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Réforme constitutionnelle et désir de Guadeloupe

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Raphaël Lapin

Photo : Muhammandtaha Ibrahim

 




Luc Marx décrit ce qu’il observe dans la région géographique qu’il a la charge d’administrer au nom de l’État, un « désir d’Alsace ». Ce désir qui est aux prémices de l’évolution institutionnelle des deux départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin vers une seule et unique collectivité européenne d’Alsace annoncée récemment. C’est par ailleurs, au désir de Corse que le Député du territoire éponyme ait appelé le Gouvernement le 8 novembre dans l’hémicycle en demandant quand viendra le statut particulier pour celle que l’on nomme l’île de beauté. Un désir bien compris, tant nous éprouvons, un désir similaire de Guadeloupe qui appelle à la révision profonde des institutions et du statut de notre pays. À l’orée de la discussion par le parlement du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, nous avons jugé bon de mettre à l’épreuve de notre désir de Guadeloupe, les évolutions contenues dans ce texte qui est l’élément majeur du paquet constitutionnel qui comporte également un projet de loi organique et un autre projet de loi simple pour lequel le calendrier de discussion n’est pas encore fixé.


(…) le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe.

Les réformes que le projet de texte constitutionnel prévoit s’organisent d’une part, autour de la rationalisation attendue des institutions de la Ve République et d’autre part, autour de la simplification de la procédure parlementaire et du renforcement du pouvoir de contrôle du parlement. Le projet de loi constitutionnelle prévoit de réformer le rapport entre le pouvoir central et les territoires. L’exposé des motifs du projet de loi évoque en effet des évolutions de la pratique des institutions depuis une décennie qui imposent de reconsidérer certains modes de fonctionnement des institutions notamment en actualisant les mécanismes de la Ve République. Cette rationalisation passe également par un changement du lien qui unit l’État central aux territoires.



© Filip Kominik



Ainsi, l’article 15 du projet de loi modifierait l’article 72 de la Constitution en deux points. Il s’agit d’abord d’introduire le fameux droit à la différenciation qui était une promesse de campagne du candidat Macron à l’élection présidentielle. Ce droit permet aux collectivités d’exercer certaines compétences, en nombre limité, dont ne disposent pas l’ensemble des collectivités de la même catégorie. Ainsi, une commune ou une région pourra intervenir dans un domaine où les communes ou autres régions ne le pourraient pas normalement. Cette possibilité pourra être ouverte par la loi dans des conditions définies par la loi organique. Ensuite, les collectivités territoriales et leurs groupements pourront déroger, lorsque la loi ou le règlement l’aura prévu aux lois et règlements qui régissent leurs compétences. Cette dernière possibilité pourra être coordonnée avec le droit à l’expérimentation qui est d’ores et déjà prévu par l’article 72 de la Constitution. En définitive, une fois adopté, le texte nouveau « devrait permettre d'expérimenter sans généraliser, voire de déroger sans expérimenter » (1). Ces dispositions devraient s’appliquer de plein droit aux collectivités dites d’outremer et donc singulièrement à la Guadeloupe.


Or, de ce point de vue, il n’est rien de nouveau qui permette d’étancher le désir d’une transformation profonde des structures politiques de la Guadeloupe. En effet, de telles dispositions existent d’ores et déjà pour l’ensemble des outre-mer. Le Conseil d’État rappelle par ailleurs dans un avis du 7 décembre 2017 que les expérimentations et les dérogations sont aussi possibles pour certaines collectivités à statut particulier (Paris, Lyon, la Corse…), tous les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), dont aucun, ne ressemblent à un autre, métropoles comprises, et la région Île-de-France (2). En cela, le « droit à la différenciation » évoqué ne brise aucun tabou ni ne renverse aucun totem, qu'ils soient constitutionnels ou administratifs (3). Au mieux, cela revient à attester de l’usage des territoires d’outremer comme des laboratoires juridiques et institutionnels de la République. Ainsi, une technique juridique éprouvée dans les outre-mer peut être étendue au gré des actes de décentralisation d’abord aux collectivités dites à statut particulier puis à l’ensemble des collectivités territoriales de France.



© Xavier Coiffic


Quoi qu’il en soit, il est heureux que la République se réforme dans un sens qui laisse plus de liberté d’action aux territoires afin que les politiques publiques puissent être menées en considération des spécificités de chacun d’eux. Cela atteste d’un mouvement progressif de montée en puissance et de responsabilisation des collectivités locales qui ira certainement en s’amplifiant. Une amplification à laquelle il serait bon que la Guadeloupe se prépare.

