à la consommation et qui sont désormais interdits par la loi du 20 novembre 2012. Une telle décision laisse penser que le droit de la concurrence fait enfin l’objet d’une mise en œuvre effective en outre-mer et le comportement des opérateurs économiques, l’objet d’un contrôle. Cependant, la récente nomination d’un délégué interministériel à la concurrence, en la personne de monsieur Francis Amand, remet en question ce premier constat. La mission principale de ce délégué interministériel consistera à renforcer la transparence des prix en outre-mer par la lutte contre les pratiques commerciales déloyales ainsi que les ententes et les abus de position dominante comme si, finalement, les événements de 2009 et les évolutions juridiques qui s’en sont suivies avaient tout changé pour que finalement rien ne change jusqu’à présent. Le 11 avril 2019, le nouveau Délégué interministériel faisait encore une fois le constat très actuel de ce qu’« il n’y a pas une forte culture de concurrence en outre-mer ». À ce propos, il regrettait notamment le faible nombre de signalements reçus par les autorités qui nuisaient à la mise en œuvre des règles de droit. © Baylee Gramling Au-delà de ces constats sans cesse répétés, la lutte contre la vie chère implique une nécessaire évaluation de la mise en œuvre des dispositifs contenus dans la loi de régulation économique de 2012. Celle-ci pourrait passer par une demande d’avis de l’autorité de la concurrence sur la situation concurrentielle de chacun des territoires d’outre-mer et singulièrement de la Guadeloupe. À la suite de cet avis, il conviendrait de prendre un nouvel acte de régulation. Ce nouvel acte ne saurait faire l’économie de laisser une plus grande place à l’encadrement des prix considérant l’échec des dispositifs plus souples. Peut-être, une solution intermédiaire passerait-elle par une mise à disposition dans nos territoires des moyens de mise en œuvre des règles relatives à la concurrence. À ce propos, on rappellera tout de même les travaux de la direction des affaires financières, fiscales et de l’entreprise de l’OCDE qui retient, à l’issue du forum mondial sur la concurrence s’agissant des politiques de concurrence et des économies de petites tailles, qu’il appartient aux pouvoirs publics d’examiner «  si, et dans quelle mesure, la “petite” taille d’une économie exige un régime d’application de la législation sur la concurrence qui présente, sur le fond ou du point de vue institutionnel, des différences par rapport au régime en vigueur dans les économies de plus grande taille  ». Dès lors, la politique ultramarine de concurrence doit aller plus loin dans l’objectif de régulation économique et envisager, par exemple, de domicilier dans chaque département d’outre-mer une antenne de l’autorité de la concurrence. Celle-ci serait dotée d’une délégation de pouvoir de l’autorité nationale qui irait au-delà de ce que peuvent faire les DIECCTE en la matière. Elle serait ainsi capable, par exemple, de s’autosaisir, de rendre des avis, de prendre des sanctions, ou encore de recevoir des engagements. Ce nouvel acte de régulation pourrait d’ailleurs s’inscrire dans le cadre du nouvel acte de décentralisation annoncé par le Président de la République le 25 avril 2019.

Le génie noir

Le génie noir

Par Safia Enjoylife Illustration : Mathieu Delord Le passé grandiose des peuples africains a été jeté dans l’oubli et avec lui l’existence du génie noir. La volonté de dissimuler un pan de l’histoire de l’humanité est apparue afin de justifier la cruauté des envahisseurs européens envers les peuples africains. En effet, comment admettre que des êtres humains soient torturés et massacrés de façon industrielle ? Il était indispensable de persuader les consciences restées en Europe que les Africains étaient des bêtes sans capacité intellectuelle. D’une part, cette version permettait de ne pas accorder plus de valeur à la vie des Africains qu’à celle d’un poulet d’élevage qui n’a qu’une fonction utilitaire. D’autre part, elle permettait également de légitimer le fait que les Européens s’installent en Afrique et prennent possession des terres et des richesses puisque ce n’étaient pas de véritables individus qui les possédaient. L’Europe s’est docilement laissée convaincre que les Africains étaient vides d’intelligence, vierges d’histoires grandioses et qu’il était de son devoir de les civiliser et de les évangéliser. Taharqa en pieux pharaon accompagnant une procession de la barque d'Amon. © National Geographic Society Cette version déshumanisante n’était pas compatible avec les civilisations sophistiquées, structurées, savantes, riches et puissantes que les Européens ont trouvées en Afrique. Deux fragiles solutions ont donc été mises en œuvre pour préserver l’enrichissement exponentiel que représentait la main-d’œuvre et les ressources gratuites. La première consistait à détruire les preuves des connaissances africaines hautement avancées, en démolissant les œuvres architecturales, en démantelant les organisations politiques et militaires, en diabolisant les spiritualités et en sabotant les économies prospères. La deuxième a reposé sur l’expropriation des civilisations impossibles à effacer. Le caractère colossal de certains vestiges de l’histoire africaine a rendu impossible leur destruction. Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental. C’est ainsi qu’en dépit de toute logique, l’édification des monuments africains les plus prestigieux a été attribuée à des peuples extérieurs à l’Afrique. Le cas d’expropriation le plus flagrant est celui de la civilisation égyptienne de l’Antiquité. Quand bien même toutes les représentations les dépeignent noirs avec des coiffures africaines, tous les livres occidentaux les présentent blancs. Et ce ne sont pas les multiples preuves scientifiques telles que le taux de mélanine des momies qui ont fait cesser cette expropriation puisque des films et des séries avec des castings blancs dans le rôle des pharaons continuent de proliférer. Même les tests ADN effectués en 2012 et en 2013 par le laboratoire DNA tribes , qui démontrent la nature africaine du génome de plusieurs momies royales dont les pharaons Amenhotep III, Akhénaton, Toutankhamon et Ramsès III, n’ont pas suffi à enrayer ce travestissement de l’histoire. Dans la même démarche d’expropriation, les récits des triomphes africains qui ont survécu aux incendies des bibliothèques grâce à la tradition orale ont été transformés en victoire de personnages européens ou arabes. C’est ainsi que l’Africain Hannibaal Barca est devenu européen dans tous les péplums et dans toutes les bandes dessinées qui retracent son épopée glorieuse, et ce malgré le fait qu’il soumet la Rome antique avec des éléphants africains. C’est ainsi que les maures , peuple africain extrêmement développé, ont été recouverts d’une identité arabe alors même que tous les témoignages des contemporains les décrivent avec le teint charbon et le nez large. Cette expropriation de l’excellence a touché chaque société africaine hautement sophistiquée. Un exemple moins connu est la fastueuse cité commerçante de Kilwa Kisiwani en Tanzanie dont la population a longtemps été décrite comme un peuple étranger à l’Afrique, car son degré de modernité était trop élevé pour avoir été développé par les Africains. Il en est de même pour l’empire du Monomotapa qui couvrait les territoires actuels du Mozambique et du Zimbabwe. Les techniques d’architecture des édifices de cet empire étaient si complexes que pendant longtemps elles ont été attribuées à une population venue d’ailleurs. Carte de l'empire du Monomotapa L’effacement progressif du génie africain a donné naissance à des individus privés de la connaissance de leurs triomphes, de leur érudition et de leur puissance. Un orphelin qui ne connaît pas les exploits et la valeur de ses parents ne pourra pas être conscient des qualités que contient son génome et de sa capacité à reproduire les succès de ses prédécesseurs. Falsifier le passé grandiose des Africains et nier leur génie étaient le meilleur moyen de maintenir la main-d’œuvre libérée dans l’asservissement mental. Le résultat est probant : les noirs sont les seuls à enrichir les autres communautés avant la leur. Ils ont également une forte propension à saboter les chances de réussite des compatriotes qui pourraient s’élever vers le succès et devenir des phares qui guident la communauté vers la cohésion et l’émancipation. En revanche, lorsqu’on observe, les communautés qui fédèrent leurs forces, on remarque que ce sont les mêmes qui maîtrisent leur histoire passée qui pratiquent une spiritualité qui leur correspond et qui respectent des us adaptés à leurs spécificités. La comparaison entre ces phénomènes met en évidence une corrélation entre le fait d’ignorer son passé et le fait de dilapider son seul moyen d’émancipation tout en renforçant le pouvoir des entités oppressantes. (...) si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires. Les comportements autodestructeurs présents dans la communauté noire ne se réduisent pas au sabotage interne et aux dépenses excessives hors de l’économie intracommunautaire. Ils touchent tous les aspects, des plus anodins aux plus décisifs. Cela passe par la transformation des cheveux, l’éclaircissement de la peau, l’adoption d’une mythologie infériorisante, la pandémie d’actes fratricides, l’annihilation du respect ainsi que l’abandon des responsabilités parentales. Cette accumulation d’agissements nocifs s’avère être cataclysmique pour les tentatives de reconstruction du psychisme et de l’identité des populations noires. Hisser le génie africain des abysses dans lesquels on l’a précipité aidera certainement à traiter la déchéance du peuple noir à sa racine. Cet article va donc s’évertuer à retrouver une portée disparue : le génie africain ! © Zanele Muholi Chronologiquement, le premier groupe d’êtres humains à avoir fait preuve de génie est africain. En effet, il est reconnu de toute la sphère scientifique que l’homme est apparu en Afrique. Avant que sa curiosité intellectuelle le pousse à devenir le plus grand explorateur de la planète, l’Africain n’a cessé de faire preuve de génie ! Il a eu l’idée de se dresser pour pouvoir surveiller le danger de loin. Ensuite, il a fabriqué des instruments. Les plus anciens outils connus à ce jour ont été découverts au Kenya (Lomekwien, 3,3 millions d’années), en Éthiopie (Oldowayen, 2,55 millions d’années) et en Tanzanie (Acheuléen, 1,76 millions d’années). Après quoi, l’Africain a compris que le feu faisait fuir ses prédateurs et il a bravé les brûlures pour le domestiquer. La plus ancienne utilisation du feu par l’homme a été retrouvée dans la grotte de Swartkrans en Afrique du Sud. C’est ainsi que l’Africain a été à l’origine de chaque idée ingénieuse qui s’est avérée être un tournant décisif vers l’abondance, le confort et la science. D’ailleurs, concernant la science, la plus ancienne trace de calcul est une nouvelle fois attribuée à l’Africain suite à la découverte de bâtons de comptage sur l’os d’Ishango au Congo. Autant dire que l’Africain est le père du génie humain et que l’Afrique est le berceau du savoir. L’Africain est tellement ingénieux qu’il a donné naissance à la première civilisation capable de concevoir des œuvres architecturales éternelles. Par exemple, il y a 4 600 ans, le roi égyptien Snéfrou fit bâtir trois pyramides (rouge, rhomboïdale et Seïlah) qui ont traversé les millénaires dans un état de conservation quasiment intact. L’Africain ne s’est jamais retrouvé à l’écart du génie humain. Il a même été précurseur dans des champs très divers : sédentarisation, agriculture, spiritualité, médecine, chirurgie, calendrier à douze mois, cosmétiques, art, jeux de société, instruments de musique, astronomie, et tant d’autres. L’Africain a devancé le reste de la planète en matière de découvertes scientifiques, médicinales et technologiques pendant la majeure partie de l’humanité. N’oublions pas que l’existence de l’homo sapiens africain remonte à 200 000 ans. Comparé à l’homo sapiens qui s’installe en Asie il y a 90 000 ans, en Europe il y a 40 000 ans, et en Amérique il y a 30 000 ans, l’Africain a eu le temps d’observer, de comprendre et d’apprivoiser son environnement. Il a eu le temps de réfléchir à des moyens d’utiliser la faune, la flore et le climat à son profit. Il a eu le temps d’apprendre à maîtriser les éléments afin de lui assurer sécurité et prospérité. D’ailleurs, l’Africain détient le record de longévité en terme de puissance d’une nation. Le règne des Égyptiens antiques s’étend sur 3 000 ans. C’est le plus long depuis le début de l’humanité. En comparaison, les règnes des Romains et des Grecs de l’Antiquité ont duré seulement 1 200 ans chacun. @ Benin City Avant les invasions européennes, l’Africain a brillé par son génie intellectuel. On peut citer le roi Oba Ewuare Ogidigan qui, entre 1440 et 1473, a apporté des innovations révolutionnaires au royaume Igodomigodo, au point que son règne est considéré comme l’âge d’or de cette civilisation. Il amena la sculpture, l’architecture, la médecine et l’organisation politique de sa nation à son apogée. Son palais était somptueux, il émerveilla les premiers explorateurs européens qui ne manquèrent pas de s’extasier sur le raffinement, l’hygiène et le faste de l’édifice et de ses habitants. En 1668, le hollandais Olfert Dapper raconta : «  Le palais du roi équivaut à un pâté de maisons ! Il est aussi large que le quartier de Haarlem et entièrement entouré d’un mur, comme ceux qui encerclent la ville. Il est divisé en de magnifiques pavillons et appartements, il comprend de superbes et immenses galeries, toutes plus grandes les unes que les autres ! Des piliers en bois montent du sol au plafond et sont couverts de gravures des scènes de leurs triomphes militaires.  » En 1691, c’est le capitaine portugais Lourenco Pinto qui décrivit la capitale du royaume Igodomigodo en ces termes : «  Cette ville est plus vaste que Lisbonne, toutes les rues sont propres et se prolongent à perte de vue !  ». Ce royaume prospéra pendant près d’un millénaire. Une muraille gigantesque de vingt mètres de hauteur protégeait une surface équivalente à trente fois la superficie de Manhattan à New York. Le livre Guinness des records de 1974 l’a d’ailleurs intégré comme le phénomène archéologique le plus vaste jamais découvert sur la planète. Le journaliste britannique Fred Pearce estime que l’agencement de cette muraille en mosaïque ne rendait pas compte de sa taille, mais que mis bout à bout, elle représentait quatre fois la longueur de la grande muraille de Chine. Malheureusement, l’ingéniosité de ce royaume africain n’a pas pu être célébrée puisqu’en 1897 les Britanniques détruisirent tous les édifices et toutes les œuvres d’art dans le but de nier les accomplissements africains. Seuls quelques morceaux de la muraille ont survécu et peuvent être admirés à moins d’une heure de la ville de Lagos au Nigéria. L’Africain a également brillé par sa philanthropie, son altruisme et sa sagesse. L’empereur Soudiata Keita n’est-il pas le premier chef d’État à abolir l’esclavage et à garantir la justice et l’équité pour tous ? Sa charte du Manden est la première Déclaration des droits de l’homme au monde. Ce fondateur de l’immense empire du Mali ne s’est pas contenté de fédérer de nombreux peuples rivaux. Il ne s’est pas contenté d’enrichir sa nation. D’ailleurs grâce à l’exploitation de l’or qu’il a initié, un de ces successeurs, l’empereur Mansa Musa, détient le titre d’homme le plus riche de tous les temps. Malgré sa puissance politique et militaire, malgré sa richesse incommensurable, Soundiata Keita s’est soucié sincèrement du sort de ses administrés. Vers 1236, il a donc élaboré une charte de 7 chapitres et 44 articles qui rejette les abus, la tyrannie, la cruauté, la violence gratuite, l’exploitation humaine et le non-respect de la vie. En voici les grandes lignes : aucune vie n’est supérieure à une autre [égalité]. Que nul ne cause du tort gratuitement ou ne martyrise son prochain [intégrité]. Que chacun veille sur son prochain [fraternité]. La guerre ne détruira plus jamais de village pour y prélever des esclaves, personne ne sera non plus mis à mort parce qu’il est esclave [justice]. Chacun est libre de ses actes, dans le respect des interdits des lois [liberté]. Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société. Et ce fameux empire du Mali n’a pas apporté que la liberté, la fraternité et l’égalité, sur le plan intellectuel. La ville de Tombouctou a été le phare de l’érudition tout au long du 14e siècle. 115 000 personnes fourmillaient dans cette cité cinq fois plus vaste que Londres. Les universités de Tombouctou ont acquis une renommée internationale à force que des dizaines de milliers de nobles et de religieux issus d’Afrique, d’Orient, d’Europe et d’Asie accourent pour s'y former. La première encyclopédie au monde a été réalisée là-bas, quatre siècles avant la première encyclopédie européenne. Elle réunissait des travaux sur les mathématiques, la médecine, la poésie, le droit et l’astronomie. Au cours des siècles, des millions de connaissances ont été inscrites dans des livres par des savants de l’empire du Mali, malheureusement seuls quelques manuscrits ont survécu aux ravages des Européens qui ont brûlé tous les textes rédigés dans des langues qu’ils ne maîtrisaient pas (Mande, Peul, Sudani, Suqi) afin de les remplacer par la bible écrite en latin. Ces anciens manuscrits représentent désormais de précieux trésors qui témoignent du génie africain. Ils sont disséminés, cachés, protégés d’un autre massacre. Il y en aurait 3 450 dans les villes de Chinguetti et Ouadâne en Mauritanie, 6 000 à Oualata et 11 000 dans une collection privée au Niger. Dans le troisième épisode de la série « Sahara » , le présentateur britannique Michael Palin a rencontré un imam de Tombouctou qui dispose d’une collection de textes datant de l’empire du Mali qui indiquent des planètes en orbite autour du soleil. Ces textes prouvent que les Africains connaissaient les différentes planètes, savaient qu’elles tournent autour du soleil et maîtrisaient leurs rotations et leurs ellipses plus d’un siècle avant les travaux de Copernic et Galilée. Ces exemples d’expropriations, comme ceux des théorèmes mathématiques de Pythagore et Thalès qui ne sont pas grecs, mais africains font partie de ce processus de déni du génie noir. Ce génie noir a beau être victime d’une multitude de tentatives d’annihilation depuis quatre siècles, il ne cesse de se régénérer dans chaque nouvelle génération et de s’exprimer dans tous les domaines. C’est ainsi que malgré l’invasion, puis la colonisation, puis la déportation, puis la mise en esclavage, puis l’effacement de l’histoire africaine, puis la ségrégation et l’apartheid, puis la discrimination raciale, puis le racisme ordinaire, le génie noir n’a jamais disparu ! Il se révèle dans chaque champ d’activité dans lequel les noirs sont autorisés à accéder. Après lesdites « abolitions », les noirs ont été tolérés dans le milieu du divertissement. Les premiers métiers qu’ils ont pu exercer hors des champs et du rôle de domestique ont donc été la musique et le sport. Côté musique, tous les genres les plus populaires ont été créés par le génie noir : la samba, le reggae, le compas, la salsa, le zouk, le calypso, la soca, le rap, le jazz, le blues, le rR&B, le gospel, le rock&roll, etc. Et même dans les genres musicaux intégrés tardivement par les noirs comme la pop, le génie noir a encore dominé. Michael Jackson n’est-il pas le roi incontesté de la pop ? Côté sport, on peut citer Lewis Hamilton pour les courses de formule 1, Serena Williams pour le tennis, Usain Bolt pour l’athlétisme, Michael Jordan pour le basket, Pelé pour le football. Tous ont obtenu le titre de légende dans leur discipline, car leurs exploits dépassent les résultats habituels et ils laissent derrière eux un palmarès inégalé. Même le patinage artistique a été révolutionné dès qu’une athlète noire l’a intégré. On se souvient des prouesses de Surya Bonaly. Elle est d’ailleurs la seule de tout le milieu à qui une figure doit son nom. Toute la magie du génie noir, c’est que même lorsque les noirs accèdent tardivement à une discipline et qu’ils sont les derniers à en apprendre le fonctionnement, ils occupent rapidement la première place, ils ont une longévité unique et surtout ils battent des records jamais égalés. Thomas Sankara, leader de la révolution burkinabé, à la tribune de l'ONU. © ONU Au fur et à mesure de la récupération de certains droits par les noirs, le génie noir s’est imposé dans toutes les sphères de la société. Dans la politique avec des figures emblématiques comme Thomas Sankara et Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, dans les sciences avec Katherine Johnson la mathématicienne qui a permis au premier humain de voyager sur la lune, dans l’anthropologie avec Joseph Anténor Firmin qui a mis en évidence le caractère négroïde des Égyptiens antiques, dans la chirurgie avec le docteur Patricia Bath qui a révolutionné la chirurgie oculaire, dans l’informatique avec Philip Emeagwali qui a inventé l’ordinateur de calcul le plus rapide du monde. Actuellement sa machine sert à prévoir les effets du réchauffement climatique. Dans le domaine de la technologie, on doit la 3G, la 4G et le wifi à Jesse Eugene Russell. Et la liste des apports du génie noir dans le progrès et la modernité est sans fin. Ava Duvernay, en couverture du magazine The Hollywood Reporter, réalisatrice, productrice et scénariste. Depuis quelques années, de nouveaux domaines s’ouvrent à la communauté noire et là encore le génie noir se fait remarquer. Dans la mode, il y a le styliste Olivier Rousteing qui accomplit de véritables exploits depuis 10 ans. Dans l’industrie pétrolière c’est la milliardaire Folorunsho Alakija, dans l’archéologie c’est le professeur Félix A. Chami, dans l’astronomie c’est le docteur Fatoumata Kebe, dans le droit c’est l’avocate Dehlia Umunna, dans l’étude de l’histoire c’est le professeur Vincent Brown, dans la réalisation cinématographique ce sont Ava Duvernay et Ryan Coogler, dans les concours de beauté ce sont Deshauna Barber et Sanneta Myrie, dans la robotique c’est Bertin Nahum, dans l’ingénierie ce sont John Magiro et William Kamkwamba, dans la pharmacologie et la biochimie il y a eu le docteur Alfredo Bowman, dans l’aviation c’est Eniola Lawrence, dans la littérature c’est Wole Soyinka et dans le domaine spatial c’est Guion Bluford. Olivier Rousteing directeur artistique de la maison Balmain. © Estrop/Getty Images Tous ces exemples sont autant de références qui permettent de réaliser que l’individu noir est habité par l’intelligence, le savoir-faire et l’excellence ! Ces preuves sont essentielles puisque tous les peuples ont été persuadés pendant plusieurs siècles que l’intellect, les inventions et les sciences ne concernent pas le peuple noir. La première victime de cette désinformation est le peuple noir lui-même puisqu’en ignorant ses qualités et ses compétences il est incapable de croire en sa capacité à impulser, à organiser, à diriger, à réussir et à briller ! Dès lors que les noirs reprennent possession de leur identité profonde en découvrant la grandeur de leurs ancêtres et l’exemplarité de leurs contemporains, ils sont inspirés au point de s’engouffrer vers le triomphe. Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi mettre en lumière le génie noir donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance. Aucun peuple n’a été lésé dans la distribution de l’intelligence et de la capacité à réussir. Les Guadeloupéens ont d’ailleurs été généreusement dotés puisque proportionnellement à la population de leur île, le taux de héros, de champions et de figures inspirantes est très élevé. Dès que les Africains ont été déportés sur ce territoire, on a pu observer des génies militaires comme Louis Delgrès. Il est le plus célèbre, néanmoins bien d’autres ont existé en Guadeloupe et ont précipité ladite « abolition » de 1848. Louis Delgrès a le mérite d’avoir réussi à tenir en échec l’armée de Napoléon reconnue comme la meilleure de l’époque, pendant plusieurs semaines alors qu’il était en infériorité numérique et technologique. Le génie militaire a continué de s’exprimer au travers de personnage comme Camille Mortenol. C’est grâce à ses hautes compétences en stratégie qu’il a sauvé Paris et tous ses monuments sacrés des bombardements allemands pendant la Première Guerre mondiale. Par conséquent, si la tour Eiffel est toujours debout, les Français le doivent à un Guadeloupéen ! Son père, né en Afrique en 1809, lui a certainement transmis les gènes de l’ingéniosité militaire qui ont mené de petits états africains à se transformer en puissants empires. Gerty Archimède à Paris, en 1947. © Rue des Archives. AGIP Côté politique, c’est l’avocate Gerty Archimède qui incarne l’audace et la sagacité du génie noir. Malgré le fait d’être une femme à une époque particulièrement sexiste et d’être noire dans une ère coloniale, Gerty réussit son cursus universitaire dans le droit et devient la première femme à intégrer le barreau de la Guadeloupe. Sa culture générale et son talent d’oratrice hors du commun la mènent à tenir le rôle de bâtonnier de l’Ordre de Guadeloupe par trois fois. Elle double son titre de pionnière en devenant aussi la première femme député des Antilles. Elle se sert de cette fonction pour lutter contre le colonialisme dans les plus hautes sphères du gouvernement français. Elle n’abandonne pas pour autant sa carrière d’avocat et elle défend gracieusement les plus démunis. Ses compétences en droit pénal sont si remarquables qu’elles sont sollicitées jusqu’en Afrique. Gerty termine sa carrière politique comme maire de Basse-Terre. On reconnaît bien le génie africain à toutes les casquettes qu’elle a portées avec brio et à l’altruisme dont elle a fait preuve toute sa vie. En littérature, la Guadeloupe foisonne également de génies. Maryse Condé. © Philippe Matsas/Opale/Leemage On retient le poète Guy Tirolien et l’écrivaine Maryse Condé dont les parcours ont inspiré au-delà des frontières de l’île. Le prix Nobel alternatif de littérature qui a été décerné à madame Condé fin 2018 par des intellectuels suédois rend compte de la portée de son œuvre. Et Guy Tirolien n’est pas en reste avec son poème «  Prière d’un petit enfant nègre  » qui a connu un succès international. Inutile donc pour les Guadeloupéens de tourner leurs regards vers les États-Unis pour trouver des modèles auprès de Maya Angelou ou Tony Morrison. Ils possèdent leurs propres références. Et l’excellence guadeloupéenne n’est pas circonscrite à l’histoire ancienne. Plus proche dans le temps il y a Dany Bébel-Gisler qui, en tant que linguiste et sociologue, a largement contribué à donner au créole guadeloupéen le respect et la noblesse qu’il mérite. La qualité des travaux de cette chercheuse lui a valu d’intégrer des instances reconnues mondialement telles que le centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Et le créole guadeloupéen n’a pas été valorisé que par des gens de lettres. En effet, le groupe de musique Zouk Machine a offert une visibilité nationale à cette langue avec son hit d’anthologie « Maldon ». En vendant plus d’un million de singles en France hexagonale, ces trois chanteuses guadeloupéennes ont accompli le coup de maître de placer le refrain en créole sur autant de lèvres. Et fait unique dans l’histoire, une chanson en créole est restée neuf semaines en première position des ventes. En 2001, les trois Guadeloupéennes ont même interprété ce titre au pied de la tour Eiffel devant des millions de téléspectateurs ! Le génie musical du groupe Zouk Machine a donc offert au créole guadeloupéen une visibilité jamais atteinte. Et les records ne sont pas des phénomènes rares pour le peuple Guadeloupéen. Serge Nubret, Marie-José Pérec et Lilian Thuram sont des champions qui ont remporté des victoires internationales et décroché des records extraordinaires. Serge Nubret, champion de culturisme, a gagné les titres de Mr Europe, Mr World et Mr Univers. Il a affronté plusieurs fois Arnold Schwarzenegger qui d’ailleurs avait une grande estime pour ce Guadeloupéen coriace et déterminé. Pour atteindre un niveau international et gagner l’estime d’une légende comme Schwarzenegger en étant issu d’une famille modeste d’Anse-Bertrand, il faut posséder une ambition, un sens de la discipline et un talent qui relèvent du génie ! Marie-José Pérec a elle aussi accompli des prouesses inégalées. Cette sprinteuse guadeloupéenne surnommée la gazelle est la seule qui ait ramené trois médailles d’or olympiques à la France en athlétisme. Elle a également été sacrée deux fois championne du monde du 400m. Elle détient jusqu’à présent le record de France du 200m, du 400m, du 400m haies et du relais 4 × 400m. Son palmarès fait de Marie-José Pérec la plus brillante athlète de France. Une telle accumulation de victoires n’est pas anodine, le génie africain est forcément dans les parages. Plus récemment encore, Lilian Thuram a permis à l’équipe de France de football d’accéder pour la première fois à la finale de la coupe du monde. En juillet 1998, ce défenseur guadeloupéen a inscrit les deux seuls buts du match côté français. Cet acte a ouvert la voie à la première victoire des bleus dans cette compétition mondiale. Oser quitter sa position de défenseur pour se transformer en redoutable attaquant, remarquer la faille de la défense croate, saisir l’opportunité de marquer, calculer la bonne fenêtre de tir, viser juste, doser la puissance adéquate pour le coup de pied, déjouer la vigilance du goal adverse, toutes ces actions ne relèvent pas uniquement de capacités physiques, mais également d’un processus cognitif complexe. Cette succession de décisions judicieuses lui vaudra l’obtention de la Légion d’honneur. Les sportifs ne sont pas juste des muscles qui agissent. Les sacrifices qu’il faut s’imposer, la volonté et la rigueur qu’il faut démontrer, la ténacité et la force mentale dont il faut faire preuve, sont des qualités intellectuelles que ces légendes guadeloupéennes ont poussées à leur paroxysme. Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance. En partant à la recherche du génie noir, on réalise qu’il n’est ni disparu, ni loin. Tous les exemples cités prouvent qu’il a survécu à des centaines d’années de déni et de sabotage. Il était présent à l’aube de l’intelligence humaine et il est encore là. En prendre conscience libère l’esprit de l’individu noir de la cage dans laquelle il a été placé. En effet, à force d’être matraqué de modèles occidentaux d'excellence avec en parallèle l’absence de représentations positives auxquelles il peut s'identifier, l’individu noir a été convaincu de son infériorité. Lorsque quelqu’un ne voit personne qui lui ressemble devenir scientifique, directeur, explorateur, chef d'armée ou président, il ne peut s'imaginer dans ces positions. Aussi, mettre en lumière le génie noir, donne accès à des sources d'estime de soi qui rendent à l’individu noir sa fierté, ses capacités et sa puissance. Une fois qu’il réalise qu’il n’est ni médiocre, ni mauvais, ni destiné à l’échec, alors il déploie ses dons naturels et laisse libre cours à son excellence millénaire, alors il prend conscience qu’il peut triompher et il se lance. C’est en cela que connaître notre histoire est indispensable : la connaissance de notre génie déclenche la capacité de croire que nous pouvons tout entreprendre et tout réussir. Alors, évadons-nous de notre cage psychologique grâce à la connaissance de nous-mêmes et emparons-nous de l’excellence dont est pétrie notre nature ! Osons, réalisons et triomphons !

Xavier Sambar | The Green Hostel

Xavier Sambar | The Green Hostel

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Charismatique, loquace, le regard hésitant, déterminé à faire bouger les lignes de notre temps. Il fait partie de ces entrepreneurs en mal d’aventure, aimant se challenger. Et après avoir créé sa première entreprise en 2015, c’est sans grand bruit, dans une totale discrétion qu’il s’est lancé dans un tout nouveau projet : The Green Hostel. Un projet, innovant, qui sort du cadre, qui d’ailleurs a récemment reçu lors des « Rencontres Pro-Durables » organisées par la CCI îles de Guadeloupe, en partenariat avec la Région Guadeloupe et l’ADEME, le trophée éco-innovant dans la catégorie : produit/service éco-innovant. Une récompense qui distingue les entreprises ayant mis sur le marché un produit et/ou service innovant pour lequel des critères environnementaux ont été intégrés dans les phases de conception, sur l’ensemble de sa chaîne de valeurs. Rencontre d’un entrepreneur déterminé, assurément dans l’air du temps. Les prémices. Mon parcours, en tant qu’étudiant, n’a pas été un long fleuve tranquille. Je peux remercier mes parents qui m’ont soutenu durant ce long parcours. Malgré les doutes de mon entourage concernant mon cursus, je n’aurai pas été le même aujourd’hui. Je regrette certaines erreurs, mauvaises décisions, dépenses, voyages en période universitaire (rires), mais ces expériences ont forgé la personne que je suis aujourd’hui. Les études n’ont jamais été forcées par mes parents, suite aux nombreux sacrifices qu’ils ont faits pour me permettre de vivre cette expérience ultra-marine, étudier en France, mais aussi à New York. L’évidence était aussi de les rendre fiers en revenant avec mon diplôme. Ainsi, depuis 2014, je suis ingénieur en écoconception. Toutes ces expériences, ces voyages ont forgé une idée fixe : «  Je retournerai en Guadeloupe développer à ma manière ce que j’ai pu voir à travers mes voyages  ». Après un master, j’ai travaillé durant deux ans pour la Fédération française du Bâtiment en tant que consultant en Qualité-Sécurité-Environnement. Deux années de vie formatrices, enrichissantes, surtout l’autonomie qui m’a été laissée dès mon premier contrat, m’ont prouvé que j’étais tout à fait apte à me débrouiller seul et les efforts fournis allaient pour un projet personnel. Donc en 2015, je retourne en Guadeloupe avec dans mes valises le business plan et l'étude de marché de ma première entreprise. Un bureau d'études en Qualité-Sécurité-Environnement, que j’ai appelé Qseption . J’ai alors en Guadeloupe pu apporter mon expertise dans différents secteurs d’activité, public et privé. Je n’ai pas eu de craintes spécifiques concernant l’entrepreneuriat, je n’avais pas besoin d’investissement important pour Qseption seulement de ma matière grise, mais je savais que je me lançais dans une aventure qui allait changer ma vie et ma vision. Mais au fond, le doute est une bonne chose, car il amène vers la perfection, du moins il permet de s’en rapprocher. Le bureau d’études existe toujours, mais après trois ans et de nombreux retards de paiements, la lassitude s’est installée. Un épanouissement en demi-teinte. La décision a été celle de me consacrer à la création d’un projet sur lequel je travaillais déjà depuis deux ans. The Green Hostel. J’ai gardé pour secret le projet de l'auberge de jeunesse concept store, jusqu’à la phase de concrétisation, pour ne pas recevoir d’énergies négatives. Et une fois le projet sur pied, les retours ont été plutôt positifs, mais le manque de sécurité reste toujours très inquiétant pour la famille. Comme je vous le disais, juste avant, j’ai eu la chance de beaucoup voyager et d’atterrir dans des lieux riches, insolites et j’ai toujours posé mes valises dans un hostel. L’évidence d’en créer un en Guadeloupe a toujours trotté dans ma tête. Le nerf de la guerre est toujours de trouver les financements, les délais, les longues démarches. Je ne vais pas trop m’étaler sur le sujet, je risque de décourager un grand nombre. L’idée de l’auberge de jeunesse est de proposer une alternative à l'hôtellerie classique existant en Guadeloupe en créant une offre à moindre coût avec un accueil des plus chaleureux pour une clientèle touristique en évolution. Nous voulons promouvoir un tourisme respectueux des Hommes, de leur culture et de leur environnement. Nous croyons qu’il est possible de concilier développement économique, protection de l’environnement et préservation de notre identité créole. Le but est de faire découvrir à nos clients un mode de vie, des traditions, une histoire. Pour cela, nous avons pris le parti d’avoir un fonctionnement le plus écoresponsable possible, en diminuant les consommations, en utilisant des énergies renouvelables, des écomatériaux pour la rénovation, limitant les impacts, entrant dans une démarche zéro déchet (compostage, tri, etc.) et enfin en privilégiant l’économie circulaire et la production locale. The Green Hostel comportera 50 couchages, dont 9 chambres partagées, 1 chambre double privative et une chambre family, un bar, une terrasse végétalisée et un potager. Tout au long de l’année, The Green Hostel & Store organisera de nombreux événements allant du concert privé en terrasse, aux événements de sensibilisation, des formations dédiées à tous. Nous avons pour souhait d’accueillir le panel le plus varié afin de partager nos valeurs et notre philosophie. Du backpackers voyageant seul au groupe sportif, scolaire, de carnaval, d’amis… Le premier étage du Green Hostel sera consacré en grande partie au Green Store, un concept store dédié aux productions locales raffinées et de caractère. Produits bio, bijoux, accessoires, vêtements… Nous proposerons des espaces de ventes de qualité afin de mettre au mieux en valeur la richesse et la diversité du terroir guadeloupéen. Le Green Store comportera aussi un espace de coworking (tourné sur le développement durable), une salle dédiée à la formation écoresponsable, au yoga et une écolaverie accessible à tous. The Green Hostel et The Green Store sont avant tout des lieux de vie, de passage, d’échange où l’on se sent comme à la maison. Nous avons fait le choix de parier sur le cœur de la ville de Pointe-à-Pitre et d’y créer la première auberge de jeunesse écoresponsable de Guadeloupe. Le centre-ville de Pointe-à-Pitre, véritable écrin du patrimoine guadeloupéen, est aujourd’hui en phase de redynamisation. La situation géographique privilégiée et le patrimoine architectural de la ville lui confèrent un cachet et un potentiel touristique important qui pour l’heure est trop peu exploité. De grands projets tels «  Karukera Bay   » y sont envisagés. Nous avons décidé d’apporter notre pierre à l’édifice, en créant une offre touristique innovante, dynamique, ancrée dans notre époque et dans notre culture. Avec le concours de l’EPF et de la Ville de Pointe-à-Pitre, nous avons pu obtenir un site pour concrétiser notre projet, au 8 quai Lardenoy. Le nerf de la guerre est toujours de trouver les financements, les délais, les longues démarches. Je ne vais pas trop m’étaler sur le sujet, je risque de décourager un grand nombre. Aujourd’hui, je me décrirai comme un entrepreneur passionné, optimiste, têtu (rires) et déterminé. À l’ère du 2.0, être connecté est une évidence, le marché nous a déjà montré que les entreprises qui n’ont pas su évoluer vers le numérique au moment opportun sont les plus vulnérables. Notre communication se veut dans l’air du temps, nous sommes aujourd’hui présents et actifs sur les plateformes sociales les plus utilisées : Facebook et Instagram. Nous comptons aujourd’hui une communauté de plus de 500 abonnés (Facebook & Instagram). Les spécificités du secteur touristique nous amènent à référencer l’auberge sur des sites et blogs dédiés ; nous sommes actuellement en pleine création du site internet. Néanmoins, les médias traditionnels tels que la presse écrite, la radio et la TV ont participé à la promotion du projet. De mon expérience, si j’ai un conseil à donner ce serait de persévérer, ne pas s’attendre à des retours immédiats, aller vers un projet pour lequel on est prêt à se lever, se battre, s’ouvrir aux autres, saisir les occasions, se méfier des belles paroles et surtout ne jamais baisser les bras. Les beaux jours arrivent !

Corinne Coman | Akamissco

Corinne Coman | Akamissco

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Elle incarne une féminité assumée et affranchie des diktats. Refuse les étiquettes même celles qui l’ont fait connaître du grand public. Inventive, elle se définit comme « multipotentielle ». Une entrepreneure éprise de créativité, boulimique du travail, qui signifie avec éclat que l’audace reste son unique étole. Décryptage. Briser les codes. Après Miss France, j’ai repris mes études et j’ai fini en tant que major de promotion de l’Université Paris II Panthéon-Assas avec un master 2 en marketing et communication des entreprises obtenu avec mention bien. Récemment, j’ai vu que l’on qualifiait certaines personnes de multipotentielles. Je pense faire partie de cette catégorie, car lorsque je me lance dans un projet, il est rare qu’il s’achève sur un échec. Je me donne les moyens de réussir, en travaillant dur. Cela a été le cas durant mon cursus scolaire et universitaire, et aujourd’hui dans le domaine professionnel. Le choix de reprendre mes études après Miss France était primordial pour moi, car je voulais me construire une carrière et ne pas être enfermée dans une image. L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui. Miss France c’est vraiment l’aventure d’une vie. Et dire que je ne rêvais pas d’être Miss France (rires) ! L’expérience m’intéressait, m’intriguait. C’est un univers que j’ai découvert avec mes élections déjà de Miss Guadeloupe puis de Miss France. Pour la petite histoire, je me suis présentée à Miss Guadeloupe en candidate libre et j’ai appris à marcher en talons spécialement pour l’élection. À Miss France, on est élue jeune fille et lorsqu'on remet sa couronne on devient une jeune femme chef d’entreprise. On voyage, on ouvre son horizon, on mûrit et l'on s’endurcit aussi beaucoup, car passer de l’ombre à la lumière suscite énormément de convoitise et de jalousie. L’année de Miss France n’a pas été la période la plus épanouie de ma vie, mais je suis très reconnaissante, car c’est aussi cette expérience qui a forgé la femme que je suis aujourd’hui. Avant de reprendre mes études en formation initiale en 2006, j’ai travaillé au Conseil Régional de la Guadeloupe au service tourisme, en parallèle, je travaillais avec le Comité du Tourisme de la Guadeloupe sur la promotion de la destination, je suivais des cours du soir et le samedi matin. À la région, j’ai débuté en bas de l’échelle. Tout en étant en poste, j’ai passé le concours de rédacteur territorial en France que j’ai obtenu. Je dégageais aussi du temps pour faire des activités d’ancienne Miss France (présence à des élections de Miss essentiellement et des œuvres de charité). Je travaillais sans cesse, j’avais un rythme de fou. Heureusement, ma famille m’épaulait et je faisais du sport. J’ai beaucoup souffert de la méchanceté gratuite de certaines personnes quand j’étais à la Région. Je recevais des courriers anonymes, des lettres d’insultes à mon travail… Après sont arrivées les rumeurs… En revanche, cela ne m’a jamais posé de problèmes, car l’attention des gens était occupée par des choses fausses ce qui me permettait d’avancer sereinement sur mes projets. Les rumeurs sont en quelque sorte la rançon de la gloire. Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé. Lorsque j’ai obtenu ma licence d’administration publique avec mention, alors que je travaillais au Conseil Régional, mes professeurs m’ont incité à poursuivre mes études et c’est comme cela que je suis retournée sur les bancs de la fac en 2006. En 2007, je décide de partir de nouveau sur Paris pour achever mon 3e cycle, j’obtiens deux masters qui m’ouvrent les portes des cabinets d’avocats d’affaires internationaux sur Paris. Mon dernier poste en tant que salariée était celui de Business Development Manager au sein du cabinet d’avocats d’affaires anglo-saxon Ashurst LLP. Je dirigeais le département marketing et communication du bureau de Paris. Missco & co. Je crois que dans un coin de ma tête, j’ai toujours voulu entreprendre, créer de la valeur et des richesses. Très jeune, j’ai investi dans l’immobilier. J’étais propriétaire de mon premier bien à 21 ans. Je suis une boîte à idées (rires), pour moi-même et mes ami(e)s. Des projets, des idées j’en ai eu des tas, mais le temps me manquait. Lorsque je vois le rythme que j’avais, je me demande aujourd’hui comment j’ai réussi à tenir. Je suis toujours aussi active, mais je fais attention à avoir un certain équilibre. Pendant longtemps, l’échec ou plutôt la peur de l’échec m’a bloqué. Toutes mes décisions étaient liées à la sécurité et l’absence de risque… Je pense que la naissance de mon fils a été la clé. C’est lui qui m’a boosté. Je voulais être un exemple pour lui, qu’il se dise qu’il faut foncer et ne pas avoir peur. Entreprendre, créer une entreprise, dans ma famille c’est un concept abstrait. Je suis issue d’une famille de fonctionnaires, mes parents l’étaient et mes frères le sont. J’étais la seule déjà à être salariée dans le privé. Le jour où j’ai dû annoncer à ma mère que je renonçais à ma carrière pour me lancer dans l’entrepreneuriat, je crois que le sol s’est dérobé sous ses pieds. En toute franchise, je pense que c’est toujours compliqué pour ma famille, car être entrepreneure c’est l’aventure, l’incertitude… Elle s’inquiète pour moi, mais pour autant j’ai son soutien indéfectible et c’est précieux ! Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus… Une fois que ma décision a été prise de réaliser mes projets, à aucun moment je n’ai pensé à abandonner. J’ai douté oui, mais revenir en arrière jamais. Même en quittant mon cabinet, je n’ai pas eu de regrets. Je pense que je suis actuellement à ma place. Je me suis donné deux ans pour faire décoller mes activités et faire le bilan. Selon le constat, je verrai quelles seront les décisions à prendre. Dans tout choix, il y a des sacrifices. J’ai renoncé à un salaire confortable, une carrière toute tracée pour réaliser mes projets sans l’assurance que tout fonctionne. Cela en vaut la peine. Et puis, l’idée de cumuler un poste en tant que salariée et ma vie d’entrepreneure ne sont pas impossible pour moi. Missco & Co est pour le moment une SASU, mais dans mon rêve le plus fou, cela deviendra une holding (rires) ! C’est la société qui regroupe les trois activités que j’ai lancées en 2018. Globe Studen t , le guide de survie pour son premier hiver à destination des jeunes Ultramarins qui rejoignent l’Europe pour poursuivre leurs études. Ma Stor y , une série d’interviews de personnalités emblématiques afrodescendantes sur le thème comment faire d’un échec un atout et enfin Akamiss co , une boutique en ligne d’accessoires de mode, de produits de beauté et de produits d’intérieur d’inspiration caribéenne. D’un point de vue du financement, mes deux premières activités ont été intégralement autofinancées. Pour Akamissco, j’ai dû recourir à l’emprunt bancaire et j’ai également obtenu un prêt d’honneur de France Initiative. Je me suis beaucoup appuyée sur mon expérience personnelle et professionnelle. En complément, j’ai suivi des formations auprès de la CCI de Paris et d’Île-de-France sur la partie e-commerce et la gestion d’entreprise. Se former tout au long de sa vie c’est important. Personne n’a la science infuse. Les activités lancées sont le résultat d’une quête de sens : à savoir promouvoir et soutenir nos talents, nos savoir-faire et notre jeunesse. Dans le système français, je crois que tout est fait pour nous faire renoncer à entreprendre. Administrativement, c’est procédurier, long, lent. Si on n’est pas motivé, on peut abandonner. Obtenir des financements, ce n’est pas simple non plus. Une des qualités à avoir en tant qu’entrepreneur : c’est faire preuve de résilience, il ne faut rien lâcher, toujours trouver des solutions et mobiliser son réseau. J’apprends au fil des jours. Aujourd’hui, c’est Akamissco qui occupe la majorité de mon temps. Je travaille à faire décoller les ventes et faire connaître le site. C’est un concept plein de belles promesses. Je dois travailler sur mon impatience. J’aime quand ça va vite. Il faut que j’apprenne à donner le temps au temps (rires). J’ai toujours beaucoup d’idées, je dois aussi me canaliser pour ne pas m’éparpiller. Pour autant, un nouveau projet est en route ! Mental d’entrepreneur. Aujourd’hui, je souhaiterais pouvoir vivre correctement des activités que je lance. Quand on travaille grâce à ses passions, ce n’est plus une contrainte. C’est quelque chose que j’aimerais expérimenter réellement. J’essaie de m’accorder du temps, prendre soin de moi et aussi passer du temps de qualité avec mon fils, Nelson. Par exemple, le mercredi après-midi lui est dédié. Je l’accompagne à ses activités, on passe du temps ensemble, on joue, on rit… Depuis que j’ai quitté mon emploi de salariée, je le récupère après l’école, au centre de loisirs. Il n’a plus de nounou pour le moment. Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question. Pour moi la femme, c’est celle qui arrive à concilier toutes ses vies, femme active, mère de famille, amie, amante. C’est important pour moi de conserver une vie sociale, de voir mes ami(e)s, même si dans les faits c’est compliqué. Les journées ne sont jamais assez longues. Je n’aime pas l’idée de la femme potomitan, mais c’est une réalité dans notre société guadeloupéenne. Celles qui le sont n’ont pas eu d’autres choix que de l’être, c’est tout. C’est souvent face à l’adversité que l’on se révèle à soi-même et aux autres, homme ou femme. Je pense tout de même que la femme a plus de ressources pour se relever des épreuves difficiles de la vie, des 3 D (divorce, déménagement, deuil). Je ne suis pas féministe pour un sou. J’ai besoin d’un homme à mes côtés, de son aide, son support et son amour. Mais je n’en ai pas toujours eu et cela ne m’a pas empêché d’avancer. Pour être bien à deux, il faut savoir être bien seule. Le moment où je me suis sentie complète en tant que femme, c’est en devenant mère. L’arrivée de Nelson a été un bouleversement considérable. Dans l’absolu, j’ai toujours rêvé de fonder une famille, mais en même temps je me demandais si je serais à la hauteur. J’ai fait un baby blues après sa naissance, je n’ai pas réussi à l’allaiter. J’ai culpabilisé, beaucoup, mais j’ai pu compter sur le père de mon fils qui a été présent, donnait le biberon, changeait les couches… Il était très impliqué et compréhensif. Être entrepreneur c’est naviguer à vue. On ajuste les actions, on rectifie le tir si nécessaire, on confirme l’essai. Des erreurs, oui j’en ai certainement faites et j’en ferai encore. L’idée c’est d’en avoir conscience et de ne pas avoir peur de se remettre en question. À l’heure actuelle, je poursuis mon sourcing pour développer le nombre de produits mis en vente sur Akamissco.com. Je pense aussi à des partenariats et à de l’événementiel et pourquoi pas l’ouverture d’une boutique physique. Si je devais refaire les choses, je les ferais à plus grande échelle, je verrais les choses en grand ! Je prends plus de risques aujourd’hui, mais je reste encore prudente. Pour celui ou celle qui souhaite entreprendre ; je dirais, qu’une fois que tu as ton idée, mûrit bien ton projet et surtout n’éludes pas cette phase. Prépare bien ton business plan, fais-toi aider et accompagner par des professionnels, forme-toi et puis lance-toi, fonce ! Je finis sur une citation de Xavier Dolan «  Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais  ».

Jean-Pierre Pierin | Monétik Alizés

Jean-Pierre Pierin | Monétik Alizés

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Bosseur, pugnace et de fière allure, Jean-Pierre Pierin semble avoir pris ses aises le long de son aventure entrepreneuriale. Et celui qui, tantôt, se refusait d’échouer et qui a aujourd’hui comme seule religion la monétique, incarne inévitablement sa réussite : celle de la liberté pièce secrète de ses ambitions… Le devoir de revenir. Dernier d’une famille monoparentale de huit enfants que notre mère a élevé seule ; je suis né à Saint-François le jour de la fête de Saint-François d’Assise… J’y ai passé toute mon enfance et mon adolescence à pratiquer tous les sports et activités que nous offrait Saint-François, une époque heureuse, bien que difficile financièrement, entre une famille aimante et ma petite bande d’amis. Le passage au lycée de Baimbridge fut une période qui m’a profondément marqué, nous y avons vécu un drame lors de notre année de terminale, la perte d’un de nos camarades dans une fusillade : «  L’affaire Charles-Henri Salin  ». Cela nous a tellement ému que nous avons tous eu notre baccalauréat en mémoire de notre camarade assassiné. J’ai pu bénéficier d’une aide régionale et d’une bourse afin que je puisse étudier à Paris sans imposer à ma mère ces frais supplémentaires, sachant qu’elle ne pouvait pas y faire face. Donc je n’avais pas droit à l’échec hors de mon île… La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir. Arrivé à Paris en 1986, étudiant à Jussieu Paris VI en Deug A (mathématiques et physique structure de la matière), j’ai vécu le début de la grève des étudiants contre la loi Devaquet , et j’ai bien compris que l’union faisait la force et permettait de se faire entendre. Je suis resté, en tout, neuf ans en métropole, entrecoupés d’une année sabbatique qui m’a permis de rester au chevet de ma mère victime de son premier AVC. Je ne souhaitais surtout pas passer le cap des dix ans hors de mon île. Je voulais rentrer et être utile à mon pays. De retour à Paris, la mort dans l’âme, en quittant ma mère une deuxième fois, je me suis orienté vers un parcours en électrotechnique et informatique industrielle, j’ai suivi des cours d’ingénierie à l’EPITA (École des ingénieurs en intelligence informatique), qui m’ont permis d’effectuer un stage dans une société EIS à Ris-Orangis dans le 91. L'heure de la monétique. Mes premiers pas dans la monétique ont commencé à Créteil à Monétique SA, mon travail et mon sérieux au sein de cette entreprise ont été remarqués et j’ai pu acquérir rapidement la confiance de ma direction et de mes collègues qui m’ont élu délégué du personnel. Une expérience qui me guide jusqu’à aujourd’hui dans la gestion de mes rapports sociaux au sein de mon entreprise. Plusieurs voyages et stages aux États-Unis et à Cuba, durant cette période, m’ont affermi professionnellement et permis de comprendre l’esprit des affaires. J’avais la certitude qu’il y avait des choses à faire dans notre espace caribéen. Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires… La réussite des chefs d’entreprise noirs me galvanisait, nous pouvions tous réussir, mais la première chose à faire, avant tout, était de revenir. J’ai donc proposé à la direction de Monétique SA de m’accompagner pour créer une filiale en Guadeloupe, car il y avait un besoin de service dans notre domaine. Monétik Alizés est donc né en avril 1995, filiale de Monétique SA. Nous étions spécialisés en maintenance monétique et je souhaitais apporter les mêmes services aux commerçants et artisans guadeloupéens. L’implantation ne fut pas simple, sans étude de marché, avec uniquement deux ans d’expérience en monétique. Je me suis installé à Jarry, mon oncle y avait un atelier de réparation de moteurs, je lui ai loué un bureau de 20 m2, il y avait juste un ordinateur et un téléphone à cadran (269 696). Début de l’activité sans aides ni subventions, le technicien est devenu son propre patron et les lourdes démarches administratives qui lui prennent la moitié de son temps s’imposent à lui. Cette aventure était vraiment très personnelle. Nos parents nous avaient toujours fait comprendre qu’il fallait être fonctionnaire pour réussir, j’ai toujours su que je ne souhaitais pas cette vie : dépendre de l’autre. Ne jamais se mentir à soi-même est l'une de mes devises et être libre. Oui, la liberté a toujours été le moteur de mes ambitions, les plus secrètes. Une volonté de fer. Malgré les embûches, les difficultés de mon entourage à m’accompagner et me comprendre, j’avais le goût du risque, je l’ai toujours eu, je voulais faire des affaires. Les banques n’y croyaient pas. Ce domaine de technologie, la monétique, était méconnue et j’ai dû faire face, seul, aux difficultés financières et de gestion d’entreprise, mais c’était possible, surmontable, j’en étais sûr. Ma conviction ne me faisait jamais défaut même dans les moments les plus difficiles. Sans perdre mon enthousiasme, j’ai dû trouver de nouvelles stratégies de commercialisation de mes services. Étant seul et n’ayant pas l’âme d’un commercial, j’ai dû devenir un vendeur. On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés. Au début, ce n’était pas simple, mon avenir en dépendait et celui de ma nouvelle famille. Je devenais père d’une petite fille deux ans après la création de Monétik Alizés. Donc il fallait redoubler d’efforts pour naviguer sans relâche dans les méandres de ma nouvelle vie. Oui, c’est possible de croire en une vie meilleure, mais encore faut-il y être préparé et je ne l’étais pas. Alors j’ai redoublé d’efforts, je ne me suis jamais laissé abattre, j’ai pris ma kanawha (pirogue amérindienne) et jusqu’à ce jour, je me suis laissé voguer sur cette mer des Caraïbes, d’île en île, bercé par les alizés comme jadis, ces Amérindiens qui peuplaient cet archipel caribéen, en ramant, sans jamais baisser les bras. J’espère que Monétik Alizés soufflera très longtemps pour promouvoir une autre vision du service monétique dans la Caraïbe. Réussir. On ne réussit pas seul. Je ne vais pas oublier tous ceux qui m’ont aidé à consolider les bases de Monétik Alizés : les amis qui sont devenus mes premiers clients et qui le sont toujours depuis 26 ans, tous ceux qui ont participé au début de cette aventure et qui ont contribué à la réussite de Monétik Alizés. Comme cet homme d’affaires qui me conviait régulièrement à sa table, mon JR à moi (cela me faisait penser au feuilleton Dallas), m’apprenant les petites subtilités du business aux Antilles. Sa phrase préférée était : «  Quand tu réussis en Guadeloupe, tu peux réussir dans le monde entier  ». Quel privilège j’ai eu, la transmission d’un père spirituel. En l’écoutant, j’ai su appliquer ses conseils, je suis devenu un chef d’entreprise dans mon pays. Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet. Le marché de la monétique étant dominé par les banques et à l’époque par Datacom, j’ai dû innover, en commercialisant une marque de TPE (Terminal de paiement électronique) qui n’était pas vendue aux Antilles Guyane : Ascom Monetel. Cette marque équipait ses terminaux de microprocesseurs plus puissants et de lecteur à carte à mémoire EMV (EUROCARD MASTERCARD), technologiquement, j’avais fait le bon choix. Étant nouveau sur le marché de la maintenance monétique, je ne pouvais pas me développer totalement, il fallait vendre des terminaux pour en assurer l’assistance et le SAV. J’étais dans l’obligation de commercialiser une nouvelle marque de TPE pour faire la différence. Le service à la clientèle, la proximité, l’accompagnement technique téléphonique, le conseil avisé au développement aux nouvelles solutions d’encaissement ont changé le visage de la monétique ; la marque Monétik Alizés est aujourd’hui associée au terminal de paiement. L'enseigne est implantée en Guyane, Guadeloupe, Martinique, Saint-Barthélemy et Saint-Martin, nous sommes partenaires de plusieurs sociétés métropolitaines qui souhaitent étendre leur champ d’action sur les Antilles-Guyane. Nous sommes, avant tout, une société de services partenaires des établissements bancaires. Entreprendre en Guadeloupe, aujourd’hui, n’est plus une sinécure, il faut avant tout avoir confiance en soi et surtout croire en son projet. La dématérialisation électronique favorise le développement commercial au rang mondial et nous devons y prendre notre place. En tout cas, l’avenir de la monétique aux Antilles-Guyane et dans le monde est énorme… Nous souhaitons demeurer un acteur important de la monétique et nous devons faire évoluer nos services, apporter toutes les nouvelles solutions de paiements électroniques aux commerçants pour les aider à développer leur activité et l’économie de nos régions. Mais nous devons surtout croire en notre jeunesse et l’aider à réaliser ses propres rêves…

Yohan Marié | 4Drive

Yohan Marié | 4Drive

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Débit, vitesse, fiabilité, transformation digitale, Cloud sont autant de facettes pour lesquelles la fibre optique s'impose comme l'un des principaux leviers de développement des entreprises. Toutefois, la vitesse sans maîtrise ne serait pas efficace. Ainsi, Canal+ Business , l'opérateur du Très Haut Débit pour les entreprises des DOM, dispose d'un ensemble de services très haut débit adapté aux besoins de chaque entreprise. Dans l'article qui suit, il s'agit justement de fibre optique et de vitesse pour cette jeune entreprise de " serious gaming ". On dit souvent que ceux qui portent un projet novateur ne sont pas assez aidés par leurs entourages... Au moment où nous avons pris la décision de fonder 4Drive, je peux dire que tous les voyants étaient au vert vis-à-vis de nos proches. Nous n’avons pas pris cette décision sur un coup de tête, en annonçant à tous, du jour au lendemain, que nous allions créer notre entreprise. Non, il y a eu tout d’abord beaucoup de discussions, d’échanges entre nous, afin d’analyser et de poser le projet dans son ensemble. Et plus nous écumions les réunions, plus nous nous sentions sur la bonne voie avec l’envie de plus en plus prégnante de nous lancer. Lorsque nous avons présenté notre projet à nos proches, nous avons obtenu assez facilement leur adhésion : ils ont constaté que ce projet était mûrement réfléchi dans sa globalité. Ils ne sont pas, c’est vrai, tous fans de sport automobiles, mais ils ont adhéré au projet, à l'idée d’apporter quelque chose de nouveau et d’innovant aux Antilles. Le fait de s’associer était quelque peu le passage obligé pour nous au vu du coût de l’opération et ils en étaient bien conscients. De ce fait, ils nous ont bien évidemment guidés et conseillés vis-à-vis de notre organisation future. C’est pour cela que je dis que tous les voyants étaient au vert. 4Drive se présente comme un projet, à la fois, attractif, ludique et innovant pour le bassin caribéen. Comment vous est venue cette idée ? Nous sommes quatre potes qui avons grandi avec le sport automobile, à des degrés différents, dans notre entourage (des oncles pilotes et/ou une certaine passion pour le sport automobile). Initialement, nous avions pour projet d’ouvrir une société de karting, car à la suite de la fermeture du karting de Jarry, il n’y avait plus aucune infrastructure où les amateurs de sport auto pouvaient se défouler à moindre coût. Mais le coût d’exploitation de l’opération nous a quelque peu refroidi. Nous avons donc réfléchi aux alternatives existant dans le sport automobile et c’est ainsi que nous avons opté pour le simulateur de pilotage. Et afin qu’il ne soit pas considéré comme un jeu vidéo amélioré, il était nécessaire de s’équiper d’une machine de pointe, reconnue et validée par les professionnels dans le domaine. C’est pour cela que notre choix s’est porté sur le simulateur Ellip6. Leader mondial dans ce domaine, Ellip6 a collaboré avec des champions du monde que l’on ne présente plus, pour le développement de leur produit (Sébastien Loeb, Yvan Muller, etc.). Après un peu plus d’un an d’études et de recherches, nous avons importé en Guadeloupe le simulateur Ellip6 Lite. Cet outil de pilotage professionnel permet de mettre le sport automobile à la portée de tous et en toute sécurité. Il peut en effet simuler plusieurs catégories de véhicules, tourisme, GT, Rallye, et même la F1. Mais, un tel projet demande des moyens d’investissement conséquents, comment avez-vous financé ce dernier ? Au vu de l’engouement et des sondages que nous avons effectués lors de notre étude de projet, il était nécessaire pour nous de nous positionner rapidement sur le marché. Ainsi, nous avons décidé d’investir en fonds propres avec un accompagnement de la BNP Paribas. Nous avons l’objectif de faire venir d’autres simulateurs à court et moyen terme, en utilisant cette fois les différents leviers que les acteurs économiques locaux et européens peuvent mettre en place. En nous implantant sur Jarry, nous avons consulté les différents opérateurs de la zone et c’est auprès de Canal+ Business que nous avons pu bénéficier du meilleur support actuel à savoir la fibre optique, et surtout au meilleur coût. Il implique, aussi, un réseau d’exploitation irréprochable… Notre simulateur à la possibilité de fonctionner avec d’autres simulateurs Ellip6 dans le monde, sous réserve d’avoir une connexion rapide, stable et fiable. En nous implantant sur Jarry, nous avons consulté les différents opérateurs de la zone et c’est auprès de Canal+ Business que nous avons pu bénéficier du meilleur support actuel à savoir la fibre optique, et surtout au meilleur coût. Ainsi, grâce à notre CanalBox PRO , nous avons pu participer à notre premier challenge intercentre face à deux autres centres Ellip6, Lyon et Pierrelatte. Je tiens à préciser tout de même que nos pilotes locaux ont remporté ce challenge. D’autres compétitions de ce type sont à venir et nous avons l’ambition, grâce à notre connexion actuelle, d’héberger nos premières courses caribéennes. Seriez-vous en mesure, aujourd’hui, de conseiller l’offre Canal + Business à un entrepreneur ayant les mêmes exigences de connectivité que vous ? Nous avions étudié les différentes offres possibles, mais c’est bien cette offre commerciale qui s’est démarquée. Elle répond aujourd’hui parfaitement à nos attentes et nous permet d’atteindre les différents objectifs que nous nous sommes fixés à ce sujet. Alors, oui, nous sommes, en effet, en mesure de conseiller l’offre de Canal+ Business à un entrepreneur ayant nos exigences de connectivité à savoir la rapidité, la stabilité et la fiabilité de la connexion internet. Être son propre boss demande plus qu’être salarié, on ne compte pas les heures, cela demande un investissement personnel plus important. Une entreprise, encore plus à sa création, demande une pleine implication. Pourtant, vous et vos associés, vous avez fait le choix de conserver vos activités propres, est-ce là pour vous un filet de sécurité ? Nous sommes de jeunes entrepreneurs, mais aussi de jeunes pères de famille, avec toutes les responsabilités que cela implique, c’est pour cela que nous avons fait le choix de ne pas quitter nos activités professionnelles. Par ailleurs, nous savions aussi que nous nous lancions sur un marché inédit aux Antilles, il était donc important de prendre la tendance de celui-ci et d’identifier l’aspect porteur du marché. Donc nous ne nous précipitons pas, nous y allons étape par étape, un pas après l’autre en vérifiant attentivement si la marche sur laquelle nous mettons le pied est suffisamment solide pour nous permettre d’avancer. Ne pensez-vous pas qu’être entrepreneur demande une pleine prise de risque ou pensez-vous qu’il est préférable de les limiter ? Pour ma part, créer sa société est déjà une prise de risque. Après, tout dépend, bien entendu, de la situation de l’entrepreneur. Il y a des personnes qui partent de rien, qui se lancent à fond dans l’entrepreneuriat et qui réussissent ; et en effet, il y en a d’autres qui font de même et qui pourtant n’ont pas cette chance. Ce n’est pas parce que nous ne sommes pas à temps plein que nous devons considérer que le risque est moindre. Il y a effectivement des risques sauf que ceux-ci sont mesurés afin de limiter les incidences sur nos vies personnelles et familiales. Du coup, comment sont définis vos rôles au sein de la structure ? En fonction des études, mais également par rapport à l’activité professionnelle de chacun, nous avons conjointement défini nos postes. Nous avons chacun la chance d’avoir des parcours différents et c’est ce qui nous a permis de nous positionner professionnellement au sein de 4Drive. Vouloir devenir son propre « boss », est-ce une raison suffisante pour entreprendre ? La réponse la plus facile serait de répondre « oui », bien entendu, mais ce n’est pas tout. Entreprendre au sein d’une activité qui nous tient à cœur et dans laquelle nous pouvons nous épanouir est aussi une raison pour devenir son propre patron, mais il ne faut pas oublier une chose : être son propre boss demande plus qu’être salarié, on ne compte pas les heures, cela demande un investissement personnel plus important. Il ne faut pas négliger tous ces aspects et rester peut-être focalisé sur le fait de ne plus avoir de patron à qui rendre des comptes : c’est justement en devenant patron que l’on se rend compte de la difficulté du poste de BOSS. Les erreurs font partie intégrante de toute aventure entrepreneuriale. En avez-vous fait ? Et quel a été le plus difficile pour vous dans votre parcours d’entrepreneur ? Notre société est toute jeune, elle a un peu plus de deux ans maintenant, donc je ne peux pas dire que nous ayons fait des erreurs majeures pouvant mettre à mal notre activité pour le moment ! Mais si je devais citer une erreur, je dirais que nous avons péché sur la communication, mais c’est un spot sur lequel nous nous rattrapons par le biais de formations en communication. Notamment la communication digitale, qui est devenue le moyen de communication par excellence avec l’émergence des réseaux sociaux. Avec le recul qui est le vôtre et en raison de votre expérience, pensez-vous qu’il est important de se former pour entreprendre ? Bien sûr, il est important de se former pour entreprendre, c’est un moyen sûr de connaître tous les rouages de l’entrepreneuriat. Un de nos associés avait suivi une formation en création d’entreprise, mais nous avons surtout eu la chance d’être accompagnés par des spécialistes dans leurs domaines respectifs. Nous sommes une jeune équipe et une formation plus complète de notre troupe n’est pas exclue. Il n’est jamais trop tard pour apprendre. Pour beaucoup d’entrepreneurs qui recherchent à s’associer, la question du statut juridique est souvent problématique. Quel est le statut de votre structure et quels sont ses avantages et ses inconvénients ? Nous avons opté pour une Société par Actions Simplifiée (SAS) qui a l’avantage notamment d’être souple dans son fonctionnement. Cette forme juridique répond à notre organisation de départ ainsi qu'aux objectifs fixés à moyen terme. À ce stade, nous n’avons pas rencontré d’inconvénient majeur concernant cette question. Comment envisagez-vous le développement de votre structure ? Malgré tout le chemin parcouru, nous sommes toujours au début de l’aventure et nous avons encore beaucoup de nouveaux projets à court et moyen terme. N’hésitez pas à nous suivre sur les réseaux sociaux, car le meilleur est à venir.

