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Buzz, the new com

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Marc Lantin et Ken Joseph

Illustrations : Mathieu Delord

 

Agences, annonceurs, clients


Ils sont de plus en plus nombreux à croire en la recette miraculeuse du buzz, cette nouvelle forme de publicité « tendance » réputée peu onéreuse qui rapporte gros. Mais les choses ne sont pas aussi simples et les risques bien présents. Pourtant, aujourd’hui, tout le monde veut son « opé buzz ». À l’heure où les budgets des grandes campagnes publicitaires traditionnelles rétrécissent, le web ressemble à un eldorado. Selon une étude publiée aux États-Unis par Strategy Analytics, les dépenses en marketing digital représenteraient 28 % des investissements publicitaires, soit 52,8 milliards de dollars. Signe des temps, Le Figaro, Elle, Paris Match, le JDD ont tous créé une rubrique « Buzz ».


Le mot fait même son entrée dans le Larousse et le Robert 2010. Il désigne par extension l’éclat médiatique et éphémère d’un phénomène qui marque l’actualité : la sortie du dernier album de MC Solaar, la campagne du McGoulou – approuvé par Admiral T, Balmain chez H&M – reconnue comme le meilleur coup de com' de 2015 –, ou encore la campagne #Make our Guadeloupe great again… Comment oublier l’opération « com'buzz » présidentielle d’Emmanuel Macron sur un lit de camp à la gendarmerie de Saint-Martin, à la suite de sa visite les jours d’après l’ouragan Irma. Sans oublier sa « petite » toilette au seau d’eau… Et enfin, l'inauguration du tunnel de Perrin aux Abymes… À la croisée de la problématique économique et du phénomène de société, le buzz a ouvert la voie à de nouvelles pratiques marketing. Décryptage d’une nouvelle religion de la communication.



En anglais, le terme « buzz » signifie « bourdonnement », le son émit par les abeilles qui transportent le pollen de fleur en fleur pour les fertiliser. Le buzz consiste à faire du bruit autour d’un événement ou d’une personnalité en propageant de manière virale – de proche en proche –  l’information. C’est le principe du bouche-à-oreille. Jusque-là, rien de révolutionnaire : Jésus l’utilisait déjà pour diffuser la bonne parole. Ce qui est nouveau, ce sont les outils technologiques qui permettent de transmettre, échanger et commenter toujours plus vite et facilement l’information.



Le « consom’acteur »


Les e-mails, les textos et les forums ont servi de laboratoire. 2005, une déferlante de courriers électroniques, de pubs Google et de sites web annoncent un projet titanesque : la création par la SNCF du TransAtlantys, un train qui reliera Paris à New York en moins de huit heures, par un tunnel sous l’Atlantique. Les enthousiastes tentent de convaincre les sceptiques qui relancent le débat. L’entreprise devient le centre des conversations. Jusqu’au jour de la révélation : pas de tunnel sous l’Atlantique, mais un joli coup de projecteur sur sa nouvelle agence de voyages. C’est l’un des premiers buzz marketing de l’histoire.


© SNCF


Depuis, l’avènement du web 2.0 avec ses blogs et autres réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram) ou communautaires (YouTube, Dailymotion) a démultiplié les possibilités. Ces nouvelles technologies ont changé le rôle du consommateur. C’est un « consom’acteur ». Au sein d’une communauté d’intérêts, il échange sur les forums, partage des vidéos et il conseille sur les blogs. Dans notre société de surchoix où l’on est mitraillé de messages publicitaires, les individus ont plus tendance à faire confiance à un « ami internaute » qu’à un slogan. Selon le nouveau baromètre Nurun-Ifop, Internet est aujourd’hui le média dont l’impact sur la décision d’achat des consommateurs est le plus important. Pour les séjours à l’hôtel ou en location, par exemple, 63 % des consommateurs déclarent avoir pris en compte ce qu’ils y ont vu, lu ou entendu.



