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Le cheveu crépu

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Safia Enjoylife

Photo : Claire Guillon

 




La nature est parfaite, chacune de ses créations est adaptée et efficace. Le cheveu crépu est apparu en Afrique dans une région particulièrement exposée au soleil. Son rôle est de protéger le crâne de l’être humain contre l’insolation. C’est également un casque isotherme, car en s’enroulant sur lui-même non seulement il retient l’eau transpirée et évite une déshydratation trop rapide, mais il permet de rafraîchir le crâne lors des moments de chaleur extrême.


En plus de détruire leur chevelure et toute la symbolique identitaire qui s’y rattachait, les esclavagistes ont également martelé pendant des siècles que le cheveu crépu est sale, repoussant, ou tout au moins ridicule.

De ce fait, le cheveu crépu est parfaitement adapté à l’environnement où l’être humain est apparu. Avant que les Européens ne saccagent l’estime du cheveu crépu, ce dernier tenait une place fondamentale dans toutes les sociétés africaines depuis les toutes premières civilisations sophistiquées. En effet, au-delà de la valeur esthétique, les coiffures exprimaient différents traits identitaires comme l'appartenance ethnique, le sexe, la tranche d'âge, l'état matrimonial, le rang social ou encore les moyens financiers.

© J.D Okhai Ojeikere



Lorsque les Africains ont été déportés vers les Amériques, vu les conditions de transport, leurs cheveux se sont emmêlés. À l’arrivée, l’aspect hirsute a provoqué quasi systématiquement le rasage intégral de la chevelure des hommes et des femmes. Cet acte a été vécu par les Africains comme la première négation de leurs identités, avant même que leurs noms soient changés et leurs langues interdites. En plus de détruire leur chevelure et toute la symbolique identitaire qui s’y rattachait, les esclavagistes ont également martelé pendant des siècles que le cheveu crépu est sale, repoussant, ou tout au moins ridicule. Une vaste propagande s’est d’ailleurs répandue en Europe et en Amérique par des images caricaturales. Les personnages noirs y étaient systématiquement représentés chauves ou avec des cheveux hirsutes. L’association d’idées a fini par intégrer les esprits : le cheveu noir n’est pas présentable.


C’est l’exemple que nous donnons aujourd’hui et c’est le fonctionnement que nous transmettons maintenant qui libéreront demain nos enfants et après-demain les enfants de nos enfants de la mésestime d’eux-mêmes. Alors, soyons crépus et fiers !

Les techniques de transformation du cheveu crépu ont donc commencé à se développer. Il y a d’abord eu les fers à repasser pour lisser de façon temporaire, puis ça a évolué vers les crèmes défrisantes pour un lissage permanent. Aujourd’hui, les perruques et les tissages se sont rajoutés à la liste des artifices capillaires. Quel que soit le procédé employé, l’objectif reste le même : faire disparaître ce cheveu crépu ridicule et laid. Malgré une prise de conscience progressive sur les qualités du cheveu crépu, son mépris tente de perdurer. La récente mode des « baby hair » œuvre dans ce sens puisqu’il s’agit encore de donner l’illusion d’un phénotype capillaire autre que crépu.


© Lens Frazier


Concernant les femmes, les 3 principales raisons pour lesquelles elles transforment leurs cheveux crépus sont infondées. D’abord, ce cheveu serait difficile à coiffer. Faux ! Les peignes et les produits dont disposaient les générations précédentes n’étaient pas adaptés à la constitution du cheveu crépu, car ils étaient destinés au cheveu caucasien. Toutes les femmes noires qui ont abandonné les gammes et les instruments européens en faveur des huiles, beurres et composants qui correspondent à leur type de cheveu ont découvert que leur chevelure peut être souple et soyeuse. Toutes celles qui ont adopté la manière appropriée de manipuler et de soigner leurs cheveux ont découvert leur facilité d’entretien. La seconde raison est que la transformation du cheveu crépu donnerait un accès à un plus grand choix de coiffures. Faux !


De nos jours, en quelques clics, on accède gratuitement à des tutoriels vidéo qui proposent des milliers de coiffures à réaliser sur les cheveux naturels. Ces modèles sont très faciles à reproduire. Enfin, la dernière raison est le souhait de correspondre aux standards occidentaux afin de garantir son intégration dans la société et ainsi obtenir un emploi, un logement ou même être séduisante aux yeux des hommes, y compris ceux de l’homme noir. Sur ce dernier point, je n’ai pas d’alternatives simples à proposer, car c’est un combat laborieux qu’il faut mener avec une grande conviction. Néanmoins comme dans d’autres sphères marginalisées, c’est en devenant de plus en plus visibles et présentes que les chevelures crépues créeront leur place dans la norme.


© Sloane


© Jamie Morgan


Les hommes ne sont pas en reste concernant la transformation de leur chevelure. Combien de célébrités du sport et de la musique ont troqué leur authenticité pour un blond platine jusqu’au bout de la barbichette ? Et l'on croise tous les jours ceux qui ont opté pour des procédés qui ondulent leurs mèches et font croire à un métissage fantasmé. Le dégât le plus insidieux auquel le mépris du cheveu crépu a donné lieu dans l’esprit de certains hommes noirs c’est le culte de tous les phénotypes capillaires pourvu qu’il ne soit pas africain. Cette tendance est tellement prégnante qu’on pourrait se demander si à force de choisir des femmes blanches, métisses, asiatiques ou latinos pour compagnes, ce ne sont pas ces hommes noirs qui ont conduit certaines femmes noires à transformer leurs cheveux dans le but de devenir attirantes. Le grand paradoxe c’est que malgré des siècles de conditionnement mental pour renier le cheveu crépu, l’importance du cheveu n’a pas faibli dans la communauté noire. On remarque que la femme noire investit énormément de temps et de moyens dans ses cheveux qu’ils soient naturels ou transformés.