La nouvelle BMW X4, un coupé au fort caractère

La nouvelle BMW X4, un coupé au fort caractère

Par Mike Matthew Photos : BMW France Quatre ans après sa première sortie, voici le nouvel X4 qui permet à BMW d’ouvrir un nouveau chapitre dans l’histoire des Sports Activity Coupé. Reprenant l’esthétique reconnaissable de son prédécesseur, sa nouvelle déclinaison remet au goût du jour le X4 avec des surfaces épurées, rehaussées de touches élégantes et modernes. Avec sa dynamique de conduite nettement améliorée, ses lignes résolument sportives, son intérieur raffiné et ses systèmes d’aide à la conduite et de connectivité ultramoderne, la nouvelle BMW X4 dégage une impression de puissance et affirme sa nouvelle identité. Et s’impose aujourd’hui, comme la plus captivante des sportives de la gamme chez BMW. Un confort exceptionnel. Grâce à ses nouvelles proportions : plus longue (+ 81 mm), plus large (+ 37 mm), un empattement accru (+ 54 mm) et moins haut de 3 mm par rapport au modèle précédent, le design extérieur de la nouvelle BMW X4 dégage agilité et puissance, et se distingue de ses concurrentes par ses lignes dynamiques qui confèrent au nouveau SUV l’allure d’une sportive au caractère bien affirmé. À bord, l’aménagement de l’habitacle est centré sur les besoins du conducteur avec un tableau de bord aux contours nets et une assise légèrement surélevée. Les matériaux de premier choix, la précision de la finition et les détails soignés donnent le ton, cette sensation d’être enveloppé dans un « cocon » qui procure toujours autant de plaisir. Également très fonctionnelle, elle propose des espaces de rangement volumineux, des vide-poches généreux et des porte-gobelets et autres compartiments améliorant la qualité de la vie à bord. À l’arrière, la banquette offre trois véritables places assises, avec davantage d’espace pour les jambes que sur le précédent modèle. Avec le dossier rabattable en trois parties de 40/20/40 fourni de série, il est possible de faire passer la capacité du coffre de 525 litres à 1 430 l. Une conduite unique. Pour son lancement, la nouvelle BMW X4 est proposée sous plusieurs variantes de motorisation : trois moteurs à essence, quatre moteurs à diesel et enfin deux modèles BMW M Performance qui s’imposent comme les fleurons de la gamme. Grâce à son châssis entièrement repensé, adapté aux spécificités du Sports Activity Coupé, mais aussi au centre de gravité abaissé par rapport à la BMW X3, la nouvelle BMW X4 peut se prévaloir d’une agilité exceptionnelle et d’un confort de conduite remarquable. Une association intelligente de matériaux a permis d’alléger considérablement le châssis, mais aussi la carrosserie et de nombreuses autres pièces. Grâce au concept BMW EfficientLightweight, le nouveau modèle pèse jusqu’à 50 kg de moins que la génération précédente (hors équipements). Les caractéristiques aérodynamiques du Sports Activity Coupé ont également été améliorées, portant le coefficient de traînée (Cx) de la nouvelle BMW X4 à 0,30, un niveau encore jamais atteint sur ce segment. Alors, qu'attendez-vous, pour vous lancer ?

La fondation Orange, pour une présence sans frontière et un ancrage local

La fondation Orange, pour une présence sans frontière et un ancrage local

Par Ken Joseph Illustration : Mathieu Delord Anciennement placé sous l’égide du ministère des PTT, l’opérateur historique de la fin des années 80, France Télécom, aujourd’hui Orange, s’est imposé dès sa création à l’origine du déploiement des réseaux téléphoniques les plus performants au monde et encore aujourd’hui très largement utilisés. Principaux opérateurs européens et africains du mobile et de l’accès internet ADSL, et l’un des leaders mondiaux des services de télécommunication aux entreprises, l’histoire de ce groupe a suivi de très près l’essor foudroyant et l’évolution mouvementée des télécoms depuis les années 70 jusqu’à aujourd’hui. Le groupe a été de toutes les aventures : du réseaucom2000 au GSM, de l’emblématique Bibop et des Pagers jusqu’à la 3 et 4G… Et sûrement demain du déploiement de la 5G. (…) le Groupe a toujours su préserver la nature de sa mission : permettre à tous de communiquer. L’humain en premier, comme point de départ et point d’arrivée. Vingt-sept ans après, le lancement d’Orange au Royaume-Uni qui révolutionna le marché avec la facturation à la minute, l’histoire de cette cellule administrative devenue entreprise privée en 2004, semble être l’une des plus belles success-stories made in France. Et avec un chiffre d’affaires de 41,096 milliards d’euros pour l’exercice 2017, soit une hausse de +1,2 % par rapport à l’année 2016, on peut dire que l’opérateur historique français, présent dans 30 pays du monde se porte bien, semble-t-il. Ce pour le plus grand bonheur des actionnaires, qui ont connu une augmentation du dividende pour l’exercice 2018. Orange a enregistré 503 millions d’euros de chiffre d’affaires supplémentaires cette année-là. Le bénéfice net dégagé est de 1,9 milliard d’euros. Par ailleurs, c’est la première fois que le chiffre d’affaires du groupe Orange enregistre une croissance en France depuis l’année 2009. Celle-ci s’élève à +0,6 % pour un chiffre d’affaires de 18,1 milliards d’euros en 2017. Fier de ses conquêtes à l’échelle du monde et de ces 263 millions de clients, au cours de sa profonde mutation, le groupe a toujours su préserver la nature de sa mission : permettre à tous de communiquer. L’humain en premier, comme point de départ et point d’arrivée. Plaçant ainsi l’homme, la société et la planète au cœur de toutes ses réflexions. «  Nous voulons offrir un progrès réel pour l’homme, le citoyen, nos collaborateurs et nos clients sur trois univers d’innovation : développer les potentiels de chacun d’entre nous ; construire une société plus intelligente, responsable et ouverte, mais aussi mieux équilibrée  », peut-on lire sur le site du groupe, sous la rubrique Human Inside. Faire du numérique un levier de progrès pour tous : voici l’objectif du groupe, aujourd’hui, qui affirme, ainsi, que la technologie est un vecteur majeur de développement et de progrès, aussi bien à l’échelle d’un individu, d’un territoire ou d’un pays. Et à travers sa démarche de RSE (Responsabilité Sociale d’Entreprise) le groupe attache à rendre possible cette création de valeurs et activer les bénéfices du numérique dans la société. C’est ainsi qu’en 2015, l’éducation numérique, pour les jeunes et les femmes, devient la priorité du groupe par le biais de sa fondation. La démarche RSE du groupe via la Fondation Orange est inscrite au sein du plan stratégique du groupe, fondé sur une dynamique digitale, efficace et responsable. Chaque territoire est ainsi mobilisé et partage une même ambition de création de valeurs, déclinée en initiatives transverses ou locales dans le cadre de ses activités et sur ses sites. Fondée, en 1987, lorsque le groupe Orange s’appelait encore France Télécom, la vocation de la Fondation Orange a été de créer du lien entre les individus, faciliter la communication pour ceux qui en sont exclus pour des raisons diverses, de santé, de handicap ou du fait de leur situation économique. La Fondation est alors de tous les combats et ses engagements font, en effet, échos au prolongement de la mission première du groupe : permettre à tous de communiquer. Premier mécène des retransmissions d’opéra, avant d’avoir fait de la solidarité numérique son cheval de bataille, elle a d’abord choisi la culture, dont la musique vocale comme axe d’engagement. Ce qui lui permet de rendre accessibles de grandes œuvres dans plus de 300 salles de cinéma. Dès 1991, la Fondation Orange s’engage aux côtés d’associations aidant les personnes avec autisme, c'est ainsi que verra le jour l’association Volontaires pour les personnes avec autisme, constituée de salariés Orange bénévoles. En 2005, le groupe s’internationalise et dans la foulée aborde un nouvel axe, celui de l’éducation par les biais de la lutte contre l’illettrisme et la mise en place de programme d’éducation pour les filles et les femmes dans les pays en développement. Culture, santé et handicap, éducation, voici les trois priorités de la fondation Orange. En filigrane, elle cultive deux constantes, deux préoccupations « transverses » : l’attention portée à l’amélioration de la situation des femmes sans qualification et les jeunes déscolarisés, qui sont aujourd’hui systématiquement recherchés dans les projets que soutient la fondation, et l’utilisation des outils numériques, qui constituent un levier formidable pour ses actions, dans le champ de l’éducation et de la culture comme dans celui de la santé. Un ensemble avec comme fil rouge la solidarité numérique, visant à répondre aux besoins des populations. « nos engagements dans ces trois domaines : agir pour l’avenir des jeunes, l’autonomie des femmes et les personnes autistes » Engagée depuis 2005 dans des actions de mécénat en Afrique, en Europe, au Moyen-Orient et en Asie, la Fondation Orange soutient des projets dans 30 pays, avec 16 autres fondations réparties dans le monde où le Groupe Orange est présent en tant qu’opérateur. Dans le fonctionnement, la Fondation Orange définit les grandes lignes, et ensuite chaque fondation dispose d’une certaine autonomie pour mettre en place les actions. La Fondation Orange anime les échanges avec les fondations des autres pays (ou des équipes du groupe sur place engagées dans les actions solidaires) via des calls et des conventions, puis valide les appels à projets. C’est ainsi qu’elle put développer les FabLabs Solidaires à l’international. Aujourd’hui, il en existe 73 dans 11 pays. Elle a également 530 écoles numériques dans 12 pays, qui permettent à 130 000 élèves d’accéder à des contenus pédagogiques envoyés directement dans des écoles qui n’ont pas de connexion. Dotée d’un budget annuel de près de 23 millions, dont 8 millions injectés en France, la fondation permet une plus grande intégration sociale des individus notamment par la mise en place d’un mécénat de proximité porté par les salariés du groupe et d’un grand projet destiné à réduire la fracture numérique : Orange Solidarité Numérique. La participation des salariés est une composante majeure du mécénat à travers le bénévolat, le parrainage de projets et le mécénat de compétence du groupe. Voilà, aujourd’hui, 34 ans, durant lesquels la fondation, ses partenaires et les salariés du groupe se mobilisent autour de projets majeurs, unis par la même volonté de créer, construire et développer des liens entre personnes sur ses territoires. Et la Guadeloupe et la Martinique comme la Guyane ne sont pas en reste. Pilotée sur les trois pôles par Catherine Nordey, responsable des relations extérieures et presse chez Orange Caraïbes, en qualité de déléguée mécénat fondation Orange, cette dernière entend bien développer et asseoir l’impact RSE du groupe dans nos territoires ultramarins. Et depuis 2010, sous son égide, ce sont près de 30 projets qui ont été accompagnés par la fondation, «  soit un total de près de 450 000 euros d’investissement permettant ainsi un ancrage des actions de la fondation Orange localement. Et nous travaillons encore au développement de cet ancrage sur ces trois régions  », confit la déléguée mécénat Caraïbe. Parmi les projets phares soutenus par la fondation orange aux Antilles-Guyane, autres que ces trois axes de priorité (culture, santé et handicap, éducation), Catherine Nordey, depuis 2015, au même titre qu’au plan national, a fait de l’inclusion numérique l’une des priorités de la fondation qui se développe autour de quatre programmes d’éducation numériques : les Écoles Numériques, les FabLabs Solidaire, les maisons Digitales pour les femmes sans emploi ni qualification et Ensemble pour l’insertion des Jeunes. Ainsi, c’est la création de cinq maisons digitales à destination des femmes qui ont été soutenues par la fondation (soit 108 000 euros), dont trois en Guyane, une en Martinique et en Guadeloupe. Trois FabLabs financés (soit 75 540 euros), 15 000 euros pour le soutien du projet d’un espace de formations numériques pour des jeunes déscolarisés de la ML Nord Martinique… Pour l’année 2018, la fondation a accompagné cinq projets à hauteurs de 118 000 euros. Et pour les années à venir, La Fondation compte bien continuer son action pour l’inclusion numérique et pour ses «  engagements dans ces trois domaines : agir pour l’avenir des jeunes, l’autonomie des femmes et les personnes autistes  », affirme Cartherine Nordey. La fondation accompagne également des événements dans des répertoires musicaux variés, ainsi que des projets à vocation sociale et pédagogique qui permettent une plus grande accessibilité des publics à la musique, pour exemple le soutien à la création d’un jeune chœur de Guadeloupe porté par Carib’Opera, le concours « voix des outremers » organisé par le Sopraniste Fabrice di Falco. La démarche RSE du groupe à travers la Fondation Orange est inscrite au sein du plan stratégique du groupe, fondé sur une dynamique digitale, efficace et responsable. Chaque territoire est ainsi mobilisé et partage une même ambition de création de valeurs, déclinée en initiatives transverses ou locales dans le cadre de ses activités et sur ses sites. Ainsi, le groupe Orange souhaite être un acteur essentiel et utile dans la vie de tous, en se concentrant sur ce qui importe le plus à chacun. Plus d’infos sur le site : www.fondationorange.com

Didier Delpech, entrepreneur engagé

Didier Delpech, entrepreneur engagé

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure Le mécénat d’entreprise par la voie de Fondations connaît en France un envol spectaculaire. Environnement, sport, insertion, humanitaire… Aucun secteur ne semble échapper à la bienveillance des entreprises. Mais l’un des secteurs les plus courus grâce à la puissance économique d’entreprises telles que Cartier, le groupe LVMH, Hermès ou encore Kronenbourg reste la culture. Leurs leitmotivs au-delà de l’apport en visibilité ? La transmission d’un patrimoine culturel pérenne. Et c’est sûrement dans cette optique que Didier Delpech, président du Groupe Bloknot Antilles-Guyane, a créé la Fondation Fore en 2013, faisant de son entreprise la première PME guadeloupéenne à avoir sa propre fondation. Entrepreneur chevronné, Didier Delpech s’illustre désormais à l’image de ces chefs d’entreprise philanthropes qui ont la volonté de s’unir dans une démarche commune de promotion d’un territoire, d’un attachement à un patrimoine ou encore par l’enthousiasme d’une création… Donner n’est-il pas avant tout faire plaisir, en se faisant plaisir ? Rencontre d’un entrepreneur passionné et engagé. Quel a été votre parcours avant la création du Centre de Formation Fore en 1986 ? C’est avant tout celui d’un garçon curieux qui dès son adolescence avait envie de s’émanciper très vite. Après un baccalauréat technologique et une première année de faculté de sciences, j’ai voulu commencer à travailler sérieusement. Un petit coup de pouce du destin m’a permis de venir m’installer en Guadeloupe et de donner mes premiers cours d’électricité. Le monde de l’entreprise s’ouvrait à moi. La création de la Fondation Fore s’est faite sur un constat. Il fallait faire plus et mieux, éviter le saupoudrage et se concentrer sur un objectif majeur : « favoriser l’émergence de talents caribéens, au travers de leur savoir-faire ou leur art en développant, avec eux, des projets originaux à caractère artistique, culturel ou patrimonial ». Aujourd’hui, avec le recul, comment définiriez-vous votre aventure entrepreneuriale ? En premier lieu, je pense qu’il faut avoir cela en soi, une forme de vocation ou peut-être d’éducation. Je m'en souviens comme si c’était hier, pendant la préparation de mon BAFA, dire à mes copains, alors que je n’avais que 17 ans : «  J’aurai mon entreprise ! Je travaillerais à mon compte. » Ensuite, en découvrant le monde de la formation, j’ai compris que j’allais pouvoir concilier ce que j’aimais le plus, l’enseignement et le développement d’une entreprise. Comme on dit, j’avais trouvé ma voie. Trente-quatre ans sont passés et pourtant, je n’ai rien oublié. L’effervescence permanente, l’engagement de tous les instants, les sacrifices nombreux, les coups durs réguliers, mais ce qui reste, c’est toujours le positif. Les projets novateurs, les équipes avec qui je travaille et tous ces témoignages au quotidien qui nous prouvent l’utilité de notre engagement sur notre territoire. Aujourd’hui à la tête d’un petit groupe régional (Antilles-Guyane), j’ai le plaisir de travailler avec une équipe de 80 salariés, des partenaires de renoms et un grand nombre de formateurs consultants. Implantée en Guadeloupe, en Martinique, en Guyane et à Saint-Martin, comment avez-vous orchestré le développement de votre structure ? Le développement d’une entreprise repose avant tout sur une vision partagée avec ses équipes, car au quotidien ce sont elles qui œuvrent pour l’atteinte de cet objectif commun. Nous avons mis au cœur de notre fonctionnement la qualité de service, le respect et une grande attention portée à l’ensemble de nos clients furent-ils stagiaires, entreprises ou financeurs. Mon rôle est de veiller à ce que ces valeurs soient toujours au centre de notre fonctionnement. Un autre point important, c’est toujours monter en compétences. Je suis moi-même un pur produit de la formation. J’ai compris très vite que si je voulais être performant, je devais en permanence me former. J’ai donc rapidement suivi une formation de formateur, puis des formations informatiques, mais pour le développement de mes entreprises, c’est celle en contrôle de gestion puis mon master en management stratégique (ICG) qui m’ont permis d’avoir une vision globale indispensable. En 2013, vous créez la Fondation Fore, quel était votre souhait à travers cette Fondation ? C’était avant tout le prolongement de nos actions antérieures. Fore a toujours soutenu des sportifs, des artistes ou bien des associations pour la réalisation de leur projet. La création de la Fondation Fore s’est faite sur un constat. Il fallait faire plus et mieux, éviter le saupoudrage et se concentrer sur un objectif majeur : « f avoriser l’émergence de talents caribéens, au travers de leur savoir-faire ou leur art en développant, avec eux, des projets originaux à caractère artistique, culturel ou patrimonia l ». En effet, votre fondation ambitionne le rayonnement de la culture dans nos territoires. Est-ce dire qu’il y a un déficit dans ce domaine ? Quel regard portez-vous sur la culture dans notre région ? Il y a beaucoup d’initiatives et nos territoires fourmillent de projets. Nous nous situons donc en amont pour favoriser l’émergence et la visibilité de ces talents. La responsabilité sociale de l’entreprise s’acquiert au quotidien par le respect de tous les corps sociaux qui la constituent, par son engagement environnemental, par sa participation à la vie de la cité. De façon concrète, comment s’articule votre action de mécène dans ce domaine ? La Fondation Fore au travers de son comité exécutif, de 10 membres, lance des appels à projets. À réception des dossiers, nous validons dans un premier temps qu’ils sont en phase avec l’objet de la Fondation, puis faisons une sélection sur des critères préétablis (originalité, faisabilité, budget…). Notre apport financier à ces projets oscille entre 2 à 15 000 euros. Toutefois, ce n’est pas notre seul soutien, nous essayons d’être aux côtés d'artistes ou de porteurs de projets pour les aider sur des aspects administratifs ou logistiques. Vos appels à projets, trouvent-ils véritablement un écho ? Plus qu’espéré !!! En effet, nous recevons un grand nombre de dossiers, d’une très grande diversité, tant au moment des appels à projets que tout au long de l’année. Pour ne rien vous cacher, c’est même un peu frustrant de ne pas avoir suffisamment de fonds pour tous les soutenir. Les choses changent, l’esprit et l’engagement des dirigeants également. Mais être entrepreneur ne signifie pas forcément être adepte d’un capitalisme débridé… Pour ma part, je prône pour un entrepreneuriat social. N’avez-vous pas le sentiment de pallier les défaillances des acteurs publics ? Non, simplement apporter notre pierre à l’édifice, rendre à ce territoire un peu de ce qu’il m’a donné. Pour vous, la finalité du capitalisme serait-elle de voir les entreprises contribuer à l’intérêt général sous dictat de la solidarité afin de gagner en respectabilité sociale ? La responsabilité sociale de l’entreprise s’acquiert au quotidien par le respect de tous les corps sociaux qui la constituent, par son engagement environnemental, par sa participation à la vie de la cité. La création d’une Fondation peut être une composante, mais ce n’est pas une fin en soi. Pourtant, capitalisme et solidarité ne sont pas des mots qu’on associe facilement… Les choses changent, l’esprit et l’engagement des dirigeants également. Mais être entrepreneur ne signifie pas forcément être adepte d’un capitalisme débridé. Pour ma part, je prône pour un entrepreneuriat social. Il y a aujourd’hui plusieurs philosophies du mécénat. Peut-on comparer votre action à celle de Bernard Arnault avec sa Fondation Louis Vuitton ou encore celle de Bernard Hayot ? Vous êtes taquin, j’aimerais avoir les mêmes moyens, car le travail est immense et très sincèrement j’admire ce qu’ils font dans ce domaine. Mais nous devons tout faire avec nos propres moyens, les nôtres sont limités, mais suffisants pour soutenir des projets régionaux et créer une réelle proximité avec les artistes. Que répondez-vous aux détracteurs du mécénat, pour qui les entreprises s’achètent un supplément d’âme à bon compte afin de revaloriser leur image ? Cela m’intéresse peu… Ce sont souvent les mêmes qui ne font rien !!! J’ai œuvré pendant 25 ans sans Fondation, mais avec le même engagement, je les invite donc à s’investir autant ! Quel est l’intérêt, aujourd’hui, pour un chef d’entreprise de recourir au mécénat ? Ce ne doit pas être une recherche d’intérêt direct, mais une conviction profonde, celle que l’entreprise a son rôle à jouer au-delà de sa propre activité, en contribuant d’une façon ou d’une autre à la réussite de projets non lucratifs. Cela va vous surprendre, mais pour moi il n’y a pas de définitions de la réussite et encore moins de modèles, c’est une notion très personnelle, mais surtout très subjective. La fiscalité avantageuse octroyée par la loi Aillagon pour le mécénat a-t-elle motivé votre choix ? Il est vrai que tout don fait à une Fondation ouvre droit à une déduction fiscale. Pour faire simple, pour un particulier 66 % du montant de son don est déduit de son impôt sur le revenu, et pour les entreprises, c’est 60 % du montant du don qui vient en réduction de l’impôt sur les bénéfices. Bien évidemment, c’est plafonné. En ce qui nous concerne, notre motivation était ailleurs, mais cet avantage fiscal nous a permis d’accroître sensiblement la dotation à la Fondation. Comment finance-t-on une Fondation d’Entreprise ? Avant de savoir comment la financer, il faut faire un choix pour son montage. Pour notre part, nous nous sommes adossés à la Fondation de France qui a une réelle expertise et qui accompagne plus de huit cents Fondations. Les démarches ont donc été simplifiées. Concernant le financement de la Fondation Fore, c’est assez simple puisque Fore est le principal donateur, complété par quelques dons privés de personnes qui comprennent notre démarche. En 2019, vous ouvrez un espace de travail partagé à Basse-Terre, est-ce une continuité dans votre engagement ? Quelle est la particularité de cet espace ? C’est en effet une continuité, car cet espace collaboratif concilie le monde de l’entrepreneuriat, la culture et le social. Il sera confié à l’association Annou Soti qui depuis de nombreuses années réalise en Basse-Terre des projets novateurs avec des personnes en grandes difficultés. Le Fort Coworking Social Hub. Pour finir, quelle serait votre définition de la réussite ? Cela va vous surprendre, mais pour moi il n’y a pas de définitions de la réussite et encore moins de modèles, c’est une notion très personnelle, mais surtout très subjective.

Fondation d'entreprise, révolution solidaire

Fondation d'entreprise, révolution solidaire

Par Maryse Doré Illustrations : Mathieu Delord Quinze ans après l’application de la loi Aillagon , du 1er août 2003, sur le mécénat, le nombre de fondations d’entreprises n’a cessé de progresser en France. Une dynamique constante depuis 2010, tant pour ce qui est du budget alloué que du nombre d’entreprises engagées dans le mécénat. En vérité, cette progression tient moins à l’exploitation d’avantages fiscaux qu’à la volonté des entreprises de rationaliser leur politique de mécénat et de transmettre une image cohérente. Et si le mécénat d’entreprise était un domaine, jadis, réservé aux grandes entreprises, aujourd’hui, il intéresse désormais les PME et les TPE, numériquement très présentes. En effet, le poids des PME parmi les entreprises mécènes a progressé de 9 points. Elles représentent dorénavant un quart des mécènes et 29 % du budget. En revanche, du côté des plus petites, 12 % des TPE sont engagées dans le mécénat et représentent 11 % du budget global, alors qu’une grande entreprise sur deux est mécène. Ainsi, on compte 14 % d’entreprises mécènes en France soit 170 000 entreprises, pour un budget de 3,5 milliards d’euros en 2016, soit plus de 25 % en deux ans. D’autre part, au 30 juin 2018, la France comptait 510 fondations créées par des entreprises, dont 411 fondations d’entreprise contre 240 en 2008. (…) les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale. Et les perspectives sont très optimistes, puisque près de 80 % d’entre elles déclarent vouloir stabiliser ou augmenter leur budget dans les deux ans à venir. Bien sûr, la législation, plus que favorable depuis 2003, y contribue fortement. Mais finalement, l’aspect financier ne serait qu’un facilitateur, puisque l’incitation fiscale n’est que très rarement la motivation première et arriverait même en dernière position. Première finalité : contribuer à l’intérêt général ; deuxième : exprimer et incarner les valeurs de l’entreprise. Vient ensuite la volonté de valoriser l’image et la réputation de l’entreprise. In fine, les entreprises sont toutes concernées par le mécénat. Et comme le prédit François Debiesse, le président d’Admical, association qui développe le mécénat depuis sa création en 1979 : «  L’entreprise de demain sera engagée ou ne sera pas  ». Qui dit mécénat, pense habituellement culture. Historiquement, cette forme d’action sociale apparaît en France pour soutenir et valoriser la production artistique. Pourtant, les champs d’intervention des entreprises mécènes sont en réalité très divers, tout en étant conditionnés par un cadre réglementaire. Celui-ci prévoit qu’elles puissent intervenir auprès d’organismes ou de personnes exerçant des activités présentant un intérêt général. Une notion souvent associée aux projets comportant un aspect culturel, sportif, éducatif, social ou encore philanthropique. Ces dernières années, le contexte de crise a eu une influence forte sur les domaines privilégiés par les entreprises. Elles concentrent désormais leurs efforts sur les enjeux de développement humain. «  On observe que les fondations se recentrent sur leur territoire d’ancrage pour prendre en charge les urgences sociales les plus fortes, ce qui constitue d’habitude une compétence des collectivités territoriales  », décrit Sylvain Reymond, responsable mécénat et investissement citoyen du réseau «  Les entreprises pour la Cité  » . Cet organisme, qui regroupe 250 entreprises engagées dans une démarche de responsabilité sociétale, a publié en 2016, en partenariat avec le cabinet de conseil EY, un panorama consacré aux fondations et aux fonds de dotation. Résultat de cette étude : les principaux domaines d’intervention de ces structures sont l’éducation (58 %), l’action sociale contre la précarité et l’exclusion (49 %) et l’insertion professionnelle (43 %). En queue de peloton se trouve le sport, choisi par 13 % des fondations seulement. Ainsi, relativement aux difficultés des institutions, les entreprises par leurs fondations jouent un rôle beaucoup plus proactif dans la prise en charge des fragilités sociales. En œuvrant à la recherche de solutions, elles deviennent de nouveaux boosters d’innovation sociale. L’Admical publie également tous les deux ans un baromètre sur le secteur. D’après les chiffres de 2016, les entreprises agissent principalement dans les domaines du sport (48 %), du social (26 %) et de la culture (24 %). Ce résultat ne contredit pas pour autant le panorama concernant les fondations. «  97  % des entreprises mécènes sont des très petites et moyennes entreprises (TPE et PME), numériquement très présentes. Le sport reste l’un de leurs principaux domaines d’intervention, ce qui avantage ce domaine d’intervention au classement général  », explique Sylvaine Parriaux au journal Le nouvel économiste , qui précise que les chiffres concernant les budgets donnent une vision plus juste de la réalité. Les montants les plus importants sont, en effet, consacrés au social (17 % du budget global de 3,5 milliards d’euros en 2015), à la culture (15 %) et à l’éducation (14 %). Les pratiques diffèrent ainsi selon la taille des entreprises. «  Une petite structure va raisonner par rapport à son territoire. Sa motivation est d’y contribuer au-delà de son business  », souligne Sylvaine Parriaux. Comme vu ci-dessus, le sport est un domaine qui se prête particulièrement bien à cette ambition. Les grands groupes vont quant à eux chercher à être en cohérence avec leur stratégie responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Ils ont tendance à choisir des actions qui font écho à leur domaine d’activité. La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable. Ainsi, dans bien des cas, la fondation d’entreprise s’inscrit dans une certaine continuité : engagement de l’Occitane en Roumanie dès 1989, soutien des journalistes d’Elle (magazine) à la création de ROZ (un magazine féminin en Afghanistan), la fondation EDF qui envoie entre autres ses techniciens pendant 15 jours en mission à l’étranger pour installer des panneaux photovoltaïques dans des zones sans électricité. Il peut aussi s’agir de donner de la cohérence interne à un groupe diversifié, comme chez Vinci. © Tobias Jelskov La fondation d’entreprise peut répondre à des enjeux complémentaires : ressources humaines, image, ancrage territorial et développement durable. Il n’est pas non plus absurde de tabler sur des retombées commerciales à condition de bien se différencier. Les messages véhiculés par le mécénat peuvent surtout, plus facilement investir le champ social ou environnemental, par rapport à la publicité accusée de « greenwashing » (responsabilité environnementale). Si les publics sont variés (société civile, clients et médias), la fierté d’appartenir à l’entreprise apparaît à la fois comme un objectif et comme une condition de réussite. Les salariés peuvent être consultés pour définir les axes du mécénat, comme pour la fondation Areva, ou pour y soumettre des projets et apporter des compétences. Avec la crise, il apparaît que la fondation d’entreprise joue en outre un rôle stabilisateur, assurant une image de l’entreprise dans la continuité. Engagée sur 5 ans, la fondation d’entreprise ne peut pas faire l’objet de variable d’ajustement, même si certaines d’entre elles n’ont pas survécu à leur fondateur comme la Fondation Vivendi. Pour trouver un terrain d’entente, le mécénat se révèle fructueux lorsqu’il intervient sur un terrain proche de l’activité de l’entreprise, voire au sein d’une communauté, où elle est présente. L’environnement a logiquement fait une percée dans des fondations comme Veolia Environnement ou EDF. A contrario , le rachat en 2007 par un groupe d’entreprises d’un tableau de Poussin au profit du Louvre pour une somme rondelette avait fait grincer des dents dans les milieux syndicalistes de certaines entreprises et fondations donatrices. Bien qu’il soit fondé sur un acte volontaire, le mécénat s’imprègne de plus en plus des nouvelles exigences de la société civile et de responsabilité. Pour atteindre ses objectifs, la fondation doit s’appuyer sur de vraies compétences, souvent issues de plusieurs univers. Déléguée générale de la fondation d’entreprise Elle , Karine Guldeman provient du monde associatif. Autre exemple de diversité, le conseil d’administration de la fondation Air Liquide est composé de neuf membres, dont un représentant du personnel et « trois personnalités extérieures qualifiées » dans le domaine de l’environnement, de la santé et des micro-initiatives. Les mécènes conservent parfois certains complexes vis-à-vis de la communication externe, sauf dans le domaine culturel, où par exemple des fondations d’entreprise telles que Ricard, Louis Vuitton, Hermès, Cartier bénéficient de bonnes couvertures dans la presse artistique. En revanche, la communication sur les actions de solidarité se révèle un exercice délicat dans une France à la tradition judéo-chrétienne. En effet, certaines entreprises sont encore frileuses et hésitent par crainte d’être taxées de récupération en faveur de leur image. Cependant, les choses évoluent, lentement, et les entreprises assument de mieux en mieux leur rôle dans le domaine de la RSE y compris dans le domaine de la solidarité. Le mécénat d’entreprise n’a d’ailleurs pas à rougir puisqu’il développe de plus en plus des logiques d’investissements réciproques avec ses partenaires, dans lesquelles des résultats concrets sont poursuivis. Les fondations veulent en effet maximiser leur impact social et environnemental. Ce sont d’autres bailleurs de fonds, les philanthropes capitalistes anglo-saxons, qui ont amorcé de nouveaux concepts comme le « retour social sur investissement ». Il faut être capable de pister chaque euro investi, une exigence rendue encore plus incontournable avec la crise. Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes. Sur ces bases, la fondation d’entreprise se révèle un excellent instrument pour maîtriser son action et tenir un discours cohérent, notamment vis-à-vis des médias, parfois méfiants, mais aussi des actionnaires. La professionnalisation du mécénat peut contribuer à améliorer la réputation du monde des affaires. Au-delà des montants mis en dotation, la fondation constitue un outil peu coûteux, susceptible de créer un effet de levier à la fois au sein de la firme et dans la société, dans la mesure où les partenaires du donateur sont poussés à atteindre l’excellence. La crise aura eu pour effet de favoriser les investissements dans la solidarité aux dépens de l’international. Certains projets de création de fondations, momentanément gelés, devraient se débloquer lorsque la conjoncture sera devenue meilleure. Souvent, la création d’une telle structure vise à apporter de la lisibilité à la politique de mécénat d’une entreprise vis-à-vis de l’extérieur, et l’incite à clarifier son champ d’action. Quelques exemples de réussite locale... La Fondation Semsamar solidarité. Créée en 2011 par la Semsamar qui l’a doté d’un fonds initial de 150 000 euros, la fondation a pour but de structurer les actions sociales menées par la SEM au profit des familles défavorisées, des jeunes et de la promotion de valeurs telles que l’excellence ou la citoyenneté active. Semsamar Solidarités soutient à ce titre les structures associatives engagées dans l’action sociale à Saint-Martin, Guadeloupe, Guyane et Martinique. La Fondation Claude Emmanuel Blandin. Première fondation d’entreprise formée en Guadeloupe, la Fondation Claude Emmanuel Blandin mène des actions inscrites dans des champs d’intervention permettant le développement économique, social et culturel en avantageant l’éducation et la science. La bourse « mobilité Québec » est une action phare de la fondation Claude Emmanuel Blandin, qui s’inscrit dans une volonté de rendre plus accessibles les sciences et les techniques au plus grand nombre tout en promouvant la mobilité à l’international. D’autre part, la fondation porte sa contribution à de nombreux événements tels que le « prix de l’Audace » organisée par l’Union des Entreprises ou encore le Concours Robotique First. La Fondation Nestlé France. Créée en septembre 2008 sur le thème « Manger bien pour vivre mieux ». Sa naissance est partie de la publication d’un Livre blanc, qui dresse un panorama des habitudes alimentaires en France. La fondation d’entreprise récompense des acteurs de terrain, en soutenant notamment des projets de recherche dans le domaine des sciences sociales et humaines pour mieux cerner l’évolution des comportements alimentaires. Elle a aussi mis en place un prix, les « Nids d’or », qui récompense des projets autour de la nutrition (éducation, plaisir, activités physiques et santé). © Fondation Hermès Alors que les États-Unis bénéficient d’une grande générosité du public et de l’existence de puissants philantropreneurs, la France dispose quant à elle d’un cadre fiscal très favorable, notamment pour les entreprises. Avec la crise, ces dernières ressentent une attente forte de leurs clients pour qu’elles intègrent, jusque dans leurs offres, une dimension éthique. Cette attente les pousse à instrumentaliser les opérations de mécénat, gommant les frontières entre intérêt commercial et intérêt général, comme c’est déjà le cas avec la multiplication des opérations de produits-partage. Avec la crise, le mécénat favorise de plus en plus la thématique de la solidarité. Dernier-né, le fonds de dotation qui permet également de faire appel aux dons du public. Peu d’entreprises y ont eu recours pour l’instant. Notons que le principal intérêt de la fondation d’entreprise ou du fonds de dotation est de permettre à l’entreprise de s’impliquer davantage dans le choix des programmes qu’elle souhaite soutenir ou pas. Dans le mécénat, l’entreprise se retrouve essentiellement dans une position de pourvoyeur d’argent. Elle n’a pas de regard sur les projets. À l’opposé, dans une démarche proactive, la fondation est décisionnaire. Elle est en contact direct avec les experts sur des sujets qui l’intéressent. Avoir sa propre fondation permet de motiver davantage ses salariés, qui peuvent plus facilement participer aux programmes. Les retombées en matière d’image sont beaucoup plus importantes. La fondation porte d’ailleurs très souvent le nom de l’entreprise. Ainsi, le public peut facilement faire le lien entre l’entreprise et l’action menée. La fondation d’entreprise peut communiquer autant qu’elle veut, à condition que cela porte bien sur les programmes de la fondation et qu’il n’y ait pas de but commercial. Avoir une marque déjà connue prédispose à lancer une fondation. Pour les firmes moins connues, les aspects RH prédominent souvent. La possibilité de définir les missions de la fondation peut fournir des outils pour l’entreprise. Grâce à sa fondation, l’entreprise Rip Curl a pu mener des travaux de recherche sur l’écoconception, qui lui ont été utiles. Mais, l’ouverture sur les autres est présente, puisque ces recherches sont en « open source ». Ce programme se situe bien, comme la protection des récifs coralliens, au cœur de son métier. L’entreprise aurait eu moins de liberté en travaillant uniquement avec une ONG, comme la fondation Surf Rider, par exemple. La fondation peut aussi se révéler précieuse à un moment clé de l’histoire de l’entreprise. La fusion récente de deux entreprises a été facilitée, parce que l’une d’entre elles disposait d’une fondation, qui permettait à chaque salarié de choisir un programme à développer. Plusieurs conditions de réussite doivent être réunies : il doit exister un lien entre le métier de l’entreprise et les missions de la fondation, comme pour Lafuma la protection des Alpes ou encore le soutien des jeunes en difficulté à travers le sport. L’action de la fondation doit être communiquée et relayée en interne. Il ne faut pas laisser l’impression qu’elle est une «  danseuse du Président  ». Les salariés qui le veulent doivent pouvoir y participer. Une grille de sélection puis d’évolution des projets doit être préétablie, car leur sélection ne peut pas être aléatoire. Il faut définir des objectifs par projet et les évaluer chaque année avec le porteur de projet. L’idéal est de disposer d’au moins un permanent de manière à ce que la fondation soit réellement active et dispose de relais en interne dans l’entreprise. Il est indispensable que chaque année, la fondation s’investisse sur des projets et qu’elle ne soit pas « en dormance ». Enfin, à la suite des récentes réformes fiscales, les fondations d’entreprise et les fonds de dotation affichent leur inquiétude, en particulier celle de la transformation de l’impôt sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). Les premières études, menées en juillet, laissent déjà apparaître une baisse des dons de l’ordre de 60 % à la suite de cette réforme, et cette tendance devrait, en principe, s’inscrire dans la durée. Quant au prélèvement à la source, son effet devrait être seulement temporaire, mais favorise l’attentisme des particuliers par manque de pédagogie sur les modalités de l’année de transition. Enfin, et non des moindres, la suppression de la « réserve parlementaire » des députés, en juillet 2017, a fait disparaître une importante source de financement des actions culturelles locales. Face aux menaces budgétaires qui pèsent, une piste est à explorer sur le développement du mécénat de compétences, sous forme de prestation de services ou de mise à disposition de main-d’œuvre. Mais à l’heure actuelle, les dispositions législatives actuelles sont imprécises et ne permettent pas d’articuler correctement le mécénat de compétences avec les règles de la commande publique.
Source : Panorama des fondations 2016 et 2018, par Les entreprises pour la Cité et EY

Cédric Rutil et la culture commerciale

Cédric Rutil et la culture commerciale

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel En entreprise, seul le comportement des résultats détermine toute pérennité, un impératif au quotidien pour tous entrepreneurs. Cédrick Rutil, directeur commercial et communication chez Citroën et DS Automobiles, fait partie de ces acteurs et experts de la culture commerciale qui mettent leurs expertises au service d'entreprises. Depuis 2015, vous occupez le poste de directeur commercial chez Citroën et DS Automobiles, quel a été votre parcours avant d’en être-là ? Formation initiale d’ingénieur complétée d’un master en management et gestion des entreprises. J’ai débuté ma carrière professionnelle il y a maintenant treize ans au sein de cabinets de conseil sur Paris puis j’ai eu l’opportunité de rentrer en Guadeloupe en 2008 grâce au Groupe Loret que j’ai intégré d’abord à la direction informatique puis au sein de la direction financière du Groupe. Ma carrière a été une suite d’opportunités que j’ai saisies, la dernière date de 2015 lorsque M. Jean-Luc Boulogne m’a proposé de prendre la direction commerciale et communication des marques Citroën et DS au sein de l’entité Auto Guadeloupe. Un bon produit est un produit qui plaît au plus grand nombre et qui satisfait à des critères de qualité incontournables tels que la fiabilité du produit et le service associé après la vente. Comment parvenez-vous à concilier ces deux casquettes qui interviennent sur deux marchés complètement différents ? Et d’autre part, quels sont les enjeux et objectifs pour le groupe PSA en s’adressant à ces deux marchés ? Le Groupe PSA a voulu séparer en 2014 la marque Citroën de la marque DS Automobiles. Les produits, les cibles clients, le ton de communication et l’expérience client sont totalement spécifiques à ces deux marques. Citroën se positionne comme généraliste et DS comme la marque premium du groupe PSA, d’ailleurs la seule marque premium française. Changer de casquette reste aisé, car il suffit de s’adapter au profil client qui se présente en restant à l’écoute et donc adapter le discours en fonction de la marque à mettre en avant. Essayez-vous de trouver une synergie entre ces deux cibles/marchés lors de vos opérations commerciales ou encore dans le développement de nouveaux produits et services ? Oui, d’importantes synergies sont possibles notamment lorsqu'on s’adresse aux entreprises qui ont souvent des critères de budget en fonction des postes occupés par les utilisateurs des véhicules. Une fois le choix effectué sur le véhicule, l’exigence client en matière de service après-vente sera la même. La marque DS se démarque en sa qualité de marque Premium avec la mise en avant de services spécifiques payants avec la mise en place du programme DS ONLY YOU (assistance dédiée, DS CLUB PRIVILEGE, Service de valet et conciergerie…). Deux stratégies possibles pour un entrepreneur : j’applique les standards ou je casse les codes. Ce sont deux stratégies différentes. Quand sait-on qu’on est face à un bon produit ? Et quels conseils donneriez-vous à un porteur de projet qui se poserait cette même question au sujet d’un service ou d’un produit qu'il s’apprête à développer ? Un bon produit est un produit qui plaît au plus grand nombre et qui satisfait à des critères de qualité incontournables tels que la fiabilité du produit et le service associé après la vente. Je conseillerai au porteur de projet : ayez une réflexion en amont et en aval de la vente de votre produit. Le prérequis est bien évidemment d’avoir un produit qui s’inscrit dans un besoin de marché, une analyse stratégique de positionnement produit est nécessaire en prenant en compte l’environnement concurrentiel notamment. Une fois, le positionnement produit effectué et la stratégie de commercialisation définis, il ne faut en aucun cas négliger le service associé à la vente de son produit ou de sa prestation. En effet, c’est sur ce dernier point que se jouent la rentabilité et la pérennité d’une entreprise. Le tissu économique de la Guadeloupe est majoritairement composé de TPE et d’entreprise individuelle. Du coup, beaucoup d’entrepreneurs emboîtent la casquette de commercial, sans pour autant avoir suivi de formation. Mais conformément à votre expérience, quelles seraient selon vous les qualités indispensables à un «  bon commercial » ? La formation est bien évidemment conseillée, quel que soit le domaine pour avoir au moins les bases. En effet, peu importe le secteur d’activité, il y a des standards à respecter notamment dans la vente. Deux stratégies possibles pour un entrepreneur : j’applique les standards ou je casse les codes. Ce sont deux stratégies différentes. Pour le commercial, l’écoute du besoin du client reste le prérequis majeur à respecter. C’est l’écoute du client qui vous permet de porter la réponse la plus ciselée par rapport à son besoin. La formation est donc indispensable pour éviter les écueils, mais de nombreux autodidactes ont montré, notamment en Guadeloupe, que la réussite n’était pas réservée uniquement aux cursus dits « classiques ». Vos fonctions telles que vos décisions impactent directement le développement économique des marques DS et Citroën sur notre territoire. Depuis votre arrivée en poste, comment se portent les filiales du groupe PSA en Guadeloupe ? Il suffit de regarder l’évolution des immatriculations « véhicules neufs » pour confirmer que les orientations prises depuis trois ans sur les marques Citroën et DS sont les bonnes. Depuis 2015, les volumes de ventes sur la marque Citroën ont progressé de + 45 %. Cela va de pair avec le renouvellement de la gamme produit proposé par le constructeur PSA avec des produits best-seller tels que C3, C3 AIRCROSS et bientôt C5 AIRCROSS. La marque DS suit également la même tendance de développement sur le marché premium avec une performance sur 2018 qui progresse de 20 % en 2018 avec l’arrivée des DS nouvelles générations comme la DS7 CROSSBACK. Nos engagements sont les suivants : une équipe de vente qualifiée, une exposition de nos véhicules business, une gamme adaptée d’accessoires et de transformation, une offre complète en financement et services. Récemment, le groupe PSA a remporté le titre très convoité de l'International Van Of The Year 2019 grâce au nouveau Citroën Van. Une aubaine pour vous qui aviez déjà remporté ce prix en 1997. Et avec une part de marché supérieure à 20 % en 2017, le groupe PSA est le leader en Europe des ventes utilitaires, tous segments confondus. Mais quelle donnée pour la Guadeloupe ? Le Groupe PSA est leader depuis plusieurs années en Guadeloupe sur les ventes de véhicules utilitaires. Nous sommes à plus de 25 % de PdM sur les utilitaires en 2018 au-delà donc des performances du groupe PSA en métropole. Nos produits sur ce canal sont régulièrement primés et ce dernier titre de « Fourgon de l’année » que nous mettrons en avant sur toute l’année 2019 vient récompenser le savoir-faire des équipes du constructeur relayé en local par nous en tant que distributeur des marques Peugeot & Citroën en Guadeloupe. Si votre gamme utilitaire fait le fleuron du secteur de l’automobile pro, qu’en est-il de la gamme business chez Citroën ? La cellule dédiée aux entreprises sur la marque Citroën en Guadeloupe est composée de trois commerciaux qui sont formés et habilités à traiter les demandes spécifiques de la clientèle professionnelle. Nos engagements sont les suivants : une équipe de vente qualifiée, une exposition de nos véhicules business, une gamme adaptée d’accessoires et de transformations, une offre complète en financement et services. Tout cela est couplé pour ce qui est de l’après-vente avec un numéro d’appel et des réceptionnaires dédiés, un rendez-vous garanti dans les 72 heures, une proposition systématique d’une solution de mobilité. Faire confiance à l’humain pour se développer est un élément clé de réussite. L’accompagner via la formation et inculquer en parallèle la culture d’entreprise permettront de distiller un discours fédérateur générateur de performances. Et du côté de DS Automobile, quelles sont les offres proposées aux clients professionnels ? Sur DS, nous nous appuyons sur les engagements cités précédemment pour la marque Citroën. Cette offre est complétée pour DS du service DS ONLY YOU (assistance dédiée, DS CLUB PRIVILEGE, Service de valet et conciergerie…). Cela nous permet d’accompagner notre clientèle selon un standard très exigeant imposé par le constructeur. L’interlocuteur unique sur la marque DS permet de centraliser les demandes clients et leur suivi. Nous ne pouvons vous laisser sans vous demander un conseil pour un entrepreneur qui souhaiterait développer sa stratégie commerciale… Faire confiance à l’humain pour se développer est un élément clé de réussite. L’accompagner par la formation et inculquer en parallèle la culture d’entreprise permettront de distiller un discours fédérateur générateur de performances. «  L’humain au cœur du développement économique pour performer ensuite en qualité de service.  »

Réforme constitutionnelle et désir de Guadeloupe

Réforme constitutionnelle et désir de Guadeloupe

Par Raphaël Lapin Photo : Muhammandtaha Ibrahim Luc Marx décrit ce qu’il observe dans la région géographique qu’il a la charge d’administrer au nom de l’État, un « désir d’Alsace ». Ce désir qui est aux prémices de l’évolution institutionnelle des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin vers une seule et unique collectivité européenne d’Alsace annoncée récemment. C’est par ailleurs, au désir de Corse que le Député du territoire éponyme ait appelé le Gouvernement le 8 novembre dans l’hémicycle en demandant quand viendra le statut particulier pour celle que l’on nomme l’île de beauté. Un désir bien compris, tant nous éprouvons, un désir similaire de Guadeloupe qui appelle à la révision profonde des institutions et du statut de notre pays. À l’orée de la discussion par le parlement du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, nous avons jugé bon de mettre à l’épreuve de notre désir de Guadeloupe, les évolutions contenues dans ce texte qui est l’élément majeur du paquet constitutionnel qui comporte également un projet de loi organique et un autre projet de loi simple pour lequel le calendrier de discussion n’est pas encore fixé. (…) le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe. Les réformes que le projet de texte constitutionnel prévoit s’organisent d’une part, autour de la rationalisation attendue des institutions de la Ve République et d’autre part, autour de la simplification de la procédure parlementaire et du renforcement du pouvoir de contrôle du parlement. Le projet de loi constitutionnelle prévoit de réformer le rapport entre le pouvoir central et les territoires. L’exposé des motifs du projet de loi évoque en effet des évolutions de la pratique des institutions depuis une décennie qui imposent de reconsidérer certains modes de fonctionnement des institutions notamment en actualisant les mécanismes de la Ve République. Cette rationalisation passe également par un changement du lien qui unit l’État central aux territoires. © Filip Kominik Ainsi, l’article 15 du projet de loi modifierait l’article 72 de la Constitution en deux points. Il s’agit d’abord d’introduire le fameux droit à la différenciation qui était une promesse de campagne du candidat Macron à l’élection présidentielle. Ce droit permet aux collectivités d’exercer certaines compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie. Ainsi, une commune ou une région pourra intervenir dans un domaine où les communes ou autres régions ne le pourraient pas normalement. Cette possibilité pourra être ouverte par la loi dans des conditions définies par la loi organique. Ensuite, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront déroger, lorsque la loi ou le règlement l’aura prévu aux lois et règlements qui régissent leurs compétences. Cette dernière possibilité pourra être coordonnée avec le droit à l’expérimentation qui est d’ores et déjà prévu par l’article 72 de la Constitution. En définitive, une fois adopté, le texte nouveau «  devrait permettre d'expérimenter sans généraliser, voire de déroger sans expérimenter  »  (1) . Ces dispositions devraient s’appliquer de plein droit aux collectivités dites d’outremer et donc singulièrement à la Guadeloupe. Or, de ce point de vue, il n’est rien de nouveau qui permette d’étancher le désir d’une transformation profonde des structures politiques de la Guadeloupe. En effet, de telles dispositions existent d’ores et déjà pour l’ensemble des outre-mer. Le Conseil d’État rappelle par ailleurs dans un avis du 7 décembre 2017 que les expérimentations et les dérogations sont aussi possibles pour certaines collectivités à statut particulier (Paris, Lyon, la Corse…), tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont aucun, ne ressemblent à un autre, métropoles comprises, et la région Île-de-France (2) . En cela, le « droit à la différenciation » évoqué ne brise aucun tabou ni ne renverse aucun totem, qu'ils soient constitutionnels ou administratifs  (3) . Au mieux, cela revient à attester de l’usage des territoires d’outremer comme des laboratoires juridiques et institutionnels de la République. Ainsi, une technique juridique éprouvée dans les outre-mer peut être étendue au gré des actes de décentralisation d’abord aux collectivités dites à statut particulier puis à l’ensemble des collectivités territoriales de France. © Xavier Coiffic Quoi qu’il en soit, il est heureux que la République se réforme dans un sens qui laisse plus de liberté d’action aux territoires afin que les politiques publiques puissent être menées en considération des spécificités de chacun d’eux. Cela atteste d’un mouvement progressif de montée en puissance et de responsabilisation des collectivités locales qui ira certainement en s’amplifiant. Une amplification à laquelle il serait bon que la Guadeloupe se prépare. Les élus corses se disent prêts pour leur part et demandent à aller plus loin que l’actuel article 16 du projet de loi qui a justement pour objet de reconnaître la singularité de la Corse dans la République française en créant un article 72-5 dans la Constitution qui prévoit que «  la Corse est une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72  ». L’article prévoit que les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités de l’île. Cette disposition n’est pas sans rappeler les dispositions de l’article 73 de la Constitution qui prévoit que dans les cinq départements et régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit, mais qu’ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités. (…) considérant que pour l’heure aucune consultation populaire n’a permis d’acter la volonté du peuple guadeloupéen de faire évoluer son statut, gageons que la réforme va dans le bon sens. Comme pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, ou Mayotte, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité dans les domaines qui relèvent de sa compétence ou encore si elle y a été habilitée. Rappelons à cet égard que l’amendement Viraroupllé exclut La Réunion de cette possibilité. S’agissant justement des outre-mer, l’article 17 du projet de loi constitutionnel prévoit de modifier les deuxième et troisième alinéas de l’article 73 de la Constitution afin de simplifier les conditions dans lesquelles les collectivités régies par cet article peuvent fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. Cette possibilité continue toutefois d’exclure La Réunion dans la mesure où l’alinéa 5 de cet article, dans sa rédaction actuelle, écarte les collectivités régionale et départementale de l’île de la capacité d’habilitation dans les domaines relevant de la compétence du pouvoir législatif ou réglementaire. La simplification réside principalement dans l’allègement de la procédure d’habilitation qui consistera désormais en un « simple » décret en conseil des ministres, pris après avis du Conseil d’État. L’idée est de faciliter l’obtention de ces habilitations qui permettent aux collectivités dites majeures d’intervenir dans le domaine de la loi ou du règlement. Jusqu’alors, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’opposait à ce que le pouvoir réglementaire dévolu au Gouvernement puisse directement habiliter une collectivité d’outre-mer à adapter les règles (4) . Un rapport parlementaire adopté le 21 juin 2018 par la Délégation aux outremer, si elle devait être traduite par un amendement, devrait permettre d’assouplir le régime institutionnel des collectivités réunionnaises et les rendre également éligibles à la réforme voulue par le pouvoir constituant. Depuis la loi constitutionnelle de 2003 qui a créé cette possibilité, le Conseil régional de Guadeloupe n’y a eu recours qu’à peine quatre fois dont une qui consistait en une demande de renouvellement de l’habilitation. On notera la demande d’habilitation «  aux fins de fixer les règles spécifiques à la Guadeloupe en matière de maîtrise de la demande d'énergie, de développement des énergies renouvelables et d'adopter une réglementation thermique adaptée aux constructions réalisées dans la région  » (5) . Ce faible nombre est particulièrement regrettable considérant l’extension importante de l’application intervenue à la lumière de la décision du Conseil d’État du 30 décembre 2015 qui prévoit que le pouvoir d’habilitation n’est pas qu’un pouvoir d’adaptation, mais il est également un pouvoir de création de règles nouvelles. Il traduit ce que nous pensons être la principale critique du système des habilitations. C’est qu’il repose sur une approche conduisant les élus locaux à demander au Gouvernement de saisir le Parlement d’un texte visant à l’habilitation d’une loi nationale inadaptée. Outre la lourdeur du procédé, son schéma de mise en œuvre n’aboutit pas à une responsabilisation directe de celui qu’on habilite à agir. Cependant, considérant que pour l’heure aucune consultation populaire n’a permis d’acter la volonté du peuple guadeloupéen de faire évoluer son statut, gageons que la réforme va dans le bon sens. Ce devrait être en effet un progrès dans la mesure où l’objectif de cette simplification est d’encourager la prise de responsabilité par les élus locaux. © Christopher Luanou Cependant, le texte ne permet pas de résorber l’autre grande critique encourue par l’habilitation législative. C’est la question des moyens d’exécution du texte voté par l’assemblée locale d’une part ; le risque étant en effet que l’administration compétente pour intervenir en la matière demeure une administration d’État et ne réponde donc pas des exécutifs locaux. D’autre part, c’est la question du contrôle des dispositions adoptées. Une difficulté que découvrira la collectivité corse tout comme d’ailleurs les collectivités hexagonales qui seront dotées d’un pouvoir dit de dérogation en cas d’adoption de l’article 15 du projet de loi constitutionnelle. Cela devrait avoir pour effet de mettre en relief cette difficulté et conduire à un nouvel acte de décentralisation visant à conférer aux collectivités locales les moyens d’exécuter leurs décisions. Une hypothèse évoquée par certains publicistes qui expliquent que le texte : ne conduit pas à une nouvelle lecture du « pouvoir réglementaire » dont disposent les collectivités territoriales (Const., art. 72, al. 3) en vue de leur permettre d'appliquer elles-mêmes la loi ou le règlement sur leur territoire, a fortiori régional, et pas plus à nouvelle lecture du « principe de subsidiarité » que l'on peut déduire de l'article 72, alinéa 2. (…) le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe. En tout état de cause, celle-ci plaide en faveur d’une meilleure préparation des Guadeloupéens à assumer plus de compétences (6) . D’ailleurs, il faut remarquer que dans sa méthode d’une réforme institutionnelle a minima, le projet de loi ne modifie pas non plus l'article 72, alinéa 5 selon lequel « aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Or, ce serait un excellent moyen de faire de la différenciation en Guadeloupe. Ainsi, on pourrait faire différer les compétences entre catégories de collectivités territoriales et non pas à l'intérieur d'une catégorie, même composée d'une seule unité. « En d'autres termes, la région devra continuer à adopter des schémas dont la mise en œuvre dépend largement des autres collectivités, tout comme les groupements ne se substitueront aux communes membres que dans un nombre limité de cas. Ainsi, le mille-feuille territorial va demeurer et avec lui une juxtaposition qui conduit à tous les “bricolages” institutionnels et financiers » (7) . De ce point de vue, la réforme institutionnelle qu’introduirait la loi constitutionnelle nouvelle ne permettrait pas de réponse, par exemple, à la difficulté fondamentale de l’inefficacité de la sphère communale dans la gestion des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe. © Sour Noha Cette rationalisation des institutions françaises trouve son prolongement dans le projet de réforme de la procédure parlementaire qui devrait rendre celle-ci à la fois plus efficace et plus simple. Ce changement serait susceptible d’intéresser nos territoires dits ultramarins. Ainsi, l’article 4 du texte prévoit le recours à une procédure simplifiée autorisant la discussion d’un texte qui ne se déroulerait qu’en commission en présence du ministre. Cela signifierait que le texte n’aurait pas à passer en séance publique à l’Assemblée, mais qu’il pourrait être simplement examiné en commission. Or, c’est bien souvent là que le gros du travail parlementaire s’exerce. Dans la pratique parlementaire, une telle procédure pourrait être mobilisée pour les textes dont l’objet serait simplement d’adapter le droit aux outremer ou encore pour les textes spécifiques aux outre-mer tels que ceux qui concernent la ratification d’une ordonnance relative à une COM relevant de l’article 74 de la Constitution par exemple. Cela permettrait d’assurer une plus grande célérité dans l’adaptation des règles de droit aux territoires d’outre-mer. Certes, cette solution est loin d’être optimale, car elle oppose l’impératif de démocratie à l’exigence d’efficacité de la fabrique de la loi. De plus, elle ne permet pas de rapprocher le centre de décisions du cœur battant de la Guadeloupe afin que celle-ci soit plus immédiatement adaptée à la réalité du terrain. Au total, on l’aura compris, le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe.
1. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233.
2. CE, Avis du 7 décembre 2017, n° 393651, AJCT 2018. 207, obs. G. Le Chatelier.
3. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233.
4. Voir décision du Conseil constitutionnel n° 2007-547 du 15 février 2007 et décision 2011-636 DC du 21 juillet 2011.
5. E. JOS, Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, nov. 2012.
6. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233.
7. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233.