Idée virus et cause


Encore faut-il réussir à mobiliser les internautes qui porteront la bonne parole à travers la toile. Trouver l’idée « virus » et la « cause » pour reprendre les termes de Georges Chétochine, auteur de To Buzz or Not Buzz (Eyrolles, 2007) qui annonceront le buzz. Le défi se résume, donc, à faire exister une marque dans un flot de contenus toujours plus important : une série, un site d’information en ligne… Contrairement à la publicité classique, rien n’est imposé au consommateur, c’est lui qui choisit de s’y intéresser. Sur le fond du message, les leviers classiques tels que l’humour, la dérision, la provocation fonctionnent toujours. On peut aussi y saupoudrer un zeste de nouveauté. La tendance actuelle consiste à dépasser le simple contenu et à offrir un service, une expérience.



Guérilla marketing


La différence se joue aussi sur la forme. Un saut en parachute de sir Richard Branson –   légalement interdit – au beau milieu de Time Square, à New York, pour promouvoir Virgin ou le blocage de la place de l’étoile, à Paris, par des dizaines de Smart aux couleurs Red Bull sont des opérations dites de « Guérilla marketing » qui circulent rapidement sur la Toile. Il faut s’adapter à la cible et aux médias choisis. Par exemple sur Facebook, il vaut mieux imaginer une application qu’un bandeau publicitaire sur lequel personne ne clique. C’est ainsi que la chaîne de restauration rapide Burger King a décidé de lancer, en 2009, le « Whopper Sacrifice ». Le principe : supprimez dix contacts Facebook et recevez un coupon pour un burger gratuit. Résultat de l’opération : 234 000 amis rayés des listes pour quelque 23 000 sandwichs offerts. Le prix de l’amitié ! Facebook a demandé la suppression de l’application…


© YMCA



Les relations blogueurs


Si l’on connaît les ingrédients d’un buzz réussi, la recette reste, elle, un mystère. Les spin doctors du marketing n’hésitent donc pas à forcer un peu le destin. Une opération buzz consiste, en effet, en 80 % de contenu et 20 % de stratégie de diffusion. L’un des moyens d’assurer la visibilité d’une marque est la mise en relation avec des internautes réputés « influents » dans leur communauté et susceptibles d’être intéressés par le produit ou l’entreprise. Ils leur sont alors proposés de l’information exclusive – souvent sous forme d’expérience – en espérant qu’ils écrivent une note qui sera lue, reprise et commentée. Exemple : participer à une séance de shooting pour la marque American Vintage.

Accompagnés par la styliste de la marque, dix blogueurs triés sur le volet ont choisi leurs tenues avant d’être photographiés et filmés pour le site de la marque et de repartir avec leur nouvelle garde-robe. Bingo ! Ils ont tous relaté l’événement, habillé leurs blogs aux couleurs de la marque et hébergé son jeu-concours. D’autres proposent directement de rémunérer ces super-internautes : on parle alors de « billet sponsorisé ». « J’ai assisté à des soirées pour des tests de produits, je suis invitée à passer une semaine en cure thermale et j’accepte d’être payée pour un article si le sujet m’intéresse, mais je reste libre de dire ce que je veux. », raconte Audrey Zinger, 37 ans, une blogueuse modeuse, tendance geekette.



Le bad buzz


Pour ceux qui ont recours à cette savante alchimie du buzz, le risque n’est jamais nul et le spectre d'un « bad buzz » jamais loin… Cas d’école. Prenez des meubles parachutés sur les ponts de Paris : l’idée est originale et spectaculaire, la vidéo tourne sur le web et le buzz prend. Tout le monde pense directement à Ikea. Faux ! Les internautes apprennent la vérité. Mais le mal est fait. Conforama, à l’origine de la campagne, vient d'offrir à son pire adversaire une superbe pub gratuite. Lorsque le fournisseur d’énergie, Poweo, décide de surfer sur le succès de Sébastien Chabal après la coupe du monde de Rugby de 2007, le buzz est assuré.



Mais la mise en scène, sous la forme d’un « dessin animé », d’un sportif qui recharge ses batteries en mettant les doigts dans une prise électrique, n’a pas été du goût de tout le monde. Très vite, des groupes se sont créés sur Facebook pour demander le retrait de la pub et crier à l’irresponsabilité de l’entreprise. L’un des terreaux les plus fertiles du « bad buzz » reste le produit lui-même. Et la grande maison Chanel en a fait les frais. En cause ? Un boomerang de luxe Chanel vendu 1 756 euros qui provoqua l’ire des internautes en mai 2017, accusant la marque de se livrer à une « appropriation culturelle » en reprenant cet objet traditionnel des Aborigènes d’Australie.