Les élus corses se disent prêts pour leur part et demandent à aller plus loin que l’actuel article 16 du projet de loi qui a justement pour objet de reconnaître la singularité de la Corse dans la République française en créant un article 72-5 dans la Constitution qui prévoit que « la Corse est une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72 ». L’article prévoit que les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités de l’île. Cette disposition n’est pas sans rappeler les dispositions de l’article 73 de la Constitution qui prévoit que dans les cinq départements et régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit, mais qu’ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.


(…) considérant que pour l’heure aucune consultation populaire n’a permis d’acter la volonté du peuple guadeloupéen de faire évoluer son statut, gageons que la réforme va dans le bon sens.

Comme pour la Guadeloupe, la Martinique, la Guyane, ou Mayotte, ces adaptations peuvent être décidées par la collectivité dans les domaines qui relèvent de sa compétence ou encore si elle y a été habilitée. Rappelons à cet égard que l’amendement Viraroupllé exclut La Réunion de cette possibilité. S’agissant justement des outre-mer, l’article 17 du projet de loi constitutionnel prévoit de modifier les deuxième et troisième alinéas de l’article 73 de la Constitution afin de simplifier les conditions dans lesquelles les collectivités régies par cet article peuvent fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement. Cette possibilité continue toutefois d’exclure La Réunion dans la mesure où l’alinéa 5 de cet article, dans sa rédaction actuelle, écarte les collectivités régionale et départementale de l’île de la capacité d’habilitation dans les domaines relevant de la compétence du pouvoir législatif ou réglementaire. La simplification réside principalement dans l’allègement de la procédure d’habilitation qui consistera désormais en un « simple » décret en conseil des ministres, pris après avis du Conseil d’État. L’idée est de faciliter l’obtention de ces habilitations qui permettent aux collectivités dites majeures d’intervenir dans le domaine de la loi ou du règlement. Jusqu’alors, la jurisprudence du Conseil constitutionnel s’opposait à ce que le pouvoir réglementaire dévolu au Gouvernement puisse directement habiliter une collectivité d’outre-mer à adapter les règles (4). Un rapport parlementaire adopté le 21 juin 2018 par la Délégation aux outremer, si elle devait être traduite par un amendement, devrait permettre d’assouplir le régime institutionnel des collectivités réunionnaises et les rendre également éligibles à la réforme voulue par le pouvoir constituant.


Depuis la loi constitutionnelle de 2003 qui a créé cette possibilité, le Conseil régional de Guadeloupe n’y a eu recours qu’à peine quatre fois dont une qui consistait en une demande de renouvellement de l’habilitation. On notera la demande d’habilitation « aux fins de fixer les règles spécifiques à la Guadeloupe en matière de maîtrise de la demande d'énergie, de développement des énergies renouvelables et d'adopter une réglementation thermique adaptée aux constructions réalisées dans la région » (5). Ce faible nombre est particulièrement regrettable considérant l’extension importante de l’application intervenue à la lumière de la décision du Conseil d’État du 30 décembre 2015 qui prévoit que le pouvoir d’habilitation n’est pas qu’un pouvoir d’adaptation, mais il est également un pouvoir de création de règles nouvelles. Il traduit ce que nous pensons être la principale critique du système des habilitations. C’est qu’il repose sur une approche conduisant les élus locaux à demander au Gouvernement de saisir le Parlement d’un texte visant à l’habilitation d’une loi nationale inadaptée. Outre la lourdeur du procédé, son schéma de mise en œuvre n’aboutit pas à une responsabilisation directe de celui qu’on habilite à agir. Cependant, considérant que pour l’heure aucune consultation populaire n’a permis d’acter la volonté du peuple guadeloupéen de faire évoluer son statut, gageons que la réforme va dans le bon sens. Ce devrait être en effet un progrès dans la mesure où l’objectif de cette simplification est d’encourager la prise de responsabilité par les élus locaux.