La publicité comparative, la guerre des pubs

La publicité comparative, la guerre des pubs

Par Betty Luther Illustrations : Mathieu Delord Le saviez-vous ? C’est Coca-Cola qui est à l’origine de la tenue du père Noël. C’est en effet en 1931 que l’héritier de Saint-Nicolas prit finalement une toute nouvelle allure dans une image publicitaire, diffusée par la compagnie Coca-Cola. Grâce au talent artistique du célèbre illustrateur new-yorkais Haddon Sundblom, le père Noël avait désormais une stature humaine, le rendant ainsi plus convaincant et nettement plus accessible avec un ventre rebondissant, une figurine sympathique et un air jovial. Aussi, la longue robe rouge fut remplacée par un pantalon et une tunique. La firme souhaitait, ainsi, inciter les consommateurs à boire du coca-cola en plein hiver. La publicité comparative est souvent l’arme du challenger, du petit contre le gros, de David contre Goliath, de celui qui a intérêt à faire du bruit pour exister et se faire entendre. Pour rappel durant les années 30 : crise, new deal et luttes sociales, les boissons gazeuses étaient très saisonnières et l’hiver, par logique, la période la moins propice à la consommation de boissons gazeuses. Alors, pendant près de 35 ans, dans le but de changer la donne, Coca-Cola, diffusa ce portrait du père Noël dans la presse écrite et ensuite à la télévision partout dans le monde. Eh, oui, durant sa longue nuit de livraison, le père Noël doit bien avoir soif ? Fini le verre de lait et les cookies au-dessus de la cheminée, car quoi de mieux qu’un coca-cola pour se donner des forces ? Et en plus, il porte déjà les couleurs de la marque. L’idéal pour associer facilement deux icônes mondialement connues, me diriez-vous. Et c’est ainsi que le père Noël créé par Sundblom est devenu depuis plus de 70 ans la référence absolue du père Noël. C’est par ces idées de génie que les grandes marques se différencient des petites, en utilisant souvent la comparaison pour affirmer encore davantage leur grande puissance. La publicité comparative quèsaco ? Très en vogue dans les pays anglo-saxons, la publicité comparative repose sur une technique publicitaire, très simple, qui vise à promouvoir un produit qui, par le biais d’un message, compare le service rendu ou le bien fait autour de ce produit comparé à celui d’une compagnie concurrente. Ces comparaisons s’effectuent sur des caractéristiques spécifiques de la marque, sur des positions de marché, sur leur valeur, leur rendement, sur des points de vente, ou alors leur disponibilité. On a tous encore en tête ces formidables publicités entre Coca-Cola et Pepsi, ou encore entre Apple et Microsoft, qui constituent de véritables combats d’anthologie, ironiques et décomplexés. Comme cette publicité de 2002, signée de l’agence californienne Crispin Poter Bogusky, montrant le clown Ronald de McDonald’s se restaurant en cachette chez… Burger King. Pepsi, toujours irrévérencieuse, n’est pas en reste : «  We love Coca-Cola  », confesse en 2010, le soda, par la voix de son agence Chiat Day… un 1er avril ! © Burger King La publicité comparative est souvent l’arme du challenger, du petit contre le gros, de David contre Goliath, de celui qui a intérêt à faire du bruit pour exister et se faire entendre. Elle permet ainsi de déstabiliser les certitudes du leader, et joue comme un stimulus. C’est une façon de faire parler de soi, défier un leader, bénéficier de la notoriété d’un concurrent, ou tout simplement de capter la sympathie et l’adhésion du consommateur avec ou sans humour. Ce concept permet en outre d’argumenter la quantité d’informations de manière objective à destination du consommateur. Et c’est dans le secteur de l’automobile et de la politique que les premiers messages de la sorte apparaissent aux États-Unis. Ainsi, dans les années 30, on pouvait voir une Chrysler placée à côté de deux autres voitures où un agent commercial proposait de les essayer toutes les trois avant l’achat. Il faut savoir que cette technique a été plus ou moins mise de côté jusqu’en 1970, en raison du refus de CBS et ABC, deux des trois plus grandes chaînes de radiotélévision américaine, de publier de tels messages, craignant une mauvaise réaction des marques attaquées. C’est finalement le Bureau Fédéral de la Communication (F.T.C) qui dégèlera la situation en incitant l’ensemble des annonceurs à utiliser cette forme d’expression, et les supports à l’accepter plus facilement. Bien qu’implantée aux États-Unis, en effet, depuis les années 70, la France reste encore très timide en matière de publicité comparative. Analysons le concept de cette méthode, ses conséquences, ainsi que les raisons qui freinent la France à utiliser cet outil. Pespi qui s'en prend à Coca-Cola.© Pespi Avant / après : ou comment Coca-Cola réagi à la publicité Pepsi. © Coca-Cola This is America, la guerre des colas . Coca-Cola et Pepsi-Cola ont été parmi les premières marques à se livrer un duel sans merci. Il est d’ailleurs intéressant de constater que Coca-Cola est née en 1885 et n’a jamais changé son logo, alors que Pepsi, qui est née en 1898, a diffusé 11 designs différents et reste toujours derrière la firme basée à Atlanta pour ce qui est du chiffre d’affaires. Coca-Cola reste un symbole aux USA, il est aux boissons ce que Big Mag est à McDonald’s, une référence, une quasi-religion. Pepsi joue le décalage et frappe Coca-Cola en ses points sensibles. «  Tout le monde boit Coca ? Ne faites pas comme tout le monde !  » conseille Pepsi aux jeunes rebelles des sixties. Objectif avoué : faire passer l’autre pour un croulant. «  Vous êtes attaché à l’authenticité ?  » rétorque le leader, au début des seventies. «  Buvez Coca-Cola, it’s the real thing  ». Sous-entendu : tout le reste n’est qu’imitation. Mais, au tournant des eighties, Pepsi appelle à la rescousse des stars telles que Michael Jackson, Lionel Richie … «  The choice of a new generation  » relance la guerre des âges. La position de challenger permet toutes les insolences face à une marque notable, conservatrice par nature. Un spot de 1990 montre un club de troisième âge métamorphosé en colonie de vacances sous l’effet du Pepsi. Un autre transforme en un crooner alangui le rappeur MC Hammer, qui a avalé par erreur un peu de Coca-Cola, mais une gorgée de Pepsi va lui redonner tout son tonus ! McCann-Erickson, l’agence de Coca-Cola à l’époque, mitonne en secret un nouveau slogan, «  new coke  », «  le nouveau coca  », qui est un des plus beau coup marketing du siècle. En 1985, l’entreprise rouge décide de changer le goût de son produit phare, le «  Classic  » et le remplace par le «  New Coke  ». Annoncé en masse par un grand matraquage publicitaire pour l’époque, le «  New Coke  » arrive et finit par être un échec total. Certains sont même allés jusqu’au siège d’Atlanta pour revendiquer le retour du «  Classic  », d’autres allaient encore envoyer des courriers pour proclamer que la disparition du «  Classic  » correspondait à la mort d’un proche. Face à tant de réticences, Coca-Cola n’eut d’autre choix que de faire marche arrière, et ce jour-là, la chaîne nationale ABC interrompit ses programmes pour annoncer la nouvelle. Celle-ci fut si bonne que les ventes de Coca-Cola s’envolèrent lorsque le «  New Coke  » sortit des étages. Les consommateurs avaient tellement peur de perdre à nouveau le «  Classic  » qu’ils achetèrent en masse, et c’est ainsi que Pepsi perdit la guerre des colas et fut obligée de se diversifier. Ce n’est pas un hasard si une expression ultime telle que «  Guerre  » commerciale est utilisée, dans la mesure où le but des grandes filiales américaines est de rester numéro un en tuant le concurrent. Dans le domaine des nouvelles technologies, la lutte entre Mac et Windows ne manque pas non plus de piquant, avec un net avantage pour Apple ! Pour continuer à rabaisser son éternel rival, l’entreprise basée à Cupertino en Californie a produit un spot mettant en scène deux personnages (Mac et PC), l’un jeune et décontracté, censé représenter l’enseigne à la pomme, et l’autre coincé et maladroit pour incarner la firme concurrente. On y apprend que Mac sait prendre de belles photos, peut réaliser facilement des films, ne connaît pas les virus, est beaucoup plus léger à manier que son concurrent… Bref, qu’il sait tout faire mieux que PC ! Dernièrement, McDonald’s et Dukin’ Donuts se sont inquiétés de la montée en puissance de la chaîne Starbucks. La marque du Big Mac a inventé le slogan suivant : «  four bucks is dumb  » (Quatre balles, c’est stupide), qui est à peu près le prix d’un expresso dans les cafés de la chaîne ciblant les consommateurs de café. Le prix a été jugé ridiculement onéreux par McDonald’s, et c’est précisément l’angle d’attaque que l’enseigne a choisi, profitant aussi à sa manière de la crise pour vanter ses produits, plus abordables. L’élément le plus agressif de cette campagne comparative implicite n’est d’ailleurs ni la cible, ni le slogan, mais le lieu puisque ce genre de panneaux publicitaires a fleuri en plein Seattle, le centre social de Starbucks ! Leader sur le marché du beignet, Dunkin’ Donuts est allé encore plus loin en utilisant un site Internet et un message affirmant qu’une série de tests aveugles réalisée auprès des consommateurs leur permettait d’affirmer que leur café était bien meilleur que celui de l’enseigne concurrente. Il y a tout à gagner avec le web : prolongement d’un canal complémentaire, faible coût, explication plus fournie, et temps illimité de communication. (…) la publicité comparative reste ignorée de la plupart des annonceurs français. Pourquoi ? Parce qu’elle a longtemps été interdite en France et qu’elle est encore considérée comme fortement déloyale. La publicité comparative à l’américaine et les joutes verbales entre Community Managers incarnent parfaitement cet esprit de camaraderie que les marques veulent se donner. Comme si le monde des marques n’était qu’une cour de récré sortie de Logorama. Mais tout rêve semble avoir ses limites, car si aux États-Unis, les marques s’en donnent à cœur joie, en France où elle constitue encore une démarche récente, la loi sur la concurrence est très stricte en matière de publicité comparative. © Mathieu Delord Le choix français. Autorisée, en France, depuis le 18 janvier 1992, la publicité comparative doit son apparition à une jurisprudence de la Cour de cassation rendue le 22 juillet 1986, elle restait, alors, fortement encadrée, l’annonceur devant veiller à garder des principes de loyauté, de véracité et d’objectivité. Mais depuis l’ordonnance du 23 août 2001, plusieurs amendements ont été portés visant à rendre son utilisation plus souple. Il faut savoir que la publicité comparative reste ignorée de la plupart des annonceurs français. Pourquoi ? Parce qu’elle a longtemps été interdite en France et qu’elle est encore considérée comme fortement déloyale et à vrai dire, elle est encore perçue comme une « agression ». Elle est clairement mal vue. Ainsi, le consommateur français, plutôt que d’y voir son avantage, y voit là un procédé mesquin, visant à dénigrer la concurrence. L’effet désiré peut donc s’avérer inverse et l’on comprend la « frilosité » française en matière de publicité comparative. À ce sujet, la publicité Vico diffusée le 1er février 2003 par TF1 et M6 illustre cette difficulté de réception. Cette publicité citait en effet la marque concurrente Mousseline en comparant la composition des deux produits. C’est ainsi que beaucoup de téléspectateurs avaient alerté le CSA, car ils ignoraient la légalité de ce type de publicité en France. Selon l’article  L121-8 du Code de la consommation , une publicité comparative est licite si la comparaison porte « objectivement (sur) une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. » Il semble que la moralité prenne en publicité comparative une plus grande place que dans la publicité traditionnelle : on pourrait entendre derrière ces obligations d’objectivité la morale chrétienne : tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain. En France, on privilégie la publicité comparative implicite. Question éthique et morale, mais également juridique. Parce qu’elle est très encadrée, la publicité comparative en France est très difficile à appliquer, c’est pour cela que les marques préfèrent se comparer à leurs concurrents de manière beaucoup plus discrète, mais parfois très éloquente. Oui bien sûr, le produit concurrent n’est pas explicitement cité, mais si l’on regarde bien, on comprend de suite de quoi il s’agit. Par exemple les marques de lessive : celles-ci prouvent leur efficacité par des démonstrations. D’un côté la marque en question et de l’autre la marque X censée être anonyme, mais qui en réalité reprend l’emballage du concurrent visé. Tout d’abord, qu’appelons-nous « publicité comparative implicite » : c’est une comparaison qui respecte les règles éthiques. La publicité comparative implicite est faite de sous-entendus et d’indirecte. Elle ne cite jamais le nom de ses concurrents, mais elle fait tout de même comprendre de manière élégante et déguisée au consommateur sa comparaison. On constate que les quelques spots diffusés en France sont principalement basés sur des comparaisons de prix. Il s’agit surtout d’une utilisation des chiffres. On dit par exemple qu’un produit A est plus cher au magasin 1 qu’au magasin 2. On va même jusqu’à préciser cette différence par des pourcentages. Cela peut être assez lourd, et surtout peu créatif. Depuis les premiers spots à aujourd’hui, on ne connaît presque qu’exclusivement ce genre de publicité comparative. © Carrefour Parmi les premiers, on se souvient de Télé 2 moins cher que France Télécom. Aujourd’hui, Leclerc a la même stratégie en annonçant que ses produits sont en moyenne moins chers que chez Auchan ou Système U. Il faut le dire, les entreprises ne supportent pas d’être victimes de la comparaison. Cela peut sembler une évidence, mais là où dans d’autres pays elles se contentent de répondre par d’autres publicités comparatives (Coca/Pepsi, Audi/BMW…), les entreprises françaises semblent avoir le recours en justice facile, et les procès à ce sujet ne manquent pas : on compte d’abord un certain nombre de procès antérieurs aux années 2000. Plusieurs portent simplement sur la non-communication préalable à l’entreprise visée (fait obligatoire avant 2007), d’autres sur une simple publicité mensongère, mais les cas les plus intéressants sont de loin ceux portant sur l’objectivité. Quels critères sont objectifs ? Le critère du prix a depuis les débuts de la publicité comparative en 1986, été entériné comme objectif. Il va de soi que celui du goût, de la saveur, ne l’est pas. Mais qu’en est-il par exemple de celui des ventes ? C’est la question que soulève le procès qui opposa Volkswagen à Renault au sujet du slogan : «  Renault vend deux fois plus de voitures en Allemagne que Volkswagen en France  ». Curieusement, le slogan sera jugé subjectif, ne se base-t-il pourtant pas sur un fait vérifiable ? Évidemment, cette comparaison ne veut pas dire grand-chose : la France et l’Allemagne n’ont pas la même population, n’ont pas les mêmes habitudes en matière de voiture, la publicité de Renault peut donc induire le consommateur en erreur. On observe pourtant dans la publicité traditionnelle des slogans bien plus sujets à la tromperie qui pourtant ne soulèvent aucune critique ou procès. Prenons pour exemple le subtil slogan d’Axe : « Plus t’en mets, plus t’en as ! », peut-on vraiment affirmer qu’un déodorant influe sur la virilité ? De l’autre côté ni le tribunal de grande instance ni la cour n’ont jugé inappropriée la représentation des audiences de NRJ et d’Europe 1 sous la forme de canette sous-titrée «  NRJ, nouvelle contenance ; 30 % d’audiences de plus qu’Europe 1  » dans une publicité de 1993. Il s’agit aussi ici de critères quantitatifs de public, de ventes (même si l'on préfère parler d’audience), et des différences entre Europe 1 et NRJ peuvent aussi bien rendre ce slogan trompeur (Visent-ils le même public ? Couvrent-ils le même territoire ?). On voit donc que l’idée d’objectivité, de pertinence pose problème dans la publicité comparative, alors que personne ne s’en embarrasse autant pour les autres types de publicité. Il semble que la moralité prenne en publicité comparative une plus grande place que dans la publicité « traditionnelle » : on pourrait entendre derrière ces obligations d’objectivité la morale chrétienne : tu ne porteras point de faux témoignage contre ton prochain. À la suite des directives européennes entrées en vigueur en 2002 et 2006, la notion d’objectivité tend à disparaître. Les procès au sujet de publicité comparative ne sont pas pour autant moins nombreux : Renault contre Feu Vert , Carrefour contre Leader Price… On retrouve la notion de publicité mensongère, mais une nouvelle notion apparaît : celle de dénigrement. C’est en ce sens que Nespresso assigne ChacunSonCafé en justice, ainsi que pour publicité comparative illicite. Si en février 2010, ChacunSonCafé est relaxé pour la publicité comparative illicite, le site est condamné à 10 000 euros de dommages et intérêts pour dénigrement. Là encore, il est légitime de se poser la question : le simple fait de s’affirmer meilleur qu’un autre ne constitue-t-il pas un dénigrement ? Qu’y a-t-il de mal à dénigrer pourvu que ce soit rigoureusement argumenté ? Il semble qu’une fois de plus, les entreprises en France se targuent de morale pour défendre leurs propres intérêts, jouant les victimes face à toute tentative de concurrence pour un peu agressive. La mise en vente de machines à café non interopérable ne témoigne-t-elle pourtant pas d’une attitude plus agressive encore ? Ce n’est pas tant la loi qui freine la création de publicité comparative, mais les entreprises elles-mêmes qui exploitent chaque point de cette loi pour se défendre de toute comparaison éventuelle. Cette tendance ne pousse évidemment pas les entreprises à réaliser des publicités comparatives elles-mêmes, redoutant les réactions et réponses de leurs concurrents. Pourtant, l’effectivité de la méthode n’est pas en cause : «  Nos enquêtes démontrent que les campagnes comparatives ont un pouvoir d’information, de conviction et qu’elles augmentent l’intention d’achat , selon Pierre Gomy, directeur marketing de l’institut d’études Millward Brown (WPP). Et après la crise de 2008, nous avons constaté que les pubs comparatives figuraient parmi les formats publicitaires les plus efficaces…  » En France, les marques prétendent que ce n’est pas seulement la loi qui bride les annonceurs, mais la mentalité des consommateurs qui dénigrent ce discours du « c’est moi le plus fort ». Autorégulation et frilosité. Dès 2009, le match a commencé entre les hypermarchés. Leclerc a pris l’initiative avec son comparateur de prix, mais Intermarché, Casino, Carrefour ont vite rebondi et rectifié leur positionnement prix. Leclerc continue d’innover en plaçant le consommateur comme un acteur au cœur des rayons avec le comparateur de prix sur son smartphone. Ce match aura été rapide et sans grands rebondissements aux yeux du consommateur. Alors qu’aux États-Unis, une à deux fois par an, les Américains prennent plaisir à voir Coca-Cola et Pepsi s’affronter avec humour. Ou même Burger King se déguiser en McDonald’s pour Halloween. Ainsi la publicité comparative peut-elle pallier le désamour des consommateurs pour la publicité ? Outre-Atlantique, au pays du libre-échange et de l’autodérision, cela semble fonctionner pour les annonceurs. En effet, la publicité comparative représente en France et en Europe moins de 3 % des volumes de campagne, contre 7 % aux États-Unis. La situation aux États-Unis est, en effet, tout autre. C’est là que la publicité comparative est née, il y a plus de 40 ans, fondée sur le principe de la liberté économique ultralibérale. Cette démarche commerciale est considérée comme légitime, en raison de son caractère informatif. Elles font souvent rire (cf. campagnes de pub Pepsi vs Coca-Cola), sont créatives ; et si « l’attaque » est faite avec subtilité et justesse, cela devient un bonus non négligeable pour la marque qui compare. Les Américains sont aujourd’hui plus que jamais friands de ce genre de spot. Aux États-Unis, on se préoccupe moins de la sensibilité de chacun et on s’occupe de faire vendre. Jean-Marie Dru, publicitaire français actuellement basé à New York, a observé que «  les créatifs Européens cherchent des idées, et quand elles sont stratégiques et astucieuses, il se trouve qu’elles font vendre. Leurs homologues américains sont plus directs. Ils cherchent ce qui va faire vendre  ». La publicité américaine n’est pas limitative et pratiquement tous les corps de métier sont autorisés à en faire. Il est courant de voir des hôpitaux, des médecins et même des politiciens passer des annonces diverses. Par exemple, il y a quelques années, Michael McIntee (Parti démocrate américain) avait fait circuler une publicité pour appeler à voter pour Chris Carney à la place de Don Sherwood. La publicité comparative aux États-Unis est donc bien ancrée dans les mœurs, appréciée et même demandée par les consommateurs. Le succès de la série des publicités Mac/PC en est la preuve. En France, les marques prétendent que ce n’est pas seulement la loi qui bride les annonceurs, mais la mentalité des consommateurs qui dénigrent ce discours du « c’est moi le plus fort ». Sur Internet, les forums consacrés à ce sujet regorgent de commentaires assassins vis-à-vis de la publicité comparative : «  C’est taper sous la ceinture  », «  Pourquoi s’abaisser à ce genre de pratique ?  », «  Se comparer de la sorte, c’est prouver que l’on a un complexe par rapport à son concurrent !  », ou encore «  Si c’est tout ce dont ils sont capables pour faire leur publicité, c’est qu’ils n’ont pas grand-chose à dire…  ». En résumé, voici ce que la publicité comparative représente à leurs yeux : un manque de fair-play, une pratique « basse et petite », c’est afficher un complexe d’infériorité, un manque de créativité… Ce n’est qu’un petit florilège des réactions suscitées par ces publicités. Alors que la volonté initiale du comparant était de faire valoir sa différence face à la concurrence pour le bien du consommateur, celui-ci acquiert une très mauvaise image auprès de celui qu’il voulait « charmer ». Au paroxysme de la mauvaise pioche, il y a la campagne de Feu Vert. En 2009, l’enseigne française lance une campagne de publicité télévisée comparative sur une sélection de pneus reprenant les chiffres d’une étude exclusive BVA. Les comparés sont : Point S, Speedy et Renault. Ce qui va poser problème alors à un certain nombre de Français, c’est le slogan de la publicité : «  Je ne dénonce pas, j’informe  ». Pour beaucoup, le choix des mots est très délicat et s’apparente même à une période sombre de notre histoire : la collaboration durant l’occupation de la France par les nazis. La réaction est effectivement violente et disproportionnée, mais c’est l’utilisation de verbes : « dénoncer » et « informer », en plus du ton assez arrogant prêté au chat Feu Vert, qui vont déplaire. Dès lors, on trouve sur la Toile un florilège d’accusations à ce sujet, traitant l’enseigne et le chat de « collabos » (il existe même un groupe sur Facebook intitulé : « le chat Feu Vert est un collabo ! »). Inutile de dire à quel point ces réactions sont extrêmes bien entendu, mais voici ce que provoque une campagne de publicité comparative en France. Le regard de l’autre est un aspect beaucoup plus important dans les pays anglo-saxons qu’en France, nos manières de communiquer sont totalement différentes. Cette attention aux regards extérieurs n’existe pas en France. Les marques tiennent à ce que l’on parle d’elles et pas de leurs concurrents dans leurs publicités. S’il y a comparaison avec une autre marque, la réclame est divisée en deux, ce qui laisse moins de temps pour présenter la marque commanditaire de la publicité. C’est donc afin d’optimiser leur espace d’expression que les marques françaises utilisent peu les méthodes de publicité comparative. Pour les marques ces éléments de langage ne sont pas valorisants et source de problèmes s’ils sont mal employés. Ils préfèrent exploiter leurs valeurs et leurs engagements plutôt que de s’attaquer directement aux concurrents. Une bonne excuse ou un réel frein à la créativité ? Smart a prouvé en 2015 qu’il y avait encore de quoi faire travailler l’imagination des publicitaires tout en respectant la loi, aussi stricte soit-elle. Bien que la publicité comparative soit autorisée, elle reste très peu utilisée en Europe. Plus qu’un manque de créativité, il s’agirait plutôt du souci de ne pas heurter les consommateurs. En effet, on constate que les publicitaires n’osent pas faire de comparaison avec les concurrents de peur que la publicité ait l’effet inverse, c’est-à-dire qu’une comparaison agressive aurait pour effet de « se faire mal voir » par le consommateur ; être agressive envers un concurrent ne revient pas à se mettre en avant. Éric Delannoy, directeur de l’agence Talents Only, a même déclaré en 2009 : «  Aujourd’hui, lancer une publicité comparative en France, c’est jouer à la roulette russe  ». De plus, les différences culturelles qui existent entre les États membres de l’UE sont telles qu’il est difficile de transposer ce genre de publicité d’un pays à l’autre. Le meilleur moyen de réaliser la carence de créativité française en matière de publicité comparative est encore de regarder à l’étranger. On a déjà vu dans l’influence de la réglementation à quel point les États-Unis, notamment, sont inventifs en la matière, mais on a vu aussi comment leurs publicités les plus marquantes ne sont pas transposables en France en raison de leur caractère gratuit et non argumenté. Il existe cependant des publicités inventives, ne s’appuyant pas sur l’argument du prix, mais sur d’autres critères de comparaison. On peut citer la publicité du Kindle comparé à l’iPad. Ici, le point de comparaison est la lisibilité au soleil des deux terminaux. La publicité n’est ni mensongère ni subjective, et se construit autour d’un critère parfaitement comparable. Elle va pourtant au-delà d’un bête tableau comparatif, mettant en scène un scénario, des personnages… Même chose pour la publicité comparative de Dell qui compare son ultra portable au MacBook Air d’Apple. Reprenant la publicité dans laquelle Apple mettait en avant la petite taille de son MacBook, Dell prouve que sa Latitude E4200 est encore plus petite. Là non plus, rien de mensonger, seulement des faits et un clin d’œil très appuyé à la publicité d’Apple. Aucune de ces deux publicités n’enfreindrait en France le cadre légal, pourtant, on ne voit jamais sur les écrans français des publicités comparatives inventives, ingénieuses, comparables à celles-ci. Est-ce que les publicitaires français sont simplement plus mauvais ? C’est peu probable, c’est surtout dans la culture qu’il faut chercher les raisons de ce décalage. Légalisée tardivement, la publicité comparative n’est pas dans les mœurs françaises. Elle n’est donc peut-être pas considérée comme rentable, efficace. On voit bien que si la loi restreint la créativité, c’est aussi une forte autorégulation et frilosité des entreprises et publicitaires qui empêchent cette technique de se développer en France. Ce sont ces décisions qui portent les filiales au sommet de la hiérarchie, actes dont les Français commencent à peine à en voir le bénéfice.

Leader pour servir et non pour être servi

Leader pour servir et non pour être servi

Par Ludivine Gustave dit Duflo Photo : Ashley Byrd À tous les courageux et courageuses qui ont accepté d’endosser leur casquette de leader, qui mettent à profit leur énergie et leur temps pour l’utilité commune… Quel leader souhaiteriez-vous être ? Quel réel leader êtes-vous pour les autres ? Comment assurer un bon leadership ? Il y aurait tellement à dire sur cette thématique, mais dans le cadre de cet article concentrons-nous sur quatre conseils qui portent sur les connaissances et compétences du leader. Avoir une juste connaissance de soi et de son environnement. Pour interagir de manière efficace, le point de départ est d’avoir une juste connaissance de soi, de comprendre qui l’on est, ce que l’on veut vraiment faire, pourquoi et pour qui l'on souhaite réellement le faire et plus globalement comprendre quelle est sa mission de vie. Mais attention, avoir une juste connaissance de soi, en plus de comprendre qui l’on est, passe aussi par le fait de comprendre l’environnement dans lequel nous vivons, les règles sur lesquelles nous nous appuyons et découvrir les différentes possibilités qui s’offrent à chacun. (…) pour un leadership réussi, vos pensées doivent être fermement attachées à vos objectifs et ne plus se contenter de rêvasser en gardant l’humain au cœur de vos motivations. Selon mon expérience, c’est à partir de ce moment que j’ai pu réellement poser mes intentions sociétales, business et personnelles. C’est de là que j’ai embrassé pleinement et consciemment ma mission et donc libéré mon leadership. Je suis passée du stade de manager au stade de leader. Autrement dit, je suis sortie de la zone d’exécution pour entrer dans la zone de réflexion personnelle. J’ai alors commencé à créer, influencer et impacter. Peu importe le stade où vous êtes, si vous souhaitez des résultats fructueux, des relations plus authentiques et tout simplement plus d’abondance dans votre vie, si ce n’est pas encore fait, je vous invite à prendre le temps d’observer votre environnement et répondre sérieusement à ces questions. La clarification de vos intentions activera votre leadership. © Laura Chouette Avoir un désir ardent d’impacter avec succès. La libération complète de votre leadership nécessite d’avoir une intention qui couvre une cause plus grande que vous-même et un désir ardent, sincère et profond de voir réellement se concrétiser votre intention. Allez-vous vous braquer aux premières pressions interpersonnelles/relationnelles ? Vous laisserez-vous intimider par de premiers résultats insatisfaisants ? Vous laisserez-vous submerger par vos sensations ? Et pour aller encore plus loin, êtes-vous prêts à mener votre mission dans la santé comme dans la maladie ? Ces questions vous semblent-elles excessives ? Si oui, je vous invite à réévaluer vos réelles priorités. Avoir une vie ancrée et pleine de sens est un luxe inestimable. Si ces questions ne vous semblent pas excessives, succès à vous sur le trajet que vous avez déjà entamé. © Alexa Williams Manifester un vif intérêt pour les personnes avec lesquelles vous interagissez. On est tous différents et tant mieux. En prendre conscience est facile, mais le vivre est plus difficile surtout quand vous êtes déterminés à voir se réaliser votre intention. Là réside tout le challenge. Gardez l’humain au centre du projet vous rappelant que des sentiments positifs contribueront à des résultats positifs. Ne sous-estimez pas la puissance des mots. Soyez le leader influent qui saura faire grandir son équipe ou les collaborateurs qui l’entoureront. À mon sens, le vrai leader est celui qui sert les autres et non celui qui s’attend à être servi, s’impose ou contrôle les autres. C’est celui que l’on a envie de suivre et non que l’on est contraint de suivre. C’est celui qui fait grandir et non qui écrase. C’est celui qui identifie des opportunités et les communique sans hésiter pour l’utilité commune. Je crois fermement que rien n’est impossible à celui qui croit en sa mission et que, si vous le souhaitez et que vos intentions sont profondes et justes, vous y arriverez. Développez de l’intérêt pour découvrir, comprendre et mieux impliquer les personnes qui gravitent autour de vous. Identifiez leurs objectifs personnels et professionnels, et autant que possible, confiez-leur des responsabilités selon leurs points forts et centres d’intérêt. De même, pour maintenir de l’engagement et assurer une vision commune, profitez de la puissance de l’intelligence collective : workshops bien cadrés, brainstormings adaptés, session de feed-back ciblée… Aussi n’hésitez pas à donner et recevoir du feed-back bienveillant. Osez la communication ouverte, voire si nécessaire, la confrontation positive surtout en cas de situation relationnelle compliquée, mais toujours dans un but gagnant-gagnant : individu/mission. Si nécessaire, faites-vous coacher pour augmenter votre niveau d’intelligence émotionnelle. © Michele Seghiri Visez l’excellence ! Informez et formez-vous en continu. Visez l’excellence ! Approchez-vous d’autres leaders locaux ou étrangers et partagez conseils et bonnes pratiques. Développez la routine qui vous permettra d’élever votre développement personnel, votre spiritualité et de rester toujours à la pointe des informations dans votre domaine. Pour cela, vous pourriez par exemple, identifier vos zones d’amélioration et cibler au moins un séminaire et/ou une formation par trimestre. Vous pouvez également vous accompagner d’un mentor. Bien qu’étant mentor, j’ai moi-même aussi mes propres mentors. Nous discutons de sujets personnels et business. Cela me permet d’avoir un échange objectif et tactique au moins une fois par mois avec un expert. Du coup, j’ajuste ma trajectoire et j’assure plus de cohérence dans mes actions et de fait, dans mon leadership.
(…) quand votre intention et votre objectif seront suffisamment forts, tout votre potentiel et les facultés de votre esprit entreront automatiquement en action. Alors, êtes-vous prêts à servir ? Sur lequel de ces quatre conseils allez-vous vous améliorer ? J’ai pu observer que beaucoup visent les titres de manager, responsable, leader, chef… sans évaluer les réels enjeux et responsabilités de leur rôle. C’est si puissant d’entendre et de constater que des vies ont été changées, des entreprises sauvées, des pays redressés parce que quelques courageux et courageuses ont accepté d’endosser leur casquette de leader et ont mis à profit leur énergie et leur temps… En conclusion, pour un leadership réussi, vos pensées doivent être fermement attachées à vos objectifs et ne plus se contenter de rêvasser en gardant l’humain au cœur de vos motivations. Retenez bien que quand votre intention et votre objectif seront suffisamment forts, tout votre potentiel et les facultés de votre esprit entreront automatiquement en action. Votre leadership sera alors réellement activé. Je crois fermement que rien n’est impossible à celui qui croit en sa mission et que, si vous le souhaitez et que vos intentions sont profondes et justes, vous y arriverez. À votre succès ! Certaines parties de cet article sont extraites du livre «  Passez de l’idée à l’action. La méthode 5-4-3-2-1 pour planifier et réussir tous vos projets  ».

Le contrat d'agent commercial

Le contrat d'agent commercial

Par Chrystelle Chulem - Avocat à la cour Photo : Raphael Nast L’agent commercial est un mandataire chargé de façon permanente et indépendante de négocier et éventuellement de conclure des contrats de vente, d’achat, de location ou de prestations de services au nom et pour le compte d’une autre entreprise. Ses relations avec son mandant sont régies par les articles L.134-1 et suivant du code de commerce. Qu’est-ce qui distingue principalement le contrat d’agent commercial du contrat de travail ? L’agent commercial est indépendant. Il organise son activité professionnelle librement. Il ne doit donc exister aucun lien de subordination entre lui et l’entreprise qui le mandate. Le droit du travail ne lui est pas applicable ni par conséquent les règles du licenciement. Quel est le mode de rémunération de l’agent commercial ? L’agent commercial est habituellement rémunéré au moyen de commissions. Il s’agit d’une rémunération qui varie en fonction du nombre ou de la valeur des affaires réalisées par l’agent commercial pour le compte de son mandant. Le taux de commission de l’agent commercial est en principe convenu d’un commun accord entre le mandant et l’agent commercial. L’agent commercial aura droit au paiement de sa commission dès que le mandant aura livré la marchandise ou fourni la prestation ou aurait dû l’avoir exécutée en vertu de l’accord conclu avec le client ou bien encore dès que le client a payé le prix convenu. Le fait que le mode habituel de rémunération de l’agent commercial soit la commission n’interdit pas pour autant une rémunération fixe en tout ou partie, voire des primes, forfaitaires ou variables, selon les résultats de l’agent commercial. Un contrat écrit est-il obligatoire ? Un contrat écrit n’est pas obligatoire. Le mandat d’agent commercial est un contrat consensuel, c’est-à-dire qu’il peut être purement verbal. Toutefois, un contrat écrit est fortement recommandé. Il permettra de définir avec précision l’étendue du mandat confié ainsi que les droits et obligations de chacune des parties. En outre, un écrit attestant du mandat confié sera nécessaire pour l’inscription au registre spécial des agents commerciaux. © Max Williams Que doit contenir un contrat écrit d’agent commercial ? Les points essentiels à aborder sont : l’indication claire de la nature juridique du contrat ; l’identification précise des parties et la mission de négociation au nom et pour le compte du mandant, et éventuellement la conclusion, des commandes des produits et services du mandant ; les produits confiés ; le territoire et la clientèle visités ; les modalités de la rémunération de l’agent ; la durée du contrat et les modalités de transmission du contrat par l’agent ou par le mandant. L’agent commercial peut-il céder son mandat à un tiers ? Le droit de l’agent à céder son contrat à un successeur est d’ordre public. Les clauses du contrat d’agent commercial visant à lui interdire la transmission de son contrat à un autre agent sont donc réputées non écrites. L’agent souhaitant céder son contrat devra tout de même obtenir préalablement l’agrément du mandant sur la personne du successeur. Cet agrément ne pourra lui être refusé que pour des raisons professionnelles sérieuses. © Jarek Ceborski Que se passe-t-il en cas de rupture du contrat ? En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l’agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi. Toute clause ou convention contraire est réputée non écrite. Les seules exceptions à ce droit à indemnité correspondent aux cas suivants : si la cessation du contrat d’agent commercial est provoquée par la faute grave de l’agent commercial, si la cessation du contrat d’agent commercial résulte de l’initiative de l’agent commercial à moins que cette cessation ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou dues à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent commercial, par suite desquelles la poursuite de son activité ne peut plus être raisonnablement exigée et si, selon un accord avec le mandant, l’agent commercial cède son contrat. L’agent commercial perd également le droit à réparation s’il n’a pas notifié au mandant, dans un délai d’un an à compter de la cessation du contrat, qu’il entend faire valoir ses droits. Sauf circonstances particulières, l’usage fixe à deux ans de commissions brutes le montant de l’indemnité due à l’agent commercial par le mandant.

Qu'est-ce que la période d'essai ?

Qu'est-ce que la période d'essai ?

Par Chrystelle Chulem - Avocat à la cour Photo : Severin Candrian L'ESSAI. La période d’essai est une période transitoire permettant à l’employeur d’évaluer les compétences du salarié dans son travail et au salarié de s’assurer que les missions qui lui sont confiées lui conviennent. Durée de la période d’essai ? La durée maximale de la période d'essai applicable au contrat à durée indéterminée dépend de la catégorie professionnelle à laquelle appartient le salarié. Elle est fixée par le Code du travail de la manière suivante : pour les ouvriers et employés, la durée maximale de la période d’essai initiale est de deux mois, la durée maximale de la période d’essai, renouvellement compris, est portée à quatre mois. Pour les agents de maîtrise et les techniciens, elle est de trois mois initialement et six avec renouvellement. Pour les cadres, elle est comprise entre quatre et huit mois. Les parties sont libres de prévoir dans le contrat de travail une période d'essai d'une durée plus courte. Ils peuvent même n'en prévoir aucune. Quand débute la période d’essai ? La période d'essai débute le jour où le salarié commence effectivement ses fonctions, et non le jour de signature de son contrat de travail. Que se passe-t-il en cas de suspension du contrat de travail pendant la période d’essai ? Il y a lieu de prolonger l'essai du temps du : congé annuel du salarié ou de la fermeture annuelle de l'entreprise survenue durant l’essai ; congé pour événement familial pris par le salarié durant l’essai ; congé sans solde pendant la période d'essai et du temps de l’absence pour maladie ou accident du travail. D’autres absences ne prolongent pas la période d'essai. C’est le cas lorsque le salarié est absent pour cause de jours ou stages de formation professionnelle organisés par l'entreprise, ou encore pour cause de jours fériés. © Nathan Dullao Qu’est-ce que le renouvellement de la période d’essai ? Renouveler la période d'essai consiste à décider que l'engagement du salarié ne devient pas encore définitif, à l’issue de la période d’essai initiale, mais qu'il ne le deviendra qu'à l'issue d'une nouvelle période, de durée égale ou inférieure à la période d'essai initiale si elle est concluante. Le renouvellement s'exécute en principe selon les mêmes conditions que celles de la période d'essai initiale. Cependant, il est possible que le renouvellement se réalise à des conditions différentes selon ce qui a été stipulé dans le contrat de travail. Lorsque l’employeur met fin à la période d'essai, celui-ci doit respecter un délai de prévenance de : 24 heures, si le salarié est présent depuis moins de huit jours dans l’entreprise ; 48 heures entre huit jours et un mois de présence, deux semaines, entre un mois et trois mois de présence, et d’un mois après trois mois de présence. Quelles sont les conséquences de la période qui arrive à son terme ? À la fin de la période d'essai, lorsque le salarié et son employeur sont mutuellement satisfaits, le contrat de travail se poursuit à titre définitif. Aucune formalité n'est nécessaire. À quelles modalités est soumise la rupture de la période d’essai ? Durant la période d'essai, l’application des règles relatives au licenciement est écartée. Les parties disposent d’un droit d’y mettre fin de manière discrétionnaire. Ainsi, lorsque l’employeur met fin à la période d’essai, sauf dispositions conventionnelles contraires, l’entretien préalable n'est pas nécessaire, aucune indemnité de licenciement ne doit être versée au salarié par l'employeur. La rupture de la période d'essai par l'employeur n'a pas à être motivée et la responsabilité de l'employeur ne peut être engagée que par le biais de l'abus de droit ou de la discrimination. L'employeur et le salarié qui souhaitent rompre la période d'essai sont tenus de respecter un délai de prévenance obligatoire. © Olga Senjantu Quand la rupture de la période d’essai doit-elle être notifiée ? L'employeur comme le salarié sont tenus de respecter un délai de prévenance qui augmente en fonction de la durée de présence du salarié dans l'entreprise. Il s'agit d'un délai minimum entre le moment où une des parties décide de rompre la période d'essai et le moment où celle-ci devient effective. Lorsque le salarié met fin à la période d'essai, celui-ci doit respecter un délai de prévenance de : 24 heures, s’il est présent depuis moins de huit jours dans l’entreprise et de 48 heures, dans les autres cas. Lorsque l’employeur met fin à la période d'essai, celui-ci doit respecter un délai de prévenance de : 24 heures, si le salarié est présent depuis moins de huit jours dans l’entreprise ; 48 heures entre huit jours et un mois de présence, deux semaines, entre un mois et trois mois de présence, et d’un mois après trois mois de présence. Attention, le délai de prévenance ne pourra avoir pour effet de dépasser la durée maximale de la période d'essai ! Si la relation de travail se poursuit au-delà du terme de la période d'essai, et que l’employeur rompt les relations contractuelles, le salarié est en droit de réclamer à son employeur des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. En cas de rupture de la période d’essai, le salarié peut-il prétendre à des indemnités de chômage ? La rupture du contrat de travail par l'employeur en cours de période d'essai est considérée comme involontaire par le régime d'assurance-chômage et peut donc ouvrir droit, si le salarié remplit les conditions d'affiliation requises, au versement de l'allocation chômage. En revanche si le salarié démissionne au cours de cette même période, cette rupture ne donnera lieu à une indemnisation que si elle est provoquée par un motif légitime.

Les fonds européens, sur fond de méconnaissance

Les fonds européens, sur fond de méconnaissance

Par Franck L. Photo : Lefteris Kallenis Un sondage Ifop paru en septembre 2017 pour Acteurs publics et EY révèle que plus de 50 % des Français ne savent pas en quoi consistent les fonds européens. Pourtant, dans leurs globalités, ils revêtent une dimension stratégique qui permet, en particulier, de soutenir significativement le secteur agricole français (10 milliards d’euros sont perçus chaque année par la France au titre de la politique agricole commune), le développement économique, social et environnemental des territoires via la politique de cohésion européenne (2 milliards d’euros sont perçus chaque année au titre des Fonds européens structurels et d’investissement). En France, pour la période 2014-2020, environ 27 milliards d’euros ont ainsi été perçus au titre des FESI (Fonds européens structurels et d’investissement : FEDER, FSE : 15,5 milliards d’euros, FEADER : 11,4 milliards d’euros et FEAMP : 588 millions d’euros). Et qu’il s’agisse de la PAC, des FESI ou des programmes sectoriels de la Commission européenne, les financements européens injectent chaque année près de 13,5 milliards d’euros dans l’économie française. À titre de comparaison, c’est un montant supérieur à celui du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) – la plus grande dépense fiscale de l’État –, dont le coût pour les finances publiques était estimé à 10 milliards d’euros en 2016. (…) la complexité des contraintes administratives et financières encadrant les financements européens peut avoir un effet désincitatif et pénalisant pour certains porteurs de projets, participant ainsi à la sous-utilisation de la politique de cohésion. Néanmoins, la France n’exploite pas pleinement le potentiel de ces fonds. Ils restent non seulement insuffisamment mobilisés, mais aussi très peu connus du grand public. À titre d’exemple, seuls 95 % des fonds de la politique de cohésion disponibles pour la France ont été dépensés : ce qui place notre pays en 8e position sur 28 sur la période 2007-2013, et laisse un reliquat de plus de 700 millions d’euros non utilisés. De facto, les fonds non mobilisés sont alors « perdus ». Cet état de fait ne peut être compris sans tenir compte du déficit d’information des citoyens de l’Union en matière de financements européens qui freine l’émergence de nouveaux projets, porteurs de solutions innovantes et adaptées aux besoins des territoires. Par ailleurs, des maladresses de gestion se traduisant notamment, pour les FESI, par la programmation des projets insuffisamment matures pour être mise en œuvre, contribuent à amplifier le « phénomène du non-recours ». Enfin, la complexité des contraintes administratives et financières encadrant les financements européens peut avoir un effet désincitatif et pénalisant pour certains porteurs de projets, participant ainsi à la sous-utilisation de la politique de cohésion. ©  Bradley Zorbas Aussi, la France accuse un retard particulier dans les programmes-cadres de recherche de la Commission européenne. De même, la participation française au programme  H2020 est en baisse régulière. Au cours de la programmation 2007-2013, la France a ainsi reçu 11,4 % des crédits européens contre 13,4 % entre 1998 et 2002, un niveau ne reflétant pas le potentiel relatif tricolore dans la recherche européenne. Pourtant, d’après le rapport de l’IGF et de l’IGAENR paru en 2016, les gains financiers potentiels que la France pourrait tirer d’une meilleure participation à H2020 sont significatifs. Ces derniers pourraient atteindre 600 millions d’euros par an si la participation française (11,4 %) se hissait à la hauteur de son potentiel relatif dans la recherche européenne, soit autour de 16 %. Cette situation résulte principalement d’un nombre insuffisant de candidatures, lié notamment aux lacunes de l’accompagnement des porteurs de projets en matière de financements européens, alors même que le taux de succès des projets déposés est le meilleur d’Europe. Cependant, à partir des retours d’expérience de plus de 100 structures bénéficiaires lors d’une étude EY, la présente souligne que l’impact positif des financements européens est réel et revêt de multiples facettes. Outre l’apport financier, les porteurs de projets saluent l’impact stratégique de ce soutien pour le développement de leur structure (accélérateur d’innovation, montée en compétences des collaborateurs, image de marque auprès des partenaires) ainsi que pour leurs territoires (compétitivité, internationalisation, inclusion sociale). Aussi, malgré les contraintes inhérentes à leur utilisation, 85 % des porteurs de projets interrogés se disent satisfaits, voire très satisfaits, d’avoir mené un projet financé par l’Union européenne. Manque d’informations, enchevêtrement des dispositifs ou encore complexité de la gestion au quotidien du projet… Quelle qu’en soit la raison, les dirigeants d’entreprises de TPE et de PME ont peu recours aux dispositifs offerts par la Commission européenne. Selon une enquête menée par Ifop pour la Datar (Délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale), les chefs d’entreprise manqueraient d’informations sur les aides européennes dont ils peuvent bénéficier. Un tiers d’entre eux affirme pourtant connaître les principaux fonds : le FEDER et le FSE. Et bien que 74 % des patrons de TPE/PME interrogés considèrent l’Union européenne comme une « bonne chose », 66 % souhaiteraient mieux connaître ces fonds, notamment leurs conditions d’attributions, les adresses utiles… L’enquête révèle également que seuls 7 % des chefs d’entreprise interrogés auraient déjà effectué une demande d’aide financière européenne. Parmi les autres, 31 % craignent la complexité des démarches pour y prétendre. Pourtant, dans 58 % des cas, les dossiers déposés par les entrepreneurs aboutissent (88 % de taux de réussite dans l’industrie, et 52 % dans les services). À noter que pour la plupart de ces chefs d’entreprise, les informations dont ils possèdent proviennent de la presse nationale et régionale (40 %), de la télévision (35 %) ou de la radio (19 %). ©  Devn Le maquis des aides européennes. Les deux principaux fonds structurels sont le FEDER (Fonds européen de développement régional), qui vise à corriger les déséquilibres économiques régionaux en Europe, et le FSE (Fonds social européen) crée en 1957 pour la promotion d’emploi. Ces fonds sont destinés aux entreprises, mais également à des organismes de formation, de collectivités locales, associations, etc. LE FEDER intervient dans le cadre de la politique de cohésion économique, sociale et territoriale. En France, pour la période 2014-2020, le FEDER représente 9,5 milliards d’euros (8,4 milliards d’euros consacrés à l’objectif « investissement pour la croissance et l’emploi », 1,1 milliard d’euros consacrés à l’objectif « coopération territoriale européenne »). Et s’applique aux thématiques suivantes : l’investissement dans la recherche, le développement technologique et l’innovation ; l’amélioration de la compétitivité des PME, la favorisation du développement des technologies de l’information et de la communication et enfin le soutien à la transition vers une économie à faibles émissions de carbones. Le FEDER finance également des actions soutenant l’adaptation au changement climatique, la prévention des risques, les transports, la formation, l’emploi ou encore l’inclusion sociale. Enfin, afin de pallier au mieux les problématiques spécifiques des territoires urbains, une partie de l’enveloppe du FEDER est mobilisée pour les quartiers prioritaires de la politique de la Ville. Demande de subvention : Région Guadeloupe. LE FSE. Pour 2014-2020, l’enveloppe s’élève à 6,027 milliards, dont 620 millions pour le cofinancement de l’IEJ (Initiative pour l’emploi des jeunes) et le programme national d’assistance technique, et 2,9 milliards pour soutenir l’emploi, la formation professionnelle, l’inclusion sociale et la lutte contre le décrochage scolaire. Les dépenses éligibles ont fait l’objet d’un décret fixant les règles nationales permettant de connaître les dépenses pouvant être financées. Demande de subvention : dossier disponible sur www.ma-demarche-fse.fr   LE PLAN JUNKER, pour relancer les investissements. Opérationnel depuis septembre 2015, le plan Junker vise à relancer l’industrie en Europe. Il a pour objectif de mobiliser, via le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), 315 milliards d’euros d’investissement de 2015 à 2018, afin de compenser le déficit d’investissement dont souffre l’Union européenne. Le FEIS n’a pas vocation à apporter des aides et des subventions, mais a pour principale fonction d’assumer certains des risques associés aux activités de la Banque européenne d’investissement (BEI) et du Fonds européen d’investissement. En d’autres termes, le FEIS permet à la BEI d’investir dans des projets présentant un profil de risque plus élevé que d’ordinaire. Quels sont les projets financés ? Le développement d’infrastructures, la recherche, le développement et l’innovation, l’investissement dans l’éducation et la formation, la santé, les technologies de l’information et de la communication, ou encore le développement de secteur de l’énergie. Plusieurs entreprises françaises ont bénéficié de ce fonds, dont le projet Éco Titanium, une usine de recyclage de titane de qualité aéronautique implantée en Auvergne, ou la coopérative des Maîtres laitiers du Corentin produisant du lait UHT en Normandie qui a pour volonté de s’exporter en Chine. L’un des derniers projets signés est le PEP-Therapy pour le traitement du cancer des ovaires et des seins. Il s’élève à 56 millions d’euros. Le programme Juncker a par ailleurs lancé le 1er juin 2016 le portail européen de projets d’investissement (EIPP). Il s’agit d’une plateforme en ligne qui met en relation les promoteurs de projets et les investisseurs européens, qu’ils viennent de l’UE ou d’ailleurs. Le portail a pour objectif d’accroître la visibilité des projets ouverts aux investissements dans toute l’Europe. Il propose une facilité d’assistance technique et une mise à disposition de consultants pour mettre en place les projets. Demande de subvention : www.bpifrance.fr. L'EASI. Le programme pour l’emploi et l’innovation sociale (EaSI) lancé en 2015 prévoit d’améliorer l’accès au financement pour les entreprises sociales. Sous ce programme, des entrepreneurs sociaux peuvent bénéficier de prêts à un taux d’intérêt réduit, sans fournir de garantie. Les objectifs poursuivis sont de renforcer les capacités des organismes de microfinancement et d’appuyer le développement des entreprises sociales, notamment en facilitant leur accès au financement. Demande de subvention : l’EaSI est directement géré par la Commission européenne : fr.welcomeurope.com. ©  Fernando Lanvin LE H2020. Dans le cadre de l’initiative Horizon 2020, le nouveau programme de recherche européen pour 2014-2020, la Commission européenne et le groupe Banque européenne (BEI et FEI) ont lancé il y a quatre ans une nouvelle génération d’instruments financiers et de services de conseil qui doivent faciliter l’accès au crédit pour les entreprises innovantes. Les produits « InnovFin – Support financier européen pour les innovateurs » offrent une série de solutions financières adaptées au financement de projet de recherche et d’innovation entrepris par des entreprises de toutes dimensions. Les produits InnovFin interviennent sous plusieurs formes, selon le type de projet et la cible d’entreprises, et peuvent accompagner financièrement les PME et ETI. Ce volet est basé sur des garanties et des contre-garanties couvrant des emprunts de 25 000 à 7,5 millions d’euros et facilitant l’accès au financement pour des PME innovantes. La mise en œuvre est assurée par des intermédiaires financiers (Adie, le groupe BPCE, la Société Générale, la Banque Populaire, BPI France…) qui bénéficieront, à ce titre, de garanties ou contre-garanties du FEI couvrant une partie de leurs pertes financières potentielles. H2020 comprend également l’Instrument PME. Ce dernier est destiné à tous les types de PME innovantes présentant une forte ambition de se développer, croître et s’internationaliser. Il est dédié à tous les types d’innovations, y compris les innovations non technologiques et de services. L’instrument PME peut accorder une première subvention jusqu’à 50 000 euros, lors de l’évaluation et de la faisabilité du concept. Il peut également soutenir l’entreprise lors de la phase R&D et de la première application commerciale à hauteur de 0,5 million à 2,5 millions d’euros en subvention. L’instrument PME accorde également des prêts ou fonds propres pour la phase de commercialisation. Chacune des phases est ouverte indépendamment à toutes les PME : pas d’obligation par exemple de passer par la phase 1 pour déposer un projet phase 2. 84 entreprises françaises ont bénéficié de cet outil pour un montant équivalent à 41 millions d’euros. Natural Graas, une entreprise qui équipe plusieurs pelouses des stades de football de l’EURO 2016, a notamment reçu 733 000 euros pour financer un système innovateur de pelouse naturelle fixée sur un revêtement artificiel. Pour permettre à plus d’entreprises de bénéficier de ce programme, la Commission européenne a créé un conseil européen de l’innovation. Ses objectifs : faire en sorte que l’outil soit plus compréhensible, assurer un suivi plus régulier des projets soutenus et modifier les règles d’attribution des aides. «  Nous ne laissons pas assez de chance aux entreprises ‘‘out of box’’ qui travaillent sur plusieurs disciplines (la science et l’art par exemple). L’Europe a besoin de plus d’innovation disruptive. Les règles liées aux appels d’offres vont donc évoluer  », déclare Carlos Moedas, commissaire pour la recherche et la technologie dans un communiqué de presse. COSME pour faciliter la croissance des start-ups, TPE et PME. L'un des principaux objectifs de Cosme est de fournir aux PME un accès amélioré au financement dans les différentes phases de leur cycle de vie : création, expansion ou transfert d'entreprises. Cosme mobilise des prêts et des investissements en capital par l'intermédiaire de deux outils : la facilité « garantie des prêts » et la facilité « capital risque pour la croissance ». Le premier programme fournit des garanties aux institutions financières (sociétés de garantie, banques, établissements de crédit-bail). En partageant le risque, les garanties Cosme permettent aux intermédiaires financiers d'élargir la gamme des PME qu'ils peuvent financer. En France, depuis 2014, 17 000 PME issues majoritairement du commerce de détail, de la construction et de l'industrie ont bénéficié de ces garanties. Le second outil fournit du capital aux fonds qui investissent dans les PME principalement au stade de la croissance. La facilité devrait aider entre 360 et 560 structures à bénéficier d'investissements en capital, avec un volume total investi compris entre 2,6 et 4 milliards d'euros. Cosme propose également le programme Socama dédié aux créateurs d'entreprise. Il offre la possibilité d'acquérir du matériel, un véhicule, de faire des travaux d'aménagement ou d'agrandissement. Son montant peut atteindre 300 000 euros. Sa durée de remboursement est comprise entre 18 et 60 mois. Un différé de remboursement est possible sur six mois maximum. Cosme finance aussi le réseau Entreprise Europe Network (EEN). Sa mission est d'aider les PME à trouver les partenaires sociaux et technologiques, à comprendre la législation et à accéder au financement de l'UE. Ce produit s'adresse aussi aux services d'assistance en matière de droits à la propriété intellectuelle (DPI) ou de normes grâce à des Helpdesks actifs pour des zones géographiques comme les pays du Sud-Est asiatique, la Chine ou le Mercosur. Cosme soutient enfin le programme d'échanges « Erasmus pour jeunes entrepreneurs » qui vise à aider les jeunes et futurs dirigeants à acquérir les compétences nécessaires pour faire prospérer une entreprise, en travaillant aux côtés d'un patron chevronné dans un autre pays pendant un à six mois. Les candidatures sont gérées par des points de contact implantés dans différentes régions de France. Le voyage est financé par l'UE, et le jeune entrepreneur peut prétendre à une compensation financière pour frais de séjour compris entre 530 et 1 100 euros par mois (tout dépend du niveau de vie du pays d'accueil). L’Union européenne doit mieux montrer et démontrer ce qu’elle apporte de plus par rapport aux seuls États, si elle ne veut pas connaître une véritable crise de légitimité. Sa pérennité, qui repose sur son lien de proximité avec les citoyens, est en jeu. Or, les mécanismes qui permettent de répondre à ce besoin de proximité existent, et les financements européens en font partie. Il faut leur redonner du sens ! D’importants chantiers de modernisation doivent donc être menés pour donner une impulsion nouvelle aux financements européens, impliquant de conjuguer les efforts des parties prenantes à chaque échelon (porteurs de projets, autorité de gestion, Union européenne). Concrètement, cette transformation passe par une montée en compétences des porteurs de projets, un renforcement de l’accessibilité et de la lisibilité des financements européens ainsi que par un renouveau de la relation entre l’Union européenne et ses partenaires fondée sur la confiance, la proximité avec les citoyens européens et une meilleure valorisation des performances.

