top of page

La femme dans l'histoire

Dernière mise à jour : 14 mai 2023

Par Safia Enjoylife

Photo : Getty images

 




Les premières figurines qui ont représenté l’humain étaient exclusivement féminines. La plus ancienne étant la Vénus de Hohle Fels âgée de 40 000 ans. Cette fascination vouée à la gent féminine s’explique par sa position centrale dans la transmission de la vie. C’est dans le corps de la femme que se forme un nouvel être et c’est également elle qui assure sa survie en l’allaitant pendant qu’il est fragile et dépendant. En raison de sa fonction créatrice et nourricière, la femme a donc été au centre d’une attention et d’une dévotion extrêmement importante pendant les premiers stades de l’humanité.



Les rôles fondamentaux des déesses imaginées par les différents peuples rendent compte de sa haute considération. Chez les Égyptiens de l’Antiquité, l’équilibre, la justice, et la paix étaient incarnés par la déesse Maat. Chez les Incas, la déesse Pachamama est source de fertilité et protège les récoltes. Quand on sait que la subsistance principale de cette société était l’agriculture, on comprend que cette divinité tenait un rôle crucial. Dans la croyance hindoue, la conscience, la prospérité, l’abondance, la vérité, la sagesse et la connaissance sont personnifiées par les divinités féminines Aditi, Lakshmi et Sarasvati. On retrouve la même importance accordée aux femmes dans tous les panthéons de la planète.


Ce n’est que plus tard que la puissance et le caractère indispensable de la femme ont été amoindris afin de garantir à la gent masculine le monopole de la gouvernance des États et des spiritualités. Dans de nombreuses sociétés, le rôle de la femme a été relégué à celui d’accompagnatrice docile. Son influence et ses actions décisives ont été gommées des récits historiques, au point qu’aujourd’hui, on observe un déséquilibre flagrant entre la surexposition des hommes et l’absence des femmes. On serait tenté de croire que cette distorsion reflète le fait que la femme n’a pas pris part aux progrès des nations, mais en soulevant les épaisses couches d’omission, on retrouve ses apports essentiels dans l’histoire du monde. S’il est vrai que la femme a souvent dû s’inscrire dans la rébellion pour faire valoir son droit d’action et de décision, c’est encore plus vrai pour la femme noire qui, elle, a dû se dresser contre une double barrière, celle du sexisme et celle du racisme. Pour autant, elle n’a jamais cessé de participer aux événements déterminants de l’histoire.



Anne Mbande Nzinga, puissante reine du Ndongo et du Matamba.



Reines, guides spirituelles, meneuses de révolte, guerrières, mères de héros, chefs de clan, pionnières, elles sont beaucoup plus nombreuses qu’on nous le montre à avoir été des femmes de pouvoir ou des femmes d’influence. Aussi loin que remonte la civilisation, la femme est intervenue dans le sort des nations. Dans l’Antiquité déjà, une lignée de reines africaines a dirigé et protégé le royaume de Koush, situé dans l’actuel Soudan. La reine Amanishakéto s’est démarquée par son génie militaire. En effet, bien que l’empereur romain Auguste ait attaqué son royaume avec une armée trois fois plus nombreuse que la sienne, la reine Amanishakéto a déjoué cette invasion. Ses compétences en stratégie lui ont permis d’écraser les troupes romaines malgré leur supériorité numérique. Suite à cette défaite humiliante, les Romains n’osèrent plus jamais attaquer le royaume de Koush et il prospéra pendant des siècles ! L’exemple d’Amanishakéto témoigne que la combativité et l’ingéniosité ne sont pas des qualités réservées aux femmes modernes. Et le fait qu’une femme dirige un État et prenne part au combat n’est pas un phénomène isolé dans l’histoire africaine.


Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira « Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles. »

Au 16e siècle, la reine Amina a régné 34 ans sur le royaume de Zazzau situé dans l’actuel Nigéria. Elle fut formée très jeune à la gouvernance et au combat. Lorsque Amina accéda au trône, elle décida de mener une campagne militaire à la tête d’une cavalerie de 20 000 soldats. En plus d’agrandir considérablement son territoire, la reine Amina a développé l’économie en sécurisant le commerce du cuir, des chevaux, du sel et de métaux précieux. Elle rendit son royaume riche et puissant. Des ruines impressionnantes de murs d’enceinte qu’elle fit construire sont encore visibles dans les villes de Kano et Katsina au nord du Nigéria. La reine Mbande Nzinga a également été une guerrière exceptionnelle et un chef d’État exemplaire. Pendant plus de 40 ans, elle a dirigé les royaumes de Ndongo et du Matamba, situés dans l’actuel Angola. Elle était une combattante redoutable et une stratège militaire extrêmement efficace. Elle a tenu les envahisseurs portugais en échec plus de quatre décennies ! Elle est décédée en 1663 à 82 ans après avoir créé une lignée de femmes dirigeantes.



Portrait des Amazones du Dahomey qui pendant deux siècles constituaient la garde rapprochée du roi du Dahomey.



Les femmes ont toujours participé aux luttes pour la liberté de leurs nations et tandis qu’on les imagine souvent précieuses et délicates, elles n’ont jamais hésité à se saisir des armes pour protéger leurs enfants, leurs maris et leurs parents. Seh Dong Hong-Beh en est la parfaite illustration. Elle était la générale d’une armée de 6 000 guerrières, les Minos. C’est d’ailleurs son parcours héroïque qui a inspiré le personnage du général Okoye dans le film « Black Panther » des studios Marvel. Elle a infligé de graves dégâts aux troupes françaises qui tentaient d’envahir le royaume du Dahomey en 1851. Il faudra que ses adversaires se munissent de mitrailleuses pour venir à bout de la hargne et de la détermination de Seh Dong Hong-Beh et de ses guerrières. En constatant la puissance de feu des soldats français, les Minos refusèrent de capituler. Elles préférèrent sacrifier leurs vies pour ralentir l’avancée des soldats français. Telles sont les héroïnes que l’histoire passe sous silence.


Gloria Richardson lors d'une protestation à Cambrige, Juin 1963. © Mike Morgan


Les femmes ont toujours résisté face à l’oppression, mais pas nécessairement dans la violence. Kimpa Vita n'a pas mené sa rébellion en versant le sang, mais en propageant des discours de mise en garde contre les mensonges et les exactions que les Portugais perpétraient dans le gigantesque royaume Kongo au 16e siècle. Elle dénonçait les manipulations des missionnaires religieux qui sous couvert de la bible soumettaient le peuple Kongo et pillaient ses ressources. Elle invitait ses compatriotes au rejet de toute alliance ou commerce avec les Européens qui finissaient toujours par trahir et détruire. Elle encourageait ses frères et sœurs à être fiers de leur couleur de peau et de leur identité africaine. À cause de sa quête de justice et de liberté, elle fut arrêtée et torturée. Elle était enceinte, mais cette condition ne lui valut aucune pitié des missionnaires. Ils la brûlèrent vivante avec son bébé dans son ventre. Elle n'était âgée que de 22 ans. En Casamance, une autre meneuse est aussi un symbole de la lutte pacifique. Vers 1940, une guérisseuse de 18 ans, Aline Sitoé Diatta, provoque un boycott massif de la gouvernance française. Elle commence par initier un refus catégorique de toute activité ou règle imposée par les colons français. Par exemple, elle réussit à convaincre les paysans d’abandonner la culture de l'arachide exportée vers la France pour reprendre celle du riz qui nourrit les populations locales. Elle persuade également ses compatriotes de ne plus payer d'impôts. Grâce à elle, les hommes ne s'enrôlent plus dans l'armée française pour aller se faire massacrer au front pendant la Seconde Guerre mondiale. Devant la désobéissance croissante du peuple Diola, les colons français capturèrent Aline en 1943 et la torturèrent plusieurs mois avant de l’exécuter. Les combats pacifiques d'Aline Sitoé Diatta et de Kimpa Vita reflètent l’implication des femmes dans leur société, quels que soient les époques et les moyens. Et concernant les lieux, il n’y a pas qu’en Afrique que la femme a agit, dirigé, lutté et provoqué des progrès.


On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes.