L’homme noir quant à lui va chez le coiffeur plus régulièrement que n’importe quel individu d’une autre communauté. D’ailleurs avez-vous remarqué que le salon de coiffure est souvent représenté dans la culture noire ? Parmi les exemples les plus célèbres, on peut citer le film « Poetic justice » avec Tupac Shakur et Janet Jackson en 1993, la vidéo de la chanson « Bills bills bills » des Destiny’s child en 1999, la chanson « Seven days » de Craig David en 2000, le film « Barbershop » avec Ice Cube en 2002, ou encore l’hommage à Missy Elliott à la cérémonie des Hip Hop Honors en 2007. L’importance accordée à la chevelure par la communauté noire n’est pas anodine. La symbolique identitaire et spirituelle est sans doute toujours inscrite dans l’information génétique des individus.


(…) lorsqu’un enfant manipule une poupée noire qui porte des locks, des tresses ou un afro, c’est un pas de plus vers l’appréciation de son propre phénotype.

 

Depuis quelques années, l’image négative dont le cheveu crépu a souffert commence à s’estomper grâce aux célébrités qui ont popularisé les coiffures afrocentrées. La figure la plus emblématique est certainement l’actrice kényane Lupita Nyong’o. Cette évolution de la représentation du cheveu crépu concerne aussi les célébrités caucasiennes puisque nombre d’entre elles montrent un intérêt grandissant pour les coiffures africaines. On peut citer les cheveux crêpés de Iggy Azalea, les nattes de Chrisina Aguilera, les tresses de Kim Kardashian, ou encore les locks de Miley Cyrus et Lady Gaga. Cette récente popularisation du cheveu noir a provoqué un retour au naturel massif.



@  Lupita Nyong'o



© Chloe X Halle's



Des femmes de tout âge prennent chaque jour la décision d’abandonner le défrisage ou les tissages. D’autres se marient avec les cheveux crépus alors que c’était perçu comme totalement inapproprié il y a peu de temps. Enfin, de plus en plus de femmes arborent des cheveux crépus dans des carrières médiatiques comme le journalisme, le cinéma et le mannequinat, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années. Ce retour au naturel a d’ailleurs induit un essor important des produits capillaires adaptés au cheveu crépu. Des gammes complètes fleurissent partout dans le monde et notamment aux Antilles et en Guyane. Des professionnels et des salons se forment également pour apporter expertise et efficacité à leur clientèle.


Ainsi après avoir été rasé, nié, humilié, traumatisé, endommagé et diffamé pendant des siècles, il semble que finalement un bel avenir soit promis à la perception du cheveu crépu.

Au-delà des célébrités qui rendent les coiffures africaines tendance, au-delà de l’essor des produits de soins pour cheveux crépus, un autre aspect se développe et permet à la nouvelle génération d’être fière de ses cheveux naturels, ce sont les jouets et les livres. En effet, lorsqu’un enfant manipule une poupée noire qui porte des locks, des tresses ou un afro, c’est un pas de plus vers l’appréciation de son propre phénotype. Dans le même esprit, de plus en plus de livres pour enfants émergent avec des messages qui valorisent le cheveu crépu. Ces deux démarches conjuguées contribuent considérablement au regain de l’estime pour le cheveu crépu. Et la superproduction hollywoodienne « Black Panther » a achevé d’enclencher la révolution qui rend sa noblesse au cheveu crépu ! Absolument, tous les personnages noirs de ce film arborent des coiffures africaines plus fascinantes les unes que les autres. Non pas que ce soit le premier film à accorder une place prépondérante au cheveu crépu puisque la blaxploitation s’en est donnée à cœur joie dans les années 70, mais c’est le premier à avoir un public généraliste et mondial.



Ainsi après avoir été rasé, nié, humilié, traumatisé, endommagé et diffamé pendant des siècles, il semble que finalement un bel avenir soit promis à la perception du cheveu crépu. Même si le chemin s’annonce encore long et laborieux, restons confiants quant à son triomphe sur la domination idéologique qui impose des standards de beauté caucasiens au monde entier depuis 500 ans. Nous devons guider la prochaine génération en lui présentant des modèles de force, de ténacité et de réussite qui portent des cheveux crépus. Nous devons lui mettre entre les mains des jouets qui lui ressemblent et des livres avec des personnages auxquels elle peut s’identifier. Nous devons lui confier les clés des cadenas apposés sur son esprit. Ces cadenas sont les clichés, les stéréotypes, les caricatures et le racisme ordinaire qu’elle côtoie quotidiennement dans les médias, à l’école ou à l’église. C’est l’exemple que nous donnons aujourd’hui et c’est le fonctionnement que nous transmettons maintenant qui libéreront demain nos enfants et après-demain les enfants de nos enfants de la mésestime d’eux-mêmes. Alors, soyons crépus et fiers !


 

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