La loi Pacte, pour la reconquête économique

La loi Pacte, pour la reconquête économique

Par Ken Joseph Photo : Cala Jzd Loi fourre-tout ou probusiness ? Si seulement 36 %  (1) des dirigeants se déclarent satisfaits de l’action menée par Emmanuel Macron depuis son arrivée à l’Élysée, il se pourrait que les choses tendent à s’inverser au cours des prochains mois. Et pour cause, le 9 octobre dernier, le projet de loi Pacte, destiné à la croissance et la transformation des entreprises, a été adopté en première lecture, à l’Assemblée nationale. Porté par Bercy, ce texte « macroniste » n’est en fait qu’une énième étape relative à la transformation économique de la France, voulue par Emmanuel Macron. C’est un texte qui «  est cohérent par rapport à ce qui a déjà été engagé par cette majorité : la transformation de la fiscalité sur le capital, la réforme du marché du travail, le soutien à une meilleure formation et une meilleure qualification, Pacte apporte une pierre nouvelle à cet édifice qui va permettre à chaque Français de vivre de son travail et à notre économie de se redresser  », a assuré le ministre de l’Économie et des Finances Bruno Le Maire, à l’issue du vote en première lecture du Pacte. Deux semaines de débats auront été nécessaires pour examiner ce projet de loi copieux : plus de 140 articles, après leur doublement en commission, allant de la suppression des seuils sociaux à l’encouragement de l’épargne salariale en passant par la réduction de six à quatre semaines de la durée légale des soldes. Lors d’une audition devant la commission parlementaire spéciale chargée d’examiner le texte, Bruno Le Maire a par ailleurs rejeté les critiques formulées contre son projet de loi, parfois qualifié de « texte fourre-tout ». «  Nous sommes dans une économie complexe, et si nous voulons vraiment obtenir des résultats, il faut toucher à tous les leviers, l’investissement, le financement, les seuils, l’épargne salariale  », a-t-il fait valoir. «  La cohérence de notre texte, elle se trouve dans cette ambition économique : faire grandir nos entreprises, les moderniser, les consolider afin de leur donner les moyens de réussir dans la mondialisation  », a-t-il ajouté. «  La loi Pacte va permettre aux entrepreneurs d'aller au bout de leur projet. » […] «  Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable  » . Avec la loi Pacte, le gouvernement s’attaque, en effet, à un vaste chantier. Transformer les entreprises, simplifier leur financement, faciliter l’intéressement des salariés, repenser la place des entreprises dans la société, tels sont les principaux axes du « Plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises ». Principale organisation patronale, le Medef a salué «  des mesures positives  », tout en demandant «  à aller plus loin  » et à «  redonner une véritable cohérence à la politique économique du gouvernement  ». Faisons un tour d’horizon des principales mesures du Pacte, qui visent à «  donner aux entreprises les moyens de croître  » et sûrement d’y croire. Des seuils moins nombreux. C'est l'une des mesures qui satisfait le plus le patronat : la suppression du seuil de 20 salariés et la conservation de trois seuils seulement, à 11, 50 et 250 salariés. De surcroît, les obligations liées à ces seuils ne seront désormais effectives uniquement lorsque le seuil sera franchi pendant cinq années consécutives. Cela laisse du temps à l’entreprise pour se développer, se préparer, et surtout d’éviter l’effet boomerang lié à une conjoncture qui se retourne. Enfin, le mode de calcul des effectifs prévu par le Code de la sécurité sociale sera généralisé. Le forfait social sur l’intéressement supprimé. Voici une mesure bâtie pour favoriser les salariés et annoncée dès le mois d’avril par Emmanuel Macron : le forfait social sur l’intéressement, qui peut peser jusqu’à 20 % des sommes distribuées par les entreprises aux salariés, sera supprimé dans les PME au 1er janvier 2019. L’objectif pour le gouvernement est de développer l’épargne salariale en incitant à la mise en place d’accords d’intéressements. Le forfait social sur la participation et l’abondement employeur sera également abandonné pour les entreprises de moins de 50 salariés. Ce qui changera concrètement : Leila dirige une entreprise employant 160 personnes. Elle réfléchit à mettre en place un accord d’intéressement qui conduirait à distribuer 120 000 € aux salariés. Aujourd’hui, elle devrait alors contribuer à hauteur de 24 000 € au titre du forfait social, soit un coût total de 144 000 €. Ce montant la dissuade de mettre en place un accord d’intéressement dans son entreprise. Avec le PACTE, le forfait social sera supprimé. L’accord d’intéressement ne lui coûtera plus que 120 000 €. Leila sera donc incitée à le mettre en place. En remplacement des sept réseaux de centres de formalités des entreprises, le gouvernement va mettre en place une plateforme en ligne unique pour la création d’entreprise... Des guichets à l’export régionaux mis en place. Annoncé il y a plusieurs mois, un guichet unique de l’export sera créé dans chaque région et une plateforme numérique de solutions d’accompagnement sera mise en place pour mieux préparer les PME à l’international. D’autres mesures vont suivre : un renforcement du dispositif « assurance-prospection » par une avance de trésorerie et la création d’un « pass export » (partenariat négocié entre l’État et l’exportateur). Le dispositif du guichet unique régional est officiellement testé depuis le 18 juin en région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur. © Sales navigator Des entrepreneurs en difficulté mieux soutenus. Le projet de loi prévoit la suppression de l’indicateur dirigeant de la Banque de France, diffusé aux établissements de crédit, en cas d’une « faillite en chaîne » (liquidation d’une filiale puis de la maison mère), la simplification de la liquidation judiciaire (obligatoire dès 5 salariés et 750 000 euros de chiffre d’affaires), et l’amélioration de la procédure de rétablissement professionnel : le seuil d’actif pourrait être rehaussé pour les entreprises sans salariés et une limite de passif ajoutée. Pour exemple, aujourd’hui, depuis 2 ans, Matthieu est en procédure de liquidation judiciaire, pour son entreprise employant 4 salariés et réalisant 400 000 € de chiffre d’affaires. Avec le Pacte, sa procédure de liquidation judiciaire simplifiée aurait été clôturée en 12 mois, 15 mois au maximum. Une certification moins contraignante. Malgré la fronde grandissante des commissaires aux comptes ces dernières semaines, le gouvernement a bel et bien inscrit dans le projet de loi Pacte que le « seuil de certification légale des comptes (serait) rehaussé au niveau européen ». Ce seuil d’audit des comptes devrait donc passer à 8 millions d’euros (contre 2 millions aujourd’hui). © Ty Williams La transmission d’entreprise facilitée. Le gouvernement veut simplifier le Pacte Dutreil, ce régime de faveur permettant une exonération partielle de l’assiette des droits d’enregistrement lors d’une transmission à titre gratuit (donation ou décès) de titres sociaux, en assouplissant les conditions d’engagement et les obligations déclaratives pour en bénéficier. De plus, les contraintes du crédit d’impôt rachat des entreprises par les salariés seront assouplis et le dispositif de crédit-vendeur sera encouragé grâce à un étalement des prélèvements sur les plus-values pour les petites entreprises. Ce qui changera concrètement : aujourd’hui, Marc dirigeant d’une PME de 30 employés souhaite transmettre son entreprise à ses salariés. Seulement 6 d’entre eux désirent reprendre la société. Ce n’est pas suffisant pour disposer du crédit d’impôt. Avec le PACTE, les 6 salariés pourront avoir accès au crédit d’impôt et continueront à faire grandir l’entreprise. La création d’entreprise dématérialisée. En remplacement des sept réseaux de centres de formalités des entreprises, le gouvernement va mettre en place une plateforme en ligne unique pour la création d’entreprise. Les différents registres des entreprises (registres des métiers et du commerce et des sociétés) seront rapprochés pour éviter les doublons et les coûts inutiles. Le coût sera ramené de 1 000 à 250 euros et le délai d’un mois à une semaine. La Française des jeux et le groupe ADP privatisés. La loi Pacte va lever les contraintes légales qui obligent l’État à détenir la majorité des parts du groupe ADP (anciennement Aéroports de Paris), le tiers du capital ou des droits de vote d’Engie, et qui figent la détention publique de la Française des jeux (FDJ). L’exécutif se prépare ainsi à des cessions d’actifs dans ces trois entreprises. Pour ADP, l’État accordera une concession sur une période de soixante-dix ans, mais conservera « la propriété de tous les actifs, dont le foncier », explique le journal Les Echos. Le ministère assure toutefois que des garde-fous ont été prévus pour éviter que ces privatisations ne mettent en péril les intérêts de l’État. Le niveau des redevances aéroportuaires sera ainsi encadré, tandis qu’une « autorité indépendante » sera chargée de réguler le secteur des jeux. Ces cessions d’actifs devraient rapporter à l’État 15 milliards d’euros, qui alimenteront un fonds pour l’innovation et l’industrie créé par Emmanuel Macron. Selon Les Echos, les privatisations « ont aussi vocation à relancer l’actionnariat populaire, qui a fortement baissé en France depuis 2007 ». © Mathieu Delord Enfin, on notera que l’objet social de l’entreprise, c’est-à-dire la façon dont elle est définie dans le Code civil, va désormais prendre en compte des enjeux sociaux et environnementaux. Une manière de satisfaire les tenants de l’écologie qui ne coûtera guère aux entrepreneurs puisque le ministre de l’Économie a promis que cette insertion ne créerait pas «  d’insécurité juridique  » et ne «  pénaliserait pas les entreprises à l’international  ». Si l'exécutif revendique un projet de loi ambitieux, son impact macroéconomique demeure très flou. Selon une évaluation du Trésor citée par le ministre, la loi Pacte pourrait générer "un gain d'un point de PIB supplémentaire sur le long terme : 0,32 point en 2025 et un point au-delà". L'opposition critique y voit un texte «  fourre-tout  » et «  une occasion manquée  ». Le principal point d'achoppement avec les oppositions est venu des privatisations d'ADP (ex-Aéroports de Paris) et de la Française des jeux. Droite et gauche ont reproché au gouvernement de vouloir brader « les bijoux de famille ». Le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon a fustigé «  une erreur de privatiser les derniers grands instruments dont dispose le pays  », regrettant de «  brancher le tissu des entreprises avec la planète finance  ». Pour le socialiste Dominique Potier, c'est «  une erreur de calcul et de stratégie à long terme  ». Plus généralement, «  vous avez fait beaucoup de mousse pour vanter une révolution à l'œuvre, c'est en réalité une révolution libérale  », a dénoncé le communiste Pierre Dharréville. Daniel Fasquelle (LR) a pour sa part taclé «  un texte insuffisant, incomplet et qui pourrait complexifier la vie des entreprises sur certains points  », en souhaitant que le Sénat l'améliore. « Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable » Au-delà des mesures présentées précédemment, le projet de loi comporte 70 articles, inspirés des 980 propositions remises par les parlementaires et chefs d'entreprise chargés de réfléchir à l'avenir des entreprises françaises. Le plan d’action comportera également des dispositifs réglementaires et non réglementaires ainsi que des mesures fiscales qui seront intégrées au projet de loi finance  2019. Le texte arrivera au Sénat début 2019 et ne devrait pas entrer en vigueur avant le printemps. Certaines mesures vont toutefois être transposées dans la loi de finances et pourront être mises en œuvre dès le 1er janvier 2019, comme la suppression du forfait social pour les PME, la révision du pacte Dutreil pour les transmissions d'entreprises ou encore la révision du crédit d'impôt en cas de reprise d'une entreprise par les salariés. La promesse d'une relation plus facile et plus apaisée avec l'administration n'est pas nouvelle. En 2013, François Hollande avait promis un « choc de simplification », mais quatre ans plus tard, une écrasante majorité des dirigeants interrogés (90 %) juge que cela n'a pas facilité la vie quotidienne de leur entreprise. Le coût de la loi : 1,1 milliard d'euros en 2019 et 1,2 milliard en 2020, «  financés en intégralité par la revue des aides aux entreprises  », a précisé le ministre Bruno Le Maire. « P acte va permettre aux entrepreneurs d'aller au bout de leur projet  », a abondé la secrétaire d'État à l'Économie, Delphine Gény-Stephann. «  Notre volonté est d'encourager la prise de risque, dans un cadre stable  », a-t-elle poursuivi. Et il y a surtout cette promesse d’un point de croissance en plus que ses partisans comme ses détracteurs ne manqueront pas de ressortir dès que la loi aura été appliquée et qu’elle aura eu le temps, ou non, de porter ses fruits. Source : 1. La grande consultation des entrepreneurs (vague 32) – septembre par OpinionWay

Prélèvement à la source et notion de contemporanéité

Prélèvement à la source et notion de contemporanéité

Par Marc Lantin et Ken Joseph Photo : Tobe Mokolo Mesure emblématique de la fin du quinquennat de François Hollande, différée d’un an par Emmanuel Macron nouvellement élu, le prélèvement à la source (PAS) a pour objectif de «  supprimer le décalage d’un an entre la perception des revenus et le paiement de l’impôt sur le revenu correspondant  » . Il permettra d’assurer la « contemporanéité de la taxation des revenus » à savoir le paiement de l’impôt sur le revenu en même temps que la perception des revenus correspondants et à hauteur de ces revenus. Dans la très grande majorité des cas, et notamment pour les salariés et les retraités, l’impôt s’adaptera immédiatement et automatiquement au montant des revenus perçus. Par exemple, un salarié qui perçoit 1 500 euros de revenu net imposable en janvier et 2 000 euros en février sera prélevé chaque mois sur la base des salaires qu’il aura perçus et aura toujours et en temps réel un prélèvement adapté à ses revenus. De la même façon, un salarié qui part à la retraite ou qui perd son emploi aura des prélèvements immédiatement proportionnés à la chute de ses revenus sans aucune action de sa part. Enfin, un commerçant qui arrête son activité ou un propriétaire qui cesse de louer son bien pourra immédiatement arrêter ses prélèvements. Une révolution pour les 37 millions de foyers fiscaux français, dont certains espèrent une « année blanche » pour faire de l’optimisation fiscale. Entrepreneurs : oui pour la réforme, mais… Revue et corrigée par l’exécutif actuel, cette mesure est plutôt bien accueillie par les chefs d’entreprise, une forte majorité (59 %) adhère au principe. En revanche, elle suscite plusieurs craintes. Quelle que soit la taille de l’entreprise, plus de la moitié (56 %) des dirigeants interrogés par OpinionWay estiment que le prélèvement à la source sera une charge de travail supplémentaire pour les services comptables. La crainte est davantage partagée (73 %) dans les entreprises de 10 salariés et plus. Par ailleurs, les entrepreneurs appréhendent leur future collaboration avec l’administration fiscale. Plus d’un tiers estime que c’est une source de complexité, une perception plus partagée là aussi par les entreprises de plus de 10 salariés (48 %). D’autre part, entre les mises à jour des logiciels de paie, la formation du personnel ou encore la facturation à la hausse de services externalisés, le prélèvement à la source va générer des surcoûts. Ceux-ci sont estimés entre 310 M€ et 320 M€ l’année de sa mise en place pour l’ensemble des entreprises françaises, puis pourraient passer entre 60 M€ et 70 M€ en vitesse de croisière, d’après un audit de l’Inspection générale des finances (IGF) et le cabinet Mazars. De quoi provoquer de vives réactions au sein des syndicats patronaux qui ne cachent pas leurs inquiétudes. Et ils ne sont pas les seuls. Cabinets d’expertise-comptable, avocats-fiscalistes et service de paie sont tous en ordre de bataille pour obtenir plus de lisibilité et pour préparer la bascule vers une triangulaire inédite entre salariés, administration et entreprise. Longtemps hostile à ce dispositif, aujourd’hui, le Medef estime qu’«  un certain nombre d’inquiétudes n’ont pas été levées  ». Mais l’organisation patronale a aussi tempéré ses critiques, affirmant qu’elle ferait «  tous ses efforts  » pour que cette mise en place «  se passe le mieux possible pour les entreprises  ». De son côté, le président de la Fédération française du bâtiment (FFB), Jacques Chanut, a persisté à regretter une «  bien mauvaise idée qui consiste à créer un lien entre la fiscalité personnelle et l’entreprise  », tout en se disant déterminé à «  obtenir des compensations  », via en particulier des crédits d’impôt dans un premier temps, «  car le fait qu’on prélève cet impôt va créer des coûts supplémentaires pour nos entreprises  ». Et pour l’heure, les entreprises ne semblent pas avoir pris pleinement conscience du changement à venir. Pour l’employeur, c’est clairement une responsabilisation plus grande dans la détermination de la rémunération nette imposable. L’entreprise va être un peu coincée entre l’administration fiscale, qui veillera à éviter les sous-prélèvements sur la base de déclarations insuffisantes, et son salarié, qui pourra le cas échéant lui reprocher de surestimer son net imposable. Bon gré et surtout mal gré, les employeurs vont donc être contraints de faire face à ce « big bang » fiscal. Exemption pour les TPE. Depuis l’officialisation de la mise en œuvre de la réforme fiscale au 1er janvier 2019, le patronat s’alarme des conséquences pour les petites et moyennes entreprises. «  Il en coûtera chaque année trois fois plus cher par salarié à une TPE qu’à un grand groupe  », arguait ainsi en décembre 2017 la CPME dans un communiqué. Résultat, les TPE ont été entendues par le gouvernement et elles ne seront finalement pas contraintes de mettre en œuvre le prélèvement à la source (PAS) de l’impôt sur le revenu (IR). En effet, Gérald Darmanin, ministre de l’Action et des Comptes publics, l’a annoncé dans un entretien au Courrier picard : l’URSSAF pourra prendre en charge la déclaration et le reversement du prélèvement à la source gratuitement à la place des entreprises de moins de 20 salariés. «  Nous avons mis en place un système qui fonctionne déjà pour les cotisations URSSAF. Accessible sur Internet, il s’appelle www.letese. ursaf.fr, décrit le ministre. Cela concernera environ 1 million d’entreprises qui pourront solliciter l’URSSAF  ». Une annonce qui devrait soulager les petites entreprises : 84 % des TPE interrogées par le Syndicat des Indépendants et des PME (DSI) demandaient ainsi à être exemptées de la mise en place du PAS. © Mohammad Hashemi Obligations pour l'employeur. .Avec le passage au prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu, l’employeur devient de fait tiers collecteur. À mi-chemin de la relation entre l’administration fiscale et les contribuables, l’employeur devra désormais s’acquitter d’obligations différentes et complémentaires : Recueillir le taux de prélèvement à la source Depuis juin 2017, l’utilisation de la DSN (déclaration sociale nominative) est obligatoire pour les entreprises et permet de simplifier et automatiser les déclarations sociales. Elle remplace l’ensemble des déclarations périodiques et plusieurs formalités administratives qui étaient auparavant envoyées à différents acteurs. Aujourd’hui, une seule déclaration suffit pour s’adresser, pêle-mêle, à l’URSSAF, au Pôle emploi, ou encore à la CPAM. C’est la DSN qui a été choisie par l’administration fiscale pour récolter les informations nécessaires à la mise en place du prélèvement à la source au sein des entreprises. Grâce à la DSN, le fisc peut avoir toutes les informations liées aux employés présents dans l’entreprise. Chaque employé est représenté à ses yeux par un numéro fiscal, indispensable pour connaître le taux de prélèvement à la source à appliquer s’il est personnalisé. L’administration fiscale prendra également connaissance du salaire brut et net des contribuables grâce à la DSN. Lorsque toutes ces informations sont récoltées, la communication du taux de prélèvement à appliquer à chaque employé se fait par le compte rendu métier (CRM) qui est le flux retour de la DSN envoyé en cours de mois suivant. Le CRM est envoyé dans les 5 jours suivant l’envoi de la DSN par l’employeur et le taux communiqué est valable deux mois suivant sa réception. Et en pratique, qu’est-ce que ça donne ? Prenons un exemple simple : un taux de prélèvement à la source est communiqué par l’administration fiscale début mars 2019 à la suite de l’envoi de la DSN. Il sera valable pour les revenus versés jusqu’à fin avril 2019 et impactera ainsi la DSN envoyée début mai pour un paiement fin mai. Dans tous les cas, même si le taux est valable deux mois, vous le recevrez toujours via le CRM chaque mois après l’envoi de la DSN. À vous d’appliquer le taux le plus récent que vous aurez reçu. Appliquer le taux de prélèvement à la source. La deuxième étape est la plus importante pour le contribuable : son employeur va appliquer le taux de prélèvement à la source qui lui a été communiqué par l’administration fiscale sur son salaire net, créant ainsi une nouvelle catégorie sur sa fiche de paie, le salaire net après impôt. Ce salaire net après impôt correspond à ce qui sera réellement versé à l’employé, par chèque ou virement bancaire. La retenue sur le salaire net de vos employés au titre du prélèvement à la source devra être précieusement gardée en attendant la troisième étape, celle du reversement de l’impôt collecté. Mon employé me demande d’appliquer un taux différent, que faire ? En tant qu’employeur, vous n’avez pas à modifier ce taux, même si votre employé en fait la demande. S’il souhaite qu’un taux différent soit appliqué, le taux neutre par exemple, il doit en faire la demande auprès de l’administration fiscale, seule entité avec laquelle il doit communiquer. Vous être uniquement tiers collecteur de l’impôt, ce n’est pas à vous de le fixer. N’hésitez pas à renvoyer vos employés vers l’administration fiscale en cas de question. Deux solutions s’offrent  : le site Internet prelevementalasource.gouv.fr ou le numéro national 0811 368 368. Reverser l’impôt sur le revenu à l’administration fiscale. En M +1, le rôle de l’employeur sera de reverser la retenue qu’il a effectuée sur le salaire de ses employés au titre de l’impôt sur le revenu à l’État. Le calendrier est quelque peu différent selon la taille de l’entreprise : pour les entreprises de plus de 50 salariés ayant une date limite de dépôt de la DSN au 5 du mois ; le paiement doit être effectué le 8 du mois suivant la retenue à la source. Pour les entreprises de moins de 50 salariés ayant une date limite de dépôt de la DSN au 15 du mois : le 18 du mois. Pour les entreprises de moins de 11 salariés, sur option : possibilité de reversement trimestriel. Ce reversement sera effectué en même temps que les autres cotisations sociales que vous devez reverser aux différents organismes à M +1. Bulletin de salaire : L’employeur devra indiquer sur le bulletin de salaire ; le taux de la retenue à la source, l’assiette de la retenue à la source, le montant prélevé à la source, le net à payer (avant retenue à la source) en le distinguant du montant net à verser (après retenue à la source). © Charles Deluvio En cas de manquement... Voici sans doute, la partie la moins drôle de cet article : ce que vous risquez en tant qu’employeur si vous ne respectez pas ces étapes. Deux cas de figure s’offrent à vous : premièrement, vous vous êtes trompé en calculant la retenue à la source basée sur le taux qui vous a été transmis ; on vous conseille tout d’abord de passer par un logiciel de gestion de paie fiable et automatisé qui vous évitera ce genre de déboires à l’avenir. Autrement, vous serez tenu responsable de cette erreur, tout comme vous l’êtes déjà aujourd’hui pour les cotisations sociales salariés précomptées pour le compte de vos employés. Et enfin, deuxièmement, vous n’avez pas reversé l’impôt sur le revenu collecté à l’État : c’est déjà plus fâcheux. Dans tous les cas, l’administration fiscale se retournera contre vous et pas contre l’employé qui aura déjà, dans tous les cas, été prélevé. Ne pas reverser l’impôt collecté est considéré au même titre que ne pas reverser les cotisations sociales dues. Vous devrez ainsi vous acquitter de pénalités de retard qui varient selon l’importance du retard ainsi que des sanctions pénales. Dans les deux cas, cela n’arrivera pas avec un logiciel de gestion de paie qui automatise pour vous cette étape délicate, vous permettant ainsi de basculer sans peine vers le prélèvement à la source de l’impôt. Pour tout manquement de déclaration ou de versement à l’administration fiscale, l’employeur risque jusqu’à 9 000 € d’amende et 5 ans d’emprisonnement si le retard excède un mois. D’autre part, l’employeur devra impérativement respecter le secret professionnel sous peine d’une amende de 300 000 € et 5 ans d’emprisonnement. Un impact réel sur la paie et les services RH. À en croire le conseil des prélèvements obligatoires, le prélèvement à la source pourrait générer une charge de travail supplémentaire « non négligeable » pour les entreprises, et au moins deux types de surcoûts : un coût d’adaptation lors de l’année de transition : les entreprises vont devoir adapter leurs logiciels de paie, circuits de transfert d’acomptes et d’informations. Il leur faudra également intégrer certaines données dans leur SIRH et enfin, un coût de gestion en régime de croisière : les employeurs devront gérer un nouveau flux d’échanges avec l’administration chaque mois pour le versement des acomptes d’impôt, mais aussi en cours d’année pour ajuster les taux d’imposition. Même si l’on peut supposer que l’entrée en vigueur en 2016 de la DSN facilitera la transition, les DRH devront tout de même faire face à des écueils opérationnels forts, dont certains inédits pour eux : une double responsabilité fiscale et juridique : contrainte à un devoir de collecte et de contrôle des données, l’entreprise en tant que tiers payeur sera tenue d’assumer une responsabilité à la fois fiscale et juridique. En cas de déclaration fallacieuse ou erronée, par exemple, le DRH risque de voir sa responsabilité engagée vis-à-vis de l’administration. Certains salariés, en outre, ne manqueront pas de contester les prélèvements auprès des DRH : un véritable casse-tête en perspective. Une adaptation du logiciel de paie : des mécanismes de calcul qui seront retenus in fine dépendra la complexité de l’adaptation à la solution paie de l’entreprise. Les logiciels de paie devraient intégrer sans trop de difficultés un taux d’imposition standard avec un barème préétabli, mais un système tenant compte des quotients familiaux, ou des biens du salarié impliqueraient le développement d’une expertise pointue au sein de l’entreprise. La complexification de la gestion de la paie et les questions corollaires ne sont peut-être, pourtant, que la partie émergée de l’iceberg. La retenue à la source soulève d’autres enjeux, moins directement mesurables, mais pas moins importants pour l’entreprise et les DRH. © Jan Antonin Kolar Externalisation de la paie ? Toujours d’après le rapport de IGF/Mazars, le coût de la mise en place du prélèvement à la source serait très disparate : les grandes entreprises ayant statistiquement moins de mal à s’organiser devraient débourser entre 6 et 8 € par salarié, lors de cette première année de transition. Mais, du côté des PME, la facture devrait exploser avec un tarif situé entre 26 € et 50 € par bulletin de paie. Cependant, les années suivantes, le coût de gestion du prélèvement à la source devrait trouver son rythme de croisière, autour des 3 € à 4 € par salarié, toutes entreprises confondues. Pour éviter d’avoir à essuyer les plâtres, certains dirigeants de PME annoncent vouloir externaliser la gestion de leur paie. Et si l’externalisation de la paie semble se présenter comme la solution miracle, ce sera in fine à l’entreprise de supporter le coût de cette externalisation : en interne comme en externe au sein des entreprises prestataires, les logiciels et les compétences devront être réactualisés. Le gestionnaire de paie répercutera ce coût sur la facture qu’il enverra à l’entreprise cliente. Rassurer ses employés : une nécessité. Même si vous n’avez pas de devoir d’information auprès de vos employés, vous pouvez faire en sorte que le passage au prélèvement à la source se fasse en douceur de leur côté. Mettez-vous à leur place une seconde : ils vont, du jour au lendemain, percevoir un salaire moindre que ce qu’ils gagnent habituellement. Votre rôle de tiers collecteur prend alors une autre dimension ; il s’agit de faire en sorte que vos employés comprennent que leur salaire n’évolue pas à la baisse même si leur net à payer est moindre. En d’autres termes, même si leur Net à payer est touché de façon directe, c’est le mode de prélèvement de l’impôt qui évolue, et non le salaire lui-même. C’est la raison pour laquelle l’administration fiscale a eu l’ingénieuse idée de faire en sorte que le « net à payer avant impôt » apparaisse en caractères plus gros que le « net à payer après impôt » : ainsi, le contribuable comprendra plus facilement que son salaire net reste le même entre décembre 2018 et janvier 2019. N’hésitez pas en décembre, ou lorsque les premières fiches de paie portant mention du prélèvement à la source seront éditées en janvier, à bloquer une petite heure afin d’échanger sur le sujet avec vos employés. In fine , le montant de l’impôt sur le revenu reste identique : c’est la seule chose absolument indispensable que vos salariés ont besoin de savoir de votre part. Pour les questions plus techniques, liées notamment au taux de prélèvement qui s’applique à leur situation, vous devez les réorienter vers leur interlocuteur de choix, l’administration fiscale. Une dimension sociale à bien considéré . «  La retenue à la source pose des problèmes de confidentialité susceptibles de détériorer le climat social, notamment au sein des petites entreprises  », pointe la CGPME. Les syndicats se sont d’ailleurs déjà emparés du sujet. Sur son site Internet, la CGT remarque ainsi que ce mode de prélèvement « fournirait à l’employeur des éléments sur la vie privée des salariés (situation de famille, niveau de revenus du conjoint…) qui (…) doivent absolument demeurer confidentiels ». De fait, l’impôt sur le revenu étant conjugalisé, son prélèvement par l’employeur impliquera que ce dernier connaisse le montant total des revenus du foyer de chaque collaborateur. Difficile d’imaginer que les décisions d’augmentation, au moins dans certaines entreprises, n’en seront pas influencées : est-il vraiment utile d’augmenter tel collaborateur disposant de revenus complémentaires, ou dont le conjoint gagne bien sa vie ? Certains DRH ou décisionnaires se poseront forcément la question. Dans le même ordre d’idées, les chèques-vacances délivrés dans certains groupes pourraient constituer un problème délicat : leur seuil de délivrance sera-t-il en fonction des rémunérations avant ou après fiscalité personnelle ? Et l’ANDRH de relever le risque que pourrait faire peser, sur la qualité des relations de travail, la détention par l’employeur d’informations jusqu’alors confidentielles dans notre pays. Au-delà des aspects techniques, les entreprises n’ont pas toujours pris la mesure des conséquences que cette réforme pourrait avoir sur le moral des troupes si aucune politique de communication adaptée n’a été mise en place. Retenu par nombre de nos voisins européens, le prélèvement à la source ne constitue pas une mesure neutre pour les entreprises et les DRH. La gestion de la paie s’en trouvera complexifiée, au moins provisoirement : un comble pour une mesure au départ vendue comme « simplificatrice » ! Comme le relève l’ANDRH sur son site, il reviendra aux entreprises de mettre en place le dispositif, assurer la collecte des données et leur protection, mais aussi accompagner le système en interne. Pour cette association, « simplifier le rôle des entreprises en tant que tiers payeurs et clarifier leur responsabilité juridique » paraît incontournable. La mesure pourrait aussi avoir des conséquences sur la gestion des rémunérations, certains pointant même un risque d’impact à la baisse sur le salaire net. Le prélèvement à la source est une bataille politique vieille de 80 ans qui va connaître son dénouement dans les jours prochains. Au-delà des aspects techniques, les entreprises n’ont pas toujours pris la mesure des conséquences que cette réforme pourrait avoir sur le moral des troupes si aucune politique de communication adaptée n’a été mise en place. Les enjeux sociaux sont énormes pour l’entreprise. Les enjeux économiques le sont tout autant. L’entreprise doit intégrer les risques, réels ou non, de l’impact de la baisse de salaire sur la motivation de ses salariés.

Le talent c'est l'audace que les autres n'ont pas

Le talent c'est l'audace que les autres n'ont pas

Par Yannick Jotham Photo : Renée Thompson Soyons plus concret : le talent est à l’audace ce que la valeur ajoutée est à l’entreprise et le collaborateur représente l’audace avec laquelle vous vous placerez au-dessus de la concurrence. « Ce que les autres n’ont pas » : c’est la quête de toutes les entreprises. Comment se différencier de son concurrent ? Quelle est la valeur ajoutée qui me fera être leader sur le marché ? La réponse est par l’humain. Une entreprise est faite d’hommes et de femmes et ce sont ces mêmes hommes et femmes qui hisseront votre entreprise à la place qu'il se doit. Comment identifier et cultiver cette valeur ajoutée ? La réponse est là : cultiver ses valeurs d’entreprises et l’état d’esprit approprié à travers ses collaborateurs. La motivation. L’essentiel afin de commencer une bonne collaboration est de s’assurer de la solidité des bases de cette dernière. Un collaborateur et un employeur ayant envie de travailler ensemble, c’est déjà un très bon début. Cela peut paraître évident à première vue et pourtant c’est l’élément que l’on néglige le plus souvent. L’envie de travailler ensemble est quelque chose qui se travaille dès la première rencontre et qui s’entretient tout au long de la collaboration. La motivation, c’est la raison pour laquelle un collaborateur se lève chaque jour pour se rendre à son lieu de travail. C’est une énergie qui se transmet d’un collègue à un autre. Soyons directs, nous parlons bien là de la rémunération. Un sujet encore trop souvent tabou, tant pour le collaborateur et l’employeur. Le meilleur moyen de gagner du temps est d’être en accord avec les grilles salariales, le temps que vous fera gagner votre collaborateur et le chiffre qu’il peut générer. Ensuite, c’est d’être clair et transparent à ce sujet et de mettre à plat tout ce qui peut être tabou. Une discussion courte menant à une non-collaboration sera toujours plus productive qu’un début de collaboration vouée à l’échec par trop de zones d’ombres. © Charles Etoroma L’implication. La motivation fera que votre collaborateur se lèvera tous les jours pour son salaire. L’implication lui fera soulever des montagnes tous les jours pour son entreprise. L’implication c’est ce sentiment qui vous fait vous sentir à part entière au sein de quelque chose qui vous dépasse et vous transcende. Je ne parle pas d’un collaborateur qui s'habille aux couleurs de sa boîte toute la semaine. Je parle d’un collaborateur qui a conscience de la vision, des objectifs et des intérêts de sa société et qui est prêt à se dépasser pour être un acteur de cet accomplissement. Il s’agit également d’une relation qui se construit dès le premier jour de la collaboration. J’insiste sur le jour d’intégration, souvent négligé par manque de temps. Pourtant décisif chez les nouveaux talents qui rejoindront l’entreprise. La communication interne sur les valeurs de l’entreprise et ses ambitions sont les clés de l’implication. Il est important de donner un sens au travail de ses collaborateurs. « Donner du sens à son travail », qu’est ce que cela signifie ? Durant un de mes entretiens, un candidat m’a dit : «  certaines personnes s’engagent à l’armée, d’autres deviennent médecins pour contribuer à l’essor de leur pays, moi j’ai choisi le développement économique  ». Tout est dit : engagez vos collaborateurs, engagez-les dans votre vision et faites-leur devenir les acteurs de quelque chose qui les dépasse individuellement ! «  L’empowerment signifie la montée en responsabilité et en pouvoir d’un groupe d’individus au sein d’une société afin d’agir sur l’ensemble de leur environnement.  » © Alex Azabacne L’intrapreneuriat. En lisant un article très pertinent sur les femmes et la sexualité dans la dernière édition du magazine Focus le mag , il y a une notion qui a retenu mon attention : « l’empowerment ». L’empowerment signifie la montée en responsabilité et en pouvoir d’un groupe d’individus au sein d’une société afin d’agir sur l’ensemble de leur environnement. Largement développée dans le domaine du développement personnel, cette notion a d’abord vu le jour en Ressources humaines. Il s’agit d’un management visant à laisser une grande part d’autonomie à ses collaborateurs ainsi qu’une visibilité plus large sur les enjeux de la société. Vous l’aurez compris, le but est de booster l’implication de ses équipes. Faire de ses collaborateurs des entrepreneurs au sein de votre entreprise est un véritable projet RH, il implique une mobilisation sur tous les aspects : du management à la communication interne. Mais aujourd’hui plus que jamais, il est essentiel d’investir sur les hommes et les femmes qui construiront l’entreprise de demain.

Pourfendre l'immobilisme

Pourfendre l'immobilisme

Par Pierre-Yves Chicot | Avocat à la cour et Maître de conférences de droit public Photo : Sour Moha La célèbre lettre d’Aimé Césaire à Maurice Thorez signifiant son départ du Parti communiste français résonne d’un son particulier en ce début du XXIe siècle. Bien que des esprits trop rapidement critiques lui reprochent encore d’avoir choisi le camp de l’assimilation, en prenant la dimension de toute son œuvre politique, la loyauté exige de lui reconnaître la lucidité dont il a su faire preuve en s’adressant par la voie épistolaire au secrétaire général du Parti communiste, en ce 24 octobre 1956. Il y a de ça 65 ans. « (…) comment dans notre pays, où le plus souvent, la division est artificielle, venue du dehors, branchée qu’elle est sur les divisions européennes abusivement transplantées dans nos politiques locales, comment ne serions-nous pas décidés à sacrifier tout, je dis tout le secondaire, pour retrouver l’essentiel ; cette unité avec des frères, avec des camarades qui est le rempart de notre force et le gage de notre confiance en l’avenir » ? Cette lettre est belle parce qu’elle est écrite en belles lettres, au regard de l’envergure intellectuelle de son auteur, mais elle l'est d'autant plus qu’elle pourfend l’immobilisme. Cette attitude assure et assume que la culture du progrès en faveur du plus grand nombre est vraisemblablement la plus grande vertu que le dépositaire du suffrage universel doit faire sienne. Tourner le dos à des pratiques éculées, être habité de la conscience que l’infiniment petit par la taille est aussi infiniment grand par l’esprit. Convertir la docilité en audace, être soi-même en lieu et place de l’emprunt de l’identité de l’autre. Ainsi parle Césaire en s’adressant à Maurice Thorez : «  Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, hommes de couleur, en ce moment précis de l’évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience  ». © Banque Numérique des Patrimoines Martiniquais Singularités. Les mots revêtent cette capacité à garder dans les sillons de l’histoire des traces indélébiles qui agissent comme des graines fécondes pouvant irriguer l’esprit des générations d’après. Ainsi parle l’esthète de Basse-Pointe : «  Singularité de notre “situation dans le monde” qui ne se confond avec nulle autre. Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème. Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle. Singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle  ». Les esprits forgés par la colonisation se répartissent globalement en deux grandes catégories : ceux qui récusent leurs singularités pour mieux vivre leur aliénation comme un épanouissement ; ceux qui accusent l’aliénation d’être un obstacle dirimant à la jouissance de leurs singularités. Cette dichotomie garde toute sa vigueur, aujourd’hui, c’est-à-dire, ce moment où l’institution supra-familiale dans sa genèse, qui devient ensuite l’État, adopte le parti pris du minimalisme, du retrait, de l’agilité. Une transfiguration qui fait si mal à la première catégorie et met au pied du mur la seconde. «  je crois que les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion qu’il ne leur manque ni vigueur ni imagination, mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer ». Quel que soit son camp d’appartenance, le mot d’ordre de la responsabilité commandée par la singularité apparaît comme la seule voie possible d’envisager l’avenir. Ainsi parle l’ancien maire de la communauté foyalaise : «  Qu’en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l’avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites ; qu’elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ? C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l’on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier  ». La question coloniale ne concerne plus l’Algérie évoquée par le condisciple de Senghor, mais 65 ans plus tard, les pays français d’Amérique et de l'océan Indien qui demeurent pris dans l’enclos de l’identité législative les transforment en « jouet sombre au carnaval des autres ». Si le fellagha du XXe siècle à l’image du nègre marron du XVIIe siècle sécrète l’énergie de la rébellion pour se libérer des lourdes chaînes de l’oppression, l’assimilé, bien malgré lui, redoute un futur où son génie créateur qu’il ignore sera la base des politiques publiques qui doivent embellir son quotidien. © Anne Sack Paternalisme et fraternalisme. Ainsi parle le dramaturge : « comment dans notre pays, où le plus souvent, la division est artificielle, venue du dehors, branchée qu’elle est sur les divisions européennes abusivement transplantées dans nos politiques locales, comment ne serions-nous pas décidés à sacrifier tout, je dis tout le secondaire, pour retrouver l’essentiel ; cette unité avec des frères, avec des camarades qui est le rempart de notre force et le gage de notre confiance en l’avenir » ? Dans ce monde digitalisé à un niveau d’outrance qui est loin d’avoir atteint son paroxysme, il est grand temps de comprendre que le compartiment-département d’outre-mer, qui le demeure pour certains, malgré l’unification de grandes assemblées locales est fondamentalement un pays. Et ce, qu’il choisit ou non d’avoir en propre son drapeau. Vivre sa terre comme un pays prend l’allure du grand saut du paternalisme au fraternalisme. Penser l’outre-Atlantique comme un lien de fraternité et non un lien de subordination est sans aucun doute un horizon de proximité. Sortir définitivement de l’artificiel état du bien meuble à l’état d’humanité qui est la substance de la vérité de nos trajectoires. Ainsi parlerons-nous avec le poète et le stratège : «  je crois que les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion qu’il ne leur manque ni vigueur ni imagination, mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer  ». Cette invitation à choisir notre sort est gorgée d’espoir et de confiance en la capacité des pays français d’Amérique à dialoguer aussi avec le monde, avec leur langue et leur cosmogonie.

Que signifie aujourd'hui réussir ?

Que signifie aujourd'hui réussir ?

Par Mary B. Photos : Dom Agular Installée sur un transat un 15 août aux Saintes, après une discussion avec une de mes meilleures amies, un peu triste, mais philosophique, sur la vie et l’acceptation, je regarde le ciel, les étoiles, avec une question en suspens : que signifie aujourd’hui réussir sa vie… ? Et plus précisément, qu’est-ce que la réussite signifie aujourd’hui ? Qu’attendons-nous de la vie et où plaçons-nous notre curseur, pour parler de réussite ? Bien souvent, les deux premières réponses qui viennent en tête sont liées à la carrière ou à la famille : aux enfants que nous avons élevés et éduqués et que l’on voit grandir avec plaisir ou à sa bâtisse solidement ancrée et qui réunit, les dimanches ensoleillés ou de pluie, toute sa famille. L’idée selon laquelle la réussite est liée à la carrière vient en tête, car souvent, la société dans laquelle nous vivons nous définit par notre profession. Notre niveau professionnel nous classifie et nous attribue une valeur sur l’échelle sociale. Les critères retenus : un bon salaire, un poste à responsabilités, le nombre de fois que notre téléphone sonne, notre bureau blanc laqué qui croule sous des dossiers urgents de la plus haute importance… Des références classifiées, codées, auxquelles nous nous rattachons ou rattachions. Car oui aujourd’hui à l’ère du wellness et de l’avènement du yoga, des retraites chamaniques, on se demande si le curseur de la réussite ne bouge pas et ne vient pas se positionner sur des choses moins superficielles, ou plutôt pour employer le bon terme, plus spirituelles… Effet déjà constaté par le retour à l’essentiel, à ce boom des trentenaires «  late bloomers  » qui se tournent - une fois le job bien payé plaqué, un burn-out malheureusement encaissé, et un tour du monde achevé - vers une passion assumée. On peut donc réussir sa vie en étant à l’écoute de soi, de son cœur et non plus uniquement des codes sociétaux. Le wellness peut être traduit comme la nouvelle attitude qui nous pousse à prendre conscience du bien-être à la fois que l’on se procure, mais aussi – et la nouveauté est ici – au plaisir que l’on procure également aux autres. En devenant altruiste, en prenant soin de soi, de la nature et des autres, est-on plus heureux ? A-t-on accompli quelque chose ? © H13 L’altruisme est un concept développé par Auguste Comte au XIXe siècle, et se positionne comme le nouveau sérum de jouissance, associé au do-gooding . Ce concept est aujourd’hui adopté par des entreprises qui souhaitent investir en redorant leur image, et en ayant un impact plus porteur sur la société. On considère que l’autre c’est aussi soi, en faisant du bien à l’autre, à la planète, c’est aussi un peu à soi que l’on pense, donc par extension, au bien-être de l’humanité. Viens, après ce sentiment du devoir accompli, un sentiment de fierté d’avoir laissé un monde un peu meilleur, grâce à nous. Aider son prochain peut se matérialiser de plusieurs façons, soit par un élan de générosité financier, soit par une écoute attentive, de la bienveillance. Les événements climatiques Irma et Maria de fin 2017 aux Antilles, ont révélé et permis de matérialiser ces élans de générosité et d’aide envers les autres. Les dons en nature ou financiers ont afflué pour venir en aide aux familles sinistrées et permettre la reconstruction de villes entières. © Alyssa Stromann Lors de notre dernier bilan, lorsque la faucheuse viendra nous chercher, se dira-t-on «  oh, je n’ai pas assez travaillé  », ou « o h, j’ai ri, j’ai aimé, j’ai pleuré, j’ai donné et rendu heureux ceux que j’aime, ceux qui m’entourent et mieux encore, cet élan d’amour se poursuivra après moi  » ? En laissant un jardin plus fleuri, en s’appropriant des valeurs morales et sociales plus altruistes, on pourra peut-être dire qu’on a réussi… On peut donc réussir sa vie en étant à l’écoute de soi, de son cœur et non plus uniquement des codes sociétaux. Redonner du sens, réenchanter nos vies, et pourquoi ne pas trouver une réponse à la question : pourquoi sommes-nous là ?

Polliniser le monde

Polliniser le monde

Par Mary B. Photos : Viviane Sassen, Ou une autre façon de rendre le monde meilleur, de faire bouger les choses, juste en rendant un petit service autour de nous… Utopiste ? En regardant un reportage sur les abeilles, une chose essentielle m’est apparue : cet insecte, du haut de ses quelques centimètres, joue un rôle capital dans notre écosystème. Bien que la célèbre phrase attribuée à tort ou à raison à Einstein, stipulant que sans les abeilles, l’humanité disparaîtrait au bout de quatre ans, ne soit pas vérifiée, il est certain qu’elles contribuent à notre qualité de vie. Comment ? En concourant à la richesse de notre écosystème, en permettant une diversité de végétaux et de fleurs. Un essaimage du pollen qui permet la reproduction des plantes. Une action diffuse qui permet à cette espèce, à son niveau, d’agir sur le monde. Mais nous ? Qu’est-ce que le monde peut attendre de nous ? À l’instar de l’idée de Trevor, héros du film de Mimi Leder, «  Un monde meilleur  », la réponse pourrait être « de le façonner selon nos idéaux ». Prenons l’exemple de ce personnage, qui du haut de ses 12 ans, prend à cœur son exercice de travaux pratiques «  Think of an idea to change the world, and put it into action.  » (Pense à une idée pour changer le monde et applique-la.) Ce film sorti en 2000 a aujourd’hui plus de 20 ans, mais son concept reste à mon sens intemporel, et encore nécessaire. Dès que quelqu’un accompli une chose, aussi infime soit-elle, mais qui change et compte beaucoup pour nous, il nous faut passer le relais auprès de trois personnes, la loi des nombres s’applique, cela se démultiplie, et crée ainsi un essaimage de bonnes actions, de personnes transformées et pourquoi pas… un monde meilleur. On ne change pas le monde à douze ans, mais on peut tenter de redonner espoir à son entourage. Parfois, pour cela, il nous suffit d’observer les gens autour de nous, de prendre le temps de les connaître et de détecter ces petites choses qu'on pourrait faire pour les aider. Cela peut nous demander certes un effort, mais à long terme peut procurer tellement plus à l’autre. Être chef d’entreprise conscient, c’est peut-être aussi décider du changement que l’on pourra apporter par son entreprise, son concept, son initiative. © Britain Eriksen C’est sur la même dynamique qu’a été impulsée l’initiative du mouvement colibri de Pierre Rabh i , au sein duquel chaque personne est invitée « à faire sa part ». La fable de ce colibri nous enseigne que seul, on ne peut « éteindre l’incendie », mais que si tout le monde s’y met, les choses peuvent être différentes. On l’applique certes au quotidien, mais est-ce valable aussi dans le monde du travail ? Être chef d’entreprise conscient, c’est peut-être aussi décider du changement que l’on pourra apporter par son entreprise, son concept, son initiative. On ne parle pas ici du mécénat ou du sponsoring et des actions de solidarité en parallèle, mais bien du quotidien. Ce n’est pas amoindrir l’objectif de faire des bénéfices, mais c’est savoir que chaque jour, on contribue d’une manière ou d’une autre à apporter de l’espoir. Nous avons la capacité via ce que nous créons, offrons et vendons de « faire sa part » dans un écosystème en constant mouvement. Cela peut s’appliquer aussi bien dans le management que dans l’offre que l’entreprise propose. Mais comme les abeilles, peu importe la fleur, ce qui compte, c’est essaimer, distiller, autour de nous, afin que la différence se cultive, fleurisse. En effet, que serait un jardin avec une végétation de même couleur, des fleurs d’une seule et même espèce, si ce n’est un tableau monochrome et sans saveur… Alors, et vous, à qui allez-vous passer le relais ?

Mickaël Gélabale et le culte de la performance

Mickaël Gélabale et le culte de la performance

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Que ce soit en affaires ou dans le milieu sportif, le dépassement de soi est une notion qui fascine, car c’est elle qui permet de tout donner quitte à souffrir un peu, beaucoup, avec passion, sûrement avec folie. Tout cela dans l’unique but d’atteindre un objectif : le but ultime. Par définition, le dépassement de soi est l’exploitation du champ des possibles et de l’atteignable en dehors de ce qui nous semble possible et réalisable, en dehors des limites, celles du concevable. Mais qui fixe les limites dans cette quête de dépassement ? Le corps ou le mental ? En vérité, la notion de limite relève d’une expérience subjective, celle de la transgression, l’épuisement et du découragement si bien physique que psychique. L’un et l’autre ne sont qu’un et se développent ensemble, constamment. Et si l’entrepreneur est souvent comparé au sportif de haut niveau en cause des ressorts de la réussite qui sont les mêmes : endurance, abnégation, esprit de compétition, rigueur, discipline, capacité à surmonter des échecs et à travailler en équipe… Et quand bien même, chacun apprécie de manière personnelle ses performances, c’est le sentiment de s’être dépassé et la fierté qui en émane qui sont jouissifs. Ainsi, la recherche de performance est finalement plus contre soi-même que contre les autres. Le culte de la performance ne serait donc que le moyen d’atteindre un idéal fondamental réunissant autonomie, initiative individuelle et réalisation personnelle dans ses actions et activités. Entre hargne et larme nourrissant l’exaltation du tout monde, le dépassement de soi symbolise en réalité un phénomène révélateur de notre société : la quête d’excellence accomplie dans le « faire mieux », la réussite sociale et personnelle définie par le « culte de la performance », l’idée devenue commune qu’on puisse en toutes choses, et en l’occurrence dans le sport comme dans l’entrepreneuriat se dépasser. Le sociologue, Alain Erhenberg , à l’origine de l’expression «  le culte de la performance  », explique le choix du mot culte, dans la mesure où la performance constitue un nouvel imaginaire social, une « mythologie », au sein de laquelle tout un chacun peut trouver une porte de sortie à l’aliénation que provoque la société. Cet imaginaire se résume à un gain substantiel d’autonomie dans les tâches quotidiennes ou laborieuses. Autrement dit, la recherche de la performance revient à consacrer la personne et son épanouissement, ainsi que sa capacité d’initiative et de réalisation. Le culte de la performance ne serait donc que le moyen d’atteindre un idéal fondamental réunissant autonomie (opposée à l’aliénation), initiative individuelle (opposée à la subordination imposée par les hiérarchies par exemple) et réalisation personnelle dans ses actions et activités (c’est-à-dire donner un sens à ce que l’on fait et ce que l’on est). Et Mickaël Gélabale, ancien basketteur international, s’est bien acquis de cette notion « du dépassement de soi », du culte de la performance, conjurant le mauvais sort avec toujours la volonté d’atteindre des objectifs fixés, toujours plus haut. Et du haut de ses 2,01 m et de ses 37 ans, le jeune homme qui comptabilise aujourd’hui 45 matches en NBA, 51 en Euroligue et 156 sélections en équipe de France n’a cessé de se surpasser, de dépasser ses limites tant psychiques que physiques avec comme seule ambition réussir. Et même si ses plus belles années sont désormais derrière lui, l’ancien international originaire de la ville de Pointe-Noire n’en reste pas moins l’un des piliers du basket-ball français. Rencontre d’une légende vivante, d’un compétiteur adepte du perfectionnisme… Auriez-vous, ne serait-ce un instant, imaginé un tel parcours ? À mes débuts, je n’imaginais pas un parcours comme celui-là. En fait, je n’étais même pas conscient de pouvoir en faire un métier. Tout cela est venu bien plus tard. Au départ, j’ai simplement pris en exemple mon frère et ma sœur qui ont pratiqué le basket-ball avant moi. S’ils avaient fait de la musique, j’aurais peut-être été musicien, au moment où je vous parle (rires). À quel moment, vous êtes- vous dit que vous vouliez devenir l’un des meilleurs, ou le meilleur ? L’appétit est venu en mangeant. C’est sans doute en catégorie Espoir que mes ambitions se sont affirmées. J’allais assister aux matchs des pros, à Cholet. J’ai mieux compris les contours de ce métier et j’ai voulu me donner les moyens d’y accéder. C’est peut-être à ce moment-là que j’ai eu le petit surcroît de motivation qui aide à faire la différence et à s’entraîner un peu plus dur que les autres. J’ai accepté de sacrifier mon corps pour aider à atteindre un objectif commun. Aujourd’hui, on a le sentiment que l’enjeu du sport ce n’est plus le plaisir ni même la santé, mais l’invention d’un homme nouveau : capable de dépasser les contraintes physiques de sa condition pour s’élever au rang quasi divin d’un Hermès aux sandales ailées. Mais à trop vouloir s’envoler, dépasser ses limites, ne prend-on pas le risque de se brûler les ailes ? Faut-il vraiment accepter cette injonction du sport au seul dépassement de soi ? Il faut surtout être conscient de ses propres limites. Les blessures sont très présentes dans le parcours d’un athlète de haut niveau. Il faut aussi être en empathie avec tout ce qui fait la performance au quotidien : l’état de son corps, de ses pensées, les conseils de ses entraîneurs et des thérapeutes de toute sorte. Quelque part, nous essayons de nous rapprocher des limites sans les franchir pour autant. Au cours de votre carrière, quand avez-vous eu le plus envie de dépasser vos limites pour atteindre votre objectif, la gagne ? J’ai joué la finale d’un Euro avec deux ligaments distendus… Il y a des moments pour lesquels on s’entraîne toute une carrière. Je ne pouvais pas y renoncer ! J’ai accepté de sacrifier mon corps pour aider à atteindre un objectif commun. Mais se surpasser, se faire violence, engendre-t-il forcément une phase de douleur pour accéder à un état de bien-être ou accomplir un objectif ? La douleur, sous des formes diverses, fait partie de notre quotidien. C’est un passage obligé pour atteindre la performance. Je suis passé par tous les états : la colère, le dépit et peut-être aussi la révolte pour pouvoir me remettre en cause et repartir de zéro. Selon vous, le mérite est-il vraiment une affaire d'efforts ? Dans le sport, ça l’est souvent. La vérité du terrain prend généralement le pas sur tout le reste. Les passe-droits ne durent jamais bien longtemps. Je crois beaucoup à l’effort et à l’envie dans notre métier. En tant que sportif de haut niveau, n’avez-vous pas le sentiment de trop souvent vous définir qu’au travers de vos performances ? Oui et non. Notre attitude dans la victoire comme dans la défaite compte beaucoup elle aussi. Avec l’âge, ce que nous bâtissons hors des terrains prend aussi toute sa valeur. On parle souvent de bons moments dans une carrière. Avez-vous aussi connu des moments particulièrement difficiles ? Intégrer le cercle très fermé des joueurs de la NBA a été un vrai bonheur. Ma rupture des ligaments croisés deux ans plus tard n’en a été que plus douloureuse. Dix-huit mois de convalescence… Je suis passé par tous les états : la colère, le dépit et peut-être aussi la révolte pour pouvoir me remettre en cause et repartir de zéro. De ces moments difficiles, vous est-il arrivé d'envisager de mettre un terme à votre carrière ? Pas réellement. Je suis aussi un amoureux de mon sport. J’aurais continué à jouer au basket-ball, quel que soit le niveau auquel j’aurais évolué. Les difficultés, apportent-elles une saveur particulière à la victoire ? Oui, c’est une évidence. Après deux années de galère, remporter le titre de Champion de France avec Cholet (avec un titre de MVP de la finale à la clé) gardera une saveur toute particulière dans mon esprit. Votre départ à la retraite à l'internationale n’a pas vraiment été de votre goût, car il s’est acté après votre élimination en quart de finale, en équipe de France, face à l’Espagne, lors des JO de Rio en 2016. Peut-on alors parler d’échec, pour vous qui vouliez tant partir sur une victoire ? Non, il faut relativiser tout ça. La fin n’a certes pas été aussi belle qu’on l’aurait souhaitée. Pour une équipe qui repart des JO par la grande porte, il y en a beaucoup d’autres qui n’ont pas la chance d’atteindre ce Graal. Existe-t-il un moyen d’anticiper ses failles et de se prémunir contre l’échec ? L’échec fait partie du sport. On peut tenter de s’en prémunir, mais il faut aussi parfois accepter les défaites. On apprend beaucoup plus, selon moi, de ses échecs que des victoires que l’on accumule. Le basket-ball comme toutes disciplines sportives côtoie aisément échec et réussite. Mais en vérité, n’est-il pas préférable d’échouer seul plutôt qu’en équipe ? L’essence de ce sport est collective. On gagne et l'on échoue en tant que groupe. C’est aussi ça la beauté des aventures auxquelles je participe. Aujourd’hui, vous pratiquez votre discipline en Pro A à l’Élan Chalon. Peut-on parler de nouveau départ ? C’est surtout une continuité. J’ai prolongé mon contrat dans un club qui me fait confiance et dans lequel je me sens bien. Je ne cours plus beaucoup après les honneurs individuels. L’objectif est donc surtout de remporter le titre de champion de France avec ce groupe. Finalement, ce dont je peux être le plus fier c’est d’avoir répondu positivement face à l’adversité. C’est peut-être la définition la plus universelle qu’on pourrait donner à la réussite. À l’image de l’entrepreneur, on a souvent la perception de l’athlète qui se construit seul, qui performe sur sa seule motivation, son envie de réussir. En réalité, votre parcours, vos réussites, cette ascension fulgurante dans votre discipline reposent-ils uniquement sur vos seules prédispositions et cette éternelle envie de se dépasser ? Ce n’est qu’une perception extérieure. Nous ne sommes que la partie visible de l’iceberg. Derrière nos propres dispositions, il nous faut nous appuyer sur une foule de techniciens, agents, préparateurs, thérapeutes… Nos accomplissements sont aussi beaucoup les leurs. Lorsque l’on est manager ou encore capitaine, quels sont les mots à prononcer pour permettre à ses équipes de se surpasser ? Je n’aime pas les discours formatés. Un bon meneur d’hommes sait faire preuve de charisme dans les moments clés, en adaptant son discours et sa posture au groupe qu’il a en face de lui. L’entrepreneuriat, est-ce là une aventure qui pourrait vous séduire ? Je n’y suis pas fermé. J’ai quelques projets en tête. Mon approche est un peu la même qu’au haut niveau. Il faudra bien se préparer pour maximiser les chances de réussite. Enfin, quelle est votre vision de la réussite ? Et pensez-vous avoir vous-même réussi ? Je trouverais dommage de lui donner une définition unique. En tant qu’athlète, j’ai gagné quelques titres et rempli plusieurs de mes objectifs. Finalement, ce dont je peux être le plus fier c’est d’avoir répondu positivement face à l’adversité. C’est peut-être la définition la plus universelle qu’on pourrait donner à la réussite.