Les femmes ont résisté pendant leurs captures en Afrique, pendant la traversée des négriers, et pour celles qui ont survécu, elles ont continué à résister, une fois déportées en Amérique et dans la Caraïbe. En Jamaïque, Nanny a fait la guerre aux Anglais pendant une trentaine d’années. À peine débarquée, elle s’enfuit et forme ses compagnons fugitifs à l’art de la guerre en milieu forestier. Elle tient son instruction militaire du peuple Ashanti d’où elle est issue. Elle provoque des dégâts si considérables qu’elle précipite l’abolition. Elle aurait libéré plus de 800 Africains lors d’attaques éclair dans les plantations. À Haïti, Sanité Bélair a vaillamment combattu les Français pendant la révolution qui a eu lieu entre août 1791 et le 1er janvier 1804. Elle était si efficace qu’elle a acquis le grade de lieutenant dans l’armée de Toussaint Louverture. En Guadeloupe, c’est Solitude qui, enceinte, pistolets aux poings, a généré d’énormes pertes du côté français. Au Brésil, c’est Dandara, une fugitive de l’état de Bahia, qui organise des raids dans les plantations portugaises pour libérer des captifs africains. Et des noms de femmes qui se sont placées au cœur des combats, il en existe une liste sans fin.



Amelia Boynton (à droite de Martin Luther King Jr) Selma, 1965. © Amelia Boyton House.



Cette tendance à participer activement au progrès vers l’émancipation et la justice ne s’est pas éteinte lors des dites « abolitions ». La ségrégation aux États-Unis a connu des opposants célèbres tels que Martin Luther King, Malcom X ou encore Huey P. Newton et Bobby Seale, mais encore une fois les femmes ne sont pas restées à l’écart du combat. En 1955, c’est la journaliste afro- américaine Jo-Ann Robinson qui a initié le boycott des bus de Montgomery. À la suite de l’arrestation abusive de Rosa Parks, Jo-Ann décide d’appeler la communauté noire de Montgomery à cesser d’utiliser les bus de l’agglomération. Son boycott est totalement suivi et se transforme en premier mouvement pacifique en faveur des droits civiques. Sans le savoir, cette femme ordinaire a déclenché un effet domino qui a mené à la fin de la ségrégation raciale aux États-Unis. L’application du droit de vote est également due à une femme. En 1965, c’est Amelia Boynton Robinson qui a l’idée de la marche historique entre Selma et le capitole de Montgomery. Elle persuade 200 personnes puis l’opération se transforme en succès national avec 25 000 participants venus des quatre coins du pays. Gloria Richardson Dandridge, quant à elle, a milité du côté de Cambridge dans l’état du Maryland en organisant des actions de désobéissance civile avec un petit groupe de femmes noires. Quitte à se faire arrêter et parfois rouer de coups par les matraques des policiers, elles allaient s’asseoir dans des cinémas, des restaurants ou des bowlings réservés aux blancs. On remarque que les parcours de femmes téméraires sont laissés dans l’ombre tandis que les hommes téméraires deviennent des icônes.


En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux.

Winnie Mandela à Johannesburg, en décembre 1986. © Greg English. AP



Un exemple flagrant de cette différence de reconnaissance est le couple Nelson et Winnie Mandela. En Afrique du Sud, Winnie Madikizela Mandela était aussi engagée que son mari dans le combat contre l’apartheid. Pendant qu’il était en prison, elle ne s’est jamais résignée. Elle a organisé des protestations très suivies, au point d’être emprisonnée 491 jours. Toutes sortes de tortures physiques lui ont été infligées durant son enfermement. Comme son tempérament trempé dans l’acier l’a empêché de craquer, les gardiens l’ont persécutée psychologiquement. Par exemple, ils mélangeaient des insectes morts à sa nourriture. Winnie a tenu bon et dès sa sortie elle a recommencé à militer. C’est grâce à elle que Nelson Mandela n’est pas tombé dans l’oubli comme les autres prisonniers politiques d’Afrique du Sud. C’est elle qui a maintenu sa situation dans l’actualité en l’évoquant à chaque manifestation. C’est également grâce aux démarches qu’elle a menées inlassablement pendant 27 ans que la lourde peine de Nelson s’est commuée en assignation à résidence puis en libération. En participant activement à sa libération, Winnie a permis à l’Afrique du Sud d’accueillir son premier dirigeant africain depuis la colonisation. Le rôle de Winnie a été occulté, pourtant sa ténacité, sa combativité et son altruisme lui font mériter le même statut de héros que son époux. Les femmes ont un rôle beaucoup plus important qu’on veut bien leur accorder dans l’histoire, mais celui-ci est minimisé, voire nié.