© Christopher Luanou



Cependant, le texte ne permet pas de résorber l’autre grande critique encourue par l’habilitation législative. C’est la question des moyens d’exécution du texte voté par l’assemblée locale d’une part ; le risque étant en effet que l’administration compétente pour intervenir en la matière demeure une administration d’État et ne réponde donc pas des exécutifs locaux. D’autre part, c’est la question du contrôle des dispositions adoptées. Une difficulté que découvrira la collectivité corse tout comme d’ailleurs les collectivités hexagonales qui seront dotées d’un pouvoir dit de dérogation en cas d’adoption de l’article 15 du projet de loi constitutionnelle. Cela devrait avoir pour effet de mettre en relief cette difficulté et conduire à un nouvel acte de décentralisation visant à conférer aux collectivités locales les moyens d’exécuter leurs décisions. Une hypothèse évoquée par certains publicistes qui expliquent que le texte : ne conduit pas à une nouvelle lecture du « pouvoir réglementaire » dont disposent les collectivités territoriales (Const., art. 72, al. 3) en vue de leur permettre d'appliquer elles-mêmes la loi ou le règlement sur leur territoire, a fortiori régional, et pas plus à nouvelle lecture du « principe de subsidiarité » que l'on peut déduire de l'article 72, alinéa 2.


(…) le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe.

En tout état de cause, celle-ci plaide en faveur d’une meilleure préparation des Guadeloupéens à assumer plus de compétences (6). D’ailleurs, il faut remarquer que dans sa méthode d’une réforme institutionnelle a minima, le projet de loi ne modifie pas non plus l'article 72, alinéa 5 selon lequel « aucune collectivité ne peut exercer une tutelle sur une autre ». Or, ce serait un excellent moyen de faire de la différenciation en Guadeloupe. Ainsi, on pourrait faire différer les compétences entre catégories de collectivités territoriales et non pas à l'intérieur d'une catégorie, même composée d'une seule unité. « En d'autres termes, la région devra continuer à adopter des schémas dont la mise en œuvre dépend largement des autres collectivités, tout comme les groupements ne se substitueront aux communes membres que dans un nombre limité de cas. Ainsi, le mille-feuille territorial va demeurer et avec lui une juxtaposition qui conduit à tous les “bricolages” institutionnels et financiers » (7). De ce point de vue, la réforme institutionnelle qu’introduirait la loi constitutionnelle nouvelle ne permettrait pas de réponse, par exemple, à la difficulté fondamentale de l’inefficacité de la sphère communale dans la gestion des réseaux d’eau et d’assainissement en Guadeloupe.


© Sour Noha


Cette rationalisation des institutions françaises trouve son prolongement dans le projet de réforme de la procédure parlementaire qui devrait rendre celle-ci à la fois plus efficace et plus simple. Ce changement serait susceptible d’intéresser nos territoires dits ultramarins. Ainsi, l’article 4 du texte prévoit le recours à une procédure simplifiée autorisant la discussion d’un texte qui ne se déroulerait qu’en commission en présence du ministre. Cela signifierait que le texte n’aurait pas à passer en séance publique à l’Assemblée, mais qu’il pourrait être simplement examiné en commission. Or, c’est bien souvent là que le gros du travail parlementaire s’exerce. Dans la pratique parlementaire, une telle procédure pourrait être mobilisée pour les textes dont l’objet serait simplement d’adapter le droit aux outremer ou encore pour les textes spécifiques aux outre-mer tels que ceux qui concernent la ratification d’une ordonnance relative à une COM relevant de l’article 74 de la Constitution par exemple. Cela permettrait d’assurer une plus grande célérité dans l’adaptation des règles de droit aux territoires d’outre-mer. Certes, cette solution est loin d’être optimale, car elle oppose l’impératif de démocratie à l’exigence d’efficacité de la fabrique de la loi. De plus, elle ne permet pas de rapprocher le centre de décisions du cœur battant de la Guadeloupe afin que celle-ci soit plus immédiatement adaptée à la réalité du terrain. Au total, on l’aura compris, le projet de réforme constitutionnelle pose des interrogations auxquelles seule la pratique des institutions réformées pourra répondre, sans pour autant parvenir à éteindre notre désir de Guadeloupe.



1. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233. 
2. CE, Avis du 7 décembre 2017, n° 393651, AJCT 2018. 207, obs. G. Le Chatelier. 
3. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233. 
4. Voir décision du Conseil constitutionnel n° 2007-547 du 15 février 2007 et décision 2011-636 DC du 21 juillet 2011. 
5. E. JOS, Encyclopédie des collectivités locales, Dalloz, nov. 2012. 
6. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233. 
7. V. DE BRIANT, Le droit à la différenciation, entre totems et tabous, AJ Collectivités territoriales, 2018, p.233.

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