Le cheveu crépu

Le cheveu crépu

Par Safia Enjoylife Photo : Claire Guillon La nature est parfaite, chacune de ses créations est adaptée et efficace. Le cheveu crépu est apparu en Afrique dans une région particulièrement exposée au soleil. Son rôle est de protéger le crâne de l’être humain contre l’insolation. C’est également un casque isotherme, car en s’enroulant sur lui-même non seulement il retient l’eau transpirée et évite une déshydratation trop rapide, mais il permet de rafraîchir le crâne lors des moments de chaleur extrême. En plus de détruire leur chevelure et toute la symbolique identitaire qui s’y rattachait, les esclavagistes ont également martelé pendant des siècles que le cheveu crépu est sale, repoussant, ou tout au moins ridicule. De ce fait, le cheveu crépu est parfaitement adapté à l’environnement où l’être humain est apparu. Avant que les Européens ne saccagent l’estime du cheveu crépu, ce dernier tenait une place fondamentale dans toutes les sociétés africaines depuis les toutes premières civilisations sophistiquées. En effet, au-delà de la valeur esthétique, les coiffures exprimaient différents traits identitaires comme l'appartenance ethnique, le sexe, la tranche d'âge, l'état matrimonial, le rang social ou encore les moyens financiers. © J.D Okhai Ojeikere Lorsque les Africains ont été déportés vers les Amériques, vu les conditions de transport, leurs cheveux se sont emmêlés. À l’arrivée, l’aspect hirsute a provoqué quasi systématiquement le rasage intégral de la chevelure des hommes et des femmes. Cet acte a été vécu par les Africains comme la première négation de leurs identités, avant même que leurs noms soient changés et leurs langues interdites. En plus de détruire leur chevelure et toute la symbolique identitaire qui s’y rattachait, les esclavagistes ont également martelé pendant des siècles que le cheveu crépu est sale, repoussant, ou tout au moins ridicule. Une vaste propagande s’est d’ailleurs répandue en Europe et en Amérique par des images caricaturales. Les personnages noirs y étaient systématiquement représentés chauves ou avec des cheveux hirsutes. L’association d’idées a fini par intégrer les esprits : le cheveu noir n’est pas présentable. C’est l’exemple que nous donnons aujourd’hui et c’est le fonctionnement que nous transmettons maintenant qui libéreront demain nos enfants et après-demain les enfants de nos enfants de la mésestime d’eux-mêmes. Alors, soyons crépus et fiers ! Les techniques de transformation du cheveu crépu ont donc commencé à se développer. Il y a d’abord eu les fers à repasser pour lisser de façon temporaire, puis ça a évolué vers les crèmes défrisantes pour un lissage permanent. Aujourd’hui, les perruques et les tissages se sont rajoutés à la liste des artifices capillaires. Quel que soit le procédé employé, l’objectif reste le même : faire disparaître ce cheveu crépu ridicule et laid. Malgré une prise de conscience progressive sur les qualités du cheveu crépu, son mépris tente de perdurer. La récente mode des « baby hair » œuvre dans ce sens puisqu’il s’agit encore de donner l’illusion d’un phénotype capillaire autre que crépu. © Lens Frazier Concernant les femmes, les 3 principales raisons pour lesquelles elles transforment leurs cheveux crépus sont infondées. D’abord, ce cheveu serait difficile à coiffer. Faux ! Les peignes et les produits dont disposaient les générations précédentes n’étaient pas adaptés à la constitution du cheveu crépu, car ils étaient destinés au cheveu caucasien. Toutes les femmes noires qui ont abandonné les gammes et les instruments européens en faveur des huiles, beurres et composants qui correspondent à leur type de cheveu ont découvert que leur chevelure peut être souple et soyeuse. Toutes celles qui ont adopté la manière appropriée de manipuler et de soigner leurs cheveux ont découvert leur facilité d’entretien. La seconde raison est que la transformation du cheveu crépu donnerait un accès à un plus grand choix de coiffures. Faux ! De nos jours, en quelques clics, on accède gratuitement à des tutoriels vidéo qui proposent des milliers de coiffures à réaliser sur les cheveux naturels. Ces modèles sont très faciles à reproduire. Enfin, la dernière raison est le souhait de correspondre aux standards occidentaux afin de garantir son intégration dans la société et ainsi obtenir un emploi, un logement ou même être séduisante aux yeux des hommes, y compris ceux de l’homme noir. Sur ce dernier point, je n’ai pas d’alternatives simples à proposer, car c’est un combat laborieux qu’il faut mener avec une grande conviction. Néanmoins comme dans d’autres sphères marginalisées, c’est en devenant de plus en plus visibles et présentes que les chevelures crépues créeront leur place dans la norme. © Sloane © Jamie Morgan Les hommes ne sont pas en reste concernant la transformation de leur chevelure. Combien de célébrités du sport et de la musique ont troqué leur authenticité pour un blond platine jusqu’au bout de la barbichette ? Et l'on croise tous les jours ceux qui ont opté pour des procédés qui ondulent leurs mèches et font croire à un métissage fantasmé. Le dégât le plus insidieux auquel le mépris du cheveu crépu a donné lieu dans l’esprit de certains hommes noirs c’est le culte de tous les phénotypes capillaires pourvu qu’il ne soit pas africain. Cette tendance est tellement prégnante qu’on pourrait se demander si à force de choisir des femmes blanches, métisses, asiatiques ou latinos pour compagnes, ce ne sont pas ces hommes noirs qui ont conduit certaines femmes noires à transformer leurs cheveux dans le but de devenir attirantes. Le grand paradoxe c’est que malgré des siècles de conditionnement mental pour renier le cheveu crépu, l’importance du cheveu n’a pas faibli dans la communauté noire. On remarque que la femme noire investit énormément de temps et de moyens dans ses cheveux qu’ils soient naturels ou transformés. L’homme noir quant à lui va chez le coiffeur plus régulièrement que n’importe quel individu d’une autre communauté. D’ailleurs avez-vous remarqué que le salon de coiffure est souvent représenté dans la culture noire ? Parmi les exemples les plus célèbres, on peut citer le film «  Poetic justice  » avec Tupac Shakur et Janet Jackson en 1993, la vidéo de la chanson «  Bills bills bills  » des Destiny’s child en 1999, la chanson «  Seven days  » de Craig David en 2000, le film «  Barbershop  » avec Ice Cube en 2002, ou encore l’hommage à Missy Elliott à la cérémonie des Hip Hop Honors en 2007. L’importance accordée à la chevelure par la communauté noire n’est pas anodine. La symbolique identitaire et spirituelle est sans doute toujours inscrite dans l’information génétique des individus. (…) lorsqu’un enfant manipule une poupée noire qui porte des locks, des tresses ou un afro, c’est un pas de plus vers l’appréciation de son propre phénotype.   Depuis quelques années, l’image négative dont le cheveu crépu a souffert commence à s’estomper grâce aux célébrités qui ont popularisé les coiffures afrocentrées. La figure la plus emblématique est certainement l’actrice kényane Lupita Nyong’o. Cette évolution de la représentation du cheveu crépu concerne aussi les célébrités caucasiennes puisque nombre d’entre elles montrent un intérêt grandissant pour les coiffures africaines. On peut citer les cheveux crêpés de Iggy Azalea, les nattes de Chrisina Aguilera, les tresses de Kim Kardashian, ou encore les locks de Miley Cyrus et Lady Gaga. Cette récente popularisation du cheveu noir a provoqué un retour au naturel massif. @   Lupita Nyong'o ©  Chloe X Halle's Des femmes de tout âge prennent chaque jour la décision d’abandonner le défrisage ou les tissages. D’autres se marient avec les cheveux crépus alors que c’était perçu comme totalement inapproprié il y a peu de temps. Enfin, de plus en plus de femmes arborent des cheveux crépus dans des carrières médiatiques comme le journalisme, le cinéma et le mannequinat, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années. Ce retour au naturel a d’ailleurs induit un essor important des produits capillaires adaptés au cheveu crépu. Des gammes complètes fleurissent partout dans le monde et notamment aux Antilles et en Guyane. Des professionnels et des salons se forment également pour apporter expertise et efficacité à leur clientèle. Ainsi après avoir été rasé, nié, humilié, traumatisé, endommagé et diffamé pendant des siècles, il semble que finalement un bel avenir soit promis à la perception du cheveu crépu. Au-delà des célébrités qui rendent les coiffures africaines tendance, au-delà de l’essor des produits de soins pour cheveux crépus, un autre aspect se développe et permet à la nouvelle génération d’être fière de ses cheveux naturels, ce sont les jouets et les livres. En effet, lorsqu’un enfant manipule une poupée noire qui porte des locks, des tresses ou un afro, c’est un pas de plus vers l’appréciation de son propre phénotype. Dans le même esprit, de plus en plus de livres pour enfants émergent avec des messages qui valorisent le cheveu crépu. Ces deux démarches conjuguées contribuent considérablement au regain de l’estime pour le cheveu crépu. Et la superproduction hollywoodienne « Black Panther » a achevé d’enclencher la révolution qui rend sa noblesse au cheveu crépu ! Absolument, tous les personnages noirs de ce film arborent des coiffures africaines plus fascinantes les unes que les autres. Non pas que ce soit le premier film à accorder une place prépondérante au cheveu crépu puisque la blaxploitation s’en est donnée à cœur joie dans les années 70, mais c’est le premier à avoir un public généraliste et mondial. Ainsi après avoir été rasé, nié, humilié, traumatisé, endommagé et diffamé pendant des siècles, il semble que finalement un bel avenir soit promis à la perception du cheveu crépu. Même si le chemin s’annonce encore long et laborieux, restons confiants quant à son triomphe sur la domination idéologique qui impose des standards de beauté caucasiens au monde entier depuis 500 ans. Nous devons guider la prochaine génération en lui présentant des modèles de force, de ténacité et de réussite qui portent des cheveux crépus. Nous devons lui mettre entre les mains des jouets qui lui ressemblent et des livres avec des personnages auxquels elle peut s’identifier. Nous devons lui confier les clés des cadenas apposés sur son esprit. Ces cadenas sont les clichés, les stéréotypes, les caricatures et le racisme ordinaire qu’elle côtoie quotidiennement dans les médias, à l’école ou à l’église. C’est l’exemple que nous donnons aujourd’hui et c’est le fonctionnement que nous transmettons maintenant qui libéreront demain nos enfants et après-demain les enfants de nos enfants de la mésestime d’eux-mêmes. Alors, soyons crépus et fiers ! À voir

Lorsque la fabrique à symbole est en panne

Lorsque la fabrique à symbole est en panne

Par Caroline L. Photos : David Suarez Étant blogueuse, j'ai l'habitude d'écrire souvent. Je trouve l'inspiration assez facilement, mais lorsque j'ai dû écrire sur la Guadeloupe, entre autres, j'ai été victime du syndrome de la page blanche et je me suis remise entre les mains de madame procrastination. Non pas parce que j'étais trop paresseuse (enfin si un peu quand même… Mais ce n'est pas le sujet de l'article !), mais surtout parce que c'était la première fois qu'on me demandait d'écrire sur la Guadeloupe… sur ma Guadeloupe. Pour être honnête, c'est un sujet que j'ai souvent évité. Il aurait été facile pour moi de présenter cette petite île à la blogosphère, mais je ne l'ai pas fait. Pourquoi ? Tout simplement, parce que très tôt je me suis mise dans une « diaspora mentale ». C'est triste à dire : mon corps est en Guadeloupe, cependant mon esprit est aux quatre coins du globe. Au moment où je me suis décidée à parler de la Guadeloupe telle que je la vois, j'ai commencé à réfléchir à ce terme (que 99,9 % des Guadeloupéens doivent connaître) : « Guadeloupe, Terre de Champions ». Google m'informe qu'un champion est l'« ardent défenseur d'une cause » et/ou une « personne remarquable, de qualité exceptionnelle » et moi je rajouterais, une personne en laquelle les autres peuvent s'identifier. À la lecture de ces définitions, j'ai commencé à remettre en question ce terme « Terre de Champions ». On l'entend partout, souvent, on s'en vante d'ailleurs. Mais il ne semble pas résonner dans nos oreilles ni dans nos vies, peut-être la preuve qu'il n'est pas si évident que ça. De plus, j'ai toujours trouvé cette expression extrêmement réductrice, dans le fond. (…) nos sociétés antillaises mettent en valeur principalement les acteurs du divertissement. En général, lorsque nous acclamons une célébrité guadeloupéenne, elle évolue soit dans le monde de la musique ou du sport. Ce qui révèle le fait que nos sociétés antillaises mettent en valeur principalement les acteurs du divertissement. Je ne sais pas pour vous, mais moi, je ne me suis jamais identifiée à un de nos champions. On ne connaît pas ou alors que très peu leurs histoires personnelles. Cela explique certainement le fait que la plupart de nos héros, modèles, personnes en lesquelles nous nous identifions ne sont pas Guadeloupéens, ni même antillais. En 1993, Maya Angelou a récité son poème « On the Pulse of Morning » lors de l’investiture de Bill Clinton. © Larry Morris/The Washington Post © Stephen Parker/Alamy À quel moment ai-je mis de côté mon identité antillaise pour me construire avec d'autres influences ? Je crois que cela a commencé depuis toute petite. Je me revois chérissant mes poupées Barbie (blanches et longilignes) plus que ma propre vie. Aujourd'hui, ça n'a pas réellement changé puisque si vous me demandez quelles sont les personnalités qui m'inspirent, je vous répondrai certainement Maya Angelou, Helen Keller, Lupita N'yongo, Oscar Pistorius (avant qu'il ne tue sa fiancée, of course.). Je suis certaine de ne pas être la seule dans ce cas. Le problème est que nous limitons nos champions à leurs exploits. (…) nous avons une vision trop superficielle du champion dans nos sociétés antillaises. Par conséquent, ils sont peu assimilés à des moteurs de développement. Parlons par exemple d’Admiral T. Au-delà de l’image du gars qui est à l’apogée de sa carrière et qui fait danser le Zénith entier, Admiral T vient du ghetto. Je veux dire, avec une histoire comme la sienne on aurait pu faire un véritable symbole de combativité pour la jeunesse ! Au lieu de ça, il est le plus souvent réduit à un moyen de divertissement. Bon, je sais bien, une école a été baptisée à son nom. Et après ? Lorsque je passe devant cet établissement, je ne pense pas à ce jeune venant du ghetto qui a été assez courageux pour réaliser ses rêves coûte que coûte. Non. Je pense à un homme populaire qui gagne bien sa vie. Est-ce ce dont nous avons besoin, nous, jeunes Guadeloupéens ? Je laisse à chacun le soin de répondre. Si vous interrogez un jeune Américain sur les personnalités auxquelles il s’identifie, je suis prête à parier que la plupart viendront des États-Unis. © Collection personnelle Jocelyne Beroard Cependant, si la même question est posée à un jeune Guadeloupéen ça m’étonnerait qu’il réponde Patrick Saint-Eloi ou Laura Flessel. En tout cas, ce ne seront pas les premiers noms qu’il aura en tête. La différence est que la société américaine sait se servir de ses champions pour en faire des mythes, des symboles. Qu’en est-il de nous ? Peut-être que notre machine à symboles est cassée ? Elle reste bloquée à la phase « champions ». Mais, je veux rester lucide et m’inclure dans le lot. Nous jouons souvent la carte de la mauvaise foi. Lorsque l’affaire Cédric Cornet a surgi brutalement, les esprits se sont réveillés pour prendre part à ce fait « juteux », et les actions qu’il a faites pour la Guadeloupe et surtout pour la jeunesse ont semblé lointaines, presque comme si elles n’avaient jamais existé. Si les accusations se révèlent vraies, cette image symbolique de cette jeunesse prenant une part active dans la vie politique de son pays sera oubliée, pour ainsi laisser place au stéréotype du trentenaire influent qui a une relation interdite avec une mineure. Évidemment, si Cédric Cornet est coupable je n’excuserais en rien son comportement, mais je trouverais dommage de passer aux oubliettes des actions audacieuses et innovantes. La conclusion qu’il faudrait tirer de cette histoire est que nous avons une vision trop superficielle du champion dans nos sociétés antillaises. Par conséquent, ils sont peu assimilés à des moteurs de développement. Je pense que cette montée de violence et de décadence de la jeunesse antillaise est due à cette mauvaise exploitation, qui d’ailleurs engendre une crise identitaire. Qui sommes-nous vraiment ? À qui voulons-nous ressembler ? Lorsqu’on me parle de champions antillais, je ne vois que de grandes performances et quelque part, ce n’est pas normal. J’aurais souhaité voir des symboles de combativité, d’endurance, d’espoir. J’aurais aimé voir en eux de grands frères, des grandes sœurs dont les histoires personnelles me rappellent que tout est possible à celui qui y croit. Évidemment, il y a des choses merveilleuses et des gens extraordinaires aux Antilles. Mais aujourd’hui, c’est ce dont j’avais envie d’écrire sur ma Guadeloupe… cette Terre de Champions.

Ma fille ne sera pas une femme potomitan

Ma fille ne sera pas une femme potomitan

Par Caroline L. Photo : Paul Strand Le modèle de la femme potomitan a traversé les générations en s’ancrant dans nos idéaux en passant par les cuisines et les chambres des enfants, lieux phares de cette femme pilier. Ce «  CDI de femme Potomitan  » a été souvent vu comme la couronne qui orne la tête de la mère, reine du foyer, mais n’est-il pas en réalité les chaînes qui la condamneront à être l’esclave de cette société patriarcale ? Cette expression a en réalité une résonance très trompeuse. À première vue, ce terme «  Potomitan  » semble renvoyer à quelque chose de très symbolique, presque féministe «  Mère Courage  », «  Famn Doubout  ». Le poteau de cette fondation ancestrale qu’est la famille. Mais il suffit de regarder de plus près pour comprendre que ce rôle n’est qu’une énième clause abusive qui attache la femme à son contrat de mère et d’épouse. Ce modèle familial a émergé à l’époque postcoloniale où se sont imposées par la même occasion la figure de l’homme «  semeur de graines  » et de la femme prenant ses responsabilités sans jamais faiblir. Femme courage, père déserteur. Ce rôle d’héroïne sociale n'est finalement que subalterne. La femme ne doit pas se donner le droit d'exister qu'à travers le prisme de la maternité et éventuellement, celui du mariage. Si l’on accorde à la femme, cette qualité qu'est le courage il faut reconnaître que cette réaction n'est que la résultante du choix de l'homme. Elle prend la relève après son départ sans avoir eu réellement la possibilité de choisir. L'homme aurait donc le droit d'être incertain et léger tandis que la femme devrait se tenir prête à en assumer les conséquences. L'homme a le droit de partir, la femme a le devoir de rester, "c'est comme ça". Du moins, c'est ce que l'on observe et cautionne sans trop se poser de questions. Bien que ce modèle archaïque tend à se moderniser de plus en plus et que les rôles, parfois, s'inversent, la femme reste encore jugée bonne ou mauvaise en fonction de son rapport à sa famille. Ce qui est paradoxal, voire hypocrite, dans nos sociétés antillaises est que l'on est prêt à reconnaître à la femme des qualités de leader, mais essentiellement dans un contexte familial. © Renée Thompson « Fo on madanm tchenn plas ay ». Aujourd'hui, les Antilles représentent un espace social où modernité et traditions se confondent et s'entrechoquent. Bien que timide, on remarque une évolution étouffée par des contradictions tenaces. Cette contradiction s'exprime surtout dans le choix de nos modèles. D'un côté, on admire ces femmes de caractère qui ont su s'imposer dans un milieu d'hommes telles que Lucette Michaux-Chevry, Christiane Taubira ou encore Gerty Archimède, mais de l'autre on fait l'amalgame entre fort caractère et réelle émancipation féminine. Il suffit de voir les nouvelles représentations de la femme noire dans les séries télé. L'une est certes, brillante, mais reste la maîtresse du Président, la femme de l'ombre (NDLR Olivia Pope : Scandal), l'autre a bâti son empire à partir d'un trafic de drogues (NDLR Cookie Lyon : Empire) . Le rôle de la femme aux Antilles est fragmenté par cette atmosphère sociale qui la réduit inévitablement à être "un potomitan" familial et par cette liberté partielle qui l'autorise à vivre ses passions et ses désirs. En effet, la femme est encouragée à aller le plus loin possible dans ses études, mais doit garder en tête comme une échéance fatidique le jour où elle sera mère et épouse. Elle est appuyée dans son désir d'indépendance financière, mais pas trop, de peur de vexer l'homme qui est ou sera avec elle. Dans l'une de ses chansons, le chanteur Kalash dépeint le visage ou plutôt le stéréotype de la nouvelle image de la femme antillaise : l'Independant Gyal. Elle a la trentaine, et est représentée par une chef d'entreprise intransigeante, "matérialiste qui n'aurait besoin de personne". On pourrait opposer cette définition de l’indépendance féminine à celle de la femme potomitan, pourtant ces deux aspects de la femme se ressemblent plus qu'ils ne s'affrontent. La femme poto-mitan et l'independant gyal sont soumises au regard et aux attentes masculins, et là encore, être une "independant gyal" ne reviendrait qu'à donner vie à un fantasme inventé par les hommes, le terme "gyal" étant péjoratif et dégradant. Le rôle de la femme aux Antilles est fragmenté par cette atmosphère sociale qui la réduit inévitablement à être "un potomitan" familial et par cette liberté partielle qui l'autorise à vivre ses passions et ses désirs. Alors, peut-on parler véritablement d'émancipation féminine ? La question doit se poser surtout, lorsque de plus en plus, l'image de la femme noire antillaise est un concentré de concours de miss et de figurantes dans les clips musicaux. Ce phénomène ralentit l'évolution et n'est pas sans rappeler le mouvement « Sois belle et tais-toi ». De plus, encourager la femme à mesurer sa beauté face à celle d'autres femmes ne fait que les objetiser et les réduire au statut de fantasmes et de canons de beauté. Ces contradictions et ces confusions dans la question du rôle social de la femme sont le résultat d'une éducation souvent basée sous le signe de la bienséance et du paraître. Elle "se doit d'être comme cela ou comme ceci", mais il serait temps d'accorder à la femme le doit d'être, tout simplement, et celui d'exister par et pour elle-même.

Le singe en nous, c’est pour qui la banane ?

Le singe en nous, c’est pour qui la banane ?

Par Jean-Claude Barny réalisateur, acteur, scénariste Photo : Dan Beleiu On peut sortir le singe de la jungle, mais on ne peut pas sortir la jungle du singe. Pour bien comprendre le second degré de cette phrase, il faudrait déjà que nous soyons tous d’accord avec la «  théorie de l’évolution  » de Darwin selon laquelle l’homme descend du singe. Donc si nous descendons tous du singe, certains savants ont cependant maintenu, pendant des siècles, l’idée que nous n’avions pas tous suivi de la même manière cette évolution, en particulier l’homme noir. Cela a notamment permis de légitimer l’esclavage, mis en place dans le cadre du commerce triangulaire, pour répondre à l’exploitation économique du sucre. Rendre l’autre inférieur pour justifier sa mise en servitude, en lui déniant toute propension à l’émotion, au raisonnement, et cela avec la caution morale de l’Église. Aujourd’hui, la banane peut apparaître comme le symbole de ceux qui n’ont pas admis, hélas, « que tous les hommes naissent libres et égaux en droit ». L’humanité a traversé plus de 400 ans avec ce traumatisme : de part et d’autre, aussi bien chez l’homme blanc que chez l’homme noir. Ce qui m’amène à douter qu’aucune réconciliation collective ne puisse être sincère. Même si, bien sûr, il y a eu une loi reconnaissant la traite négrière , portée avec force et courage par Christiane Taubira. On ne peut rien imposer, juste proposer. Pour une majorité de Français, la question de l’esclavage et de ses héritages actuels, n’est sans doute qu’une affaire de « Noirs ». Autour de ce débat, beaucoup n’ont pas saisi l’opportunité de s’interroger sur le fait, qu’au sein d’une même nation, et depuis des lustres, des citoyens puissent avoir une couleur de peau différente. Aujourd’hui, la banane peut apparaître comme le symbole de ceux qui n’ont pas admis, hélas, «  que tous les hommes naissent libres et égaux en droit  ». Les stades de football furent les premiers à montrer du doigt la différence supposée de l’homme noir : cris de singes et jets de peaux de banane ont fait leur triste apparition dans nombre de stades européens. Et cela a parfois gangrené le milieu politique, en Italie, aujourd’hui en France, où des serviteurs de l’État, alors même qu’ils sont parfois élus par le peuple, se font vertement renvoyer à leur condition de primate. Maurizio Cattelan's Comedian . © Rhona Wise/ EPA-EFE / Shutterstock Certains de nos hommes d’État, occupant parfois pour certains d’illustres fonctions, ont d’un faible mouvement de lèvre manifesté leur désapprobation face à de tels agissements. On aurait aimé que le bruit fût le même que celui entendu lorsqu'au nom de la laïcité, de nombreuses voix se sont élevées parce qu’une femme voilée gardait de jeunes enfants. Tout ceci tient en un mot : discrimination, et la France, comme un serpent qui se faufile entre les branches en a fait sa racine. Le but est-il de rassurer les Français de « souche », qui n’arrivent plus à se projeter dans un monde qui change rapidement, où les mutations économiques se cognent avec la disparition des frontières ? Certains voient aussi l’immigration, et ne se gênent pas pour le dire ouvertement, comme une invasion de barbares. Cette déferlante de prolétaires sacrifiés par l’Europe des technocrates viendrait piller leur grenier déjà bien vide. (…) il faut éduquer, replacer des Hommes noirs dans les hautes sphères, et surtout dans la jungle moderne : le petit écran. Oui, nous voulons des modèles, voir à travers notre miroir autre chose qu’un bouffon. La cohérence semble de mise… On vide, des médias hertziens, des émissions de grande écoute, tout intellectuel ou chroniqueur noir qui pourrait avoir une pensée ou une réflexion. La stratégie est de toujours présenter l’homme de couleur comme incapable de participer à un débat politique ou économique. Il doit être encore et toujours perçu comme un être distrayant, au service de la Nation, en animant par exemple des émissions sportives où d’anciennes gloires mettent en avant leur expertise. Le racisme vient aussi de cette démonstration du noir, de cette exposition de non blancs dans les zoos, il n’y a pas si longtemps que cela, où comme des animaux on les nourrit de… banane. © Jahi Chikwendiu Alors, oui, il faut éduquer, replacer des Hommes noirs dans les hautes sphères, et surtout dans la jungle moderne : le petit écran. Oui, nous voulons des modèles, voir à travers notre miroir autre chose qu’un bouffon. Nous n’avons aucun contre-balancement : pas d’intellectuel noir, ou si peu, invité à des émissions de réflexion sociétale ou politique. C’est là que doit commencer l’éducation. Présenter une image différente, au travers des médias télévisés, de notre société pluriculturelle, imposer la présence de toutes les communautés, au moyen d’une loi s’il le faut, pour que la représentativité ne soit pas un vain mot. Voilà ce qui doit changer, pour ne plus glisser sur une peau de banane…

La Région Guadeloupe à l'avant garde de l'innovation

La Région Guadeloupe à l'avant garde de l'innovation

Publireportage | Région Guadeloupe Inscrite comme un des axes forts du programme de la mandature du Président de la région Guadeloupe, Ary Chalus, l’aménagement numérique du territoire guadeloupéen entend contribuer fortement au désenclavement, mais aussi à l’attractivité du territoire, en répondant aux enjeux socio-économiques. Démocratiser l’innovation et la transition numérique, tel est le défi à relever ! Cette volonté a d’abord été déclinée tout au long de l’élaboration du Schéma Régional de Développement Economique d’Innovation et d’Internationalisation (SRDEII) piloté par la région Guadeloupe. Elle se matérialise par la garantie d’une couverture de l’ensemble du territoire en fibre optique d’ici 2022 dans le cadre du schéma d’aménagement numérique pour le très haut débit. À ce titre, la région Guadeloupe entend élargir le périmètre de déploiement de la fibre optique sur l’ensemble de sa zone d’intervention. Ceci va donc représenter une intervention sur 88 000 foyers, répartie sur 28 communes ; dont le raccordement des Îles du Sud en fibre optique. Enfin, elle est renforcée par la prise en compte des grandes orientations de la région pour accompagner les porteurs de projets et les entreprises, et mettre en place des outils nécessaires à l’animation du réseau régional d’innovation. Adossé à la pépinière d’entreprises innovantes Audacia, véritable écosystème de proximité à l’écoute du porteur de projet et qui repose sur une offre d’accueil-hébergement, l’installation prochaine de la Technopôle Caraïbes comme véritable pilier de l’écosystème et cœur de l’animation du réseau régional des acteurs de l’innovation répondra à cet objectif. Structurer l’offre de solutions de financement pour soutenir toutes les formes d’innovation. L’innovation apparaît comme l’apanage des entreprises à effectifs importants. Dans ce secteur, comme dans les autres, le manque de financement est le premier frein à l’innovation. Face à ces constats, la région Guadeloupe a procédé au renforcement de son éventail d’offre d’accompagnement des TPE-PME à l’innovation (technologique et non technologique) ainsi qu’à la création d’entreprises innovantes. Cela s’est traduit concrètement par la création, d’une part, d’une nouvelle offre d’instruments financiers, mais aussi par le renforcement des dispositifs existant dédiés à la création et au développement des entreprises, allant de l’amorçage pour les jeunes entreprises innovantes, au capital-risque, en passant par les prêts. Ainsi, c’est tout le sens donné à la création du prêt croissance TPE, en partenariat avec BPIfrance, et à destination des TPE (Très Petites Entreprises) et des PMI (Petites et Moyennes Industries). Doté de 1,5 M€, il permettra l’octroi d’un prêt d’un montant inférieur à 50 000 €. Ce prêt pourra intervenir en complément d’une aide régionale ou d’un prêt d’honneur. Il ne sera pas assorti de l’obligation d’obtention préalable d’un prêt bancaire. Les deux premières structures concernées par ce dispositif sont : An sa fé sa, dirigé par Yannick Jotham, qui a développé́ l’application mobile «  Carter  », plateforme communautaire proposant une mise en relation entre conducteurs et passagers pour effectuer des trajets de covoiturage et/ou de transports privés et Dylis Communication, dirigée par Claudy Lombion, qui développe une plateforme en ligne «  Triakaz  », qui vise à fournir des outils pour mieux « trier à la maison », en vue de respecter les enjeux environnementaux de l’île et propose un large choix de produits écoconçus localement. Associée aux pépinières d’entreprises ou aux incubateurs, la collectivité régionale entend valoriser les nouveaux modes de financements participatifs et accompagner les projets innovants notamment à travers le FCR (Fonds de Capital-Risque). Enfin, la mise en place du Fonds de Garantie Régional qui sera géré par la BPI (Banque Publique d’Investissement). Cofinancé par le FEDER, ce fonds doté de 5 M€ permettra de garantir jusqu’à 75 % des prêts aux entreprises, sur la base de critères d’éligibilité qui seront arrêtés par la collectivité régionale. Ce fonds ciblera principalement les entreprises en phase de création, car ce sont celles qui ont le plus de difficultés à accéder aux prêts bancaires. Un dispositif spécifique sera créé pour les secteurs de l’agriculture et de la pêche qui ne pourront émarger directement à ce fonds.
Renforcer l’implication de la collectivité régionale dans le développement des usages numériques au bénéfice des Guadeloupéens. Afin de renforcer l'attractivité et la compétitivité de son territoire, la région Guadeloupe encourage l'innovation sous toutes ses formes. Ce sont des enjeux majeurs pour stimuler l'entrepreneuriat, accroître la compétitivité des entreprises, et de manière plus générale, renforcer le développement économique du territoire. C’est tout l’objectif du lancement de son grand concours I-NOVA au 1er trimestre de l’année 2018. La mise en place assumée d’un portail numérique pour les hauts potentiels et lutter ainsi contre la « fuite des cerveaux ». Le déploiement d’une offre d’accueil et d’hébergement en espaces co-working à l’antenne de la région Guadeloupe à Paris pour les hauts potentiels soucieux de bénéficier d’un espace performant et privilégié au cœur de Paris. Enfin, la signature de la convention de partenariat entre la Région et le réseau Outre-mer Network qui entend d’une part valoriser la Tech ultramarine, mais également faire reconnaître, sur le plan national et international, le potentiel des jeunes entrepreneurs guadeloupéens grâce à un accès à la Station F, plus grand incubateur de start up au monde. Autant de prérequis pour réussir le pari de l’innovation, car ils contribuent efficacement à l’édification d’une société plus responsable, plus durable et plus solidaire.

LinkedIn is a new reseau

LinkedIn is a new reseau

Par Salomé Berry Photo : Marcio Tomoli LIKE, POKE, FOLLOW, TWEET, SNAP… En affaires, on ne peut plus ignorer les réseaux sociaux. Et si certains entrepreneurs ont su saisir dès le départ les opportunités que peuvent représenter ces plateformes 2.0, pour d’autres cela s’avère beaucoup plus complexe. Sous peine de temps, de compréhension et de connaissances, nombreux sont les chefs d’entreprise qui pensent qu’ils n’ont aucun intérêt à communiquer sur les réseaux sociaux. Ils trouvent cela «  trop complexe  », «  inutile  » et «  réservé aux jeunes hyper connectés ou aux grandes entreprises  ». Ces affirmations peuvent paraître légitimes et pourtant, passer à côté des réseaux sociaux c’est passer à côté d’opportunités incroyables : ventes, visibilité, notoriété, recrutement facilité (gain de temps et d’argent), réduction du budget alloué au marketing…     © Surface Selon une étude publiée par Hubspot, relayée par le magazine Chef d’Entreprise , seuls 8 % des contrats signés trouvent leur origine dans les salons, le marketing direct ou la prospection téléphonique. 92 % d’entre eux sont donc le résultat de recherches en ligne. Une part qui témoigne du rôle devenu incontournable de la Toile et des réseaux sociaux. Les communications et les données qui y véhiculent font figure de véritables mines d’informations pour mieux connaître ses clients, les conquérir et les fidéliser. D’autre part, d’après une enquête réalisée par Forbes en 2016, 78 % des commerciaux ont déclaré avoir déjà conclu une affaire grâce aux réseaux sociaux. Reste qu’en France, seules 36 % des entreprises les utilisent, alors que le taux de pénétration chez les particuliers-consommateurs est de 56 %. Les entreprises ont donc du retard sur les pratiques des consommateurs, et c'est d'autant plus vrai en BtoB : une étude publiée en mai 2016 par LinkedIn cible les attentes des acheteurs en BtoB. Ceux-ci sont en forte attente d'expertise et de leadership, qualités que les équipes commerciales peuvent démontrer grâce à l'utilisation de réseaux sociaux professionnels. Pour obtenir des informations sur les produits, les acheteurs ont recours aux réseaux sociaux à toutes les étapes du processus, de la sensibilisation au produit à la mise en œuvre d'une opération d'achat. 67 % d'entre eux utilisent les réseaux sociaux pour se renseigner sur un produit en début de processus d'achat. LinkedIn pointe également une corrélation positive entre l'utilisation des réseaux sociaux par les acheteurs et le renforcement de leurs liens avec leurs fournisseurs. Certains réseaux sociaux seront plutôt destinés à gérer votre image, alors que d’autres vous aideront dans votre prospection comme LinkedIn qui permet de bâtir un réseau professionnel et est une plateforme à privilégier pour le business To business, il est très professionnel, propice à la vente, au recrutement et aux relations d’affaires. Et si les avantages tirés des réseaux sociaux sont considérables, il faut réfléchir sérieusement sur certains points qui peuvent être décisifs pour l’entreprise. Tout d’abord, s’engager sur un réseau social s’accompagne toujours d’un risque énorme : les mauvaises publicités à travers les real consumer insights. Il s’agit d’un phénomène assez difficile à maîtriser dans la mesure où, de la même manière que le public peut vanter les mérites d’une entreprise, il peut tout aussi bien ternir son image. Et tout le monde le sait, les enjeux liés aux valeurs d’un témoignage peuvent être irréversibles. D’un autre côté, l’intégration sur les réseaux sociaux s’accompagne toujours d’une veille informationnelle et concurrentielle. À défaut d’une bonne politique de relation publique et d’une gestion efficace des réseaux sociaux, un rien suffit pour que l’entreprise tombe dans la liste noire du public. Sur Twitter, par exemple, il n’est pas rare de voir des concurrents qui se lancent dans une guerre virtuelle. Une telle publicité ne peut que nuire à l’image des entreprises. Mais aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, se passer des réseaux sociaux, et d’Internet en général, pour communiquer, reviendrait à ne pas inscrire sa société sur les pages jaunes en 1997. © Inlytics LinkedIn Mais face à cette marée des réseaux sociaux, beaucoup de chefs d’entreprise se sentent démunis. Un vrai casse-tête, car s’ils sont nombreux, les réseaux sociaux ne sont pas tous avantageux pour tous les types d’entreprises. Il faut non seulement bien choisir le ou les réseaux sociaux sur lesquels votre entreprise a intérêt à figurer, mais il faut aussi être présent judicieusement sur ces réseaux. Pour une entreprise, l’utilisation des réseaux sociaux doit avant tout servir sa mission et ses objectifs préalablement établis. Avoir une page Facebook, un compte Twitter ou Instagram simplement pour « être branché » n’est pas très stratégique. La première question que doit se poser l’entrepreneur, c’est : « j e fais ça pour quoi ?  » Un restaurant, devrait-il être sur Twitter ? Afficher son menu en 280 caractères n’est pas si évident. Ainsi, quand on fait du business To client comme dans le cas d’un restaurant, Facebook est plus intéressant, mais il faut l’envisager avec d’autres stratégies de communication. Car les réseaux sociaux sont, pour les entreprises, une forme de communication parmi tant d’autres. Twitter est idéal pour les événements qui ont une durée déterminée. Si le même restaurant organise une dégustation ponctuelle, avec plusieurs chefs, Twitter pourrait alors être pertinent. La gestion sur différents réseaux sociaux exige beaucoup de temps. Pour cette raison, il est préférable de ne pas vous inscrire sur toutes les plateformes et de faire un choix optimal en fonction de votre stratégie marketing, de la taille et des objectifs de votre entreprise. Par exemple, si vous voulez communiquer autour de votre entreprise et toucher un public large, privilégiez les réseaux sociaux populaires (Facebook, Twitter, Instagram, Google+). Par contre, orientez-vous vers les plateformes professionnelles (LinkedIn, Viadeo…) pour générer des leads qualifiés dans un environnement BtoB. L’important est de ne pas adopter la même stratégie partout. Certains réseaux sociaux seront plutôt destinés à gérer votre image, alors que d’autres vous aideront dans votre prospection comme LinkedIn qui permet de bâtir un réseau professionnel et est une plateforme à privilégier pour le business To business. Il est très professionnel, propice à la vente, au recrutement et aux relations d’affaires. © Inlytics LinkedIn LINKEDIN, SOCIAL SELLING Fondé en 2013, dans la Silicon Valley, par Reid Hoffman, Alan Blue et trois autres entrepreneurs, LinkedIn s’est d’emblée imposé comme la plateforme qui a révolutionné l’art du recrutement. Elle apporte, en effet, tant pour les entreprises, les professionnels du recrutement que pour les candidats potentiels, transparence, accessibilité, rapidité et internationalité. Développée ensuite par le talentueux Jeff Weiner, son actuel CEO, le réseau social est devenu très rapidement le support idéal pour de nouvelles activités empruntées à la communication produit : stratégie marketing vis-à-vis des candidats et développement de la marque employeur. Il incite aussi tous ceux qui souhaitent augmenter leurs chances d’être repérés et recrutés à soigner leur image : il contribue ainsi à la création du concept de « marketing de soi ». Consacrée Entreprise 2017 dans la catégorie Ressources humaines par le média online Dive Industry , LinkedIn est aujourd’hui le plus grand réseau professionnel mondial sur Internet comptant plus de 575 millions de membres et plus de 14 100 collaborateurs. LinkedIn est un tremplin, une plateforme d’expression pour les talents issus d’horizons divers et variés. Il ouvre l’esprit, nourrit, enrichit… mais à une seule condition : être électrique ! Oubliez les effets d’annonce, les formulations « click-bait » et autres techniques douteuses destinées à générer des « likes ». Au fil des années, le réseau a diversifié son offre de service (formation, développement des affaires, marketing…), a créé des groupes collaboratifs, a nommé des influenceurs, recruté des éditeurs en chef aux quatre coins de la planète. Il est maintenant beaucoup plus qu’une plateforme de réseautage et de promotion pour tous les professionnels. Non seulement les grandes organisations y brillent, mais aussi les « freelancers » et « startupers » pour lesquels la page professionnelle LinkedIn vient avantageusement remplacer sites Web et blogs chronophages. LinkedIn se veut une fenêtre ouverte sur le monde, source d’inspiration en tant qu’entrepreneur. Le lieu, où nous allons nous informer, nous cultiver, découvrir de nouvelles disciplines, d’autres points de vue, accroître notre curiosité. Et son algorithme est conçu pour privilégier les actifs : lire des « posts » ou les aimer ne suffit pas. La responsabilité de l’utilisateur est d’en faire profiter le plus grand nombre. Et nul besoin de commenter, la qualité des publications. Pour grandir avec LinkedIn, il convient de ne pas se cantonner à votre secteur d’activité, bien au contraire ! C’est en invitant dans votre réseau des personnalités « riches » aux parcours variés ou incongrus que vous le devenez ; en suivant des chercheurs universitaires, hommes et femmes d’affaires, scientifiques, enseignants, journalistes, écrivains, coaches, sportifs de haut niveau, artistes, photographes, designers… du très local au très international que nous accédons à du contenu inspirant. LinkedIn est un tremplin, une plateforme d’expression pour les talents issus d’horizons divers et variés. Il ouvre l’esprit, nourrit, enrichit…, mais à une seule condition : être électrique ! Oubliez les effets d’annonce, les formulations « click-bait » et autres techniques douteuses destinées à générer des « likes ». Sur LinkedIn, les profils qui sortent du lot sont ceux qui misent sur la sincérité, le partage d’expérience, le vécu, la valeur ajoutée. Et si Facebook et Instagram sont de purs outils marketing, basés sur le visuel et l’apparence, LinkedIn se veut plus sobre et authentique. Pas de fioritures, le réseau social met l’accent sur le contenu et sa pertinence. Pour augmenter la visibilité d’entreprise, il est recommandé la création d’une communauté dédiée, de groupes de discussion avec des professionnels intéressés par votre secteur d’activité, etc. Tout cela constitue un levier de taille pour la promotion des produits et des services de votre entreprise. LinkedIn n’est pas un réseau social parfait, mais il s’agit encore de la meilleure alternative pour réseauter virtuellement entre professionnels. Parfait outil de prospection, ce réseau social constitue le site interactif idéal pour les entrepreneurs. Textes, images, vidéos, vous pouvez utiliser tous les supports multimédias pour sensibiliser et fidéliser vos cibles. Pour plus de visibilité, sachez que ce site propose des promotions et des publicités ciblées. Vous pouvez y accéder facilement à travers LinkedIn Ads. Rien de tel pour un réseautage rapide, facile et efficace ! On pourrait être tenté de croire que LinkedIn n’est fait que pour les multinationales étant donné qu’elles comptabilisent pas moins de 500 000 followers. Cependant, les TPE, PME et les PMI peuvent être tout aussi visibles que ces dinosaures de l’industrie sur LinkedIn. Cela constitue un levier de taille pour la promotion des produits et des services de votre entreprise. Sur LinkedIn, il est d’usage de mettre en avant votre site Internet. Qu’il s’agisse d’un simple lien sur votre page entreprise, de publicités en CPC (coût par clic) ou par le partage de vos articles de blog, LinkedIn est une source de trafic de qualité. Les passionnés du Web appellent ce phénomène le marketing viral, une sorte de bouche-à-oreille virtuel, pour inviter d’autres personnes à suivre vos actualités et à visiter votre site. LinkedIn propose quatre abonnements Premium : Carrière à 26,39 euros par mois pour se faire recruter plus facilement, Business à 41,99 euros par mois pour développer votre réseau, Ventes à 57,59 euros par mois pour multiplier vos ventes et Recrutement à 89,94 euros par mois pour recruter des talents. L’abonnement mensuel varie selon l’offre entre 26,39 euros et 89,94 euros par mois (TTC). Je précise que le premier mois de ces quatre abonnements est gratuit. Ainsi, vous avez tout le loisir de tester votre abonnement avant de vous engager © Inlytics LinkedIn En France, selon l’AFP, 14 millions de personnes sont inscrites sur le site. Paris, Lyon et Nice sont les villes où les membres ont le plus de relations. Les entrepreneurs sont ceux qui totalisent en moyenne le plus de connexions. Le rachat de l'entreprise pour 26,2 milliards de dollars par Microsoft finalisé en décembre est la plus importante acquisition réalisée à ce jour dans le secteur des réseaux sociaux. Au moment de l'annonce de la transaction en juin, LinkedIn comptait 433 millions de membres. La firme de Redmond compte bien rentabiliser son investissement. En utilisant les données des utilisateurs du réseau pour améliorer Dynamic 365, son service de cloud assistant les commerciaux. À l’ère du numérique et du digital, on ne peut nier le rôle capital joué par les réseaux sociaux. Toutefois, l’intégration dans cet univers s’accompagne toujours de plusieurs enjeux à prendre en considération et d’un travail permanent, qui s’effectue chaque jour sur la page… Pour s’y faire une place, les maîtres-mots sont : régularité et singularité. LinkedIn n’est pas un réseau social parfait, mais il s’agit encore de la meilleure alternative pour réseauter virtuellement entre professionnels.

Eurêka ! Le génie Guadeloupéen

Eurêka ! Le génie Guadeloupéen

Par DR. Stéphanie Melyon Reinette sociologue et artiviste Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Combien d’hommes et de femmes à la surface de la planète se sont écriés ou dits, ou murmurés dans le grand secret de leur office ou de leur laboratoire, atelier ou établi – cette phrase libératrice, émancipatrice et gratifiante : « j’ai trouvé eurêka ! » ? Eurêka ! C’est le sésame vers le progrès de tous les hommes et de toutes les femmes qui ont cherché et qui ont trouvé, avec persévérance et abnégation, et avec foi ! C’est le progrès de toutes les nations qui ont pu changer, évoluer, et s’absoudre de la félonie de la barbarie depuis la nuit des temps. Ce n’est pas trop de dire depuis la nuit des temps, car de tout temps les humains ont inventé des outils – depuis l’âge de pierre – pour sortir de l’obscurité et de l’obscurantisme (peut-être… Ce n’est toujours pas gagné !). Mais « Eurêka ! », c’est l’exclamation du génie ! Du génie accompli. C’est être frappé par la lumière, après avoir été frappé par le doute. C’est l’illumination, l’éclairement. Le génie noir vient du désespoir vaincu par la résilience. La résilience est l’espace-temps où les méninges se creusent pour tenter d’abolir cette vague de désespérance pour arriver à l’illumination. Eurêka. Comment se fait-il que l’on soit frappé de génie ? Comment le génie apparaît-il ? D’aucuns pourraient parler des mystères de l’inspiration qui jaillit alors que leurs méninges remuaient depuis des jours, des semaines, des mois sans parvenir à déverrouiller quelque idée que ce soit. Et un jour, déclic. L’idée surgit. On pourrait alors se demander quelles forces président à la manifestation d’une idée, et encore plus à sa concrétisation, sa matérialisation. Dans le contexte caribéen – comme dans tout autre contexte par ailleurs –, on peut sans peur affirmer que le génie est conditionné par l’histoire. Alors, dans notre cas, nonobstant l’universalité du schéma, on entendra encore et toujours le ronflement contestataire des réformistes et autres négationnistes las d’entendre parler de l’esclavagisation de nos ancêtres africains, éthiopiques. Et pourtant, inévitable litanie de dates et autres faits qui peinent à s’inscrire dans les mémoires. Certains – témoins – s’en départissent désireux d’oublier, d’autres les ignorent pour ne pas en avoir été observateurs. Au milieu, l’amnésie. Et pourtant, c’est là le fondement et la clé de voûte de notre histoire et de notre génie. J’entends déjà les souffles exaspérés des un.e.s et les sourcils froncés silencieux si loquaces, ou encore les "tchip" ou les "kip "sifflants de mépris. Parce qu’il est crevant de toujours tout ramener à cela ! Mais cela était hier. Et il nous faut compter avec ce passé. Je maintiens que c’est là la clé de voûte de notre génie. Je m’explique. De gaude à droite : Ludmilla Lurel (Punch Mabi), Ericka Mérion (Qualistat) et Corinne Thimodent-Nabal (Gloasanvé). " The life most of us live are lives we are forced to live by immediate needs, influences, and pressures. "

― Walter Mosley Le génie noir vient du désespoir. Le génie noir vient du désespoir vaincu par la résilience. La résilience est l’espace-temps où les méninges se creusent pour tenter d’abolir cette vague de désespérance pour arriver à l’illumination. Eurêka. Ce que Walter Mosley dit «  Les vies que la plupart d’entre nous vivent sont des vies que nous sommes contraints de vivre par le biais de besoins, d'influences et de pressions immédiates  », décrit la condition de nombre d’Afrodescendants et Africains dans le monde, et ce depuis que le monde tiers – postcolonial – naquit de la collision entre deux forces : les exploitants et les exploités. Sous l’oppression coloniale, le/a noir.e doit trouver les moyens de lénifier sa condition, d’alléger sa charge. Ainsi naquit l’ingéniosité noire. Il ne s’agit pas de dire que c’est cette condition qui l’a rendu intelligent. Non ! Le génie englobe une réalité autrement plus vaste : évidemment, l’intelligence – ou la capacité à déchiffrer et comprendre quelque chose – en fait partie, mais également la capacité à faire naître quelque chose. C’est là qu’advient le génie, sous des atours divers. L’ingéniosité donc où le trait de celleux qui ont un esprit inventif, une imagination fertile, qui témoignent de l’intelligence et de l’adresse. Cell/eux qui doivent subir l’oppression et l’exploitation de leur force physique et mentale – par extension ou par répercussion – dans un acte de résilience trouvent les ressorts d’inventer l’instrument de leur survie : concevoir un mécanisme, un appareil, une technique pour alléger leur charge de travail ou comment travailler plus, plus vite, et vivre plus longtemps. George Whashington Carver, inventeur du beurre de cacahuètes, © Arthur Rothstein (for U.S. Farm Security Administration) (Library of Congress) Ainsi, de nombreux esclavagisé.e.s ou AFRES – Africain.e.s Réduits en Esclavage –, affranchis ou libres furent parmi les inventeur.e.s les plus prolifiques et les révolutionnaires de leur époque, qu’elle soit de l’esclavage, de la ségrégation ou du 20e ou 21e siècle. Il y a quelques années déjà que nos communautés se revendiquent de ces inventeurs pour montrer la grandeur noire. La grandeur est humaine et nous en faisons partie, simplement. Belle manière de remettre les pendules à l’heure en démontrant que l’homme noir est un humain et que le manuel – des métiers tant décriés aujourd’hui – est d’abord un individu qui a du génie. Car avant de matérialiser un objet, il faut en concevoir la mécanique. Le génie noir relève de l’ingénierie (discipline qui a pour objet de développer des applications scientifiques). Aux États-Unis, chez les Africains-Américains, citons entre autres les ingénieur.e.s : Sarah Boone, née en 1832 en Caroline du Nord inventa le fer à repasser (26 avril 1892, brevet 473653), Benjamin Bradley né esclave en 1830, alphabétisé par les enfants du maître, inventa le premier moteur à vapeur à l’Académie navale des États-Unis où il étudia, recommandé par son maître (son statut d’esclave ne lui permit pas de breveter lui-même son invention) ; John W. Butts inventa le chariot à bagages en 1899 ; George Washington Carver, né esclave, inventa le beurre de cacahuètes que tant d’Américain.e.s affectionnent avec de la confiture, et déclina 300 transformations de l’arachide ou encore Martha Mary Jone De Leon qui créa la première version du chauffe-plats pour buffet en 1873. Et je pourrais en décliner tant d’autres sur le continent américain. " The worker must work for the glory of his handiwork, not simply for pay ; the thinker must think for truth, nor for fame "
― W.E.B. Du Bois Il est indéniable qu’en Guadeloupe, il y eut des inventeur.e.s sur les habitations qui améliorèrent le cadre du travail forcé (sans mauvais jeu de mots). De simple mémoire et de manière empirique, je découvris il y a quelques mois dans une exposition une machine à "gwajé" le coco. Antique. Probablement centenaire. Stupéfaite. Je pourrais aussi prendre l’exemple d’un de nos grands scientifiques : Raoul George Nicolo , ingénieur, il inventa, entre autres choses, le bloc de commutation pour la télévision multicanal qui permit la réception de plusieurs chaînes sur un même poste. Le génie guadeloupéen vient également de ce fait historique inextricable. Il se dévoile petit à petit, car il nous a fallu le temps de prendre confiance en notre potentiel intrinsèque, notre valeur innée et notre grandeur naturelle. La grandeur n’est pas dans les ors des empires et de celleux qui les ont acquis, mais dans la noblesse de la vision et des horizons que leur ont donné celleux qui ont souffert pour faire émerger ces ors. Les « grands bâtisseurs » ont eu besoin de celleux qui les servaient pour ériger leurs châteaux, pyramides, fortunes. Le génie guadeloupéen, comme le génie noir, est un acte de résistance. C’est ainsi que je le conçois. Résister par l’innovation c’est se ménager quelques respirations, effectuer des échappées hors de l’étau du travail. C’est reprendre un peu la possession de soi, la maîtrise de son temps, de son corps, de ses forces. Quant aux penseurs, il ne fait jamais bon vivre pour eux en tant de crise sociale, historique, économique ou autre. Au temps des esclavages, ils étaient soit utilisés pour asservir, soit pour encore améliorer le quotidien du bourreau, de celleux qui tenaient la corde pour le pendre. Quoi qu’il en soit, invariablement, il fallut aux afrodescendants, aux anciens colonisés, aux descendants des opprimés, mais aussi à tous les hommes, faire advenir leur génie pour sortir de l’obscurité. De gaude à droite : Richard Trèfle (Bellatrix), Vincent Tacita (Qualistat) et Fabrice Calabre (Cochon Plus). En nos temps plus cléments, comment définir le génie guadeloupéen ? Comment le circonscrire ou en donner une recette opératoire ? Voilà ce que je dirais de notre génie contemporain : le génie tient en notre capacité à nous projeter dans le monde en portant notre identité en nous, au-devant de nous, à bout de bras. Pour la présenter au monde : «  voilà ce que je suis ‘unapologetically’  » (j’aime ce mot), sans rougir, sans sourciller. Pour cela, il faut embrasser son histoire, au singulier comme au pluriel, personnelle ou collective. Être dans le monde c’est être un pointillé dans une longue ligne qui sans vous et sans celleux dont vous procédez et qui procéderont de vous, se brise. Le génie guadeloupéen c’est incarner une guadeloupéanité, comme un étendard, comme une vérité absolue de notre appartenance à l’humanité. Le génie guadeloupéen c’est notre science, nos savoirs et savoir-faire restitués, développés, réappropriés, accommodés, adaptés, recouvrés, innovés. C’est croire que ce que nous avons est immense, et plus que de le percevoir, le revendiquer. C’est reconnaître que nous n’avons pas besoin de calquer les modes de vie et la maestria de l’autre, que nous tenions en exemple. C’est porter par les actes aux yeux du monde que la maestria est également de notre cru : l’excellence guadeloupéenne. C’est ne point, ne plus, douter de notre valeur. C’est se figurer nos horizons et nos ambitions à l’aune de nos héros. C’est voir en chacun.e de nos compatriotes un exemple, un potentiel, un succès à l’œuvre. Le génie guadeloupéen c’est incarner une guadeloupéanité, comme un étendard, comme une vérité absolue de notre appartenance à l’humanité. C’est dire que notre histoire ne nous réduit pas, mais qu’elle nous construit et nous donne une place enviable dans le monde. C’est ne pas rougir qu’une partie de nos ancêtres furent des AFRES (Africains.e.s Réduits en Esclavage), mais porter leur douleur en nous comme un moteur et retenir qu’ils furent – tout comme leur descendance, nos grands-parents et nos parents  – dans l’adversité, les ingénieur.e.s de leur quotidien et de celui de celleux qu’ils ont servis.

Julie Beljio | Djulicious Cosmetics

Julie Beljio | Djulicious Cosmetics

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Figure de proue d’une nouvelle génération, Julie Beljio incarne ce que le monde de la beauté adule depuis ces deux dernières années : des influenceuses, qui rassemblent des communautés de plus en plus importantes sur des réseaux sociaux de plus en plus « filtrés ». Le phénomène est tel, que de grands groupes comme Condé Nast Italie et L’Oréal ont lancé, en 2017, la première école d’influenceurs à Milan. Une aubaine pour les marques qui voient en elles de nouveaux canaux de communication : égérie, collaboration, représentation, workshops… Mais si derrière ces statuts d’influenceuses se trouvent des femmes passionnées de beauté, pour certaines à l’image de Julie on y découvre de véritable Working Girl. Une entrepreneure 2.0 à succès qui a su user des réseaux sociaux pour tirer son épingle du jeu, confirmer sa passion et développer son business. Dans une interview accordée à The beauty league by Puretrend, vous dites : « Je ne fais pas du 36 », « Je suis une fille noire, mais c’est possible »… En fin de compte, n’avez-vous pas le sentiment que certaines images véhiculent des stéréotypes qui très souvent contribuent à renforcer des croyances et à diminuer l’estime de soi ? En effet, ces stéréotypes sont bel et bien présents, mais les choses tendent à bouger aujourd’hui. Et cela, même si l'on a encore beaucoup d’images qui reprennent toujours les mêmes codes pour représenter tel ou tel symbole. Et je dirais que de façon inconsciente nous nous sommes, nous-mêmes, rangés dans ces codes, mais comme je le disais, les choses changent et l'on ose beaucoup plus faire ce que l’on aime, et cela, même en dépit de tous ces clichés. Je suis noire, d’origine antillaise, et je suis ronde. Et alors ? Est-ce que tout cela veut dire que je suis bête ou inapte ? Non, car en plus de cela, je suis aussi polie, déterminée, motivée et intelligente. Et ce sont ces clés-là qui ouvrent les portes. Femme noire, entrepreneure, ne faisant pas une taille 36. Que représente cela, pour vous ? Une victoire sur tous les préjugés ? Je ne choisirai pas le mot : victoire pour ma personne, mais pour ceux qui n’ont pas encore réussi à trouver le « moi », qui ne se formalisent pas de l’avis des autres et donc des préjugés. Je veux dire que c’est le postulat de départ et on l’intègre ou pas. Je suis noire, d’origine antillaise, et je suis ronde. Et alors ? Est-ce que tout cela veut dire que je suis bête ou inapte ? Non, car en plus de cela, je suis aussi polie, déterminée, motivée et intelligente. Et ce sont ces clés-là qui ouvrent les portes. On vous décrit comme une femme de caractère, curieuse, audacieuse, aimant relever les challenges. Mais finalement, qui est vraiment Julie Beljio ? C’est une assez bonne description, mais je suis surtout une enfant unique, qui a grandi avec beaucoup de créativité, d’imagination et le soutien sans failles de ses parents. Donc, je suis quelque part cette fille reconnaissante de l’éducation qui m’a été donnée par mes parents et qui veut les rendre fiers et prendre soin d’eux. Quelles sont les figures qui vous ont aidé à vous construire ? Sans hésitation, ma mère. Elle est mon exemple. Je l’ai vu se lever chaque jour pour travailler, s’occuper des autres sans jamais se plaindre. Maintenant que je suis grande, je réalise la difficulté des choses, des épreuves de la vie. Et en dépit de tout, ma mère est restée fidèle à elle-même. Dans une aventure entrepreneuriale, le soutien des proches est-il aussi important que sa propre motivation ? Le soutien des proches est important, mais pas plus que sa propre détermination. Il y a une phrase de Diam’s qui dit : «  Je ne dois mon talent à personne sur cette Terre ni à mon père ni à ma mère…  », cette phrase exprime bien cela. Les proches sont là, car on a tous besoin d’être accompagnés, écoutés et parfois encouragés. Mais la vraie force qui fait avancer, le moteur, elle se trouve en nous-mêmes. J’ai toujours eu envie d’être mon propre patron et avant d’entrer chez Mac, j’avais déjà l’idée de créer ma propre marque. En 2014, vous créez Djulicious Cosmetics. Qu’est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans une telle aventure ? Très jeune et comme beaucoup d’enfants, j’ai voulu être vétérinaire. Et cela jusqu’à la classe de 3e. Puis en allant en cours, on s’arrêtait toujours à un feu rouge où se trouvait un panneau d’affiche L’Oréal, sur lequel figurait Beyoncé. Et sa prestance, son aura sur cette photo me boostait pour aller en cours, comme un leitmotiv me poussant à me réaliser. Et je voulais pouvoir proposer cela ; quelque chose qui peut permettre aux autres de se sentir bien, les motiver et les inspirer. Je me suis donc dit que je rachèterai L’Oréal (rires). Et depuis ce panneau publicitaire, j’ai sans cesse cherché le chemin pour réaliser mes ambitions. J’ai donc continué mon parcours scolaire, déménagé en France hexagonale pour poursuivre mes études, aller à la fac. Durant mes études, j’ai travaillé sur des marchés, chez MacDonald’s, à Auchan pour finalement revenir en Guadeloupe travailler au spa de la Toubana, quelques mois avant d’être embauchée par la marque de maquillage MAC Cosmetics. J’ai toujours eu envie d’être mon propre patron et avant d’entrer chez Mac, j’avais déjà l’idée de créer ma propre marque. Le nom Djulicious est arrivé le jour de mes 23 ans. Et depuis, je construis le Djuliciousland. Les premiers rouges à lèvres ont eu besoin de quatre ans de travail avant que les premiers tubes ne voient le jour en 2013. Cette année, notre e-shop fête ses sept ans. Quel est le concept de votre marque ? La marque dénombre environ 300 références de produits de maquillage destinés à tous. Chez Djulicious Cosmetics , nous concevons le maquillage comme une démarche ludique qui nous permet de nous révéler. Avec le make up, tu peux être qui tu veux, révélant à la fois qui tu es. Si aujourd’hui, tu veux un look sophistiqué et demain être plus artistique cela est possible. Nos produits sont fun et les teintes permettent une vraie créativité. On y trouve des teintes nudes et plus douces, mais aussi des couleurs plus intenses comme des rouges à lèvres bleus, lilas, verts, gris, etc. On les retrouve sur notre e-shop djuliciouscosmetics.com. Nous livrons dans le monde entier. Et sinon, chez Makeup Box à Jarry en Guadeloupe et aux Jardins de Nana à Paris. Quelle a été votre stratégie pour vous démarquer de la concurrence ? Je n’ai pas réellement développé de stratégie. Je tente de réaliser en physique ce qui anime mon cœur. J’écoute beaucoup mon instinct. Je donne souvent la parole aux membres de la team djulicious, leur permettant de proposer une collection conçue par eux. Je suis moi-même une « beauty addict » et j’ai développé une communauté sur les réseaux avec qui nous échangeons souvent. Je tente de rester moi et c’est sûrement ce qui séduit. Soirées Dior, Chanel, Schweppes, Make Up For Ever… Quel est le quotidien d’une influenceuse ? (Rires.) Les soirées ne représentent que 1 % de mon quotidien. Évidemment, c’est ce qu'on retient, car c’est ce qui est le plus exposé sur les réseaux sociaux. Mais il y a bien plus. Il faut créer du contenu : le préparer, le filmer, monter ce contenu, le diffuser, le promotionner… Il faut aussi entretenir le lien avec sa communauté, répondre aux commentaires. Il y a aussi les e-mails à traiter pour les échanges avec les marques et enfin être présents aux événements. On n’a pas le temps de s’ennuyer, mais il faut bien s’organiser pour ne pas être débordé. Mais on a aussi la chance de vivre des expériences incroyables et j’en suis tellement reconnaissante. Je suis de nature très indulgente et patiente. Mais j’ai vraiment été mise à l’épreuve depuis que je suis entrepreneure : les livraisons, la douane, la poste, l’Administration, les clients mécontents, les collaborateurs peu motivés… Cette surexposition sur les réseaux sociaux, ne vous met-elle pas une pression supplémentaire en matière de résultat et de satisfaction client ? Avant tout, il faut savoir gérer ce que l’on donne et ce que l’on absorbe. C’est pour cela que je parlerais d’exposition plutôt que de surexposition. Ce que la communauté voit, c’est ce que j’ai décidé de montrer. De la même façon que je choisis l’énergie que j’absorbe des réseaux pour la transformer ou non. Sur les réseaux sociaux, tout va vite, mais la pression est là même quand on veut satisfaire un client. Il faut réussir à comprendre ce qu’il ne dit pas, plus que ce qu’il dit. C’est là, le vrai challenge. Depuis la création de votre marque, en quoi a-t-elle évolué ? La team a grandi et j’ai la chance d’avoir une équipe réactive et motivée. Je ne travaille plus sur la table du salon, nous avons maintenant des bureaux. Nous pensons mieux nos collections et j’ai hâte de pouvoir parler de nos prochains projets. Ma clientèle s’est également agrandie et devient de plus en plus internationale. Quel a été le plus difficile pour vous, dans votre aventure entrepreneuriale ? Le plus dur à gérer, ce sont les promesses des personnes qui disent vouloir vous aider même sans avoir été sollicitées et qui ne font finalement que brasser du vent. Nous sommes encore jeunes dans l’aventure et c’est l’une des leçons de ces dernières années. Il est dur aussi de devoir admettre que l’argent est vraiment un décideur. Je veux dire que même la personne la plus talentueuse aura beaucoup de difficultés à développer son talent sans argent. Et devra travailler plus fort. À l’inverse, celui dénué de talent peut avancer bien plus vite s’il est épaulé financièrement. Est-il important pour un entrepreneur de cultiver le culte de la patience ? Oh que oui ! Je suis de nature très indulgente et patiente. Mais j’ai vraiment été mise à l’épreuve depuis que je suis entrepreneure : les livraisons, la douane, la poste, l’administration, les clients mécontents, les collaborateurs peu motivés… Chaque jour devient une nouvelle occasion d’exercer sa patience, de gérer son humeur et ses réactions. (…) la marque a grandi grâce à mes économies, à son rythme. Et quand je dis «  économie », je parle là de moins de 1 000 euros. C’est pour cela que l’évolution est plus douce qu’agressive. On dit que les femmes vivent différemment l’entrepreneuriat et l’échec… Du coup, comment définiriez-vous le leadership au féminin ? Je ne sais pas si je peux le définir, car je ne l’ai pas vécu au masculin (rires). Mais ce qui est sûr, c’est que d’un côté je trouve qu’appuyer sur le « au féminin » continue de marquer la différence que l’on tente d’effacer dans ce domaine. Relever la notion que maintenant une femme peut autant qu’un homme donne envie de dire «  Ah oui ? Avant elle ne pouvait pas ?  » Et de l’autre côté, il est important de montrer aux femmes qu’elles peuvent entreprendre. Qu’une vie de mère, de femme n’empêche en rien d’embrasser une carrière ! Nous n’avons plus à choisir, mais à nous organiser. Créer une marque de cosmétique demande, en effet, beaucoup de ressources. Comment avez-vous financé tout cela ? À la sueur de mon front (rires). Plus sérieusement, la marque a grandi grâce à mes économies, à son rythme. Et quand je dis « économie », je parle là de moins de 1 000 euros. C’est pour cela que l’évolution est plus douce qu’agressive. Aujourd'hui, elle s’autofinance. Mais si un business Angel a envie de poser ses ailes sur ma marque, c’est avec plaisir que nous irions encore plus loin ! À bon entendeur… Ne laissez pas votre propre peur, vos inquiétudes ou même celles des autres vous empêcher de faire avancer votre projet. La finalité pour vous, est-ce de voir vos produits distribués dans des multinationales à l'image de Sephora ? Comment projetez-vous l’évolution de votre marque dans 5 ans ? Je ne vois pas cela comme une finalité, mais plus comme une étape. Dans 5 ans, j’espère, en effet, être distribuée chez des retailers multimarques en France, mais aussi à l’étranger. Et surtout avoir plusieurs boutiques – Djulicious House – pour pouvoir rencontrer, former et mettre en beauté les Djulicious. De plus en plus, de jeunes marques de cosmétiques, prometteuses, se font racheter par de grands groupes. Est-ce là une opportunité envisageable pour vous ? J’y ai déjà pensé et je dois reconnaître que j’ai un peu peur à l'idée de faire ce choix. Je n’ai pas envie que le bébé que j’ai créé perde son ADN. Mais si un groupe vient à ma rencontre, cela signifierait que Djulicious Cosmetics est très prometteur, et ma première idée serait de refuser toutes les propositions. Mais je réponds, ici, de façon hypothétique. Au moment T, tout dépendra de la proposition. En revanche, il y a un groupe à qui je refuserai catégoriquement, quoi qu’il arrive. Et puis, peut-être que je deviendrais moi-même un groupe (rires). Affaire à suivre. Un conseil pour un.e entrepereneur.e ? Observez, analysez et foncez ! Ne laissez pas votre propre peur, vos inquiétudes ou même celles des autres vous empêcher de faire avancer votre projet. Soyons honnêtes, cela ne va pas être facile ! Certains jours, vous souhaiterez tout casser et laisser tomber, mais ça en vaut la peine, si vous vous donnez les moyens.

