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Quand les consommateurs prennent le pouvoir

Dernière mise à jour : 13 mai 2023

Par Maryse Doré

Photo : Olena Sergienko

 




Il fut un temps où les équipes marketing décidaient tranquillement, sans qu’on les dérange, de la couleur d’un produit ou d’un message publicitaire. Aujourd’hui, ces équipes doivent apprendre à composer avec un nouveau pouvoir de décision : celui du consommateur. Car à l’ère d’Internet, du 2.0, ce dernier a décidé de prendre la parole, et il n’est pas prêt à se taire…




Le retour à une prise de parole légitime.


L’intervention du consommateur dans la politique produit ou la communication d’une marque est le principe fondateur du marketing participatif. Les illustrations sont aujourd’hui légion : de M&M’s à Renault, en passant par Sony, Mastercard ou L’Oréal, toutes les marques s’y mettent. Liebig commercialise ainsi une soupe à partir de la recette d’une de ses clientes, Doritos diffuse un spot publicitaire réalisé par un amateur, tandis que le Groupe Danone laisse le choix de la saveur de la prochaine Danette à ses fans. Mais pourquoi ce soudain interventionnisme du consommateur dans les décisions des marques ? Pour François Laurent, auteur de Marketing 2.0 : l’intelligence collective et coprésident de l’Adetem (Association nationale du marketing), ce n’est qu’un juste retour à la normalité. Jusqu’au début du 19e siècle en effet, nul besoin de marketing, puisque les artisans sont en relation directe avec leur clientèle.


« le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec ».

C’est l’avènement de l’industrialisation et de la mondialisation qui a créé cette nouvelle discipline, pour pallier l’éloignement entre fabricants et clients. Ainsi, le consommateur, quand il voulait réagir, ne trouvait alors personne à qui parler. Le Web 2.0 lui a donné les moyens d’interagir pour se défendre et donner son avis. Certes, certaines marques lui donnaient déjà la parole par quelques réunions de consommateurs ou enquêtes de satisfaction, mais Internet a permis de multiplier les possibilités de dialogue, tandis que les outils du Web 2.0 ont incroyablement simplifié leur mise en place.



© Danone France



Une tendance de fond.


C’est parce qu’Internet a permis de revenir à une relation plus naturelle que François Laurent est persuadé que le marketing participatif n’est pas une simple mode. Selon lui, « le marketing traditionnel est mort, puisque le contexte dans lequel il est né n’est plus. Les marques qui continuent alors de snober les consommateurs sont vouées à l’échec ». Au lieu de devenir victime de clients incompris, les marques ont tout intérêt à permettre à leur communauté de s’organiser et de s’exprimer sur le terrain. Le fabricant Dell a ainsi créé IdeaStorm, une plateforme d’échange, sorte de boîte à idées où sont également accueillies les critiques, mêmes mauvaises. Être attentif à ses clients permet de mieux réagir à de telles situations, mais aussi de ne pas se priver de leur créativité, parfois débordante. C’est l’exemple d’Haribo qui a fêté les 40 ans de la Fraise Tagada en misant sur des opérations d’envergure auprès des journalistes, alors qu’elle aurait mieux fait, de mettre à l’honneur la multitude de fans qui rivalise d’originalité pour créer des recettes à base de fraise Tagada.




De multiples bénéfices.


Au-delà de la créativité de ses clients, une marque peut tirer de multiples bénéfices à les associer au processus de communication. Tout d’abord parce que les messages de ces derniers sont souvent mieux perçus que ceux de la marque elle-même. Les gens croient de moins en moins aux discours publicitaires, et de plus en plus aux avis de leurs pairs. Les commentaires de clients sur Amazon ou TripAvisor valent donc plus que toutes les communications officielles. Aujourd’hui, une marque se définit par les premiers résultats qu’elle génère sur Google, parmi lesquels 50 % sont des avis de consommateurs. Écouter ce que ces derniers ont à dire permet donc de mieux comprendre leurs attentes et la façon dont il faut s’adresser à eux. Mieux analyser sa cible, comprendre la perception de sa marque, prendre du recul par rapport à son produit, gagner en spontanéité et en authenticité dans sa communication pour en fin de compte faire de ses consommateurs des ambassadeurs ; tels sont les multiples gains du marketing participatif.



© Jonathan Kemper



Encadrer pour éviter les dérapages.