Et des femmes qui impactent leur société positivement, il en existe partout dans le monde ! Récemment, c’est Marielle Franco qui a incarné la lutte contre l’oppression des démunis au Brésil. Née au cœur d’un complexe de seize favelas parmi les plus dangereuses de Rio, elle réussit ses études de sociologie et s'engage dans le militantisme en faveur des droits civiques. Elle réussit à se faire élire conseillère municipale afin de faire voter des lois qui protègent les femmes des violences et des inégalités. Son élection est une victoire retentissante pour les habitants des favelas, car elle prouve que désormais au Brésil il est possible d'accéder à des postes en politique même quand on est issu de la pauvreté, même quand on est noir et même quand on est une femme ! Malheureusement, cette transgression des standards fut de courte durée. Un an après son élection, le 14 mars 2018 Marielle Franco est exécutée de quatre balles dans la tête. Les différentes luttes qu'elle menait en faveur des défavorisés l'ont rendue trop subversive. D’autant qu’elle dénonçait publiquement la corruption du 41e bataillon de la police militaire de Rio.


LIRE AUSSI | LE POUVOIR FÉMININ À L'ÉPREUVE DE L'ENTREPRENEURIAT


Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson. © Collection Smith / Gado / Getty Images



Les femmes ont tenu des rôles essentiels dans tous les domaines. Et s’il en est un où elles sont souvent occultées, c’est la science. Ce champ se veut exclusivement masculin parce qu’il implique des capacités intellectuelles complexes. L’idéologie sexiste voudrait que les femmes soient moins dotées que les hommes concernant les compétences intellectuelles. De nombreux exemples jettent le discrédit sur cette théorie infondée. D’ailleurs, le plus grand progrès scientifique du 20e siècle a pu avoir lieu grâce à trois femmes. Ce sont Katherine Johnson, Dorothy Vaughan et Mary Jackson qui ont permis à la NASA d’envoyer le premier humain sur la lune. Elles ont bravé les lois de la ségrégation qui les écartaient des carrières scientifiques et elles ont surmonté l’obstacle d’être des femmes dans un milieu réservé aux hommes. Katherine Johnson est la surdouée des mathématiques qui a calculé la trajectoire du vol de Neil Amstrong vers la lune en 1969. Dans une ère sans informatique, ces calculs étaient restés impossibles à résoudre avant son arrivée. Dorothy Vaughan, ingénieur en informatique, a programmé le premier ordinateur de la NASA, celui qui a permis de planifier des vols plus rapidement. Mary Jackson, physicienne, a trouvé le conditionnement adéquat pour garantir une navette qui supporte la pression et la chaleur. Ces femmes ont accompli un triomphe légendaire et pourtant le monde n’a découvert leur existence qu’en 2016 au moment de leur biographie cinématographique « Les figures de l’ombre ».




(…) la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs...

Inutile d’invoquer d’autres exemples pour reconnaître que, quelles que soient les barrières que l’on dresse sur son chemin et les portes qu’on lui claque au nez, la femme vient à bout de tout type d’adversité. Sa puissance était reconnue à l’aube de l’humanité et malgré des siècles d’infériorisation, elle reste toujours aussi évidente. Peu importe le nombre de nuages que l’on place devant elle, la femme illumine le monde. En attendant que la société se décide à laisser sa puissance astrale s’exprimer librement, la femme continuera à participer activement à l’histoire du monde. Elle le fera malgré que son nom soit effacé des livres, elle le fera malgré que son rôle soit occulté dans les récits, elle le fera depuis l’arrière de la scène en soufflant les paroles à ceux qui prononcent les discours dans la lumière des projecteurs, elle le fera dans l’ombre de ceux à qui elle murmure les décisions à prendre et les directions à suivre, elle le fera en gagnant un peu plus de droits chaque année. Comme l’a indiqué madame Christiane Taubira « Le monde qui vient devra s’habituer partout, à la présence partout, la présence de nos filles, de vos filles. ».

Posts similaires

bottom of page