Gabriel Foy | Gabriel

Gabriel Foy | Gabriel

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Sens du savoir-faire affûté, il se décline comme un artisan à part entière au célèbre prénom céleste, enchanteur et sulfureux, qui sait ce qu’il veut, fuit les étiquettes et cache bien son jeu d’homme d’affaires aguerri. Il n’y a jamais eu de doute pour Gabriel, tout était clair… La transmission. C’est au côté de ma grand-mère que j’ai pris goût à la pâtisserie. Un héritage qui m’a été transmis, petit, lorsque je l’aidais à la préparation de tourments d’amour et de gâteaux à la confiture de goyaves. Des douceurs typiques des Saintes qu’elle allait vendre sur la place publique de Terre-de-Haut. En mon sens, ces petits moments de complicité, de partage, aujourd’hui, je pourrais dire de transmission, ont été déterminant dans mes choix d’orientations tant scolaires que professionnelles. Dès lors, il n’y avait aucun doute, je voulais être pâtissier-boulanger. Il est là mon rêve d’enfant. Un savoir qui m’a été transmis par ma grand-mère, devenu une passion et une ambition à suivre. Et c’est ainsi, qu’en 1986, à l’âge de seize ans, je décide de m’inscrire au CFA du Raizet où j’ai pu entamer une formation d'apprenti boulanger aux Saintes, à Terre-de-Haut. Après ces deux ans d’apprentissage, j'ai dû partir pour la métropole afin d'y effectuer mon service militaire à Brest. Une fois ce service terminé, j’ai poursuivi ma formation en pâtisserie-chocolaterie à l’école des métiers de la table de Paris XVIIe. Et jusqu’à ce jour, je n’ai jamais eu de doute concernant ce choix parce que durant toutes ces années de formation, de spécialisation et de quête de perfection, j’ai toujours été à 200 %. Je voulais réussir, donc je m’y suis donné, et à cœur joie ; toujours avec cette envie d’apprendre, de découvrir et partager ce savoir-faire. Son envol. Je suis arrivé en Guadeloupe en 1993. Avec mes diplômes en poche, j’ai commencé à travailler à la pâtisserie Saint-John Perse où je suis resté trois ans. Ensuite, j’ai officié à la rue Lamartine, à Pointe-à-Pitre, chez Lemoine durant une année. Puis en 1997, commence mon aventure chez Marché Conseil, qui a fait appel à mes compétences afin d’intégrer leur équipe. Au début, c’était très difficile, mais nous commencions une si belle aventure avec le chef Confiac où l’on a révolutionné la pâtisserie en Guadeloupe. J’ai passé douze ans dans cette maison où j’ai gravi tous les échelons : pâtissier, chef de parti, responsable de pâtisserie, ensuite responsable des départements boulangerie-pâtisserie traiteur. C’était une belle expérience dans cette belle maison qu’était Marché Conseil. Cette enseigne m’a permis de continuer ma formation, de passer différents concours et diplômes tels que les Brevets de Maîtrise Boulangerie et Pâtissier. Quand on est chef d’entreprise, on fait de nombreux sacrifices, et cela, bien souvent au détriment de la famille qui empathie, mais c’est un choix et il faut l’assumer. Après ce passage par la voie salariale, j’ai eu envie de franchir un autre cap, me fixer de nouveaux objectifs et c’est ainsi que j’ai décidé de créer mon entreprise. Là encore, c’était une évidence, car je savais où je voulais aller et surtout, je voulais me prouver que j’étais capable de créer une entreprise et de réussir. Et pour cela, j’ai eu le soutien de ma famille, d’amis proches qui ont tout de suite adhéré à ce projet ambitieux. Certes, je partais de nulle part, mais j’avais une très bonne expérience due à mon passage à Marché Conseil et j’étais de surcroît déterminé et imprégné de ce nouveau défi qui se présentait à moi. L’idée de Gabriel est venue d’une tendance qui dans le secteur dénomme une entreprise par un prénom, une façon de marquer une identité, une touche, ma signature. Sur nos quatre points de vente, répartis sur le Gosier, Jarry et Pointe-à-Pitre, nous proposons des pâtisseries fines et françaises travaillées avec des purées de fruits réduites, nous faisons également un travail sur la teneur en sucre, qui fait toute notre différence. Vous y trouverez entre autres du bon pain fait à l’ancienne avec du levain naturel, de la poolish et une farine de qualité. Notre différence se joue sur la qualité de nos produits, de notre professionnalisme et surtout d'un savoir-faire. Le regard que je porte sur l’artisanat, c’est qu’aujourd’hui nous sommes une force de décision, de savoir-faire, de transmission, de valeur ajoutée économique qui est malheureusement trop éparpillée sur le territoire. Le financement du premier point de vente, celui de Jarry, est l’addition d’une aide du Conseil Régional et d’un prêt bancaire. Mais la base vient surtout d’un fort apport en fonds propres. Pour ce qui est des trois autres points de vente, ils ont aussi été financés en fonds propres et prêts bancaires. Sachant que nous étions crédibles sur le premier point de vente, cela a été beaucoup plus facile pour les banques de nous suivre dans notre processus de développement. Les difficultés que nous rencontrons en tant qu’entrepreneurs proviennent principalement des charges qui pèsent sur nos entreprises. Il nous arrive aussi, de faire face à des difficultés de trésorerie, mais cela est un fait propre à la démarche entrepreneuriale ; et face à cela, il faut tenir bon et faire preuve de détermination et de réactivité. Voici toutes les difficultés auxquelles nous devons faire face pour maintenir le cap, nos emplois et la pérennité de l'entreprise. Quand on est chef d’entreprise, on fait de nombreux sacrifices, et cela, bien souvent au détriment de la famille qui en pâtit, mais c’est un choix et il faut l’assumer. Un engagement affirmé. Le regard que je porte sur l’artisanat, c’est qu’aujourd’hui nous sommes une force de décision, de savoir-faire, de transmission, de valeur ajoutée économique qui est malheureusement trop éparpillée sur le territoire. Nous ne sommes pas assez soudés pour nous faire entendre et réussir ensemble. L’artisanat n’est pas assez mis en valeur, pourtant nous avons de formidables atouts. Selon moi, sans l’artisanat, l’économie ne peut aller très loin. Pour exemple, quand vous avez faim, c’est un artisan, quand vous tirez la chasse de vos toilettes, c’est toujours un artisan, quand il pleut, pour couvrir vos toits, c’est encore un artisan… (…)  croyez en vous et en vos rêves. Restez sérieux, rigoureux et ne lâchez rien. Aujourd’hui, je me suis engagé au niveau de la chambre consulaire des métiers de l’artisanat dans le but de faire évoluer les mentalités, permettre de voir l’artisanat autrement, faire comprendre aux politiques que l’artisanat existe. Mais c’est un combat de longue haleine, dans lequel je me suis engagé. Et comme je le disais précédemment : si nous étions plus unis on irait beaucoup plus loin. C’est l’union qui fait la force. Mais pour l’instant, nous ne l’avons pas encore compris. Mon objectif au sein de cette chambre consulaire est aussi de faire émerger une force économique et rapprocher les inégalités du territoire. Parce que l'on pense, trop souvent, que la Guadeloupe ne se résume qu’à la Basse-Terre et la Grande-Terre, alors qu’il y a aussi l’archipel des Saintes, la Désirade et Marie-Galante. Mais là encore, c’est une autre paire de manches. Selon moi, la réussite implique le sérieux, la rigueur, le respect du client et surtout une force mentale mise à l’épreuve au quotidien. La place du rêve, c’est d’avoir l’ambition de réussir, d’entreprendre pour faire évoluer son pays. Je pense aujourd’hui avoir trouvé ma place dans cette société guadeloupéenne qui est la mienne. Je ne sais pas si je suis leader dans mon secteur. Peut-être que oui. Mais aujourd’hui, Gabriel est incontournable en Guadeloupe. Enfin, je pense (rires). Ma plus grande fierté, aujourd’hui, c’est d’avoir réussi en Guadeloupe et je me dis que si j’ai réussi en Guadeloupe, je peux réussir partout. Pour ce qui est de la notion de l’échec, elle est complètement bannie de mon vocabulaire, car je pense que si l’on s'investit autant ce n’est pas pour échouer, donc il faut se donner tous les moyens, possibles, pour éviter cela. Aujourd’hui, l’évolution de l'enseigne suit son cours, mais c’est vrai que cela devient de plus en plus compliqué en Guadeloupe donc pour l’instant nous n’avons pas d’autres projets. Peut-être à l’étranger, pourquoi pas ? Et pour ceux et celles qui souhaitent devenir entrepreneurs : croyez en vous et en vos rêves. Restez sérieux, rigoureux et ne lâchez rien. Bonne chance à vous.

Johana Morvan | Gossip Curl

Johana Morvan | Gossip Curl

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel À part, libre, engagée et non conformiste, son talent brut et sa personnalité singulière dévorent le monde entrepreneurial avant qu’il ne la happe. Elle s’impose aujourd’hui comme l'une des références du cheveu naturel. Son enthousiasme et sa fraîcheur font plaisir à voir tant son urgence d’entreprendre, d’être libre est contagieux. Et derrière une légèreté souriante, une volonté de fer et une force de caractère sans lesquelles rien ne serait sans doute arrivé, Johana Morvan ne s’est jamais sentie aussi libre qu’aujourd’hui, en tant qu’entrepreneure... Dans une interview accordée à la rédaction du magazine Focus, en décembre 2015, vous déclariez aimer «  être libre, libre de penser, libre d’innover et d’agir  ». Aujourd’hui, que veut dire : être une femme libre ? Une femme libre est une femme qui fait ce qu’elle aime, qui est heureuse de se lever chaque matin. En ce qui me concerne cette sensation de liberté, se décuple quand je mets mes compétences à la disposition d’une cause ou d’un projet et que ce dernier voit le jour. Il existe une expertise féminine qu’il serait bon de valoriser au service du développement économique. Peut-on, aujourd’hui, vous définir comme une entrepreneure engagée ? Gossip Curl a choisi d’aider et d’accompagner les femmes noires, afin qu'elles puissent s’accepter telles qu’elles sont ! Pour nous, il est important d’accompagner ces femmes pour qu’elles puissent également faire ce travail d’acceptation avec leurs enfants. D’autre part, nous nous efforçons d’utiliser des produits cosmétiques naturels produits par nos locaux, c’est une façon pour nous de soutenir l’économie locale. Aussi, quand il s’agit de se fournir en produits, nous travaillons avec des distributeurs locaux quand bien même nous pourrions nous fournir en direct. Quel regard portez-vous sur ces femmes qui brisent le plafond de verre ? Beaucoup de mes amies diplômées, avec le plus souvent un master ayant des postes à responsabilités, se reconvertissent en allant passer un CAP, un diplôme professionnel, dans l’unique but de vire de leur passion. Aujourd’hui, les femmes veulent s’accomplir tout en exerçant un métier qu’elles aiment ! Ne plus sentir le poids de la culpabilisation. Le temps du fameux CDI est révolu. Pour ces femmes entrepreneures, il s’agit avant tout d’un besoin d’épanouissement, une façon de s’accomplir. Elles osent, aujourd’hui, s’investir. Il ne s’agit pas de prendre la place des hommes, mais de travailler et construire, ensemble. Il existe une expertise féminine qu’il serait bon de valoriser au service du développement économique. Être entrepreneur, c’est accepter d’apprendre en continu. Je suis accompagnée par un cabinet d’expert-comptable, dirigé par une jeune Guadeloupéenne qui m’accompagne dans mes choix, mes décisions et mon développement. Votre secteur, celui du cheveu naturel, est en essor constant depuis ces quatre dernières années. On n’a jamais autant parlé du cheveu naturel qu’aujourd’hui. En tant que professionnelle et pionnière, comment analysez-vous cela ? Quelles mutations voyez-vous poindre à un horizon de cinq ans ? Je suis vraiment très fière de cette prise de conscience ! C’est comme si l'on avait gagné une petite bataille. Il reste encore beaucoup à faire. D’ailleurs, je pense que c’est un secteur à structurer et à développer. Dans cinq ans, j’espère que nos écoles de beauté et nos CFA intégreront l’apprentissage de l’entretien des cheveux crépus, frisés et bouclés dans leurs programmes. Que nos coiffeurs déjà diplômés accepteront de se former et d’apprendre. La demande sera de plus en plus importante et il faut que nos coiffeurs puissent répondre à cette demande, sinon d’autres le feront. Depuis quatre ans, vous organisez le Karibbean Beauty Fest, un événement qui a rencontré un vif succès lors de la dernière édition, pouvez-vous nous en dire plus sur cet événement ? Le Karibbean Beauty Fest (KBF) est un événement qui célèbre la femme sous toutes ses formes. C’est un festival qui regroupe des exposants, des ateliers, des conférences, des défilés de mode. Le KBF a lieu tous les 14 juillet et se veut un festival familial. Nous recevons des guests de toute la Caraïbe et des États-Unis. Lors de la 1re édition la marraine était Carolina Contreras, de Santo Domingo, elle est gérante du salon de cheveux naturels Miss Rizos et aussi une activiste qui travaille avec les écoles afin de permettre aux jeunes filles de la République dominicaine et d’ailleurs à s’accepter, se respecter et s’épanouir. Pour la deuxième édition, nous avions Ashlay Everett en marraine. Elle est capitaine des danseuses de Beyoncé. Et enfin cette année nous avons eu la chance d’avoir avec nous Kamila MC Donal d , de la Jamaïque, journaliste, écrivain et coach sportif. Demander conseil, c’est reconnaître que l’on fait face à un problème. Est-ce si difficile pour un entrepreneur ? Et vous, en tant que dirigeante d’entreprise, vers qui vous tournez-vous lorsque vous avez besoin de conseils ? Je ne cesserai jamais de le répéter ! Être entrepreneur, c’est accepter d’apprendre en continu. Je suis accompagnée par un cabinet d’expert-comptable, dirigé par une jeune Guadeloupéenne qui m’accompagne dans mes choix, mes décisions et mon développement. En cas de besoin, j’ai aussi un avocat que je sollicite. Il ne faut surtout pas attendre pour demander conseil. À mon sens, tout entrepreneur se doit d’avoir un très bon expert-comptable et un avocat pour les accompagner. Dans cette même interview, vous déclariez : «  Je souhaite que Gossip Curl dure dans le temps. […] Et ma plus grande ambition serait de créer une franchise  ». Depuis, quel chemin parcouru ? C’est toujours le cas ! Je souhaite que Gossip Curl dure ! Depuis cette interview, nous avons amélioré nos services et nos prestations. Mais nous avons, surtout, ouvert un deuxième bar à boucles en Île-de-France. En effet, alors que d’autres entrepreneurs locaux se développent sur le territoire antillo-guyanais, vous faites le choix de la France hexagonale. Pourquoi ? Nous avons simplement répondu à une forte demande. Et pour toutes nos prochaines ouvertures, nous fonctionnerons de la sorte, en tenant compte de la demande et de la réalité du marché. L'Hexagone fut le premier choix, mais nous avons d’autres projets d’ouverture très prochainement ! Je ne dirai pas que j’ai réussi, je dirai simplement que je me donne à fond pour réussir. «  Là-bas, c’est mieux  ». Vous avez sûrement déjà entendu cette antienne… Je ne dirai pas que «  là-bas c’est mieux  », mais après avoir vraiment pu tester les deux, il y a des points sur lesquels effectivement, nous devons nous améliorer en Guadeloupe. Les banques… En effet, ouvrir un compte et se faire accompagner par sa banque sont beaucoup plus facile en France hexagonale. Les banques en Guadeloupe devraient vraiment faire un vrai travail d’accompagnement avec les jeunes entreprises. Il y a aussi un énorme travail à faire en ce qui concerne les démarches administratives, « là-bas » les institutions répondent assez vite et tout prend bien moins de temps. En revanche, trouver un local et répondre à toutes les garanties que l’on vous demande en France hexagonale est vraiment plus complexe. Il en va de même pour le sérieux des prestataires (impressions, livraisons, achat de matériaux…), nous n’avons rien à envier à la France. Ce deuxième bar à boucle, a-t-il été financé comme le premier, fonds propres et prêt à taux zéro ? Oui, nous avons fait appel à l’Adie pour un microcrédit – pas à taux zéro. Initiative Paris n’a pas cru en mon projet et a refusé mon dossier. Je n’ai pas baissé les bras et j’ai trouvé des solutions alternatives, d’où l’idée du crowdfunding. J’ai commencé seule à coiffer chez Gossip Curl, maintenant que j’ai une équipe, je ne peux que valider le dicton : « Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin ». Mes collaboratrices sont ma force ! En effet, vous aviez également lancé une campagne de crowdfunding, pour l’ouverture de votre deuxième bar à boucles, malheureusement ce dernier n’a pas été concluant. Percevez-vous cela comme un échec ? De mémoire, nous avons réussi à collecter la somme de 2 500 euros avec plus de soixante donateurs. Pour moi, cette campagne de crowdfunding a été très concluante. Il est vrai que nous n’avons pas atteint notre objectif de départ, mais c’est toujours gratifiant de voir des personnes qui croient en votre projet et qui sont prêtes à investir. C’est aussi cela la force d’un entrepreneur : voir chaque petite réussite comme de grandes victoires ! J’en profite pour remercier tous nos donateurs. Combien de fois un entrepreneur doit-il échouer pour réussir ? Autant de fois que nécessaire. Le plus important étant de ne jamais se laisser abattre. Parfois, on doit gérer tellement de problèmes à la fois qu'on a envie de tout claquer, mais c’est à ce moment précis qu’il faut puiser en soi toute l’énergie nécessaire pour surmonter les difficultés de l’entrepreneuriat. Comme j’aime à dire, l’échec n’existe pas «  soit je réussis, soit j’apprends  ». Très suivie sur les réseaux sociaux, quelle est la part d’Internet dans le développement de votre entreprise ? Nous avons beaucoup misé sur les réseaux pour notre développement. Facebook et Instagram sont nos plus gros moyens de communication. Nous partageons nos réalisations, dispensons nos conseils et astuces, l’ambiance du salon et bien d’autres choses. Comment mener une bonne communication web ? Tout d’abord, il faut cibler, son marché et ses concurrents. Ensuite, cibler exactement sa clientèle et savoir avec quel réseau la toucher. Il faut montrer du « vrai » sur vos réseaux : votre travail, vos réalisations. Mon envie d’entreprendre a aussi été motivée par la création d’emplois. Chaque fois que je signe un CDI pour une de mes collaboratrices, je suis extrêmement heureuse. Je n’ai moi-même, jamais eu de CDI de toute ma vie ! Aujourd’hui, les entrepreneurs de votre génération sont très réticents à l’embauche, pour des raisons de coût ou pour éviter tout souci juridique et mouvement social. Combien de salariés comptez-vous et qu’est-ce qui a motivé ce choix ? Avec les deux salons confondus (Paris et Guadeloupe), je compte sept salariés. Mon envie d’entreprendre a aussi été motivée par la création d’emplois. Chaque fois que je signe un CDI pour une de mes collaboratrices, je suis extrêmement heureuse. Je n’ai moi-même, jamais eu de CDI de toute ma vie ! Et on sait tous que ce fameux CDI est le Saint Graal pour essayer de mener une vie correcte en France. Les inconvénients sont effectivement les charges, mais cela fait partie du jeu ! Les avantages : le fait de pouvoir compter sur une équipe. J’ai commencé seule à coiffer chez Gossip Curl, maintenant que j’ai une équipe, je ne peux que valider le dicton : «  Seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin  ». Mes collaboratrices sont ma force ! Elles ont chacune ce petit quelque chose qui apporte un plus au salon. Comment définiriez-vous votre façon de manager vos équipes ? Y a-t-il des qualités communes à tout manager ? Le management !!! (Rires.) C’est la partie que j’avais le plus de mal à gérer au début ! Mais je me suis servie de mes erreurs ; je me suis beaucoup remise en question et j’ai opté pour un management de cohésion ! À Gossip Curl, nous sommes une team, presque des sœurs. On se soutient l’une et l’autre, et le travail d’équipe est au centre de notre activité. Je ne prends aucune décision sans consulter mes collaboratrices. Je propose et nous décidons ensemble. Je prends le temps de les écouter et de comprendre leurs objectifs personnels et professionnels. Il est très important que chacune d’entre elles vienne travailler avec plaisir et qu’elles se sentent bien sur le lieu de travail. Aller au travail ne doit pas être une corvée. Je suis une patronne « cool », mais exigeante sur la qualité de travail. Peut-on dire que vous avez réussi, aujourd’hui ? Je ne dirai pas que j’ai réussi, je dirai simplement que je me donne à fond pour réussir.

Dr. Henry Joseph | Phytobôkaz

Dr. Henry Joseph | Phytobôkaz

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Dr Henry Joseph… «  Beaucoup de gens me disent : pourquoi ne fais-tu pas dans la politique ? Je leur réponds, prenez un dictionnaire, vous aurez la réponse. Or, le mot politique vient du grec “polis” qui signifie “cité” et “ikos” suffixe qui signifie “propre à cette chose”. Ce mot politique, d'après son étymologie, signifie “qui concerne le citoyen”. Alors estimez-vous que : “ce que je fais ne concerne pas le citoyen guadeloupéen” ? Si cela concerne le citoyen, laissez-moi faire au moins la définition de ce mot, cela me convient parfaitement  ». On ne le présente plus, mais tout y est dit… Son enfance. Enfant, j’ai grandi à Gros-Morne Dolé au cœur de la forêt de Gourbeyre, dont je ne pouvais rester insensible. Je suis né d’un père très âgé, secrétaire de mairie dans sa vie active qui deviendra agriculteur à sa retraite, et d'une mère très jeune horticultrice et amoureuse des plantes, donc tous deux totalement ancrés dans la terre. Ma mère Raymonde, cette passionnée des plantes, m’a inculqué le don de l’émerveillement depuis ma tendre enfance et aujourd’hui, toujours vivante avec ses 85 ans, elle n’a pas changé et nourrit toujours et encore de très grands projets de collections de plantes : anthurium, hibiscus ou d’adenium, arbres fruitiers, etc. Elle invente elle-même ses propres hybrides qu’elle est fière de montrer. Mon père René, son seul souci, était de produire tout localement pour ne jamais manquer et pour cela, il fallait économiser et gérer le peu d’argent qu’on avait, et cela avec une mère par contre très dépensière, mais attention, pour n'acheter que des choses utiles pour la maison. (…) je suis entré très tard à l’école primaire de Trois-Rivières, à l’âge de sept ans où je ne savais ni lire ni écrire. Notre père nous fera découvrir le bienfait des fruits et légumes locaux dès bébé. Et malgré son âge avancé, il montait dans les arbres pour cueillir des fruits ou les élaguer. Il cultivait tout seul son jardin créole d’un hectare et demi : café, cacao et toutes sortes de fruits (mangues, mandarines, oranges, malacas, letchis, tomadoses, châtaignes, des christophines, des pois, fruit à pain), des légumes racines (madères, malangas, ignames, patates douces, topinambours). Il descendait en ville à Basse-Terre le samedi que pour acheter « la chair » : du poisson et de la morue pour la semaine, les pattes à bœuf et le bouquet pour la soupe du samedi et la viande de bœuf ou de cochon pour le plat du dimanche. Nous faisions aussi de l’élevage de poules pour les œufs et de cochons pour Noël. Nous avions les barriques pour l’eau potable et notre propre source d’eau, si bien que c’est notre source qui alimentait toute la section de Gros-Morne Dolé durant le carême et en cas de sécheresse. «  Si le bateau n’entrait pas  », ce n’était pas un souci. Nous étions totalement autonomes, d’autant que mon père a connu les deux guerres mondiales de 1914-1918 et 1939-1945 sans souffrir de manque, grâce au jardin familial, et il nous a éduqué ainsi toujours dans cet esprit d’autonomie et nous disait toujours : «  prenez un livre et apprenez  », mais sans jamais nous acheter de bouquin. Et pour l’écouter, en raison du grand respect paternel et maternel, on tournait les pages de son dictionnaire Larousse pour faire semblant de lire, mais sans jamais en apprendre un mot, car il ne nous montrait pas. Je ne sais pas pourquoi, pourtant il était très instruit, c’était d’ailleurs l’écrivain public de la section, il écrivait des lettres pour tout le monde, dont pour beaucoup d’illettrés. Nous discutions peu, mais que de choses intéressantes essentielles à la vie. Son leitmotiv ? Se suffire, manger, boire, travail et que le travail, le respect de l’autre, et toujours se responsabiliser, tous ces mots étaient son seul guide de vie et il veillait à ce que ses enfants les appliquent. La nature et mon environnement étaient mes seuls livres ouverts, ma source de bio-inspiration, ma source de nourriture quand on vit sur une île, c’est là où j’ai tout appris, rien que par l’observation et l’expérimentation… Aujourd’hui, je lui dis merci, ainsi qu’à notre maman, car tous mes frères, Yvon et Jimmy, mes sœurs, Josy et Marie-Céline, nous avons tous pris ce même chemin d’amour des plantes et de la terre, quels que soient nos métiers respectifs. Nous étions tout le temps en ce que j’appelle : « stage d’apprentissage familial de la valeur travail », ce qui manque aujourd’hui à nos enfants, très souvent abandonnés à eux-mêmes. Par exemple, nous faisions la cueillette et la transformation du café pour augmenter le complément de revenu de la famille. La production principale de la famille, c’était la production de bananes, mais fallait aussi les « charroyer » à dos d’hommes - les petits régimes bien sûr - même si nous étions jeunes, cela pour aider nos parents et apprendre à travailler. C'était aussi la cueillette de fruits de saison de la propriété familiale qui ne se gaspillaient pas, il fallait les cueillir pour les marchandes du samedi et notre seul revenu c’était la cueillette des fleurs blanches de Lys de la vierge pour lesquelles les marchandes nous donnaient un pourboire. Tout le reste de l’argent était géré par papa et maman. Notre éclairage à la maison se faisait aux lampes à pétrole… Avec les jeunes de la section, nous allions nous baigner durant les vacances scolaires à bassin chaudière, le matin, pour son côté glacial et on en profitait pour pêcher des « kakados » avec des paniers en soulevant les roches de la rivière. C’était une de nos sources de protéines, et nous mangions des fruits sauvages tout au long du parcours du bain froid, comme les pommes roses, les zikaks montagne ou les mauricifs, les abricots pays, les krékrés, les pommes pain et en même temps, on apprenait à reconnaître les arbres nourriciers de notre environnement. L’après-midi, on profitait plutôt des eaux chaudes de Dolé pour nous baigner, et là aussi, on pêchait des ouassous et les mulets et l'on récoltait les vigneaux (sorte de petits mollusques) qu’on extirpait de leurs coquilles après cuisson pour les manger en s’aidant des piquants d’orange. Là encore, c’était une autre source de protéines. Les seuls cadeaux d’enfance dont je me souviens, c’est un avion que se disputaient mes frères pour faire nos premières photos chez Catan, j’avais quatre ans et l’autre cadeau, c’est celui de ma tante Béatrice, un appareil photo, à l’âge de 11 ans, avec lequel je photographiais toutes les fleurs de la nature. Ce cadeau m’a donné la possibilité de connaître un maximum de plantes de mon pays tout simplement par ma passion de la photographie. Autrement, on fabriquait nous-mêmes nos propres jouets comme les kaboa et trottinettes à roulement pour dévaler les pentes de Gros-Morne Dolé, on faisait nos banzas pour chasser les zortolans et les grives. La réussite, c’est le travail et rien que le travail. La nature et mon environnement étaient mes seuls livres ouverts, ma source de bio inspiration, ma source de nourriture quand on vit sur une île, c’est là où j’ai tout appris, rien que par l’observation et l’expérimentation : je faisais mes colles pour mes cerfs-volants avec la gomme d’acajou rouge et celui du fruit vert de l’acacia. Je faisais ma glu avec le latex de fruit à pain et c’était toute une chimie pour la maîtrise de la viscosité de ce polymère naturel ; on jouait sur le pH, avec le citron comme milieu acide et la cendre de bois pour le milieu alcalin, et il fallait jouer sur ce pH pour qu’elle ne soit ni trop fluide ni trop dure. On jouait au football dans les routes désertes où ne circulait que la voiture à pain ou le transport en commun Bambou. Nous allions à la boutique de Popo pour faire les courses au détail pour les parents : sucre, huile, beurre rouge et du sel. Nous allions à l’école à pied, comme tous les jeunes du quartier ; le souvenir que je garde, c’est que nous étions en bande, non pas pour tout casser, mais en bandes frugivores et locavores, et nous avions toutes les adresses des arbres fruitiers en fonction des saisons et ceci sur tout le parcours qui menait à notre école. On faisait du sport, même des compétitions pour celui qui arrivait le premier sous l’arbre pour choisir les meilleures mangues fraîchement tombées avec la rosée du matin dessus, et on remplissait nos cartables pour les manger à la récréation. Nous n’avions pas le temps de nous ennuyer, nous étions heureux et tout le temps occupés ; et nous n’avions pas de téléphones portables. Au contraire, on s’entraidait, nous étions solidaires, on se parlait de vive voix et on échangeait nos expériences d’enfants. Je suis très heureux d’avoir connu ce temps de bonheur, de vivre de mon enfance, où nous étions peut-être pauvres en argent, mais riches de la valeur de notre environnement. Apprendre à apprendre... Le choix de mes études a été un peu complexe et atypique. Primaire, collège et lycée, cela a été très dur, j’étais un élève très "passable", je ne comprenais pas grand-chose de ce que m’apprenaient mes enseignants, ils manquaient de pédagogie. Déjà, je suis entré très tard à l’école primaire de Trois-Rivières, à l’âge de sept ans où je ne savais ni lire ni écrire. Je me souviens très bien de mon premier jour d’école, car jusqu’à sept ans, je n’avais jamais été enfermé dans une pièce pour apprendre, car durant ma petite enfance, tout était ouvert, c’était l’école de la nature. Et mon maître d’école vu mon âge avancé voulait me faire sauter une classe, et me demanda de lire mon nom, je m’appelais Henry Abram, car mes parents n’étaient pas encore mariés. Et là, silence radio, je connaissais mon nom, mais je ne savais ni le lire ni l’écrire. Et là, il me dit «  Tu resteras au cours préparatoire pour apprendre à lire » […] « Je ne peux pas te mettre au CE1  ». J’avais très peur de ce maître, j’étais au fond de la classe, je le craignais tant que je pleurais tout le temps et lui ne faisait rien pour me rassurer, au contraire, il avait un grand bâton d’au moins trois mètres, et me « tchokè » avec, d’où ma très grande peur. Puis j’ai redoublé au moins trois classes : CE2, CM2 et Terminale. J’ai même fait une seconde A, littéraire ; et j’ai supplié mon professeur de physique pour faire une première D scientifique et là, il a marqué sur mon carnet «  vous êtes admis en première D à vos risques et périls  ». J’aurai tout de même mon baccalauréat avec la mention passable. Juste après, durant les vacances de 1976, je ferai mon premier stage à l’INRA où tous les chercheurs vont me passionner à l’agriculture. M. Anaïs sur la sélection variétale : tomate caraïbe, aubergine ; M. Arnolin va me transmettre sa passion pour l’igname, et plus tard Lucien Degras en fera de même ; M. Jacques Fournet va me passionner à la détermination botanique et l’entomologie. Puis tout va changer à l’Université des Antilles et de la Guyane, qui s’inaugure en 1975 et l’année d’après en 1976, je m’inscris au DEUG B de biologie, on n’était pas nombreux à l’époque, environ une quinzaine d’étudiants. Enfin, j’entrais à l’école dont je rêvais, apprendre dans les livres, dans des laboratoires et dans la nature. Tous mes professeurs vont être plus que formidables, je leur dis aujourd’hui à tous un très grand merci. Une fois terminées mes études, je rentre de suite en Guadeloupe avec un objectif : la valorisation du potentiel de cette riche biodiversité de mon pays, la Guadeloupe. En effet, M. Guyard, professeur de biologie cellulaire, durant la première semaine à l’université nous dit, «  vous oubliez le collège et le lycée, ici vous êtes à l’université où il vous faut comprendre ce que vous apprenez si vous voulez demain transmettre ce savoir  » et donc son premier cours ne sera pas la biologie cellulaire, mais il va nous apprendre tout simplement à apprendre, avant de commencer son vrai cours. Génial ! Je ne vais jamais oublier cette méthode d’apprentissage que j’appliquerai durant tout mon cursus universitaire. Par la suite, j’irai à l’époque fouiner dans tous les labos de recherche de mes professeurs, car je vais retrouver mon enfance : observation extérieure puis recherche au labo. C’est ainsi que j’irai baguer des poissons avec le Pr Max Louis dans la mangrove pour étudier leur migration, pêcher des crabes avec le Pr Sonia Bourgeois, chercher des fossiles et des roches de Guadeloupe avec les professeurs Assor et Julius. Je vais étudier l’écologie et la botanique avec le Pr Jacques Portecop, qui va me confier dès la première année de DEUG la recherche de toutes les fougères de Guadeloupe pour réaliser un herbier. J’irai chercher des plantes avec le professeur Paul Bourgeois et il va très tôt m’initier à l’extraction végétale, la chromatographie et la chimie des plantes et 30 ans plus tard mon professeur de chimie va s’associer à son élève en 2005 pour créer Phytobôkaz . M. Jacques Fournet fera aussi un travail extraordinaire, car passionné de photo, j’avais une collection de 1 800 diapositives de plantes de Guadeloupe et avec beaucoup de patience, il me notera le nom scientifique de chacune des plantes, ce qui explique aujourd’hui ma bonne connaissance des plantes de Guadeloupe. Après le DEUG obtenu avec la mention bien, j’entre directement en deuxième année de pharmacie à Montpellier ; et là, pareil, je vais fouiner dans tous les labos de mes profs de Montpellier. Je vais les initier à la connaissance du milieu tropical appris au DEUG et en échange très tôt, ils vont m’initier à la recherche pharmaceutique que j’adapterai à mon milieu tropical en faisant de la contextualisation de mes études. Je serai pris en charge très tôt par un de mes professeurs, M. Yves Pelissier qui dès la 3e année de pharmacie me passera sa carte de chercheur pour accéder à la bibliothèque réservée aux enseignants-chercheurs et fort de la connaissance des noms botaniques de mes 1 800 diapos de plantes de Guadeloupe, je vais réaliser ma propre banque de données sur les plantes médicinales des Antilles. Ces connaissances vont être utiles à une époque où Internet n’existait pas encore, et mon travail servira de base pour la création du premier réseau caribéen TRAMIL en 1983 sur la connaissance des plantes médicinales de la Caraïbe et de l’Amérique centrale. Ce réseau existe encore et je suis très fier d’avoir été l'un de ces membres fondateurs. Nous étions 15 au départ et aujourd’hui TRAMIL, c’est 15 pays et 200 chercheurs. Il aura fallu treize ans de bataille juridico-politique mené par Me Robard, les associations des plantes médicinales DOM, nos parlementaires et moi pour faire reconnaître les plantes médicinales de chez nous par le gouvernement… Juste avant cette thèse de pharmacie, je ferai mon stage de 5e année à l’Institut Pasteur de Guadeloupe où le Dr Frantz Agis va m’initier à la parasitologie tropicale, mais aussi à l’immunologie, l’hématologie et la microbiologie de nos régions. Je ferai aussi une école de photographie pour maîtriser mon côté artistique. J’obtiendrai mon doctorat en pharmacie en 1984 avec mention très honorable. Je vais être repéré en 1984 lors d’un congrès par le doyen de la faculté de pharmacie de Toulouse d’origine guyanaise, je serai accueilli dans son laboratoire de pharmacognosie. Au préalable, je ferai un DEA à l’Institut National Polytechnique de Toulouse où je ferai à la fois une école supérieure de chimie et d’agronomie. Puis je terminerai mes études par un Doctorat de 3e cycle en pharmacognosie sur les plantes médicinales de Guadeloupe que j’obtiendrai avec la mention très honorable. Une fois mes études terminées, je rentre de suite en Guadeloupe avec un objectif : la valorisation du potentiel de cette riche biodiversité de mon pays, la Guadeloupe. Retour en terre natale. Une fois retourné dans mon île, toujours pas d’argent, il faudra concilier recherche et travail, étant père de deux filles Joan et Émile que j’aime beaucoup et qu’il faut élever et éduquer. J’utiliserai ma roue de secours de pharmacien, pour travailler à mi-temps et faire des remplacements le matin et l’après-midi, je plante, j’expérimente la culture des plantes médicinales. La rencontre avec mon ami d’enfance, le Dr Pierre Saint-Luce en 1989, va être déterminante. En lisant nos deux thèses en angiologie (médecine des veines) et pharmacognosie (connaissances des remèdes à base de plantes), nous nous apercevons que l’un à la solution de l’autre et dans sa cuisine nous inventons et déposons un brevet sur une spécialité à base de zeb chawpantyé pour faciliter le retour du sang veineux et soulager les œdèmes des membres inférieurs. Forts de cette découverte, nous créons la première société guadeloupéenne de phytocosmétiques et de phytomédicaments que nous appelions HP SANTÉ (Henry et Pierre Santé), un médecin et un pharmacien dans les champs pour cultiver et dans un petit laboratoire pour expérimenter et produire, petit labo de 19 m2 à Baillif gentiment prêté par M. Penchard de la CCI de Basse-Terre. Il est scandaleux et inconcevable qu’avec 3 800 usines de vies que nous ayons 53 % de chômage chez nos jeunes. Plusieurs spécialités vont être inventées dans ce petit laboratoire et existent encore à Phytobôkaz : Banuline et Bioven 30 ans après. Malheureusement, c’était trop tôt et trop novateur pour l’époque, il nous était très difficile de vivre de cette entreprise. Nous la fermons en 1992, pour nous recentrer sur nos cœurs de métiers. Le Dr Sainte-Luce va créer le centre de Manioukani à Rivieres-Sens et avec un pharmacien associé Jean-Marie Lomon nous achetons la pharmacie Romney de Basse-Terre que nous appellerons Pharmacie de la place. Et là, nous donnerons un cachet à cette pharmacie en développant les produits créés à HP santé et en inventant d’autres. Je serai coprésident du syndicat des pharmaciens de Guadeloupe. Et avec les autres pharmaciens des autres départements d’outre-mer, il me sera donné de pouvoir mener un rude combat pour la reconnaissance des plantes médicinales de nos régions pour être vendues dans nos pharmacies. Ce combat, je vais le mener grâce à la rencontre avec une avocate au barreau de Paris spécialisé en droit de santé, Me Isabelle Robard. Pour cela, je vais créer l’ APLA MEDAROM avec plusieurs amis de disciplines diverses et à l’île de la Réunion mon confrère du syndicat des pharmaciens, Claude Marodon, va créer une association similaire L’ A PLAMEDO M ; ces deux associations vont être à l’origine des CIPAM, colloque international sur les plantes médicinales de l’outremer et seront les porte-parole de nos combats. Il aura fallu treize ans de bataille juridico-politique mené par Me Robard, les associations des plantes médicinales DOM, nos parlementaires et moi pour faire reconnaître les plantes médicinales de chez nous par le gouvernement en passant par quatre lois : la loi Guigou sur les droits des malades, la loi-programme pour l’outre-mer, les Grenelles de l’environnement pour aboutir à la Lodeom où nous avons réussi à faire modifier le Code de la santé publique pour une prise en compte officielle de nos plantes. Aujourd’hui, ce sont 70 plantes qui sont inscrites à la pharmacopée française contre zéro au début de notre combat en 2001. (…) la Guadeloupe doit se réinventer, l’heure est venue de retenir le peu de jeunes qui restent encore, non pas pour qu’ils continuent en bandes rivales à s’entretuer en s’inspirant d’un monde virtuel, mais en les passionnant dès leur jeune âge par ce qui les entoure, en les initiant, par la créativité inventive et productive. Tout se fera quand j’étais à la pharmacie de la place. Durant cette période, je formerai mon peuple non seulement aux plantes médicinales locales, mais aussi à la nutrition à partir des produits locaux. Plusieurs produits seront inventés dans cette pharmacie : Virapic, Huile de galba, Titrézo, Rumago auxquels il faut ajouter Bioven et Banuline ; le succès sera tel que je passais plus mon temps à faire des produits locaux que de vendre les spécialités pharmaceutiques. Et je me suis dit que maintenant l’heure des produits locaux est arrivée et avec Jean-Marie Lomon, d’un commun accord, j’ai vendu ma pharmacie pour créer en 2005 Phytobôkaz. Son œuvre entrepreneuriale. Grâce à la vente de la pharmacie et fort de ce capital et avec des fonds européens du Feader, je vais créer la société Phytobôkaz. Notre entreprise Phytobôkaz (PHYT, plantes et OBÔKAZ signifiant « autour de la maison ») est née en 2005, de l’association entre mon ancien professeur, Paul Bourgeois, chimiste à la retraite et moi. Le laboratoire Phytobôkaz fabrique des compléments alimentaires et des phytocosmétiques. Les matières premières naturelles nécessaires aux besoins de l’entreprise sont puisées au cœur de la biodiversité de la Guadeloupe. La conception de nos produits suit un itinéraire technique précis, de la plante au produit fini, que nous avons dû mettre en place pour assurer un développement harmonieux de la faune, de la flore et de l’Homme avec notre unité de production, ceci autour du nouveau concept, celui de l’économie symbiotique. Il s’agit d’un concept innovant d’agroécologie, d’agroforesterie et d’agrotransformation liant le développement de notre laboratoire et le maintien de la biodiversité de façon concomitante. Le projet était de produire des plantes oléagineuses (galbas, cocotiers, calebassiers, avocatiers) en comprenant le fonctionnement de chacune de ces espèces, les interconnexions trophiques faune/flore et les adaptations humaines à effectuer, afin d’optimiser le développement de notre entreprise tout en préservant la biodiversité. Conscient qu’au cours de ces prochaines années, les ressources carbonées de la chimie française seront de plus en plus végétales. 80 % de la biodiversité de la France se trouve en outremer, pourtant il n’y a pratiquement pas d’exemples de valorisation du point de vue industriel de cette richesse en harmonie avec la nature sur ces mêmes territoires. Mon parcours de vie montre que pour arriver à Phytobôkaz, il a fallu beaucoup de sacrifices, de ténacité, de recherches, d’expériences à la fois pour maîtriser les itinéraires techniques agricoles et industriels tout en maintenant la qualité. Dès 2005, Phytobôkaz a été une entreprise pionnière afin de répondre aux exigences de la transition énergétique et écologique. Notre démarche a consisté à imiter le fonctionnement de la forêt tropicale pour concevoir un ensemble agroécologique durable et utile. Ainsi, nous avons recréé tout un écosystème interdépendant qui vit sur notre plantation alternée de galbas, de calebassiers, de cocotiers et d’avocatiers, des oléagineux que nous avons sélectionnés. Les abeilles, les mouches, d’autres insectes, les chauves-souris et les hommes interviennent à différents stades de la chaîne allant de la plantation aux produits finis : les huiles. Notre concept intègre également des innovations en matière d’outil de récolte des noix de galba respectueux de notre écosystème, et d’outil décalage et de conservation des noix afin de préserver les propriétés organoleptiques et pharmacologiques de l’huile. Notre unité d’agroécologie, d’agroforesterie et d’agrotransformation est opérationnelle depuis maintenant deux ans. Nous avons eu également un impact sur la biodiversité végétale et le paysage, grâce à la reforestation visible sur la parcelle. Une autre image de l’agriculture antillaise se construit, plus propre, plus nuancée, et se fond au paysage déjà luxuriant de la forêt guadeloupéenne jadis nommée « île d’émeraude ». Avec la fin programmée du pétrole dans une quarantaine d’années et de la pétrochimie, nous devons d’ores et déjà penser à des contenants durables, comme alternatives aux sacs et aux couverts en plastique. Cela a conduit notre entreprise au niveau socio-économique et culturel à tisser des passerelles avec le monde associatif notamment avec l’association On Pannyé On Kwi. Il s’agit d’une entreprise dont l’activité consiste en la fabrication d’objets écoconçus dans le cadre de la mise en place d’un atelier de vannerie pour la protection de l’environnement et la dépollution de nos territoires. Celle-ci se fait par la gestion des déchets à la source par l’usage des paniers et des kwis (calebasses coupées en deux). Pour ce faire, l’association travaille à partir de matières premières 100 % naturelles issues de notre biodiversité, comme des lianes et des bambous pour la fabrication des paniers. Puis elle récupère les calebasses de nos plantations et les débarrasse de leur pulpe et noix et fabrique des objets écoconçus. Résister et exister. La vente de mon officine de pharmacie par cet apport financier va faciliter la création de notre entreprise Phytobôkaz. Nos difficultés vont arriver plus sur le plan humain, car il est difficile de garder nos jeunes chercheurs, qui ont du mal à comprendre que Paris ne s’est pas construit en un jour ; ils veulent gagner vite et beaucoup d’argent. Cela est incompatible quand on vit sur une île, loin de tout qui peut faciliter le bon fonctionnement de notre entreprise de production ; nous n’achetons pas pour revendre, cela est un commerce plus facile, qui demande que de la gestion de flux maritime entre l’achat et la vente. Mon parcours de vie montre que pour arriver à Phytobôkaz, il a fallu beaucoup de sacrifices, de ténacité, de recherches, d’expériences à la fois pour maîtriser les itinéraires techniques agricoles et industriels tout en maintenant la qualité. Nous ne sommes pas nombreux dans ce secteur innovant, sans modèles, tout doit être inventé, créer avec peu de moyens et malgré vents et marées nous arrivons toutefois à résister et exister. Nous ne construisons pas pour nous, mais pour nos enfants, nous ne verrons pas le fruit de tous nos efforts tout de suite, mais ma qualité, c’est la patience et la persévérance. Le conseil régional a fait de la croissance verte son cheval de bataille, je pense que c’est une bonne initiative, car c’est un créneau porteur et d’avenir pour un développement harmonieux de nos territoires, car il préserve la vie issue de la richesse de notre biodiversité terrestre, facilement accessible tout en la valorisant. L’économie bleue se fera dans un deuxième temps, car plus difficilement accessible par sa biodiversité marine, donc commençons par la verte, et créons nos entreprises innovantes. Face aux contraintes financières qui nous attendent, consommer local arrive à grands pas, ce sera le résultat d’une prise de conscience de nos richesses, la fin des engagements de l’état à notre égard qui nous poussera à produire pour vivre, et enfin prendre en main notre destin. Beaucoup de gens me disent : «  pourquoi ne fais-tu pas dans la politique ?  » Je leur réponds, prenez un dictionnaire, vous aurez la réponse. Or, le mot politique vient du grec “ polis ” qui signifie “cité” et “ ikos ” suffixe qui signifie “propre à cette chose”. Ce mot politique, d'après son étymologie, signifie “qui concerne le citoyen”. Alors estimez-vous que : «  ce que je fais ne concerne pas le citoyen guadeloupéen  » ? Si cela concerne le citoyen, laissez-moi faire au moins la définition de ce mot, cela me convient parfaitement. Et tous les jeunes qui s’engagent dans l’entrepreneuriat et emboîtent le pas de mon engagement, je les encourage, car ils sont sur la voie du futur et de leur avenir. La réussite. La réussite, c’est le travail et rien que le travail. Ma plus grande fierté ce sont ces personnes invisibles de mon île, si nombreuses et si silencieuses composées d’enfants et d’adultes qui croisent mon chemin et m’arrêtent pour me serrer la main sans que personne ne voie et pour me dire un seul mot : «  Merci pour votre travail  ». Concernant l’échec, je m’inspire de cette citation de Nelson Mandela : «  Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j'apprends  ». En aparté... La nature a toujours été pour moi une source d’inspiration, de création et de bonheur. Les sociétés filles de Phytobôkaz suivront la même inspiration. La première à naître sera Couleurbôkaz qui partira à la conquête de toutes les couleurs naturelles de nos plantes pour les valoriser tant dans le domaine du textile, du bâtiment, du cosmétique ou encore de l’alimentaire. Après réflexion, si nous n’avançons pas dans ce petit pays Guadeloupe, aujourd’hui, c’est que nous allons chercher très loin les idées et le malheur des autres pour l’importer, l’accumuler sur une si petite île, ce qui pollue notre esprit, notre environnement et nous appauvrit. Alors que le grand bonheur et les grandes richesses sont à nos pieds et sont faits que de petits riens heureux. Nous sommes devenus aveugles de ces petits riens réels, pour choisir de vivre sans se projeter dans un monde virtuel, celui des autres. Ce sont ces petits riens qui nous entourent qu’il conviendrait de valoriser pour nous enrichir. En effet, ces petits riens vont nous donner à manger avec ses 220 espèces comestibles, sachant que l’argent n’est pas comestible, ce sont ces petits riens qui vont nous soigner avec ses 625 plantes médicinales, ce sont ces petits riens qui vont créer de la richesse avec ses 3 800 espèces de plantes ou ses 3 800 usines de vies capables de fabriquer l’ensemble des besoins de l’être humain que nous sommes. L’innovation ne tombera jamais du ciel, ce sera toujours le résultat d’une contrainte, car ma seule et unique conviction, c’est que personne ne le fera à notre place. Il est scandaleux et inconcevable qu’avec 3 800 usines de vies nous ayons 53 % de chômage chez nos jeunes. Je pense sincèrement que la prise de conscience de ces petits riens fera le bonheur que nous cherchons en vain. Je pense qu’au lieu de pleurer toute la journée à la recherche des aides de l’État qui deviendront plus rares, nous devrions plutôt ouvrir nos yeux sur nos propres richesses, pas sur celles des autres que nous enrichissons sans cesse, car eux, ils travaillent. Ce qui est triste, c’est qu’on achète beaucoup de choses dont on n’a pas besoin qu’on jette et qui polluent, surtout des choses achetées avec un argent que l’on n’a pas, au lieu de créer de plus belles choses durables à partir de nos propres matières. Nous devons maintenant travailler plus, chacun individuellement, pour donner l’exemple à nos enfants et les retenir sur l’île, au lieu de dire et de répéter sans cesse que nous sommes une population vieillissante, car on oublie que ce sont les jeunes qui font des enfants et pas les vieux. Nous ne sommes pas une population vieillissante, nous sommes plutôt une population passive, celle qui fait fuir ses propres enfants par sa passivité et ses parlottes inutiles. Malheureusement, nos enfants qui ne reviennent plus, où vont-ils ? À la rencontre, tout simplement, de ceux qui travaillent et qui créent. Alors la Guadeloupe doit se réinventer, l’heure est venue de retenir le peu de jeunes qui restent encore, non pas pour qu’ils continuent en bandes rivales à s’entretuer en s’inspirant d’un monde virtuel, mais en les passionnant dès leur jeune âge par ce qui les entoure, en les initiant, par la créativité inventive et productive. Pour cela, nous devrions plus que jamais aller chercher au plus profond de nous-mêmes ce que nous avons d’original et de spécifique dans nos sources d’inspirations, celles de nos traditions, celles que nous ont laissées nos grands-parents et que nous ne trouverons nulle part ailleurs que dans notre environnement et dans notre biodiversité. C’est selon moi le seul moyen pour arriver à une souveraineté interne et endogène tant souhaitée par tous. L’heure est venue de prendre notre destin et celui de nos enfants en main. Victor Hugo disait : «  qu’il n’y a rien de plus puissant au monde qu’une idée dont l’heure est venue  ». L’heure de cette Guadeloupe prospère est arrivée. Jamais je n’ai été aussi confiant sur l’avenir de mon île, car la planète brûle, et pour la sauver, nous sommes tous unanimes que cela passera par la transition écologique et énergétique, mais chacun doit y contribuer et faire sa part de colibri, c’est une urgence. Or, notre archipel, la seule pour les Petites Antilles, classé par l’UNESCO depuis 1992 « zone de réserve de la biosphère mondiale » doit être un exemple planétaire, en optant pour une économie symbiotique, celle qui cultive avec la vie et que j’appelle de mes vœux, sans pesticides, sans herbicides et sans engrais chimiques et il faudrait tout créer à partir de cette diversité de vie. Certains diront que Joseph est un utopiste, je leur répondrai : oui, je suis un utopiste, car l’utopie comme disait Théodore Monod, «  c’est ce qui n’a pas été essayé  », alors essayons. Donc je vous propose d’ouvrir nos yeux pour créer des emplois là où ils en existent, notre avenir et nos vraies forces sont dans notre biodiversité, et non pas en traversant une rue. Là, ils n’existent plus. Ce qui est important, c’est tout simplement se remettre en question et au travail, sans attendre. L’innovation ne tombera jamais du ciel, ce sera toujours le résultat d’une contrainte, car ma seule et unique conviction, c’est que personne ne le fera à notre place.

Fabienne Youyoutte | Désirs du palais

Fabienne Youyoutte | Désirs du palais

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin S’il y avait un entrepreneur à qui l’on devrait décerner le prix de l’audace et de l’entreprise de l’année, se serait elle. Et à vrai dire, elle en serait surprise, «  Pourquoi moi ?  » Pourtant, c’est bien elle qui inspire, aujourd’hui, toute une génération d’entrepreneur.e. Un parcours, un récit de vie, animé d’audace, de courage, de résilience et osons le dire d’exemplarité. À la tête d’une entreprise florissante, Fabienne Youyoutte inspire. Et quand bien même, vous pourrez lui dire, là aussi, qu’elle est ce symbole de réussite, elle en perdrait toute notion et préférerait répondre, qu’elle a simplement trouvé sa place. Mais pour nous, c’est elle. Oui, elle. La femme, incroyablement femme. Cette femme phénoménale que poétise Maya Angelou, Phenomenal Woman. Enfance heureuse et choix cornélien. Enfant, j’ai grandi au côté de ma grand-mère maternelle qui habitait la campagne Sainte-rosienne en Guadeloupe, à Morne Rouge. La vie y était fort agréable, car mes premières années, je les ai passées dans une Guadeloupe que je qualifie d’authentique. Cette Guadeloupe que j’ai connue et qui est toujours en moi m’a façonné. J’y ai fait l’apprentissage des saveurs, des odeurs, des goûts du terroir et des valeurs qui guident aujourd’hui mon quotidien. Et si je devais résumer cette période de ma vie en une phrase, je dirais que nous n’étions pas riches financièrement, mais nous étions heureux et l'on vivait simplement. J’étais encore salariée quand j’ai décidé de franchir le pas de la création d’entreprise. C’est à l’âge de sept ans que j’ai rejoint ma mère et mon père qui vivaient aux Abymes à Besson. À l’époque, je n’avais pas vraiment de rêve. Cependant, mes parents m’avaient offert une année, comme jouet pour les fêtes de Noël, un kit de pâtisserie : tablier, batteur, rouleaux, en clair… tout l’attirail du petit pâtissier en herbe. Ce fut mon premier contact avec ce qui allait devenir ma passion et plus tard mon métier. Durant ma scolarité, à l’époque du primaire et du collège, je dirais que j’étais une élève avec un niveau correct. Mais en classe de troisième, je me suis retrouvée face à un grand dilemme, car je n’avais aucune idée de l’orientation que je devais suivre. Et c’est au cours d’une discussion avec un de mes cousins qui était pâtissier que j’ai eu le déclic et que j’ai décidé d’intégrer le CFA du Raizet afin d’y préparer un CAP en Pâtisserie. Je ne dirais pas que j’ai eu à douter de mon choix, même si cette période d’apprentissage a été relativement difficile, mais je m’étais fixée un objectif. Alors, je me suis donné les moyens d’obtenir mon CAP Pâtisserie, aidée en cela du soutien indéfectible de mes parents. Mon objectif est de redonner un éclat à la démarche artisanale des métiers de bouche, comme la glacerie, la pâtisserie et la confiserie, qui en ont bien besoin aujourd’hui. Mon CAP en poche, j’ai donc commencé à travailler en qualité d’ouvrière en pâtisserie. Puis, au fil des années par ma rigueur et mon sérieux, j’ai occupé successivement les fonctions d’ouvrière qualifiée, de chef de rayon pâtisserie, de chef de département boulangerie-pâtisserie et ensuite de responsable d’exploitation boulangerie-pâtisserie d’enseignes majeures sur le territoire. Ces expériences professionnelles, en tant que jeune femme, m’ont été bénéfiques et forgeront l’entrepreneure que je suis aujourd’hui. La révolution by Fabienne Youyoutte. Je n'étais encore que salariée quand j’ai décidé de franchir le pas de la création d’entreprise. Et j’avais comme seule idée en tête : m’éclater et réaliser ces saveurs et ces idées de glaces, de pâtisseries et de confiseries qui me trottaient à la tête, depuis bien trop longtemps. Du coup, j’ai lancé mon activité avec le soutien de mes proches, qui ont fait corps avec ce projet. La mise en place de mon enseigne Fabienne Youyoutte part d'abord d'une volonté de défendre et aussi de valoriser à travers mes créations les saveurs du terroir guadeloupéen. Mon objectif est de redonner un éclat à la démarche artisanale des métiers de bouche, comme la glacerie, la pâtisserie et la confiserie, qui en ont bien besoin aujourd’hui. L’activité de l’enseigne repose sur un socle familial et notre savoir-faire artisanal est le résultat d’une double volonté : la valorisation de pratiques professionnelles acquises au cours de mon expérience professionnelle et la valorisation au moyen de la transformation de matières premières issues de notre terroir et de produits venus d’ailleurs. L’enseigne a connu durant ces dernières années plusieurs phases de développement. Elle a commencé à se faire connaître grâce à la fabrication de glaces artisanales. Par la suite, les activités de pâtisserie et confiserie ont été mises en place afin de répondre d’une part à une demande, mais aussi pour asseoir un savoir-faire existant au sein de la structure. Cette seconde étape a connu des sous-phases avec le lancement de la production de macarons, de gâteaux glacés, de sucettes artisanales, de confitures, etc. En 2016, j’ai créé mon deuxième point de vente à Sainte-Anne où nous proposons, en plus des produits de glacerie et de pâtisserie, un service de sandwicherie et saladerie. Mes débuts ont été difficiles, j’ai dû hypothéquer la maison de mes parents pour me lancer dans la création d’entreprise. Après avoir fait le tour des institutions bancaires, une seule a cru en mon projet et souhaité jouer le jeu à mes côtés. L’année 2018 est un nouveau tournant pour l’enseigne Fabienne Youyoutte. Nous avons entrepris une nouvelle démarche qui est le « Triporteur by Fabienne Youyoutte ». Ce nouveau concept nous permet désormais d’aller vers notre clientèle et d’assurer des prestations de dégustation de nos glaces, qui peuvent être accompagnées de nos réalisations pâtissières dans un cadre privé. Je ne sais pas si l'on peut parler de révolution, mais je peux dire une chose, c’est que l’approche que j’ai entreprise vise à remettre en lumière des saveurs, des goûts oubliés de mon enfance à travers les glaces, les sorbets, les pâtisseries, les macarons et les confitures. On peut considérer que la démarche est essentiellement pédagogique. Obstacles et notion d’échec. Mes débuts ont été difficiles, j’ai dû hypothéquer la maison de mes parents pour me lancer dans la création d’entreprise. Après avoir fait le tour des institutions bancaires, une seule a cru en mon projet et souhaité jouer le jeu à mes côtés. Parallèlement, j’ai participé à de nombreux concours de création d’entreprise pour lesquels j’ai été lauréate. Les dotations financières en lien avec ces concours m’ont permis de soulager ma trésorerie. Aujourd’hui, nous assistons à une forme de prise de conscience guadeloupéenne que j’appelle « guadeloupéanité ». Avec le soutien tant moral que physique de mes proches, j’arrive depuis quelques années à trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie de famille. Le réglage a pris du temps et est le fruit d’une organisation sans failles. Dans mon secteur d’activité, les tendances évoluent rapidement et l'on peut très vite, sans s'en rendre compte, se retrouver dépassé. C’est la raison pour laquelle je me remets, en permanence, en question et me forme régulièrement. Pour moi, l’échec n’existe pas. Quotidiennement, on vit des expériences dont on peut être satisfait ou pas. Dans les deux cas, il faut toujours en tirer les leçons, soit pour s’améliorer ou pour éviter les écueils. Laisser une situation confortable de salarié pour embrasser celle de chef d’entreprise, pour laquelle l’incertitude et le risque sont omniprésents, peut aisément freiner un porteur de projet qui doute de son potentiel. Cependant, il faut qu’ils fassent abstraction de la peur, car la peur est vectrice d’immobilisme. Les erreurs comme les égarements font partie intégrante de la vie d’un entrepreneur. Ces erreurs permettent une remise en question permanente qui est salutaire pour tout chef d’entreprise qui veut aller loin. Mon conseil : Fixe-toi des objectifs valables et donne-toi les moyens pour les atteindre. «  Cela semble toujours impossible, jusqu’à ce qu’on le fasse  », disait Nelson Mandela. L’initiative entrepreneuriale est très vive en Guadeloupe, et cela, même si de nombreuses entreprises périclitent prématurément par manque de formalisation concrète et d’accompagnement en tous genres : technique, bancaire, stratégique… D’autre part, la gent féminine, bien que présente sur le marché des chefs d’entreprise reste sous-représentée. Des mesures législatives et des dispositifs dédiés ont déjà été initiés pour favoriser l’initiative entrepreneuriale des femmes, mais tant que les mentalités n'évolueront pas la situation demeurera identique. En France et singulièrement en Guadeloupe, l’artisanat souffre à tort d’une image galvaudée. Et même si des efforts et des actions ont été faits en vue de redorer son image, les résultats d’inversement tardent à venir. Les artisans et les organes décisionnels (État, collectivités locales, chambres consulaires, syndicats professionnels) doivent redoubler d’efforts pour atteindre une réhabilitation de l’image de l’artisanat. Sa vision de la réussite. À chacun sa définition de la réussite. Pour ma part, la réussite consiste à trouver sa place dans la société et de mettre en place quotidiennement des actions qui visent à améliorer l’existence de tout un chacun. Grâce à l’entrepreneuriat, je pense avoir trouvé ma place dans la société. À travers mes réalisations quotidiennes, je donne du plaisir, du bonheur à mes clients. Et parallèlement, je contribue, comme d’autres confrères et consœurs, à la valorisation des saveurs du terroir de Guadeloupe. Et si demain, pour une raison ou une autre, je décidais de tout arrêter pour vivre mon plus grand rêve, je recommencerais les choses à l’identique ! Notre terroir jouit d’une très grande richesse gustative et d’un fort potentiel de saveurs oubliées et/ou inexploitées à développer. Nous n’avons absolument rien à envier aux autres. Aujourd’hui, nous assistons à une forme de prise de conscience guadeloupéenne que j’appelle «  guadeloupéanité  ». Je suis ravie et fière que mes compatriotes se réapproprient tous ces goûts qui nous définissent en tant que Guadeloupéen et les partagent avec leurs amis. La suite... Je voudrais continuer à partager encore de nouvelles aventures gustatives avec mes gourmets. Mais au-delà de la reconnaissance de mes pairs, du travail et du parcours accomplis, les encouragements aux quotidiens et la confiance des gourmets des boutiques Fabienne Youyoutte sont pour moi nécessaires, car ils sont source de motivation et me permettent de me dépasser. Il y a un terroir que je n’ai pas exploré et qui me tient à cœur, c’est celui de Marie-Galante. C’est la Terre sur laquelle ma grand-mère, qui a joué un rôle prédominant dans ma vie, a pris naissance. Implanter une boutique Fabienne Youyoutte à Marie-Galante est un de mes plus grands vœux. Et si demain, pour une raison ou une autre, je décidais de tout arrêter pour vivre mon plus grand rêve, je recommencerais les choses à l’identique !