Le marketing participatif n’est pas pour autant sans embûches. Au premier rang des risques : celui que l’opération tourne court, faute de participation. Un concours visant à créer la prochaine affiche publicitaire d’un produit qui ne recueillerait qu’une demi-douzaine de créations renverrait une image peu flatteuse. Pire, que les affiches créées aillent à l’encontre de la marque, comme Chevrolet en a déjà fait la dure expérience. Après un appel à la création, le constructeur automobile s’est retrouvé avec des dizaines de vidéos militant contre la pollution de ses véhicules sur son propre site. Pour éviter de tels écueils, plusieurs précautions sont à prendre. Tout d’abord, si un client n’est pas content, c’est souvent parce qu’il n’a pas été écouté.


Donner la parole est une chose, encore faut-il être attentif à ce qui se dit. Anticiper les possibles abus suffit par ailleurs souvent à les éviter. Un simple filtre de mots évite par exemple toute injure sur un concours d’affiches. En complément, il est indispensable d’opérer une modération des contenus créés, avant toute mise en ligne. L’idée n’est pas de censurer, mais d’éviter tout dérapage hors de propos. Pour le reste, l’époque où les marques contrôlaient tout est révolue. Elles doivent donc apprendre à jouer le jeu et accepter la dimension citoyenne de leurs consommateurs et de leurs salariés. Car les salariés aussi peuvent être à l’origine d’initiatives, à l’image d’Yves Rocher qui a ouvert en 2007 le site communautaire « Les végétaliseurs », sous l’impulsion de trois de ses employées. Le site compte plus de 40 000 membres qui militent pour un monde plus vert. Il n’y a pas de recette miracle au marketing participatif, il faut tenter des choses et accepter de prendre des claques. L’Oréal a essuyé en 2005 un échec avec le lancement d’un faux blog pour sa marque Vichy. « Le journal de ma peau » animé par un personnage fictif avait soulevé l’ire de la blogosphère. Le nerf de la guerre est donc la gestion et l’animation de sa communauté. Pour emporter son adhésion et la motiver à co-créer, il faut veiller à offrir de la valeur ajoutée aussi bien pour la marque que pour les clients contributeurs. Le marketing participatif, c’est le marketing humain.



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Tous les secteurs peuvent s’y essayer.


Si une majorité s’accorde à reconnaître l’intérêt du marketing participatif, s’adapte-t-il pour autant à tous les secteurs et tous les produits ? La réponse est succincte : oui. Tout juste doit-il être bien encadré pour certains secteurs, comme le luxe, où l’ADN de la marque repose sur son identité. Cette précaution n’a pas empêché Louis Vuitton et Armani de faire leurs premiers pas dans le domaine. Armani a organisé une compétition pour réaliser sa campagne publicitaire Emporio Armani Parfums, tandis que Louis Vuitton a proposé un « live » de son dernier défilé, à qui s’inscrivait sur sa page Facebook. Résultat : 80 000 fans en quelques jours et une nouvelle communauté sur qui s’appuyer. En effet, plus la marque fait rêver, plus la tâche est facile, mais ce n’est pas parce qu’on ne s’appelle pas Nike que le marketing participatif est inenvisageable. La solution est d’imaginer ce qui donnera envie d’adhérer, plutôt que de chercher à marketer sur son produit.



© Allef Vincius



Des retombées difficilement mesurables.


Si le marketing participatif s’adresse au plus grand nombre, ne risque-t-on pas l’essoufflement du marché et la banalisation de l’acte ? Les consommateurs ne vont-ils pas se lasser d’être tant sollicités ? Pour les spécialistes, la réponse est unanime : plus les marques posent des questions, plus les consommateurs apprécient la démarche et se prennent au jeu. Ils vont néanmoins devenir plus exigeants, et choisir celles à qui dédier leur temps, mais tant que les marques proposeront de bons deals, le marketing participatif fonctionnera. Un bémol pourrait toutefois entraver l’ascension de la discipline : c’est la difficulté pour les marques d’en mesurer les retombées économiques.


En effet, pour certains, les retombées peuvent se matérialiser sous la forme financière, numéro 1 des ventes. Mais pour d’autres, les retombées ne sont palpables qu’en termes de notoriété ou de taux de sympathie. Pourtant, selon une étude de l’université de Harvard, il est démontré que la croissance d’une marque est directement corrélée à son taux de reconnaissance. Une étude qui prouve ainsi que les résultats, en termes de chiffre d’affaires, se récoltent bel et bien, mais à plus long terme. Tout vient à point qui sait attendre.

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