« J'ai décidé d'économiser de l'argent pendant les trois années à venir pour pouvoir me rapprocher de ma culture avec Chanel. »


© Steff Moris



La maison Chanel a réagi dans un communiqué, se disant : « très respectueuse des différentes cultures et traditions » et regrette « que certains aient pu être offensés ». « Nous comprenons parfaitement l'attachement culturel que la communauté aborigène et des îles du détroit de Torrès portent à cet objet et nous le respectons », poursuit la maison, précisant que « le sportswear fait partie intégrante de l'identité de la marque Chanel ». Les mots sont lâchés : appropriation culturelle. C’est également ce qui fut reproché à la chaîne McDonald’s – locale – avec son fameux sandwich McGoulou, inspiré du très célèbre Agoulou – spécialité de la région basse-terrienne – créé par Francis Vala.


© McDonald's


Une campagne multisupport approuvée et portée par Admiral T – artiste caribéen de la scène reggae-dancehall – défenseur du « consommer locale » (WTF). Une combinaison sous fond de polémique et d’indignation qui a fortement fait réagir sur les réseaux sociaux.




L’artiste, quant à lui, s’est empressé de répondre en chanson sur le célèbre tube « Wild Thoughts » de DJ Khaled, Rihanna et Bryson Tiller. Un ego trip, « On s’en fout », où il explique sa colère au sujet de ce lynchage médiatique. Mais si tous les éléments étaient réunis pour un buzz « musical », ce fut à nouveau un bad buzz… La plupart du temps, il s’agit aussi de réactions spontanées d’internautes en colère, un « bad buzz » naturel. On ne compte plus les photos de souris diffusées sur la Toile qui ont entaché les réputations de MacDonald's, La Brioche dorée, Pizza Hut…


Le « Buzz monitoring »


Pour éviter cet écueil, des entreprises sont devenues les grandes oreilles du Web. Elles proposent d'écouter, de cartographier ce qui se dit sur le Net pour repérer les tendances, mais aussi éviter les mauvaises surprises. Une course contre la montre dans laquelle chaque heure compte. Autre avantage, ces techniques de traçabilité permettent d'évaluer l'efficacité d'une campagne de buzz.



Une campagne de buzz est-elle automatiquement synonyme de jackpot ?


Le ticket gagnant autour de 50 000 euros est moins élevé que celui d'une opération classique et la rentabilité peut être importante. Mais les risques sont aussi nombreux. Et pour limiter la casse, mieux vaut miser davantage dès le départ. Il y a eu quelques « coups » faits avec presque rien, mais ce mythe a vécu. La concurrence est telle qu'il faut une véritable qualité de production, un savoir-faire de spécialistes, car les technologies ne cessent d'évoluer ; et un plan média global pour suivre l'ensemble sur le long terme. En bref, faire confiance aux experts. En France, ces grands prêtres du buzz qui officient dans les agences spécialisées telles que Buzzman – les « pures players » comme ont dit – sont encore peu nombreux. En revanche, les adeptes, eux, se manifestent de plus en plus. Reste à les convaincre que le buzz n'est que l'un des nombreux rites d'une nouvelle religion : le marketing 2.0.



Vous les connaissez forcément, ces drôles de bébés en rollers qui remuent de la couche au son d'une reprise du mythique « Rapper's Delight » de SugarHill Gang. Vous les avez peut-être même partagé avec vos amis, participant ainsi sans le savoir au plus gros buzz commercial de l'histoire. Grâce à cette campagne Évian et aux 45 millions de vues officielles associées à cette vidéo réalisée par Michel Gracey, l'agence BETC-Euro RSCG est rentrée dans les pages du Guinness Book. « Il sera très difficile de reproduire un buzz qui dépasse à ce point les attentes, mais on peut en tirer quelques leçons », explique Guilhem Fouetillou, directeur général de Linkfluence, l'agence chargée d'évaluer la campagne. Premièrement : mettre la main au porte-monnaie. Cette opération aurait coûté quelque 450 000 euros (hors création vidéo). Et enfin : concevoir un plan d'attaque. « Il y a d'abord eu un gros travail de préparation, pendant plusieurs mois, sur les communautés pour attirer l'attention des influenceurs. Puis, on est passé à l'assaut avec l'achat de la page d'accueil YouTube pendant 24 heures », conclut-il.

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