Du darwinisme Guadeloupéen

Du darwinisme Guadeloupéen

Par Dr Stéphanie Meylion Reinette  sociologue et artiviste Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin J’ai fait un rêve. Pour réussir, il faut entreprendre quelque chose, et il faut donc rêver… c’est le préalable à la réussite. L’ambition, c’est l’amorce, le commencement. Sans rêve, point de projection, d’horizon, de projet et donc de sentiment de réussite en bout de course. Il paraît donc inaliénable au succès, à la réussite. Celui qui réussit est d’abord un rêveur, un entrepreneur ou un aventurier (à voir) et puis un explorateur sans doute. Et enfin, un jusqu’au-boutiste. En voilà une définition quelque peu prématurée et très philosophique, n’est-ce pas ? Cette approche me sied réellement. Je crois fondamentalement qu’il faut rêver pour réussir. Henry David Thoreau, poète, essayiste et naturaliste américain du 19e siècle, antiesclavagiste, ne me contredirait pas. Il a dit ceci : «  La vie m’a enseigné au moins une chose : si quelqu’un avance avec confiance en direction de ses rêves et qu’il s’efforce de mener l’existence qu’il a imaginée, il jouira d’une réussite hors du commun  ». Une réussite hors du commun signifierait alors que l’accomplissement soit notable aux yeux de celui ou celle qui agit et œuvra, comme aux yeux de celleux qui l’observent ? Je crois que la réussite se mesure également à l’attention qui est portée à l’acte, l’œuvre, l’accomplissement. On nommerait donc ici la reconnaissance = postérité & prospérité. La réussite est sanctionnée par la reconnaissance sociale qui se matérialise par la réputation et la gradation statutaire. Mais, loin de proposer une conclusion arbitraire, issue de mes observations scientifiques et personnelles, je souhaite élargir le spectre de réponses. Procédons d’abord par la question qui nous fut posée : qu’est-ce que « réussir » en Guadeloupe ? Notre réponse se scindera en plusieurs étapes : considérer le phénomène de la réussite au sens large, pour faire un focus sur la Guadeloupe même. © Rashid Almusharraf Qu’est-ce que « réussir », si ce n’est comme tout phénomène social, une projection propre à chaque culture sociétale ? Chaque vision du monde ? Si l’on questionne des individus sur leur conception de la réussite, des États-Unis, à la France, en passant par l’Inde, que trouverions-nous ? Et entre la France hexagonale et les territoires ultrapériphériques – ces chers outremers – dont nous sommes ? Et entre ces territoires ultrapériphériques ? Avec certitude, nous pouvons dire qu’il y aura des dissonances d’un pays à l’autre, la conception de la réussite étant tributaire de la philosophie de vie de l’individu (religion, espérance, mœurs…) ; mais nous trouverions également une trame commune, indubitablement. Par le biais d’un petit sondage, via une application bien connue, j’interroge des Guadeloupéen.ne.s, artistes, professionnel.le.s de la santé, sur leur conception de la réussite… Petit sondage. «  Je suis en train d'écrire un article pour un magazine, la question qu'ils m'ont demandé de traiter est " réussir en Guadeloupe ". Je demande donc à des Guadeloupéen.ne.s de me dire ce qui signifie " réussir " pour elleux. Que signifie " réussir " pour toi ?  » Morceaux choisis.
« Pour moi réussir c'est se sentir bien, heureux, en appréciant la valeur des victoires et échecs passés, en profitant pleinement de ce qu'on est au présent, et en (se) faisant confiance pour la suite, quelle qu'elle soit. »
Ludmila Dralou, Papa Doubout .

« A priori, la réussite professionnelle me permet de dire aujourd'hui que j'ai des revenus me permettant de subvenir à mes moyens de façon satisfaisante tenant compte notamment de la situation économique de mon île. La réussite qui me tient à cœur est la réussite personnelle : celle qui me permet réellement d'être heureux dans la vie en accord avec mes convictions. Une forme de reconnaissance, mais surtout une situation sociale suffisamment confortable. Aujourd'hui, je travaille pour être heureux et transmettre à mon entourage personnel et professionnel le goût de la vie malgré les obstacles. »
Teddy Duflo, Kinésithérapeute.

« Réaliser son ou ses objectifs sans que qui que ce soit ne t’empêche de les mener à bien, et de pouvoir s’établir dans la pérennité. Par exemple si tu as un établissement, en ouvrir un autre ou des espèces d’annexes (boîte, restaurant, bar, etc.). »
VIBE, artiste, chef d’entreprise et activiste philanthrope.

« Réussir signifie pour moi, en premier lieu de simplement pouvoir se fixer un objectif/but et l'atteindre. Plus particulièrement, je pense que réussir est un cheminement vers la réalisation de nos désirs (personnels ou professionnels). De fait, il évolue en fonction des besoins de la personne. Il faut évidemment pour cela aussi savoir définir son besoin – se connaître un minimum… Réussir signifie donc pour moi, parvenir à réaliser, au quotidien, tous mes désirs. Et ce naturellement dans le droit et le respect d'autrui ! C'est alors mon bonheur. »
Judith Tchakpa, créatrice designer.

« Réussir, c’est pouvoir être épanouie dans ce que j’entreprends… pas besoin d’être riche pour réussir, car dans la vie, ça ne suffit pas pour être heureux… En fait, mon but est de réussir à être heureuse tout au long de ma vie sachant que la vie est faite d’étapes douloureuses. La vie en Guadeloupe nous limite dans beaucoup de domaines, alors je pense que c’est un grand challenge ; mais je compte bien réussir. »
Céline Bernabé, artiste.

« Pour moi, réussir c'est, en un premier temps, savoir s'adapter le plus intelligemment possible à notre réalité. Puis transformer ce qui doit l'être de manière à ce que nos aspirations les plus profondes deviennent réalité. »
Francine Cornely.
Recette. D’un point de vue étymologique, il dérive de l’italien «  riuscire  » (ressortir). Les variantes de ses définitions – avoir un heureux résultat, aboutir à un succès, avoir un effet bénéfique sûr, parvenir à être, faire exécuter avec succès – couplées à sa racine linguistique démontrent que la réussite est non seulement le cheminement, les moyens, mais aussi la fin. On ressort d’un parcours, d’un processus mettant en œuvre réflexions, projections, décisions, actions, réalisations, aboutissement et accomplissement (la redondance du suffixe – tion n’est pas hasardeuse ici, appuyant ainsi l’idée de l’action). Au regard des témoignages précédents, la recette de la réussite requiert courage, ambition, confiance, estime de soi, abnégation, détermination, passion aussi non ?! Mais quelles consistances – autres que philosophico-émotionnelles – pouvons-nous donner à ce terme ? Quelles réalités derrière le concept ? Quelles réalités culturelles ? On ne dit pas à un enfant « il faut que tu sois heureux.se », mais « il faut que tu réussisses, que tu aies un bon boulot, que tu fasses quelque chose de ta vie ». L’ambition première n’est pas d’être heureux, le bien-être, la poursuite de ses rêves, mais plutôt la bonne adaptation au modèle social qui nous est imposé (proposé ?). Prendre l’ascenseur social. Dans le contexte occidental, la notion de réussite est intrinsèquement liée à l’idéologie capitaliste. En effet, le capitalisme – système économique basé sur l’accès à la propriété privée coexistant à la démocratie libérale dans la même société – présuppose donc la liberté de commercer, d’acquérir des biens de production et de distribution pour accumuler du profit à travers les divers marchés, comme des biens de consommation. Ce système est construit selon une organisation pyramidale de hiérarchisation dont la base renvoie au plus grand nombre, aux moins aisés – ou disons-le aux pauvres – et, qui à mesure qu’elle rétrécit vers son sommet, catégorise les individus vers des statuts sociaux, économiques et politiques croissants. Au sommet, donc les élites, les érudits, les riches, les nantis, etc. (attention : l’érudition n’est pas nécessairement concomitante à la richesse). Parvenir à gravir les échelons du système, c’est changer de classe sociale et, in extenso , de codes culturels. Manifester ce changement par les signes extérieurs de richesse. Il faut paraître ce changement. La mobilité sociale est le Saint Graal de l’éducation dans nos pays occidentaux/occidentalisés. On ne dit pas à un enfant «  il faut que tu sois heureux.se  », mais «  il faut que tu réussisses, que tu aies un bon boulot, que tu fasses quelque chose de ta vie  ». L’ambition première n’est pas d’être heureux, le bien-être, la poursuite de ses rêves, mais plutôt la bonne adaptation au modèle social qui nous est imposé (proposé ?). Ce modèle est uniforme et universel ! Même les pays communistes, a priori antagonistes aux pays capitalistes/libéraux sont eux-mêmes capitalistes puisque participant au système économique mondial qui en porte le germe et assure son expansion à travers la globalisation : libre-échange, libre circulation des biens, abrogation des frontières (ou leur assouplissement), etc. NOUS SOMMES TOUS CAPITALISTES ! En somme, atteindre les plus hauts échelons, les plus avantageuses positions de la hiérarchie sociétale est l’objectif de quasi tous les individus, désormais et de plus en plus. Et selon la théorie du Darwinisme social (Darwin avait théorisé l’évolution des espèces vivantes – le Darwinisme – et Herbert Spencer appliqua cette théorie sociologiquement théorisant l’évolution à l’intérieur de l’espèce humaine), l’humain est assujetti aux mêmes lois de compétition pour la survie du groupe socioculturel (au-delà de l’espèce humaine). La loi de la jungle. Et l'on ferme la boucle : compétition dit ambition, projet, rivalité aussi, etc. Malgré cette uniformisation idéologique, nous ne voyons pas tou.te.s la réussite exactement du même œil. Il y a des nuances culturelles et rituelles intéressantes à souligner. Ce qui nous amènera à nous questionner sur notre propre culture guadeloupéenne par ailleurs. © David Clarke Une étude sociologique sur la mobilité sociale et les raisons de la réussite menée dans trois pays (USA, France et Inde) et sur 150 sujets issus de milieux modestes, ayant accédé à des postes prestigieux dans la fonction publique, démontre que l’envie de s’en sortir, le hasard, la valorisation de l’éducation et le sentiment de bénéficier d’un don étaient les raisons principales évoquées par les interviewé.e.s pour expliquer leur succès. Il en résulte également des différences culturelles : par exemple, chez les Américains, il y a une tendance très prononcée à faire référence aux logiques de compétition et de marchés. Chez les Indiens, on note une tendance très forte à nier toute responsabilité individuelle dans leur réussite et chez les Français une répulsion à admettre que l’ambition a joué un rôle dans leur réussite. Quant à l’interprétation des inégalités sociales, l’idéologie méritocratique reste le fondement de la justification américaine (chacun ne reçoit que les justes récompenses de ses efforts) et française (la mobilité professionnelle dans les institutions de l’État, garant des égalités sociales, est signe de mérite malgré le népotisme ambiant). En Inde, malgré la mobilité sociale difficile, mais possible, c’est le système de castes qui conditionne les individus : gravir les échelons, mais la réincarnation dans tout cela ? Cette transhumance sociale peut se solder par des difficultés d’adaptation : les « transfuges de classe », comme les appelle le sociologue français Pierre Bourdieu, sont en lutte avec leur habitus (allure générale, dispositions d’esprit, mœurs, croyances, etc). Toutefois, c’est la vocation même de nos sociétés occidentales/isées de révérer les nanti.e.s (de sang bleu ou ‘parvenu.e.s’, les Kardashian et les autres superstars) et de désirer ardemment appartenir au sérail. Au bout du compte, il y a la reconnaissance sociale – voire mondiale pour certain.e.s – et aujourd’hui, les hashtags ravageurs qui conditionnent profondément les nouveaux/elles rêveur.se.s élevé.e.s aux télé-crochets et autres lieux de starisation express : signes extérieurs de richesse au prix du surendettement et personnalités publiques (télévisuelles ou autres) fondées sur leur bêtise, leur légèreté, leur inconsistance. Seulement, l’effort, le cheminement et la gratification qui en découlent sont soustraits au processus. On a brossé un tableau relativement exhaustif de ce qu’est la réussite. Pouvons-nous calquer ce modèle à notre société ? Du Darwinisme guadeloupéen. Du darwinisme guadeloupéen... Ou, en l’espèce, essai de réflexion sur une théorisation de l’évolution interne de l’individu issu de la société postcoloniale. Quid du contexte guadeloupéen ? Comme partout ailleurs, réussir c’est se fixer des objectifs et les atteindre, accomplir ses rêves et son bonheur, souligne Willy Angèle : «  Pour moi, réussir en Guadeloupe c'est parvenir à trouver lors de son passage dans cette vie et sur cette terre, sur ce territoire, le bonheur. Et l'apothéose de la réussite est de pouvoir partager ce bonheur avec au moins une personne. Et atteindre le Bonheur, pour être encore plus précis, c'est connaître, cet état de plénitude durable dans lequel tu te sens à ta place dans ta vie, dans lequel tu as trouvé le sens de ta vie… et dans lequel ta finitude ne te paraît plus une calamité, mais une condition nécessaire à la pleine appréciation de ton bonheur. Voilà la signification que je donne à réussir en Guadeloupe. Et comme tu peux le constater réussir en Guadeloupe, signifie la même chose que réussir partout dans le monde : c'est réussir sa vie.  » Bien que confettis éparpillés sur les eaux caribéennes et atlantiques, à peine remarquables sur une mappemonde et somme toute peu signifiants sur l’échiquier politique compte tenu de notre tutelle administrative, nous sommes dans le monde. Une partie intrinsèque. Nous n’y échappons pas. Et indubitablement, notre économie, notre marché du travail et notre vision du monde résultent du système capitaliste. C’est une évidence que de dire que nous jouissons et subissons ce système capitaliste tout à la fois, puisque la globalisation (bien que les échanges ne soient pas encore si libres que cela) nous frappe de plein fouet à travers le consumérisme, et pour autant nos ancêtres ont été l’instrument de sa mise en œuvre : le grand chantier du capitalisme, l’industrialisation des corps dans les champs de canne à sucre. Exister dans la société, c’est consommer. C’est accéder à un certain luxe. Appartenir au « sérail » du swagg ! Notre histoire, frappée du sceau de l’esclavagisation, semble toujours résonner dans les têtes du cliquetis des chaînes. Mentales celles-là. Cela semble tellement redondant. Je suis moi-même parfois lasse de le rappeler. Mais la relativité nous trompe, laissant penser que ce passé est très loin derrière nous. 1945, fin de la Seconde Guerre mondiale et de l’Holocauste. 1946, départementalisation ou fin de la colonie. Fin des grands génocides. Nous construisons une identité propre depuis peu. Et pourtant, nous sommes gagné.e.s par les dynamiques du monde en termes de cultures, de politique et d’économie. À tous les niveaux. En un peu plus de 150 ans et juste deux générations, nous avons ingurgité et intégré des siècles d’élaboration sociétale européenne/occidentale, de biens meubles et possessions coloniales à citoyens français et consommateur/trices. En fait, pour être plus juste, la créolisation y a participé, grandement. Mais, je parle ici de nous, en tant qu’individus libres de s’autodéterminer. © Eduardo Soares Rouages & consumérisme Consommer : nouveaux fers. Le taux de surendettement en Guadeloupe – concernant, il est vrai, majoritairement les femmes, et les employés – démontrent que les signes extérieurs de richesse (voiture, nouvelles technologies, prêt-à-porter, conforts non vitaux, etc.) comptent et que finalement, la réussite en trompe-l’œil est l’apanage de beaucoup. Exister dans la société, c’est consommer. C’est accéder à un certain luxe. Appartenir au « sérail » du swagg ! Je caricature, mais l’idée est là. Pour une partie de notre population, réussir, c’est faire fonctionner la machine capitaliste, que nos ancêtres ont fondée : ils en ont été les rouages, les clés, les innovateurs. Rouage un jour, rouage toujours ? Question contondante : que signifiait réussir pour nos ancêtres ? Cela paraît aberrant, voire indécent, de se poser la question ? Pourtant n’est-ce pas dans la nature de l’être humain que de se projeter ? Nos ancêtres n’étaient pas, par essence, des esclaves, mais des hommes, des femmes et des enfants esclavagisé.e.s. Donc, ces personnes devaient indubitablement se questionner sur l’avenir et tenter de (sur)vivre, pour celleux qui n’ont pas opté pour le «  vivre libre ou mourir  » (là encore, le manque d’horizon immédiat, le refus de cette vie, les pousse à choisir la mort). Aux prémices de notre histoire à Karukera, réussir signifiait certainement « sortir du champ de canne », non ? Alors que ceux et celles que l’on appelait « nègre.sse.s de maison » sont honni.e.s, vomi.e.s même, je dirais que dans ce contexte de survie, réussir devait ressembler à cela : parvenir à se sécuriser, parvenir à souffrir moins, parvenir à améliorer sa situation quotidienne, parvenir à mourir moins vite. Et, pour accomplir ce projet – je ne glorifie rien ici, c’est une réflexion tout à fait objective, donc basée sur des faits – ne fallait-il pas faire preuve d’ingéniosité ? Inventer les appareils pour alléger leur charge de travail ou faciliter son exécution. Ceux/celles-là ont-il/elles réussi ? Ils/elles sont parvenu.e.s à sortir, à réaliser quelque chose sans d’autre rétribution que leur bien-être et le confort de leurs maîtress.e.s. Sans reconnaissance sociale (pour la majorité)… Après les abolitions, il fallait encore sortir des champs de canne et là, comme le soulignait le philosophe Cyril Serva, c’est l’école Schoelchérienne qui s’avère être le ressort ultime à leur salut. Le travail agricole est tenu en détestation ; car il est à la fois stigmate et trauma d’une ère qui a trop longtemps duré et que l’on voudrait oblitérer. Dans les champs, on ne réussit pas. On s’y échoue. S’instruire, parler français, devenir maître d’école, médecin, avocat, professeur certifié.e., ou encore directrice d’école est l’objectif de celleux qui peuvent accéder aux bancs de l’école. Réussir c’est aussi savoir créer des opportunités et prendre des initiatives en rapport avec les besoins de la société, et ceci dans tous les domaines… Ainsi émergera l’intelligentsia guadeloupéenne (et martiniquaise que l’on connaît bien), éducateurs et porte-parole du peuple (Aimé Césaire, Léon Gontran Damas, Félix Éboué, Gerty Archimède, etc.). Même lorsque l’on acquiert une expertise technologique (je préfère : à expertise manuelle), on peut considérer que l’on a réussi : la valorisation de son talent amène à un changement de statut notable. L’accès à la propriété privée est également un ressort et un critère de réussite. Certaines familles – affranchies notamment – purent accéder à la propriété dès la période de l’esclavagisation. Être propriétaire terrien est un signe extérieur de richesse essentiel. Classes moyennes. Réseaux d’entraide et de cooptation élitistes (franc-maçonnerie), etc. Les soixante-septards/soixante-huitards guadeloupéen.ne.s confirment l’ascension sociale des élites ; quoique beaucoup aient souffert de leur différence alors en quête de leur Graal. © Karsten Winegeart Aujourd’hui, que signifie réussir ? Les quadras et les trentenaires se souviendront de l’exhortation à poursuivre des études scientifiques : la voie royale, pour que toutes les portes s’ouvrent à vous. Autre exhortation : les concours publics. Le fonctionnariat était aussi l’aboutissement d’une certaine catégorie de Guadeloupéen.ne.s : les Afrodescendants recherchent la sécurité de l’emploi et se dirigent vers les métiers du service public et du tertiaire. L’ascension professionnelle par échelons est l’itinéraire le plus sûr vers le succès : CDI, accès facilité à la consommation, etc. Même si cette filière tend à s’étioler, à s’assécher compte tenu des réformes (dans l’éducation notamment). Les métiers d’ingénieurs sont très prisés. Et les quotas établis par les grandes écoles, notamment par Science Po, permettent à de jeunes Guadeloupéen.ne.s, issu.e.s de classes défavorisées ou précaires, de se frayer un chemin vers les classes moyennes, voire privilégiées. « Le Noir entrant en France va réagir contre le mythe du Martiniquais qui mange les R. Il va s’en saisir, et véritablement entrera en conflit ouvert avec lui. » Aujourd’hui, nos transfuges de classe ont pignon sur rue : ils ont réussi et se retrouvent dans le journal local et les blogs de cultures afros, contrairement à celleux de la deuxième moitié du 20e siècle, qui étaient perçu.e.s comme vendus à la Métropole, des bounty , des négropolitain.e.s, des assimilé.e.s. L’ambition de transgresser et dépasser les frontières ethnico-sociales revenait à se « blanchir » ( it rings the bell of the ‘acting white’ phenomenon’ aux USA ! ). Évidemment, réussir requérait de maîtriser la langue française, langue statutaire. Il fallait se lisser, un peu comme les cheveux crépus, un peu comme notre organe vocal. Le succès était irrémédiablement corrélé aux codes blancs. Frantz Fanon écrit dans Peau noire, Masques Blancs  : «  Voici donc le débarqué. Il n’entend plus le patois, parle de l’Opéra, qu’il n’a peut-être aperçu que de loin, mais surtout adopte une attitude critique à l’égard de ses compatriotes  ». Il ajoute : «  Le Noir entrant en France va réagir contre le mythe du Martiniquais qui mange les R. Il va s’en saisir, et véritablement entrera en conflit ouvert avec lui. Il s’appliquera non seulement à rouler les R, mais à les ourler. Épiant les moindres réactions des autres, s’écoutant parler…  ». La langue n’est pas uniquement un instrument de communication, mais un signe extérieur de richesse et un instrument de pouvoir (Bourdieu). Ainsi, le français était ce signe et cet instrument jadis. Aujourd’hui, notre génération née à la fin du 20e siècle, porte en elle les semences de la résilience et de la lutte d’émancipation. La génération qui nous suit, elle aussi, hérite de ces acquis : imposition du créole, revivalisme, valorisation et surinvestissement des héritages africains et du neg mawon (notamment à travers les manifestations culturelles telles que le Mas), etc. Aujourd’hui, on réussit comme partout ailleurs, en s’instruisant, étudiant, effectuant nos transhumances le long de l’échelle hiérarchique. Nous entreprenons, pour réussir, à notre image. Celle ou celui qui souhaite réussir peut le faire en portant ses attributs. Entreprendre Réussir pour des lendemains ensemble. Réussir, c’est réussir ensemble. C’est faire ensemble, et laissez-faire. C’est réussir seul.e, mais avec les autres. En somme, c’est avoir des rêves pour soi, car ils constituent la somme des ambitions d’un peuple qui avance finalement sur tous les fronts. Autres morceaux choisis.
Christophe Amélaïse, conseiller financier  : « Comprendre l'histoire, ses effets et le système dans lequel on vit au présent. Être en bonne santé, avoir de la volonté et une ouverture sur le monde. Se dire que rien n'est figé, accepter de fonctionner en "communauté" en se basant sur tant de contextes français, caribéens, européens, etc. Extraire une identité de ces contextes et la porter avec fierté, pour l'amour du lieu et des peuples qui le composent. Cultiver des points de convergences positifs culturels, culinaires, etc. Avoir une spiritualité composée à la fois de l'éducation classique, mais aussi de ce qui résonne comme vraie en chacun. Vivre, participer, échanger au présent, en ayant une certaine connaissance du passé et en maintenant l'envie, l'espoir, et une idée du futur. Comprendre l'économie, son pouvoir et le pouvoir de chaque individualité dans cet ensemble. »

Anatole, retraité de la fonction publique. « Réussir en Guadeloupe fait écho, en miroir à la question lancinante et déjà documentée : un Guadeloupéen peut-il manager en Guadeloupe ? Pour moi la réponse est oui, car le management sans être universellement transposable convoque un socle commun de facteurs : le savoir, le savoir-faire, le savoir-être avec les sujets objets du management, la capacité à prendre en compte la psychologie des vis-à-vis, le pouvoir d’anticipation et l’autorité en rapport avec les objectifs assignés. On peut manager avec autorité et empathie sans complaisance communautariste. »
De gauche à droite : Fabienne Youyoutte (Désirs du palais), Dr Henry Joseph (Phytobôkaz) Jean-Pierre Pierin (Monétik Alizés) et Gabriel Foy (Gabriel). « La confiance en soi est le premier secret du succès. » Les défis d’aujourd’hui pour la réussite des Guadeloupéen.ne.s consistent à mener une bataille contre la conjoncture socio-économique, un contexte entaché et frappé de nombreux stigmates (chômage, précarité, inégalités sociales croissantes, dépendance à l’extérieur due à la faiblesse des ressources endogènes/locales et allophilie, différenciation marquée de classes économiques, etc.) ; mais c’est aussi porter l’histoire, la transmettre, l’interroger sans cesse pour mieux se comprendre et élaborer le projet socioculturel du pays. C’est donc, à la fois, entreprendre pour soi et pour le pays à travers soi, l’abnégation, l’innovation, l’esprit d’entreprise, la création et le renforcement du lien social… c’est développer une «  certaine aptitude aux opportunités existantes ou à créer, et à transcender ces handicaps pour produire de la richesse intellectuelle, matérielle et morale  » ( Anatole, retraité de la fonction publique ). C’est un vœu individuel qui se répercute sur la somme de tou.te.s. Réussir c’est aussi savoir créer des opportunités et prendre des initiatives en rapport avec les besoins de la société, et ceci dans tous les domaines (culture, économie, social, éducation, loisirs, création, etc.). Ici comme ailleurs, c’est se fixer des objectifs et se donner les moyens de les atteindre, c’est s’accomplir avec bonheur par des résultats individuels implémentant éventuellement une ambition collective (entreprise, projet social ou sociétal, projet éducatif, culturel ou artistique, production industrielle ou artisanale). L’intérêt de la réussite c’est de contribuer, au-delà du bien-être individuel, à la promotion de la société dans laquelle on évolue. «  La confiance en soi est le premier secret du succès  » dit Ralph Waldo Emerson et «  Peu importe si le début paraît petit  », ajoute Henry David Thoreau… Réussissons encore !

Le crédit interentreprises

Le crédit interentreprises

Par Marc Lantin Photo : Toa Heftiba Selon le dernier Baromètre du Cabinet ARC présenté en mars dernier, 67 % des entreprises notent un désengagement des banques à leur propos depuis 2008. Ces dernières devraient donc considérer le crédit interentreprises comme une nouvelle solution pour répondre à leurs besoins de trésorerie. En effet, une entreprise peut désormais prêter de l’argent à une autre, sans passer par la case banque ; un dispositif qui constitue une brèche supplémentaire dans le monopole bancaire. Prévu par l’article 167 de la loi Macron, le décret d’application « relatif aux prêts entre entreprises » est paru au Journal officiel, le 24 avril 2016, autorisant cette nouvelle forme de crédit. À l’origine de la mesure : l’amendement proposé par le chef d'entreprise et ancien député UDI des Hauts-de-Seine Jean-Christophe Fromantin, afin de permettre aux TPE, PME et ETI de se constituer rapidement une trésorerie en cas d’augmentation brutale des commandes. «  L'idée est qu'une entreprise puisse proposer à une autre, un crédit courant sur moins de deux ans, à condition que toutes deux entretiennent une relation commerciale, explique l'ancien député UDI. Une PME pourrait prêter à une PME, mais le dispositif pourrait surtout être utilisé par les grands donneurs d'ordre voulant aider leurs sous-traitants présentant des difficultés de trésorerie. Le crédit fournisseur n'est souvent pas suffisant.  » L’adoption de cet amendement est un signal très positif envoyé aux entreprises, car, en effet, depuis la crise de 2008, la baisse d’activité, la contraction des marges et l’alourdissement des besoins en fonds de roulement ont entraîné une dégradation significative de leur trésorerie et particulièrement pour les PME. Toutefois, ce type de prêt n'est possible que dans le respect de conditions rigoureuses. Mais comment procéder pour mettre en place un prêt interentreprises ? Vérifier que les liens économiques et commerciaux autorisent le prêt. Il doit exister entre les deux parties des «  liens économiques  » avant l’octroi de ce prêt : elles peuvent être associées au sein d’un projet labellisé par un pôle de compétitivité, d’un groupement d’intérêt économique (GIE), d’un programme de subventions de la Commission européenne, d’une région, de l’ADEME, de l’Agence nationale de la recherche (ANR) ou de Bpifrance. L’entreprise qui octroie le prêt peut avoir consenti à l’autre une licence d’exploitation de brevet, de marque, une franchise ou un contrat de location-gérance. Le futur bénéficiaire peut simplement être sous-traitant, fournisseur, ou engagé dans toute autre relation commerciale avec le prêteur, à condition que les montants en jeu au cours du dernier exercice dans le cadre de cette relation s’élèvent au minimum à 500 000 euros ou à 5 % du chiffre d’affaires de l’entreprise emprunteuse. Bien estimer son excédent de trésorerie. Pour prêter main-forte financièrement à un partenaire, encore faut-il en avoir les moyens. La condition principale est de disposer d’une capacité de trésorerie disponible confortable. C’est à partir de l’enveloppe disponible que l’on peut construire des projets d’accompagnement d’entreprises plus petites ou plus jeunes. Le montant des prêts accordés au cours d’un exercice comptable ne peut être supérieur à 50 % de la trésorerie nette de l’entreprise qui fait le prêt (ou 10 % à l’échelle d’un groupe). Ce montant ne peut excéder 10 millions d’euros pour une PME, 50 millions d’euros pour une ETI ou 100 millions d’euros pour une grande entreprise. Faire intervenir les professionnels du droit et du chiffre. Le commissaire aux comptes est le seul professionnel extérieur à l’entreprise qui doit nécessairement intervenir dans l’opération pour attester du montant initial, du capital restant dû et de respect des dispositions qui les régissent. La rédaction du contrat peut être faite en interne, tout comme le calcul des plafonds qui vont déterminer le montant du prêt. La rédaction contractuelle sera proposée de préférence par le prêteur. Le prêt consenti par l’entreprise prêteuse ne peut notamment placer l’entreprise emprunteur en état de dépendance économique. Méfiance, prudence et précaution ! «  Avec le recours au crédit interentreprises, la très grande majorité des entreprises craint de voir s’accentuer les rapports de force, qui existent déjà avec les délais de paiement , estime Denis Le Bossé, président du Cabinet ARC. Selon notre dernier baromètre, 88 % d’entre elles pensent qu’il risque d’engendrer une relation de dépendance. Du coup, elles ne sont que 13 % à envisager de solliciter ou octroyer un tel prêt, auprès de leurs fournisseurs ou clients.  » Toutefois, il est important de relativiser la notion de dépendance que suscitera ce dispositif, et rappelons qu’il existe déjà des dérogations au monopole bancaire, dans le cadre de prêts aux organismes sans but lucratif, aux sociétés HLM ou entre sociétés d’un groupe. (…) le crédit interentreprises devrait permettre de diversifier les sources de financement pour les petites entreprises qui n’arrivent plus à en obtenir auprès de leurs banques. Ainsi, il appartient à l’entreprise qui prête et à celle qui emprunte de prendre certaines précautions. D’une part, le prêteur a intérêt à bien estimer l’excédent de trésorerie qui lui permettra de prêter. D’autre part, l’emprunteur lui devra savoir dès le départ, comment il pourra rembourser son prêt. La durée du prêt est limitée à deux ans, ce qui ne le rend guère adapté pour faire face à des difficultés ou pour prendre des risques. À l’inverse, le nouveau dispositif pourrait se révéler l’outil idéal pour financer le développement de start-up ou d’entreprises de croissance. Notons, que la phase croissance est la période où une PME a le plus de mal à trouver de l’argent, le crédit interentreprises sera donc une excellente solution, complémentaire aux prêts bancaires et aux prises de participation au capital des investisseurs. Enfin, le crédit interentreprises devrait permettre de diversifier les sources de financement pour les petites entreprises qui n’arrivent plus à en obtenir auprès de leurs banques.

DS 5, une création audacieuse

DS 5, une création audacieuse

Par Mike Matthew Photos : DS France Une création originale et séduisante qui magnétise l’attention par son design d’avant-garde. Marque préférée des présidents français, la nouvelle DS 5 symbolise l’émancipation de DS, devenue une marque à part entière du groupe PSA dans la catégorie des automobiles « Premium ». Arboré fièrement sur la calandre DS Wings, l’emblème DS n’est pas le seul changement qui a été opéré sur cette nouvelle version. En effet, la nouvelle DS associe à elle seule élégance et sportivité tout en offrant des sensations de conduite inédites et un intérieur raffiné qui en fait ainsi un véhicule d’exception. Une expérience de conduite unique Véritable vaisseau amiral, l’intérieur de la Nouvelle DS 5 nous plonge dans une atmosphère aéronautique affinée et un concept de commande et d’affichage moderne incarnant tout le savoir-faire français. Pour parfaire la qualité de vie à bord, la nouvelle DS 5 se modernise et accueille désormais une nouvelle tablette tactile 7 pouces couleur. Couplée au nouveau système de navigation, elle offre un accès facilité à toutes les fonctionnalités de la voiture et simplifie l’ergonomie de l’habitacle intérieur. Doté d’un système audio HI-FI DENON, vous serez comme au premier rang d’un concert dans un ensemble acoustique embarqué totalement immersif pour un confort absolu. Toutefois, pour assurer votre sécurité et votre confort, cette berline Premium bénéficie d’équipements modernes au service du bien-être et de la technologie notamment : l’accès et le démarrage en mode mains libres, caméra de recul, feux de route automatique, système de surveillance d’angle mort, alerte de franchissement involontaire de ligne, la DS Connect NAV (tout nouveau système de navigation connectée à reconnaissance vocale. Il vous guidera jusqu’à destination avec des services comme l’information trafic en temps réel) et la technologie Mirror link permettant d’afficher très aisément le contenu de votre smartphone sur l’écran tactile de la DS. Des motorisations plus performantes Longue de 4,52 m pour une largeur de 1,85, La Nouvelle DS 5 procure une expérience de conduite unique grâce à des motorisations performantes. De l’essence au diesel, l’ensemble des moteurs proposés offre puissance et respect de l’environnement, pour des performances qui la placent au niveau des meilleures de la concurrence premium. Ainsi, la nouvelle DS 5 embarque les motorisations de dernière génération. Doté de la boîte de vitesses automatique à 6 rapports de toute dernière génération, le nouveau moteur THP 165 s&S consomme en cycle mixte 5,9 l/100 km et affiche des émissions de CO2 de 13  g/km, soit un gain de 30 g/km par rapport à la motorisation Euro 5. Première voiture à accueillir la technologie Hybrid Diesel, qui associe les performances routières d’un moteur Diesel HDi à l’efficacité de la propulsion électrique, la Nouvelle DS 5 procure des sensations de conduite énergisantes (200 ch, 4 roues motrices, roulage électrique, fonction boots à l’accélération) pour des émissions de CO2 très réduites (90 g/km) et une consommation modérée en usage urbain.

Grégory Baugé au-delà des échecs…

Grégory Baugé au-delà des échecs…

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Éric Corbel Vous souvenez-vous de votre premier échec ? De la première fois où vous avez été envahi par ce sentiment trouble, mélange de rage, de découragement, de honte et de fatalité ? Nous subissons tous l’échec à un moment donné : vie privée, vie professionnelle, relations, défis… Des bancs de l’école à l’entreprise, nous essuyons des déconvenues tantôt superficielles tantôt tragiques. Malheureusement, personne ne choisit. Nous sommes condamnés à y faire face. Parfois seuls, parfois accompagnés. «  Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre de son enthousiasme  », affirmait Winston Churchill. En la matière, l’entrepreneuriat ne fait pas figure d’exception. Bien au contraire, l’erreur est souvent un préalable à la réussite d’un projet. Faillite, flop commercial, effet de crise… Qu’importent les causes des revers de fortune, ceux qui ont su rebondir l’affirment haut et fort : l’échec est le moyen idéal d’apprendre à devenir meilleur. Au sport plus qu'ailleurs, un échec porte en lui un potentiel de transformation, d'amélioration. Il a vocation à devenir – une, deux, ou trois années plus tard – un succès. N’avez-vous jamais entendu une ou des histoires d’hommes ou de femmes politiques qui se sont pris une veste lors d’une élection ? N’ont-ils jamais réitéré une nouvelle candidature ? Certains me répondront : « C’est que la part est belle ». Certainement. Et que dire de ces sportifs de haut niveau qui arrivent sans cesse au pied du podium ou encore à la deuxième place ? Mais combien d’échecs ont-ils accusés pour atteindre parfois leur objectif ? J’aime à penser qu’ils ont des peurs, des craintes et pourtant, ils y vont parce qu’ils ont quelques convictions, un enthousiasme intact. Soit. Pour garder son enthousiasme, encore, faut-il accepter ses échecs, les assumer et les dédramatiser. Et pour dédramatiser, il faut en parler sans aucune honte. En positivant, en allant de l’avant. C’est souvent là que le bât blesse. Dans le sport peut-être encore plus qu’ailleurs, l’échec est chose taboue. Parler de l’échec en tant que concept passe encore, mais parler d’échec personnel, alors là, certainement pas. Pourtant, le sport et l'échec sont deux notions indissociables. Un domaine dans lequel l'échec est puissant, même intense. Perdre un match à l'issue capitale, rater un rendez-vous, un moment, une opportunité qui se présente rarement, laisser échapper sur le fil la gloire d'une carrière ou d'une vie… L'échec sportif peut être dramatique et dévastateur. Mais fort heureusement, il est rarement définitif ! Au sport plus qu'ailleurs, un échec porte en lui un potentiel de transformation, d'amélioration. Il a vocation à devenir – une, deux, ou trois années plus tard – un succès. Exigeant discipline, endurance et performance le parallèle entre l’entrepreneur et le sportif de haut niveau n’est plus à faire. Ce parallèle est d’autant plus étonnant que les qualités personnelles développées par les sportifs de haut niveau sont les mêmes que celles qui sont nécessaires pour devenir un entrepreneur : persévérance, esprit de compétition, aptitude à continuer et à mener une équipe. Les sportifs de haut niveau, comme les entrepreneurs, sont également formés à établir des objectifs ambitieux, élaborer un plan sur le long terme et mettre tout en œuvre pour atteindre ses objectifs. Et pour l’un comme pour l’autre, l’échec n’est pas pensable ; ils se relèvent toujours de leurs défaites même après de vrais coups durs. Grégory Baugé en sait quelque chose. La première fois que je l’ai rencontré, c’était pour la couverture du magazine FOCUS en novembre 2016. Je me souviens d’une poignée de main très ferme, puissante et énergique. Celle d’un champion. À 32 ans « le Tigre », comme il se surnomme, fait partie des pistards les plus titrés de sa génération. D’ailleurs en 2009, il devient le deuxième coureur noir, après l’américain Major Taylor – surnommé le «  Nègre volant  » – en 1989 à devenir champion du monde de vitesse. Une ascension fulgurante, qu’il explique par l’abnégation : «  (…) à partir du moment où j’ai eu ma première victoire, j’ai voulu goûter encore et encore au succès. Je n’ai rien lâché. Je pense aussi que sans talent, ça n’aurait pas été facile  ». Son esprit de compétition, Grégory Baugé assure l'avoir acquis grâce à son père à qui il voue une grande admiration. Un passionné de vélo auquel il doit «  85 % de (sa) réussite  ». Puisqu’il s’agit de parler-vrai, quel est l’échec le plus cuisant de votre carrière ? Sans hésitation, je dirai les championnats du monde sur piste de Bordeaux en 2006. J’étais, à cette époque, leader du classement général de la coupe du Monde, donc potentiellement le futur champion du monde de vitesse à l’épreuve reine. Et alors que la veille, je remportais mon premier titre de champion du monde en vitesse par équipes, chez les élites, le jour de l’épreuve du sprint, je me suis fait éliminer dès le premier tour. À ce moment, j’ai ressenti un sentiment de honte. J’avais, en effet, très honte de moi ! Aujourd’hui avec le recul, comment analysez-vous cet échec ? Je pense que cet échec est le résultat de deux facteurs : le manque de confiance et la gestion de la pression. Aujourd’hui, je peux dire qu’analyser et comprendre ses échecs contribue à bâtir ses futures réussites. (…) à partir du moment où j’ai eu ma première victoire, j’ai voulu goûter encore et encore au succès. Je n’ai rien lâché. Je pense aussi que sans talent, ça n’aurait pas été facile. Concernant les Jeux olympiques de Rio, lors d’une interview accordée au magazine Le Figaro à la suite des Étoiles du Sport, vous évoquiez ces derniers, même en ayant remporté le bronze en équipe, « comme un échec très douloureux, voire personnel, en employant les mots gâchis, frustration ou encore difficile ». Depuis, vous êtes-vous remis de ces jeux ? Oui, je m’en suis remis (rires). Mais je reconnais, tout de même, que cela fut un moment très difficile au vu de l’investissement personnel fourni. Et d’autant plus, que là encore, je passais à côté de mon objectif de carrière pour la troisième fois (l’or NDLR). Mais je relativise, car sur mes trois Jeux olympiques (2008, 2012 et 2016 NDLR), je suis toujours revenu avec une médaille, contrairement à d'autres sportifs. En employant les mots gâchis, frustration et difficile à quoi faisiez-vous référence ? Je faisais référence à mon potentiel, ma carrière, mon investissement et mon objectif. Je me sentais prêt, mais il faut croire qu’il me manquait sans doute quelque chose. J’aurais sans doute dû me concentrer davantage sur ma personne et prendre du plaisir. En tant que sportif, n’avez-vous pas le sentiment de trop souvent vous percevoir qu’à travers vos performances, vos résultats et pas assez en tant qu’être humain avec vos défauts et vos qualités ? Non pas vraiment, mais certainement avec du recul. Êtes-vous préparé mentalement à subir l’échec ? Non, car je n’y pense pas. Existe-t-il un moyen selon vous d’anticiper ses failles et de se prémunir contre l’échec ? Oui. Dans un premier temps, il est important de définir l’objectif ; ensuite de le programmer et repérer les étapes clés qui permettront de l’atteindre, donc de réussir. En vérité, peut-on se permettre d’échouer après avoir gagné ? Non, on ne se le permet pas. Mais il faut un vainqueur donc un perdant, tel est le sport. Les réussites sont-elles plus dangereuses que les échecs ? À mon avis, il est préférable d’avoir plus de réussites que d’échecs, mais l’échec est bon si on en tire du positif. Vos différents échecs, vous ont-ils poussé à un moment donné à envisager de mettre fin à votre carrière ? Cela m’a traversé l’esprit. Mais j’ai confiance en moi et en mes qualités. Aujourd’hui, une participation aux prochains Jeux olympiques est-elle d’actualité ? Ce n’est pas d’actualité, mais c’est en effet mon objectif. Votre ambition est-elle toujours intacte ? L’or plus que tout ? Oui, intacte. Et cela ne changera pas, tout comme : il n’y a que la victoire qui compte. Comment expliquez-vous qu’en France la vision de l’échec soit si différente qu'aux États-Unis ? C’est une question de mentalité qui vient de l’histoire de notre pays. L’important, c’est de participer, dit-on… (rires) À ce stade de votre carrière, et au-delà vos échecs, quelle serait votre définition de la réussite ? La réussite équivaut à gagner, mais cela dépend de nombreux paramètres…

Éthiques économiques et société Guadeloupéenne

Éthiques économiques et société Guadeloupéenne

Par Raphaël Lapin Photo : Peggy Anke « En nous ouvrant à la modernité, en aidant l’imaginaire relationnel à faire intelligence en nous, le chaos peut devenir fécond. L’imaginaire relationnel (porté aux bienveillances) y trouve l’occasion d’un humanisme bien plus large, plus profond et plus humble, mieux conforme au vivant… ». Patrick Chamoiseau, Frères Migrants. Pour Spinoza, adopter un comportement éthique consiste à placer la nature au centre de tout et à admettre que l’humain ne serait pas, en définitive, la finalité de l’univers. L’éthique peut alors être définie comme la philosophie qui conduit le comportement humain dans l’objectif de préserver la nature. C’est donc un concept que l’on peut lier de manière intime à l’idée de morale. Et à ce titre, elle se distingue nécessairement du droit. De manière plus prosaïque, cela signifie que le droit est loin d’avoir le monopole de la morale et l'on pourrait même aller plus loin et constater tantôt de véritables injustices dans le droit. Celui-ci n’étant, en définitive, que la traduction dans les règles de vie en société du projet politique voulu par les gouvernants. Il arrive toutefois que ce projet politique soit empreint d’une certaine éthique et que celui-ci autorise la notion à faire son chemin depuis la philosophie vers le droit. Nous devons sortir de l’exclusif commercial que nous avons hérité de l’époque coloniale. C’est ainsi qu’elle a irrigué peu à peu les règles pénales  (1) , constitué le socle idéologique de transformations successives des usages de la politique  (2) ou encore favorisé les évolutions successives de l’union civile. C’est également un projet politique animé par une éthique libérale qui a façonné depuis la Révolution française le droit français des affaires. Ce projet était une réponse au pouvoir monarchique. © Jean-Philippe Delberghe Et alors qu’au XVIIIe siècle, la morale s’inscrivait dans une approche libertaire, celle-ci semble désormais avoir changé de camp et de manière assez paradoxale, elle anime aujourd’hui la doctrine juridique avec une idée tenace qui vise à réguler les activités économiques en responsabilisant les entreprises dans les comportements qu’elles ont à l’égard de la société et de l’environnement dans lesquels elles sont insérées. C’est un mouvement qualifié de responsabilité sociétale des entreprises ou de RSE. Progressivement introduite dans le droit  (3) , la RSE a pour but d’amener les entreprises à adopter un comportement respectueux du développement harmonieux et durable des sociétés dans lesquelles elles se trouvent  (4) en considération des liens qu’elles y ont tissés. Il s’agit, par exemple, d’éviter que des travailleurs du bâtiment au Qatar ne se retrouvent dans des situations proches de l’esclavage alors qu’ils sont en train de bâtir les stades qui devraient accueillir la coupe du monde en 2022, ou encore d’éviter que l’activité d’extractions d’huile de palme exercée par une société européenne ne vienne troubler la vie d’un petit village au Cameroun. (…) cette éthique nouvelle sera confrontée à la structure anticoncurrentielle que je qualifierai comme : le malheur endémique de notre économie. D’aucuns s’interrogeront et demanderont pourquoi donc s’inquiéter en particulier de cette éthique économique dans notre petit archipel. Les réponses à ces interrogations se révèlent à la vue des entraves à la liberté d’entreprendre, ce dogme économique hérité des sociétés occidentales qui n’a permis de vaincre la puissance de l’ancien régime que dans l’hexagone et n’a vécu dans les faits que dans l’outre-monde. Il serait également fou de penser que dans notre microcosme les entreprises n’ont aucun impact sur la société et aucune responsabilité de ce fait. Et alors que s’annonce une nouvelle ère de l’éthique de l’entreprise, il serait dommage que notre économie ne rate là encore le coche, qu’elle ne fasse de la responsabilisation sociétale une nouvelle chimère structurante laissant ainsi le pouvoir économique, une fois de plus, comme la seule loi qui vaille. Le risque de manquer l’occasion et de causer à la Guadeloupe un nouveau retard sur le monde est donc très grand. Il est renforcé par le manque d’approches théoriques prospectives ou critiques de notre petite économie dérégulée. Toutefois, si nous devions nous atteler à construire une éthique économique pour notre pays aujourd’hui, sachons que les difficultés seront nombreuses. Nous en avons conscience, cette éthique nouvelle sera confrontée à la structure anticoncurrentielle que je qualifierai comme : le malheur endémique de notre économie. Il faudra alors évoquer non seulement la responsabilité des grandes entreprises exerçant d’ores et déjà leurs activités au cœur de la société guadeloupéenne. Cependant, dans une approche que nous voulons à la fois prospective et en même temps proactive, nous tâcherons surtout de concevoir une éthique pour ceux qui manifestent une volonté quasiment innovante de s’insérer sur le marché guadeloupéen grâce à des techniques ou des produits tout aussi innovants. © Jocelyn Morales Une éthique pour tous les goliaths de notre économie L’éthique doit d’abord être celle des acteurs bien connus, dont le poids ne laisse envisager que peu de perspectives à de nouveaux entrepreneurs dans une économie dérégulée où seule la puissance de marché fait la loi. Ces mastodontes d’envergure internationale n’ont a priori que faire de leur impact sur la société guadeloupéenne et sur leurs parties prenantes. La Guadeloupe constitue, de toute façon, un marché captif qui ne saurait, sans mesures vigoureuses et parfois douloureuses, s’affranchir et sortir de captivité. Pourtant les éléments de responsabilité sociétale de ces entreprises-là sont aussi grands qu’ils sont nombreux. Elles emploient une part importante de notre population qui tire du fruit de ses efforts, les moyens de faire vivre les familles guadeloupéennes. Leurs produits sont consommés par le plus grand nombre d’entre nous. À quel prix ? Dans quelles conditions ? Idées déjà largement développées dans l’ouvrage de la libre concurrence en outremer, la cherté de la vie dans notre terre de Guadeloupe est un facteur élémentaire du mal-être de notre société. Disons-le, la responsabilité civile de ces entreprises ne saurait être tirée du seul fait d’occuper une position dominante, en revanche elle incombe à ceux qui continuent d’avoir des pratiques anticoncurrentielles aboutissant à renchérir les prix, à rogner sur la qualité et à ignorer les perspectives d’innovation. Cette responsabilité civile est doublée d’une responsabilité eu égard aux incidences négatives que ces pratiques ont sur notre société. Cela ramène alors sur le devant de la scène notre responsabilité de con-sommateurs. Nous qui refusons encore et toujours d’adopter enfin une démarche consom-actrice et citoyenne. Sans nous en rendre compte, mais à échéance régulières, nous utilisons nos bulletins de vote comme nos cartes bleues… En bref, nous devons reconnaître la responsabilité sociétale de ceux qui boudent sciemment le bien-être du consommateur et plus largement le bon vivre ensemble dans la société guadeloupéenne. D’un autre côté, bien que se situant certainement en deçà des seuils prévus par la loi, une approche volontaire consisterait pour celles-ci, à élaborer et à mettre en œuvre un plan comportant l’ensemble des mesures de vigilance visant au respect des libertés et des droits des Guadeloupéens dans une approche socialement responsable. Dans le même temps, la responsabilité complémentaire de quelques-unes des collectivités est manifeste. Dans un silence aussi fautif qu’il est ancien, elles ne se saisissent pas des armes nécessaires à faire évoluer la situation de notre peuple pour de bon. Un précieux sésame offert par une certaine loi du 20 novembre 2012 leur autorise la saisine de l’autorité de la concurrence pour mettre fin à certaines pratiques et faire des demandes d’injonctions structurelles de cession d’actifs. Chacun se fera une religion du nombre d’usages faits de ces dispositifs. Cela ramène alors sur le devant de la scène notre responsabilité de con-sommateurs. Nous qui refusons encore et toujours d’adopter enfin une démarche consom-actrice et citoyenne. Sans nous en rendre compte, mais à échéances régulières, nous utilisons nos bulletins de vote comme nos cartes bleues… Sans s’assurer des garanties offertes par le vendeur ou du service après-vente des mesures adoptées. Cette responsabilité des consommateurs ne doit pas obérer celle des autres acteurs économiques qui le sont également. Tous ces David de l’économie qui rêvent de s’insérer sur notre marché et qui risquent tout pour parvenir à faire vivre leur désir d’entreprise doivent également adopter une certaine éthique. "David avec la tête de Goliath" a été réalisé par le peintre baroque Caravage réalisé vers 1606-1607. © Wikicommons. Guide de l’éthique à l’usage des David de notre économie Au-delà de la responsabilité sociétale des entreprises qui ont une rente de situation sur notre marché, il est nécessaire de faire un petit guide de l’éthique à l’usage de ceux qui entreprennent, de ceux qui ont entrepris et de ceux qui vont entreprendre dans notre société guadeloupéenne. Pour eux, la transmutation, que connaissent actuellement toutes les valeurs, est autant d’exigences fondamentales. Des monnaies d’échange alternatives prennent de plus en plus d’espace. L’économie collaborative est venue bouleverser les rapports établis entre ceux qui mettent à disposition le capital qu’ils ont accumulé et ceux qui ne disposent que de leur force de travail remettant ainsi en cause les distinctions fondamentales quasi séculaires, existant entre le droit des sociétés et le droit du travail. Notre société nous oblige à être innovants, à prendre des risques, à investir dans des secteurs d’avant-garde, à voyager dans les pays proches de nous comme dans ceux plus éloignés, à nous enrichir de leurs expériences. Dans ce désordre réglementaire, ce véritable chaos normatif, on aperçoit une chance… Elle est là, elle s’offre à nous, la chance d’un nouvel ordre économique. Il est de notre responsabilité de nous en emparer et d’en faire le socle d’un développement harmonieux et durable de la société guadeloupéenne. À nous l’éthique respectueuse des besoins de notre société et consciente d’un cadre relationnel dans lequel toutes les parties prenantes de la société guadeloupéenne sont connectées, interconnectées, voire interpénétrées, les unes des autres. La tâche s’annonce ardue et les revers aussi nombreux que sévères. Mais notre génération a le devoir et l’honneur de l’entamer. Elle est là l’éthique du nouvel acteur économique dans et pour la société guadeloupéenne. À portée de main. Elle trouve son engrais dans une culture séculaire de la solidarité. © Shufaaz Shanoon Notre société nous oblige à être innovants, à prendre des risques, à investir dans des secteurs d’avant-garde, à voyager dans les pays proches de nous comme dans ceux plus éloignés, à nous enrichir de leurs expériences. Certains camarades l’ont bien compris, ils ont installé des plateformes collaboratives physiques comme le Spot espace de co-working à Jarry ou encore numériques comme le fait d’ores et déjà la start-up An sav fè sa avec notre Carter national. Ils ont élaboré des espaces où il est possible de coopérer. Coopérer, nous le devons mais avant tout avec nos voisins, ceux qui sont au bout du chemin comme ceux dont nous sommes séparés par un bras de mer. Nous devons sortir de l’exclusif commercial que nous avons hérité de l’époque coloniale. Cette dernière coopération a été facilitée par la récente loi n° 2016-1657 du 5 décembre 2016 relative à l’action extérieure des collectivités territoriales et à la coopération des outre-mer dans leur environnement régional. Et la coopération régionale doit passer par la construction de ponts entre nos pays, elle doit être le sel du débat sur une véritable intégration régionale. On identifie alors, un nouvel élément de responsabilité sociétale imputable à l’ensemble des collectivités, accompagner voire précéder ces nouveaux acteurs et leur donner les outils spécifiques afin de construire les nouvelles structures d’une économie durable en phase avec les besoins réels de notre société. À nous de nous en saisir. L’atout que constitue notre insularité nous oblige à évoquer l’importance du tourisme dans une analyse telle que celle-ci. Ce secteur d’activité clé ne doit pas rester en marge des évolutions de notre univers économique. Le tourisme guadeloupéen peut-être collaboratif et solidaire. Il doit être vert et bleu… Dans la lueur d’espoir apportée par les transformations économiques profondes qui sont déjà à l’œuvre sur la scène économique internationale, apparaît pour nous la chance d’abattre les entraves à l’initiative posée par le pouvoir de marché et de faire vivre l’imaginaire relationnel d’une société guadeloupéenne nouvelle.
1. V. à ce titre : C. BECCARIA, Des délits et des peines, Editions Flammarion (La peine de mort a pu être abolie dans le droit français à la fin du XXe siècle tandis que dès 1764, Beccaria exhortait déjà à une moralisation des peines).
2. D’ailleurs suite à l’indignation massive causée par les accusations portées à l’encontre d’un candidat à la présidentielle durant la campagne qui s’est déroulée en cette année 2017, a-t-on regretté son manque d’éthique et appelé à la « moralisation de la vie politique » pour que finalement une loi organique et une loi ordinaire « pour la confiance dans la vie politique » soit adoptées.
3. V. à ce propos la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordres.
4. Il y a quelque chose d’assez cocasse à se rendre compte que finalement, l’éthique revisitée par le droit des affaires n’a plus pour seul objectif d’admettre que l’humain n’est qu’un attribut d’une nature toute puissante qui est à la foi cause de soi et substance mais qu’elle vise désormais à replacer l’être social comme la finalité d’un univers où la contrainte du pouvoir économique a été légitimée, substantialisée voire essentialisée.

Le coworking, bureaux 2.O

Le coworking, bureaux 2.O

Par Salomé Berry Illustration : Mathieu Delord Qu’on l’adore, qu’on l’abhorre ou qu’elle nous laisse indifférents, Apple s’est hissé au firmament des marques les plus connues et les plus puissantes au monde. Et vaudrait aujourd’hui plus ou moins 800 milliards de dollars américains. Or, l’empire de la pomme croquée a connu des débuts on ne peut plus modestes. C’est dans un garage de Los Altos, en Californie, que l’aventure a démarré pour Steve Jobs, Woz et Ronald Wayne. C’était en 1976. Et 45 ans plus tard, c’est sans doute dans un espace de coworking que cette success-story aurait pu débuter (Why not ?). Haut lieu d’échanges, de collaboration et d’innovation, ces espaces de travail collaboratifs, troisième lieu entre le travail à domicile et le travail en entreprise, ont connu depuis quelques années un essor spectaculaire. Eh oui ! Tout le monde en a parlé, tout le monde a observé cette tendance tout en se demandant s’il ne s’agissait pas d’un simple effet de mode. Et aujourd’hui, on peut le dire, le coworking a dépassé ce statut pour s’inscrire comme un véritable secteur. La dernière étude sur le sujet, The Global Coworking Survey , publiée par Deskmag fin 2016 précise en effet qu’entre octobre 2011 et octobre 2016, quelque 10 000 espaces de travail partagés ont été ouverts dans le monde. Les chiffres du coworking en France proviennent d’une étude réalisée par la société Bureau à Partage r, en collaboration avec La Fonderie. Ainsi, en 2016, le nombre d’espaces de coworking est passé de 250 à 360 et serait estimé à 460 en 2017. Cette nouvelle organisation du travail, qui consiste à réunir des travailleurs indépendants et télétravailleurs dans des espaces partagés, s’est installée dans nos esprits et dans nos bureaux. Ils ont ringardisé les centres d’affaires, les baux trop rigides, résiliables tous les trois ans et les coûteux dépôts de garantie. On ne commercialise plus de mètres carrés, mais un espace de vie et de rencontres. Ces grands lofts commerciaux dotés de canapés design, d’accès à l’Internet haute vitesse, de salles de réunion, d’espace de détente aux ambiances variées, du zen au ludique, avec flipper ou baby-foot se sont multipliés mois après mois, atteignant une région après l’autre. Et pour une fois, la Guadeloupe comme la Martinique n’y échappent pas. Car, on a beau avoir été nourri au Web 2.0, c’est le bon vieil Aristote qui aura le dernier mot : l’homme est un animal social. En effet, plus le monde se virtualise, plus les gens ressentent le besoin de se retrouver, en vrai. Et après la colocation d’habitation, place à la colocation professionnelle : le coworking. © The bureau La première fois que j’ai mis les pieds dans un espace de coworking, c’était à TheBureau. En plein cœur du Triangle d’or quartier central des affaires parisien, 28 cours Albert 1er dans le VIIIe arrondissement. Un lieu, somme toute atypique, de 2 700 m2 répartit sur quatre étages, accessible 24 heures sur 24. Design haut de gamme et chaleureux. L’ambiance y était sérieuse, plutôt bonne enfant. J’y ai rencontré des jeunes – et des moins jeunes – évoluant principalement dans le domaine des nouvelles technologies, des demandeurs d’emploi qui essayent de monter un projet, des ex-salariés lourdés des entreprises, des traducteurs, pigistes, des communicants, des spécialistes du marketing. Et même des comptables ! Curieuse chronique, je me suis sentie interpellée par le mot. Et en faisant quelques recherches, je suis vite tombée amoureuse de la philosophie qui s’y cachait. Et bien avant qu’il ne soit théorisé, le coworking existait déjà sous des formes plus archaïques. En effet, au début du XXe siècle le Bateau-lavoir de Montmartre et La Ruche de Montparnasse proposaient déjà des cadres chaleureux où les peintres en herbe pouvaient se retrouver pour travailler seuls ou en collaboration. Ces espaces hybrides ont, d’ailleurs, émergé sous l’initiative de startups, TPE et PME de tous genres, afin de répondre au besoin de sortir de l’isolement et de la solitude du travail chez soi, tout en continuant à être à son compte et en préservant autonomie et liberté. À l’époque, les principales raisons d’être de ces ateliers qui ont vu défiler Gauguin, Picasso ou encore Chagall étaient de développer toute créativité dans un lieu inspirant, entretenir son réseau et faire des économies en partageant les coûts… Cela ne vous rappelle-t-il pas quelque chose ? Mais le terme, en lui-même, fut initié par l’écrivain et game designer Bernie De Koven, en 1999, non pas pour décrire un lieu, mais une méthode pour « travailler ensemble d’égal à égal ». En revanche, le premier centre de coworking, comme on l’entend aujourd’hui, c’est-à-dire un espace de travail partagé date de 1995 avec le C-BASE, un « hackerspace » fondé à Berlin par une bande de geeks désireux de partager leurs connaissances sur les logiciels libres, le hardware, le software, etc. Pour bien clarifier le terme, les « hackerspaces » ne sont en aucun cas des espaces où travaillent des « hackers », autrement dit des pirates informatiques, comme on pourrait l’imaginer, mais bel et bien de tiers lieux où des personnes ayant un intérêt commun (certes, souvent autour de l’informatique) peuvent se rencontrer et collaborer, partager ressources et savoir. Mais comme beaucoup d’idées révolutionnaires, c’est dans la Silicone Valley que le coworking prend véritablement de l’ampleur. En 2005, le premier espace de coworking à proprement parler fut inauguré à San Francisco par le programmeur Brad Neuberg , suivi de près de la Hat Factory cofondée par Chris Messina… Son nom ne vous dit sans doute rien, mais il s’agit de l’inventeur du #hashtag sur Twitter ! L’idée n’était plus de regrouper des membres du même domaine, mais de créer des écosystèmes, des communautés de travail. De proposer un espace de travail plus sociable et collaboratif avec des déjeuners en commun, des séances de méditation et même des massages. © The bureau Dès lors, la tendance était lancée. Et face à ce phénomène en pleine expansion, de plus en plus de jeunes entrepreneurs se laissent séduire par ce concept. Car une fois la cotisation déboursée : zéro paperasse, tout est là, sur place, prêt à l’emploi et accessible. Ces espaces hybrides ont, d’ailleurs, émergé sous l’initiative de startups, TPE et PME de tous genres, afin de répondre au besoin de sortir de l’isolement et de la solitude du travail chez soi, tout en continuant à être à son compte et en préservant autonomie et liberté. Et pour beaucoup d’autres bonnes raisons : recevoir ses clients ailleurs qu’à la table de la salle à manger, faire une réunion Facetime sans que ses enfants passent derrière, déguisés en superhéros, ou encore retrouver moins souvent de traces de tasses de café sur des dossiers importants, ne pas se sentir obligé de faire une brassée de lavage entre deux appels, etc. On s’y sent chez soi, mais aussi au travail, avec des rapports d’égal à égal. Le renouvellement des personnes permet à chaque fois de faire de nouvelles rencontres. Chacun peut s’avérer être un client ou un partenaire potentiel. En adoptant les codes de l’hôtellerie et de la Silicon Valley, ces centres d’affaires 2.0 ont réinventé l’espace de travail et mettent en avant l’esprit de communauté et l’échange entre pairs. Il s’agit souvent de bureaux en open spaces, bien qu’il y ait aussi des bureaux fermés. Tout est pensé pour favoriser les rencontres, les échanges, l’innovation, l’ouverture, la convivialité. Le tout dans une ambiance particulière, assez loin des espaces de travail conventionnels. Et c’est précisément cette ambiance que les coworkers recherchent. Ça et la flexibilité. Chaque espace opère avec son mode de fonctionnement : location à la journée, quelques jours par semaine ou à temps plein. Les prix oscillent de 300 € à 500 € par mois en région parisienne. Certains espaces proposent même un tarif horaire. En Guadeloupe (Sopt Coworking, Jarry) et en Martinique (le Cosy) , le prix d’un poste dit dédié est compris entre 300 et 450 euros par mois. Partout, les espaces de coworking se déploient pour les mêmes raisons. Et ils bénéficient aujourd’hui d’une attention particulière des pouvoirs publics en ce sens qu’ils sont perçus comme des lieux propices à l’innovation et adaptés aux nouveaux modes de travail, en particulier sur le plan de la flexibilité. C’est d’ailleurs ce que souligne le journaliste Charley Mendoza pour l’Asie sur le site Real Views : «  De nombreux pays d’Asie du Sud-Est voient de plus en plus le coworking comme un moyen d’encourager l’esprit d’entreprise parmi leurs populations locales. (…) En mars 2015, la première chaîne de coworking du Vietnam, Toong, a reçu un financement à sept chiffres, tandis que The Hub Singapour a levé 1,5 million de dollars australiens d’un Business angel anonyme.  », écrit-il. En 2015, de son côté Paris a accordé des subventions à hauteur de 2 millions d’euros à 14 lieux de coworking. Dans l'ensemble, ce que partagent les espaces de coworking du monde c’est la volonté de créer des liens d’affaires, un sens créatif, dans une vision de l’économie non plus hiérarchisée et linéaire, mais collaborative et circulaire. © WeWork Pour ma part, après six ans de travail en solitaire, dans mon chez-moi, coincée entre le canapé et la table basse, je me suis enfin laissée séduire par le coworking. Car si travailler chez soi procure une certaine liberté et de la disponibilité pour sa famille, il est aussi contraignant en matière de productivité. Et outre le fait de vouloir séparer vie privée et professionnelle, je voulais aussi me débarrasser de mes mauvaises habitudes : ne plus rester en pyjama jusqu'à 15 h, faire trois siestes en moins de 5 heures, tourner en rond, quitte à parfois me décourager et me soigner à coups de séries Netflix. Le rendez-vous fut pris dans le IXe arrondissement de Paris, à deux pas de l’Opéra Garnier et de la gare de Saint-Lazare, dans ce nouvel eldorado technologique où l’on trouve désormais Google, Facebook, Twitter, Blablacar et autres puissants de la nouvelle économie. C’est ici au 33 rue de Lafayette, chez WeWork, le géant américain du coworking, qui venait d’ouvrir son premier lieu physique en France, que j’allais enfin commencer une nouvelle aventure. Un bâtiment Art Déco de 12 000 m2 répartis sur huit étages abritant 2 400 postes. Thé ou café à volonté, donuts en libre-service, salons privés, cabines téléphoniques, cuisines équipées à tous les étages, cours de yoga, rooftop… WeWork propose, en effet, une large gamme de services : accès aux services bancaires facilités, solutions de RHs, de stockage, des conférences, ateliers, des rencontres entre leaders d’opinion, la possibilité d’organiser des événements (séminaires, lancements). Et comment ne pas parler de l’application WeWork qui permet de se connecter à l'intégralité de la communauté de créateurs et d'entrepreneurs ? D’échanger des idées, trouver des opportunités, réserver des salles de réunion, des postes de travail et plus encore. Rester connectés et productifs partout, tout le temps. La formule a tout de même un coût : 450 € par mois pour un poste de travail ou encore 665 € par mois en moyenne pour un bureau privé pour une personne. Aussi, du fait de sa culture du « global », du bon sens et de l’ouverture aux autres, les espaces de coworking sont devenus les « hubs » d’une innovation en mouvement, un concentré de talents qui inventent aujourd’hui les usages de demain. Ils dessinent l’avenir du travail, de la création, de l’innovation… © WeWork Lors de mon premier jour, j’ai fait la rencontre d’Amandine, 35 ans, coworkeuse avérée, ancienne Dir. COM d’une agence de mannequinat, qui avait décidé de tout plaquer – un peu comme moi – pour créer son entreprise de RP. Souriante et affable, chargée de me faire visiter les lieux, elle m’explique qu’«  ici, chacun travaille sur son projet, mais l’accent est mis sur le partage. Finalement, beaucoup de gens travaillent ensemble, car on est toujours potentiellement le client de quelqu’un  ». Et au bout de 5 mois passés chez WeWork, je peux dire que le coworking a changé mon quotidien et ma façon de concevoir le travail, l’entrepreneuriat, le réseautage ainsi que mon projet en lui-même. On s’y sent chez soi, mais aussi au travail, avec des rapports d’égal à égal. Le renouvellement des personnes permet de faire de nouvelles rencontres ; chacun peut s’avérer être un client ou un partenaire potentiel. Mais je dois tout de même reconnaître que le coworking n’est pas possible pour tous les entrepreneurs : il est nécessaire d’avoir une activité dématérialisée. De ce fait, il est fort déconseillé aux entrepreneurs qui ont besoin de calme et de silence pour travailler. A fortiori, pour les projets innovants ou les professions concernées par le secret professionnel et la confidentialité des informations. En vérité, le coworking est un mode de travail adapté pour les personnes qui souhaitent travailler dans un endroit animé et avec un minimum de bruit – qui n’est toutefois pas désagréable, car il s’agit d’une ambiance de travail. Loin d’être uniforme, le paysage mondial du coworking répond à des attentes générationnelles et économiques, et à des évolutions sociétales, communes à la plupart des régions du monde. Et lorsque la nouvelle génération rejoindra le marché du travail, nous verrons de plus en plus de travailleurs en free-lance, d’entrepreneurs… Car par rapport aux autres générations, ils ont à cœur de travailler avec beaucoup de plaisir, ce qui signifie qu’ils veulent faire quelque chose qu’ils aiment dans un environnement agréable, rencontrer des gens intéressants et collaborer. Toutefois, tous les espaces de coworking ne se valent pas. Aussi, du fait de sa culture du «  global  » , du bon sens et de l’ouverture aux autres, les espaces de coworking sont devenus les « hubs » d’une innovation en mouvement, un concentré de talents qui inventent aujourd’hui les usages de demain. Ils dessinent l’avenir du travail, de la création, de l’innovation… Bien plus qu’une simple mode éphémère, le coworking est un authentique phénomène sociétal qui ne devrait pas s’essouffler de sitôt. Dans les prochaines années, on devrait au contraire assister à un accroissement considérable du nombre de coworkers étant donné la progression du travail nomade et de l’économie collaborative. Les entreprises semblent elles-mêmes avoir compris l’intérêt de ces nouvelles infrastructures puisqu’elles sont de plus en plus nombreuses à y envoyer leurs salariés. Le coworking séduit aussi les grandes entreprises. Renault a créé son « fab lab » (espaces où sont mis à disposition des outils, NDLR) pour stimuler la créativité de ses ingénieurs. Et Bouygues et Nexity viennent d'ouvrir des espaces de coworking. Ajoutons à cela le nombre important de bureaux et de locaux actuellement vacants qui pourront, à l’avenir, constituer autant d’espaces destinés au coworking !

Buzz, the new com

Buzz, the new com

Par Marc Lantin et Ken Joseph Illustrations : Mathieu Delord Agences, annonceurs, clients Ils sont de plus en plus nombreux à croire en la recette miraculeuse du buzz, cette nouvelle forme de publicité « tendance » réputée peu onéreuse qui rapporte gros. Mais les choses ne sont pas aussi simples et les risques bien présents. Pourtant, aujourd’hui, tout le monde veut son « opé buzz ». À l’heure où les budgets des grandes campagnes publicitaires traditionnelles rétrécissent, le web ressemble à un eldorado. Selon une étude publiée aux États-Unis par Strategy Analytics , les dépenses en marketing digital représenteraient 28 % des investissements publicitaires, soit 52,8 milliards de dollars. Signe des temps, Le Figaro, Elle, Paris Match, le JDD ont tous créé une rubrique « Buzz ». Le mot fait même son entrée dans le Larousse et le Robert 2010. Il désigne par extension l’éclat médiatique et éphémère d’un phénomène qui marque l’actualité : la sortie du dernier album de MC Solaar, la campagne du McGoulou – approuvé par Admiral T, Balmain chez H&M – reconnue comme le meilleur coup de com' de 2015 –, ou encore la campagne # Make our Guadeloupe great again… Comment oublier l’opération « com'buzz » présidentielle d’Emmanuel Macron sur un lit de camp à la gendarmerie de Saint-Martin, à la suite de sa visite les jours d’après l’ouragan Irma. Sans oublier sa « petite » toilette au seau d’eau… Et enfin, l'inauguration du tunnel de Perrin aux Abymes… À la croisée de la problématique économique et du phénomène de société, le buzz a ouvert la voie à de nouvelles pratiques marketing. Décryptage d’une nouvelle religion de la communication. En anglais, le terme « buzz » signifie « bourdonnement », le son émit par les abeilles qui transportent le pollen de fleur en fleur pour les fertiliser. Le buzz consiste à faire du bruit autour d’un événement ou d’une personnalité en propageant de manière virale – de proche en proche –  l’information. C’est le principe du bouche-à-oreille. Jusque-là, rien de révolutionnaire : Jésus l’utilisait déjà pour diffuser la bonne parole. Ce qui est nouveau, ce sont les outils technologiques qui permettent de transmettre, échanger et commenter toujours plus vite et facilement l’information. Le « consom’acteur » Les e-mails, les textos et les forums ont servi de laboratoire. 2005, une déferlante de courriers électroniques, de pubs Google et de sites web annoncent un projet titanesque : la création par la SNCF du TransAtlantys, un train qui reliera Paris à New York en moins de huit heures, par un tunnel sous l’Atlantique. Les enthousiastes tentent de convaincre les sceptiques qui relancent le débat. L’entreprise devient le centre des conversations. Jusqu’au jour de la révélation : pas de tunnel sous l’Atlantique, mais un joli coup de projecteur sur sa nouvelle agence de voyages. C’est l’un des premiers buzz marketing de l’histoire. © SNCF Depuis, l’avènement du web 2.0 avec ses blogs et autres réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) ou communautaires (YouTube, Dailymotion) a démultiplié les possibilités. Ces nouvelles technologies ont changé le rôle du consommateur. C’est un « consom’acteur ». Au sein d’une communauté d’intérêts, il échange sur les forums, partage des vidéos et il conseille sur les blogs. Dans notre société de surchoix où l’on est mitraillé de messages publicitaires, les individus ont plus tendance à faire confiance à un « ami internaute » qu’à un slogan. Selon le nouveau baromètre Nurun-Ifop, Internet est aujourd’hui le média dont l’impact sur la décision d’achat des consommateurs est le plus important. Pour les séjours à l’hôtel ou en location, par exemple, 63 % des consommateurs déclarent avoir pris en compte ce qu’ils y ont vu, lu ou entendu. Idée virus et cause Encore faut-il réussir à mobiliser les internautes qui porteront la bonne parole à travers la toile. Trouver l’idée « virus » et la « cause » pour reprendre les termes de Georges Chétochine, auteur de To Buzz or Not Buzz (Eyrolles, 2007) qui annonceront le buzz. Le défi se résume, donc, à faire exister une marque dans un flot de contenus toujours plus important : une série, un site d’information en ligne… Contrairement à la publicité classique, rien n’est imposé au consommateur, c’est lui qui choisit de s’y intéresser. Sur le fond du message, les leviers classiques tels que l’humour, la dérision, la provocation fonctionnent toujours. On peut aussi y saupoudrer un zeste de nouveauté. La tendance actuelle consiste à dépasser le simple contenu et à offrir un service, une expérience. Guérilla marketing La différence se joue aussi sur la forme. Un saut en parachute de sir Richard Branson –   légalement interdit – au beau milieu de Time Square, à New York, pour promouvoir Virgin ou le blocage de la place de l’étoile, à Paris, par des dizaines de Smart aux couleurs Red Bull sont des opérations dites de « Guérilla marketing » qui circulent rapidement sur la Toile. Il faut s’adapter à la cible et aux médias choisis. Par exemple sur Facebook, il vaut mieux imaginer une application qu’un bandeau publicitaire sur lequel personne ne clique. C’est ainsi que la chaîne de restauration rapide Burger King a décidé de lancer, en 2009, le «  Whopper Sacrifice  ». Le principe : supprimez dix contacts Facebook et recevez un coupon pour un burger gratuit. Résultat de l’opération : 234 000 amis rayés des listes pour quelque 23 000 sandwichs offerts. Le prix de l’amitié ! Facebook a demandé la suppression de l’application… © YMCA Les relations blogueurs Si l’on connaît les ingrédients d’un buzz réussi, la recette reste, elle, un mystère. Les spin doctors du marketing n’hésitent donc pas à forcer un peu le destin. Une opération buzz consiste, en effet, en 80 % de contenu et 20 % de stratégie de diffusion. L’un des moyens d’assurer la visibilité d’une marque est la mise en relation avec des internautes réputés « influents » dans leur communauté et susceptibles d’être intéressés par le produit ou l’entreprise. Ils leur sont alors proposés de l’information exclusive – souvent sous forme d’expérience – en espérant qu’ils écrivent une note qui sera lue, reprise et commentée. Exemple : participer à une séance de shooting pour la marque American Vintage. Accompagnés par la styliste de la marque, dix blogueurs triés sur le volet ont choisi leurs tenues avant d’être photographiés et filmés pour le site de la marque et de repartir avec leur nouvelle garde-robe. Bingo ! Ils ont tous relaté l’événement, habillé leurs blogs aux couleurs de la marque et hébergé son jeu-concours. D’autres proposent directement de rémunérer ces super-internautes : on parle alors de « billet sponsorisé ». «  J’ai assisté à des soirées pour des tests de produits, je suis invitée à passer une semaine en cure thermale et j’accepte d’être payée pour un article si le sujet m’intéresse, mais je reste libre de dire ce que je veux.  », raconte Audrey Zinger, 37 ans, une blogueuse modeuse, tendance geekette. Le bad buzz Pour ceux qui ont recours à cette savante alchimie du buzz, le risque n’est jamais nul et le spectre d'un « bad buzz » jamais loin… Cas d’école. Prenez des meubles parachutés sur les ponts de Paris : l’idée est originale et spectaculaire, la vidéo tourne sur le web et le buzz prend. Tout le monde pense directement à Ikea. Faux ! Les internautes apprennent la vérité. Mais le mal est fait. Conforama, à l’origine de la campagne , vient d'offrir à son pire adversaire une superbe pub gratuite. Lorsque le fournisseur d’énergie, Poweo, décide de surfer sur le succès de Sébastien Chabal après la coupe du monde de Rugby de 2007, le buzz est assuré. Mais la mise en scène, sous la forme d’un « dessin animé », d’un sportif qui recharge ses batteries en mettant les doigts dans une prise électrique, n’a pas été du goût de tout le monde. Très vite, des groupes se sont créés sur Facebook pour demander le retrait de la pub et crier à l’irresponsabilité de l’entreprise. L’un des terreaux les plus fertiles du « bad buzz » reste le produit lui-même. Et la grande maison Chanel en a fait les frais. En cause ? Un boomerang de luxe Chanel vendu 1 756 euros qui provoqua l’ire des internautes en mai 2017, accusant la marque de se livrer à une « appropriation culturelle » en reprenant cet objet traditionnel des Aborigènes d’Australie. « J 'ai décidé d'économiser de l'argent pendant les trois années à venir pour pouvoir me rapprocher de ma culture avec Chanel.  » © Steff Moris La maison Chanel a réagi dans un communiqué, se disant : «  très respectueuse des différentes cultures et traditions  » et regrette «  que certains aient pu être offensés  ». «  Nous comprenons parfaitement l'attachement culturel que la communauté aborigène et des îles du détroit de Torrès portent à cet objet et nous le respectons  », poursuit la maison, précisant que «  le sportswear fait partie intégrante de l'identité de la marque Chanel  ». Les mots sont lâchés : appropriation culturelle. C’est également ce qui fut reproché à la chaîne McDonald’s – locale – avec son fameux sandwich McGoulou, inspiré du très célèbre Agoulou – spécialité de la région basse-terrienne – créé par Francis Vala. © McDonald's Une campagne multisupport approuvée et portée par Admiral T – artiste caribéen de la scène reggae-dancehall – défenseur du « consommer locale » (WTF). Une combinaison sous fond de polémique et d’indignation qui a fortement fait réagir sur les réseaux sociaux. L’artiste, quant à lui, s’est empressé de répondre en chanson sur le célèbre tube « Wild Thoughts » de DJ Khaled, Rihanna et Bryson Tiller. Un ego trip, «  On s’en fout   », où il explique sa colère au sujet de ce lynchage médiatique. Mais si tous les éléments étaient réunis pour un buzz « musical », ce fut à nouveau un bad buzz… La plupart du temps, il s’agit aussi de réactions spontanées d’internautes en colère, un « bad buzz » naturel. On ne compte plus les photos de souris diffusées sur la Toile qui ont entaché les réputations de MacDonald's, La Brioche dorée, Pizza Hut… Le «  Buzz monitoring  » Pour éviter cet écueil, des entreprises sont devenues les grandes oreilles du Web. Elles proposent d'écouter, de cartographier ce qui se dit sur le Net pour repérer les tendances, mais aussi éviter les mauvaises surprises. Une course contre la montre dans laquelle chaque heure compte. Autre avantage, ces techniques de traçabilité permettent d'évaluer l'efficacité d'une campagne de buzz. Une campagne de buzz est-elle automatiquement synonyme de jackpot ? Le ticket gagnant autour de 50 000 euros est moins élevé que celui d'une opération classique et la rentabilité peut être importante. Mais les risques sont aussi nombreux. Et pour limiter la casse, mieux vaut miser davantage dès le départ. Il y a eu quelques « coups » faits avec presque rien, mais ce mythe a vécu. La concurrence est telle qu'il faut une véritable qualité de production, un savoir-faire de spécialistes, car les technologies ne cessent d'évoluer ; et un plan média global pour suivre l'ensemble sur le long terme. En bref, faire confiance aux experts. En France, ces grands prêtres du buzz qui officient dans les agences spécialisées telles que Buzzman – les « pures players » comme ont dit – sont encore peu nombreux. En revanche, les adeptes, eux, se manifestent de plus en plus. Reste à les convaincre que le buzz n'est que l'un des nombreux rites d'une nouvelle religion : le marketing 2.0. Vous les connaissez forcément, ces drôles de bébés en rollers qui remuent de la couche au son d'une reprise du mythique « Rapper's Delight » de SugarHill Gang. Vous les avez peut-être même partagé avec vos amis, participant ainsi sans le savoir au plus gros buzz commercial de l'histoire. Grâce à cette campagne Évian et aux 45 millions de vues officielles associées à cette vidéo réalisée par Michel Gracey, l'agence BETC-Euro RSCG est rentrée dans les pages du Guinness Book. «  Il sera très difficile de reproduire un buzz qui dépasse à ce point les attentes, mais on peut en tirer quelques leçons  », explique Guilhem Fouetillou, directeur général de Linkfluence, l'agence chargée d'évaluer la campagne. Premièrement : mettre la main au porte-monnaie. Cette opération aurait coûté quelque 450 000 euros (hors création vidéo). Et enfin : concevoir un plan d'attaque. «  Il y a d'abord eu un gros travail de préparation, pendant plusieurs mois, sur les communautés pour attirer l'attention des influenceurs. Puis, on est passé à l'assaut avec l'achat de la page d'accueil YouTube pendant 24 heures  », conclut-il.

Veggie (R)évolution, un marché florissant

Veggie (R)évolution, un marché florissant

Par Leila B. et Ken Joseph Photo : Surnorwing Symbole de prospérité, durant les 30 glorieuses, la consommation de produits animaux fait aujourd’hui débat et de manière de plus en plus radicale. Empathie pour les animaux, convictions écolos, soucis de santé… De plus en plus de Français boudent la viande pour miser sur les végétaux. Aujourd’hui, on estime qu’en France environ 3 % de la population est végétarienne et que 10 % pourraient envisager de le devenir, contre 3 % en 2012  (1) . D’ailleurs, selon une étude commandée par le journal Les Échos en 2015, la consommation de viande aurait baissé de 19 % depuis 1990 pour atteindre 86 kg par an et par personne en 2014. Mais qu’est-ce qui a fait basculer les mentalités ? «  La conjonction de nombreux éléments  », estime Élodie Vieille-Blanchard, présidente de l’Association végétarienne de France. En effet, fin 2015, l’OMS liait la consommation de viande au cancer, tandis que la COP21 de son côté soulignait le poids de l’élevage dans le réchauffement climatique. Ce dernier est, en effet, responsable de 80 % de la déforestation tropicale et produit plus de gaz à effet de serre que l’ensemble des transports mondiaux. De surcroît, la production d’un kilo de viande de bœuf nécessite près de 15 000 litres d’eau et sept kilos de céréales. Mais ce qui a vraiment accéléré la tendance, c’est la diffusion, par l’association L214, de vidéos sur les conditions atroces de l’élevage industriel et de l’abattage en France. Une réaction épidermique qui ne surprend guère la philosophe Florence Burgat, auteure de «  La Cause des animaux  » (éd. Buchet-Chastel). «  On sait d’instinct que l’élevage est source de violences pour les animaux et que leur mise à mort est monstrueuse, assure-t-elle. Comment en serait-il autrement, quand on abat près de 100 milliards d’animaux chaque année dans le monde, et plus de 500 000 en France chaque jour ?  » Nous vivons dans une société qui dissocie l’animal vivant de la viande, alors que le statut juridique de l’animal, défini dans le Code civil depuis 2015, est celui d’un «  être vivant doué de sensibilité  ». Émus devant une vidéo d’un chiot, nous ne broncherions pas devant une belle pièce d’entrecôte. Serions-nous devenus schizophrènes ? Pour Florence Burgat : «  Manger de la viande est un enjeu identitaire qui consiste inconsciemment à affirmer une supériorité humaine sur le règne animal. Reste que de plus en plus d’entre nous refusent d’être complices de cette boucherie  ». © Herta Bref, nous assistons à une véritable révolution culturelle et sociale qui prend son expression dans un mouvement en plein essor : le végétarisme. Une tendance qui semble s’enraciner et qui conquiert du terrain. Il suffit pour s’en convaincre d’observer les rayons de traiteur frais en hypermarché : les nuggets sans viande, falafels, pavés aux légumes et autres s’y trouvent facilement. D’ailleurs, Bjorg, le numéro un de l’épicerie bio en grande distribution, vient de faire son entrée sur ce segment, rejoignant Sojasun et Céréal Bio. Mais on y voit aussi Fleury Michon et sa gamme «  Côté végétal  » ou encore Herta et la sienne baptisée «  Le Bon végétal  », des industriels pourtant connus pour leurs déclinaisons à base de porc. Pour répondre à cette demande croissante de menus plus « green », Picard a décidé pour sa part de lancer une gamme complète et gourmande de produits 100 % végétariens «  Tout bon, tout veggie  ». Les desserts au soja, quant à eux, font désormais partie du paysage, à côté des yaourts. Quand les boissons à base d’avoine, de soja ou d’amande, chargées de remplacer le lait animal, jouent les vedettes avec de belles croissances dans tous les types de distribution. Les livres de cuisine ne sont pas en reste. « Nous assistons à une véritable révolution culturelle et sociale qui prend son expression dans un mouvement en plein essor : le végétarisme. Une tendance qui semble s’enraciner et qui conquiert du terrain. » © Pille Rinn Priske D’ailleurs, sur les cartes des restaurants, et même dans nos roulottes traditionnelles, rebaptisées food-trucks, des propositions végétariennes se sont mises à fleurir. Prenons l’exemple du restaurant Archibon , situé à Jarry, qui propose à la carte des mets à base de soja aux saveurs exotiques : colombo de soja au lait de coco, fricassée, poêlée et son délicieux mafé de soja. Ou encore le Pita Pit qui soumet des sandwiches agrémentés de boulettes de pois chiches. Dans les années 70, être végétarien, c’était hippie. De nos jours, c’est un mode de vie promu par les people. Au rayon des stars « no meat », on compte, en vrac, Natalie Portman, Brad Pitt, Stella McCartney, Bill Clinton, Jessica Chastain, Eva Mendes, Joaquin Phoenix, Vanessa Paradis… D’autres vont plus loin, telles que Beyoncé devenue végan en 2015, rejoignant Pamela Anderson, égérie de la lutte contre l’exploitation animale. Idem chez les sportifs à l’image de Novak Djokovic, superstar du tennis et heureux propriétaire d’ Eqvita . Bref, être veggie rime avec succès, glamour, bien-être et énergie. Alors que 2 Français sur 5 ne font jamais de repas sans viandes, charcuterie ou poissons, 1 sur 5 se déclare néo-végétarien dont flexitarien, pour la majorité d’entre eux. Apparus dans les années 2000, ils ont non seulement accru leur consommation de fruits et de légumes frais, mais aussi celle de céréales, d’herbes aromatiques et d’épices, sans pour autant bannir totalement la viande de leurs assiettes. Combien sont-ils ? Aucune étude pour le moment ne permet de quantifier les néo-végétariens. Toutefois, les spécialistes s’accordent à dire que cette clientèle est en train d’émerger. Et que nous assistons à un basculement des attitudes et des représentations du végétal qui traduisent de nouveaux rapports à l’alimentation, aux corps et à la santé. Pour André Spicer, coauteur d’une passionnante analyse sur l’obsession du healthy, «  Le Syndrome du bien-être  » (éd. L’échappée), le boom du végétarisme n’a rien d’une mode passagère. «  Aujourd’hui, ce que nous mangeons définit qui nous sommes », soutient-il. «  Être végétarien ou végan, c’est traiter son corps comme un temple, opter pour une nouvelle “biomorale’’ et rejoindre une caste éclairée. Ce mouvement va se développer dans un monde où le bien-être, la santé et l’énergie sont devenus des impératifs moraux et sociaux.  » Longtemps réservé face au végétarisme, accusé de causer déficits et carences, le monde médical a lui aussi évolué. «  Le végétarisme n’a rien d’un régime alimentaire déséquilibré, à condition de bien maîtriser les combinaisons de légumineuses et de céréales, reconnaît le Dr Laurent Chevallier, nutritionniste. Le cas du véganisme est plus complexe, notamment pour les enfants.  » Seul bémol, le monde hors Occident devrait voir sa consommation de viande doubler d’ici à 2050. Quelles que soient les raisons invoquées, il y a une certitude : les choses bougent vite. Tous les indicateurs sont au vert, et même chez les géants de la junk food. McDonald's et la green-attitude Envoyez un végétarien manger chez McDonald’s pourrait être perçu comme une blague de très mauvais goût. Pourtant, depuis le 10 octobre 2017, cette farce est devenue une réalité avec le lancement du « Grand Veggie ». Un véritable coup de tonnerre – marketing – dans le marché hexagonal du burger, qui se traduit par une galette panée composée de carottes, salsifis et d’emmental replaçant les fameux steaks, filets de poulet et de poisson pané habituellement proposés. Si le géant américain garde le bun (« le pai »), il le coiffe de graines de courges, de sésames et de pavots. Le tout agrémenté de jeunes pousses de salade, de chou rouge et blanc, de tomates et d’une sauce au pesto rouge. Ainsi est le « Grand Veggie ». Une surprise de taille pour les consommateurs habitués à manger de la viande chez le géant du fast-food. Il faut dire que la chaîne de restauration rapide était l’une des dernières que l’on attendait sur le marché florissant de la nourriture végétarienne en France. Et pourtant. Malgré un leadership qui semble incontestable en France sur le marché de la restauration rapide (deux millions de repas servis chaque jour et un chiffre d’affaires de plus de 4 milliards d’euros), McDonald’s n’avait d’autre choix que de s’adapter à la tendance « veggie » afin de tenter d’accroître ses ventes (+2,6 % l’an passé) et garder sa position de leader face à une concurrence saignante. Face à un revirement latent du comportement et de la façon de consommer, l’industrie agroalimentaire et les porteurs de projets semblent avoir trouvé un nouveau segment à développer, celui du végétarisme. En effet, depuis le rachat de Quick par son grand rival américain Burger King, ce dernier ne cesse de mettre les bouchées doubles pour tacler le géant du burger. Bref, cette nouveauté « green » confirme la volonté de la chaîne de s’inscrire dans une lignée plus saine, mais aussi de répondre aux sollicitations des consommateurs. «  C’est un sandwich qui met les légumes à l’honneur. Il plaira aux végétariens, mais aussi à tous nos clients amateurs de burgers. D’après nos études, un Français sur deux souhaite varier son alimentation, notamment en mangeant plus de légumes.  », précise Delphine Smagghe, vice-présidente responsable des achats, de la qualité, du développement durable et de la communication chez McDonald’s France. Une démarche de fond et de forme, pour le géant américain, qui vise à élargir sa clientèle à l’heure où le végétarisme séduit de plus en plus dans l’Hexagone, mais aussi une façon de se réconcilier avec les « anti-junk food ». Une stratégie compréhensible, au vu d’un segment qui pèse, aujourd’hui, 40,3 millions d’euros et qui a connu une croissance de + 125,1 % en valeur (et + 131,8 % en volume sur un an) sur le marché du Bio qui représente 7 milliards d’euros  (2) . © McDonald’s France «  Il y a incontestablement un phénomène de société (autour du végétarisme, NDLR). D’après une étude que nous avons menée, 42 % des Français sont intéressés par une offre végétale. Le phénomène est même plus fort que le bio  » observe le président fondateur du cabinet d’études et de conseil Food Service Vision, François Bloudin. Toutefois, l’initiative du burger végétarien de McDo laisse le cofondateur de l’enseigne Bioburger, Louis Frack, circonspect. «  Je suis partagé face à cette initiative. Bien sûr, d’un côté, je trouve ça cool que le patron incontesté du burger se mette à faire du végétarien. Cela veut dire que nous étions dans le vrai et qu’on a pu faire bouger les lignes. Sauf que notre principale réserve, c’est que c’est une manœuvre opportuniste marginale. Cela vient un peu comme un cheveu sur la soupe. On verra si l’initiative se poursuit  ». Ainsi, le lancement du « Grand Veggie » relèverait plus d’un coup stratégique de McDo que d’un changement complet de paradigme. «  Il y a un marché pour les produits végétariens, poursuit-il. S’il veut rester leader, il fallait qu’il réponde pour ne pas passer pour une entreprise has-been  ». McDonald’s avait déjà fait un pas en avant vers la nourriture plus saine en ouvrant notamment des bars à salades. «  La mise en scène a permis de conquérir un public large. Pour de nombreux consommateurs, le “salad-bar” a été l’occasion d’acheter pour la première fois une salade  », indique le responsable marketing de McDonald’s France, Xavier Royaux. Le concept tient toujours et permet même aux clients de créer et personnaliser leurs propres salades. La question est maintenant de savoir si « Le Grand Veggie » trouvera sa place au milieu des Big Mac et autre burger carné… Mais le géant du fast-food doute-t-il de la persistance de la vague végétarienne ou ne souhaitait-il pas s’offrir qu’un effet d’image tendance ? En tout cas, le « Grand Veggie » aura eu une vie éphémère, du 10 octobre au 27 novembre 2017. Interrogé par le journal Les Échos , Xavier Royaux a précisé que de nouveaux burgers végétariens pourraient revenir à intervalles réguliers en fonction du succès de ce premier essai : «  Si le succès est au rendez-vous, il y a, en effet, un intérêt pour nous de proposer une variété d’offres autour du Veggie  ». McDonald’s a déjà tenté cette opération séduction des végétariens dans d’autres pays d’Europe, comme l’Allemagne, la Norvège, l’Italie et le Royaume-Uni. Et l’enseigne américaine n’est pas la seule à vouloir répondre aux nouveaux appétits. De nouveaux produits vont continuer à fleurir, avec des offres de plus en plus pointues, à l’image du pain végan au lait de chanvre et farine de sorgho sans gluten lancé aux États-Unis par Free Bread et repéré par le cabinet XTC… Comme pour tout lancement, les succès seront divers. © Bluewater Globe Un marché porteur Face à un revirement latent du comportement et de la façon de consommer, l’industrie agroalimentaire et les porteurs de projets semblent avoir trouvé un nouveau segment à développer, celui du végétarisme. L’essor de ce dernier est porteur de nouveaux secteurs d’activité, du développement de nouveaux produits et de nouveaux métiers. Un marché économiquement viable, écologique, éthique et sain. Un marché d’avenir, que les pouvoirs publics seraient bien avisés de soutenir. Pour convaincre, la consommation plus éthique ou la gestion optimisée des ressources ne semblent pas être de bons arguments. La création de nouveaux produits qui se caractérisent par leur diversité, leur accessibilité et leur respect de l’environnement, voilà une démarche qui fait écho auprès du consommateur. Le prix, le goût, l’innovation et le conditionnement sont des arguments de taille pour séduire de nouveaux adeptes d’une alimentation qualifiée de plus saine par les producteurs. L’apparition des alternatives comme les escalopes de lupins, les saucisses de tofu, les crevettes à base d’algues ou les steaks de blé illustrent parfaitement la créativité marketing dont fait preuve l’agroalimentaire. Même si un grand changement pour ce qui est des habitudes alimentaires reste encore utopique, le secteur de l’agroalimentaire dispose sans conteste d’un marché florissant et prometteur à dominer. Il ne profite d’ailleurs pas seul de cette révolution verte qui germe doucement dans tous les coins de la planète puisque les plantes partent aujourd’hui à la conquête de nombreux autres domaines comme l’automobile, le textile ( Couleurbôkaz du Dr Henry Joseph) ou l’électronique. En effet, si les légumes et les fruits prennent la place des viandes, les plantes semblent avoir réussi à remplacer le pétrole. © Amirhossein Aslani L’engouement pour le végétarisme est donc bel et bien d’actualité, mais il appartient au secteur de l’industrie agroalimentaire et également au porteur de projet de profiter de cette manne tout en évitant de créer un effet pervers dû à une mauvaise gestion des prix. Choisir de privilégier les aliments d’origine végétale comme les fruits et les légumes frais reviennent parfois à plus cher. L’offre alimentaire fait ainsi face à un pari où il importe de proposer une plus grande qualité nutritionnelle tout en préservant le budget des consommateurs. La variété ne doit pas se limiter à une palette de produits, mais doit également s’étendre à un choix large de prix afin de favoriser et entretenir un changement durable des habitudes de consommation. Cette analyse dans son ensemble et les exemples de McDonald’s & Co démontrent un réel intérêt pour la filière. D’où des idées de création d’entreprises multiples qu’elles ciblent le consommateur final ou le producteur : restaurants et commerces thématiques, services de livraison, prestations de conseils pour la restauration collective, prestation de communication spécifique… À titre d’exemple de projet innovant « veggie », prenons le cas de la start-up Impossible Food , qui en 2016 a mis au point un burger à base de « sang végétal ». Les ingrédients ? Du blé, de l’huile de coco, de la pomme de terre… Mais surtout une protéine ressemblant à l’hémoglobine récupérée dans des racines légumineuses permettant de créer une sorte de « sang végétal ». La start-up s’est vu recevoir des investissements de Google, Bill Gates et Tony Fadell, le fondateur de Nest, faisant monter le total à 183 millions de dollars. Depuis, il est possible de retrouver ce fameux burger « veggie » dans de nombreux restaurants aux États-Unis, notamment au Momofuku à New York. Les réactions des critiques culinaires ont été positives, beaucoup disent ne pas pouvoir faire la différence avec un vrai steak… Alors, pourquoi ne pas envisager un boudin à base de « sang végétal » ?
Sources: (1)Les Échos, (2) Lsa-conso, Elle magazine,
McDonald’s France

Le prêt bancaire, comment mettre toutes les chances de son côté ?

Le prêt bancaire, comment mettre toutes les chances de son côté ?

Par Franck L. Photo : Ron Mc Clenny Financer la création ou la reprise d’une entreprise passe généralement par un prêt bancaire. Une formalité pensez-vous ? Pas si sûr. Le contexte économique incertain et les contraintes auxquelles doivent faire face les banques, notamment en matière de réglementation, pèsent sur le financement des entreprises. Si l’encours des crédits aux PME est relativement stable, l’accès au crédit pour les créateurs et repreneurs d’entreprises est, en revanche, plus difficile. En effet, selon une étude récente, menée par TMO Région, sur le financement de la création d’entreprise, seuls 56 % des créateurs qui ont pris contact avec une ou plusieurs banques pour financer leurs besoins initiaux ont reçu une réponse positive à leur demande de prêt. La banque n’a pas vocation à financer l’intégralité d’un projet de création d’entreprise et à supporter le risque qu’il revêt. Il est attendu de l’entrepreneur une réelle implication financière dans son projet. D’autre part, plus de la moitié des personnes interrogées déclarent avoir eu besoin de plus de 16 000 € pour démarrer leur activité. En détaillant ces chiffres, on observe que 21 % des créateurs ont eu besoin de réunir entre 16 000 € et 39 999 €, 14 % ont indiqué une somme comprise entre 40 000 € et 79 999 €, et 16 % ont estimé leurs besoins à plus de 80 000 €. Par ailleurs, selon l’INSEE, seules 2 entreprises sur 3 survivent aux trois premières années d’activités. Elles ne sont plus qu’une sur deux au bout de 5 ans. Bref, créer une entreprise est risqué et coûte de l’argent. Et si vouloir d’un crédit professionnel pour lancer son projet est une chose, l’obtenir en est une autre. Voici quatre éléments importants pour mettre toutes les chances de votre côté et séduire les banques. © Birgth Roospuu Un CV cohérent Les banques sont particulièrement attentives à la formation et à l’expérience professionnelle du porteur de projet. Si votre curriculum vitae ne révèle pas les aptitudes techniques et professionnelles nécessaires à la conduite de votre projet, l’obtention de financements risque d’être compromise. Un projet crédible et rentable Les banques disposent de nombreux indicateurs qui leur permettent de juger la pertinence du projet qui leur est présenté. Le niveau de chiffre d’affaires, la rentabilité, la trésorerie de démarrage… Tout est passé au crible. Le prévisionnel financier doit être réalisé avec pragmatisme, et mettre en valeur des chiffres crédibles. Un dossier « carré et bétonné » Rédiger et constituer un dossier complet fait partie des prérequis pour séduire les banques. Ces écrits ont vocation à détailler le projet dans son ensemble, et à justifier de sa faisabilité. En outre, il doit comporter tous les documents justificatifs nécessaires à la banque pour son étude. Pas d’apport, pas d’accord La banque n’a pas vocation à financer l’intégralité d’un projet de création d’entreprise et à supporter le risque qu’il revêt. Il est attendu de l’entrepreneur une réelle implication financière dans son projet. Au-delà du signal fort envoyé, il est préférable pour la nouvelle entreprise de disposer d’une relative indépendance financière, salutaire pour son développement. Il ne semble pas exister, à ce jour, de règle établie qui permettrait de déterminer le niveau d’apport personnel. Toutefois, selon les observateurs, la proportion de l’apport personnel oscillerait entre 30 % et 50 % pour le financement de création d’entreprise. L’apport personnel étant généralement destiné à financer les frais d’établissement, les honoraires, le stock, le besoin de fonds de roulement. Dans le cas d’une reprise, les informations comptables de l’entreprise cible qui dispose d’une antériorité seront des atouts pour déterminer la bonne proportion de l'apport personnel. © Camille Brodard Enfin, négocier un financement bancaire pour la création d’une entreprise ne se pilote pas de la même façon que pour une entreprise déjà en activité. Dans les deux cas, la recherche de financements professionnels demeure une étape longue et décisive. Avec la crise, les banquiers sont devenus ultras précautionneux. Ils exigent de manière quasi systématique une garantie. Ces fameuses garanties varient en fonction de la nature de l’actif financé. Si le nantissement s’applique sur les biens incorporels (le fonds de commerce par exemple) et l’hypothèque sur les biens immobiliers, le créateur doit souvent fournir en plus une caution personnelle. Il peut alors se tourner vers des organismes comme BPI France, SIAGI, France active garantie… Ceux-ci peuvent garantir jusqu’à 70 % du montant emprunté, pour un coût de 1 à 2 % du montant garanti. En cas de refus des banques, le projet peut s’arrêter subitement. Mais ce dernier ne doit pas être considéré comme un élément négatif, mais comme une phase de réflexion supplémentaire permettant de procéder aux ajustements qui s’imposent. Normalement, le refus d’une banque doit être motivé et argumenté. Le créateur peut à ce moment demander une attestation de refus de prêt notamment dans le cas d’une opération conditionnée à l’obtention d’un prêt (achat immobilier par exemple). Attention ! Un fort apport personnel ne garantit pas pour autant l’obtention d’un financement professionnel. En cas de refus, l’entrepreneur peut saisir la Médiation du crédit aux entreprises. Créé en 2008, cet organisme public défend gratuitement les intérêts des chefs d’entreprise et négocie des accords avec les banques. Pour saisir un médiateur, l’entreprise doit remplir un dossier directement sur le site mediateurducredit.fr . En cas d’accord, rien ne garantit que le financement obtenu sera celui qui remplira les meilleures conditions. Et pour pallier un éventuel manque, des organismes sont amenés à intervenir en complément du financement bancaire au travers de prêts d’honneur. Généralement plafonnés et dimensionnés selon le projet, ils offrent notamment l’avantage de réduire le recours à l’emprunt bancaire, dans des conditions financières avantageuses (taux réduit, différé de remboursement…). Toutefois, comme leur nom le laisse entendre, il s’agit de prêts remboursables. Par conséquent, ils ne substituent pas, à proprement parler, à l’apport personnel nécessaire au financement du projet dans son ensemble. Aussi, la proportion de l'apport personnel attendue par les banques est généralement plus importante dans le cas d’une création d’entreprise que celui d’une reprise d’entreprise. Attention ! Un fort apport personnel ne garantit pas pour autant l’obtention d’un financement professionnel. © Jesse Orrico Il est recommandé de comparer les différentes offres des banques, car les modalités (taux d'intérêt [TEG], durée du remboursement, cautionnement, etc.) peuvent varier d'une banque à une autre. La mise en concurrence des agences permet de négocier de meilleures conditions ou des clauses moins restrictives, mais surtout d'éviter les déconvenues lors d'un rejet de financement. Les taux d’intérêt pratiqués sur les emprunts varient entre 2 et 4 % selon les montants, l’expérience du porteur de projet, l’activité de l’entreprise et la nature des investissements. Le taux n’est toutefois pas la seule variable à négocier. Le coût de l’emprunt sera aussi en fonction de la durée du prêt (souvent égal à celle de l’amortissement des biens financés), du coût de la garantie ou de celui de l’assurance. Sur ce dernier point, la banque propose en général de souscrire une assurance de groupe. Son prix est peu ou prou le même pour tous les assurés d’une même banque, mais si vous avez un bon profil, aucun problème de santé et êtes âgés de moins de 45 ans, une délégation d’assurance (qui vous donne la possibilité de vous assurer ailleurs que dans l’établissement prêteur) vous sera sans doute plus favorable. Se faire accompagner dans cette démarche est donc essentiel.

Rachel Lollia | Pawoka

Rachel Lollia | Pawoka

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Mais qui sont ces femmes qui ont franchi le pas de l’entrepreneuriat et qui déjouent tout préjugé sexiste ? Quels rêves les ont transporté ? Rencontre d'une entrepreneure qui creuse son sillon et multiplie les territoires d’exploitation avec une exigence et une indépendance d’esprit qui nous épatent. Quel a été le plus difficile pour vous dans votre parcours ? Tout au long de mon parcours, j’ai eu à rencontrer des difficultés. Le plus difficile a sûrement été le sacrifice financier. En effet, mes diplômes et compétences me permettent de travailler n’importe où et de bien gagner ma vie. Pour autant, je ne regrette rien, car l’enrichissement personnel, les rencontres, la maturité que j’ai acquise en peu de temps, le sens et la conviction que je porte à travers mes projets et surtout le fait de réussir à surmonter ces difficultés valent beaucoup plus à mes yeux. Pensez-vous que les femmes soient suffisamment représentées dans le monde entrepreneurial ? Non. Bien que cela soit en nette progression, selon moi, encore, quelques femmes se concentrent sur une vie rangée « boulot-famille » et peuvent percevoir l’entrepreneuriat comme une charge supplémentaire. À mon avis, une femme est déjà entrepreneure quand elle arrive à gérer sa vie classique et que d’être son propre patron ou de créer un produit, ou une activité est juste une organisation différente. Je suis une "serial entrepreneur". J’aime créer, inventer, trouver des solutions. Ce que j’aime encore plus, c’est de disrupter : faire les choses à l’opposer des codes actuels qui méritent d’être bousculés. D’autre part, certains experts expliquent la sous-représentation des femmes dans l’entrepreneuriat parce qu’elles sont supposées être : des êtres allergiques aux risques, manquant de confiance et mal à l’aise avec la réussite personnelle ou économique. Que pensez-vous de ces avis ? Nous prenons des risques tout le temps, on ne s’en rend même pas compte. Pour la confiance, je ne pense pas que cela soit en lien direct avec l’entrepreneuriat : des femmes très timides, pas forcément confiantes arrivent à mettre en place des business et à très bien les gérer. C’est vrai que le développement personnel aide et booste, mais avec ou sans cela n’empêche pas d’entreprendre. Je distingue l’entrepreneur du chef d’entreprise. Une présidente d’association par exemple est aussi une entrepreneure. Elle peut atteindre ses objectifs de réussite personnelle et économique en se challengeant. Comment pourrait-on soutenir davantage la création d’entreprises à l'égard des femmes ? Il y a des initiatives qui se sont mises en place ailleurs. À mon avis, il faut deux choses : dupliquer en conceptualisant et fonctionner en réseau. Progressivement, je veux croire que les mentalités évolueront, nous sommes au cœur d’une petite révolution du rapport au travail et de plus en plus de personnes deviennent indépendantes, sauf que cela en fait beaucoup et que notre marché n’est pas extensible, alors il serait intéressant de travailler ensemble. J’ai bon espoir. Avez-vous déjà vécu une situation dans laquelle on vous a fait comprendre que femme et entrepreneuriat étaient deux notions peu compatibles ? Personnellement, non. Ou plutôt, je ne l’ai jamais ressenti comme tel puisque je pense ne même pas donner cette chance à quelqu’un de me dire une telle chose. J’ai plutôt en mémoire une remarque qui m’a simplement fait sourire «  petit bout de femme qui ne paie pas cher, mais qui en a dedans (cerveau)  » et «  ah oui, tu es maman, je n’aurais jamais cru, je te vois bien active  ». Je ne comprends pas forcément le parallèle, mais bon. J’ai eu l’idée de Pawoka à partir d’une expérience personnelle, un besoin puis un constat. C’est ensuite devenu un défi, un projet, une réalité et maintenant un concept de vie. Que veut dire être une femme libre, selon vous, aujourd'hui ? La liberté… c’est un mot abstrait et en même temps mon objectif. À mon avis, une femme libre c’est une femme qui a le choix. Une femme qui « fait son choix de vie » est libre autant que la femme au foyer, celle qui fait l’école à la maison, la businesswoman ou la digitale nomade qui voyage aux quatre coins du monde. À quel moment de votre vie vous êtes-vous sentie le plus libre ? Et le moins libre ? Aujourd’hui, je me sens libre. Je me sens moins libre quand je me sens contrainte, prise au piège ou quand je ne me sens pas en accord avec moi-même, donc frustrée. On a toujours le choix, même quand on n’est pas le centre de la décision, de l’action, du sacrifice, etc. D'où puisez-vous votre force ? Je puise ma force en moi-même, mais aussi dans ma famille et mon environnement. Comme une plante. Les gens qui m’inspirent : Pierre Rabhi et localement Lucien Degras, Marie Gustave et Henry Joseph que j’ai la chance d’avoir comme mentor. Mais aussi toutes ces personnes passionnées qui ont l’audace de penser le monde de demain, font leur part comme des milliers de colibris (bientôt des millions) et agissent sans profiter ou tromper les autres. Je pense que l’entrepreneuriat en Guadeloupe est mal structuré. Comme d’habitude, nous sommes à la traîne. Or nous avons tout ici pour être des modèles. Selon vous, comment le digital transforme-t-il la place des femmes ? Peut-il jouer un rôle dans la construction d’un monde plus égalitaire ? Le digital offre de nouvelles opportunités qu’il est urgent de saisir. Je pense que oui, mais comme dans tout, il faut de la compétence et de la maîtrise pour anticiper le côté obscur. N’oublions pas que ce sont des humains qui ont créé tout cela. Il y a donc toujours une marge d’erreur. L’entrepreneuriat au féminin semble être un marronnier sociétal. N’avez-vous pas le sentiment que tous vos efforts et vos victoires ne sont ramenés qu’à une épopée de genre ? Personnellement, je ne le vis pas comme cela. Mais c’est vrai que l’être humain a toujours ce besoin de séparer, distinguer, différencier. Si cela booste et permet d’avancer, je ne suis pas contre. Quel type d’entrepreneure êtes-vous ? Je suis une serial entrepreneure. J’aime créer, inventer, trouver des solutions. Ce que j’aime encore plus, c’est disrupter : faire les choses à l’opposé des codes actuels qui méritent d’être bousculés. Je fais mon maximum pour être une entrepreneure toujours en accord avec mes valeurs et principes. «  Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir et de la magie !  » Goethe. Votre projet professionnel a probablement bouleversé votre vie personnelle. Avez-vous été obligé de faire quelques concessions ? Oui, beaucoup… mais je les qualifierai de choix. C’est carrément une aventure familiale, mais je veille à mettre une limite. Il est important de bien définir les choses et maintenir un équilibre. Rachel, comment vous est venue l’idée de Pawoka ? J’ai eu l’idée de Pawoka à partir d’une expérience personnelle, un besoin puis un constat. C’est ensuite devenu un défi, un projet, une réalité et maintenant un concept de vie. Il a été financé par mes fonds propres — j’y ai mis mes économies de job étudiante, mais surtout financé par de la compétence et de la solidarité. J’insiste sur cette partie, parce que tout n’est pas uniquement rattaché à de l’argent. Ma famille, mes amis, des rencontres, des collaborations, des échanges, c’est véritablement cette dynamique qui a donné vie à Pawoka. Et encore aujourd’hui. En pratique, Pawoka c’est : deux applications mobiles (une pour le public et une pour les professionnels de santé), qui permettent de rendre accessible l’information sur l’utilisation des plantes médicinales locales (Caraïbe) à tous. Mais aussi des formats complémentaires pour diffuser toujours plus, sensibiliser sur l’importance et la fragilité de cette ressource. Quel constat faites-vous de l’entrepreneuriat en Guadeloupe ? C’est mon avis personnel. Je pense que l’entrepreneuriat en Guadeloupe est mal structuré. Comme d’habitude, nous sommes à la traîne. Or nous avons tout ici pour être des modèles. Pour autant, je garde espoir, nous avons de plus en plus d’initiatives enrichies par des expériences de vie et de la compétence, mais aussi de l’ouverture d’esprit, donc cela bougera. On commence à le voir. Et si c’était à refaire ? Je ferais exactement pareil, c’est ce qui me définit et donc définit Pawoka. Vous imaginiez-vous enfant, être là où vous êtes ? Je pense que les enfants que nous avons été illustrent les adultes que nous sommes aujourd’hui. Donc indirectement oui. Petite, j’étais déjà dans les plantes médicinales, les sciences, les expériences, mais aussi la culture traditionnelle, l’ouverture au monde, le respect de l’autre, la tolérance. Je parlais facilement pour le groupe et ne supportais pas les injustices. Un conseil pour nos lecteurs(rices) qui voudraient se lancer ? «  Quoi que tu rêves d’entreprendre, commence-le. L’audace a du génie, du pouvoir et de la magie !  » Goethe.

Coralie Febrissy  | Créole trip

Coralie Febrissy | Créole trip

Propos recueillis par Ken Joseph Photos : Yvan Cimadure - Xavier Dollin Mais qui sont ces femmes qui ont franchi le pas de l’entrepreneuriat et qui déjouent tous préjugés sexistes ? Quels rêves les ont transporté ? Rencontre d'une entrepreneure qui creuse son sillon et multiplie les territoires d’exploitation avec une exigence et une indépendance d’esprit qui nous épatent. Pensez-vous que les femmes soient suffisamment représentées dans le monde entrepreneurial ? Très récemment, un journal a montré une photo de la France qui réussit : que des hommes et blancs. Pas une seule femme, pas une seule personne non blanche alors que l’on sait que des success-stories existent pour ces personnes. D’ailleurs, quelques jours après, des entrepreneures ont répliqué en photo avec la même scénographie pour montrer que des femmes chefs d’entreprises à succès, cela existe. Je dirais que c’est homme centré. Pays conservateur ? Il y a des femmes qui réussissent, pourquoi ne les voit-on pas plus ? Je ne sais pas. En revanche, l’entraide féminine par des réseaux de femmes est bien là. Voir des femmes gagner beaucoup d’argent devrait être quelque chose d’aussi normal que de voir un homme dans le même cas. À mon avis, c’est une question sociétale. D’autre part, certains experts expliquent la sous-représentation des femmes dans l’entrepreneuriat parce qu’elles sont supposées être : des êtres allergiques aux risques, manquant de confiance et mal à l’aise avec la réussite personnelle ou économique. Que pensez-vous de ces avis ? Les femmes ont une gestion du risque différente des hommes et les sociétés gérées par elles tiennent plus longtemps, grâce à ce fait. Beaucoup de femmes entreprennent avec l’objectif d’améliorer leurs qualités de vie, avoir un emploi du temps plus souple pour mieux gérer leur vie familiale… Celles qui se lancent dans l’aventure avec un objectif financier ambitieux sont sûrement moins nombreuses à mon sens pour deux raisons. Premièrement, en France, la question de l’argent est taboue et il vaut mieux cacher sa réussite que d’en être fière, a fortiori si l’on est une femme. Enfin, il faut avouer qu’il y a des croyances limitantes propres aux femmes qui ne permettent pas de casser ce plafond de verre financier. Mesdames, c’est OK, si vous voulez gagner beaucoup d’argent, vous en avez le droit, et vous le méritez. Comment pourrait-on soutenir davantage la création d’entreprises à l'égard des femmes ? Par l’exemple et l’éducation. Montrer très tôt dans les écoles des femmes d’entreprises à succès, plus de success-stories féminines dans les médias. Que cela devienne une norme et montre à tous que c’est possible de se lancer et de réussir ! Tout le monde devrait connaître le parcours inspirant de Yannick Cheffre, femme guadeloupéenne qui a dû surmonter beaucoup d’obstacles et qui est à la tête d’un des leaders du marché capillaire Afro, Activilong. Voir des femmes gagner beaucoup d’argent devrait être quelque chose d’aussi normal que de voir un homme dans le même cas. À mon avis, c’est une question sociétale. Qu'est-ce qu'être une femme libre, selon vous, aujourd'hui ? Je dirais une femme qui s’aime profondément, qui arrive à s’affranchir de ses propres croyances limitantes et des injonctions sociétales de ce que devrait être ou faire une femme. Et qui agit en conséquence. Créer son business grâce au digital n’est pas tributaire d’un genre, d’une couleur de peau ou de l’âge. D'où puisez-vous votre force ? Du soutien de mon chéri et de ma famille. Du décès de ma tante assez brutal. Nous allons tous mourir. Alors, pourquoi ne pas aller au bout de nos envies ? Les personnes inspirantes, Oprah Winfrey, Lyvia Cairo, trentenaire guadeloupéenne qui devient millionnaire en voulant impacter le monde avec le mantra « être moi suffit ». Stéphanie Rénier, Antillaise également atypique par sa profession, qui a un patrimoine immobilier de 1 million d’euros après avoir été fichée à la Banque de France. Des femmes qui montrent que c’est possible d’atteindre sa version de la réussite, en étant soi et en cassant les codes. Selon vous, comment le digital transforme-t-il la place des femmes ? Peut-il jouer un rôle dans la construction d’un monde plus égalitaire ? Oh que oui ! Créer son business grâce au digital n’est pas tributaire d’un genre, d’une couleur de peau ou de l’âge. Par conséquent, le champ est beaucoup plus ouvert grâce au digital. L’entrepreneuriat au féminin semble être un marronnier sociétal. N’avez-vous pas le sentiment que tous vos efforts et vos victoires ne sont ramenés qu’à une épopée de genre ? Si c’est le cas, nous sommes encore loin de l’égalité homme-femme. Et à vrai dire, je ne me pose pas la question. Quel type d’entrepreneure êtes-vous ? Je n’en sais rien du tout (rires). Je n’aime pas poser d’étiquette, je fais, je tâtonne ; j’apprends encore beaucoup. On en reparle dans cinq ans ? Créole trip vient de la résultante de ma manière de voyager à savoir rencontrer les locaux, faire des choses originales et l’amour viscéral que j’ai pour mon île avec l’envie de valoriser les Guadeloupéens et leur savoir-faire… Votre projet professionnel a probablement bouleversé votre vie personnelle. Avez-vous été obligé de faire quelques concessions ? C’est totalement cela, un bouleversement, notamment du point de vue familial. J’ai l’immense chance d’avoir un conjoint en or qui me soutient énormément. Les concessions sont familiales et c’est challengeant d’être une femme et mère entrepreneure avec l’injonction de réussir à tous les niveaux. Bonjour, culpabilité. Est-ce que les pères à poste à responsabilité ou entrepreneur sont face au même dilemme ? C omment vous est venue l’idée de créoletrip.com ? Créole trip vient de la résultante de ma manière de voyager, à savoir rencontrer les locaux, faire des choses originales et l’amour viscéral que j’ai pour mon île avec l’envie de valoriser les Guadeloupéens et leur savoir-faire que ce soit sur le plan gastronomique, culturel, et même du bien-être, mais insolite. J’ai gagné en compétence grâce au digital. J’ai tout financé sur mes fonds propres pour l’instant. Créoletrip.com permet de "siwoter" (profiter de) la Guadeloupe autrement. Quel constat faites-vous de l’entrepreneuriat en Guadeloupe ? Je n’ai pas assez de recul pour répondre à cette question. Cependant, je dirais que si les aides financières peuvent être traitées dans un délai plus adapté pour des créateurs d’entreprises notamment les start-ups, ce serait vraiment bénéfique. En effet, il faut pouvoir agir ou se réajuster rapidement et l’on sait que l’argent est le nerf de la guerre pour cela. Et la couverture numérique. Bosser dans le digital et galérer à avoir une connexion décente c’est un frein pour un développement économique lié au digital autant pour les potentiels clients que pour les entreprises. Comment envisagez-vous le futur de votre entreprise ? Apporter toujours plus de valeurs aux clients pour une expérience encore plus riche, complète, en diversifiant nos offres et conquérir d’autres Marchés. Et si c’était à refaire ? J’aurai pris un associé dès le départ. Bosser seule c’est très challengeant. Un conseil pour nos lecteurs(rices) qui voudraient se lancer ? Bossez dès le départ sur vos croyances limitantes (argent, etc.). Cela vous fera gagner du temps, lancez-vous même si ce n’est pas parfait.

bottom of page